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Date : 20161130


Dossiers : IMM-1723-16

IMM-1724-16

Référence : 2016 CF 1327

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Shore

Dossier : IMM-1723-16

ENTRE :

KHERAD, FATEMEH JAVDAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-1724-16

ET ENTRE :

SHAKERI, HASSAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d’une décision rendue par un agent de la section des visas (agent) de l’ambassade du Canada à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis (EAU) datée du 21 mars 2016, où l’agent, en vertu de l’alinéa 179b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), a rejeté la demande de visa temporaire des demandeurs pour le motif qu’il n’était pas convaincu qu’ils quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

II.                Les faits

[2]               Les demandeurs, un mari (IMM-1724-16, âgé de 54 ans) et son épouse (IMM-1723-16, âgée de 50 ans), sont des citoyens de l’Iran et résidents de Dubaï (Émirats arabes unis). Ils ont quatre enfants âgés de 19, 15, 12 et 9 ans qui sont des citoyens iraniens et qui fréquentent l’école à Dubaï.

[3]               Le 14 août 2009, la première demande de résidence permanente du demandeur dans la catégorie investisseur a été rejetée puisqu’il n’a pas fourni les documents exigés.

[4]               Le 7 mai 2014, la deuxième demande de résidence permanente du demandeur dans le cadre du Programme d’immigration des investisseurs a été annulée lorsque le programme a pris fin après la mise en place du plan d’action économique de 2014 du gouvernement fédéral.

[5]               Le 16 mars 2015, le demandeur a présenté une demande dans le cadre du Programme des investisseurs du Québec.

[6]               Le 15 février 2016, le demandeur a été convoqué à une entrevue prévue se dérouler à Montréal le 13 avril 2016.

[7]               Le ou vers le 6 mars 2016, les demandeurs ont présenté une demande à l’ambassade du Canada à Abu Dhabi pour un visa de résidence temporaire, afin de se présenter à une entrevue à Montréal.

III.             Décision

[8]               Le 21 mars 2016, l’agent a rejeté la demande de visa de résidence temporaire des demandeurs au motif qu’il n’était pas convaincu qu’ils quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, compte tenu de leurs antécédents de voyage et du but de leur visite. Au sujet du demandeur, le Système mondial de gestion des cas (SMGC) précise également les motifs suivants de l’agent :

[traduction] Refusée. Le demandeur principal a déjà été rejeté en 2010 dans la catégorie NV. Il n’est pas un résident des Émirats arabes unis, mais il est ici grâce à un visa de touriste pour présenter une demande de résidence temporaire pour visiter le  Québec. Aucune attache aux Émirats arabes unis. Je ne suis pas convaincu qu’il est un visiteur BF.

IV.             Questions en litige

[9]               La présente affaire soulève les questions suivantes; lesquelles seront toutes traitées ci-dessous :

1.      La demande de contrôle judiciaire est-elle sans objet?

2.      Est-ce que la décision de l’agent a enfreint l’accord intervenu entre le Canada et le Québec?

3.      Est-ce que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve fournis par les demandeurs?

[10]           La norme de contrôle applicable pour la décision d’un agent des visas en l’espèce est la norme de la décision raisonnable. Étant donné l’expertise des agents des visas et la nature discrétionnaire des décisions, la Cour devrait faire preuve de retenue lors de l’examen de telles décisions.

V.                Dispositions pertinentes

[11]           Les articles 11(1) et 22 de la LIPR, et l’article 179 du RIPR s’appliquent dans l’affaire dont est saisie la Cour :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Résident temporaire

Temporary resident

22 (1) Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b), n’est pas interdit de territoire et ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1).

22 (1) A foreign national becomes a temporary resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(b), is not inadmissible and is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1).

Double intention

Dual intent

(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

Visa de résident temporaire

Temporary Resident Visa

Délivrance

Issuance

179 L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

179 An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

(c) holds a passport or other document that they may use to enter the country that issued it or another country;

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

(d) meets the requirements applicable to that class;

e) il n’est pas interdit de territoire;

(e) is not inadmissible;

f) s’il est tenu de se soumettre à une visite médicale en application du paragraphe 16(2) de la Loi, il satisfait aux exigences prévues aux paragraphes 30(2) et (3);

(f) meets the requirements of subsections 30(2) and (3), if they must submit to a medical examination under paragraph 16(2)(b) of the Act; and

g) il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi.

(g) is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) of the Act.

VI.             Observations des parties

A.                Observations des demandeurs

[12]           Les demandeurs prétendent que la décision rendue par l’agent ne répond pas à la norme de la décision raisonnable. Ils soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve fournis avant de refuser le visa et, par conséquent, sa décision manquait de motifs adéquats. Il a conclu qu’ils n’avaient aucune attache aux Émirats arabes unis, bien que le demandeur principal travaille pour la même entreprise à Dubaï depuis 20 ans; et il avait fourni des éléments de preuve détaillés de son employeur. Il a également fait fi du fait que leurs quatre enfants resteraient à Dubaï. Il a également omis de tenir compte de but de la demande de visa, notamment de se rendre à une entrevue prévue à Montréal dans le cadre du Programme des investisseurs du Québec.

[13]           Les demandeurs prétendent également que la décision de l’agent enfreint l’accord intervenu entre le Canada et le Québec. L’agent a refusé de délivrer un visa de résidence temporaire, en dépit de la satisfaction par les demandeurs des exigences de sélection du Québec, bien qu’il n’y avait aucune preuve de son inadmissibilité.

B.                 Observations du défendeur

[14]           Premièrement, le défendeur soutient que la demande est sans objet, en tenant compte que le but du visa de résidence temporaire était de se rendre à une entrevue le 13 avril 2016, et, qu’au moment de la présentation des dossiers à la Cour fédérale, il n’y avait aucune preuve que l’entrevue avait été reportée.

[15]           Deuxièmement, le défendeur affirme qu’il n’y a eu aucun manquement à l’accord intervenu entre le Canada et le Québec. Le gouvernement fédéral possède la compétence pour admettre ou refuser les immigrants après qu’ils ont satisfait les critères de sélection du Québec.

[16]           Troisièmement, le défendeur soutient que les conclusions et la décision de l’agent étaient raisonnables. La conclusion de l’agent que les demandeurs pourraient décider de rester au Canada après l’expiration de leur visa était justifiée par le seul déplacement des demandeurs à l’extérieur des Émirats arabes unis et de l’Iran, leur manque d’attaches aux Émirats arabes unis et leurs tentatives précédentes d’obtenir le statut de résident permanent au Canada.

VII.          Analyse

A.                La demande de contrôle judiciaire est-elle sans objet?

[17]           Selon Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, la Cour doit déterminer si l’affaire soulève une question actuelle, et si cela n’est pas le cas, si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l’affaire.

[18]           La Cour est convaincue qu’il y a encore une controverse actuelle et que la demande n’est par conséquent pas sans objet. L’intention des demandeurs de chercher à obtenir un visa de résidence temporaire pour organiser une autre entrevue et pour visiter le Canada n’a pas été annulée. Comme l’ont souligné les demandeurs, la décision de l’agent pourrait avoir une incidence négative sur leurs autres demandes de visa.

B.                 Est-ce que la décision de l’agent a enfreint l’accord intervenu entre le Canada et le Québec?

[19]           L’accord intervenu entre le Canada et le Québec reflète la compétence provinciale pour choisir les immigrants que le gouvernement fédéral accueillerait sur son territoire. L’agent fédéral des visas n’est pas tenu par le Programme des investisseurs du Québec d’autoriser les visiteurs ayant reçu une convocation à une entrevue à entrer au Canada (Biao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 43; Shi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1224).

[20]           L’immigration est une compétence partagée entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Il est du ressort du Québec de sélectionner les immigrants sur son territoire; et par conséquent, d’atteindre ses objectifs en matière d’immigration; toutefois, le gouvernement fédéral détient la compétence exclusive de trancher à l’égard de l’admissibilité conformément à la législation canadienne. Il est très important que chaque ordre de gouvernement joue son rôle constitutionnel.

C.                 Est-ce que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve fournis par les demandeurs?

[21]           La Cour conclut que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve en contradiction avec sa conclusion. Comme il est consigné dans le SMGC, les conclusions de l’agent ne répondent pas à la norme de la décision raisonnable.

[22]           L’agent n’est pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin d’un séjour autorisé en raison de leur manque d’attaches aux Émirats arabes unis, mais il ne tient pas compte du fait qu’ils laisseraient derrière eux quatre enfants d’âge scolaire et ne précise pas non plus l’implication du demandeur au sein de l’entreprise où il travaille depuis 20 ans.

[23]           À la lumière des motifs fournis par l’agent, la Cour ne peut pas conclure que la décision rendue est raisonnable.

VIII.       Conclusion

[24]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée devant un autre agent pour un nouvel examen.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée devant un autre agent pour être examinée de nouveau. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1723-16

 

INTITULÉ :

KHERAD, FATEMEH JAVDAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-1724-16

 

INTITULÉ :

SHAKERI, HASSAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Isabelle Sauriol-Nadeau

 

Pour les demandeurs

 

Alain Langlois

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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