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Date : 20161201


Dossier : IMM-2513-16

Référence : 2016 CF 1336

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 1er décembre 2016

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

RUPINDER KAUR MANGAT

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), visant à annuler la décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada dans le dossier no TB3-05489, daté du 1er juin 2016 (décision), qui a rejeté la requête de la demanderesse pour que son appel soit accueilli pour le motif que les faits de cette affaire démontrent que la doctrine de la chose jugée ou de la préclusion s’appliquait.

[2]               Du fait de son caractère prématuré, la présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

[3]               La demanderesse est une ressortissante indienne qui est entrée au Canada le 21 juillet 2004 à titre d’aide familiale résidente. Le 5 mars 2007, elle a présenté une demande de résidence permanente. À cette occasion, la demanderesse a mentionné qu’elle était célibataire et qu’elle n’avait jamais été mariée. Son nom de famille à ce moment était Deol.

[4]               En août 2007, pendant l’examen de la demande de résidence permanente, un agent a rédigé un rapport en application du paragraphe 44(1) de la LIPR dans lequel il prétend que la demanderesse a omis de divulguer son mariage à Rajinder Mangat (Rajinder) en mars 2003. Une audience a éventuellement eu lieu devant la Section de l’immigration (SI). À ce moment, la demanderesse a allégué qu’elle n’était pas mariée à Rajinder, mais qu’ils s’étaient fiancés en 2003. La SI a déterminé que le ministre ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse était mariée avant de venir au Canada. Alors que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile aurait pu interjeter appel de cette décision, cela n’a pas été fait et la demanderesse a obtenu le statut de résidente permanente le 24 mars 2010.

[5]               La demanderesse allègue avoir épousé Rajinder le 28 mai 2010. Le 24 août 2010, elle a présenté une demande de parrainage à l’égard de la demande de résidence permanente présentée par son époux. Le bureau des visas en Inde a mené une entrevue en juin 2011 et une enquête sur le terrain en février 2012 dans le village de Rajinder. Le parrainage a été refusé pour le motif que la date de mariage déclarée était fausse et que les parties se sont réellement mariées en 2003. Par conséquent, Rajinder a été déclaré inadmissible en tant que membre de la catégorie du regroupement familial et pour le motif de fausse déclaration. Sa demande pour l’obtention d’un visa de résidence permanente a été refusée. La demanderesse a interjeté appel de ce refus auprès de la SAI à titre de répondante. Avant que l’appel soit entendu, la demanderesse a déposé une requête devant la SAI affirmant que la question était irrecevable selon la doctrine de la chose jugée ou le principe de préclusion. À titre subsidiaire, la demanderesse a allégué que l’appel devait être accueilli en raison d’un abus de procédure ou d’une contestation accessoire. La SAI a rejeté la requête. La demande dont je suis saisie touche le contrôle judiciaire de ce refus. L’appel de la demanderesse sur le bien-fondé interjeté devant la SAI n’a pas encore été entendu puisque les parties attendent l’issue du contrôle judiciaire.

[6]               L’avocate du défendeur a soutenu dans ses observations écrites que cette demande devrait être rejetée pour le motif de la prématurité. Lors de l’audience, j’ai décidé d’entendre les parties sur la prématurité avant de statuer si les observations orales sur le bien-fondé de la demande étaient nécessaires. À la fin de l’audience, j’ai indiqué que la demande était prématurée et que les motifs suivraient. Voici les motifs.

[7]               La demanderesse a formulé trois arguments expliquant pourquoi la demande n’est pas prématurée : 1) la SAI est une cour d’archives selon la LIPR, donc le processus administratif s’est terminé lorsque la SAI a rendu sa décision au sujet de la requête; 2) puisque la demanderesse a fait valoir devant la SAI que l’affaire constituait une chose jugée, il s’agit d’une exception à la jurisprudence générale traitant de la prématurité puisqu’elle tentait d’éviter la remise en cause d’une affaire déjà tranchée lorsqu’elle a été jugée inadmissible par la SI; 3) dans une variante de l’argument de la remise en cause, voir cette affaire se rendre à l’étape de l’audience reviendrait à jeter le discrédit sur l’administration de la justice puisqu’il existe deux décisions contradictoires portant sur les mêmes faits – une favorable envers la demanderesse et une défavorable envers son conjoint.

[8]               Le défendeur soutient que les deuxième et troisième arguments formulés par la demanderesse touchent vraiment le bien-fondé de la chose jugée et ne constituent pas des exceptions légitimes au principe de la prématurité, qu’ils soient compris selon la common law ou, en vertu de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR.

[9]               À l’égard de la prématurité, le défendeur soutient que la question est simple. Cette demande est prématurée puisque le processus administratif n’est pas encore terminé. Le défendeur s’appuie sur Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 [CB Powell] pour dire qu’il y a un principe de présomption selon lequel on doit laisser un processus administratif suivre son cours et que seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier un contrôle judiciaire avant la fin de ce processus. Le défendeur soutient également qu’il a été déterminé dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Varela, 2003 CAF 42 [Varela] qu’une décision prise par un tribunal administratif de rejeter un argument comme étant une chose jugée ne constitue pas une circonstance exceptionnelle conformément à la décision CB Powell puisque la question de la chose jugée pourrait tout de même être soulevée devant le tribunal et créerait un motif pour justifier un contrôle judiciaire ou, elle pourrait être soulevée au tribunal et tout de même être soulevée lors du contrôle judiciaire de la décision finale.

[10]           La demanderesse soutient que la SAI est une cour d’archives en vertu de l’article 174 de la LIPR. Par conséquent, elle effectue un processus judiciaire, non un processus administratif, donc la décision CB Powell ne s’applique pas. En revanche, la demanderesse affirme que la présente affaire est une exception au principe de présomption puisqu’une décision différente de la SAI aurait été décisive pour l’appel.

[11]           À mon avis, selon la jurisprudence existante de la common law et en vertu de la LIPR, la présente demande est prématurée. Malgré les efforts déployés par la demanderesse pour distinguer l’espèce de CB Powell et Valera, je ne suis pas d’avis qu’une dérogation du principe général doive être accordée. Dans CB Powell, la décision contestée a été prise par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, qui a déterminé qu’il ne possédait pas l’autorité pour se prononcer sur la question qui lui a été posée. La législation prévoyait que cette décision pourrait être portée en appel auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur [TCCE], lequel était également une cour d’archives en vertu de l’article 17 de sa législation habilitante. Néanmoins, CB Powell, le parti lésé, a demandé le contrôle judiciaire de la décision du président. La Cour d’appel a exigé que tous les recours devant le TCCE soient épuisés avant qu’un contrôle judiciaire soit possible. Dans Valera, la Cour d’appel, dans une très brève décision, a clairement mentionné que puisque la question en litige était une décision interlocutoire sur une question de preuve, la demande de contrôle judiciaire était prématurée.

[12]           En ce qui concerne l’alinéa 72(2)a) de la LIPR, la Cour d’appel dans Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288 [Somodi] a traité une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent des visas a refusé une demande de parrainage d’un conjoint pour qu’il obtienne le statut de résident permanent en raison de son appartenance à la catégorie du regroupement familial. Au même moment où la demande de contrôle judiciaire a été présentée, la répondante a interjeté appel de la décision de l’agent des visas. M. le juge Mandamin a déterminé que la demande de contrôle judiciaire était exclue des procédures en vertu de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR. Une question a été certifiée par la Cour d’appel puisque la question de savoir si l’alinéa 72(2)a) s’appliquait pour interdire la demande d’un conjoint pendant que le répondant exerçait un droit n’avait pas encore été répondue.

[13]           La Cour d’appel a établi une distinction avec la jurisprudence existante en tenant compte du fait que la partie cherchant à obtenir un contrôle judiciaire dans ces cas n’avait aucun autre moyen de réparation que le contrôle judiciaire. La Cour a conclu que dans la LIPR, le législateur a institué un processus complet et autonome ayant des règles précises pour traiter l’admission de ressortissants étrangers au titre de membres de la catégorie du regroupement familial. La Cour a également conclu que le droit d’appel accordé au répondant, jumelé à l’interdiction prévue par la loi d’effectuer un contrôle judiciaire jusqu’à ce que tout droit d’appel soit épuisé, ont contribué à rendre la jurisprudence existante désuète. La Cour a conclu que l’interdiction générale à l’alinéa 72(2)a) de la LIPR limitant le recours au contrôle judiciaire à se dérouler après que « tout » droit d’appel ait été épuisé l’emporte sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 accordant le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire et a une portée plus large que l’interdiction limitée prévue par la loi que l’on retrouve à l’article 18.5 de cette même loi.

[14]           La Cour a déterminé qu’il fallait répondre à la question certifiée afin de clarifier la loi puisqu’elle ne se limite pas aux faits dans Somodi. La Cour a répondu par l’affirmative à la question certifiée. La question posée dans Somodi était la suivante :

L’article 72 de la LIPR interdit‑il toute demande de contrôle judiciaire présentée par la personne ayant déposé une demande pour conjoint pendant que le répondant exerce un droit d’appel en vertu de l’article 63 de la LIPR?

[15]           À mon avis, CB Powell et Valera traitent cette demande de façon satisfaisante à la common law, ce qui me permet de conclure qu’elle est prématurée. La demanderesse souhaitait poser une question certifiée en vertu de l’alinéa 72(2)a). Je suis convaincue que Somodi répond de façon satisfaisante à la question qu’elle souhaite poser. La demande est également prématurée en vertu de l’article 72 de la LIPR.

[16]           Il n’est pas nécessaire d’aborder le bien-fondé de la décision interlocutoire rendue par la SAI. La demanderesse peut tout de même soulever ces questions lors de tout contrôle judiciaire subséquent si la décision finale de la SAI fait l’objet d’un contrôle.

[17]           Pour ces motifs, la demande est rejetée sans préjudice au droit de la demanderesse de présenter les mêmes arguments lors de tout contrôle judiciaire éventuel une fois que la SAI a rendu une décision finale.

LA COUR rejette la demande sans préjudice et permet que les mêmes arguments soient présentés lors d’un contrôle judiciaire de la décision finale de la SAI.

« E. Susan Elliott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-2513-16

 

INTITULÉ :

RUPINDER KAUR MANGAT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Jaswant Singh Mangat

 

Pour la demanderesse

 

Kristina Dragaitis

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Professional Law Corporation

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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