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Date : 20161110


Dossier : T-349-16

Référence : 2016 CF 1257

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

NATION CRIE PEEPEEKISIS NO. 81

demanderesse

et

TODD DIETER

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par Nation Crie Peepeekisis no 81 [Peepeekisis] contestant la décision d’un arbitre d’accorder au défendeur, Todd Dieter, une indemnité pour congédiement injuste.

I.                   Contexte factuel

[2]               En avril 2011, M. Dieter a été engagé par Peepeekisis en vertu de ce qu’on appelle un contrat de services professionnels en vue de fournir, pendant deux ans, un service hebdomadaire de livraison d’eau à quarante foyers de la réserve. Une rémunération annuelle de 45 000 $ devait lui être payée par versements bimensuels réguliers. Le contrat initial a expiré le 27 avril 2013. Il a été prolongé deux fois par accord mutuel des parties, une première fois le 30 juin 2014 et la seconde le 14 juillet 2015. Le contrat écrit pour la période s’étendant jusqu’en juillet 2015 n’a jamais été signé par aucune des parties, mais les deux parties en ont respecté les conditions jusqu’à ce que Peepeekisis le résilie unilatéralement le 19 novembre 2014. Le contrat énonçait les conditions d’engagement de M. Dieter et le décrivait comme un entrepreneur indépendant.

[3]               Le 19 février 2015, M. Dieter déposa une plainte pour congédiement injuste en vertu de la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 [Code]. Le ministre a désigné M. Dan Cameron [l’arbitre] pour trancher la plainte et à cette fin, une audience a eu lieu le 4 décembre 2015 à Regina, en Saskatchewan. L’arbitre a rendu une décision favorable à M. Dieter le 28 janvier 2016, lui accordant une indemnité de 30 000 $.

[4]               Peepeekisis conteste la décision au motif que l’arbitre n’avait pas la compétence pour accorder une indemnité à M. Dieter puisqu’il n’était pas une « personne » visée par l’article 240 du Code. Peepeekisis affirme que M. Dieter n’était pas son employé, mais plutôt un entrepreneur indépendant ne pouvant demander réparation en vertu du Code. Peepeekisis conteste également la décision de l’arbitre selon laquelle M. Dieter était un entrepreneur dépendant ayant droit à la réparation prévue par la loi.

[5]               Je ne suis pas d’accord avec Peepeekisis que les questions que cette décision soulève doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Ces questions exigent qu’un arbitre applique les faits relatifs à la relation contractuelle à un ensemble de principes législatifs et de common law. Les conclusions mixtes de fait et de droit ― même celles qui concernent la compétence de l’arbitre à rendre une décision ― appellent à la déférence et doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

[6]               La décision de l’arbitre pose certains problèmes manifestes. Cependant, la question qui demeure est celle de savoir si ces problèmes suffisent à rendre la décision déraisonnable.

[7]               L’arbitre a d’abord déterminé si M. Dieter répondait à la définition d’employé en common law ou si, en revanche, il était un entrepreneur indépendant. Pour en arriver à la conclusion que M. Dieter était un entrepreneur indépendant, l’arbitre a utilisé l’analyse suivante :

i) Todd Dieter : employé ou entrepreneur indépendant?

Les arrêts de principe portant sur le critère permettant de déterminer si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant sont les arrêts de la Cour d’appel fédérale dans Wiebe Door Service Ltd. c. M.N.R., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.) et l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983. Dans l’arrêt Sagaz Industries, la Cour suprême a conclu que « […] [a]ucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant » et qu’il faut déterminer « […] quelle relation globale les parties entretiennent entre elles ». Bien qu’il n’existe aucun critère universel, l’arrêt Sagaz a confirmé la démarche suivie dans l’arrêt Wiebe Door, qui se résume comme suit :

La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

Les éléments déterminants sont les suivants :

-   quel est le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur?

-   le travailleur fournit-il son propre outillage et en assure-t-il l’entretien?

-   engage-t-il lui-même ses assistants?

-   quelle est l’étendue de ses risques financiers, par exemple, les coûts sont-ils plus importants que ceux prévus au contrat?

-   le travailleur est-il tenu de faire des investissements au niveau de l’outillage, des matériaux, des réparations, des concessions de licences, etc.?

-   peut-il tirer profit de l’exécution de ses tâches, par exemple, les coûts sont-ils beaucoup moins élevés que ceux prévus?

-   quelle est la véritable conduite à laquelle se sont livrées les parties?

-   quelle était la compréhension réelle des parties quant à la nature de leur relation?

Bien que M. Dieter « relevait » du directeur des Travaux publics et du Logement, aucun membre de la Première Nation Crie Peepeekisis ne le supervisait directement. Le contrat énonce ses tâches, c’est-à-dire « […] transporter 40 unités d’eau […] », sans préciser comment il devait s’en acquitter. Il était responsable de « […] toute cotisation, de tout paiement […] exigé(s) par une loi, une réglementation gouvernementale, une ordonnance ou aux termes d’un accord ». Il était tenu de fournir son propre véhicule et outillage et de payer ses frais d’exploitation. Il assumait toutes les pertes encourues dans le cadre de la prestation de ses services, ainsi que la responsabilité de toutes poursuites judiciaires ou réclamations découlant de son travail. En outre, il ne bénéficiait d’aucuns avantages sociaux offerts par Première Nation Crie Peepeekisis.

Selon ces critères, M. Dieter était un entrepreneur indépendant.

[8]               On ne peut critiquer la démarche indiquée plus haut dans le cadre d’un contrôle judiciaire, car elle constitue une évaluation appropriée de la preuve appliquée à des principes juridiques bien reconnus. Il s’agit, par conséquent, d’une conclusion raisonnable.

[9]               L’arbitre a ensuite déterminé le degré de dépendance contractuelle de M. Dieter conformément à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Ontario dans McKee c. Reid’s Heritage Homes Ltd, 2009 ONCA 916, 184 ACWS (3d) 1013. Dans cet arrêt, la Cour a reconnu une catégorie intermédiaire entre les employés et les entrepreneurs indépendants (c’est-à-dire les entrepreneurs dépendants) qui repose sur une relation de dépendance économique. La Cour a défini cette catégorie de la manière suivante :

[traduction]

[30]      Je conclus qu’il existe une catégorie intermédiaire, qui regroupe, à tout le moins, ces relations de travail qui ne reposent pas sur un contrat d’emploi et qui présentent une certaine dépendance économique minimale, qui peut être établie par une exclusivité absolue ou quasi absolue. Les travailleurs relevant de cette catégorie sont considérés comme des « entrepreneurs dépendants » et ils doivent recevoir un préavis de cessation d’emploi raisonnable.

[...]

[36]      Face à ce souci de protéger les travailleurs qui sont officiellement des « entrepreneurs », mais qui se trouvent dans une position de vulnérabilité économique, il me semble logique de dissocier la catégorie d’entrepreneurs dépendants de celle existante, plus large, d’entrepreneurs et de ne pas modifier la portée de la catégorie d’employés. Par conséquent, l’analyse qu’il convient d’effectuer pour distinguer les employés des « entrepreneurs » en général est celle qui existe pour distinguer les employés des entrepreneurs indépendants.

[10]           Appliquant ces principes, l’arbitre a conclu que M. Dieter était un entrepreneur dépendant, car [traduction] « il a consacré ses années de service exclusivement à la Première Nation Crie Peepeekisis ». Bien que cette analyse soit peu étoffée, elle est étayée par la preuve. Si l’objet du contrat prévu par les parties était autre que du travail exclusif à plein temps, il serait raisonnable de s’attendre à ce que Peepeekisis présente une meilleure preuve sur ce point. En l’espèce, le contrat applicable prévoyait la fourniture de services de livraison d’eau à quarante foyers à hauteur de cinq jours par semaine. Pour ces motifs, les conclusions d’exclusivité et de dépendance de l’arbitre appellent la déférence et ne sont pas susceptibles de contestation dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[11]           L’arbitre s’est ensuite penché sur la question de sa compétence en vertu de la partie III du Code et, plus particulièrement, sur son pouvoir d’accorder réparation en vertu de l’article 240. Au lieu de se demander si l’article 240 s’appliquait à des entrepreneurs dépendants au sens de la common law, l’arbitre a recouru à la définition d’« employé » énoncée à la partie I du Code. Cette disposition définit expressément les entrepreneurs dépendants comme des employés. L’analyse de l’arbitre à cet égard s’est limitée à la conclusion que, au moment de son congédiement, M. Dieter était un employé de Peepeekisis. Pour ce motif, l’arbitre a conclu que M. Dieter avait droit à une indemnité tenant lieu de préavis raisonnable équivalent à la durée restante de son contrat (c.-à-d. 30 000 $).

[12]           Cette analyse pose le problème fondamental que la définition d’« employé » énoncée à la partie I du Code a été déclarée inapplicable à la partie III. Dans l’arrêt Dynamex Canada Inc. c. Mamona, 2003 CAF 248, 123 ACWS (3d) 288, la Cour a reconnu la justesse de la conclusion d’un arbitre selon laquelle la partie I du Code traitant des relations industrielles ne s’appliquait pas à la partie III qui porte sur les des normes du travail, y compris un congédiement injuste. En s’appuyant sur la définition d’« employé » de la partie I du Code, l’arbitre a commis une erreur de droit. En l’absence d’une définition de « personne » à l’article 240, il était donc nécessaire que l’arbitre examine si un entrepreneur dépendant en common law avait droit à une réparation pour congédiement injuste. Malheureusement, la jurisprudence en la matière semble incertaine. L’arbitre aurait peut-être pu déterminer que M. Dieter était une « personne » protégée par l’article 240, mais il n’a jamais procédé à cette analyse. Il s’agissait d’une erreur susceptible de révision.

[13]           Dans ces circonstances, l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen. Je suis d’accord avec les parties que rien ne justifie que cette affaire ne soit pas renvoyée au même arbitre pour un nouvel examen conformément aux présents motifs. Une telle démarche peut minimiser les frais judiciaires associés à la réévaluation du dossier.

[14]           En ce qui a trait aux dépens, je tiens compte de la situation dans laquelle se trouve M. Dieter et les importants retards auxquels il a été confronté dans le traitement de sa plainte. Je suis également préoccupé par le fait que Peepeekisis n’a pas présenté d’arguments convaincants à l’arbitre. Si la bande avait retenu les services d’un avocat, l’erreur qui a été commise en l’espèce aurait bien pu être évitée. Dans ces circonstances inhabituelles, je n’adjuge aucuns dépens à l’une ou l’autre des parties.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande et l’affaire doit être réexaminée sur le fond et conformément aux présents motifs par l’arbitre.

 « R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-349-16

INTITULÉ :

NATION CRIE PEEPEEKISIS NO. 81 c. TODD DIETER

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

Le 10 novembre 2016

COMPARUTIONS :

Michael Phillips

Matthew Schmelling

Pour la demanderesse

Danish Shah

Christopher Butz

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McDougall Gauley LLP

Avocats

Regina (Saskatchewan)

Pour la demanderesse

Butzlaw

Avocats

Regina (Saskatchewan)

Pour le défendeur

 

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