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Date : 20161020


Dossier : T-82-15

Référence : 2016 CF 1172

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

CEDC INTERNATIONAL SP. Z O.O

demanderesse

et

UNDERBERG KG ET UNDERBERG AG

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’un appel que CEDC International SP Z O.O (CEDC) a interjeté aux termes de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi) à l’encontre d’une décision de la Commission d’opposition des marques de commerce (la Commission). L’appel porte sur une décision accueillant l’opposition soulevée par Underberg KG et Underberg AG (collectivement, Underberg) et rejetant la demande de CEDC visant l’enregistrement du mot « Żubrówka » comme marque de commerce en association avec une vodka aromatisée.

[2]  La Commission a rejeté la demande en application de l’alinéa 12(1)c) de la Loi et elle a conclu que CEDC n’était pas parvenue à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le mot « Żubrówka » n’est pas le nom utilisé en polonais pour désigner les marchandises. Autrement dit, la preuve n’a pas convaincu la Commission que le mot « Żubrówka » n’est pas un terme générique utilisé en polonais pour désigner toute vodka aromatisée à l’herbe aux bisons en polonais.

[3]  CEDC attaque plusieurs aspects de la décision de la Commission, Elle lui reproche notamment de s’être référée à des sources non polonaises pour conclure que le mot « Żubrówka » est utilisé [traduction] « en polonais pour désigner les marchandises en cause » (paragraphe 30 du mémoire des faits et du droit de CEDC). CEDC estime également que la Commission a commis une erreur en citant des sources ne faisant pas autorité et en concluant sans preuve que [traduction] « ŻUBRÓWKA est utilisé en polonais pour désigner les marchandises en cause » (paragraphe 43 du mémoire des faits et du droit de CEDC). Par ailleurs, toujours selon CEDC, la Commission aurait incorrectement prétendu que la thèse défendue dans une autre affaire de marque de commerce non liée constituait une « admission » de sa part.

[4]  CEDC précise ses arguments aux passages suivants de son mémoire :

[traduction]
54.  La Commission a rendu une décision déraisonnable.

a)  La Commission a manqué de cohérence. D’une part, en raison des divergences entre les réglementations étrangère et canadienne en matière de marques de commerce, la Commission n’a pas été convaincue par les décisions étrangères que CEDC a invoquées. De l’autre, elle a reçu et jugé convaincante la preuve déposée par l’opposante concernant des déclarations de CEDC dans le cadre d’une procédure instruite à l’étranger selon une réglementation différente.

b)  La décision de la Commission est entachée d’erreurs flagrantes. La Commission a écarté la preuve de CEDC selon laquelle le terme ŻUBRÓWKA est un nom commercial en Pologne, ce qui n’empêche pas qu’il soit aussi utilisé de manière générique en polonais. Toutefois, l’opposante n’a produit aucun élément de preuve susceptible de fonder une conclusion de la Commission comme quoi ŻUBRÓWKA est un terme générique en polonais.

55.  La Commission n’a pas expliqué pourquoi elle a tranché la question de l’utilisation du mot ŻUBRÓWKA pour désigner les marchandises en cause en polonais en accordant la prépondérance à la preuve de l’opposante qui, contrairement à celle de CEDC, ne provient pas de sources polonaises.

[5]  Aucun argument ne suggère que l’énoncé de la Commission concernant la norme applicable à un examen fondé sur l’alinéa 12(1)c) de la Loi suggère qu’une erreur de droit a été commise.

[6]  Tous les arguments de CEDC intéressent l’appréciation de la preuve par la Commission. En appel, ces arguments s’examinent du point de vue de la norme de la décision raisonnable (Engineers Canada c REM Chemicals, Inc., 2014 CF 644, au paragraphe 28, 125 CPR (4th) 245). Lorsque, les parties produisent des éléments de preuve inédits pour étayer leurs positions respectives conformément au paragraphe 56(5) de la Loi, comme c’est la cas ici, je dois adhérer aux observations de mon collègue, le juge James Russell, au paragraphe 140 de la décision Pfizer Products Inc. c Association canadienne du médicament générique, 2015 CF 493, 133 CPR (4th) 159, qui lui-même faisait siennes les déclarations de la demanderesse dans cette affaire :

[traduction]

38  Norme de contrôle. Selon le paragraphe 56(5) de la Loi, « il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi » dans le cadre d’un appel.

39.  La norme de contrôle applicable doit être déterminée point par point. Lorsque le dossier est complété par des éléments de preuve supplémentaires, la norme de contrôle à appliquer dépend de l’importance des nouveaux éléments. S’ils ne font que répéter ceux qui ont été produits devant le registraire, la déférence s’impose et la norme appropriée est la raisonnabilité (cela veut dire que si le résultat obtenu à l’instance inférieure appartient à une gamme d’issues possibles ou n’est pas « manifestement erroné », il y a lieu de faire preuve de déférence). Cependant, si les éléments de preuve auraient eu une incidence marquée sur la conclusion de fait que le registraire a tirée ou sur le pouvoir discrétionnaire qu’il a exercé, la Cour se doit de tirer ses propres conclusions à propos de la justesse de la décision.

40.  Importance des nouveaux éléments de preuve. La Cour doit évaluer si les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence marquée sur la décision. Pour avoir un tel effet, les nouveaux éléments de preuve doivent être importants et significatifs, et le critère est de nature qualitative, et non quantitative. Si les éléments de preuve supplémentaires n’ajoutent aucune importance probante, ne font que répéter les éléments de preuve existants, sont peu pertinents, formulent des hypothèses qui ne s’appuient sur rien de précis ou ont été produits uniquement pour « soutenir la décision du registraire », c’est dans un tel cas une norme de contrôle faisant appel à un plus grand degré de retenue qui s’applique.

41.  Si le registraire a fait état d’une absence d’informations ou d’une lacune, de nouveaux éléments de preuve qui y répondent peuvent être pris en compte (ce qui peut mener, le cas échéant, à un examen empreint de moins de déférence à propos de la justesse de la décision).

[Références omises.]

[7]  CEDC affirme au paragraphe 43 de son mémoire des faits et du droit que la Commission a conclu à tort que le mot « Żubrówka » est utilisé pour désigner les marchandises en cause en polonais. Or, la Commission n’a pas tiré de conclusion de la sorte. Elle a plutôt statué, au vu de [traduction] « l’ensemble de la preuve », que CEDC n’est pas parvenue à établir que le mot proposé comme marque n’est pas le nom des marchandises en polonais. Il lui incombait pourtant d’en donner la preuve ultime puisque, comme le soutient la Commission, M. Barwinski avait fait une démonstration convaincante dans sa déposition au nom d’Underberg. Au vu du dossier à sa disposition, la conclusion de la Commission n’est pas déraisonnable. Tout simplement, CEDC n’a pas présenté une preuve suffisante à la Commission, particulièrement si on la compare à celle d’Underberg.

[8]  S’agissant de la signification du mot « Żubrówka », CEDC s’est principalement fondée sur l’affidavit de Richard Roberts, son vice-président pour l’Amérique et l’Asie. M. Roberts propose une ébauche d’analyse lexicographique au paragraphe suivant :

[traduction]

6.   Le mot ŻUBRÓWKA est un nom vernaculaire dérivé du mot zubr, qui désigne en polonais une espèce indigène d’aurochs (ou de bison) qui se nourrit d’herbe aux bisons (hiérochloé odorante). Un extrait du dictionnaire Oxford anglais-polonais est joint à la pièce A : [traduction] « (1) Bot. Botanique. Hiérochloé odorante; (2) (wódka) Bison Brand Vodka®. »

[9]  Essentiellement, l’affidavit de M. Roberts traite des expériences commerciales de CEDC en matière de production, de stratégie de marque et de vente de sa vodka « Żubrówka » au Canada et ailleurs. Il dresse en outre la liste des 59 pays qui ont accordé à CEDC la protection de la marque verbale « Żubrówka », dont la Pologne, l’Italie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Irlande.

[10]  M. Roberts reconnaît que d’autres distilleries produisent une vodka aromatisée à l’herbe aux bisons, mais il affirme qu’aucune autre [traduction] « n’emploie le mot ŻUBRÓWKA sur l’étiquette » (affidavit de M. Roberts, au paragraphe 28).

[11]  Étonnamment, l’affidavit de M. Roberts passe sous silence le fait que certains des pays ont retiré la protection de la marque verbale « Żubrówka » par suite d’une opposition, d’un désistement ou d’un rejet. C’est le cas notamment des États-Unis et de nombreux pays de l’Union européenne. Par surcroît, l’affirmation de M. Roberts selon laquelle aucune autre vodka aromatisée à l’herbe aux bisons n’est commercialisée sous le nom « Żubrówka » est également inexacte, voire trompeuse. En effet, des étiquettes de vodka russe portant le mot « Żubrówka » sont décrites dans une décision rendue en Europe en 2003 par l’Office de l’harmonisation dans le Marché Intérieur (marques, dessins et modèles) M. Barwinski aborde ce point dans son affidavit :

[traduction]

14.  Le caractère descriptif et générique du terme « Zubrówka » ressort clairement de son emploi par de nombreuses autres vodkas aromatisées à l’herbe aux bisons. Ces emplois sont antérieurs à la date de production de la demande faisant l’objet de la présente procédure d’opposition. De multiples vodkas aromatisées à l’herbe aux bisons sont produites et commercialisées sous le nom « Zubrówka » dans de nombreux pays, notamment en Pologne, en Russie, en Lituanie, dans la République tchèque, en Ukraine et au Bélarus. La pièce 7 contient des photographies de 28 produits appelés « Zubrówka » qui sont ou ont été vendus dans ces pays.

15.  On trouve le mot « Zubrówka » (ou « Zubrovka », « Zubrivka », ou l’équivalent phonétique en caractères cyrilliques) sur l’étiquette de la plupart des produits présentés sur les photographies de la pièce 7. Pour la plupart de ces produits, le mot « Zubrówka » est combiné à d’autres mots ou éléments graphiques sur l’étiquette de la bouteille. Dans ces cas, le mot « Zubrówka » décrit le type de vodka, et plus précisément son arôme; d’autres éléments sont utilisés pour désigner la source du produit. Les appellations suivantes (se reporter à la pièce 7) donnent une bonne idée de la fonction descriptive du mot « Zubrówka » employé en combinaison avec d’autres éléments distinctifs pour indiquer la provenance :

  BAK’s ZUBRÓWKA BISON BRAND

  BAK’S BISON GRASS VODKA ZUBRÓWKA

  Zubrovka Bison Vodka (Fruko Schulz)

  BOTRAN Poland’s Zubrówka Formula VODKA SPECIAL

  POLMOS ZUBRÓWKA BISON BRAND VODKA

  Kord Zubrovka (Distillerie Kord)

  Moskovskaya Zubrovka (Simex)

  Zubrovka Bison Vodka (Borco)

  Zubrivka Ripka

  Brestskaya Zubrovka (Belaco)

  Mernaya Zubrivka (Knyazhyi Hrad)

  S. Tersa Paris Zoubrovka

  Bulbash Zubrovka

  Zlatogor Zubrivka

  Velejemna Zubrovka

16.  L’opposante a utilisé abondamment et pendant de nombreuses années le mot « Zubrówka » (épelé avec la lettre « v » au lieu de « w ») sur les étiquettes des bouteilles de sa vodka aromatisée à l’herbe aux bisons et commercialisée sous la marque GRASOVKA. La pièce 8 contient des descriptions des diverses présentations commerciales que l’opposante a utilisées pour sa vodka aromatisée à l’herbe aux bisons depuis 1977.

17.  Le mot Zubrówka » (épelé avec la lettre « v ») est également utilisé pour indiquer le type de vodka sur la plus récente présentation commerciale utilisée par l’opposante (en 2010) et dans le matériel promotionnel connexe. La pièce 9 contient les images figurant sur les présentations commerciales et dans le matériel promotionnel utilisés par l’opposante en 2010 pour sa marque GRASOVKA de Zubróvka.

[12]  Selon CEDC, la Commission a rendu une décision déraisonnable parce qu’elle n’avait à sa disposition [traduction] « absolument aucune preuve » menant à la conclusion que « Żubrówka » est un terme générique utilisé en polonais pour désigner toute vodka aromatisée à l’herbe aux bisons. CEDC ajoute qu’il manquait au dossier des éléments de preuve essentiels :

a)  étayant la signification du mot ZUBRÓWKA en polonais;

b)  provenant de dictionnaires polonais-anglais ou anglais-polonais;

c)  provenant d’un consommateur canadien qui parle le polonais;

d)  provenant de la Pologne;

e)  étayant l’utilisation commerciale du terme en polonais ou en Pologne.

[13]  À l’inverse, CEDC estime avoir fourni à la Commission amplement de références polonaises démontrant que « Żubrówka » n’est pas un mot générique en polonais et qu’il y a donc lieu de le protéger à titre de marque de commerce. En réalité, la preuve produite par CEDC à ce sujet a été jugée très mince par la Commission (paragraphes 34 et 35 des motifs de la Commission).

[14]  L’examen des autres arguments de CEDC doit se faire à la lumière de l’ensemble du dossier de la preuve dont disposait la Commission. Celle-ci mentionne quelques-uns seulement des renvois cités dans l’affidavit de M. Barwinski. Il ne faut pas s’en étonner : Underberg avait seulement une obligation de présentation, et elle s’en est acquittée haut la main en produisant les éléments de preuve évoqués par la Commission. La déférence à laquelle est tenue la cour de révision ne l’empêche en rien, si c’est approprié et nécessaire, d’examiner des éléments de preuve dont le décideur n’a pas traité dans ses motifs (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 15, [2011] 3 RCS 708). En l’espèce, le dossier complet de la preuve étaye amplement la conclusion de la Commission selon laquelle CEDC ne s’est pas acquittée de son obligation en matière de preuve.

[15]  Tel qu’il est mentionné ci-dessus, elle s’est bornée à reproduire un article du dictionnaire Oxford Polish-English, selon lequel « Żubrówka » signifie [traduction] (1) Bot. Botanique. Hiérochloé odorante; (2) (wódka) Bison Brand Vodka®). Les déposants d’Underberg ont quant à eux fourni beaucoup d’autres références qui expliquent beaucoup plus en détail le lien historique du mot avec les vodkas de l’Europe de l’Est aromatisées à l’herbe aux bisons. Voici certains exemples :

[traduction]
a)  En quoi la Zubrowka est-elle unique?

La Zubrowka est une vodka de spécialité haut de gamme qui, au XVIe siècle, s’était gagné la faveur de la noblesse polonaise.

Ce spiritueux doit son goût unique à l’herbe aux bisons, ou hiérochloé odorante, une plante médicinale qui pousse dans les prairies du parc national de Białowieża, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, et qui offre un mets de choix aux bisons européens, une espèce rare. C’est ce bison qui est représenté sur l’étiquette et le logo de la vodka Zubrowka. Le brin d’herbe aux bisons déposé dans chaque bouteille de Zubrowka en constitue le signe distinctif et y ajoute un goût et un arôme agréables, ainsi qu’une touche subtile de vert.

[Page 814, volume 4, dossier de la demanderesse]

[...]

b)  Oxford English Dictionary | The definitive record of the English language

[traduction] zubrowka, n.

Prononciation : (/ʒᵿˈbrufka/, russe /zᵿˈbrofkə/)

Autres graphies : Zubrovka.

Étymologie : polonais żubrówka, russe zubrovka, formes dérivées du polonais żubr et du russe zubr, bison européen. La plante, de la famille des céréales, serait l’aliment préféré du bison européen. Comparer [...]

Vodka aromatisée avec les tiges de Hierochloe australis, une variété d’hiérochloé odorante qui pousse en Europe centrale et orientale.

1944  MAUGHAM Razor’s Edge, vol. 193. Une larme de zubrovka ne saurait faire de tort à Monsieur. Elle est excellente pour les reins, c’est bien connu. Nous venons d’en recevoir de Pologne.

1970 E. QUEEN Last Woman 1. 15  On trouve absolument tout dans ce bar escamotable […] de l’absinthe à la zubrovka.

1990  Jazz FM No. 1. (publicité) (recto couverture arrière) La Zubrowka doit son goût délicat à l’herbe aux bisons, qui pousse seulement dans la Forêt de Białowieża, à l’est de la Pologne.

[Page 828, volume 4, dossier de la demanderesse]

[...]

c)  Divers aspects de la Zubrowka sont mentionnés à plusieurs endroits dans l’encyclopédie Britannica.

[traduction] Références diverses

  caractéristiques (sous vodka (eau-de-vie)

Les vodkas sont parfois aromatisées. La Zubrówka, d’une couleur jaunâtre, est très aromatique, avec une note d’amertume. Elle est obtenue par une macération de plusieurs tiges de Zubrówka, ou herbe aux bisons, plongées dans la vodka. D’autres vodkas aromatisées sont fabriquées à partir d’ingrédients comme le zeste de citron, les grains de poivre et le carvi.

[Page 830, volume 4, dossier de la demanderesse]

[...]

d)  Encyclopédie des vins et des alcools de tous les pays

Signée par Alexis Lichine, une sommité dans le domaine des vins, l’encyclopédie donne

la définition suivante sous « Zubrówka » :

[traduction] « Type de vodka polonaise. De couleur verdâtre, elle doit son goût aux herbes sauvages préférées du zubra (bison polonais), l’animal qui illustre l’étiquette. S’il s’agit de l’authentique Zubrowka, la bouteille contient un brin de cette herbe. »

« La Zubrówka, emblématique de la Pologne et très appréciée à l’étranger, affiche sur son étiquette l’image d’un bison. S’il s’agit de l’authentique Zubrówka, elle est aromatisée avec un brin d’herbe « sainte » dont raffole le [zubr] (aurochs polonais). »

[Page 845, volume 4, dossier de la demanderesse]

[...]

e)  [traduction] Vodka Zubrowka

La Zubrowka, ou vodka à l’herbe aux bisons, est distillée à partir de seigle, puis infusée avec le parfum du « foin d’odeur », ou Hierochloe odorata, provenant de la forêt primitive de Białowieża. La Zubrowka, composée d’alcool à 40 %, est jaune-verdâtre et se caractérise par son doux goût d’herbe. Son arôme vient de l’infusion d’un ou deux kilogrammes d’herbe aux bisons par mille litres de vodka. Habituellement, un long brin de cette herbe agrémente chaque bouteille. La coumarine présente dans Hierochloe odorata est une substance chimique naturelle qui servait à l’origine à parfumer le tabac et les gâteaux, et à laquelle on a trouvé diverses propriétés médicinales (par exemple, des propriétés anticoagulantes). La Zubrowka contient seulement une douzaine de milligrammes de coumarine par litre.

Les origines de la Zubrowka remontent au huitième siècle, lorsqu’une personne aurait accidentellement combiné l’alcool aux herbes médicinales. Comme le tracé des frontières a beaucoup fluctué au cours des siècles, on ne sait toujours pas si cette vodka est originaire de la Pologne d’aujourd’hui ou de la Russie. Au XVIe siècle, on comptait quelque 72 vodkas aux herbes, qui pouvaient être produites par la distillation de grains de seigle, de sarrasin ou d’avoine. On masquait les impuretés avec des épices, des herbes et des racines. La Zubrowka elle-même a gagné en popularité après l’accord signé entre la Pologne et la Lituanie en 1569. À cette époque, les camps de chasse de la forêt de Białowieżaon servaient de lieux de repos à la cour royale polonaise durant les trajets vers le nord-est. La distillerie J.A. Baczewski, située à Lvov, est la première à avoir distribué la Zubrowka à grande échelle au XVIIe siècle.

[Pages 895 et 896, volume 4, dossier de la demanderesse]

[...]

f)  (2)  [traduction] On ne devrait pas donner le nom d’une eau-de-vie qui est un produit distinctif d’un lieu ou d’un pays particulier, comme le Habanero, pour désigner un produit venant d’ailleurs à moins d’y inclure une expression comme « de type » ou un adjectif comme « américain » pour indiquer expressément le lieu réel de production. La prescription concernant le lieu de production ne devrait pas s’appliquer aux désignations si l’usage ou le sens ordinaire ont escamoté leur importance géographique au point que l’agent de l’ATF en vient à la conclusion qu’elles sont devenues génériques. On peut penser à des mots comme Slivovitz, Zubrovka, Aquavit, Arrack ou Kirschwasser.

[Page 959, volume 4, dossier de la demanderesse]

[...]

g)  [traduction] « Une marque générique est habituellement une description commune d’un produit (W.W.W. Pharm. Co. v Gillette Co., 984 F.2d 567, 572 (2nd Cir. 1993), qui fait référence, ou en est venue à être considérée comme faisant référence au genre auquel appartient un produit en particulier » (Abercrombie & Fitch Co. v Hunting World, Inc., 537 F.2d 4, 9 (2nd Cir. 1976). Dans l’arrêt de principe J. Canfield v Honickman, 808 F. 2d 291 (3rd Cir.), la cour explique que [traduction] « [l]a question du caractère générique du terme qui désigne le produit sera tranchée en considération du besoin des concurrents de l’utiliser. À tout le moins, s’il n’existe aucun autre terme courant dénotant efficacement les mêmes attributs fonctionnels, le terme qui désigne le produit sera réputé générique ». (J’ajoute le gras.) La doctrine Canfield est pertinente en l’espèce. Tel qu’il a été établi ci-dessus, le mot « zubrowka » se traduit par « vodka aromatisée à l’herbe aux bisons », qui décrit incontestablement les marchandises. Une application conjointe de la doctrine Canfield et d’autres doctrines étrangères équivalentes selon l’interprétation du juge McCarthy corrobore la proposition de l’avocat interrogateur selon laquelle « zubrowka » est un mot générique parce que son équivalent étranger décrit entièrement les marchandises. Par conséquent, les concurrents ont clairement besoin d’utiliser cette formulation pour décrire leurs marchandises, et particulièrement les vodkas contenant de l’herbe aux bisons.

[...]

En plus d’être utilisé dans la jurisprudence, le mot « zubrowka » est très courant dans les médias et diverses publications et revues en ligne. Dans une bonne partie de ces publications, le mot ne désigne pas la source : il est utilisé de manière descriptive pour indiquer le type d’alcool. Dans plusieurs de ces pièces, l’auteur fait référence au « tatanka », un cocktail populaire composé de « zubrowka » et de jus de pommes (voir les pièces 7 à 9 ci-jointes). Dans les recettes, la « zubrowka » figure dans la liste des ingrédients du cocktail, tout comme le jus de pommes; le mot ne désigne pas une marque de commerce. Il n’est jamais indiqué que « zubrowka » est la marque de la vodka entrant dans la composition du cocktail. Le mot désigne plutôt le type d’eau-de-vie utilisée. Autrement, il serait précisé dans la recette que pour préparer un tatanka, il faut absolument utiliser une certaine marque de vodka aromatisée à l’herbe aux bisons. Or, aucune publication ne mentionne qu’il faut utiliser une marque en particulier pour préparer ce cocktail. Deuxièmement, dans les articles de presse, le mot « zubrowka » est utilisé de manière générale pour désigner un type de vodka et non pour désigner une source (voir les articles de presse « Zubrowka 1 à 5 » ci-joints).

[Pages 982 à 984, volume 4, dossier de la demanderesse]

[...]

h)  Comme je l’ai déjà mentionné, le mot « Zubrowka », au cœur du présent litige, est d’origine polonaise et il a été convenu qu’il désigne principalement un type de vodka aromatisée à l’herbe aux bisons dans les livres de référence pertinents (notamment, Langenscheidt’s Pocket Polish Dictionary, 14e édition, 1992, page 595, colonne de gauche; Spirits Dictionary, www.bsl- bonn.de/lexicon/s.htm; Brockhaus - Die Enzyklopädie in 24 Bänden, 19e édition, volume 24, page 301, colonne de droite). Contrairement aux allégations de l’opposante, il n’est pas nécessaire pour les acteurs des marchés locaux de connaître les liens étymologiques avec le mot polonais « zubr » (bison, buffle, cf. Langenscheidt’s Pocket Polish Dictionary, 14e édition, 1992, page 595) pour savoir ce que signifie la marque « Zubrowka ». Le nom commercial est explicite.

[Page 1019, volume 4, dossier de la demanderesse]

 [...]

i)  En appel, la Commission a conclu que la marque « ZUBROVKA » est dénuée de caractère distinctif comme marque de commerce pour la vodka (et donc pour les aquavits) et serait trompeuse comme marque de commerce d’eau-de-vie. La Commission a tenu compte du fait que le mot « zubr » et d’autres racines semblables dans plusieurs langues slaves font référence aux espèces d’herbes utilisées dans de nombreux pays pour la fabrication d’un certain type de vodka. Par conséquent, le mot « ZUBROVKA » est maintenant utilisé, ainsi qu’en attestent les preuves documentaires, comme une appellation générique pour ce type de vodka dans les milieux d’affaires, et particulièrement par les acteurs du marché des spiritueux et les autorités concernées (dans l’Union européenne et aux États-Unis, notamment).

[Page 1050, volume 5, dossier de la demanderesse]

[...]

j)  Nous, Consiva Wine & Spirits, sommes les importateurs exclusifs de la vodka à l’herbe aux bisons ZUBROWKA au Danemark. Nous importons cette vodka de la Pologne depuis des décennies.

On nous a demandé s’il existe d’autres vodkas de type Zubrowka. Nous confirmons que c’est le cas. Nous savons que de nombreuses vodkas de type Zubrowka sont offertes dans les marchés européens et qu’elles proviennent notamment de la République tchèque, de la Russie, des États-Unis ou de la Biélorussie. Plus précisément, nous connaissons la vodka russe ZUBROWKA, qui est exportée vers l’Europe de l’Ouest par la société commerciale russe SIP. Nous connaissons aussi la MOSKOVSKAYA ZUBROWKA, distribuée par la société allemande Simex, ainsi que la KORB ZUBROWKA, fabriquée et exportée par la société tchèque Kord. De toute évidence, d’autres vodkas de type Zubrowka sont commercialisées en Europe. À notre avis, « Zubrowka » est un terme générique décrivant un type particulier de vodka.

[Page 1101, volume 5, dossier de la demanderesse]

[...]

k)  Vous vous êtes adressés à nous à titre d’autorité en matière de boissons alcoolisées pour savoir si nous connaissions le mot « Zubrovka » et sa signification. Nous pouvons confirmer que nous connaissons ce mot et qu’il désigne un type de vodka aromatisée à l’herbe aux bisons. Le mot tire son origine des mots polonais désignant un bison (« Zubr ») et l’herbe aux bisons, et décrit le procédé traditionnel de fabrication de ce type de vodka (la Zubrovka est aromatisée avec de l’herbe aux bisons).

Selon notre connaissance du marché, il s’agit d’un terme se rapportant à un type particulier de vodka aromatisée avec un brin d’herbe aux bisons. Le mot « Zubrovka » a un lien direct avec l’aromatisation des vodkas, puisque le mot « zubr » est le mot polonais désignant le bison ou l’herbe aux bisons.

Nous avons observé qu’un certain nombre de fabricants utilisent le mot « Zubrovka » pour désigner les vodkas aromatisées à l’herbe aux bisons. La Zubrovka est fabriquée dans divers pays. Les vodkas de type Zubrovka commercialisées en Europe proviennent de la Pologne, de la République tchèque, de la Russie, des États-Unis et de la Biélorussie. Notamment, la MOSKOVSKAYA ZUBROVKA est distribuée par la société allemande Simex; la KORD ZUBROVKA par la société tchèque Kord; la ZUBROVKA BISON VODKA par la société polonaise Polmos Bialystock, et la GRASOVKA VODKA ZUBROVKA par Underberg AG. Nous sommes convaincus que d’autres marques de vodka Zubrovka sont distribuées en Europe.

[Page 1104, volume 5, dossier de la demanderesse]

[...]

l)  J’ai le plaisir de confirmer que, selon les connaissances actuelles, « Zubrowka » est un terme générique pour désigner l’eau-de-vie connue sous le nom de vodka. Cette question a été précisée il y a quelques années par l’Association for the Protection of the Distilling Industry. Une distillerie avait déposé une demande d’enregistrement du terme « Zubrowka » à titre de marque verbale d’une eau-de-vie auprès du bureau allemand des brevets et des marques [Deutsches Patent-und Markenamt]. À notre demande, le bureau allemand des brevets et des marques a annulé cette marque de commerce aux motifs qu’il s’agissait d’un terme générique ne permettant pas de déterminer l’origine des marchandises provenant d’une entreprise en particulier et ne pouvant donc pas être protégé au nom du droit à la liberté.

La Zubrowka se distingue par l’arôme que dégage le brin d’herbe déposé dans la bouteille. Ce procédé d’aromatisation est considéré comme un attribut distinctif du groupe générique, auquel tous les fabricants et distributeurs de Zubrowka peuvent recourir.

[Page 1108, volume 5, dossier de la demanderesse]

[...]

m)  (1)   Turówka wonna, ou Zubrówka (Hierochloe odorata), est une herbe aromatique qui pousse à l’état sauvage en Europe du Nord, en Sibérie et en Amérique du Nord; elle peut aussi être cultivée. Cette plante saisonnière possède des propriétés médicinales et elle contient une substance, la coumarine, qui lui donne un arôme particulier qui parfume l’alcool.

(2)   Żubrówka, vodka sèche aromatisée à l’herbe; nom polonais – Bison Brand Vodka; elle est préparée en ajoutant de l’herbe d’aurochs (herbe du genre Hierochloe), dont l’arôme est unique; un brin d’herbe est déposé dans chaque bouteille de la vodka authentique.

[Page 826, volume 4, dossier de la demanderesse]

[16]  CEDC qualifie fallacieusement les références précédentes d’exemples incohérents et erronés de sources non polonaises.

[17]  Les références produites par Underberg indiquent que le mot « Żubrówka » vient de l’ancien polonais et a d’autres acceptions. Pour déterminer si le mot est purement descriptif des marchandises, il faut s’en remettre à la première impression du consommateur régulier de vodka aromatisée à l’herbe aux bisons (ITV Technologies Inc. c WIC Television Ltd., 2003 CF 1056, au paragraphe 81, 29 CPR (4th) 182, conf. par 2005 CAF 96, 38 CPR (4th) 481). Il n’est pas nécessaire que ce consommateur comprenne ou parle le polonais. Le plus important est qu’il saisisse, s’il y a lieu, la portée descriptive du mot au moment de prendre une décision d’achat.

[18]  La preuve dont la Commission dispose milite très fortement en faveur de la thèse soutenue par Underberg en opposition. Il convient de souligner aussi que CEDC ne s’est pas attaquée directement à la preuve produite par Underberg, mais seulement à sa valeur probante, et c’est tout aussi éloquent. Elle a conservé la même approche dans le présent appel et n’a pas étoffé le dossier de preuve, du moins pas suffisamment pour convaincre la Cour de réexaminer la décision de la Commission sur le fond.

[19]  Le fait que CEDC a obtenu la protection de la marque verbale « Żubrówka » dans certains pays, y compris la Pologne, n’empêche nullement de conclure que l’alinéa 12(1)c) de notre Loi n’en autorise pas la monopolisation, comme l’a correctement observé la Commission. De façon similaire, la protection accordée à un dessin-marque intégrant le mot « Żubrówka » au Canada n’a aucune incidence sur la décision concernant la protection de la marque verbale. Ce mot est en effet très souvent intégré au dessin illustrant les étiquettes de vodkas aromatisées à l’herbe aux bisons.

[20]  Par ailleurs, l’absence d’un mot étranger comme « Żubrówka » dans les dictionnaires anglais ne dit pas grand-chose quant à sa signification ou à son utilisation dans les pays anglophones ou ailleurs. C’est d’autant plus vrai si l’on considère que la Commission a été saisie de nombreux documents de référence en diverses langues qui attestent qu’en polonais, « Żubrówka » est un mot générique utilisé pour désigner une vodka aromatisée à l’herbe aux bisons dans les lieux où elle est produite et vendue.

[21]  CEDC fait aussi fausse route quand elle renvoie à des noms commerciaux qui font maintenant partie du lexique courant, tels Bacardi, Kleenex ou Martini. En fait, ce phénomène linguistique est exactement l’inverse de ce qui est observé ici. Comme le montre la preuve, CEDC tente de s’approprier un mot utilisé couramment et de longue date en Pologne et ailleurs pour décrire un type de vodka dont la particularité est d’être aromatisée à l’herbe aux bisons. De plus, dans sa déposition non contestée, M. Barwinski a confirmé qu’aucun autre mot commun ne désigne la vodka aromatisée à l’herbe aux bisons en polonais (au paragraphe 91).

[22]  Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Commission a raisonnablement statué que CEDC ne s’est pas acquittée de son obligation de preuve. Les rares éléments de preuve produits concernant le sens de « Żubrówka » sont loin de faire le poids contre la démonstration du contraire donnée par Underberg.

[23]  Pour les motifs exposés précédemment, le présent appel est rejeté et des dépens convenus de 15 000 $ sont adjugés à Underberg.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande avec dépens de 15 000 $ en faveur de la défenderesse.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-82-15

INTITULÉ :

CEDC INTERNATIONAL SP. Z O.O c UNDERBERG KG ET UNDERBERG AG

LIEU DE L’AUDITION :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 juin 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

Le 20 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Daniel Daniele

Allyson Whyte Nowak

Pour la demanderesse

Gordon J. Zimmerman

Brandon L. Evenson

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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