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Date : 20161117


Dossiers : T-1741-08

T-1946-09

Référence : 2016 CF 1279

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

EXCALIBRE OIL TOOLS LTD, EXCALIBRE DOWNHOLE TOOLS LTD, KUDU INDUSTRIES INC, CARDER INVESTMENTS LP, CARDER MANAGEMENT LTD ET LOGAN COMPLETION SYSTEMS INC

demanderesses

et

ADVANTAGE PRODUCTS INC, LYNNE P. TESSIER, JAMES L. WEBER ET JOHN P. DOYLE

défendeurs

Dossier : T-1946-09

ET ENTRE :

ADVANTAGE PRODUCTS INC, LYNNE P. TESSIER, JAMES L. WEBER ET JOHN P. DOYLE

demandeurs

et

EXCALIBRE OIL TOOLS LTD, EXCALIBRE DOWNHOLE TOOLS LTD, KUDU INDUSTRIES INC, CARDER INVESTMENTS LP, CARDER MANAGEMENT LTD ET LOGAN COMPLETION SYSTEMS INC

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I.       Les actes de procédure. 4

II.      Sommaire des issues de chacune des actions. 9

A.       Propriété des brevets. 9

B.       Le brevet 467. 9

C.       Le brevet 734. 9

D.       Le brevet 026. 9

E.       Alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. 10

F.       Mesures de réparation. 10

III.           Les parties. 10

A.       Faits et procédures. 10

B.       La technologie. 16

(1)         La production de pétrole. 16

(2)         Les ancres de couple. 17

IV.          Les brevets d’API 19

A.       Brevet canadien no 2 264 467 (le brevet 467 ou brevet relatif à la mâchoire). 19

B.       Brevet canadien no 2 373 734 (le brevet 734 ou brevet relatif au ressort). 22

C.       Brevet canadien no 2 386 026 (le brevet 026 ou le brevet relatif à la butée). 23

V.     Les éléments de preuve des témoins d’API relativement aux faits. 25

A.       Lynn Tessier. 25

B.       John Doyle. 28

C.       Kerry Van Metre. 29

D.       Kelly McGowan. 30

E.       Jack Bootsman. 30

VI.          Éléments de preuve des témoins d’Excalibre relativement aux faits. 31

A.       Michael Burton. 31

B.       Colin Aldridge. 33

C.       Kevin Kelm.. 34

D.       Edward Moore. 35

E.       Dan Echino. 38

F.       James Esposito. 38

G.      Leanne Wichmann Cohen. 39

H.       Lisa Redhead. 41

VII.         Témoin expert d’API : M. Robert Sorem.. 42

VIII.        Témoins experts d’Excalibre. 43

A.       M. Gary R. Wooley. 43

B.       M. Skoczylas. 47

IX.           Interprétation des revendications. 49

A.       Dates pertinentes. 49

B.       Personne moyennement versée dans l’art. 51

C.       Connaissances générales courantes. 52

(1)         Dates pertinentes aux fins de l’évaluation des connaissances générales courantes requises pour les questions d’antériorité et d’évidence – dates des revendications (documents de priorité). 52

(2)         Connaissances générales courantes. 53

(3)         Art antérieur. 56

D.       Termes des revendications nécessitant une interprétation. 58

(1)         Tubulaire. 58

(2)         Logement [boîtier ou carter]. 59

(3)         Paroi d’engagement du cuvelage. 64

(4)         « Première butée » et « seconde butée ». 66

X.      Propriété des brevets d’API 69

XI.           Essais des ancres de couple TorqStopperMC. 70

A.       Essais menés par les parties Excalibre dans les laboratoires de C-FER les 30 et 31 juillet 2014. 70

B.       Essais menés dans les installations d’API le 12 janvier 2015. 74

C.       Essais de démonstration menés par C-FER le 13 janvier 2015. 76

XII.         Principes du droit se rapportant à l’utilité, à l’antériorité, à l’évidence et à la contrefaçon. 78

A.       Utilité. 78

B.       Antériorité. 79

C.       Évidence. 80

D.       Contrefaçon. 82

XIII.        Le brevet 467. 84

A.       Utilité. 84

B.       Contrefaçon. 88

XIV.        Le brevet 734. 93

A.       Antériorité – Le brevet 843 de Burton. 93

B.       Antériorité – Usage antérieur. 94

C.       Évidence. 95

XV.         Le brevet 026. 100

A.       Utilité. 100

B.       Antériorité. 104

C.       Évidence. 104

D.       Contrefaçon. 106

XVI.        Alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. 110

XVII.      Mesures de réparation. 116

XVIII.     Dépens. 117

I.                   Les actes de procédure

[1]               La Cour est saisie de deux actions portant sur la validité ou la contrefaçon de plusieurs revendications des trois brevets canadiens suivants, délivrés à Lynn Tessier (M. Tessier), James Weber (M. Weber) et à John Doyle (M. Doyle) : brevet no 2 264 467 (le brevet 467); brevet no 2 373 734 (le brevet 734); brevet no 2 386 026 (le brevet 026) (collectivement, les « brevets d’API »).

[2]               Les demanderesses dans l’action en invalidation de brevet (T-1741-08), qui sont les défenderesses dans l’action en contrefaçon (T-1946-09), sont les sociétés Excalibre Oil Tools Ltd. (« Excalibre Oil »); Excalibre Downhole Tools Ltd. (« Excalibre Downhole »); Kudu Industries Inc. (« Kudu »); Carder Investments LP et Carder Management Ltd. (collectivement, « Carder »); Logan Completion Systems Inc. (« Logan ») (collectivement, les « parties Excalibre »).

[3]               Les défendeurs dans l’action en invalidation de brevet et les demandeurs dans l’action en contrefaçon de brevet sont les sociétés Advantage Products Inc. (« API ») et MSI Machineering Solutions Inc. (« MSI Offshore ») et M. Weber, M Tessier et M. Doyle (collectivement, les « parties API »). L’ancienne société MSI Machineering Solutions Inc. (« MSI Alberta ») a également été défenderesse dans l’action en invalidation de brevet et codemanderesse dans l’action en contrefaçon de brevet.

[4]               Dans la première action, les parties Excalibre ont affirmé que chacun des brevets d’API était invalide, pour cause d’inutilité dans le cas du brevet 467; d’antériorité ou d’évidence dans le cas du brevet 734, et d’antériorité et d’évidence dans le cas du brevet 026, dont la revendication 1 n’énonce aucun moyen d’actionner la mâchoire et est, par conséquent, d’une portée plus large que l’invention réalisée et inexploitable. Il existe également une revendication fondée sur l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), ch. T-13, dans laquelle les parties Excalibre allèguent que leurs relations d’affaires ont pâti des déclarations fausses ou trompeuses des parties API.

[5]               Dans une seconde action, les parties API opposées aux parties Excalibre ont fait valoir que diverses versions d’une ancre de couple vendues par les parties Excalibre (« ancre de couple CTA ») contrefaisaient les brevets d’API.

[6]               Les brevets d’API sont tous liés à un dispositif d’ancrage de couple dont la fonction est d’empêcher la rotation du stator d’une pompe rotative (outil de forage), qui fait partie d’un système de pompe à rotor hélicoïdal excentré (« pompe RHE ») conçu pour extraire le pétrole des gisements souterrains (ancres de couple « TorqStopperMC »).

[7]               Les questions en litige soulevées dans les deux actions sont les suivantes :

  1. Propriété des brevets 467 et 026

a.       Quelles sont les conséquences juridiques de la cession relative aux brevets 467 et 026?

  1. Contrefaçon de brevet et validité du brevet

a.       Le brevet 467 :

b.      Quelle est l’interprétation appropriée des revendications 1 à 17 du brevet 467?

c.       L’outil révélé dans les revendications 1 à 17 du brevet 467 est-il inutilisable et dénué d’utilité du fait qu’aucune de ces revendications n’énonce de caractéristique essentielle et nécessaire au fonctionnement de l’outil, à savoir :

                                i.            qu’aucune des revendications 1 à 17 n’énonce un ressort qui sollicite radialement la mâchoire;

                              ii.            que les revendications 1 à 17 sont inexploitables et dépourvues d’utilité puisqu’aucune d’entre elles n’énonce une butée destinée à restreindre le pivotement ou le mouvement de la mâchoire?

d.      L’une des versions de l’ancre de couple CTA (les versions 1 à 6, ainsi que la version désaxée) contrefait-elle les revendications 1 à 9 et 12 à 17 du brevet 467?

e.       En cas de contrefaçon, à laquelle des parties Excalibre faut-il attribuer la responsabilité de la contrefaçon des revendications invoquées du brevet 467?

b.      Le brevet 734 :

f.       Les revendications 1 à 19 sont-elles antériorisées par le brevet américain 4 739 834 (le brevet 843 de Burton)?

g.      Les revendications 1 à 19 sont-elles évidentes compte tenu du brevet américain 4 699 224 (le brevet 224 de Burton); du brevet 843 de Burton; du brevet américain 6 037 693 (le brevet 693 d’Aldridge) et du brevet 467, ainsi que de l’usage public antérieur d’outils renfermant l’invention revendiquée dans le brevet 467?

c.       Le brevet 026 :

h.      La revendication 1 est-elle d’une portée plus large que l’invention réalisée et est-elle inexploitable et dépourvue d’utilité étant donné que la revendication 1 n’énonce aucune caractéristique essentielle et nécessaire au fonctionnement de l’outil, à savoir la sollicitation de la mâchoire vers l’extérieur au moyen d’un ressort?

i.        Les revendications 1 à 7 sont-elles antériorisées par le brevet 843 de Burton?

j.        Les revendications 1 à 7 sont-elles évidentes compte tenu du brevet 224 de Burton; du brevet 834 de Burton, du brevet 693 d’Aldridge et du brevet 467, ainsi que de l’usage public antérieur d’outils renfermant l’invention revendiquée dans le brevet 467?

k.      L’une des versions de l’ancre de couple CTA (les versions 1 à 6, ainsi que la version désaxée) contrefait-elle les revendications 1 ou 2 du brevet 026?

l.        En cas de contrefaçon, quelles versions et quels modèles de l’ancre de couple CTA contrefont les revendications 1 ou 2?

m.    En cas de contrefaçon, à laquelle des parties Excalibre faut-il attribuer la responsabilité de la contrefaçon des revendications 1 ou 2 du brevet 026?

d.      Déclarations fausses et trompeuses

n.      API ou MSI Offshore ont-elles fait, par l’intermédiaire de leur avocat, des déclarations fausses ou trompeuses dans les lettres citées en référence aux paragraphes 25 à 27 de la déclaration modifiée complémentaire figurant au dossier de la Cour no T-1741-08, lesquelles tendaient à discréditer l’entreprise, les produits ou les services des parties Excalibre en violation de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce?

e.       Mesures de réparation

o.      Les parties API ont-elles droit à une injonction, à un jugement déclaratoire, à une ordonnance de restitution de tous les produits contrefaits, ou à une restitution des bénéfices par les parties Excalibre?

p.      Les parties Excalibre ont-elles droit à une injonction permanente interdisant à chacune des parties API de faire des observations à un tiers, y compris à des clients actuels ou potentiels des parties Excalibre, selon lesquelles une quelconque version de l’ancre de couple CTA contrefait les revendications des brevets d’API?

q.      Les parties Excalibre ont-elles droit à un jugement déclaratoire à l’encontre les parties API?

II.                Sommaire des issues de chacune des actions

A.                Propriété des brevets

[8]               Les brevets d’API ont été validement cédés à M. Weber, M. Tessier et M. Doyle.

B.                 Le brevet 467

[9]               Les revendications du brevet 467 sont valides; toutefois, en dépit des allégations, aucune des revendications 1 à 9 ou 12 à 17 n’est contrefaite par l’une quelconque des versions de l’ancre de couple CTA.

C.                 Le brevet 734

[10]           Le brevet 734 est invalide pour cause d’évidence des revendications 1 à 19.

D.                Le brevet 026

[11]           La revendication 1 du brevet 026 est invalide pour cause d’absence d’utilité, car la revendication 1 est de portée excessive par rapport à l’invention réalisée ou divulguée et elle est dépourvue d’utilité. Les revendications 2 à 7 sont valides; toutefois, ni la revendication 1 ni la revendication 2 n’est contrefaite par l’une quelconque des versions de l’ancre de couple CTA.

E.                 Alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce

[12]           Les déclarations fausses ou trompeuses d’API tendant à discréditer l’entreprise, les produits ou les services des parties Excalibre ont nui aux affaires de celles-ci, en violation de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.

F.                  Mesures de réparation

[13]           Les conclusions de validité et de contrefaçon privent les parties API de leur droit aux réparations demandées. Les parties Excalibre ont le droit d’obtenir d’API des dommages-intérêts pour les torts causés par ses déclarations fausses et trompeuses en violation de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, dont le montant sera établi dans un renvoi postérieur au procès.

III.             Les parties

A.                Faits et procédures

[14]           La société Excalibre Oil, constituée en Alberta, distribuait et vendait auparavant l’ancre de couple CTA (« Centralized Torque Anchor » [ancre de couple centralisée]). Les ancres de couple CTA étaient fabriquées par la société Tebo Industries Ltd. (« Tebo »). Tant Excalibre Oil que Tebo ont été radiées du registre des sociétés de l’Alberta le 7 août 2009 et le 2 mai 2012, respectivement. Les activités des deux sociétés ont été reprises par Excalibre Downhole, toujours en exercice à ce jour.

[15]           Excalibre Downhole est une société constituée en Alberta dont le bureau se situe au 5007, 23e avenue, S.-E., à Calgary (Alberta). De 2009 à 2012, Excalibre Downhole a vendu des ancres de couple CTA fabriquées par Tebo. Aujourd’hui, Excalibre Downhole fabrique et vend des ancres de couple CTA, entre autres.

[16]           La société Kudu, constituée en Alberta, fabrique et fournit de l’équipement d’ascension artificielle, y compris des pompes à vis excentrée. En juillet 2007, Kudu a commencé à acheter des ancres de couple CTA auprès d’Excalibre Oil, et ultérieurement d’Excalibre Downhole, en vue de les vendre dans le secteur de la maintenance et de l’exploitation de puits de pétrole.

[17]           Carder Investments LP, anciennement appelée Tanroc Equipment LP, est une société à responsabilité limitée enregistrée en Alberta. Carder Management Ltd., anciennement appelée Tanroc Management Ltd., est une société constituée en Alberta qui, à toutes les dates pertinentes, agissait à titre de commandité de Carder Investments LP. Carder vend des produits de forage dans le secteur de la maintenance et de l’exploitation de puits de pétrole, surtout dans l’Ouest canadien. En juillet 2007, Carder a commencé à acheter des ancres de couple CTA auprès d’Excalibre Oil, et ultérieurement d’Excalibre Downhole, en vue de les vendre dans le secteur de la maintenance et de l’exploitation de puits de pétrole.

[18]           Logan, anciennement appelée Source Energy Tool Services Inc., est une société constituée en Alberta qui vend des produits de forage dans le secteur de l’entretien et de l’exploitation de puits de pétrole, surtout dans l’Ouest canadien. En février 2011, Source Energy Tool Services Inc. a fusionné avec Complete Oil Tools Inc. et adopté la dénomination Logan. En juillet 2007, Logan a commencé à acheter des ancres de couple CTA auprès d’Excalibre Oil, et ultérieurement d’Excalibre Downhole, en vue de les vendre dans le secteur de la maintenance et de l’exploitation de puits de pétrole.

[19]           API est une société constituée en Alberta qui était en exploitation à toutes les dates pertinentes. API conçoit et fabrique des outils d’extraction de pétrole, y compris des dispositifs conçus pour les pompes RHE. API vend des ancres de couple sous la marque de commerce TorqStopperMC, des produits concurrents des ancres de couple CTA. API est, comme à toutes les dates pertinentes, la titulaire canadienne des brevets d’API. Du 31 décembre 2002 au 16 janvier 2014, API détenait une sous-licence à l’égard des brevets d’API qui lui avait été octroyée par MSI Alberta, titulaire de la licence MSI Offshore. Depuis le 16 janvier 2014, API détient une licence de fabrication, d’emploi et de vente des produits faisant l’objet des brevets d’API, conformément à une licence que lui ont octroyée MM. Weber, Tessier et Doyle, les titulaires actuels.

[20]           M. Weber est un titulaire inscrit des brevets d’API et, comme à toutes les dates pertinentes, il occupe des fonctions d’administrateur et de dirigeant d’API.

[21]           M. Tessier est un titulaire inscrit des brevets d’API et, comme à toutes les dates pertinentes, il occupe des fonctions d’administrateur et d’actionnaire d’API.

[22]           M. Doyle est titulaire inscrit des brevets d’API. Il a déjà été un employé et un membre de la direction d’API.

[23]           MSI Alberta était une société constituée en Alberta. Elle a été radiée du registre des sociétés de l’Alberta le 7 juin 2013. La société MSI Offshore a été constituée sous le régime des lois des îles Turks et Caicos, un territoire britannique d’outre-mer dans les Caraïbes, dont le siège social, sous la bannière de Hallmark Trust Company, Tropicana Plaza, Leeward Hwy, P.O. Box 656, Providenciales, Îles Turks et Caicos, Antilles britanniques. Avant le 16 janvier 2014, date à laquelle elle a cédé les brevets d’API à MM. Weber, Tessier et Doyle, MSI Offshore était inscrite comme titulaire des brevets auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada.

[24]           Les parties Excalibre fabriquent et vendent des ancres de couple CTA. En juillet 2007, Tebo a mis au point les versions provisoires 1A et 1B de l’ancre de couple CTA. Excalibre Oil a vendu ces versions provisoires de l’ancre de couple CTA de juillet 2007 à avril 2008 environ. En avril 2008, ou aux alentours de cette date, Excalibre Downhole a mis au point les versions 2A, 2B, 3, 4, 5 et 6 de l’ancre de couple CTA. À la demande expresse client de Kudu et de l’un de ses clients en particulier, Excalibre Downhole a également créé une version unique d’ancre de couple CTA « désaxée » (l’« ancre de couple CTA désaxée »).

[25]           Voici les caractéristiques des différentes versions de l’ancre de couple CTA :

• Version provisoire 1A de l’ancre de couple CTA – ancre de couple à logement tubulaire, dotée d’un coin de retenue mobile et de deux coins de retenue rigides situés à égale distance autour du logement; les parties « fraisées » sur les deux surfaces du coin de retenue mobile et un coussinet empêchent sa rotation excessive.

• Version provisoire 1B de l’ancre de couple CTA – ancre de couple similaire à la version provisoire 1A, mais qui est dotée d’une paire de coins de retenue mobiles superposés sur l’axe longitudinal de l’ancre.

• Version 2A de l’ancre de couple CTA – ancre de couple à logement tubulaire, dotée d’un coin de retenue mobile et de deux coins de retenue rigides situés à égale distance autour du logement; une seule partie d’une surface du coin de retenue mobile est « fraisée ». La surface non fraisée du coin de retenue mobile empêche sa rotation excessive.

• Version 2B de l’ancre de couple CTA – ancre de couple similaire à la version provisoire 2A, mais qui est dotée d’une paire de coins de retenue mobiles superposés sur l’axe longitudinal de l’ancre.

• Ancre de couple CTA désaxée – version modifiée de l’ancre de couple 2A, dont les coins de retenue rigides plus courts que le coin de retenue mobile ont pour effet de décentraliser l’ancre par rapport au cuvelage.

• Version 3 de l’ancre de couple CTA – ancre de couple à logement tubulaire, dotée d’un coin de retenue mobile et de deux coins de retenue rigides situés à égale distance autour du logement; le coin de retenue mobile est monté sur un bloc de support qui empêche sa rotation excessive.

• Version 4 de l’ancre de couple CTA – ancre de couple similaire à la version 3, à la différence que les coins de retenue rigides sont percés de multiples trous qui permettent de les attacher à différentes profondeurs dans le logement de l’outil.

• Version 5 de l’ancre de couple CTA – ancre de couple similaire à la version 4, à la différence que les cavités ménagées pour les coins de retenue comportent des sillons permettant d’accueillir des filets plus profonds et de renforcer les raccords.

• Version 6 de l’ancre de couple CTA – ancre de couple similaire à la version 5, à la différence que la mâchoire mobile comporte trois dents au lieu de deux.

[26]           API a fabriqué et vendu différents modèles de l’ancre de couple TorqStopperMC : la série « T », depuis avril 1999 ou aux alentours de cette date, est une réalisation du brevet 467; le modèle TS, depuis mars 2000 ou aux alentours de cette date; le modèle TN, depuis juin 2001 ou aux alentours de cette date, qui est doté d’un ressort de torsion interne, est une réalisation du brevet 734; le modèle TX, depuis mars 2002 ou aux alentours de cette date, qui est doté d’une butée, est une réalisation du brevet 026.

[27]           En septembre 2006 ou aux alentours de cette date, Tebo (maintenant Excalibre Downhole) a créé un prototype unique d’ancre de couple (le prototype). Le 14 septembre 2006, un distributeur tiers, Terra Alta, a présenté le prototype lors du 13e Heavy Oil Symposium, tenu à Lloydminster, en Alberta. Bien qu’il n’ait jamais été mis en vente, le prototype a été porté à l’attention des parties API.

[28]           De juillet 2007 à avril 2008 environ, Excalibre Oil et Excalibre Downhole ont vendu quelque 320 ancres de couple CTA de la version provisoire à Kudu, à Tanroc (maintenant Carder) et à Source (maintenant Logan). Ces versions provisoires de l’ancre de couple CTA ont été revendues à diverses sociétés de l’Ouest canadien spécialisées dans la complétion de puits de pétrole, dont Husky Energy Inc. (Husky) et Bronco Energy Inc. (Bronco).

[29]           Entre janvier et mai 2008, des clients et anciens clients de Kudu, Tanroc (maintenant Carder) et Source (maintenant Logan), dont Husky et Bronco, ont reçu des lettres de M. Sean Goodwin (les « lettres de M. Goodwin »), un avocat albertain représentant API et MSI Offshore. Dans les lettres, M. Goodwin a expressément déclaré : [traduction] « API est titulaire de trois brevets canadiens portant sur des outils antirotation à mâchoire unique »; [traduction« API occupe le premier rang mondial pour les brevets d’outils antirotation dont la mâchoire unique pivote pour engager le cuvelage et immobiliser l’outil contre le cuvelage, empêchant ainsi la rotation de l’outil et des pièces d’équipement auquel il est raccordé »; et API est le [traduction] « seul fournisseur autorisé [au Canada] d’ancres de couple à mâchoire unique faisant saillie à partir du pourtour de l’outil ». M. Goodwin a ajouté que tout achat d’ancres de couple CTA violait les droits de brevet d’API.

B.                 La technologie

[30]           Afin de faciliter la compréhension des brevets d’API, les parties Excalibre et API ont présenté des résumés techniques et contextuels communs dont le contenu, selon elles, aurait été connu d’une personne moyennement versée dans l’art aux périodes pertinentes.

(1)               La production de pétrole

[31]           Des puits sont forés dans les gisements souterrains afin d’amener les hydrocarbures liquides à la surface. Ces puits sont souvent consolidés par un cuvelage d’acier dans lequel les colonnes de production sont actionnées pour aspirer les hydrocarbures vers la tête du puits. Si la pression d’un gisement est trop faible pour amener le pétrole à la surface, un mécanisme de pompage est nécessaire. Les pompes RHE sont un exemple de pompes utilisées pour produire du pétrole.

[32]           Le rotor de la pompe RHE tourne à l’intérieur d’un canal à double hélice ménagé dans un stator en élastomère fixé à l’intérieur d’un tube d’acier. Dans un puits de pétrole, la pompe RHE est installée profondément au fond du trou et raccordée à un bloc de commande monté sur un bâti à la surface. Le bloc de commande fait tourner un arbre poli solidaire d’une série de tiges reliées (colonne de tiges) qui descendent jusqu’au fond du trou et actionnent la pompe RHE.

[33]           La pompe RHE est de type volumétrique. Le rotor est couplé à la partie inférieure du train de tiges et actionné par celui-ci. Un tube entoure la chaîne de tiges (la « colonne de production ») et, à la mise en rotation du rotor, le pétrole est refoulé à travers la pompe RHE et la colonne de production jusqu’à la tête du puits. À la surface, la colonne de production est fermée et scellée, et le pétrole est acheminé vers la ligne de production.

Le système standard de pompe RHE

(2)               Les ancres de couple

[34]           Dans la plupart des systèmes de pompe RHE, le rotor tourne dans le sens des aiguilles d’une montre. La rotation peut provoquer des vibrations et un couple de réaction. Le couple de réaction (ou friction) dans le système peut entraîner une désolidarisation des éléments de la colonne de production, et la pompe RHE ou la colonne de production peuvent tomber dans le gisement.

[35]           Les ancres de couple (aussi appelées dispositifs ou outils antirotation ou de blocage en rotation) sont souvent utilisées dans les systèmes de pompe RHE pour empêcher le dévissage de la colonne de production au-dessus de la pompe. Quand une ancre de couple est reliée à la colonne de production au-dessus ou en dessous de la pompe RHE, le couple de réaction exercé par la pompe sur la colonne de production est neutralisé et transféré au cuvelage, qui est cimenté au puits. Plus précisément, pour empêcher le dévissage de la colonne de production au-dessus de la pompe lorsqu’elle est activée, l’ancre de couple bloque la rotation du stator et de la colonne de production dans le sens contraire des aiguilles d’une montre.

[36]           Il est constant que des exemples d’antériorité dans le domaine des ancres de couple comprennent, sans toutefois s’y limiter : 1) le brevet canadien no 1 274 470 (le brevet 470), portant sur l’emploi d’un système à came qui actionne des coins de retenue mobiles pour les mettre en position d’engagement du cuvelage; et 2) le brevet américain no 5 275 239 (le brevet 239, dont l’« outil d’Obrejanu » est une réalisation), qui utilise la rotation d’un dispositif d’ancrage pour amener les dispositifs d’ancrage mobiles à s’accrocher au cuvelage et à bloquer la rotation.

IV.             Les brevets d’API

A.                Brevet canadien no 2 264 467 (le brevet 467 ou brevet relatif à la mâchoire)

[37]           La date de dépôt du brevet 467 est le 5 mars 1999. Il a été publié le 5 septembre 2000 et délivré le 26 février 2002. Le brevet 467 a été déposé et M. Tessier en est le titulaire.

[38]           Une déclaration de l’invention figure à la page 2 du mémoire descriptif du brevet 467 :

[traduction] L’outil antirotation simplifié comporte un seul organe mobile, mais il empêche la rotation et assure la stabilité des composants auxquels il est relié. En termes simples, l’outil est relié à une pompe RHE ou à un autre outil de forage et, à l’entrée en rotation dans un sens, il provoque le pivotement radial d’une mâchoire vers l’extérieur de son logement pour engager la paroi du cuvelage et bloquer la rotation de l’outil. Cette sollicitation force le logement de l’outil à se déplacer en sens inverse et à se ranger contre le cuvelage en face de la mâchoire. Le logement de l’outil et l’outil de forage sont ainsi retenus et stabilisés par la paroi du cuvelage.

De manière générale, tout outil antirotation comporte un logement tubulaire pourvu d’un alésage et dont une extrémité au moins peut être reliée à un outil de forage et à une mâchoire à charnière et à bout radial, qui pivote sur sa charnière d’un côté du logement; à l’entrée en rotation de l’outil, le pivotement décalé de la mâchoire par rapport à son centre de gravité la fait basculer entre une première position de rangement contre le logement – qui optimise l’amplitude de mouvement à l’intérieur du cuvelage – et une seconde position dans laquelle le bout radial s’étend vers l’extérieur depuis le logement pour engager le cuvelage et bloquer la rotation de l’outil, ce qui assujettit le logement contre le cuvelage en face de la mâchoire.

[…]

Figure 2. (a) Figure 1(a) du brevet 467, représentation schématique d’une réalisation préférée du brevet 467 – (1) logement, (2) alésage, (5) mâchoire, (7) bord à charnière de la mâchoire et (11) bout radial de la mâchoire; (b) Figure 3(a) du brevet 467, vue transversale d’une réalisation préférée du brevet 467 en position engagement du cuvelage – même numérotation que la figure 1(a), sur laquelle le chiffre (6) correspond au cuvelage du puits.

[39]           Les trois revendications indépendantes portent les numéros 1, 8 et 16 :

• Revendication 1 :

Outil empêchant la rotation d’un outil de forage suspendu au cuvelage d’un puits et comportant :

a.   un logement tubulaire dont une paroi engage le cuvelage et dont une extrémité au moins est reliée à l’outil de forage;

b.   une mâchoire à bout radial, qui pivote sur un point du logement opposé à la paroi d’engagement du cuvelage pour modifier le diamètre effectif de l’outil; à l’entrée en rotation de l’outil, le pivotement décalé de la mâchoire par rapport à son centre de gravité la fait basculer entre

i. une première position de rangement contre le logement, qui réduit au minimum le diamètre effectif de l’outil et optimise l’amplitude de mouvement à l’intérieur du cuvelage, et

ii. une seconde position d’engagement du cuvelage, dans laquelle le bout radial s’étend vers l’extérieur depuis le logement pour augmenter le diamètre effectif de l’outil et permettre au bout radial ainsi qu’à la paroi du logement d’engager le cuvelage afin de bloquer la rotation de l’outil.

• Revendication 8 :

Outil empêchant la rotation d’un outil de forage suspendu au cuvelage d’un puits et comportant :

a.   un logement tubulaire dont une paroi engage le cuvelage et dont une extrémité au moins est reliée à l’outil de forage;

b.   une mâchoire à charnière et à bout radial, qui pivote sur sa charnière d’un côté du logement; à l’entrée en rotation de l’outil, le pivotement décalé de la mâchoire par rapport à son centre de gravité la fait basculer entre une première position de rangement contre le logement – qui optimise l’amplitude de mouvement à l’intérieur du cuvelage – et une seconde position dans laquelle le bout radial s’étend vers l’extérieur depuis le logement pour engager le cuvelage et bloquer la rotation de l’outil, ce qui assujettit le logement contre le cuvelage en face de la mâchoire. Les profils identiques de la mâchoire et du logement tubulaire réduisent au minimum la saillie de la mâchoire hors du logement lorsqu’elle est en position de rangement et, comme elle est de forme trapézoïdale, ses bords supérieurs et inférieurs inclinés la forcent à basculer en position de rangement si elle bute sur un obstacle dans le puits lors des manœuvres de descente et de remontée.

• Revendication 16 :

Outil de stabilisation d’un outil de forage suspendu au cuvelage d’un puits et comportant :

a.   un logement tubulaire dont une paroi engage le cuvelage et dont une extrémité au moins est reliée à l’outil de forage;

b.   une mâchoire à bout radial, qui pivote sur un point du logement opposé à la paroi d’engagement du cuvelage pour modifier le diamètre effectif de l’outil; à l’entrée en rotation de l’outil, le pivotement décalé de la mâchoire par rapport à son centre de gravité la fait basculer entre

i. une première position de rangement contre le logement, qui réduit au minimum le diamètre effectif de l’outil et optimise l’amplitude de mouvement à l’intérieur du cuvelage, et

ii. une seconde position d’engagement du cuvelage, dans laquelle le bout radial s’étend vers l’extérieur depuis le logement pour augmenter le diamètre effectif de l’outil et permettre au bout radial ainsi qu’à la paroi du logement d’engager le cuvelage, ce qui stabilise l’outil et l’outil de forage.

B.                 Brevet canadien no 2 373 734 (le brevet 734 ou brevet relatif au ressort)

[40]           La date de dépôt du brevet 734 est le 28 février 2002. La date d’antériorité du brevet américain est le 26 septembre 2001. Le brevet 734 a été publié le 26 mars 2003 et délivré le 20 décembre 2005. Le brevet 734 a été déposé et MM. Weber, Tessier et Doyle en sont les titulaires.

[41]           Une déclaration de l’invention figure à la page 2 du mémoire descriptif du brevet 734. La description générale de l’outil est essentiellement la même que celle qui figure au mémoire descriptif du brevet 467, avec les différences suivantes :

[traduction] 

[…]

La mâchoire pivote sur sa charnière d’un côté du logement, ce qui la contraint à basculer vers une première position d’engagement du cuvelage, dans laquelle le bout radial engage le cuvelage et le logement est assujetti contre le cuvelage en face de la mâchoire. La mâchoire peut aussi se rabattre dans une seconde position de rangement contre le logement pour optimiser l’amplitude de mouvement à l’intérieur du cuvelage lors des manœuvres de descente et de remontée.

Il est préférable que la mâchoire soit contrainte en position d’engagement du cuvelage par un élément de torsion qui passe par la charnière et qui est relié par un raccordement rigide au logement à une extrémité, et à la mâchoire à l’autre. La compression de la mâchoire actionne l’élément de torsion, qui la sollicite et la force à se redéployer vers l’extérieur.

[…]

[42]           Les revendications 1 et 16 sont indépendantes :

• Revendication 1 :

Outil empêchant la rotation d’un outil de forage suspendu au cuvelage d’un puits et comportant :

• un logement tubulaire dont une paroi engage le cuvelage et dont une extrémité au moins est reliée à l’outil de forage;

• une mâchoire à bout radial qui pivote sur un axe le long d’une paroi du logement en face de la paroi d’engagement du cuvelage afin de modifier le diamètre effectif de l’outil;

• un ressort entre le logement et la mâchoire sollicite celle-ci vers l’extérieure dans une première position d’engagement du cuvelage, dans laquelle le bout radial s’étend vers l’extérieur depuis le logement pour augmenter le diamètre effectif de l’outil; le bout radial et la paroi du logement engagent le cuvelage pour bloquer la rotation de l’outil et permettre ensuite à la mâchoire de basculer dans une seconde position de compression temporaire contre le logement, ce qui réduit au minimum le diamètre effectif de l’outil et optimise l’amplitude des mouvements à l’intérieur du cuvelage.

• Revendication 16

Perfectionnement de l’outil de blocage en rotation d’un outil de forage suspendu à un cuvelage de puits, qui comporte un logement et au moins une mâchoire dont un bord peut pivoter sur une charnière du côté du logement, dont une première et une seconde extrémités sont raccordées par pivotement au logement. Plus particulièrement, le perfectionnement comporte :

• un élément de torsion présentant une première et une seconde extrémité;

• un premier support permettant d’agrafer la première extrémité de l’élément de torsion au logement;

• un second support qui pivote avec la mâchoire et qui permet d’agrafer la seconde extrémité de l’élément de torsion à la mâchoire, de sorte que lorsqu’elle pivote vers le logement, l’élément de torsion la sollicite vers l’extérieur.

C.                 Brevet canadien no 2 386 026 (le brevet 026 ou le brevet relatif à la butée)

[43]           La date de dépôt du brevet canadien 026 est le 13 mai 2002. La date d’antériorité du brevet américain est le 26 septembre 2001. Le brevet 026 a été publié le 26 mars 2003 et délivré le 16 janvier 2007. Le brevet 734 a été déposé et MM. Weber, Tessier et Doyle en sont les titulaires.

[44]           Une déclaration de l’invention figure à la page 2 du mémoire descriptif du brevet 026 : La description générale de l’outil est essentiellement la même que celle qui figure aux mémoires descriptifs des brevets 467 et 734, avec les différences suivantes :

[traduction] 

[…]

De préférence, l’extension excessive de la mâchoire durant l’assemblage est bloquée par des butées solidaires dans la mâchoire et le logement. De manière générale, tout outil de forage comporte un logement tubulaire de suspension dans le cuvelage d’un puits, dont une paroi engage le cuvelage et au moins une extrémité permet le raccordement fileté à l’outil de forage; une mâchoire à bout radial qui pivote sur un axe le long de la base de la mâchoire et d’une charnière sur la paroi du logement en face de la paroi d’engagement du cuvelage afin de modifier le diamètre effectif de l’outil; une première butée qui se forme à la base de la mâchoire, et une seconde qui se forme à la charnière sur la paroi du logement. La première et la seconde butées agissent solidairement pour limiter l’amplitude de la rotation maximale de la mâchoire et permettre que le diamètre effectif de l’outil augmente jusqu’à excéder le diamètre du cuvelage.

[45]           La revendication 1 est indépendante.

• Revendication 1 :

Outil de forage suspendu au cuvelage d’un puits et comportant :

• un logement tubulaire de suspension dans un cuvelage de puits, dont une paroi engage le cuvelage et une extrémité au moins permet le raccordement fileté à l’outil de forage;

• une mâchoire à bout radial qui pivote le long d’un axe à la base de la mâchoire et le long d’une charnière sur la paroi du logement en face de la paroi d’engagement du cuvelage pour modifier le diamètre effectif de l’outil;

• une première butée qui se forme à la base de la mâchoire;

• une seconde butée qui se forme sur la paroi du logement à la charnière, qui agit solidairement avec la première butée pour limiter l’amplitude de la rotation de la mâchoire et permettre que le diamètre effectif de l’outil augmente jusqu’à excéder le diamètre du cuvelage.

V.                Les éléments de preuve des témoins d’API relativement aux faits

A.                Lynn Tessier

[46]           Lynn Tessier est titulaire d’un baccalauréat ès sciences appliquées en génie mécanique et d’une maîtrise ès sciences appliquées en génie mécanique de l’Université de Waterloo. Il est ingénieur agréé et fellow de l’Académie canadienne du génie. De 1998 à 2002, à titre d’ingénieur-conseil pour SKF Magnetic Bearings Inc., M. Tessier a été partie prenante des inventions faisant l’objet des brevets d’API. Actuellement et à toutes les dates pertinentes, M. Tessier a été et continue d’être actionnaire, administrateur et consultant d’API.

[47]           M. Tessier a témoigné que M. Weber lui avait demandé de concevoir une ancre de couple robuste, simple à utiliser et facile à fabriquer. Il a également témoigné que l’outil inventé, l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467, représente selon lui le « summum » de la simplicité. En novembre 1999, les ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467 se déclinaient en trois versions : 1) une ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage ouvert; 2) une ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage fermé, qui peut être installée au-dessus d’une pompe VE; 3) une ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à rallonges horizontales alésées faisant saillie depuis le côté du logement en face de la mâchoire, permettant d’utiliser l’outil avec une pompe surdimensionnée.

[48]           En novembre 2000, MM. Weber, Tessier et Doyle (collectivement, les inventeurs) concevaient, fabriquaient et vendaient diverses versions de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 auxquelles était ajouté un ressort à enroulement externe dont la fonction était de solliciter la mâchoire. Ce ressort avait été intégré pour faciliter l’activation de la porte de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage fermé. À cause de l’alésage fermé, la porte ne pouvait pas être fraisée dans le corps de l’outil, qui était par conséquent plus léger et plus difficile à mettre en place au fond du trou. Dans les gisements de pétrole lourd en particulier, à cause de son [traduction] « adhérence » au logement de l’outil, la porte pouvait être difficile à ouvrir. M. Tessier a admis que les premières versions pourvues d’un ressort étaient des versions modifiées de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467, à laquelle un ressort à enroulement avait été ajouté. Il a précisé que les inventeurs avaient ensuite conçu l’ancre de couple du brevet 734, laquelle était pourvue d’un élément de torsion interne (aussi appelé ressort de torsion) qui protégeait le ressort contre l’effet des fluides acides produits dans le puits de pétrole.

[49]           M. Tessier a aussi mentionné que les inventeurs avaient reçu des commentaires indiquant que les portes des ancres de couple TorqStopperMC des brevets 467 et 734 résistaient plutôt mal aux manœuvres brusques des opérateurs d’appareils de forage lors du raccordement des ancres de couple TorqStopperMC aux colonnes de production. Souvent utilisées comme levier pour visser l’ancre de couple sur la pompe RHE ou la colonne de production dans la section supérieure du puits, les portes subissaient des dommages et pouvaient même être arrachées du logement. Selon les éléments de preuve, les inventeurs du brevet 026 ont réglé le problème en ajoutant une pièce à encoche, qu’ils ont appelée [traduction] « butée », pour renforcer la porte en transférant la force de couple au logement.

[50]           L’avocat des parties Excalibre a contesté la déclaration de M. Tessier selon laquelle il aurait mis au point le perfectionnement breveté des ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467 qui a abouti aux ancres de couple TorqStopperMC du brevet 026. Après avoir entendu les observations des parties sur ce point, j’ai décidé que cet élément de preuve pouvait entrer en ligne de compte dans l’analyse de l’évidence (arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada, 2008 CSC 61, au paragraphe 70 [Sanofi]), en me fondant sur la conclusion du juge Rothstein :

Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important [relativement à l’évidence]. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme de métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

[51]           M. Tessier a ajouté qu’API tire une grande fierté d’avoir conçu l’ancre de couple TorqStopperMC, qui décentre l’outil de forage et le presse contre le cuvelage, contribuant ainsi à une stabilité générale accrue. À son avis, cette stabilité est attribuable à la longueur totale du contact (entre le cuvelage, le côté de l’ancre de couple TorqStopperMC et l’outil de forage relié).

[52]           À titre d’administrateur d’API, M. Tessier a affirmé que M. Goodwin avait été autorisé par API à envoyer les lettres qui servent de fondement à la demande des parties Excalibre fondée sur l’alinéa 7a). Il a confirmé qu’API et MSI Offshore avaient demandé à M. Goodwin d’envoyer les lettres suivantes :

  1. une lettre adressée à Kudu, dans laquelle il est énoncé de manière explicite que l’ancre de couple CTA contrefait les brevets d’API (la « lettre du 18 janvier 2008 » adressée à Kudu);
  2. une lettre informant Husky que les ancres de couple à mâchoire unique contrefont les brevets d’API, et lui signifiant d’établir l’étendue de sa responsabilité (la « lettre du 16 janvier 2008 adressée à Husky »);
  3. une lettre dans laquelle API met en garde Husky de bien considérer les risques auxquels elle s’expose en vertu de la législation canadienne sur les brevets si elle met à exécution son projet d’acheter des ancres de couple CTA, dont API a été informée par des sources crédibles (la « lettre du 1er février 2008 adressée à Husky »);
  4. une lettre indiquant à Husky qu’elle serait incluse dans la présente action en contrefaçon si elle ne cesse pas sur-le-champ ses achats d’ancres de couple CTA (la « lettre du 28 avril 2008 adressée à Husky »);
  5. une lettre indiquant à Bronco qu’elle serait incluse dans la présente action en contrefaçon si elle ne cesse pas sur-le-champ ses achats d’ancres de couple CTA (la « lettre du 16 mai 2008 adressée à Bronco »);

B.                 John Doyle

[53]           John Doyle est vice-président de la fabrication au sein de General Magnetic International Inc. M. Doyle est machiniste-essayeur et il a reçu sa formation initiale au sein Sir James Farmer Norton & Co. Ltd. De 1998 à 2001, M. Doyle a été concepteur et technologue en mécanique au sein de la société SKF/Revolve Mechanical Bearing. De 2001 à 2010, il a été concepteur principal et directeur général au sein d’API.

[54]           M. Doyle a expliqué que les inventeurs avaient mis à l’essai diverses idées concernant la [traduction] « butée » intégrée à l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 026 avant d’opter pour les encoches, illustrées sur la figure 12(a) du brevet 026.

C.                 Kerry Van Metre

[55]           Kerry Van Metre est directeur de l’exploitation à Royal Well Servicing Ltd. En 2002, il était entrepreneur indépendant au service de Petrovera Resources Limited dans le secteur de la maintenance des puits de forage. Il a déclaré qu’il avait lui-même procédé à la mise en place de plusieurs ancres de couple TorqStopperMC et d’autres types d’ancres de couple.

[56]           M. Van Metre a affirmé qu’il n’avait jamais eu de difficulté à mettre en place les ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage ouvert. Il a de plus confirmé que la mise en place effectuée lors des essais d’API (dont il sera question ci-après) était conforme au protocole suivi dans les installations de forage et que, lors des essais menés par C-FER en 2014 (dont il sera question ci-après), la vitesse de rotation obtenue était inférieure à la vitesse type utilisée sur le terrain. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Van Metre a affirmé qu’il connaissait bien les ancres de couple TorqStopperMC utilisées dans les installations de forage et qu’elles étaient faciles à mettre en place en faisant tourner [traduction] « assez énergiquement » la colonne de production, mais qu’il fallait parfois quelques tentatives avant que l’ancre de couple soit bien emboîtée. J’ai conclu qu’il était un témoin crédible.

D.                Kelly McGowan

[57]           Kelly McGowan est propriétaire de Trilogy Oilfield Ltd., une entreprise de location d’outils de forage et de maintenance des puits de pétrole qui exerce ses activités en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan. M. McGowan est actionnaire d’API, avec qui Trilogy fait affaire depuis 2001 en tant que distributrice des ancres de couple TorqStopperMC.

[58]           M. McGowan a vu l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 pour la première fois en 1999, époque où il travaillait au sein de Magen Oil and Gas Tools. À sa connaissance, la première vente commerciale de ce produit a eu lieu le 7 octobre 1999. Il a vu M. Weber installer une ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 dans un puits de forage exploité par Wascana Energy Inc. et, selon ses souvenirs, il avait suffi d’un demi-tour pour que l’ancre TorqStopperMC du brevet 467 se mette en place. M. McGowan a ajouté que lors des essais d’API, la mise en place avait été faite selon le protocole [traduction] « normal », et que la vitesse de rotation utilisée lors des essais menés par C-FER en 2014 était [traduction] « plus lente que la vitesse normale dans une installation de forage ».

[59]           Au cours de son contre-interrogatoire, M. McGowan a précisé qu’il avait appris l’existence d’API et de l’ancre de couple TorqStopperMC lorsqu’on lui avait offert une occasion d’affaires. Il a commencé à faire la promotion du produit TorqStopperMC et à le vendre le 5 août 1999. J’ai conclu que M. McGowan était lui aussi un témoin crédible.

E.                 Jack Bootsman

[60]           Jack Bootsman est propriétaire de Jack Bootsman Supervision Ltd., une entreprise d’experts-conseils qui offre des services de dépannage dans le domaine de la production pétrolière, et plus particulièrement pour les problèmes liés au pétrole lourd et aux pompes RHE utilisées pour la production. De 1999 à 2004, il a été chef des services de maintenance des puits de forage au sein de Petrovera Resources Limited. M. Bootsman a assisté à la mise en place d’ancres de couple TorqStopperMC dans les puits de Petrovera, selon une procédure consistant à faire tourner le serre-tube dans la section supérieure du puits vers la droite à l’aide d’une clé à tube. Selon lui, la procédure de mise en place présentée dans les vidéos des essais d’API [traduction] « respectait les normes ».

[61]           Au cours de son contre-interrogatoire, M. Bootsman a expliqué qu’il avait commencé à superviser les installations de forage utilisant des ancres de couple TorqStopperMC après 2004 seulement. Il était alors superviseur-conseil de puits de pétrole et l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 734 était la version la plus couramment utilisée dans le secteur. Il connaissait peu l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 et il n’avait aucune expérience relative à la procédure de mise en place de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467.

VI.             Éléments de preuve des témoins d’Excalibre relativement aux faits

A.                Michael Burton

[62]           Michael Burton est ingénieur et entrepreneur. Il est l’inventeur des brevets 224 et 834 de Burton. M. Burton est titulaire d’un baccalauréat ès sciences et d’une maîtrise ès sciences en génie aérospatial de l’Université de Princeton. En 1983, il a opéré une transition de l’industrie de l’aérospatiale à l’industrie pétrolière et gazière, dans laquelle il est devenu spécialiste en forage directionnel. De 1983 à 1985, il a participé à la conception d’un outil de forage directionnel à court rayon, dont les deux principales réalisations sont décrites dans les brevets 224 et 834 de Burton (l’« outil de Burton »).

[63]           M. Burton a expliqué que l’outil de Burton fonctionne en déplaçant la colonne de tiges de forage d’un côté du trou de forage. Ce mouvement pousse la colonne de forage vers le haut et permet à l’équipe de forage de contrôler l’angle du trou de forage. Le corps de l’outil de Burton est un outil excentré non rotatif dont les ergots se fixent autour de la foreuse pour la mouvoir dans le trou de forage. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Burton a précisé que l’outil n’empêche pas la rotation et n’assure pas la stabilité de la colonne de tiges.

[64]           Il a expliqué que l’outil de Burton peut être doté d’ergots en acier souple (réalisation de l’outil de Burton du brevet 224) ou d’ergots rigides qui pivotent autour d’une charnière à ressort (réalisation de l’outil de Burton du brevet 834) et peuvent s’engager sur le cuvelage ou sur le puits ouvert, selon l’emplacement où la foreuse est installée. Les ergots sont actionnés dans un seul sens parce que la conception de la lame empêche sa rotation au moyen d’une butée fixée au bord de l’outil. La butée sert également à maintenir chaque ergot dans l’angle idéal sur l’outil. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Burton a indiqué que la butée ne fonctionne pas dans la section supérieure du puits parce que ce n’est pas son rôle, et en raison de la manière dont l’outil est assemblé.

[65]           Il a ajouté que l’outil de Burton avait été utilisé commercialement pour la première fois au Kansas, à l’hiver 1985-1986. La société Amoco Corporation (« Amoco ») avait demandé à faire un essai de l’outil en 1988. En 1990, M. Burton a vendu sa technologie à un groupe d’investisseurs suisses, qui l’a vendue à Amoco. Amoco a ensuite octroyé des licences d’utilisation de la technologie à des parties intéressées de l’industrie du forage de puits de pétrole.

[66]           Au cours de son contre-interrogatoire, M. Burton a reconnu que le domaine du forage directionnel était encore assez spécialisé lorsqu’il a mis au point l’outil de Burton en 1985, et que les outils n’étaient pas utilisés pour d’autres activités liées aux puits de pétrole. Il n’a pas précisé combien d’outils de Burton étaient en usage en 2003, mais il a confirmé qu’Amoco en faisait la promotion auprès de particuliers de l’industrie du forage. Il a expliqué en outre que depuis 1985, le forage directionnel était devenu omniprésent et que la quasi-totalité du forage de puits de pétrole était directionnelle aujourd’hui. Enfin, il a déclaré que tous les travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière ont un jour ou l’autre [traduction] « manœuvré une clé », signifiant par là que les opérateurs d’appareils de forage en savent beaucoup au sujet du forage et de la production parce qu’ils prennent part à toutes les étapes du processus.

B.                 Colin Aldridge

[67]           Colin Aldridge est propriétaire d’Anglo Precision Machining Ltd. et l’inventeur de l’ancre de couple du brevet 693 d’Aldridge (l’« outil d’Aldridge »). M. Aldridge a fait son apprentissage en Angleterre, où il a été machiniste au sein de l’Atomic Energy Authority. Après son arrivée au Canada, il a travaillé comme machiniste dans plusieurs entreprises, et notamment au sein de Chriscor, de 1993 à 1998.

[68]           M. Aldridge a affirmé qu’il avait conçu l’outil d’Aldridge lorsqu’il travaillait à Chriscor, vers 1995, car la société a perdu les droits de fabrication de l’ancre de couple dont ils assuraient l’usinage. Il a décrit l’outil d’Aldridge comme un outil à [traduction] « verrouillage », pourvu de blocs de résistance insérés dans un logement qui forcent l’enclenchement des coins de retenue au cuvelage à l’entrée en rotation du corps de l’outil. Les coins de retenue sont insérés dans des rainures qui servent de butées et bloquent leur rotation.

[69]           Au cours de son contre-interrogatoire, M. Aldridge a précisé que l’outil d’Aldridge est doté de multiples coins de retenue également espacés. Il a insisté sur le fait que son idée était de créer un outil dénué de ressorts, qu’il jugeait peu fiables en fond de puits en raison de la pression des fluides.

C.                 Kevin Kelm

[70]           Kevin Kelm est propriétaire de Progressive Completions Ltd., une société qui, entre autres activités, vend et installe des ancres de couple dans les puits de pétrole et de gaz, et qui offre également des services de récupération de ces ancres dans les puits de pétrole et de gaz. Il possède une vaste expérience des ancres de couple, dont les modèles TorqStopperMC et CTA. Il n’entretient pas de relations d’affaires avec API ou Excalibre.

[71]           M. Kelm a procédé lui-même à la récupération d’ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467 dans des puits de pétrole, et il se souvient que les clients se plaignaient de la très faible fiabilité des ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467. Par contre, les versions à ressort de l’ancre de couple TorqStopperMC semblaient très appréciées.

D.                Edward Moore

[72]           Edward Moore est technologue en outils et propriétaire d’Excalibre Downhole. En 1990, il a lancé Tebo, qui faisait de la fabrication en sous-traitance pour d’autres sociétés.

[73]           Au sein de Tebo, M. Moore a vu l’outil d’Obrejanu et il a pensé qu’il pourrait inventer son propre modèle d’ancre de couple. La première version de l’ancre de couple qu’il a inventée avec son équipe s’appelait l’« outil Garay », qui a été utilisé pour la première fois en 1996. En 1999, selon M. Moore, de 3 000 à 4 000 outils Garay avaient été fabriqués. Les ancres étaient vendues directement à Husky et à des fabricants de pompes de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan (dont Kudu, Tanroc et Weatherford International). M. Moore a confirmé que l’outil Garay avait été breveté (brevet canadien no 2 159 659, déposé le 2 octobre 1995 et délivré le 19 mars 2002 – le « brevet Garay »).

[74]           M. Moore a témoigné avoir vu l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 pour la première fois lorsqu’un membre de son équipe de vente lui en a envoyé un exemplaire parce qu’il croyait que l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 contrefaisait le brevet Garay. Les représentants d’API ont nié que l’une ou l’autre des versions de l’ancre de couple TorqStopperMC contrefaisait le brevet Garay. Son témoignage est corroboré par la lettre du 30 mars 2005 adressée à Dennis Yasui, au cabinet Brownlee LLP, par M. Goodwin au nom d’API.

[75]           M. Moore et son équipe ont mis au point l’ancre de couple CTA après une conversation avec des opérateurs de la société National Oilwell Varco, qui leur avaient expliqué qu’ils devaient parfois attacher des capteurs aux outils pour les descendre en forage, et que c’était difficile à cause des gros blocs de support solidarisant les coins de retenue à ressort à l’outil Garay. M. Moore avait remarqué par ailleurs qu’à cause de la conception des coins de retenue et du poids de l’outil Garay et des tiges, seul un des trois coins de retenue s’enclenchait au cuvelage lorsque l’outil Garay était en position horizontale dans le puits. Pour résoudre ces deux problèmes, son équipe a conservé un seul coin de retenue mobile et substitué des coins de retenue rigides à deux des blocs de support dotés de coins de retenue à ressort.

[76]           Selon M. Moore, le remplacement des blocs de support dotés de coins de retenue à ressort par des coins de retenue rigides contribue à maintenir l’outil dans sa position centrale. Il est important de maintenir l’outil au centre pour éviter les dommages causés par le contact avec le sable dans le puits et pour permettre le passage de tiges supplémentaires, comme les tiges spiralées utilisées pour le pétrole brut, autour de l’outil.

[77]           L’un des avantages de l’ancre de couple CTA, de l’avis de M. Moore, est que les coins de retenue rigides peuvent être retirés et que la maintenance de l’outil peut être faite dans la section supérieure du puits. De plus, la version 4 de l’ancre de couple CTA présente des coins de retenue rigides percés de plusieurs orifices qui facilitent l’adaptation à des modèles différents de corps de l’outil, ce qui a permis à la société de limiter les stocks. Grâce à cette polyvalence, la société a pu répondre à la demande de Kudu et créer l’ancre de couple CTA désaxée pour un client qui voulait faire passer de gros câbles à côté de la pompe. M. Moore a par ailleurs expliqué que la [traduction] « butée » avait été déplacée d’une version à l’autre parce qu’il cherchait toujours à améliorer l’outil, et non par volonté de contourner le brevet 026.

[78]           Interrogé au sujet du prototype de l’outil, M. Moore a répondu qu’il ne comportait pas de coins de retenue rigides et qu’il ne s’agissait pas d’une version de l’ancre de couple CTA. Il a affirmé qu’un seul outil avait été fabriqué, et que celui-ci n’avait jamais été vendu ou utilisé sur le terrain.

[79]           M. Moore a témoigné que les lettres de M. Goodwin avaient eu des conséquences graves et néfastes sur les ventes de l’ancre de couple CTA. Après avoir eu connaissance d’une lettre adressée à Husky par M. Goodwin, M. Moore et Ray Mills, l’un des propriétaires de Kudu, ont offert une indemnité à Husky. Cependant, cette offre n’a pas convaincu Husky de changer d’avis concernant l’achat d’ancres de couple CTA. Il a tenté à plusieurs reprises, en vain, de convaincre Husky de revenir sur sa décision de cesser d’acheter les ancres de couple CTA. Au cours de son contre-interrogatoire, il a admis toutefois qu’il n’avait pas conservé de documents liés à son offre d’indemnisation ou de ses démarches pour persuader Husky ou Bronco de continuer d’acheter les ancres de couple CTA.

[80]           Il a par ailleurs déclaré, toujours lors du contre-interrogatoire, que les ventes de l’ancre de couple CTA à Kudu n’avaient pas cessé immédiatement après sa réception de la lettre du 18 janvier 2008. M. Moore a affirmé que les ventes avaient ralenti, mais les parties Excalibre n’ont pas produit de factures pour étayer les répercussions alléguées sur les ventes durant cette période. Il a aussi déclaré que les ventes à Tanroc n’avaient pas cessé immédiatement après la réception d’une lettre semblable de la part M. Goodwin.

E.                 Dan Echino

[81]           Dan Echino est un homme d’affaires de la région de Calgary qui se spécialise dans les outils et le matériel utilisés dans l’industrie pétrolière et gazière. De 1991 à 2004, il était propriétaire de Corlac Industries Ltd. (« Corlac »), l’un des premiers fournisseurs de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467. M. Echino a déclaré que l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 suscitait beaucoup de scepticisme lorsqu’elle est arrivée sur le marché et que les ventes étaient modestes, au début. Son témoignage n’a pas été très utile pour les questions en litige dont la Cour est saisie.

F.                  James Esposito

[82]           James Esposito est ingénieur agréé. En 2008, il était chef des opérations au sein de Bronco. Il a témoigné que Bronco utilisait des pompes RHE et des ancres de couple dans ses puits. Une ancre de couple est installée dans chacun des puits, et une ancre de rechange est conservée en stock. M. Esposito a expliqué qu’il savait ce qu’étaient les pompes RHE et les ancres de couple, mais que les opérations courantes et la complétion des puits relevaient du vice-président de la production, Stephen Terry.

[83]           M. Esposito a témoigné qu’il se souvenait d’avoir reçu la lettre du 16 mai 2008 adressée à Bronco. Il a indiqué qu’au début, il a pensé qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Lorsqu’il a réalisé que la lettre de Bronco daté du 16 mai 2008 était authentique, M. Esposito a discuté des options possibles avec M. Terry, et ils ont décidé que Bronco allait cesser d’utiliser l’ancre de couple CTA immédiatement.

[84]           M. Esposito a expliqué que Bronco était très sensible à son image en 2008 parce qu’elle venait tout juste d’obtenir le financement de divers investisseurs et qu’elle envisageait de creuser 69 nouveaux puits de pétrole lourd dans la réserve d’une Première Nation. Il a indiqué qu’étant donné que Bronco était très occupée à cette époque, elle ne pouvait risquer une interruption de ses activités ou une mauvaise publicité. C’est pourquoi la société a décidé de ne plus acheter d’ancres de couple CTA. M. Esposito a demandé à M. Terry de cesser immédiatement d’acheter des ancres de couple CTA, mais la société n’a toutefois pas retiré celles qui étaient déjà installées dans les puits en exploitation.

[85]           Ni lui ni M. Terry n’ont répondu à M. Goodwin. En outre, il a témoigné ne pas avoir non plus communiqué avec les avocats de sa société pour obtenir un avis relatif à la contrefaçon. Il ne voyait pas l’intérêt de gaspiller de l’argent pour obtenir un avis juridique si un simple changement dans les pratiques d’approvisionnement pouvait éviter des poursuites à la société. Il a indiqué qu’il ne pensait pas que Bronco avait commis un délit de contrefaçon puisqu’elle ne distribuait pas l’ancre de couple CTA, mais qu’il s’est senti menacé et qu’il a fait le nécessaire pour atténuer les risques pour la société.

G.                Leanne Wichmann Cohen

[86]           Leanne Wichmann Cohen est avocate; elle a été admise au Barreau de l’Alberta en 1998. En 2008, au sein de l’équipe du contentieux de Husky, elle était responsable des services juridiques en matière de technologie de l’information et de propriété intellectuelle. Mme Wichmann Cohen a été citée à comparaître dans les présentes actions.

[87]           En 2008, Mme Wichmann Cohen a témoigné que Husky était très soucieuse d’éviter les contentieux et que sa stratégie juridique consistait à prendre la voie la plus facile et la moins conflictuelle possible, pour éviter d’avoir à payer des frais liés à des procédures judiciaires. Mme Wichmann Cohen s’est souvenue de la lettre du 16 janvier 2008 adressée à Husky, du travail d’enquête effectué pour comprendre les liens entre cette lettre et les activités d’exploitation de la société, ainsi que les répercussions éventuelles. Au terme de l’enquête, elle a demandé à Hector Munoz, responsable des achats à Lloydminster, de cesser d’acheter des ancres de couple CTA et de trouver un fournisseur qui vendait un produit comparable.

[88]           La thèse de Mme Wichmann Cohen était que Husky n’a pas cherché à savoir si l’ancre de couple CTA contrefaisait vraiment les brevets d’API parce que la société avait une [traduction] « solution de rechange », qui consistait à trouver un produit comparable qui ne contrefaisait pas de brevet. À l’époque, son but était de régler le problème, et elle n’avait pas besoin d’un avis relatif à la contrefaçon ni de l’aide d’un avocat externe pour y arriver.

[89]           Mme Wichmann Cohen s’est aussi souvenue de la lettre du 28 avril 2008 adressée à Husky. Après avoir reçu cette lettre, elle a demandé à M. Munoz de confirmer que son équipe avait suivi ses instructions concernant le remplacement des ancres de couple CTA. Mme Wichmann Cohen a dit avoir interprété ces lettres comme des menaces selon lesquelles la société ferait l’objet d’une procédure contentieuse.

[90]           Elle a donc assuré M. Goodwin que Husky avait retiré les ancres de couple CTA et pris des mesures pour éviter tout délit de contrefaçon découlant de l’utilisation de ces ancres. Au cours de son contre-interrogatoire, elle a déclaré qu’elle ne se souvenait pas d’avoir reçu de documents de la part de M. Moore ou d’Excalibre et que, de toute façon, une offre d’indemnisation n’aurait eu aucune incidence sur sa décision puisqu’elle voulait à tout prix éviter d’exposer Husky à des poursuites.

H.                Lisa Redhead

[91]           Mme Lisa Redhead, ingénieure agréée, travaille au sein de Husky. De 2007 à 2008, elle a fait partie du groupe chargé des projets du district de Lloydminster. Mme Redhead a déclaré que, à titre de membre du groupe des projets de district, elle donnait des conseils techniques au groupe des achats, notamment sur les produits les plus concurrentiels sur le marché pour la complétion des nouveaux puits de Husky.

[92]           Mme Redhead a directement participé aux essais d’efficacité de l’ancre de couple CTA dans les puits de Husky en août 2007, ainsi qu’au processus décisionnel ayant abouti au choix des ancres de couple CTA pour les commandes d’achat automatique de Husky pour le district de Lloydminster en janvier 2008. Son équipe était parvenue à la conclusion que l’ancre de couple CTA était fiable et que son utilisation faisait économiser de 150 à 500 $ par puits à Husky. Au cours de son contre-interrogatoire, Mme Redhead a indiqué qu’à ce moment-là, le groupe de projets de district n’avait pas fait d’autres essais pour déterminer si d’autres types d’ancrage seraient plus efficaces que l’ancre de couple CTA d’Excalibre.

[93]           Elle a expliqué qu’en 2007 et au début de 2008, Husky faisait affaire avec trois fournisseurs d’ancres de couple : Kudu, Tanroc et National Oilwell. En outre, elle a également demandé à Howard Staniforth, coordonnateur des travaux de complétion au sein de Husky, d’acheter seulement des ancres de couple CTA d’Excalibre auprès de Kudu et de Tanroc, qui avaient jusque-là fourni des ancres de couple TorqStopperMC d’API à Husky. Mme Redhead a affirmé que National Oilwell ne distribuait pas les ancres de couple CTA en 2007, et que le groupe de projets de district n’avait pas encore arrêté sa recommandation au groupe des achats quant au type d’ancres de couple à commander auprès de National Oilwell.

[94]           Mme Redhead a quitté le groupe des projets de district en février 2008. Au cours de son contre-interrogatoire, elle a déclaré qu’elle ne savait pas quand l’ordre de cesser les achats d’ancres de couple CTA avait été donné.

VII.          Témoin expert d’API : M. Robert Sorem

[95]           M. Robert Sorem a obtenu un baccalauréat ès sciences en génie mécanique en 1986, une maîtrise ès sciences en génie mécanique en 1988 et un doctorat en génie mécanique en 1991 à l’Université du Kansas. Il est le co-inventeur désigné d’au moins 17 brevets américains.

[96]           M. Sorem est professeur agrégé en génie mécanique à la faculté de génie de l’Université du Kansas. De 1991 à 1994, il a occupé un poste d’ingénieur de développement au sein de Dowell Schlumberger, à Tulsa, en Oklahoma et à Houston, au Texas. Son expérience de l’industrie englobe la conception, la fabrication et la mise à l’essai de garnitures d’étanchéité gonflables pour tiges de production et d’outils d’inspection pour la maintenance des puits de pétrole. Depuis 1994, M. Sorem occupe un poste permanent au département de génie mécanique de l’école d’ingénieurs de l’Université du Kansas, où il donne entre autres des cours d’initiation au génie et à la conception de machines, de mécanique des matériaux et de mécanique des matériaux composites.

[97]           M. Sorem a été reconnu comme témoin expert en génie mécanique et outils de forage. Toutefois, son expertise porte surtout sur les garnitures d’étanchéité de fond et gonflables; il a très peu d’expérience de terrain pour ce qui est des pompes RHE et des ancres de couple. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Sorem a reconnu que sa seule expérience dans le domaine des ancres de couple avant les présentes actions remontait à une précédente procédure contentieuse opposant API et Corlac, vers 2007, pour laquelle il avait été cité à titre de témoin expert par API.

[98]           M. Sorem a mené les essais d’API et déposé deux rapports d’expert : un sur la contrefaçon des brevets 467 et 026, et un autre sur la validité des brevets 467, 734 et 026.

VIII.       Témoins experts d’Excalibre

A.                M. Gary R. Wooley

[99]           M. Gary R. Wooley a obtenu un baccalauréat ès sciences en génie mécanique en 1969, une maîtrise ès sciences en génie mécanique en 1970 et un doctorat en génie mécanique en 1972 à la Louisiana State University. Il a été cité comme témoin expert dans plus d’une cinquantaine de procès, tant au Canada qu’aux États-Unis.

[100]       M. Wooley est président de Wooley and Associates, Inc., une firme américaine de génie-conseil dans l’industrie pétrolière. Avant de fonder Wooley and Associates, Inc. en 1986, il a travaillé au sein de Shell Oil, de Chevron Oil, de Humble Oil (Exxon), d’Atlantic Richfield Co. et d’Enertech Engineering. Il a également enseigné pendant une courte période à la Louisiana State University.

[101]       M. Wooley a été reconnu comme expert dans les domaines des outils mécaniques et de la conception d’outils, en particulier en ce qui a trait aux outils utilisés dans l’industrie pétrolière et gazière. Il a mené les tests de C-FER en 2014, et déposé un seul rapport d’expert mettant l’accent sur la validité des brevets d’API.

[102]       Au début de son interrogatoire principal, M. Wooley a expliqué que son rapport d’expert comportait un certain nombre de lacunes et d’erreurs. L’avocat des parties Excalibre a soutenu qu’il s’agissait d’erreurs d’écriture, tout au plus. L’avocat des parties API s’est opposé à l’admission des corrections proposées en preuve, arguant qu’il ne s’agissait pas de simples erreurs d’écriture et que leur admission entraînerait un préjudice important pour les parties API, notamment parce qu’elles avaient déjà fini de présenter leur preuve. Subsidiairement, l’avocat des parties API a demandé qu’aucun poids ne soit accordé au témoignage de M. Wooley.

[103]       Je suis d’accord avec l’avocat des parties API pour dire qu’il aurait été inopportun de permettre à M. Wooley d’apporter des corrections importantes à son rapport d’expert durant le procès. Les modifications, loin d’être mineures, visaient plutôt à corriger des erreurs conceptuelles touchant le fondement même de l’avis formulé dans le rapport. Certaines des corrections proposées changeaient le sens de pans entiers du rapport. Même si M. Wooley pourrait être contre-interrogé au sujet de ces corrections, il est clair que les parties API seraient lésées, et il n’y a aucune excuse raisonnable pour ne pas avoir corrigé ces omissions ou ces erreurs avant le procès.

[104]       L’avocat des parties API a également contesté les déclarations de M. Wooley concernant les revendications 2 à 7 du brevet 026, en faisant valoir que le rapport d’expert ne présente aucune analyse desdites revendications. L’avocat des parties Excalibre a soutenu qu’il était tout à fait loisible à M. Wooley de faire ces déclarations pour expliquer et préciser le contenu de son rapport.

[105]       Récemment, la latitude à donner aux témoins experts pour aller au-delà de la teneur de leurs rapports a retenu l’attention de la juge Wilson de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Moore v Getahun, 2014 ONSC 237, confirmée dans l’arrêt 2015 ONCA 55 [Moore]. En Ontario, les limites d’un témoignage d’expert sont régies par le paragraphe 53.03(3) des Règles de Procédure Civile, RRO 1990, article 194, rédigé comme suit :

Sauf autorisation du juge du procès, un expert ne peut témoigner à l’égard d’une question que si la teneur de son témoignage à l’égard de la question est indiquée :

a) soit dans un rapport signifié aux termes de la présente règle;

(b) soit dans un rapport supplémentaire signifié à toutes les autres parties à l’action au moins 30 jours avant le début du procès.

[106]       Bien que les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ne contiennent pas de disposition exactement équivalente, la Cour estime que les paragraphes 280(1) et 280(1.1) sont équivalents sur le plan procédural au paragraphe 53.03(3) des Règles ontariennes :

Présentation à l’instruction

280 (1) Sauf ordonnance contraire de la Cour, la déposition d’un témoin expert dans le cadre d’un interrogatoire principal peut être présentée en preuve à l’instruction:

a) par la lecture par celui-ci de tout ou partie de l’affidavit ou de la déclaration visé à l’alinéa 279b);

b) par son témoignage expliquant tout passage de l’affidavit ou de la déclaration qu’il a lu.

Déposition avec autorisation

 (1.1) Malgré le paragraphe (1), le témoin expert peut présenter toute autre déposition au cours de l’interrogatoire principal avec l’autorisation de la Cour.

Tendering of expert’s evidence at trial

280 (1) Unless the Court orders otherwise, evidence in chief of an expert witness may be tendered at trial by

(a) the witness reading into evidence all or part of an affidavit or statement referred to in paragraph 279(b); and

(b) the witness explaining any of the content of an affidavit or statement that has been read into evidence.

Other evidence with leave

(1.1) Despite subsection (1), an expert witness may tender other evidence in chief with leave of the Court.

[107]       Dans l’arrêt Moore, précité, la juge Wilson reprend la démarche de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Marchand v. The Public General Hospital Society of Chatham (2000), 51 OR (3d) 97, dans lequel il est établi qu’un [traduction] « expert peut expliquer et préciser le contenu de son rapport, mais il doit s’en tenir aux questions implicitement ou explicitement abordées dans celui-ci. Un expert ne peut témoigner sur des questions qui élargiraient l’analyse à un domaine auquel le rapport ne touche pas » (voir aussi Kilitzoglou v Cure, 2012 ONSC 3411).

[108]       Le principe voulant qu’un témoin expert puisse présenter des éléments de preuve qui sont évoqués sans être expressément examinés dans son rapport a été appliqué par le juge François Lemieux dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Obodzinsky, 2001 CFPI 239.

[109]       En l’espèce, dans la version du rapport d’expert déposée à la Cour, M. Wooley ne se prononce pas sur le caractère évident des revendications 2 à 7 du brevet 026. En outre, le témoignage de M. Wooley n’a contribué aucunement à préciser des questions latentes dans son rapport ni à aider la Cour à comprendre certaines des déclarations qui y figurent. Au contraire, il a soutenu à tort qu’une conclusion d’évidence d’une revendication indépendante d’un brevet rendrait évidentes des revendications dépendantes.

[110]       Me fondant sur ce qui précède, je n’accorderai aucun poids à ses déclarations sur les questions suivantes :

  1. la validité des revendications dépendantes des brevets d’API;
  2. l’évidence du brevet 467 pour ce qui concerne l’outil de Burton;
  3. l’analyse de l’évidence des revendications 2 à 7 du brevet 026.

B.                 M. Skoczylas

[111]       Paul Skoczylas a obtenu un baccalauréat ès sciences en génie mécanique en 1996 et une maîtrise en génie mécanique en 2001 à l’Université de l’Alberta. M. Skoczylas est ingénieur agréé dans la province de l’Alberta et membre de l’Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta. Il est directeur des services de génie au sein de C-FER Technologies, une filiale de la société Alberta Innovates – Technology Futures, qui soutient la recherche et l’innovation en étroite collaboration avec l’industrie, le milieu universitaire et la province de l’Alberta.

[112]       M. Skoczylas est spécialiste dans l’application en conditions de fond des pompes RHE. Il a donné des cours sur les systèmes de pompes RHE et l’utilisation d’un logiciel relatif aux pompes RHE partout dans le monde. Il dirige actuellement un groupe multidisciplinaire qui étudie la fiabilité des pompes RHE et des pompes submersibles électriques. M. Skoczylas a publié, à titre individuel ou conjointement, quelque 14 articles traitant de divers aspects des applications des pompes RHE.

[113]       Il a été reconnu comme expert dans les domaines des pompes RHE et des accessoires connexes. L’avocat des parties API a toutefois soulevé la question du poids à donner à son témoignage en raison de son manque d’expérience de terrain dans les installations de forage pétrolier. M. Skoczylas a mené les essais de démonstration et déposé un seul rapport d’expert dans lequel il analyse le rapport d’expert de M. Sorem et celui de Gregg Perkin (rapport qui n’a pas été présenté à la Cour).

[114]       M. Skoczylas a déclaré qu’il avait assisté aux essais menés par C-FER en 2014 et selon lui, les procédures suivies par M. Wooley étaient lentes sans toutefois être inadéquates, selon ce qu’il comprenait de la teneur des revendications du brevet 467 et de la physique des interactions des outils de forage. M. Skoczylas a indiqué que dans un puits vertical, comme la rotation est appliquée à la surface, à des centaines de mètres de distance de l’outil, il peut être difficile d’obtenir une [traduction] « réponse inertielle » suffisante pour engager l’outil. Toutefois, au cours de son contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il n’avait pas été appelé à donner son avis d’expert sur la validité des brevets d’API. Je ne puis donc pas accorder de poids à ses commentaires sur les méthodes d’essai de M. Wooley ou la validité des revendications des brevets d’API en cause.

IX.             Interprétation des revendications

A.                Dates pertinentes

[115]       La date pertinente aux fins d’interprétation des revendications de chacun des brevets d’API est la date de publication de chaque demande de brevet d’API :

  1. Brevet 467 : le 5 septembre 2000
  2. Brevet 734 : le 26 mars 2003
  3. Brevet 026 : le 26 mars 2003

[116]       L’interprétation des revendications constitue une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher qui doit précéder l’examen des questions de contrefaçon et de validité. La même interprétation doit être appliquée aux questions de contrefaçon et de validité : Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, au paragraphe 10, conf. par 2007 CAF 1.

[117]       La Cour suprême du Canada a établi les règles d’interprétation des revendications dans une trilogie d’arrêts : arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc. 2000 CSC 67, aux paragraphes 49 à 55 [Whirlpool]; arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, aux paragraphes 44 à 54 [Free World Trust], et arrêt MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. v. Consolboard Inc., [1981] 1 RCS 504, au paragraphe 27 [Consolboard].

[118]       Ces arrêts énoncent que :

  1. les revendications doivent être lues de façon éclairée et téléologique, avec un esprit désireux de comprendre du point de vue de la personne versée dans l’art à la date de la publication, et en tenant compte des connaissances générales courantes;
  2. le respect du libellé des revendications permet de les interpréter de la manière dont l’inventeur est présumé l’avoir voulu et d’une façon favorable à l’atteinte de l’objectif de l’inventeur, qui fait la promotion à la fois de l’équité et de la prévisibilité;
  3. l’ensemble du mémoire descriptif devrait être pris en compte afin de s’assurer de la nature de l’invention, et l’interprétation des revendications ne doit pas être bienveillante ni sévère, mais elle devrait plutôt être raisonnable et équitable tant pour le titulaire du brevet que pour le public.

[119]       La Cour reconnaît que le libellé peut être vague et que les termes employés peuvent avoir différents sens selon le domaine. C’est pourquoi les témoins experts peuvent aider la Cour à interpréter des termes ou certains éléments des revendications, ou pour en dégager les éléments « essentiels ». Cependant, leur concours est requis seulement si la Cour le juge nécessaire ou utile. Si le sens d’un terme est clairement expliqué dans le mémoire descriptif d’un brevet, la Cour n’aura sans doute pas besoin d’un expert pour l’aider à bien interpréter la teneur des revendications.

B.                 Personne moyennement versée dans l’art

[120]       Globalement, les témoins experts se sont entendus sur les critères d’identification des personnes moyennement versées dans l’art en ce qui a trait aux brevets d’API. MM. Sorem et Wooley ont tous les deux indiqué qu’une personne moyennement versée dans l’art serait 1) un titulaire d’un baccalauréat en génie mécanique, comptant d’une à trois années d’expérience dans le domaine des outils de forage, y compris les ancres de couple; ou 2) une personne qui n’a pas de diplôme, mais qui a cumulé de cinq à dix années d’expérience professionnelle dans l’utilisation et la conception d’outils de forage, y compris des ancres de couple. M. Skoczylas a déclaré quant à lui qu’une personne moyennement versée dans l’art devrait être un ingénieur agréé ou une personne travaillant sous la supervision d’un ingénieur agréé. Il semble avoir fait abstraction du mot « moyennement » de l’expression « personne moyennement versée dans l’art » durant la période pertinente; j’estime que l’exigence liée à la qualité d’ingénieur agréé est inappropriée.

[121]       Les experts n’étaient pas d’accord sur le niveau d’expérience pratique attendue d’une personne moyennement versée dans l’art en ce qui concerne la rotation des outils de forage. M. Sorem, s’exprimant au nom des parties API, a déclaré qu’il ne fallait pas attendre d’une personne moyennement versée dans l’art qu’elle connaisse, de manière approfondie ou sommaire, les outils de forage utilisés pour le forage de puits puisque le forage et la production constituent des procédés distincts dans le domaine de l’exploitation des puits de pétrole. À la lumière des témoignages contraires assez nombreux d’autres témoins, je ne suis pas d’accord. De plus, au cours de son contre-interrogatoire, M. Sorem a déclaré qu’il se considérait lui-même comme une personne moyennement versée dans l’art. Il ne fait aucun doute que, compte tenu de son inexpérience dans le domaine des ancres de couple, M. Sorem ne serait pas considéré comme une personne moyennement versée dans l’art. Par conséquent, la Cour accordera peu de poids à son témoignage en ce qui concerne l’expérience attendue d’une personne moyennement versée dans l’art durant la période pertinente.

[122]       Selon l’ensemble de la preuve dont la Cour a été saisie, je conclus qu’une personne moyennement versée dans l’art devrait, pour être réputée apte à comprendre et à interpréter les mémoires descriptifs des brevets d’API :

  1. être titulaire d’un baccalauréat en génie mécanique ou d’un diplôme semblable, compter d’une à trois années d’expérience pratique dans le domaine des outils de forage utilisés dans l’exploitation des puits de pétrole, y compris les ancres de couple;
  2. en l’absence d’un diplôme officiel, cumuler de cinq à dix années d’expérience dans le domaine des outils de forage utilisés dans l’exploitation des puits de pétrole, et notamment de l’utilisation de pompes RHE et des ancres de couple, assortie éventuellement d’une expérience croisée des opérations de forage.

C.                 Connaissances générales courantes

(1)               Dates pertinentes aux fins de l’évaluation des connaissances générales courantes requises pour les questions d’antériorité et d’évidence – dates des revendications (documents de priorité)

[123]       Le critère juridique applicable aux revendications prioritaires par rapport à une demande antérieure est établi à l’article 28.1 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, selon lequel la date de dépôt d’une demande de brevet (la « Date de la revendication ») est la date de dépôt de celle-ci (au sens de l’article 28), sauf si une demande de priorité est présentée en bonne et due forme fondée sur une ou plusieurs demandes déposées antérieurement. Pour qu’une date de priorité soit admissible, a) la demande de priorité doit avoir été déposée dans les 12 mois suivant la demande déposée antérieurement et b) l’objet que définit la revendication de la demande au moment de l’inscription nationale au Canada doit être divulgué dans l’application déposée antérieurement.

[124]       Les dates de revendication aux fins de l’examen des questions d’antériorité et d’évidence pour chaque brevet sont les suivantes :

  1. Brevet 467 : le 5 mars 1999
  2. Brevets 734 et 026 : le 26 septembre 2001

(2)               Connaissances générales courantes

[125]       Les connaissances générales courantes sont celles qui sont attendues d’une personne moyennement versée dans l’art à la date de la revendication aux fins de l’analyse des questions d’antériorité et d’évidence, ainsi qu’à la date de la publication du brevet pour ce qui est de l’interprétation de ses revendications.

[126]       La Cour définit en quoi devraient consister les connaissances générales courantes dans la décision Eli Lilly and Company v. Apotex Inc., 2009 CF 991 [Eli Lilly 2009], conf. par 2010 CAF 240, au paragraphe 97 (adoptée de l’arrêt General Tire & Rubber Co v Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457 (UKHL), aux pages 482 et 483) :

1) Les connaissances générales courantes se distinguent de ce que le droit des brevets considère comme des connaissances publiques. Les connaissances publiques sont théoriques et englobent chacun des mémoires descriptifs publiés, peu susceptible d’être consulté, quelle que soit la langue dans laquelle il est rédigé. Par ailleurs, les connaissances générales courantes sont dérivées d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art, qui existerait réellement et qui ferait bien son travail.

2) Les connaissances générales courantes englobent les mémoires descriptifs qui sont bien connus de ceux qui sont versés dans l’art. Dans certains secteurs d’activités, la preuve peut indiquer que tous les mémoires descriptifs de brevets font partie des connaissances pertinentes.

3) Les connaissances générales courantes n’incluent pas forcément des documents scientifiques, peu importe le tirage ou le lectorat d’un article en particulier. La divulgation dans un article scientifique devient une connaissance générale courante lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée sans hésitation par la majorité de ceux qui pratiquent l’art en question.

4) Ne constitue pas une connaissance générale courante un élément qui a fait l’objet d’un écrit, mais qui n’a jamais dans les faits été utilisé dans un art en particulier.

[127]       Pour ce qui est de la démarche à suivre pour établir la teneur des connaissances générales courantes, la juge Johanne Gauthier a cité Simon Thorley et al., Terrell on the Law of Patents, 16e éd. (Londres, Sweet & Maxwell, 2006), au paragraphe 100 de la décision Eli Lilly 2009, précitée :

[traduction] La preuve des connaissances courantes est présentée par des témoins compétents pour parler de la question et qui, pour ajouter à leurs propres souvenirs, peuvent s’appuyer sur des travaux standard sur le sujet qui ont été publiés à l’époque et qu’ils connaissaient. Afin de répondre à la question de savoir si une chose appartient aux connaissances générales courantes, il faut d’abord et avant tout examiner les sources auprès desquelles le destinataire versé dans l’art aurait pu obtenir ces renseignements.

La publication d’autres documents tels que le mémoire descriptif du brevet à la date pertinente ou avant celle-ci peut dans une certaine mesure être une preuve prima facie tendant à montrer que les déclarations que contenaient les documents faisaient partie des connaissances courantes, mais cette preuve est loin d’être une preuve complète, car les déclarations peuvent avoir été discréditées ou oubliées ou simplement ignorées. Il est cependant possible de présenter une preuve pour démontrer que ces déclarations sont en effet venues à faire partie des connaissances courantes.

[128]       M. Sorem a déclaré qu’il doutait qu’une personne moyennement versée dans l’art puisse avoir de l’expérience à la fois dans le domaine du forage de puits de pétrole et dans celui de la production; dans cette optique, les brevets 224 et 843 de Burton n’auraient pas fait partie des connaissances générales courantes. Selon M. Sorem, une personne moyennement versée dans l’art de l’ancrage des pompes RHE ne chercherait pas une solution du côté des techniques de forage latéral. Il a aussi établi une distinction entre les domaines d’invention en soulignant que les brevets de Burton portent sur l’ancrage dans un trou ouvert, alors que les brevets d’API portent sur l’ancrage dans un puits de forage gainé.

[129]       Je ne suis pas convaincu par le témoignage de M. Sorem sur ce qui constitue les connaissances générales courantes durant la période pertinente. Pour leur part, MM. Wooley et Skoczylas avancent qu’une personne moyennement versée dans l’art aux périodes pertinentes aurait eu une expérience et une connaissance certaines à la fois des activités de forage et de production, ou aurait du moins su où chercher des solutions aux problèmes en se référant à l’un ou l’autre de ces domaines d’activité.

[130]       Si l’on se fie aux témoignages des témoins experts, les connaissances générales courantes à la date de la revendication du brevet 467 (mars 1999) auraient englobé :

  1. une connaissance générale des outils de forage utilisés pour les activités de production et de forage de puits de pétrole;
  2. le brevet 224 de Burton;
  3. le brevet 843 de Burton;
  4. le brevet 693 d’Aldridge;
  5. le brevet 239.

[131]       En outre, compte tenu des connaissances générales courantes à la date de revendication des brevets 734 et 026 (c.-à-d. en septembre 2001), une personne moyennement versée dans l’art aurait aussi compris :

  1. le brevet 467 et l’usage de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 pour la production de pétrole;
  2. l’art antérieur, tel qu’il est défini au paragraphe [130] ci-dessus.

(3)               Art antérieur

[132]       Les trois principaux brevets constituant l’art antérieur invoqué par les parties Excalibre sont le brevet 224 de Burton, le brevet 843 de Burton, et le brevet 693 d’Aldridge.

(a)                Le brevet 224 de Burton

[133]       Le brevet 224 de Burton a été déposé le 12 mai 1986 et délivré le 13 octobre 1987. Il expose une méthode et un appareil de forage latéral de puits de pétrole et de gaz au moyen d’un outil de forage directionnel qui empêche la rotation d’une tige au fond du puits. L’outil divulgué comporte des organes de rotation qui améliorent la technique de forage latéral; une colonne de tiges de forage souples reliée par un raccord souple à une masse-tige dotée d’un stabilisateur, et un trépan de forage rotatif.

[134]       L’outil antirotation du brevet 224 comporte un moyen extensible radialement qui engage les parois du puits de forage. Selon le brevet 224 de Burton, l’expression [traduction] « moyen d’engagement du puits de forage » désigne toute structure extérieure à la masse-tige cylindrique du côté opposé à celui vers lequel le trou central est déplacé. Dans une réalisation divulguée, le moyen d’engagement du trou de forage extensible radialement est constitué de plusieurs ergots à ressort en acier, qui sont fixés longitudinalement à la masse-tige et qui déplacent l’outil contre la paroi latérale du trou de forage.

(b)               Le brevet 843 de Burton

[135]       Le brevet 843 de Burton a été déposé le 2 juillet 1987 et délivré le 26 avril 1988. Le brevet 843 de Burton expose également une méthode et un appareil de forage latéral de puits de pétrole et de gaz au moyen d’un outil de forage directionnel qui empêche la rotation des autres outils du forage. Ce brevet divulgue l’usage d’au moins un nouvel organe excentrique doté d’un moyen d’engagement de la paroi latérale qui est relié à l’extrémité inférieure, ou monté sur sa circonférence, de la colonne de tiges de forage souples directement sur le raccord souple à la masse-tige.

[136]       L’outil divulgué dans le brevet 843 de Burton est essentiellement semblable à celui du brevet 224 de Burton, mais le premier comporte des ressorts qui sollicitent chacun des ergots vers l’extérieur.

(c)                Le brevet 693 d’Aldridge

[137]       Le brevet 693 d’Aldridge a été déposé le 9 avril 1997 et délivré le 13 juin 2000. Il divulgue une ancre de couple.

[138]       Le système d’ancrage d’Aldridge est composé d’une tige centrale et d’un ensemble de résistance autour de celle-ci. Lorsque la tige entre en rotation, les coins de retenue en position rentrée sont tirés en position déployée afin d’engager le cuvelage et de bloquer la rotation. Les coins de retenue pivotent sur un arc et s’appuient contre les côtés inclinés pour bloquer la rotation. Le logement est doté d’au moins deux coins de retenue.

D.                Termes des revendications nécessitant une interprétation

[139]       Les experts sont d’accord pour dire que la majorité des termes utilisés dans les brevets d’API peuvent être interprétés selon leur sens habituel. Toutefois, la Cour a dû interpréter quatre termes contestés : « tubulaire »; « logement [boîtier ou carter] »; [traduction] « paroi d’engagement du cuvelage »; [traduction] « première butée et deuxième butée ».

(1)               Tubulaire

[140]       Les experts ne sont pas d’accord sur la question de savoir si le terme [traduction] « tubulaire » s’entend d’un corps creux d’une forme quelconque, ou d’un corps creux obligatoirement cylindrique. Dans les revendications indépendantes 1, 8 et 16 du brevet 467, les revendications indépendantes 1 et 16 du brevet 734, ainsi que la revendication indépendante 1 du brevet 026, il est question d’un logement [boîtier ou carter] « tubulaire » aux fins de suspension dans un logement de puits de forage.

[141]       M. Sorem a fait valoir que le terme [traduction] « tubulaire » ne désigne pas une forme en particulier, mais plutôt un corps creux dont les deux extrémités sont ouvertes. Selon lui, le cuvelage peut être rectangulaire, ovale, ou d’une autre forme.

[142]       À l’inverse, MM. Wooley et Skoczylas ont soutenu tous les deux que dans les puits de pétrole et de gaz, le cuvelage est toujours cylindrique. M. Skoczylas a ajouté que dans les diverses branches du génie, le terme [traduction] « tubulaire » désigne généralement des objets de section circulaire et dont le corps est creux. À son avis, la plupart des ingénieurs prendraient la peine de préciser la forme d’un tube non cylindrique, et tiendraient pour acquis qu’il est cylindrique s’il n’est pas précisé qu’il en est autrement. M. Skoczylas n’a relevé aucune indication qui permettrait de penser que les inventeurs des brevets d’API auraient pu envisager que le « logement [boîtier ou carter] tubulaire » n’était pas essentiellement cylindrique.

[143]       Dans le cas des ancres de couple qui sont décrites dans les brevets d’API, et compte tenu de l’interprétation téléologique du terme, je suis d’accord avec les experts d’Excalibre pour dire que le terme tubulaire s’entend d’un objet creux, cylindrique, de section essentiellement circulaire.

(2)               Logement [boîtier ou carter]

[144]       Les experts ne se sont pas entendus sur le sens que donnerait une personne moyennement versée dans l’art au terme « logement [boîtier ou carter] ». Plus particulièrement, leur désaccord tenait à la question de savoir si des éléments saillants et amovibles doivent être considérés comme faisant partie intégrante du « logement [boîtier ou carter] » malgré une fixation rigide.

[145]       Les revendications indépendantes 1, 8 et 16 du brevet 467, les revendications indépendantes 1 et 16 du brevet 734, ainsi que la revendication indépendante 1 du brevet 026 mentionnent un « logement [boîtier ou carter] » tubulaire aux fins de suspension dans le cuvelage du puits, dont une extrémité au moins est reliée par raccord fileté à l’outil de forage.

[146]       M. Sorem a soutenu que le logement [boîtier ou carter] englobait toute partie fixée à l’extérieur du corps de l’outil, et constituait un composant permanent de l’outil en conditions de fond. Selon lui, cela inclut toutes les parties qui sont censées rester immobiles une fois l’outil assemblé, peu importe si elles sont fixées au logement par usinage, soudure ou boulonnage. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Sorem a convenu que les coins de retenue rigides peuvent être enlevés de l’ancre de couple CTA lorsque l’outil est dans la section supérieure du puits, mais qu’ils sont toujours fixés en conditions de fond.

[147]       Dans son interprétation des revendications du brevet d’API qu’il a appliquée à son analyse de la contrefaçon, M. Sorem soutient qu’une personne moyennement versée dans l’art comprendrait que l’ancre de couple fonctionne de telle façon que la mâchoire presse la paroi, ou les parois du logement contre le cuvelage. Il s’ensuit qu’une ou des parties immobiles du logement, y compris tout composant qui y est fixé, vont se ranger contre le cuvelage face à la mâchoire.

[148]       M. Skoczylas a quant à lui expliqué que dans le domaine du génie, et notamment en ce qui concerne les outils de fond, le « logement [boîtier ou carter] » est quelque chose où d’autres composants sont [traduction] « logés » ou placés. À son avis, une personne moyennement versée dans l’art ne considérerait pas les éléments saillants qui sont fixés au logement [boîtier ou carter] comme en faisant partie, mais plutôt comme des éléments distincts et autonomes. Au cours du contre-interrogatoire, il a nuancé sa thèse en expliquant qu’il fallait distinguer les [traduction] « parties saillantes » et les parties fraisées, qui selon lui font partie intégrante du logement [boîtier ou carter].

[149]       M. Skoczylas souligne que le terme « logement » est utilisé dans le brevet canadien no 2 238 910 (le brevet 910), connu selon lui d’une personne moyennement versée dans l’art à la date pertinente de l’interprétation. Dans le brevet 910, l’inventeur affirme dans l’abrégé qu’une « mâchoire fixe […] fait saillie vers l’extérieur depuis le logement ». M. Skoczylas estime que cette utilisation du terme « logement » ne correspond pas à l’interprétation que propose M. Sorem, et qu’une personne moyennement versée dans l’art ne déduirait pas qu’un élément saillant « fixe » ferait partie intégrante du logement.

[150]       Il soutient qu’une personne moyennement versée dans l’art ne penserait pas qu’un élément saillant fait partie intégrante du logement, en s’appuyant sur le fait que le moyen de centralisation utilisé dans le système d’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 ne fait pas appel à des coins de retenue, même s’ils offrent un moyen plus facile et moins cher de centralisation.

[151]       Lors de son contre-interrogatoire, M. Skoczylas a confirmé que ses conclusions à propos du terme « logement [boîtier ou carter] » reposaient sur le dossier des antériorités déposé par l’avocat des parties Excalibre et ses propres connaissances générales aux dates pertinentes. Il a admis qu’il n’avait pas fait ses propres recherches sur l’utilisation du terme « logement » dans les antériorités.

[152]       Bien que la Cour ait à plusieurs reprises mis en garde les parties et les avocats de ne pas confiner les témoignages d’expert au matériel fourni par les avocats pour préserver l’indépendance de l’expert appelé à donner une opinion, la situation en l’espèce diffère de celle qui était en cause dans les décisions Astrazeneca Canada c. Apotex Inc., 2015 CF 322 [Astrazeneca 2015], et Uponor AB v Heatlink Group Inc and Pexcor Manufacturing, 2016 FC 320 [Uponor]. Dans ces décisions, les experts ont fondé leur analyse de l’évidence uniquement sur les documents fournis par l’avocat (voir la décision Uponor, précitée, aux paragraphes 203 et 204). Lors d’une analyse de l’évidence, il existe un risque réel que l’opinion soit formée a posteriori si l’art antérieur est abordé de manière sélective. Néanmoins, l’interprétation d’un terme participe d’une évaluation rétrospective des connaissances attendues d’une personne moyennement versée dans l’art à la date pertinente, et suppose forcément une étape de sélection de l’art antérieur normalement inclus dans les connaissances générales courantes de cette personne.

[153]       Les parties API ont fait valoir qu’une personne moyennement versée dans l’art connaîtrait beaucoup plus de modèles d’ancres de couple que ceux auxquels M. Skoczylas a fait allusion. Elles ne contredisent cependant pas que les brevets sur lesquels se fonde M. Skoczylas font partie des connaissances générales courantes. Par conséquent, même s’il pouvait être loisible à M. Skoczylas d’interpréter le terme « logement » en se fondant sur le dossier d’antériorité fourni par l’avocat et ses propres connaissances à la date pertinente aux fins de l’interprétation de la revendication, il aurait été préférable qu’il mène ses propres recherches sur les antériorités pertinentes, et son opinion à cet égard aurait été plus valable. J’accorderai donc peu de poids à son opinion sur cette question.

[154]       M. Sorem propose une interprétation alambiquée du terme « logement », qui témoigne d’une mauvaise compréhension du fonctionnement de l’outil si l’on se fie à la Description détaillée des réalisations préférentielles du brevet 467. Voici un extrait du brevet 467 (lignes 13 à 20, à la page 7) :

[traduction] En état de marche, et tel que le montre la figure 5a […] La paroi du boîtier 4 se déplace et engage le cuvelage 6 face à la mâchoire 4 afin d’ancrer et de stabiliser l’outil. […] [L]a dimension globale de la mâchoire déployée 5 et du boîtier 1 est supérieure au diamètre du cuvelage 6, de sorte que le contact de la pointe du bout radial 11 avec le cuvelage 6 presse le boîtier contre le cuvelage face à la mâchoire.

[155]       Sur la figure 5a, on peut voir que la paroi du boîtier de l’outil est une surface assez lisse et arrondie. Par conséquent, développer l’interprétation des revendications du brevet 467 afin d’inclure un ou plusieurs éléments fixes du boîtier, autres que la surface arrondie du boîtier, mais plutôt des éléments saillants qui créent un contact avec le cuvelage ne fait pas partie des interprétations raisonnables et téléologiques qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait données au terme « boîtier » aux dates de publication pertinentes des brevets d’API.

[156]       Enfin, la Cour observe que dans la Description détaillée des réalisations préférentielles de l’invention du brevet 467, l’inventeur déclare que [traduction] « le rangement du boîtier de l’outil 1 et de l’outil de fond associé (pompe RHE) contre le cuvelage 6 constitue un net avantage ».

[157]       Donc, si l’on tient compte des témoignages des experts, du contexte de la technologie et d’une interprétation téléologique du terme, le « boîtier » correspond au corps tubulaire de l’outil, qui n’inclut pas les éléments saillants amovibles empêchant un côté de l’outil de fond relié d’engager le cuvelage. Plus particulièrement, les éléments saillants qui ne sont pas fixés de manière permanente au corps central ne doivent pas être considérés comme faisant partie intégrante du « logement [boîtier ou carter] » tel que le terme s’entend dans les brevets d’API.

(3)               Paroi d’engagement du cuvelage

[158]       Les experts ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la paroi d’engagement du cuvelage se limite au côté arrondi du logement [boîtier ou carter] ou si elle inclut les éléments qui font saillie à partir du logement [boîtier ou carter]. Ils ne sont pas non plus d’accord sur la question de savoir si la paroi d’engagement du cuvelage doit se trouver directement face à la mâchoire, ou s’il peut s’agir de toute surface distincte de la mâchoire qui entre en contact avec le cuvelage.

[159]       Les revendications indépendantes 1, 8 et 16 du brevet 467, les revendications indépendantes 1 et 16 du brevet 734, ainsi que la revendication indépendante 1 du brevet 026 mentionnent une [traduction] « paroi d’engagement du cuvelage » face au logement à partir du point de pivotement de la mâchoire.

[160]       Selon M. Sorem, aucune forme ou caractéristique particulière n’est rattachée à l’expression [traduction] « paroi d’engagement du cuvelage » (la paroi d’engagement du cuvelage n’a pas forcément une surface arrondie). À son avis, une personne moyennement versée dans l’art comprendrait qu’une réalisation de l’outil défini dans les brevets d’API est munie d’une mâchoire mobile d’un côté qui entre en contact avec le cuvelage, et qu’une ou plusieurs parties immobiles du logement entrent en contact avec le cuvelage face à la mâchoire.

[161]       M. Skoczylas n’est pas d’accord avec l’affirmation de M. Sorem selon laquelle aucune forme ou caractéristique particulière n’est attribuée à la « paroi » du logement [boîtier ou carter]. M. Skoczylas se fonde sur la norme 5CT de l’American Petroleum Institute, Specification for Casing and Tubing (6e édition, publiée en octobre 1998), qui selon lui établit que la définition du terme [traduction] « paroi » est évidente. Il estime qu’une personne moyennement versée dans l’art considérerait que le terme « paroi » est évident et qu’en lisant [traduction] « logement tubulaire doté d’une paroi », cette personne déduirait que la paroi du logement [boîtier ou carter] en question désigne un côté sensiblement arrondi de celui-ci. Si les éléments saillants étaient considérés comme faisant partie intégrante de la paroi d’engagement du cuvelage, argue-t-il, il serait difficile de savoir si l’engagement du cuvelage est initié par ces éléments ou par la paroi de la partie tubulaire arrondie du corps de l’outil.

[162]       M. Skoczylas ajoute que sous la rubrique [traduction] « Contexte de l’invention » du brevet 467, il est précisé aux lignes 19 à 21 que le mouvement du stator de la pompe RHE est [traduction] « souvent facilité ou bloqué uniquement par les coins de retenue de l’outil » lorsque des ancres de couple utilisées pour bloquer la rotation ne sont pas des ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467. Il estime que cela montre que l’inventeur du brevet 467 considère que son outil (qui engage le cuvelage par l’intermédiaire de la paroi et non de coins de retenue ou d’autres éléments saillants) perfectionne l’art antérieur.

[163]       Compte tenu des témoignages des experts et des mémoires descriptifs des trois brevets en litige, et compte tenu de son interprétation téléologique, je conclus que l’expression [traduction] « paroi d’engagement du cuvelage » désigne la surface sensiblement arrondie du logement tubulaire face à la mâchoire.

(4)               « Première butée » et « seconde butée »

[164]       La revendication indépendante 1 du brevet 026 fait état d’une [traduction] « première butée se forme à la base de la mâchoire » et d’une [traduction] « seconde butée se forme dans la paroi du logement à la charnière ». Les experts ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la [traduction] « butée » divulguée dans le brevet 026 (la « butée du brevet 026 ») est forcément différente des deux points – un sur la mâchoire et l’autre sur le logement – dont le contact limite l’amplitude de rotation à la charnière reliant la mâchoire au logement (la « butée de charnière »). Ils ne sont pas d’accord relativement à la question de savoir si la butée du brevet 026 formée par le contact de la [traduction] « première butée » et de la [traduction] « seconde butée » remplit une fonction différente de celle de la butée de charnière.

[165]       La revendication 1 du brevet 026 mentionne que la [traduction] « première et la seconde butées agissent solidairement pour limiter l’amplitude du pivotement de la mâchoire et permettre que le diamètre effectif de l’outil augmente jusqu’à excéder le diamètre du cuvelage ». Dans la Description détaillée des réalisations préférentielles de l’invention, la fonction des deux butées est décrite comme suit :

[traduction] bloquer le pivotement de la mâchoire 105 pour restreindre l’amplitude de la rotation radiale de celle-ci vers l’extérieur à partir du carter 1, ce qui renforce l’outil 10 dans son ensemble et prévient les dommages dus à l’utilisation de clés à commande hydropneumatique ou d’autres outils semblables durant l’assemblage de l’outil 10 à l’extrémité d’une colonne de production ou d’un outil de forage en particulier.

[166]        Selon M. Wooley, une personne moyennement versée dans l’art devrait comprendre que la butée de charnière de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 fonctionne de la même manière que la butée du brevet 026, mais il reconnaît néanmoins que son emplacement ne lui permettrait pas de limiter le pivotement de la mâchoire tel qu’il est décrit dans le brevet 026. À son avis, étant donné que la limitation de l’amplitude de pivotement est la seule fonction attribuée à la butée du brevet 026 dans la revendication 1 du brevet 026, une personne moyennement versée dans l’art aurait déduit que les termes [traduction] « première butée » et [traduction] « seconde butée » incluent l’obstruction créée par la butée de charnière.

[167]       M. Skoczylas est d’accord pour dire qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait compris, à la date pertinente, que la [traduction] « première butée » est un composant de la mâchoire qui n’a pas de forme ou d’orientation particulières, et que la [traduction] « seconde butée » est un composant du logement qui n’a pas non plus de forme ou d’orientation particulières, puisque cette information est donnée à l’égard de l’art antérieur. Il ne souscrit toutefois pas à l’affirmation selon laquelle la butée du brevet 026 est distincte de la butée de charnière, bien qu’il admette que leurs caractéristiques géométriques sont différentes. Selon lui, la seule distinction entre les butées de charnière décrites dans les antériorités et la butée du brevet 026 tient au choix des inventeurs du brevet 026 de placer la [traduction] « première butée » à la base plutôt que sur le côté de la mâchoire.

[168]       Lors de son témoignage, M. Sorem a insisté pour distinguer la fonction de la butée du brevet 026, qui est le résultat de l’action solidaire de la [traduction] « première butée » et de la [traduction] « seconde butée », de l’obstruction créée par la butée de charnière. Selon son interprétation de la description faite de la [traduction] « première butée », celle-ci est un composant de la mâchoire dont la forme et l’orientation ne sont pas précisées. De même, d’après ce qu’il a compris de la description de la [traduction] « seconde butée », celle-ci n’a pas de forme ou d’orientation particulières, et elle se trouve au point du carter où la mâchoire y est reliée par la charnière. Enfin, M. Sorem a affirmé que la butée du brevet 026 doit contribuer à renforcer la mâchoire en plus d’en limiter le pivotement.

[169]       Tous les experts ont convenu que les butées de charnière font partie des connaissances générales courantes (par exemple, le brevet canadien no 2 177 726 et le brevet 693 d’Aldridge). MM. Wooley et Skoczylas ont soutenu qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait interprété les termes [traduction] « première butée » et [traduction] « seconde butée » en tenant compte de cette antériorité. Les experts d’Excalibre ont cependant fait valoir que la portée restreinte de la revendication 1 ne permet pas d’incorporer le renforcement de la mâchoire dans les caractéristiques de la butée du brevet 026, du moins si l’on interprète correctement les termes [traduction] « première butée » et [traduction] « seconde butée ». Cette approche montre qu’ils n’ont pas envisagé le mémoire descriptif du brevet 026 dans son contexte et dans un [traduction] « esprit désireux de comprendre ». En effet, le mémoire descriptif indique explicitement que le renforcement de la mâchoire contre les forces de couple dans la section supérieure du puits compte parmi les avantages de la butée du brevet 026.

[170]       À la lumière de l’ensemble de la preuve, je conclus que le terme [traduction] « première butée » tel qu’il est utilisé dans le brevet 026 englobe tout composant formé à la base de la mâchoire qui agit de façon solidaire avec la [traduction] « seconde butée » pour restreindre le pivotement de la mâchoire et la renforcer lorsque l’outil est dans la section supérieure du puits. Le terme [traduction] « seconde butée » englobe tout composant de la paroi du logement qui se trouve à la charnière et qui agit de façon solidaire avec la [traduction] « première butée » pour restreindre le pivotement de la mâchoire et la renforcer lorsque l’outil est dans la section supérieure du puits. La butée du brevet 026 est le résultat de l’engagement solidaire de la [traduction] « première butée » et de la [traduction] « seconde butée ».

X.                Propriété des brevets d’API

[171]       Les parties Excalibre n’ont pas présenté d’arguments ou produit de preuve pour contester la validité de la cession des brevets d’API à M. Weber, à M. Tessier et à M. Doyle. En fait, elles étaient d’accord pour dire que la cession était valide. Quoi qu’il en soit, compte tenu des éléments de preuve dont la Cour a été saisie, j’ai conclu que la cession des brevets d’API à M. Weber, à M. Tessier et à M. Doyle était valide.

XI.             Essais des ancres de couple TorqStopperMC

[172]       Les experts des deux parties ont mené des essais pour déterminer si les revendications du brevet des ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467 étaient invalides pour cause d’absence d’utilité. Cependant, tous les essais ont été effectués en laboratoire, et les experts ont fait peu d’efforts, voire aucun, pour reproduire les opérations et les conditions réelles dans lesquelles les ancres de couple sont utilisées dans les puits de pétrole. Par conséquent, la plupart des résultats d’essai ont peu de valeur probante, et la seule preuve convaincante de l’utilité des revendications du brevet 467 découle des témoignages des témoins des faits, MM. Van Metre et McGowan.

[173]       En l’espèce, des essais sur place auraient été forts à propos pour prouver l’utilité ou l’absence d’utilité de différentes ancres de couple, et notamment de l’efficacité véritable des ancres de couple faisant l’objet des brevets d’API en cause. Si les essais ne sont pas effectués sur place, les experts doivent tenir compte des applications pratiques d’une invention lorsqu’ils mettent au point des méthodes d’essai. Or, l’application pratique des ancres de couple s’est avérée pour le moins non concluante dans les essais menés par les deux parties, comme il est expliqué plus loin.

A.                Essais menés par les parties Excalibre dans les laboratoires de C-FER les 30 et 31 juillet 2014

[174]       Les essais ont été effectués dans les laboratoires de C-FER, situés à Edmonton, en Alberta, le 30 juillet 2014 (« essais de C-FER de 2014 »). Ces essais, menés pour le compte des parties Excalibre, visaient à déterminer si le brevet 467 expose toutes les caractéristiques qu’une personne moyennement versée dans l’art devrait connaître pour utiliser l’invention divulguée par le brevet 467, et si l’invention fonctionne. Plus particulièrement, les essais ont été conçus pour évaluer si l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 fonctionnerait adéquatement sans le ressort de sollicitation qui est divulgué dans les brevets ultérieurs 734 et 026. La procédure et les résultats détaillés des essais de C-FER de 2014 sont décrits dans le rapport d’expert de M. Wooley.

[175]       Les essais de C-FER de 2014 ont porté sur trois versions d’ancre de couple TorqStopperMC : deux des essais ont été menés avec des outils usagés TorqStopperMC fournis par les parties Excalibre, soit d’anciens modèles d’ancres de couple TorqStopperMC TX5-2 (sans ressort et avec ressort), et un modèle plus récent d’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 (avec ressort). Les deux modèles usagés des outils TorqStopperMC TX5-2 portaient des marques indiquant qu’ils avaient été montés et utilisés dans un puits. L’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 avait été achetée neuve par les parties Excalibre et fournie par les parties API en vue des essais. M. Tessier, représentant les parties API, a assisté aux essais de C-FER de 2014 et n’a pas remis en cause l’authenticité des outils TorqStopperMC.

[176]       En tout, 22 essais ont été réalisés, soit deux essais dans l’air de l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-2 usagée (sans ressort); trois essais dans l’air de l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-2 usagée (avec ressort); huit essais dans l’air de l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-2 usagée (ressort enlevé); 5 essais dans l’air de l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 (ressort enlevé); et quatre essais dans du pétrole de l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 (ressort enlevé). Pour effectuer les essais, les opérateurs avaient vissé les outils TorqStopperMC en question à un joint de tube court, puis descendu l’ensemble outil-tube dans un cuvelage. Une fois à l’intérieur du cuvelage, l’outil a été mis en rotation, à raison d’un tour vers la gauche (sens inverse des aiguilles d’une montre), suivi de cinq tours vers la droite (sens des aiguilles d’une montre). Pour neuf des essais, les opérateurs ont centré l’ensemble outil-tube dans le cuvelage au moyen d’un roulement à billes. Ils ont également effectué des essais en maintenant le cuvelage à la verticale, puis l’inclinant successivement de 5, 10 et 28 degrés par rapport à la verticale.

[177]       Lorsque l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-2 munie d’un ressort était tournée vers la droite, la mâchoire engageait très rapidement le cuvelage. Toutefois, une rotation vers la droite n’entraînait pas de contact entre le cuvelage et l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-2 (sans ressort) et les ancres de couple TorqStopperMC TX5-2 et TorqStopperMC TX5-3 (ressorts enlevés). Les opérateurs ont fait faire cinq tours au maximum à chacun des outils et ont maintenu une vitesse de rotation constante.

[178]       Le 31 juillet 2014, d’autres essais ont été réalisés aux laboratoires de C-FER afin de déterminer si l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3, dont le ressort avait été enlevé, se comporterait différemment à un angle de 90 degrés par rapport à la verticale et dans un cuvelage contenant du pétrole. Les résultats des essais indiquent que l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 dont le ressort avait été enlevé n’engageait pas le cuvelage si elle était placée en position horizontale.

[179]       M. Sorem a critiqué le protocole des essais de C-FER de 2014, notamment parce que les outils n’ont pas été soumis à des essais de contrôle, dont le but est de vérifier l’état de fonctionnement et la mise en place. Comme aucun essai de contrôle n’a été réalisé et que la mise en place n’a pas été vérifiée pour aucun des outils, il a remis en doute la fiabilité de la procédure d’essai.

[180]       Je suis d’accord pour dire que les essais de 2014 de C-FER offrent peu de valeur probante. Lors du contre-interrogatoire, M. Wooley a reconnu que l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-2 sans ressort avait été sortie d’un puits et que la capacité de mise en place n’avait pas été vérifiée, de sorte qu’il est possible qu’une défectuosité en ait empêché la mise en place. Comme il n’a pas envisagé ou tenté de reproduire les conditions réelles d’un puits, il est difficile de tirer des conclusions fondées sur les essais quant au fonctionnement des ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467 sur le terrain. La vitesse de rotation de l’outil lors des essais a aussi soulevé d’importantes réserves. Selon les témoignages d’opérateurs de matériel de forage devant la Cour, les essais de C-FER de 2014 ont été réalisés à des vitesses très lentes non représentatives des opérations de mise en place sur le terrain. Le fait que M. Wooley a choisi une vitesse d’essai beaucoup plus lente que celle qu’utilisent ou pourraient utiliser les opérateurs pour la mise en place des ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467 constitue une faille importante de la méthode d’essai. La valeur probante des résultats des essais est conséquemment très faible, voire inexistante, pour ce qui est de déterminer si les trois outils utilisés lors des essais conçus par M. Wooley et réalisés dans les laboratoires de C-FER auraient pu être mis en place dans d’autres conditions.

[181]       Enfin, lors du visionnement d’une vidéo sur l’ancre de couple TorqStopperMC sans ressort au cours de l’interrogatoire principal, M. Wooley a déclaré ce qui suit : [traduction] « il n’est pas étonnant que les modèles munis d’un ressort de sollicitation et de plus petites mâchoires ne se mettent pas [en place lorsque le ressort est enlevé] [...] »; [TRADUCTION] « il va de soi que le modèle TX5-2 ne peut pas se mettre en place sans sollicitation du ressort [...] »; [TRADUCTION« comme on pouvait s’y attendre, [l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-2 centrée au moyen d’un roulement à billes] ne se met pas en place après avoir tourné à droite ». Ces observations indiquent que M. Wooley n’a pas abordé les essais de 2014 de C-FER dans un [traduction] « esprit désireux de comprendre », mais plutôt en ayant une vision préconçue du résultat qu’il tentait de prouver, c’est-à-dire l’absence d’utilité des revendications du brevet 467 et de l’outil qui en est la réalisation. Sa propension à chercher les réponses confirmant ce qu’il tentait de démontrer dénote une approche biaisée des essais expérimentaux.

B.                 Essais menés dans les installations d’API le 12 janvier 2015

[182]       M. Sorem a effectué des essais d’utilité de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 aux installations d’API le 12 janvier 2015 (les « essais d’API »). L’objet de ces essais consistait à démontrer la capacité de mise en place de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467. La procédure et les résultats détaillés des essais sont exposés dans le rapport sur la validité de M. Sorem.

[183]       Pour effectuer les essais, les opérateurs ont fixé l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à un tube maintenu dans la partie supérieure du cuvelage au moyen d’un manchon fendu qui facilitait la rotation de l’outil à très faible couple. L’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 a été tournée vers la droite pour la [traduction« mise en place » et, après chaque [traduction] « mise en place », l’opérateur appliquait la pression la plus forte possible pour s’assurer qu’elle était en place.

[184]       Des essais à sec ont été réalisés pour vérifier comment l’outil se mettait en place à différents angles (incréments d’inclinaison de 30 degrés depuis la position horizontale jusqu’à la verticale). L’outil a aussi été mis à l’essai dans de l’huile, en position verticale et à un angle de 30 degrés par rapport à la verticale (outil immergé dans un cuvelage rempli d’huile pour engrenages Pennzoil Gearplus 80W-90 GL-5).

[185]       À chacun des essais, la mise en place et l’ancrage de l’outil ont nécessité moins d’une rotation ou d’une demi-rotation. Les essais d’API ont montré qu’une ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 pouvait se mettre en place dans les conditions d’essai, et qu’elle empêcherait la rotation d’un outil de forage dans le cuvelage dans les mêmes conditions.

[186]       Cependant, M. Sorem a affirmé qu’il n’avait pas discuté avec M. Tessier de la question de la vitesse de rotation ou d’une plage de vitesses de rotation de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 durant les essais. M. Sorem a plutôt choisi [traduction] « la vitesse la plus rapide qu’un opérateur pourrait obtenir en utilisant une clé à chaîne ». Au cours de son contre-interrogatoire, il a admis qu’il n’avait pas fait de recherches sur le protocole type de mise en place d’une ancre de couple sur le terrain; il s’en est tenu au protocole établi par M. Tessier pour réaliser les essais d’API. De plus, concernant ses déclarations selon lesquelles les responsables des essais de C-FER en 2014 avaient utilisé une vitesse de rotation de l’ancre de couple TorqStopperMC [traduction] « arbitrairement lente », il a concédé qu’il n’avait pas de cadre de référence quant à la vitesse appropriée pour assurer la mise en place. Sa seule référence était la vitesse appliquée lors des essais d’API, qui avait été dictée par M. Tessier.

[187]       Tout comme les essais de C-FER de 2014, j’estime que les tests d’API ont peu de valeur probante. M. Sorem n’a pas vérifié si la méthode d’essai correspondait aux conditions réelles et il n’a pas mené ses propres recherches sur la méthode de mise en place d’une ancre de couple type sur le terrain. Il a même déclaré que la méthode d’essai avait été décrétée en grande partie par M. Tessier. De plus, M. Sorem n’a fait aucun calcul pour établir la vitesse de rotation nécessaire à la mise en place des outils. Au vu de ces essais, il est difficile de savoir avec certitude si la mise en place d’une ancre de couple TorqStopperMC de brevet 467 est possible dans un puits de pétrole.

C.                 Essais de démonstration menés par C-FER le 13 janvier 2015

[188]       Des essais de démonstration ont été réalisés dans les laboratoires de C-FER le 13 janvier 2015. L’objet de ces essais consistait à déterminer si l’ajout de coins de retenue à l’ancre de couple TorqStopperMC influait sur son fonctionnement et si le retrait des coins de retenue de la version 6 de l’ancre de couple CTA (« CTA 6) influait sur son fonctionnement. La procédure et les résultats détaillés des essais sont exposés dans le rapport d’expert de M. Skoczylas.

[189]       M. Skoczylas a réalisé les essais avec l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 que M. Wooley avait utilisée lors des essais de C-FER de 2014, ainsi qu’avec une ancre de couple CTA 6. L’engagement des outils dans le cuvelage a été contrôlé selon la même procédure que celle qui avait été utilisée pour les essais de C-FER de 2014.

[190]       Les essais de l’ancre de couple CTA 6 ont montré que la mâchoire ne se plaçait pas en position « rangée », tel qu’il est décrit dans le brevet 467, lorsque l’outil était tourné vers la gauche (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre) dans le cuvelage. Au contraire, la mâchoire était entièrement pressée contre la paroi du cuvelage. Lorsque les coins de retenue ont été retirés de l’ancre de couple CTA 6 et qu’elle a été tournée vers la droite (dans le sens des aiguilles d’une montre), elle ne s’est pas mise en place. De même, la mise en place a échoué lorsque les coins de retenue ont été réinstallés sur l’ancre de couple CTA 6 et que les ressorts de la mâchoire ont été retirés.

[191]       Lors de l’essai de l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 dans le cuvelage, elle tournait librement vers la gauche (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre) et se mettait en place rapidement avec une rotation à droite (dans le sens des aiguilles d’une montre). Pour déterminer si les coins de retenue pourraient remplacer le logement [boîtier ou carter] arrondi et relativement lisse, M. Skoczylas a fraisé des encoches dans le logement [boîtier ou carter] de l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 et y a transféré les coins de retenue de l’ancre de couple CTA 6. Cette configuration ne permettait pas d’insérer une ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 dans le cuvelage.

[192]       Là encore, l’essai est d’une valeur probante limitée en raison de la méthodologie utilisée. Les essais ne valident aucune des thèses de M. Skoczylas relativement aux effets significatifs de l’ajout de coins de retenue à l’ancre de couple TorqStopperMC, et ils n’élucident aucune de ses allégations de contrefaçon. Les paramètres trop stricts des essais empêchent la Cour de tirer des conclusions quant à l’incidence de l’ajout de coins de retenue sur le fonctionnement d’une ancre de couple TorqStopperMC dans un puits de pétrole.

XII.          Principes du droit se rapportant à l’utilité, à l’antériorité, à l’évidence et à la contrefaçon

A.                Utilité

[193]       Selon l’article 2 de la Loi sur les brevets, l’objet d’un brevet doit présenter à la fois le caractère de la nouveauté et celui de l’utilité. Le principe général veut que, à la date du dépôt, l’utilité de l’invention doit avoir été démontrée ou avoir fait l’objet d’une prédiction valable (arrêt Eli Lily Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, au paragraphe 74 [Eli Lily 2010]). À la page 525 de l’arrêt Consolboard, précité, la Cour suprême du Canada reprend la définition de l’utilité établie dans Halsbury’s Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la page 59 :

[traduction] [inutile] signifie que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera [...] ce n’est pas l’utilité pratique de l’invention ni son utilité commerciale qui importe à moins que le mémoire descriptif ne laisse prévoir une utilité commerciale, il n’importe pas plus que l’invention apporte un avantage réel au public ni qu’elle soit particulièrement adaptée au but visé.

[Les notes en bas de pages ont été omises.]

[194]       Même si les questions liées à la « promesse du brevet » et de l’utilité peuvent se chevaucher, le critère relatif à l’utilité n’est pas le même que celui lié à la « promesse du brevet ». Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, la « moindre parcelle » d’utilité suffira pour une invention donnée (arrêt Eli Lily 2010, précité, au paragraphe 76).

B.                 Antériorité

[195]       Au paragraphe 25 de l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein a établi qu’il y avait divulgation antérieure si la réalisation d’un brevet antérieur contrefait nécessairement le brevet en cause. Il explique que tant la divulgation que le caractère réalisable sont requis pour qu’une référence à l’art antérieur ou qu’un emploi antérieur soit réputé antérieur à une revendication d’un brevet (arrêt Sanofi, aux paragraphes 26 et 27).

[196]       La divulgation et le caractère réalisable représentent deux exigences distinctes en matière d’antériorité. À l’étape de la divulgation, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet en cause (arrêt Sanofi, au paragraphe 25). Ainsi, la personne moyennement versée dans l’art qui lit le brevet antérieur doit, sans avoir à recourir à des essais successifs, comprendre s’il divulgue les avantages particuliers du brevet en cause (arrêt Sanofi, au paragraphe 32).

[197]       Pour ce qui est de l’exigence du caractère réalisable, la question est de savoir si la personne moyennement versée dans l’art serait en mesure de réaliser l’invention divulguée par le brevet antérieur en procédant par un nombre raisonnable d’essais successifs (arrêt Sanofi, au paragraphe 27). Au paragraphe 37 de l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein explique ce qui peut constituer un nombre raisonnable d’essais successifs :

Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle-ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. [...] L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

[198]       Dans l’arrêt Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, [1982] 2 RCS 536, la juge Wilson a établi à la page 549 que la découverte d’un usage nouveau d’une invention et réalisable en pratique est une « invention » au sens de la Loi sur les brevets. Un brevet n’est donc pas antériorisé s’il vise un usage différent de celui qui est divulgué dans le brevet prétendument antérieur.

C.                 Évidence

[199]       La Cour suprême du Canada a défini les quatre volets du critère de l’évidence au paragraphe 67 de l’arrêt Sanofi, qui suit la démarche énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] RPC 59 (C.A.), et reformulée par le lord juge Jacob dans l’arrêt Pozzoli SPA c. DBMO SA, [2007] FSR 37, [2007] EWCA Civ 588, au paragraphe 23 :

[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelconque inventivité?

[Je souligne.]

[200]       Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué (arrêt Sanofi, au paragraphe 68). La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de l’approche des arrêts Windsurfing/Pozzoli, et les éléments suivants, dont la liste n’est pas exhaustive, s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré (arrêt Sanofi, au paragraphe 69) :

1. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L’art antérieur fournit-elle [sic] un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[201]       Le critère de l’évidence n’est pas facile à satisfaire. Il faut montrer que la personne versée dans l’art en serait venue directement et sans difficulté à l’invention, et comme tout est toujours plus clair a posteriori, la Cour devrait examiner rigoureusement les références quant aux mesures avant de conclure qu’une invention est « évidente » (arrêt Bridgeview Manufacturing Inc. c. 931409 Alberta Ltd. (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188, aux paragraphes 50 et 51; arrêt Sanofi, précité, au paragraphe 85). La Cour doit s’assurer que la référence citée relativement au critère de l’évidence émane d’un technicien versé dans son art, qui ne possède toutefois aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination (Beloit Canada Ltd v Valmet OY (1986), 8 CPR (3d) 289, au paragraphe 294).

[202]       Enfin, comme l’a déclaré la juge Snider, à titre indicatif, au paragraphe 267 de l’arrêt Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 676, conf. par 2011 CAF 300 :

Comme l’a dit le juge Rothstein dans l’arrêt SanofiSynthelabo, l’évidence de l’« invention » doit s’apprécier. Il me semble toutefois que l’évaluation doit être axée sur l’« idée originale de la revendication en cause » plutôt que sur l’« invention » plus large qui peut être décrite dans le mémoire descriptif du brevet. Autrement, on aboutirait au résultat illogique qu’une conclusion d’évidence pourrait invalider toutes les revendications d’un brevet et non seulement les revendications en litige. Par conséquent, je commencerai mon analyse en posant comme principe que l’« invention » ou l’« idée originale » à examiner se limite aux « inventions » identifiées dans les revendications 1, 2, 3, 6 et 12.

D.                Contrefaçon

[203]       Il est établi que « le titulaire d’un brevet dispose d’un recours contre tout contrefacteur éventuel qui, sans s’approprier littéralement l’invention, s’approprie néanmoins l’essentiel de celle-ci (ou sa “substance”) » (arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 28). En revanche, il a été établi aussi que la Cour doit se garder d’interpréter les revendications d’un brevet si largement qu’elle attribue au titulaire les avantages d’inventions qui ne lui reviennent pas dans la réalité. Au paragraphe 30 de l’arrêt Free World Trust, le juge Binnie énumère les six propositions qui doivent être examinées pour assurer un résultat juste et prévisible de l’interprétation des revendications dans une analyse de contrefaçon :

  1. La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.
  2. Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.
  3. La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.
  4. Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.
  5. Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

a.       en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

b.      à la date à laquelle le brevet est publié;

c.       selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

d.      conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

  1. mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.
  2. Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

[204]       Ainsi, il incombe à la Cour d’arrêter l’interprétation téléologique des revendications d’un brevet afin de cerner l’étendue du monopole de son titulaire et ensuite d’établir si le produit que l’on prétend contrefait entre dans le champ desdites revendications (arrêt Mobil Oil Corp v Hercules Canada Inc (1995), 63 CPR (3d) 473, au paragraphe 489; arrêt Free World Trust, aux paragraphes 48 et 49).

XIII.       Le brevet 467

A.                Utilité

[205]       M. Sorem et M. Wooley ne sont pas d’accord quant au caractère utile de l’invention divulguée par le brevet 467.

[206]       M. Sorem estime que les essais d’API, dans lesquels l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 s’est engagée et ancrée chaque fois, devraient primer sur les essais de C-FER de 2014. En effet, les opérateurs d’API se sont assurés que l’outil tournait constamment à une vitesse raisonnable, alors que les opérateurs des essais C-FER de 2014 ont fait tourner l’outil à une vitesse qui, à son avis, était à la fois démesurément lente et inconstante. Il ne souscrit pas à la conclusion de M. Wooley selon laquelle [traduction] « il serait impossible dans des conditions réelles d’obtenir une vitesse de rotation plus rapide ou de faire faire plus de tours à l’outil pour le mettre en place ». Par ailleurs, M. Sorem a mis en doute la fiabilité de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 usagée qui a été utilisée pour les essais de C-FER en 2014 (TorqStopperMC TX5-2 sans ressort) parce qu’elle a été sortie d’un puits, et parce qu’il n’existe pas de registre indiquant où et quand l’outil a été obtenu, ni d’historique de maintenance.

[207]       Selon M. Sorem, les essais d’API et ceux qui ont été menés par M. Tessier à l’époque du dépôt de la demande de brevet ont montré qu’un outil intégrant l’invention du brevet 467 satisfait à l’exigence d’utilité. Toutefois, au cours de son contre-interrogatoire, M. Sorem a admis qu’il n’avait ni étudié ni contrôlé la méthode des essais originaux de M. Tessier, et qu’il avait reconnu telles quelles les assertions de celui-ci concernant la mise en place de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 lors de ces essais.

[208]       J’accorderai peu de poids aux déclarations de M. Sorem sur cette question, car il s’est fié aux résultats des essais d’API et aux assertions de M. Tessier, et il possède peu d’expérience pratique dans l’industrie pétrolière et gazière. Comme il a été vu précédemment, les essais d’API n’offrent pas de preuve fiable selon laquelle une ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 se mettra en place dans un puits de pétrole. Qui plus est, parce que M. Sorem n’a pas étudié les conditions réelles d’un puits de pétrole et n’a pas d’expérience dans ce domaine, il ne peut se prononcer sur la fiabilité des essais menés par C-FER en 2014.

[209]       M. Wooley a tenu pour acquis, au vu des résultats des essais menés par C-FER en 2014, qu’un outil intégrant l’invention du brevet 467 n’engageait pas le cuvelage. Il a conclu qu’un ressort de torsion comme celui qui est divulgué dans le brevet 734 fait partie des éléments essentiels qui garantissent l’engagement du cuvelage par l’outil; sans ressort pour solliciter la mâchoire vers l’extérieur, l’outil intégrant l’invention revendiquée dans le brevet 467 ne pourrait pas fonctionner à la hauteur des attentes.

[210]       M. Sorem a désapprouvé le choix de M. Wooley de retirer les ressorts des ancres de couple TorqStopperMC TX5-2 (avec ressort) et TorqStopperMC TX5-3 lors des essais menés par C-FER en 2014. Il a rappelé que la conception de l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 prévoyait le recours à un ressort plutôt qu’à l’inertie pour actionner le forage, et il a émis l’hypothèse que cette ancre de couple comportait probablement une mâchoire moins lourde que celle d’un outil conçu pour fonctionner sans ressort. Il avance que l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 avait peut-être une réponse inertielle faible et qu’en retirant le ressort, M. Wooley avait rendu l’outil inutilisable et les résultats invalides.

[211]       Interrogé sur les essais menés par C-FER en 2014 durant l’interrogatoire principal, M. Wooley a observé qu’une rotation vers la droite n’avait pas été concluante pour la mise en place des outils sans ressort, [traduction] « ce qui n’est pas étonnant ». Comme il a été dit précédemment, sa remarque indique qu’il a abordé les essais menés par C-FER en 2014 avec une idée préconçue du rendement des outils sans ressort. De plus, lors du visionnement de l’enregistrement vidéo des essais menés par C-FER en 2014 durant l’interrogatoire principal, l’avocat des parties Excalibre a remis à M. Wooley un document contenant un commentaire extrinsèque à son rapport d’expert. Je m’interroge sur la fiabilité de son témoignage étant donné que ce « guide de référence » était subjectif et l’a amené à témoigner de manière irrégulière.

[212]       Au cours de son contre-interrogatoire, M. Wooley a reconnu qu’on lui avait demandé d’examiner le brevet 467 en mettant l’accent sur le fait qu’il ne divulgue aucun ressort. Il a ensuite admis qu’il ne savait pas d’où provenait l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-2 (sans ressort), mais qu’il lui avait semblé valable de soumettre à l’essai un outil qui avait été sorti d’un puits, même si cela pouvait être signe d’un mauvais fonctionnement dans le passé. Il a confirmé en outre qu’il n’avait pas fait d’essai de contrôle pour vérifier l’état de fonctionnement de l’outil. En toute déférence, non seulement l’absence d’essais de contrôle de base et raisonnables fait état, mais confirme, que M. Wooley n’a pas abordé les essais menés par C-FER en 2014 avec un [traduction] « esprit désireux de comprendre », mais en faisant preuve d’une vision préconçue du résultat qu’il tentait de prouver, c’est-à-dire l’inutilité des revendications du brevet 467 et de l’outil qui en est la réalisation. La conclusion d’inutilité des revendications du brevet 467 formulée par M. Wooley n’est pas empreinte de l’impartialité que la Cour attend d’un témoin expert, et témoigne d’une tentative de faire admettre un résultat prédéterminé. J’estime que les résultats des essais menés par C-FER en 2014 et l’avis d’inutilité de M. Wooley offrent une analyse très peu, voire aucunement, objective sur la question de l’utilité des revendications du brevet 467.

[213]       En somme, les témoignages des experts d’Excalibre et d’API sont aussi peu convaincants et probants les uns que les autres quant à la question de l’utilité des revendications du brevet 467.

[214]       Les témoignages de MM. Van Metre et McGowan, qui tous les deux ont procédé à la mise en place réussie de nombreuses ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467 sur le terrain, étaient au contraire directs et concrets. Je conclus que leurs témoignages sont crédibles, et tout particulièrement celui de M. Van Metre, qui n’a aucun intérêt commercial dans l’issue des présentes actions. Leurs témoignages sont les plus convaincants en ce qui concerne l’utilité de l’invention du brevet 467 telle qu’elle est présentée et revendiquée.

[215]       En outre, à ne pas confondre avec le succès commercial comme indicateur de non-évidence, la preuve documentaire fait état de la viabilité commerciale de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 et de son utilisation réussie sur le terrain, ce qui indique que les utilisateurs finaux de l’industrie pétrolière et gazière ont trouvé l’invention utile. L’avocat des parties Excalibre a fait valoir avec insistance que l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 n’était pas suffisamment fiable pour être installée dans un puits de pétrole, et que son succès commercial n’était pas établi. Étant donné que le succès commercial n’est pas un critère d’utilité, qui est mesuré selon d’autres critères, les éléments de preuve dont dispose la Cour me permettent de conclure à l’utilité de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467. Par conséquent, les revendications du brevet 467 satisfont à l’obligation d’utilité.

[216]       Compte tenu de l’ensemble de la preuve, j’estime que le brevet 467 divulgue une invention utile.

B.                 Contrefaçon

[217]       Les experts sont d’accord pour dire que le brevet 467 présente trois revendications indépendantes, à savoir les revendications 1, 8 et 16 (voir ci-dessus). Ils s’entendent aussi pour dire que la teneur des revendications 8 et 16 est essentiellement similaire à celle de la revendication 1. Par conséquent, pour décider si le brevet 467 est contrefait par une version de l’ancre de couple CTA, la Cour peut décider si l’un ou l’autre des éléments essentiels de la revendication 1 diffère ou est absent des versions de l’ancre de couple CTA, c’est-à-dire que ces outils ne contreviennent pas au brevet et appliquer cette analyse aux revendications 8 et 16.

[218]       Personne ne conteste que la présence d’une mâchoire qui pivote à l’entrée en rotation de l’outil constitue un élément essentiel de la revendication 1. La position d’engagement du cuvelage que la mâchoire prend à l’entrée en rotation et la réponse inertielle de la mâchoire font également partie des éléments essentiels non contestés.

[219]       J’ai entendu de longs exposés sur la question de savoir si une personne moyennement versée dans l’art aurait considéré le contact entre le côté sensiblement arrondi du boîtier, la paroi, et le cuvelage, tel qu’il a été expliqué ci-dessus, comme un élément essentiel de l’interprétation des termes « boîtier » et [traduction] « paroi d’engagement du cuvelage ».

[220]       M. Sorem estime que les éléments de la revendication 1 sont présents dans toutes les versions de l’ancre de couple CTA. Plus précisément, toutes les ancres de couple CTA comportent un logement [boîtier ou carter] tubulaire raccordé par filetage à l’outil de forage, et la paroi de ce boîtier tubulaire – qui, à son avis, inclut les coins de retenue inamovibles qui sont fixés rigidement au corps – engage le cuvelage à l’actionnement de l’outil.

[221]       M. Skoczylas a été enjoint à déterminer les éléments essentiels du brevet 467 en se reportant à l’analyse préconisée dans l’arrêt Improver, invoquée dans l’arrêt Free World Trust. Selon lui, cette analyse consistait à déterminer 1) si le logement [boîtier ou carter] doté de coins de retenue externes a une incidence plus importante sur le fonctionnement d’une ancre de couple CTA que sur celui de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 et 2) si la formulation des revendications des brevets d’API aurait permis à une personne moyennement versée dans l’art de comprendre que l’adhésion stricte au sens premier des termes constituait une exigence essentielle de l’invention.

[222]       M. Skoczylas a expliqué que dans la publicité des ancres de couple TorqStopperMC, API prétend que l’un des avantages d’un outil dénué de coins de retenue comme le TorqStopperMC est qu’il laisse plus d’espace pour le passage du pétrole qu’un outil comme l’ancre de couple CTA. Par ailleurs, les inventeurs des brevets d’API tentent de convaincre la personne moyennement versée dans l’art qu’un [traduction] « outil antirotation simplifié comportant un seul organe mobile » offre un perfectionnement important par rapport à un dispositif doté de coins de retenue. Par conséquent, selon lui, API considère que l’ajout de coins de retenue au logement a une incidence appréciable et que celle-ci est nuisible.

[223]       En dépit de son intérêt certain, le matériel publicitaire ne peut servir de fondement à l’interprétation de revendications puisqu’il s’agit de documents extrinsèques au mémoire descriptif du brevet en cause.

[224]       Aux yeux de M. Skoczylas, une personne moyennement versée dans l’art considérerait que l’ajout de coins de retenue peut remplir trois fonctions importantes au moins :

1) Si du sable s’infiltre dans le puits, les coins de retenue permettront de soulever le corps de l’outil pour le sortir du lit de sable. L’outil muni de coins de retenue serait donc plus facile à retirer. Cet avantage est mentionné dans le brevet canadien no 2 611 294 (le « brevet 294 »).

2) Si un producteur de pétrole et de gaz veut installer des instruments sous la pompe (un capteur de pression ou de température, par exemple), un petit câble devra être passé le long de la pompe et de l’ancre de couple, et les coins de retenue empêcheront que le câble se coince entre le cuvelage et le corps de l’outil. Cet avantage est aussi mentionné dans le brevet 294.

3) Le contact entre l’outil et la paroi du cuvelage sera aussi très différent selon qu’un outil est muni ou non de coins de retenue. S’il est muni de deux coins de retenue en plus d’une mâchoire, la résistance au couple sera exercée sur trois points plutôt que sur une surface arrondie, ce qui facilitera l’engagement de la paroi du cuvelage sous charge.

[225]       Au cours de son contre-interrogatoire, M. Skoczylas a reconnu qu’il n’avait pas effectué d’essai pour vérifier l’existence réelle de ces avantages importants, et que ses déclarations à ce sujet reposaient uniquement sur son expérience personnelle de l’utilisation d’autres outils de production de pétrole et de gaz.

[226]       Il affirme que sur toutes les figures jointes aux brevets d’API, l’impulsion d’engagement du cuvelage vient toujours d’une paroi arrondie. Aucune des versions d’ancre de couple CTA n’engage le cuvelage par l’intermédiaire de la paroi du logement [boîtier ou carter] tubulaire. Les coins de retenue rigides des ancres de couple CTA créent des points de contact distincts avec le cuvelage. Selon lui, le contact du cuvelage avec des coins de retenue est différent de celui qui se produit avec une paroi arrondie du boîtier, car le contact est alors diffusé sur une plus grande surface. Ces différences ont une incidence sur la capacité de stabilisation des outils.

[227]       M. Skoczylas explique aussi que les coins de retenue mobiles sur toutes les versions de l’ancre de couple CTA ne comportent pas de point de pivotement opposé à la paroi d’engagement du cuvelage du boîtier, pour deux raisons : 1) la paroi du boîtier n’engage pas le cuvelage à cause des coins de retenue; 2) les ancres de couple CTA engagent la paroi à deux points distincts très éloignés l’un de l’autre. Or, un point unique ne peut se trouver en face de deux points distincts éloignés.

[228]       Considérant l’interprétation alambiquée que M. Sorem propose du terme boîtier, comme je l’ai déjà mentionné, je donnerai plus de poids au témoignage de M. Skoczylas à cet égard. Je suis d’avis qu’une personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas compris, à la date de publication du brevet 467, que des points de contact multiples constituent une variante évidente par rapport à un contact qui se produit le long de la paroi du boîtier pour engager le cuvelage.

[229]       Les experts ne sont pas non plus d’accord sur la question de savoir si la position de rangement de la mâchoire contre le boîtier constitue une caractéristique essentielle de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467. Au vu de la preuve, j’estime qu’une personne moyennement versée dans l’art considérerait comme un élément essentiel que la mâchoire puisse se ranger dans une position qui permet à l’outil de franchir des obstacles dans le cuvelage. Cependant, la position de rangement contre le boîtier, dans laquelle la mâchoire ne touche pas le cuvelage n’est pas un élément essentiel.

[230]       Selon l’interprétation téléologique de ces termes, je conclus que les éléments essentiels des revendications 1, 8 et 16 du brevet 467 sont les suivants :

  1. un boîtier tubulaire;
  2. une paroi du boîtier qui engage le cuvelage (c.-à-d. la [traduction] « paroi d’engagement du cuvelage »);
  3. une mâchoire qui pivote radialement sur une charnière opposée à la paroi d’engagement du cuvelage à l’entrée en rotation de l’outil;
  4. une réponse inertielle;
  5. un mécanisme de rangement de la mâchoire contre le boîtier pour réduire au minimum le diamètre effectif de l’outil;
  6. une position d’engagement du cuvelage sous l’effet de la réponse inertielle de la mâchoire à l’entrée en rotation.

[231]       Après avoir examiné les caractéristiques de toutes les versions de l’ancre de couple CTA, je parviens à la conclusion qu’aucune d’entre elles ne contrefait les revendications 1, 8 ou 16 du brevet 467. Les ancres de couple CTA n’engagent pas de paroi d’engagement du cuvelage. Ce sont les coins de retenue rigides, et non la paroi du logement, qui entrent en contact avec le cuvelage lorsque toutes les versions de l’ancre de couple CTA sont en place. De plus, la position d’engagement du cuvelage du coin de retenue mobile de toutes les versions de l’ancre de couple CTA n’est pas le résultat d’une réponse inertielle, mais plutôt de la sollicitation par un ressort.

XIV.       Le brevet 734

A.                Antériorité – Le brevet 843 de Burton

[232]       Les parties Excalibre font valoir que le brevet 734 est antériorisé par le brevet 843 de Burton. La preuve produite est cependant très mince quant à savoir si le brevet 843 de Burton divulgue ou réalise l’invention exposée dans le brevet 734. Comme il a été vu précédemment, le brevet 843 de Burton divulgue une masse-tige de forage directionnel.

[233]       Il est clair que la rotation des outils de forage n’a pas la même fonction durant les activités de production de pétrole et de forage directionnel. Je conclus par conséquent que le brevet 734 n’est pas antériorisé par le brevet Burton 834.

B.                 Antériorité – Usage antérieur

[234]       Les parties Excalibre ont demandé l’admission de nouvelles modifications à leur déclaration quatre jours avant le début du procès. Les modifications demandées portaient sur des actes de procédure visant l’antériorité par rapport aux brevets 734 et 026 par suite d’une divulgation permettant la réalisation de l’invention en raison de la vente ou de l’utilisation antérieure des ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467. Après avoir appliqué le critère à employer pour une requête en autorisation de modification d’un acte de procédure et conclu que l’adjudication de dépens ne compenserait pas le préjudice que causeraient les modifications aux parties API, j’ai refusé les modifications (décision Continental Bank Leasing Corp. v. Canada, [1993] 1 CTC 2306; (1993), 93 DTC 298 (CCI); arrêt Merck & Co., Inc., c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 10; arrêt Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2014 CAF 65).

C.                 Évidence

[235]       Les experts sont d’accord pour dire que, par rapport au brevet 467, l’étape inventive alléguée du brevet 734 tient au mécanisme à ressort qui sollicite la mâchoire, divulgué dans la revendication 1. La revendication 1 du brevet 734 fait état [traduction] « d’un ressort reliant la mâchoire au logement et qui sollicite la mâchoire vers l’extérieur […] le ressort étant un élément de torsion qui se projette axialement le long du logement tubulaire ». Les experts n’étaient cependant pas d’accord sur la question de savoir si une personne moyennement versée dans l’art comprendrait qu’un élément de torsion est l’équivalent d’un ressort ordinaire. Durant le procès, les termes [traduction] « ressort à lame », [traduction] « ressort à enroulement », [traduction] « ressort de torsion » et [traduction] « élément de torsion » ont été employés, parfois de manière interchangeable, pour décrire le mécanisme de sollicitation divulgué par le brevet 734.

[236]       Selon M. Sorem, [traduction] « un ressort est un ressort, quel que soit son qualificatif ». Il a expliqué que les trois types de ressort sont différents, et notamment qu’il ne faut pas confondre ressort de torsion et élément de torsion. De plus, le ressort à lame est employé pour le cintrage, jamais pour solliciter des organes. Il a mentionné les avantages très précis des éléments de torsion.

[237]       M. Sorem n’a pas interchangé les trois termes, mais il a concédé qu’un ressort de torsion pouvait être défini comme un ressort à enroulement. MM. Wooley et Skoczylas ont employé de manière interchangeable les termes [traduction] « ressort de torsion », [traduction] « ressort à enroulement » et [traduction] « élément de torsion ». Durant l’interrogatoire principal et son contre-interrogatoire, M. Tessier a employé les termes [traduction] « ressort de torsion » et [traduction] « élément de torsion » de manière interchangeable, mais il a semblé faire une distinction entre ces deux termes et le terme [traduction] « ressort à enroulement ».

[238]       M. Wooley a déclaré qu’il n’y avait aucune différence fonctionnelle entre un [traduction] « ressort de torsion » et un [traduction] « élément de torsion ». De plus, une personne moyennement versée dans l’art et ayant connaissance du brevet 843 de Burton aurait sans doute pensé que la solution au problème de mise en place de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 consistait à ajouter un ressort pour solliciter la mâchoire vers l’extérieur. Étant donné la conception de l’outil du brevet 467, l’ajout d’un ressort de torsion représentait une solution évidente. M. Wooley a ajouté que puisque le brevet 693 d’Aldridge analyse le brevet 239, qui utilise des coins de retenue à ressort, et s’en écarte explicitement, une personne moyennement versée dans l’art aurait connaissance de la possibilité d’utiliser des ressorts pour actionner des coins de retenue (brevet 693 d’Aldridge, colonne 1, lignes 35 et 36).

[239]       Au cours de son contre-interrogatoire, l’avocat des parties API a indiqué à M. Wooley qu’il n’avait pas fait la différence entre les ressorts et les éléments de torsion. M. Wooley a répondu que selon lui, un ingénieur considère un élément de torsion comme un autre type de ressort, et que seule une préférence pour un type de ressort amènerait une personne moyennement versée dans l’art à choisir un élément de torsion.

[240]       Il est clair que les trois personnes possédant une formation équivalente à celle d’une personne moyennement versée dans l’art (MM. Wooley, Skoczylas et Tessier) ont confondu ces différents types de ressorts et transposé leur nomenclature. Leurs témoignages sont un bon indice qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait, à la date pertinente, déduit que la mention d’un élément de torsion dans la revendication 1 du brevet 734 dénotait tout au plus une préférence de l’inventeur pour l’utilisation d’un type de ressort, et non une caractéristique inventive par rapport aux ressorts employés dans les réalisations antérieures d’ancres de couple.

[241]       La revendication 1 indique que la mâchoire est sollicitée par un ressort, et précise que le type de ressort employé est un élément de torsion. Si l’inventeur avait voulu établir une distinction claire entre un ressort et un élément de torsion, il aurait mentionné uniquement l’élément de torsion.

[242]       L’avocat des parties API a fait valoir que M. Wooley n’avait pas expliqué de manière convaincante pourquoi une personne moyennement versée dans l’art combinerait des éléments des outils du brevet 467 et de Burton. L’avocat soutient qu’il n’existe pas de preuve précise de l’utilisation de ressorts de torsion dans les ancres de couple. Il a été demandé instamment que l’intégralité du témoignage de M. Wooley soit écartée parce que la méthode des essais menés par C-FER en 2014 révèle que M. Wooley n’était pas un témoin expert impartial.

[243]       Pour l’avocat des parties Excalibre, l’ajout d’un ressort était évident étant donné les problèmes de fiabilité de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage fermé, ainsi que la vente et l’utilisation antérieures de la version modifiée de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467, dotée d’un ressort de torsion. Malgré mes réserves à l’égard de certains aspects du rapport et du témoignage de M. Wooley, je suis d’accord avec lui pour dire qu’une personne moyennement versée dans l’art envisagerait l’élément de torsion comme une simple variante privilégiée d’un ressort de torsion. L’idée originale dans la revendication 1 du brevet 734 consiste en l’ajout d’un ressort qui sollicite la mâchoire.

[244]       J’estime que la preuve produite au procès suffit pour conclure qu’à la date pertinente, les ressorts de torsion constituaient un mécanisme connu de sollicitation dans un outil de fond. Je conclus que l’étape inventive revendiquée, à savoir l’ajout d’un élément de torsion ou d’un ressort de torsion dans la revendication 1 du brevet 734, aurait été évidente aux yeux d’une personne moyennement versée dans l’art, dont les connaissances générales courantes englobaient, selon ce que j’ai indiqué ci-dessus, le brevet 834 de Burton et l’usage public de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage fermé modifié par l’ajout d’un ressort. L’ajout d’un ressort de torsion constituait au mieux une simple amélioration. Je conclus par conséquent que la revendication 1 du brevet 734 est invalide pour cause d’évidence.

[245]       Dans son rapport, M. Wooley affirme que si la revendication 1 du brevet 734 est évidente, il s’ensuit que toutes les revendications dépendantes le sont. C’est inexact. L’analyse de l’évidence doit être faite pour chaque revendication. Comme je l’ai expliqué précédemment, je n’ai pas autorisé M. Wooley à changer d’avis et à apporter des modifications à son rapport d’expert durant le procès. Au cours de l’interrogatoire principal, il a déclaré que toutes les revendications dépendantes sont évidentes, une allégation que je n’ai toutefois pas retenue parce qu’elle découle d’un avis extrinsèque à son rapport d’expert et non d’une analyse indépendante de celui-ci.

[246]       Bien qu’elles affirment qu’aucune des revendications dépendantes 2 à 15 du brevet 734 n’est évidente, les parties API n’ont pas mentionné que l’ajout ou la combinaison de caractéristiques divulguées dans ces revendications constituaient des étapes inventives en plus d’un ressort dans la revendication 1, et elles n’en ont pas produit la preuve. À défaut de nouvelles étapes inventives, de la vente ou de l’usage public antérieur de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage fermé et modifié par l’ajout d’un ressort, je conclus que les caractéristiques divulguées dans ces revendications dépendantes auraient été évidentes pour toute personne moyennement versée dans l’art durant la période pertinente.

[247]       Dans son témoignage, M. Tessier a tenté de faire valoir que la mâchoire et la charnière de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage fermé et modifié étaient légèrement différentes de celles de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 734. Toutefois, il n’a pas précisé si les différences entre la mâchoire et la charnière constituaient des modifications non évidentes et complémentaires à celles qui étaient nécessaires pour intégrer un mécanisme à ressort dans la conception de l’outil. Donc l’usage antérieur de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage fermé et modifié par l’ajout d’un ressort indique, selon la prépondérance des probabilités, que ces revendications sont évidentes.

[248]       La revendication indépendante 16 du brevet 734 divulgue un perfectionnement de l’outil antirotation doté d’un logement et d’au moins une mâchoire, sous la forme d’un élément de torsion qui sollicite la mâchoire vers l’extérieur à partir du logement. Dans la revendication 16, il est uniquement question d’un élément de torsion. Cependant, une analyse de la manière dont les termes [traduction] « ressort » et [traduction] « élément de torsion » sont utilisés dans la revendication 1 m’amène à conclure que la revendication 16 est également évidente en raison de l’absence de distinction entre ces deux termes. Cette conclusion est appuyée par la formulation de la revendication dépendante 17 – qui définit un élément de torsion comme un organe à extension linéaire – et le principe de la différenciation des revendications.

[249]       Enfin, les revendications dépendantes 17 à 19 sont évidentes pour les mêmes raisons que les revendications 2 à 15. Par conséquent, je conclus que les revendications du brevet 734 sont invalides pour cause d’évidence.

XV.          Le brevet 026

A.                Utilité

[250]       Il est bien établi en droit que l’utilité doit être évaluée une revendication à la fois (Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2015 CAF 158, au paragraphe 4).

[251]       Les parties Excalibre ont fait valoir que la revendication 1 du brevet 026 était invalide parce qu’elle divulgue une invention inutile en omettant de définir un moyen d’actionner la mâchoire (par exemple, la [traduction] « réponse inertielle » à la [traduction] « mise en rotation » dans le brevet 467). Par conséquent, la revendication 1 présente un outil inutilisable et invalide pour cause d’absence d’utilité, étant donné que sa portée dépasse toute invention réalisée ou divulguée, et que l’outil divulgué ne serait d’aucune utilité une fois en conditions de fond.

[252]       L’avocat des parties API a présenté une jurisprudence à l’appui de sa thèse selon laquelle il n’est pas obligatoire qu’une revendication révèle toutes les caractéristiques nécessaires au fonctionnement de l’invention pourvu que l’élément manquant fasse partie des fondements des connaissances générales courantes (voir la décision Canadian Patent Scaffolding Co v Delzotto Enterprises Ltd. (1979), 42 CPR (2d) 7, au paragraphe 23; la décision Astrazeneca 2015, précitée, au paragraphe 281; l’arrêt Burton Parsons Chemicals Inc v Hewlett-Packard (Canada) Ltd, [1976] 1 RCS 555, aux paragraphes 12 à 16; la décision Delp c Fresh Headies Internet Sales Ltd., 2011 CF 1228, aux paragraphes 13 à 14).

[253]       Les parties API ont formulé peu d’observations portant expressément sur cette question. Elles ont avancé que la revendication 1 du brevet 026 n’était ni inexploitable ni inutile pour les mêmes raisons que les revendications 1 à 17 du brevet 467. Ces raisons sont fondées sur les éléments de preuve factuels fournis par MM. Van Metre et McGowan, ainsi que sur l’absence de résultats probants des essais de C-FER en 2014. Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai trouvé les témoignages de MM. Van Metre et McGowan convaincants, mais les résultats des essais de C‑FER en 2014 peu concluants.

[254]       En revanche, je ne vois pas en quoi les raisons étayant la conclusion d’exploitabilité et d’utilité des revendications 1 à 17 du brevet 467 seraient pertinentes pour l’analyse des questions d’interprétation, d’utilité et de portée excessive de la revendication 1 du brevet 026. La revendication 1 du brevet 026 divulgue une mâchoire qui pivote sur une charnière, mais elle n’indique aucun moyen d’amorcer le pivotement. À défaut d’un moyen particulier d’actionner la mâchoire, que ce soit par inertie ou par sollicitation par ressort, tel qu’il est indiqué dans les revendications 2 à 7, la portée de la revendication dépasse toute invention réalisée ou divulguée. Un inventeur ou un breveté ne peut justifier les revendications inexploitables d’une invention ou d’une revendication dont la portée excède l’invention divulguée et espérer démontrer la validité de la revendication – on ne saurait encourager ou tolérer des revendications de portée trop large et formulées maladroitement.

[255]        La question principale revient à déterminer si l’utilité a été démontrée ou constitue une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise disponibles à la date de dépôt (arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, au paragraphe 56; Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, au paragraphe 39). Essentiellement, il s’agit de savoir si une personne moyennement versée dans l’art pourrait faire fonctionner l’invention en appliquant « des connaissances de base ou en procédant à des essais courants » (décision Astrazeneca 2015, au paragraphe 281).

[256]       Bien que cela ne soit pas déclaré expressément, la thèse des parties API semble être qu’il aurait été évident pour une personne moyennement versée dans l’art, en raison de l’existence du brevet 467, d’inférer que la rotation de l’outil constituait le concept de base à appliquer pour faire fonctionner l’invention. À cause du mécanisme qui actionne l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467, il est clair qu’une personne moyennement versée dans l’art procéderait à des essais courants au cours desquels l’outil serait mis en rotation pour actionner la mâchoire par inertie.

[257]       Les parties Excalibre ont néanmoins fait valoir que la revendication 1 du brevet 026 pourrait s’appliquer à un outil à alésage fermé, car, comme il n’est pas explicitement indiqué que la mâchoire est formée dans la paroi du carter, il est possible qu’elle ne soit pas automatiquement actionnée à la mise en rotation. M. Tessier a expliqué que la mise en place des ancres de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage fermé peut poser problème si la rotation est utilisée seule, parce que la mâchoire est plus petite que celle d’une ancre à alésage ouvert. M. Sorem a évoqué la possibilité que les mâchoires des ancres de couple TorqStopperMC de la série TX du brevet 026, conçues pour être munies d’un ressort, aient une faible réponse inertielle et qu’elles ne fonctionnent donc pas sans ressort.

[258]       Par ailleurs, la mâchoire de l’ancre de couple TorqStopperMC TX5-3 étant beaucoup plus petite que celle de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 à alésage fermé et modifiée par l’ajout d’un ressort, appuyant la conclusion qu’une personne moyennement versée dans l’art ne pourrait pas faire fonctionner l’outil divulgué dans la revendication 1 du brevet 026 lors d’un essai courant. En l’espèce, les seuls essais sur l’utilité de l’outil divulgué dans la revendication 1 du brevet 026 ont été réalisés par C-FER en 2014, lesquels étaient très peu concluants. Ni ces essais ni les affirmations des parties API ne pourraient étayer une prédiction valable d’utilité. Par conséquent, je conclus qu’une personne moyennement versée dans l’art n’arriverait pas à faire fonctionner l’invention divulguée dans la revendication 1 du brevet 026 en appliquant des « connaissances de base ou en procédant à des essais courants ».

[259]       Nos tribunaux ont abondamment écrit au sujet des personnes moyennement versées dans l’art, des connaissances générales courantes et de la nécessité d’envisager les revendications avec une [traduction] « volonté de comprendre » afin de faire ressortir l’utilité d’une revendication qui pourrait par ailleurs comporter des lacunes. Toutefois, les parties API n’ont pas évoqué de mécanisme d’actionnement qui éviterait un constat d’invalidité pour cause d’absence d’utilité à la revendication 1 du brevet 026. La revendication 1 divulgue une structure incomplète. Un inventeur ou un breveté ne peut pas demander à bon droit à la Cour d’apporter des précisions d’ordre fonctionnel à une revendication trop large ou dénuée d’utilité, de corriger ses formulations maladroites et de restreindre sa portée afin de la rendre utile. De prétendre que pareille permission devrait être accordée pour appuyer un « esprit désireux de comprendre » et de l’adhésion à une interprétation téléologique attendue d’une personne moyennement versée dans l’art m’apparaît comme une dénaturation de ces principes. Il suffit d’examiner la revendication 2 pour constater que ses déficiences auraient pu être corrigées, et qu’elles l’ont été en fait.

B.                 Antériorité

[260]       Le brevet 834 de Burton n’antériorise aucune des revendications 1 à 7 du brevet 026, pour les mêmes raisons qu’il n’antériorise pas les revendications 1 à 19 du brevet 734.

C.                 Évidence

[261]       Les experts ont convenu que l’idée originale revendiquée dans le brevet 026 était l’ajout de la butée du brevet 026 à la revendication 1. Comme il a été vu précédemment, les experts n’étaient pas d’accord sur le caractère distinct de la butée du brevet 026 par rapport à la butée de charnière ni sur la question de savoir si le fait que la butée de charnière était un composant de l’art antérieur rend la butée du brevet 026 évidente.

[262]       Correctement interprétée, la [traduction] « première butée » est tout élément formé à la base de la mâchoire qui agit avec la [traduction] « seconde butée », laquelle consiste en un composant quelconque du carter qui restreint le pivotement de la mâchoire et augmente sa résistance contre les forces de couple lorsque l’outil est dans la section supérieure du puits. La butée du brevet 026 est créée par l’engagement en coopération de ces deux butées.

[263]       L’avocat des parties Excalibre a cité une série de brevets faisant partie des connaissances générales courantes pendant la période pertinente (le brevet 467, le brevet 843 de Burton et le brevet 693 d’Aldridge) et qui mentionnent des butées de charnière formées par deux éléments coopérant qui restreignent le pivotement d’un coin de retenue. Selon M. Wooley, l’existence de ces butées de charnière aurait rendu la butée du brevet 026 évidente pour toute personne moyennement versée dans l’art durant la période pertinente. Il a ajouté que la revendication 1 faisait état d’une seule fonction de la butée du brevet 026, soit la restriction du pivotement, et qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait déduit que la [traduction] « première butée » et la [traduction] « seconde butée » correspondaient aux deux points de contact qui constituent la butée de charnière.

[264]       M. Sorem a déclaré que le brevet 693 d’Aldridge ne mentionnait pas de butée du brevet 026 parce que les côtés des coins de retenue et les côtés inclinés des cavités où ils sont logés n’ont pas une fonction de [traduction] « première butée » et de [traduction] « seconde butée ». Notamment, M. Sorem a souligné que la butée du brevet 026 renforce la mâchoire et lui permet de supporter des forces de couple plus élevées. En conclusion, il a affirmé qu’étant donné l’information divulguée dans le brevet 467, le brevet 834 et le brevet 693 d’Aldridge, ainsi que leurs usages publics respectifs, la revendication 1 du brevet 026 n’est pas évidente.

[265]       À cause de son interprétation des termes [traduction] « première butée » et [traduction] « seconde butée », M. Wooley n’a pas tenu compte de la propriété de renforcement de la butée du brevet 026 dans l’art antérieur. En fait, il est clair que la butée de charnière de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 467 ne procure pas une résistance accrue de la mâchoire aux forces de couple lorsque l’outil est dans la section supérieure du puits. Il s’ensuit que les parties Excalibre ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’évidence de la revendication 1 du brevet 026.

[266]       Les revendications 2 à 7 du brevet 026 sont dépendantes de la revendication 1. Par conséquent, étant donné que la revendication 1 n’est pas évidente, les revendications 2 à 7 ne le sont pas non plus.

D.                Contrefaçon

[267]       Même si j’ai tort de conclure à l’invalidité du brevet 026 en raison de la portée excessive de la revendication 1, j’estime qu’aucune des versions de l’ancre de couple CTA ne contrefait les revendications du brevet 026.

[268]       Les experts étaient d’accord pour dire que le brevet 026 comportait une revendication indépendante, la revendication 1, qui est similaire à la revendication 1 du brevet 467 (voir ci-dessus) et divulgue une idée originale, la butée du brevet 026.

[269]       M. Skoczylas a affirmé quant à lui que l’idée originale sous-tendant le brevet 026 n’était pas une invention, mais tout au plus un perfectionnement de l’invention divulguée dans le brevet 467. Plus précisément, il a relevé dans le brevet 026 la mention selon laquelle les « butées » sont [traduction] « suffisamment espacées radialement pour rester inactives lorsque l’outil est en marche […] », c’est-à-dire que la butée du brevet 026 reste immobile lors de travaux au fond d’un puits. À son avis, comme la butée du brevet 026 a pour seule fonction d’empêcher les bris dus à de mauvaises manœuvres à la surface, elle ne constitue pas un élément essentiel au fonctionnement de base de l’outil.

[270]       D’après M. Sorem, la butée du brevet 026 remplit deux fonctions essentielles : accroître la résistance de la mâchoire aux forces de couple et empêcher son pivotement excessif. Il estime qu’il s’agit d’un élément essentiel du brevet 026, qui change de façon fondamentale le fonctionnement de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 026 dans la section supérieure du puits.

[271]       Il est constant que la butée du brevet 026 n’est pas engagée lorsque l’outil est en conditions de fond. Toutefois, cette butée facilite le vissage de l’ancre de couple TorqStopperMC du brevet 026 à la pompe RHE et à la colonne de production pour les opérateurs. Les parties Excalibre n’ont pas produit d’éléments de preuve réfutant l’allégation voulant que la butée du brevet 026 soit un élément essentiel à cette fonction dans la section supérieure du puits.

[272]       Je conclus que les éléments essentiels du brevet 026 sont les suivants :

  1. un carter tubulaire;
  2. une paroi du carter qui engage le cuvelage (c.-à-d. la [traduction] « paroi d’engagement du cuvelage »);
  3. une mâchoire à bout radial, qui pivote sur une charnière opposée à la paroi d’engagement du cuvelage et qui fait varier le diamètre effectif de l’outil;
  4. une première butée formée à la base de la mâchoire et une seconde butée formée sur le carter, distinctes de la limite de la charnière et qui agissent solidairement pour bloquer le pivotement de la mâchoire et accroître sa résistance aux forces de couple.

[273]       M. Sorem a avancé que les blocs de support des versions 3 à 6 des ancres de couple CTA remplissaient une fonction équivalente à la butée du brevet 026 et que, par conséquent, ces versions contrefont le brevet 026. Il a écrit dans son rapport que [traduction] « la butée créée par les blocs de support remplirait sensiblement la même fonction en conditions de fond, sensiblement de la même manière […] ». Il a toutefois supprimé l’expression [traduction] « en conditions de fond » lors du procès. Il n’a pas précisé si la butée créée par les blocs de support accroît la résistance du coin de retenue mobile aux forces de couple lorsque l’outil est dans la section supérieure du puits. J’accorderai donc peu de poids à son témoignage sur cette question.

[274]       M. Skoczylas a indiqué pour sa part que sur toutes les versions de l’ancre de couple CTA, la butée ne se formait pas à la base, mais sur le côté de la mâchoire. Par conséquent, les ancres de couple CTA ne présentent pas tous les éléments essentiels d’aucune des revendications du brevet 026. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Skoczylas a admis qu’il avait examiné seulement un échantillon physique de la version 6 de l’ancre de couple CTA, et qu’il avait utilisé des diagrammes fournis par les parties Excalibre pour tirer ses conclusions concernant les autres versions. Néanmoins, même si les versions 1A/B et 2A/B comportent des caractéristiques de butée différentes, les versions 3 à 6 des ancres de couple CTA sont toutes dotées de la même caractéristique de butée, qui se trouve sur les blocs de support. Malgré tout, comme il n’a pas analysé les caractéristiques de butée des versions 1A/B et 2A/B de l’ancre de couple CTA, je trouve le témoignage de M. Skoczylas peu concluant relativement à la question de la contrefaçon.

[275]       Après avoir examiné les caractéristiques de toutes les versions de l’ancre de couple CTA, je parviens à la conclusion qu’aucune d’entre elles ne contrefait la revendication 1 du brevet 026. Tel qu’il ressort de l’analyse du brevet 467, aucune version de l’ancre de couple CTA ne comporte de paroi d’engagement du cuvelage. Qui plus est, aucun élément de preuve ne permet d’affirmer que l’une quelconque des versions de l’ancre de couple CTA comporte une butée du brevet 026, bien que cela ne soit pas déterminant dans ma conclusion d’absence de contrefaçon. Je conclus de surcroît que la revendication 1 n’étant pas contrefaite, la revendication 2 ne l’est pas non plus.

XVI.       Alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce

[276]       L’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce prévoit que :

Concurrence déloyale et marques interdites

Interdictions

7 Nul ne peut :

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les produits ou les services

d’un concurrent;

Unfair Competition and prohibited Marks

Prohibitions

7 No person shall

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, goods or services of a competitor;

[277]       Le paragraphe 53.2(1) de la Loi sur les marques de commerce prévoit que :

Pouvoir du tribunal d’accorder une réparation

53.2 (1) Lorsqu’il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu’un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu’il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d’injonction ou par recouvrement de dommages intérêts ou de profits, pour l’imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction ou autrement des produits, emballages, étiquettes et matériel

publicitaire contrevenant à la présente loi et de tout équipement employé pour produire ceux-ci.

Power of court to grant relief

53.2 (1) If a court is satisfied, on application of any interested person, that any act has been done contrary to this Act, the court may make any order that it considers appropriate in the circumstances, including an order providing for relief by way of injunction and the recovery of damages or profits, for punitive damages and for the destruction or other disposition of any offending goods, packaging, labels and advertising material and of any equipment used to produce the goods, packaging, labels or advertising material.

 

[278]       Ces deux dispositions ont l’effet combiné [traduction] « de créer une cause d’action statutaire à l’issue de laquelle des dommages-intérêts peuvent être accordés à la personne lésée par des déclarations fausses ou trompeuses tendant à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’un concurrent » (arrêt S & S Industries Inc v Rowell, [1966] SCR 419, à la page 424 [S. & S.]). La Cour suprême du Canada énonce les éléments essentiels justifiant une revendication en vertu de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce à la page 424 de l’arrêt S. & S., précité. Plus précisément, la preuve doit établir :

  1. l’existence d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  2. que la déclaration tend à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’un concurrent;
  3. qu’il en résulte un dommage.

[279]       La définition de déclaration fausse ou trompeuse est fonction du contexte auquel se rapporte l’allégation et de la conduite de ses auteurs. Il est toutefois bien établi qu’il n’est pas requis qu’une partie ayant fait une déclaration fausse ou trompeuse ait agi en connaissance de cause et avec une intention malveillante (arrêt S. & S., à la page 425).

[280]       En l’espèce, puisque je suis parvenu à la conclusion qu’aucune version de l’ancre de couple CTA ne contrefait les brevets d’API, il s’ensuit que les lettres transmises par M. Goodwin à Husky et à Bronco (les lettres du 16 janvier 2008, du 1er février 2008 et du 28 avril 2008 envoyées à Husky, ainsi que la lettre du 16 mai 2008 adressée à Bronco) au nom d’API renferment des déclarations fausses et trompeuses. De plus, la lettre du 16 janvier 2008 adressée à Husky et celle du 16 mai 2008 adressée à Bronco militent fortement en faveur du fait que les ancres de couple CTA d’Excalibre contrefont le brevet 734, en sus des brevets 467 et 026. Dans leur action devant la Cour, les parties API n’ont jamais évoqué de contrefaçon du brevet 734.

[281]       Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets prévoit qu’une fois délivré, un brevet est valide, sauf preuve du contraire. Il est loisible aux brevetés de revendiquer les droits que leur confère un brevet valide. Par conséquent, la mise en cause de la validité d’une revendication d’un brevet ou de toute autre propriété intellectuelle ne peut être interprétée comme étant forcément une déclaration fausse ou trompeuse en vertu de l’alinéa 7a) (décision E. Mishan & Sons, Inc. v. Supertek Canada Inc., 2016 FC 986 [Supertek], au paragraphe 11).

[282]       Il est important de faire la distinction entre les lettres de cessation et d’abstention envoyées à titre informatif de celles qui contiennent des menaces. Dans la décision Supertek, précitée, le juge Roger Hughes compare la situation visée par l’arrêt S. & S., dans laquelle les déclarations fausses et trompeuses prenaient la forme d’une lettre de mise en demeure brandissant la menace de poursuites qui ne s’est pas matérialisée, et la situation faisant l’objet de la décision M&I Door Systems Ltd. v. Indoro Industrial Door Co Ltd. (1989), 25 CPR (3d) 477 (CFPI), dans laquelle la lettre de mise en demeure était plus informative que menaçante. Une lettre informative fait état des droits d’un breveté et fournit de l’information permettant au destinataire de comprendre ce qui pourrait constituer une contrefaçon. Une lettre de menaces renferme des menaces, explicites ou voilées, de poursuites à l’encontre du destinataire s’il ne modifie pas la ligne de conduite reprochée.

[283]       Le contenu d’une lettre de mise en demeure tend à discréditer les produits ou les services d’un concurrent du breveté. Au paragraphe 27 de la décision Supertek, le juge Hughes conclut que la société E. Mishan & Sons a fait des déclarations fausses et trompeuses tendant à discréditer les produits de Supertek, dans le contexte de négociations avec Canadian Tire, qui ont donné l’impression à Canadian Tire qu’elle serait poursuivie pour contrefaçon de brevet si elle stockait des produits Supertek, même si le brevet avait été déclaré invalide à l’issue d’autres instances.

[284]       Il est clair que les lettres adressées par M. Goodwin à Husky et à Bronco contiennent des menaces et des tentatives de discréditer les ancres de couple CTA d’Excalibre. Dans les lettres du 16 janvier et du 1er février 2008 envoyées à Husky, il est question de renseignements crédibles reçus par API selon lesquels Husky achèterait un autre type d’ancre de couple que celles de marque TorqStopperMC, de très fortes probabilités que cet autre produit contrefasse les droits de brevet d’API, et informe Husky qu’API protège activement ses droits de propriété intellectuelle en ayant recours à des poursuites judiciaires. La lettre du 28 avril 2008 adressée à Husky et celle du 16 mai 2008 adressée à Bronco renferment des menaces explicites de poursuites si ces dernières ne cessent pas leur approvisionnement en ancres de couple CTA Excalibre :

(Lettre du 28 avril 2008 adressée à Husky)

[traduction] API enjoint à Husky de cesser immédiatement de s’approvisionner en ancres de couple CTA. Husky est invitée à examiner la déclaration ci-jointe et d’apprécier sa propre responsabilité relativement à la violation des droits exclusifs d’API. […] Si Husky décide de s’en tenir à ses pratiques courantes, API se verra dans l’obligation de modifier sa procédure contentieuse pour y inclure Husky.

(Lettre du 16 mai 2008 adressée à Bronco)

[traduction] Au Canada, la Loi sur les brevets autorise également API à faire respecter ses droits autant à l’encontre des acheteurs que des utilisateurs d’ancres de couple brevetées qui ne proviennent pas de sources autorisées, y compris Bronco Energy. […] Si, d’ici au 23 mai, notre cabinet n’a pas reçu de confirmation de la part de Bronco Energy de sa cessation immédiate des activités de contrefaçon susmentionnées, API modifiera sa procédure contentieuse pour y inclure Bronco Energy.

[285]       Il est bien établi que la preuve de dommages réels ou éventuels doit être faite pour établir une responsabilité en vertu de l’article 7. Dans l’arrêt Nissan Canada Inc. c. BMW Canada Inc., 2007 CAF 2007, au paragraphe 35, le juge en chef John D. Richard se prononce comme suit :

Sans faire de commentaires sur les deux premiers éléments, je conclus que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a tenu pour acquis qu’il y aurait des dommages. Un dommage réel ou éventuel est un élément nécessaire à une conclusion selon laquelle il y a une responsabilité suivant l’alinéa 7b). En l’absence de preuve à cet égard, la Cour ne peut pas conclure à l’existence d’une responsabilité [...].

[286]       Cette déclaration à l’égard de la démonstration de l’existence de dommages a été appliquée à l’analyse en vertu de l’alinéa 7a) (voir la décision Uview Ultraviolet Systems Inc. c. Brasscorp Ltd., 2009 CF 58, au paragraphe 240). Il faut également prouver l’existence [traduction] « d’un lien de causalité entre les dommages allégués et l’acte répréhensible consistant à faire des déclarations fausses et trompeuses » (décision Supertek, au paragraphe 29). Comme c’est le cas pour les instances en responsabilité délictuelle, la charge de prouver le lien de causalité incombe au plaignant.

[287]       En l’espèce, une ordonnance de disjonction a été rendue concernant les dommages-intérêts. Les parties Excalibre n’ont donc pas présenté de factures ni de pièces commerciales corroborant les dommages causés à leurs activités par les lettres envoyées à Husky et à Bronco. Cependant, selon les témoignages de trois témoins des faits, soit M. Esposito pour le compte de Bronco, ainsi que Mmes Wichmann Cohen et Redhead pour le compte de Husky, il est clair que la teneur des lettres a eu une incidence sur les décisions d’approvisionnement de leurs sociétés relativement aux ancres de couple CTA, qu’elles ont finalement cessé de se procurer auprès de leurs fournisseurs. Même s’ils ne sont pas quantifiés, il existe un lien indéniable entre les lettres en cause et la perte d’occasions d’affaires en découlant, et les dommages subis par les parties Excalibre.

[288]       Je conclus que les témoignages de ces trois témoins sont crédibles. Mmes Redhead et Wichmann Cohen ont été assignées à témoigner, et ni l’une ni l’autre n’avait un intérêt dans l’issue de l’instance. En outre, les témoignages oraux des témoins de Husky sont corroborés par des courriels qui expliquent le déroulement des événements.

[289]       Je conclus par conséquent qu’il a été prouvé que des dommages ont été causés à l’entreprise des parties Excalibre par les décisions prises par Bronco et Husky de cesser de s’approvisionner en ancres de couple CTA après avoir reçu les lettres de M. Goodwin renfermant des déclarations fausses et trompeuses. Les dommages-intérêts seront calculés par renvoi après le procès.

[290]       Les parties Excalibre ont demandé en outre que soit incluse dans les dommages subis la cessation des ventes à la clientèle de tout autre produit Excalibre que les ancres de couple CTA. Je ne puis retenir cet argument, car aucun élément de preuve n’appuie cette thèse et, quoi qu’il en soit, la connexité est trop insuffisante pour qu’elle soit défendable de façon raisonnable. Je ne vois non plus aucun élément de preuve qui m’amènerait à conclure que MM. Tessier, Weber ou Doyle ont une quelconque responsabilité à l’égard des lettres envoyées au nom d’API. Aucun élément de preuve ne corrobore une conclusion selon laquelle l’un ou l’autre d’entre eux aurait outrepassé les attributions rattachées à ses fonctions d’administrateur ou de dirigeant d’API. Par conséquent, API est la seule responsable de tous les dommages causés en contravention de l’alinéa 7a) par suite des lettres envoyées par M. Goodwin aux clients d’Excalibre.

[291]       Par ailleurs, en dépit des déclarations de M. Moore, qui ont été corroborées par Mme Wichmann Cohen, selon lesquelles Excalibre a tenté de limiter les pertes consécutives à la cessation de ses ventes d’ancres de couple CTA à Husky, aucun élément de preuve n’a été produit lors du procès indiquant qu’Excalibre a pris des mesures pour atténuer les dommages causés par les lettres de M. Goodwin. Il n’est pas clair si Excalibre a poursuivi ses activités commerciales avec d’autres sociétés dans la période écoulée entre l’envoi des lettres (en 2008) et la présente instance, notamment en ce qui concerne les autres produits que ses ancres de couple. De plus, aucun argument ou élément de preuve n’a été produit pour expliquer ce qui aurait empêché Kudu, Carder et Logan, des fournisseurs qui pouvaient vendre d’autres marques d’ancres de couple, de prendre des mesures pour limiter leurs pertes liées à Husky et à Bronco.

XVII.    Mesures de réparation

[292]       Les conclusions de validité et de contrefaçon privent les parties API de leur droit aux réparations demandées dans leur déclaration.

[293]       Les parties Excalibre ont droit à des dommages-intérêts de la part d’API seulement pour les torts découlant des déclarations fausses et trompeuses faites en violation de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, dont le montant sera établi dans un renvoi postérieur au procès.

[294]       Les parties Excalibre ont aussi le droit d’obtenir une injonction permanente interdisant à API de faire des observations à un tiers, y compris les clients actuels ou potentiels des parties Excalibre, insinuant que les versions 1 à 6 des ancres de couple CTA contrefont les revendications des brevets d’API.

XVIII. Dépens

[295]       Compte tenu du succès relatif des parties Excalibre dans leur défense contre l’action introduite par API et la poursuite de leur demande reconventionnelle, et sous réserve d’une offre de règlement antérieure plus avantageuse ou d’autres facteurs atténuants, je ne vois pas pourquoi les dépens ne suivraient pas l’issue de la cause.

[296]       Néanmoins, les parties Excalibre ont tenté de modifier l’acte de procédure lors du procès, sans fournir de justification raisonnable pour cette requête tardive. De plus, leurs objections non fondées durant le procès ont été la source de retards inutiles. La Cour ne saurait tolérer de tels stratagèmes. Pa conséquent, le montant des dépens accordés aux parties Excalibre devra être réduit de vingt-cinq pour cent (25 %).

[297]       Les parties disposent d’un délai de deux semaines après la date du présent jugement pour saisir la Cour de leurs observations sur les dépens.

[298]       Une copie du présent jugement et des présents motifs sera versée aux dossiers de la Cour no T-1741-08 et no T-1946-09.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  Les brevets d’API ont été validement cédés à Lynn Tessier, à John Doyle et à James Weber.

2.                  Le brevet 467 est valide; toutefois, aucune des revendications 1 à 9 ou 12 à 17 n’est contrefaite par l’une quelconque des versions de l’ancre de couple CTA.

3.                  Le brevet 734 est invalide pour cause d’évidence des revendications 1 à 19.

4.                  La revendication 1 du brevet 026 est invalide pour cause d’inutilité, car sa portée excède celle de toute invention divulguée ou réalisée. Les revendications 2 à 7 sont valides; toutefois, aucune n’est contrefaite par l’une quelconque des versions de l’ancre de couple CTA.

5.                  API a fait des déclarations fausses ou trompeuses tendant à discréditer l’entreprise, les produits ou les services des parties Excalibre et a de ce fait nui à leurs affaires, en violation de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.

6.                  Les conclusions de validité et de contrefaçon privent les parties API de leur droit aux réparations demandées. Les parties Excalibre ont droit à des dommages-intérêts de la part d’API pour les torts subis par suite des déclarations fausses et trompeuses faites en violation de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, dont le montant sera établi dans un renvoi postérieur au procès, ainsi qu’à une injonction interdisant aux administrateurs et dirigeants d’API, ainsi qu’à toute personne sous son contrôle, de faire des observations à des tiers, y compris des clients actuels et potentiels d’Excalibre, insinuant que les versions 1 à 6 de l’ancre de couple CTA contrefont les revendications des brevets d’API.

7.                  Les parties devront s’entendre sur les dépens relatifs à l’instance. Si les parties ne trouvent pas de terrain d’entente à cet égard, elles pourront soumettre des observations écrites brèves, ne dépassant pas 5 pages, dans les 14 jours suivant la date du présent jugement.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1741-08

INTITULÉ :

EXCALIBRE OIL TOOLS LTD ET AL. c. ADVANTAGE PRODUCTS INC ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 12 septembre 2016 au 16 septembre 2016

DU 19 SEPTEMBRE 2016 AU 26 SEPTEMBRE 2016

LE 3 OCTOBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

Le 17 novembre 2016

COMPARUTIONS :

M. Doak Horne

M. Shaun Cody

Pour les DEMANDEresseS

M. Christopher Kvas

M. William Regan

M. Dominic Venturo

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING WLG

Calgary (Alberta)

 

Pour les demanderesses

NEW HORIZON LAW

Calgary (Alberta)

Pour les DEMANDERESSES

PIASETZKI NENNIGER KVAS LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1946-09

INTITULÉ :

ADVANTAGE PRODUCTS INC ET AL. C. EXCALIBRE OIL TOOLS LTD ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 12 septembre 2016 au 16 septembre 2016

DU 19 SEPTEMBRE 2016 AU 26 SEPTEMBRE 2016

LE 3 OCTOBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

Le 17 novembre 2016

COMPARUTIONS :

M. Christopher Kvas

M. William Regan

M. Dominic Venturo

Pour les DEMANDEURS

M. Doak Horne

M. Shaun Cody

Pour les défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PIASETZKI NENNIGER KVAS LLP

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

GOWLING WLG

Calgary (Alberta)

Pour les défenderesses

NEW HORIZON LAW

Calgary (Alberta)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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