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Date : 20161208


Dossier : T-953-16

Référence : 2016 CF 1359

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 8 décembre 2016

En présence de monsieur Kevin R. Aalto, protonotaire chargé de la gestion de l’instance

ENTRE :

VALEANT CANADA LP/

VALEANT CANADA S.E.C. ET

VALEANT PHARMACEUTICALS

LUXEMBOURG S.A.R.L.

demanderesses

et

APOTEX INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Apotex, la défenderesse, soumet une requête fondée sur l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) en vue d’obtenir une ordonnance rejetant l’intégralité de la demande dans le présent dossier. Les demanderesses (Valeant) s’opposent à la radiation de la demande, faisant valoir essentiellement qu’elles ne sont pas tenues de prouver quoi que ce soit relativement à la requête d’Apotex, dont elle sollicite le rejet au nom de leur « droit » à une audience.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  Apotex a notifié à Valeant un avis d’allégation portant que ses comprimés de 1 000 mg de métformine (comprimés d’Apotex) ne contreferaient pas le brevet 496 de Valeant. Comme il est indiqué dans les documents de requête et l’avis d’allégation, le brevet 496 est lié à une composition pharmaceutique dans un enrobage à libération contrôlée. Cet enrobage formé à partir d’un copolymère d’ester neutre dépourvu de groupes fonctionnels ainsi que d’un polyglycol ayant un point de fusion supérieur à 55 °C est durci [traduction] « à une température égale ou supérieure au point de fusion du polyglycol ».

[3]  Apotex fait valoir dans son avis d’allégation qu’elle ne contrefera pas le brevet 496, et qu’elle n’utilisera pas cet enrobage ni ce procédé de fabrication pour ses comprimés.

[4]  En juillet, soit quelques semaines avant le dépôt de la demande, Apotex a informé Valeant de son intention de déposer la requête visée en l’espèce. Valeant n’a pas demandé à ce qu’un échéancier soit fixé pour la production de la preuve dans le cadre de la demande. Elle s’est plutôt concentrée sur la requête déposée par Apotex en application de l’alinéa 6(5)b).

[5]  Apotex a présenté trois affidavits à l’appui de sa requête : 1) l’affidavit souscrit par Lisa Ebdon, une auxiliaire juridique, auquel sont jointes diverses pièces, y compris l’avis d’allégation et la correspondance entre les parties; 2) l’affidavit souscrit par Duane Terrill, un employé d’Apotex, exposant la teneur de la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) pour les comprimés d’Apotex; 3) l’affidavit souscrit par Ping I. Lee, un professeur en pratiques pharmaceutiques et processus de libération des médicaments à l’Université de Toronto, qui atteste que les comprimés d’Apotex ne contreferaient pas le brevet 496.

[6]  Il est notamment déclaré dans ce dernier affidavit que M. Ping a reçu une copie du brevet 496 (dans lequel les noms du propriétaire et du demandeur avaient été caviardés) et qu’on lui a demandé de donner son avis sur la manière dont une personne versée dans l’art comprendrait le brevet 496 et l’élément essentiel de ses revendications. La copie d’une présentation réglementaire (dans laquelle les mêmes renseignements avaient été caviardés) a également été remise à M. Ping afin qu’il détermine si la formulation décrite dans la présentation renfermerait tous les éléments essentiels des revendications. Dans son affidavit, M. Ping conclut que la formulation détaillée faisant l’objet de la présentation réglementaire ne renfermera pas les éléments essentiels du brevet 496 et que ceux-ci n’entreront pas dans sa fabrication. Il mentionne par ailleurs que l’enrobage et la forme posologique des comprimés d’Apotex auront un mode d’action différent de ceux décrits dans le brevet 496 et ses revendications.

[7]  Il convient notamment de souligner que, selon le dossier de preuve, Apotex a produit tous les documents demandés par Valeant et qui sont mentionnés dans l’avis d’allégation ou la PADN. Il ressort des documents produits en preuve que les comprimés d’Apotex ne renferment pas les éléments essentiels des revendications du brevet 496. Une bonne partie des documents ont été remis à Valeant avant le dépôt de la demande dans le présent dossier.

[8]  L’avis de demande n’est d’aucune aide pour comprendre la thèse de Valeant ou sur quoi repose sa requête en interdiction. L’avis de demande indique seulement que le produit d’Apotex contrefait le brevet 496 et qu’elle ne donne aucune justification de ses allégations d’absence de contrefaçon. Valeant ne donne aucune autre précision pour étayer ces allégations vagues.

[9]  Après le dépôt de l’avis de demande, Valeant a sollicité une ordonnance de production de documents supplémentaires, conformément au paragraphe 6(7) du Règlement. Apotex a produit tous les documents demandés.

[10]  Valeant a pris la décision calculée et stratégique de ne déposer aucun élément de preuve dans le cadre de cette demande. Elle a plutôt choisi de se centrer sur la requête d’Apotex, sans chercher à présenter de preuve relativement à la demande principale. Elle n’a pas non plus contre-interrogé les témoins d’Apotex. En somme, Valeant n’a présenté aucun élément de preuve relativement à la requête, s’en tenant aux allégations formulées dans son avis de demande.

III.  Thèses des parties

[11]  Apotex fait valoir que la demande dans le présent dossier constitue un abus de procédure, qu’elle n’a pas la moindre chance de succès et qu’elle doit donc être radiée. Elle demande à la Cour d’user de son pouvoir discrétionnaire et du pouvoir prévu à l’alinéa 6(5)b) pour radier la demande à ce stade-ci de l’instance. Selon Apotex, l’alinéa b) s’applique à la demande parce qu’elle constitue un abus de procédure ou est autrement scandaleuse et vexatoire.

[12]  Se fondant sur l’arrêt Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 RCS 77, Apotex affirme que les tribunaux doivent garder le contrôle de leurs procédures pour éviter que les affaires qui leur sont soumises discréditent l’administration de la justice et que les questions débattues ne portent atteinte « aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice » (Toronto, précité, au paragraphe 37).

[13]  Apotex estime par ailleurs que la présente instance constitue un abus de procédure étant donné que Valeant n’a fourni aucun élément de preuve à Apotex ou à la Cour à seule fin de justifier que l’instance devait être autorisée à suivre son cours. Comme l’objectif du Règlement est d’empêcher les contrefaçons (voir, notamment, Novopharm Limited c Sanofi-Aventis Canada Inc., 2007 CAF 167), l’absence de preuve de contrefaçon oblige à considérer la demande comme un abus de procédure.

[14]  La thèse de Valeant est bien résumée dans les deux paragraphes suivants de ses observations écrites :

[traduction]
3.  Apotex a choisi de soumettre sa demande avant d’avoir reçu la preuve de Valeant et sans même avoir demandé qu’un échéancier soit fixé pour la production de celle-ci. Par conséquent, c’est à Apotex de convaincre la Cour qu’il sera impossible à Valeant de présenter une preuve susceptible de lui donner gain de cause. Autrement dit, Apotex doit convaincre la Cour de l’impossibilité qu’un témoin présente des éléments de preuve à l’appui de la demande. La Cour ne dispose d’aucune information qui lui permettrait de tirer une telle conclusion. Le droit est clair : toute ambiguïté à cet égard doit profiter à Valeant.

[...]

5.  Valeant a le droit, en tant que demanderesse, à l’instruction de sa demande. Elle n’est aucunement tenue de répliquer à la preuve présentée par Apotex relativement à la requête. Autrement, Apotex et ses témoins pourraient faire valoir leurs arguments à deux reprises. Autant le Règlement que les Règles des Cours fédérales prévoient que Valeant doit avoir la possibilité et le droit de produire sa preuve et d’obtenir une décision sur le bien-fondé de sa demande dans le cadre d’une audience complète.

[15]  Les observations de Valeant reposent sur plusieurs hypothèses et arguments implicites qu’il convient de commenter. Premièrement, il est donné à entendre qu’Apotex aurait dû attendre que Valeant présente sa preuve à l’appui de sa demande. Deuxièmement, Valeant semble suggérer que la responsabilité de demander une ordonnance fixant l’échéancier était partagée par Apotex. Troisièmement, Valeant nie toute obligation, de quelque nature, de présenter des éléments de preuve dans le cadre de la requête d’Apotex. Quatrièmement, Apotex aurait la charge de prouver l’impossibilité pour Valeant de trouver des témoins qui déposeraient en sa faveur. Cinquièmement, Valeant estime avoir droit à une audience au fond. Sixièmement, la requête d’Apotex lui donnerait deux occasions de faire valoir ses arguments. Septièmement, Valeant n’est aucunement tenue de répliquer aux arguments avancés par Apotex à l’appui de sa requête.

[16]  Les motifs exposés ci-après expliquent en quoi les hypothèses de Valeant sont erronées ou grandement exagérées.

IV.  Question en litige et discussion

[17]  La question en litige est la suivante : Y a-t-il lieu pour la Cour d’annuler la demande dans le présent dossier au motif qu’elle constitue un abus de procédure, ou qu’elle est autrement scandaleuse ou vexatoire?

[18]  Tel qu’il a été soulevé auparavant, le Règlement vise à empêcher les contrefaçons et, à cette fin, il accorde au titulaire de brevet un moratoire de deux ans avant l’entrée sur le marché d’un fabricant de médicaments génériques. Le paragraphe 6(5) du Règlement, et plus particulièrement son alinéa b), offre tout de même un recours au fabricant de médicaments génériques :

6(5) Sous réserve du paragraphe (5.1), lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter tout ou partie de la demande si, selon le cas :

6(5) Subject to subsection (5.1), in a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court may, on the motion of a second person, dismiss the application in whole or in part

 

. . .

b) il conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement, à l’égard d’un ou plusieurs brevets, un abus de procédure.

(b) on the ground that it is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process in respect of one or more patents.

[19]  La Cour peut annuler une demande si elle constitue un abus de procédure, ou si elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la présente demande constitue un abus de procédure et doit donc être radiée.

[20]  Elle constitue un abus de procédure tout d’abord parce que Valeant s’est délibérément abstenue de présenter des éléments de preuve à Apotex ou à la Cour pour justifier que l’instance suive son cours.

[21]  Aux yeux de Valeant, Apotex aurait dû présenter sa requête seulement après qu’elle ait produit la preuve à l’appui de sa demande. Il s’agit d’une allégation facile à réfuter : le paragraphe 6(5) n’empêche d’aucune façon un fabricant de médicaments génériques de présenter une requête sous son régime, à quelque moment que ce soit.

[22]   Comme deuxième argument, Valeant soutient qu’Apotex a présenté sa requête [traduction] « sans même avoir demandé qu’un échéancier soit fixé pour la production [de la preuve de Valeant] », ce qui a de quoi étonner quand on sait qu’elle blâme Apotex d’avoir tenté d’inverser la charge de la preuve dans la requête. Une telle prétention revient à faire porter à une partie défenderesse la responsabilité de demander à la Cour de fixer l’échéancier de la production de la preuve pour faire avancer l’instance. Où cette obligation est-elle imposée à la partie défenderesse dans le Règlement? Est-ce que la procédure est différente parce que toutes les instances introduites en vertu du Règlement font l’objet d’une gestion d’instance? Aucunement. La demande a été déposée par Valeant, et c’est à elle que revient la charge de s’assurer qu’elle suive son cours. Valeant doit présenter ses éléments de preuve dans les 30 jours suivant la soumission de la demande, sauf dans le contexte d’une procédure de gestion d’instance, au titre de laquelle un autre échéancier est fixé. Puisque Valeant n’a rien fait pour obtenir un échéancier de production de la preuve, elle serait mal venue maintenant de prétendre qu’Apotex devait aussi faire des démarches pour que cet échéancier soit fixé. C’était la responsabilité de Valeant. Rien ne l’empêchait de produire sa preuve avant l’audition de la requête. Elle a pris une décision calculée et stratégique de ne produire aucun élément de preuve à l’appui de sa demande ou de sa réponse à la requête, et elle doit en assumer les conséquences.

[23]  Il est à noter aussi qu’au moment où l’échéancier de l’instruction de la requête a été fixé, Valeant a demandé un délai suffisant pour produire sa preuve et mener des contre-interrogatoires. Elle n’a rien fait de cela. L’instruction de la requête aurait pu avoir lieu bien avant.

[24]  En troisième lieu, Valeant argue qu’elle n’a aucune obligation de produire des éléments de preuve dans la requête visée en l’espèce. Selon Valeant, seule une requête en jugement sommaire lui imposerait cette obligation puisque la charge de la preuve serait inversée. C’est faux. Il ne suffit pas à une partie de déposer une demande – elle doit exposer les motifs à l’appui de ses allégations. L’allégation de contrefaçon formulée dans la demande ne révèle rien de plus qu’une conclusion comme quoi le produit d’Apotex contrefera le brevet. Les revendications du brevet mises en cause ne sont pas précisées, ni la manière dont la contrefaçon se produira. La demande ne mentionne rien de concret hormis l’affirmation vague et spécieuse qu’Apotex contrefera le brevet. Il est évident que cette allégation n’a aucune chance d’être admise  et qu’elle devrait être radiée.

[25]  Selon le quatrième argument, il incomberait à Apotex d’établir que Valeant ne pourra pas trouver de témoin pour corroborer sa thèse. Il s’agit d’une nette exagération de la charge de la preuve dans la requête, qui élève le seuil au-delà du doute raisonnable, ou quelque chose du genre. En l’espèce, il est seulement demandé à Apotex d’établir qu’au vu du dossier soumis à la Cour, la demande est dépourvue de toute chance de succès. Apotex a présenté des éléments de preuve qui établissent que son produit ne contrefait pas le brevet. Valeant n’a quant à elle produit aucun élément de preuve, de quelque nature, pour établir que sa demande a une chance de succès. Il ne s’agit pas d’une tentative d’inversion de la charge de la preuve. La demande ne serait pas dépourvue de toute chance de succès si elle contenait des renseignements permettant d’inférer raisonnablement que l’allégation de contrefaçon a un certain fondement.

[26]  Cinquièmement, Valeant fait valoir qu’elle a « droit » à une audience sur le bien-fondé de l’ensemble de son dossier. Elle a partiellement raison. Elle aurait le droit d’être entendue si, dans son ensemble, sa demande n’était pas dépourvue de toute chance de succès. Cependant, Valeant n’a avancé aucun argument qui justifierait que sa demande suive son cours et que, ce faisant, un « droit » à une audience lui soit reconnu. Pour que le plaideur puisse revendiquer ce droit, sa demande doit être fondée. Ce n’est pas le cas en l’espèce. La Cour doit garder le contrôle de ses procédures (voir, notamment, Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7) et devrait écarter rapidement toute cause dépourvue de chance de succès. Le « droit » à une audience est conditionnel.

[27]  Il serait insensé d’octroyer un droit absolu de faire entendre sa demande à un innovateur qui n’a pas établi l’existence d’une cause défendable. Cette pratique nuirait au bon ordre des instances introduites en vertu du Règlement ou de toute autre instance. Le Règlement codifie chacune des étapes à suivre pour empêcher qu’un avis de conformité soit délivré à l’égard d’un médicament générique. Cette codification repose sur la prémisse que la thèse avancée par l’innovateur est fondée. En contrepartie, le Règlement permet à l’innovateur d’obtenir une injonction de 24 mois pendant laquelle la commercialisation de médicaments génériques est interdite et, partant, le droit de vendre son produit à l’abri de la concurrence de ces médicaments. Il s’agit d’un droit précieux, qui ne peut être accordé si une demande n’a pas de fondement raisonnable. On ne peut pas octroyer une injonction de 24 mois à un innovateur qui a tout bonnement déclaré à la Cour et au fabricant de médicaments génériques qu’il avait le droit à une audience et qu’il plaiderait sa cause en temps et lieu.

[28]  Sixièmement, Valeant soutient que la requête d’Apotex lui permettrait de plaider sa cause à deux reprises, au détriment des demanderesses. Autrement dit, un fabricant de médicaments génériques pourrait, avec une relative impunité, soumettre une requête fondée sur le paragraphe 6(5) afin de se soustraire à l’action de la partie demanderesse. En cas d’échec, la défenderesse disposerait d’une seconde chance pour renforcer son argumentaire et combler les failles. D’après Valeant, les fabricants de médicaments génériques inonderaient la Cour de requêtes fondées sur le paragraphe 6(5) si elle contraignait les demanderesses à produire des éléments de preuve en réponse.

[29]  L’argument est le suivant : tous les fabricants de médicaments génériques y verraient une « aubaine » pour avoir accès à la preuve de l’innovateur et obtenir une seconde chance de mener des contre-interrogatoires. Il existe selon moi plusieurs réponses à cet argument. D’abord, la requête en l’espèce ne vise pas à obtenir un jugement sommaire et l’innovateur n’est pas tenu de « présenter ses meilleurs arguments » (voir, notamment, Moroccanoil Israel Ltd. c Lipton, 2013 CF 667). Sa seule obligation est de présenter un dossier attestant qu’il est raisonnablement fondé à soumettre sa demande; il ne peut pas simplement affirmer qu’il en a le droit  Il n’est pas question d’une longue liste de rapports d’expert ou d’un argumentaire étoffé. Dans les litiges en matière de propriété intellectuelle, les parties rivalisent d’ingéniosité pour présenter des éléments de preuve à la Cour d’une manière qui soustrait les témoins au contre-interrogatoire. Par exemple, l’affidavit d’un auxiliaire juridique peut comporter en pièce jointe une ébauche d’affidavit d’expert ou, mieux encore, l’avis de demande peut présenter des motifs clairs plutôt que des expressions passe-partout et des conclusions qui ne reposent pas sur des faits pertinents. La deuxième réponse est que la Cour ne risque pas de crouler sous les requêtes, bien au contraire. Si les innovateurs étaient autorisés à présenter des demandes remplies d’expressions passe-partout et non étayées par des faits pertinents, ils ne s’en priveraient pas et la Cour serait engorgée par les requêtes fondées sur le paragraphe 6(5).

[30]  Valeant soutient en dernier lieu qu’elle n’est aucunement tenue de répliquer aux arguments avancés par Apotex à l’appui de sa requête. Pour les motifs exposés ci-dessus, cet argument tombe aussi à plat.

[31]  Dans l’arrêt Toronto, précité, la Cour suprême du Canada a bien précisé que les cours doivent garder le contrôle de leurs procédures et écarter toute instance qui constitue un abus de procédure. À mon avis, c’est le cas en l’espèce.

[32]  Les avocats des parties, durant les plaidoiries, ont présenté une revue exhaustive de la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale portant sur le paragraphe 6(5). Voici quelques-uns des jugements cités : Bayer Inc. c Pharmaceutical Partners, 2015 CF 388 (protonotaire.); Novopharm Limited c Sanofi-Aventis Canada Inc., 2007 CAF 167; Astra Pharma Inc. c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] 9 CPR (4th) 69 (CF 1re inst.); Jannsen Inc. c Celltrion Healthcare Co., 2016 CF 525 (protonotaire), conf. par 2016 CF 651.

[33]  Cette jurisprudence a été examinée et prise en considération aux fins des présents motifs, mais il n’y a pas lieu ici de décortiquer chacun des jugements. En substance, il en ressort que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’accueillir une requête en radiation de demande si elle établit que la demande ne présente aucune cause défendable sur le fond (paragraphe 6(5)). Comme l’a énoncé le protonotaire Roger Lafrenière dans la décision Bayer :

[16]  L’objet du paragraphe 6(5) est de permettre à la Cour de statuer rapidement sur les demandes sans fondement présentées par des premières personnes n’ayant aucune [chance] d’avoir gain de cause à l’audience. Les parties conviennent que le rejet d’une demande en vertu de l’alinéa 6(5)b) est un redressement extraordinaire qui ne sera accordé que si la demande est « manifestement futile » ou qu’il est « évident et manifeste » qu’elle n’a aucune chance d’être accueillie : Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 163 [Sanofi-Aventis], aux paragraphes 28 et 36. C’est la partie qui présente la requête fondée sur l’alinéa 6(5)b) qui assume seule le fardeau de la preuve : Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 671, au paragraphe 33.

[17]  La seconde personne peut demander le rejet de la demande de la première personne en vertu de l’alinéa 6(5)b) au motif que la preuve par affidavit présentée par cette dernière ne suffit pas à prouver que les allégations de contrefaçon de la seconde personne sont injustifiées : Novopharm Limited c Sanofi-Aventis Canada Inc., 2007 CAF 167 [Novopharm], au paragraphe 13. Pour rendre une telle décision, le juge des requêtes doit pouvoir tirer les conclusions de fait nécessaires, en les considérant de la manière la plus favorable à la première personne, et appliquer le droit aux faits.

[18]  La requête en rejet ne sera accueillie que s’il est évident qu’il n’existe aucune cause défendable, eu égard au fond de la demande. La démarche de la Cour ne doit ressembler en rien à l’instruction de l’action liée aux affidavits contradictoires pour évaluer la solidité de la thèse de chaque partie.

[34]  Je suis d’accord avec cet exposé du droit. Les faits exposés dans la décision Bayer, même s’ils ne sont pas tous pertinents en l’espèce, sont riches d’enseignements. Dans l’affaire Bayer, les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve et se sont fondées entièrement sur ceux présentés par Bayer dans la demande principale, y compris deux affidavits d’experts. Aucun contre-interrogatoire n’a été mené. Bayer n’a pas présenté d’autre preuve. Le protonotaire Lafrenière a conclu que le litige ne tournait pas autour des faits. Les faits ne sont pas non plus en litige dans l’affaire qui nous occupe. Valeant n’a présenté aucun élément de preuve; elle s’en remet entièrement à l’avis de demande et à son « droit » à une audience. Elle n’a pas répondu à la preuve d’Apotex.

[35]  Comme Valeant n’a pas établi qu’elle avait une cause défendable, sa demande n’a aucune chance de succès et elle doit être radiée.

[36]  La Cour remercie les avocats de lui avoir présenté des arguments fort instructifs. Au terme de l’audience, l’avocat d’Apotex a demandé que la question des dépens soit mise en délibéré et que la Cour admette des observations supplémentaires à cet égard. Étant entendu qu’Apotex a obtenu gain de cause dans cette requête et si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur la question des dépens, elles pourront soumettre des observations écrites tenant sur cinq pages ainsi que leur projet de mémoire des frais, s’il y a lieu. Apotex devra soumettre ses observations au plus tard le 13 janvier 2016. Valeant devra y répondre avant le 31 janvier 2017.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. La présente demande est radiée.

  2. Les dépens liés à la requête et à la demande sont adjugés à Apotex. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens, elles pourront soumettre des observations écrites tenant sur cinq pages, ainsi que leur projet de mémoire des frais, s’il y a lieu. Apotex devra soumettre ses observations au plus tard le 13 janvier 2017. Valeant devra y répondre avant le 31 janvier 2017.

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire chargé de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-953-16

INTITULÉ :

VALEANT CANADA LP, VALEANT CANADA LP, VALEANT CANADA LP c APOTEX, VALEANT CANADA LP, VALEANT CANADA LP

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 novembre 2016

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE PROTONOTAIRE AALTO

DATE DES MOTIFS :

Le 8 décembre 2016

COMPARUTIONS :

Andrew Skodyn

Laurel Hogg

Pour les demanderesses

Andrew Brodkin

Jenene Roberts

Pour les défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

(APOTEX INC.)

 

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