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Date : 20161108


Dossier : IMM-1248-16

Référence : 2016 CF 1243

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

RENEE MARIE CHAPPELL ET ZACHERY MELVIN CHAPPELL ET TARA RHYE-ANN CHAPPELL PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE RENEE MARIE CHAPPELL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) d’une décision du 8 mars 2016 de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de rejeter l’appel interjeté par les demandeurs à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR).

[2]               Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son analyse de leur possibilité de refuge intérieur (PRI).

[3]               Un examen de la décision de la SAR n’a fait ressortir aucune erreur et, pour cette raison, la demande est rejetée.

I.                   Contexte

[4]               Les demandeurs sont des citoyens de la République islamique du Pakistan (Pakistan). La demanderesse principale, Renee Marie Chappell, et sa famille font partie de la minorité catholique romaine et vivent à Karachi, au Pakistan. Son mari habite à Dubaï et n’est pas visé par la présente demande. Ses enfants sont les autres demandeurs.

[5]               Étant donné que le salaire de son mari ne suffisait pas pour subvenir aux besoins de la famille, la demanderesse principale a été obligée d’accepter un poste d’enseignante de l’anglais et de gardienne des enfants d’un homme appelé M. Rashid (l’employeur) en janvier 2015. L’employeur a rapidement exigé qu’elle quitte son mari, qu’elle se convertisse à l’islam et qu’elle l’épouse. Lorsqu’elle a refusé, il a menacé de la dénoncer à la police pour blasphème contre l’islam. Son allégation se fonde sur la crainte que si cela se produit, elle pourrait être torturée ou encore être mise à mort par une foule. Ses enfants soutiennent être à risque pour le même motif.

[6]               Les demandeurs se sont enfuis au Canada, où ils sont arrivés le 10 juin 2015. La demanderesse principale déclare avoir entendu dire depuis que l’employeur s’est rendu à de multiples reprises au domicile de sa sœur et exigeait de savoir où elle se trouvait. La SPR a rejeté la demande des demandeurs le 1er décembre 2015 et la SAR a rejeté l’appel le 2 mars 2016, concluant qu’elle avait une PRI à Islamabad.

II.                La décision contestée

[7]               La SPR a d’abord soulevé la question de la PRI auprès des demandeurs et a proposé précisément qu’ils pourraient se réfugier à Islamabad. La seule raison donnée pour expliquer qu’elle ne pouvait pas habiter à Islamabad était qu’un procès-verbal introductif (FIR) pouvait avoir été enregistré par la police, ce que la SPR a jugé conjectural. Après enquête, elle a conclu que les demandeurs ne faisaient face à aucun danger précis de la part de l’employeur ou d’autres éléments à Islamabad. Elle a aussi conclu qu’il n’existait aucun obstacle important à ce qu’ils habitent dans cette région. La SPR a rejeté la demande des demandeurs pour ce motif.

[8]               Les demandeurs ont présenté trois nouveaux éléments de preuve à la SAR : 1) un FIR déposé par la sœur de la demanderesse principale qui soutient que l’employeur s’est rendu à son domicile pour savoir où se trouvait sa sœur et qu’il a déclaré que si elle n’acceptait pas sa proposition de mariage, il la ferait arrêter; 2) un affidavit de la demanderesse principale qui fournit des éléments de preuve supplémentaires concernant des questions soulevées lors de l’audience et des éléments de preuve quant aux démarches de l’employeur au domicile de sa sœur; et 3) de nouveaux articles qui allèguent que la PRI proposée n’est pas sécuritaire pour les chrétiens. Les deux premiers éléments de preuve ont été rejetés étant donné qu’ils pouvaient raisonnablement avoir été présentés avant la décision de la SPR. Les parties du troisième élément de preuve qui étaient postérieures à la décision de la SPR ont été admises et prises en considération. Après examen du dossier, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs disposaient d’une PRI viable à Islamabad et a confirmé sa décision, que les demandeurs contestent pour plusieurs motifs.

III.             Questions en litige

[9]               La présente demande soulève la question de savoir si la SAR a commis une erreur dans son analyse de la PRI.

IV.             Norme de contrôle

[10]           Les parties souscrivent au fait que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’analyse de la PRI faite par la SAR. Étant donné que l’analyse de la PRI consiste principalement en une enquête sur les faits, elle appelle la retenue (Verma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 404, au paragraphe 14). La Cour n’interviendra que si les conclusions de la SAR n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

V.                Analyse

[11]           Le principal argument des demandeurs concerne les conclusions de la SAR selon lesquelles une accusation de blasphème serait conjecturale, à moins qu’elle ne soit enregistrée. Dans son témoignage, la demanderesse principale a indiqué que sa principale préoccupation relativement au danger continu que représente l’employeur, si les demandeurs déménageaient à Islamabad, découlerait de l’enregistrement possible par l’employeur d’un FIR pour allégation de blasphème, ce qui la mettrait à risque. La SAR a conclu qu’une préoccupation conjecturale quant à l’enregistrement du FIR ne constituait pas un motif suffisant pour refuser de déménager à Islamabad. Elle a conclu que la demanderesse principale était tenue de démontrer que le FIR avait été enregistré à son encontre par l’employeur. La SAR a conclu que la demanderesse principale aurait pu prendre des dispositions pour obtenir une copie du FIR de l’employeur, si un tel FIR avait été enregistré.

[12]           Les demandeurs soutiennent d’abord qu’il n’y avait pas lieu pour la SAR de refuser d’accepter le FIR déposé par la sœur de la demanderesse principale comme élément de preuve, et de le prendre par la suite en considération pour mettre en doute la cause des demandeurs. Il n’existe aucune contradiction à refuser l’élément de preuve présenté par la sœur concernant le FIR au motif qu’il était antérieur à l’audience de la SPR, puis d’accepter l’élément de preuve pour établir un fait différent, à savoir que la demanderesse principale pouvait prendre des dispositions pour obtenir de la police une copie du FIR de l’employeur, si un tel FIR avait été enregistré. Aucune règle n’empêche d’utiliser le même élément de preuve pour établir des conclusions factuelles différentes à quelque fin que ce soit, à la condition qu’elles soient pertinentes à l’instance.

[13]           Le deuxième point que faisaient valoir les demandeurs était que la SAR n’a pas reconnu que la sœur de la demanderesse principale était l’auteure du FIR produit, plutôt que d’être le FIR de l’employeur. Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il y a une preuve de confusion dans la décision de la SAR. Les éléments de preuve présentés par la sœur ont permis d’établir que l’employeur, en se présentant à plusieurs reprises à son domicile, recherchait la demanderesse principale, éléments de preuve qu’elle a confirmés au moyen d’une copie de son FIR enregistré auprès de la police. Par contre, la SAR a utilisé les éléments de preuve qu’elle a fournis pour démontrer que les demandeurs auraient dû pouvoir obtenir le FIR de l’employeur si sa sœur en avait fait la demande.

[14]           Il s’agit également d’une hypothèse raisonnable, et non conjecturale comme on le soutient, que la sœur de la demanderesse principale pouvait obtenir de la police une copie du FIR de l’employeur. Inversement, il est conjectural de soutenir que des problèmes de corruption attribués à la police pakistanaise empêcheraient la sœur d’obtenir le FIR de l’employeur, s’il était enregistré et si elle en faisait la demande.

[15]           Finalement, il n’y a eu aucun débat quant au danger d’une accusation connue de blasphème dans la nouvelle collectivité des demandeurs s’ils déménageaient à Islamabad. Par contre, l’argument des demandeurs repose sur le fait que les accusations de blasphème seraient connues d’une façon ou d’une autre à Islamabad. Si le FIR n’est pas enregistré, il n’existe aucun fondement pour supposer que les accusations seraient connues.

[16]           Pour ce qui est des autres arguments des demandeurs, à savoir que la SAR n’a pas tenu compte des preuves documentaires concernant le risque général de persécution fondé sur les croyances religieuses de chrétiens à Islamabad, ou le caractère raisonnable du déménagement des demandeurs dans la PRI, la Cour conclut qu’on lui demande de réévaluer la preuve sans indication précise de l’erreur prétendue. Les décisions en ce qui concerne les questions en litige sont suffisamment étayées par les conclusions de fait et respectent les exigences de raisonnabilité du critère Dunsmuir.

[17]           Quant aux arguments des demandeurs selon lesquels la SAR a omis de prendre en considération et de mettre en application les Directives sur la persécution fondée sur le sexe, cette question n’a pas été débattue devant la SAR. Les organes d’appel se fient à des parties représentées par des avocats pour les orienter vers les questions en litige entre les parties, et ce, dans un contexte accusatoire. Si l’avocat des demandeurs n’a pas jugé bon de porter à l’attention de la SAR les préoccupations relatives à l’omission de faire appliquer les Directives sur la persécution fondée sur le sexe, il est difficile de critiquer le tribunal de ne pas avoir pris en considération la question.

[18]           Quoi qu’il en soit, l’omission de faire référence aux Directives sur la persécution fondée sur le sexe ne constitue pas en soi une erreur susceptible de révision : Sargsyan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 333. Si les conclusions du tribunal indiquent que les directives ne s’appliquaient pas, ou si les motifs indiquent que leurs exigences ont été respectées, alors il n’est pas nécessaire de s’y référer explicitement. La demanderesse principale était une employée prospère qui élevait seule ses deux enfants. Apparemment, elle n’a eu aucune difficulté à se trouver un emploi et elle a reconnu qu’elle vivait confortablement au Pakistan. En outre, elle a indiqué clairement que sa crainte de déménager à Islamabad découlait d’inquiétudes liées au fait que son employeur avait enregistré un FIR dans lequel il portait une accusation de blasphème. Ces faits ne laissent pas entendre que les Directives sur la persécution fondée sur le sexe se seraient appliquées aux demandeurs ou auraient donné lieu à un résultat différent.

VI.             Conclusion

[19]           Par conséquent, la demande est rejetée. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande, et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1248-16

 

INTITULÉ :

RENEE MARIE CHAPPELL ET ZACHERY MELVIN CHAPPELL ET TARA RHYE-ANN CHAPPELL PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE RENEE MARIE CHAPPELL c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 NOVEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Max Chaudhary

Pour les demandeurs

 

Lucan Gregory

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Chaudhary

Avocat

North York (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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