Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20 161 117


Dossier : T‑272‑15

Référence : 2016 CF 1281

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 17 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Harrington

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

ENTRE :

VERREAULT NAVIGATION INC.

demandeur

et

662901 N.B. LTD.

ET

CAI GROUP INC.

ET

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE

« CHAULK LIFTER »

ET

LE NAVIRE « CHAULK LIFTER »

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le remorqueur Chaulk Determination et le chaland Chaulk Lifter, navires-frères, ont connu une triste fin. Le Chaulk Determination a coulé dans le port de Trois‑Rivières. Il a laissé derrière lui des comptes en souffrance et ses propriétaires ont laissé à d’autres le nettoyage de la pollution qu’il a créé et le retrait de son épave sans valeur.

[2]               Entre‑temps, le Chaulk Lifter avait déjà été saisi au chantier naval de Verreault Navigation Inc. à Les Méchins pour dettes sans connexité. Il a plus tard été vendu dans notre Cour par le shérif désigné pour 600 000 $. Les demandes déposées contre les produits de la vente dépassent 6 500 000 $.

[3]               Certaines demandes, totalisant 136 856,16 $, qui sont prioritaires, ont déjà été payées.

[4]               Il s’agit d’une demande de paiement du solde de 463 143,84 $, plus les intérêts accumulés. Je traiterai les demandes selon l’ordre de leur priorité alléguée.

[5]               En l’espèce, il n’y a pas de privilège maritime et des fonds suffisants sont disponibles pour payer en entier les deux demandeurs qui affirment des privilèges légaux auxquels la loi donne priorité. Par conséquent, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la façon selon laquelle ils sont classés entre eux. Un privilège possessoire vient après. Suivent deux hypothèques enregistrées, deux demandes contre le Chaulk Lifter en tant que navire-frère, et finalement un créancier qui peut ne pas être un créancier maritime.

I.                    Faits

[6]               Le Chaulk Determination et le Chaulk Lifter appartenaient tous deux à 662901 N.B. Ltd., qui a été constituée en société en mars 2012. L’enregistrement de son achat du Chaulk Lifter a été finalisé le 17 décembre 2013. Le dossier n’indique pas l’historique du Chaulk Determination. L’unique dirigeant et administrateur de la société était David Chaulk.

[7]               En plus de 662901 N.B. Ltd., David Chaulk possédait d’autres sociétés. Il existe une confusion compréhensible de la part des créanciers quant aux noms des sociétés puisqu’elles avaient probablement été utilisées de façon interchangeable. Il existe des éléments de preuves indiquant qu’il y avait une autre société, Chaulk Air Inc., qui aurait mené des activités sous le nom CAI Logistics. Certains documents déposés par différents créanciers font référence à CAI Investments Inc., à CAI Group Inc. et à 662 903 N.B. Ltd.

[8]               Le Chaulk Determination et le Chaulk Lifter sont arrivés au port de Trois‑Rivières, le 27 novembre 2013. Le Chaulk Determination a seulement quitté le port en épave après qu’il ait coulé le 26 décembre 2014.

[9]               Le 30 mars 2014, 662901 N.B. Ltd. a émis un billet à ordre au frère de David Chaulk, Brent Chaulk de 305 000 $. Le billet énonce notamment [traduction] « la garantie est sous forme d’hypothèque maritime sur le navire Chaulk Lifter ».

[10]           Le 15 juin 2014, 662901 N.B. Ltd. a émis un billet à ordre au père de David Chaulk, Morris Chaulk de 42 000 $. Il prévoit également que la garantie est sous forme d’hypothèque sur le Chaulk Lifter.

[11]           Les frais portuaires n’ont pas été payés sur l’un ou l’autre des navires. Par conséquent, l’Administration portuaire de Trois‑Rivières (appelée ci‑après Trois‑Rivières) a ordonné l’immobilisation des deux navires le 26 juin 2014.

[12]           Une seule hypothèque en faveur de Brent Chaulk et de Morris Chaulk au montant de 347 000 $ a été enregistrée le 18 juillet 2014.

[13]           Le 20 août 2014, 662901 N.B. Ltd. a conclu un arrangement avec Trois‑Rivières au cours duquel, en contrepartie d’un paiement partiel de ce qui était exigible comme frais portuaires et accordant à Trois‑Rivières une hypothèque de 57 305,27 $, l’ordonnance d’immobilisation a été levée. Brent Chaulk et Morris Chaulk ont accordé la priorité à l’hypothèque de Trois‑Rivières.

[14]           Chaulk Lifter est arrivé au chantier naval de Verreault à Les Méchins le 7 octobre 2014, afin que différents travaux soient exécutés.

[15]           662901 N.B. Ltd. a fait faute de paiement de l’hypothèque de Trois‑Rivières. Par conséquent, Trois‑Rivières a saisi le Chaulk Lifter le 12 décembre 2014, pendant qu’elle se trouvait dans la cale sèche de Verreault. Verreault est intervenu dans cette action et a obtenu une ordonnance judiciaire permettant qu’elle soit retirée de la cale sèche. Autrement, le Chaulk Lifter demeurait en possession de Verreault.

[16]           Comme cela a été mentionné précédemment, le Chaulk Determination a coulé le 26 décembre 2014.

[17]           Verreault a ensuite intenté la présente action contre le Chaulk Lifter. C’était dans la présente action que l’ordonnance de vente du navire avait été rendue le 23 juin 2015. La vente est devenue parfaite contre paiement entier du montant de 600 000 $, le 4 août 2015.

II.                 Les demandeurs

[18]           La demande dont la priorité est la plus élevée est celle du shérif désigné. Sa demande, au montant de 42 395,19 $, a déjà été payée, il n’y a donc rien de plus à ajouter.

[19]           Suivent les coûts pour la vente du navire. Ils comprennent la préparation, délivrance et le dépôt de la déclaration, l’affidavit pour signifier le mandat de saisie, requête de vente, la présence à l’enchère et les affaires connexes. En l’espèce, les coûts sont divisés en deux. Trois‑Rivières a saisi le Chaulk Lifter en premier lieu, mais c’est Verreault qui l’a apporté pour la vente. Les coûts à Trois‑Rivières ont déjà été payés. Ceux à Verreault sont de 3 306,23 $, lesquels seront attribués.

[20]           Il s’en suit le paiement des deux réclamations privilégiées, auxquelles on a donné la priorité en vertu de différentes dispositions de la Loi maritime du Canada. Transports Canada a reçu 37 155,70 $ pour les frais portuaires impayés et pour les coûts de réparation de son quai à Les Méchins, lequel a été frappé par le Chaulk Lifter. La valeur des dommages au quai s’élevait à 23 207,17 $. Trois‑Rivières a été payé 57 305,27 $ pour les frais portuaires sans rapport avec l’hypothèque, et ses coûts.

[21]           Il reste à la Cour 463 143,84 $ plus un montant modeste d’intérêts accumulés. Les demandes qu’il reste à traiter sont les suivantes :

a)      la part de Verreault quant aux coûts pour préparer le Chaulk Lifter à la vente;

b)      la demande de Verreault, qui comporte un privilège possessoire qui pourrait ne pas couvrir la totalité du montant dû allégué;

c)      Trois‑Rivières qui, en plus de détenir une hypothèque sur le Chaulk Lifter, présente une demande contre le Chaulk Determination;

d)      Brent Chaulk et Morris Chaulk qui détiennent une hypothèque;

e)      la Garde côtière canadienne qui s’est occupée du nettoyage du déversement d’hydrocarbures occasionné par le naufrage du Chaulk Determination;

f)        l’administrateur de la caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causés par les navires pour la garantie de satisfaire toute demande qui pourrait être déposée à l’égard de la caisse d’indemnisation par ceux qui ont subi des dommages de pollution par les hydrocarbures causés par le Chaulk Determination;

g)      Ketah Investments Inc., un prêteur.

III.               La demande de Verreault Navigation Inc.

[22]           Verreault a obtenu un jugement in rem contre Chaulk Lifter et in personam contre 662901 N.B. Ltd. et CAI Group Inc. au montant de 217 551,67 $, avec des intérêts antérieurs au jugement et des intérêts après jugement, en plus des dépens. Il est admis que ni l’une ni l’autre des sociétés n’a de bien, à part le Chaulk Lifter.

[23]           En plus du jugement, qui couvrait essentiellement les services jusqu’à ce que le navire ait quitté la cale sèche, il a présenté d’autres demandes pour des droits de quai, divers déplacements du chaland, la fourniture de carburant et les inspections. Sa demande totale s’élève au montant de 373 726,98 $.

[24]           Il ne fait aucun doute qu’il jouit d’un privilège possessoire qui a préséance sur les deux hypothèques et qui est antérieur au début de ses travaux (Osborne Refrigeration Sales & Services Inc c Le navire « Atlantean », [1979] 2 RCF 661; Scott Steel Ltd. c Alarissa (Le), [1996] 2 RCF 883; Governor and Company of the Bank of Scotland c Nel (Le), [2001] 1 RCF 408). Dans la mesure où il n’a pas de privilège possessoire, il demande la priorité custodia legis.

[25]           D’autres parties, plus particulièrement Trois‑Rivières, tout en reconnaissant qu’il y a un privilège possessoire pour une partie de la demande, conteste le montant. Verreault facturait des honoraires pour déplacer le navire de temps à autre, sans ordonnance judiciaire, et aurait réalisé des profits déraisonnables.

[26]           Après que Trois‑Rivières ait saisi le Chaulk Lifter pendant qu’il était dans la cale sèche de Verreault, Verreault est intervenu dans cette action et a obtenu l’autorisation de le retirer de la cale sèche et de l’amarrer le long du bord. Par la suite, il l’a déplacé de temps à autre pour l’ancrer, afin de permettre à d’autres navires d’entrer dans sa cale sèche. Ces déplacements ont été exécutés sans la permission de la Cour. Une fois que Trois‑Rivières s’est plainte, une ordonnance judiciaire a été obtenue permettant à Verreault de déplacer le navire comme bon lui semblait. Il a fourni le carburant pendant qu’il était le long du quai. Lorsqu’il était mouillé, son remorqueur a dû fournir le carburant à la génératrice portative qui se trouvait à bord. Cet hiver-là était froid.

[27]           Historiquement, ceux qui détenaient un privilège possessoire n’étaient pas en mesure de saisir le navire. La saisie a transféré la possession au shérif et le privilège possessoire a été perdu (Montreal Dry Docks and Ship Repairing Company, Limited et al c Halifax Shipyards, Limited (1920), 60 SCR 359). Toutefois, avec l’avènement de la Loi sur les Cours fédérales, une saisie ne change pas la possession (règle 483). Par conséquent, Verreault aurait pu saisir le Chaulk Lifter, mais l’aurait difficilement fait pendant qu’il était en cale sèche, puisqu’un navire en état de saisie ne peut pas être déplacé sauf avec l’approbation de toutes les parties ou avec l’ordonnance de la Cour. Verreault n’aurait pas pu servir d’autres navires si le Chaulk Lifter occupait sa cale sèche.

[28]           Assujetti aux déductions que je suis sur le point de faire, je suis convaincu que la totalité de la demande de Verreault est couverte par un privilège possessoire. Le Chaulk Lifter était en sa possession. Il ne l’aurait certainement pas saisi pendant qu’il était dans la cale sèche. Il avait le droit d’exploiter son entreprise. Le témoignage de son président, Richard Beaupré, indique clairement qu’il aurait été trop dangereux de laisser le Chaulk Lifter où il était pendant que d’autres navires entraient dans la cale sèche ou la quittait. Personne n’a demandé à la Cour que le shérif soit mis en possession et qu’il soit autorisé à embaucher un remorqueur allant en direction de l’océan pour déplacer le navire à Sept‑Îles ou à Matane, à qui sait quel coût.

[29]           Cela dit, dans un monde idéal, le jugement de la Cour devrait prendre effet au moment de l’émission du bref, comme l’a dit Lord Esher, M. R. dans The Cella (1888), 13 lettre d’homologation 92 au paragraphe 87, « mais, si les sommes ont été déposées auprès de la Cour, ou si la Cour est en possession de la chose, elle peut donner effet à son jugement comme s’il avait été rendu dès qu’elle a pris possession de la chose » (voir aussi Nordea Bank Norge ASA v Kinguk (The), 2007 CF 434, 2007 JCF no 593, au paragraphe 31). Sur cette base, il n’y aurait aucune demande pour les services rendus après la saisie, sauf pour les frais du shérif et les coûts pour convertir le navire en espèces.

[30]           Bien que Verreault bénéficie d’un privilège possessoire, des inconvénients s’y rapportent également. C’était Verreault, pendant qu’il déplaçait le Chaulk Lifter, qui a causé des dommages au quai de Transports Canada. Cette demande n’était pas accessoire à la saisie et ne fait pas partie des frais custodia legis. Par conséquent, le montant de 23 207,17 $ doit être déduit.

[31]           Les comptes de Verreault incluaient également la taxe de vente générale fédérale et la taxe de vente provinciale du Québec. Il devait payer ces montants, mais puisqu’il était incapable de le recouvrer du propriétaire du navire, il a le droit à un remboursement estimé à 25 %.

[32]           Enfin, je ne crois pas que Verreault doive profiter des services qu’il a rendus qui n’était pas couvert par son jugement. Les parties n’ont pas persisté sur ce point dans leur contre‑interrogatoire de M. Beaupré, mais en fonction de la vieille règle empirique qu’en l’absence d’une valeur marchande saine de la cargaison, il serait assumé à être coût, assurance et fret plus 10 %. Verreault a déclaré qu’il ne serait pas assujetti à une déduction de 10 % sur ces services.

[33]           Selon mes calculs, en plus du montant susdit de 23 207,17 $, il devrait y avoir une déduction de 4 056,61 $ par rapport à la taxe de vente générale fédérale, 8 092,94 $ par rapport à la taxe de vente provinciale et 13 531,25 $ représentant un profit sur les factures 022175, 022177, 022180, 022184 et 022204. Par conséquent, je conclus que Verreault a un privilège possessoire au montant de 324 839,01 $.

IV.              L’Administration portuaire de Trois‑Rivières

[34]           Le montant principal de la demande de Trois‑Rivières est de 316 468,83 $. Le montant de 56 305,83 $ représente l’hypothèque détenue sur le Chaulk Lifter. Le solde de 260 181 $ concerne les sommes dues sur le Chaulk Determination pour d’autres coûts de droits de quai, de nettoyage et son élimination, puisqu’il a été abandonné par ses propriétaires.

[35]           La demande n’est pas contestée à l’exception du fait que, en ce qui concerne l’hypothèque, Brent Chaulk et Morris Chaulk affirment que, selon l’entente de modification et de subordination, Trois‑Rivières a seulement priorité sur leur hypothèque au montant de 17 261,98 $.

[36]           Pour trancher ce point, le contrat entre les Chaulk et Trois‑Rivières doit être analysé. Cependant, il n’est pas nécessaire de le faire puisque je subordonne quelconque demande que les Chaulk ont à ces celles des autres créanciers.

[37]           En conséquence, Trois‑Rivières a droit à la priorité de paiement, après Verreault, de 56 305,83 $, en vertu de son hypothèque.

[38]           Malgré quelconque priorité que Trois‑Rivières aurait pu avoir sur Chaulk Determination, il est bien établi que, rapport au navire-frère, la demande ne comporte qu’un droit ordinaire in rem, sans priorité (Fraser Shipyard & Industrial Centre Ltd. c Expedient Maritime Co (The Atlantis Two) (1999), 170 FTR 1; Holt Cargo Systems Inc c ABC Container Line, N B (The Brussel) (2000), 185 FTR 145; et The Nel, supra). La demande de Trois‑Rivières relative au Chaulk Determination de 260 181 $ prend rang conformément à la règle du pari‑passu par rapport à d’autres créanciers ordinaires.

V.                 Brent Chaulk et Morris Chaulk

[39]           Le propriétaire du Chaulk Lifter, 662901 N.B. Ltd. pourrait être endetté envers les Chaulk. Il est clair que l’hypothèque constituait une tentative par David Chaulk d’accorder la préférence à son frère Brent Chaulk et à son père Morris Chaulk.

[40]           Les éléments de preuves comprennent des affidavits de Brent Chaulk, de son épouse Sherry Chaulk, pièces jointes s’y rapportant, et leurs contre‑interrogatoires. Ni Morris Chaulk ni David Chaulk n’ont déposé d’affidavit.

[41]           Brent Chaulk a témoigné que son père l’avait autorisé à parler en son nom, puisqu’il est âgé et qu’il devient parfois confus. Cela soulève le spectre de Lloyd’s Bank v Bundy, [1974] 3 All ER 757 (CA) puisque la preuve ne démontre pas que Morris Chaulk a bénéficié d’un avis juridique indépendant.

[42]           Brent Chaulk et Sherry Chaulk étaient plus francs dans leurs éléments de preuves.

[43]           David Chaulk devait 305 000 $ sur huit billets à ordre payable sur demande à Brent Chaulk. Le premier des billets à ordre est daté du 15 septembre 2008 et le dernier du 11 juin 2014. Les fonds ont tous été transférés directement du compte de Brent Chaulk au compte de Chaulk Air Inc. Seulement l’un de ces prêts, celui du 11 juin 2014, de 45 000 $ a été fait après que 662901 N.B. Ltd. ait acheté le Chaulk Lifter. En avril 2009, David Chaulk a reconnu par écrit que le montant alors dû, qui était de 200 000 $, avait été emprunté [traduction] « pour le flux de trésorerie de CAI pendant le projet du ministère de la Défense nationale ».

[44]           Brent Chaulk ne voulait pas être pénalisé puisque certains des prêts à David Chaulk provenaient de fonds pris à même ses marges de crédit ou, au moins à une occasion, une carte de crédit. C’était David Chaulk qui avait suggéré que les billets à ordre portent intérêt au taux de 12 % par année. Il a payé les intérêts jusqu’au printemps 2014.

[45]           C’est à ce stade que Brent Chaulk a manifesté des préoccupations puisqu’il devait lui‑même payer l’intérêt sur ses marges de crédit. David Chaulk lui a promis des chèques, mais ils n’arrivaient pas. Même s’il n’avait aucune intention de demander le remboursement des emprunts, il a mentionné à David Chaulk que ses jours en tant que pilote professionnel arrivaient à leur fin et qu’il devait se préparer pour la retraite.

[46]           C’est David Chaulk qui a proposé que le propriétaire de Chaulk Lifter 662901 N.B. Ltd. émette un billet à ordre afin de couvrir les 305 000 $ qu’il devait alors en capital. Ce billet a trait à une hypothèque qui a plus tard été consentie. David Chaulk a dit à Brent Chaulk [traduction] « Ne t’en fais pas, tu es protégé. J’ai acheté ce navire et voici une hypothèque maritime. Tu es protégé, tu es en sécurité. Tu seras le premier payé. »

[47]           Morris Chaulk avait avancé 5 000 $ au CAI Group en septembre 2013, 30 000 $ en février 2014 et un dernier montant de 10 000 $ le 17 juin 2014. Le solde de 42 000 $ a été couvert par un billet à ordre similaire à celui émis à Brent Chaulk.

[48]           Il n’existe aucune preuve que 662901 N.B. Ltd. a reçu une valeur ou une contrepartie, ce qui lui causerait d’hypothéquer le Chaulk Lifter en faveur du père et du frère de David Chaulk.

[49]           Brent Chaulk n’était pas au courant de la structure précise des sociétés de David Chaulk. Il prêtait de l’argent pour aider David Chaulk à poursuivre ses intérêts commerciaux. Il n’a pas tenu compte du fait que 662901 N.B. Ltd. était une personne distincte selon la loi.

[50]           Si quelqu’un avait pris la peine de mettre 662901 N.B. Ltd. en faillite, l’hypothèque étant une charge grevant un bien en faveur d’un créancier qui ne traitait pas sans lien de dépendance, elle serait annulée contre le fiduciaire (Loi sur la faillite et l’insolvabilité, chapitre B‑3, article 95). Notre Cour a un pouvoir inhérent de modifier le classement ordinaire dans l’exercice de son amirauté et de sa compétence en équité (The Kinguk, supra; et Ballantrae Holdings Inc c « Phoenix Sun » (Le), 2016 CF 570).

[51]           Sans aucun doute, les Chaulk ont aidé par amour pour David Chaulk. Cependant, cet amour ne devrait pas être aux dépens des créanciers sans lien de dépendance. S’ils ont une demande relative à 662901 N.B. Ltd., elle se classe après les demandes des créanciers ordinaires. Les fonds créés par la vente du Chaulk Lifter seront alors épuisés.

VI.              La Garde côtière canadienne

[52]           La Garde côtière canadienne a présenté une demande au montant de 1 839 927,68 $ pour les débours engagés par suite du naufrage du Chaulk Determination. La Garde côtière canadienne a été légalement tenue de répondre aux incidents de pollution dans les eaux canadiennes et elle a donc embauché Sauvetage Maritime Océan Inc. pour contenir, nettoyer et de renflouer le Chaulk Determination. La somme réclamée représente les montants payés.

[53]           Bien que la Garde côtière canadienne jouisse sans aucun doute d’une priorité élevée lorsque nous traitions des produits de la vente du Chaulk Determination, contrairement aux produits de la vente du Chaulk Lifter, il s’agit d’un créancier ordinaire et il se classera conformément à la règle du pari‑passu par rapport à d’autres créanciers ordinaires.

VII.            L’administrateur de la caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires

[54]           Cette demande diffère des autres puisqu’il s’agit d’une demande de garantie au cas où la caisse d’indemnisation serait obligée d’indemniser les parties qui auraient pu avoir subi un préjudice en raison de la pollution causée par le naufrage du Chaulk Determination.

[55]           Les personnes ayant subi des dommages réels ou prévus dus à la pollution pourraient, conformément à l’article 103 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, présenter une demande d’indemnisation auprès que l’administrateur si cette demande est attribuable, par exemple, à la Convention sur les hydrocarbures de soute, laquelle est l’annexe VIII de la Loi et qui a force de loi conformément à l’article 70 de la Loi.

[56]           L’article 102 de la Loi accorde à l’administrateur le droit d’intenter une action par voie réelle « contre le navire qui fait l’objet de la demande ou à l’égard du produit de la vente de celui‑ci déposé au tribunal. »

[57]           Il s’agit de la première fois où l’administrateur a dû poursuivre un navire-frère. Dans le cours normal des affaires, les propriétaires de navires sont bien assurés avec des assureurs maritimes qui fournissent des garanties sans question.

[58]           Bien que sa demande contre les produits du Chaulk Lifter ne contienne pas de priorité, l’administrateur consulte la Cour afin de savoir quelle serait la nature de ses demandes par rapport au Chaulk Determination. Il soutient qu’il jouit d’un privilège maritime pour les dommages causés par un navire conformément à l’alinéa 22(2)d) de la Loi sur les Cours fédérales. Cela est contré par Trois‑Rivières, qui soutient que l’administrateur jouit d’un droit législatif spécial, qu’aucune disposition n’a même été faite pour toute priorité à l’encontre du navire fautif, et qu’aucune autre disposition n’a été prise pour permettre sa demande contre son navire-frère.

[59]           Les autres parties n’ont présenté aucun argument à la Cour à cet égard, et n’avaient effectivement aucun besoin de le faire. Les seules remarques que je ferais quant à la nature de la demande par rapport au Chaulk Determination seraient clairement des remarques incidentes, et doivent donc être laissées pour une autre occasion.

[60]           En ce qui concerne l’argument que l’administrateur pourrait n’avoir aucune demande contre les produits du Chaulk Lifter, bien qu’il soit vrai que l’article 102 de la Loi sur la responsabilité maritime se rapporte seulement aux produits de la vente du navire qui fait l’objet de la demande, cet article donne également à l’administrateur une action in rem. La demande en est une régie par le droit maritime canadien sinon en vertu de l’alinéa 22(2)d) de la Loi sur les Cours fédérales, alors certainement en vertu du paragraphe 22(1). Le paragraphe 43(8) prévoit que l’administration conférée par l’article 22 pourrait être exercée in rem contre tout navire appartenant au propriétaire bénéficiaire du navire en cause dans l’action.

[61]           Il n’y a rien dans la Loi sur la responsabilité en matière maritime qui nuise à cette disposition, et je suis donc convaincu que l’administrateur a une demande à l’égard des produits du Chaulk Lifter et qu’il se classe conformément à la règle du pari‑passu par rapport à d’autres créanciers ordinaires.

[62]           Conformément à la Convention sur les hydrocarbures de soute, la garantie auxquelles à droit l’administrateur est l’équivalent Canadian de 1 510 000 droits de tirage spéciaux (DTS), comme ils sont définis par le Fonds monétaire international (FMI). L’administrateur n’a pas encore eu le temps de présenter une preuve à l’égard de l’équivalent canadien. Cependant, il a été convenu qu’en me fondant sur la règle de la date de la faute, je pouvais visiter le site du FMI afin de déterminer le prix relevé du DTS en dollars canadiens au 26 décembre 2014, ou s’il n’y avait pas de donnée pour cette journée, sur le jour suivant auquel un prix relevé est fourni. Le prochain prix relevé était le 29 décembre 2014. L’équivalent canadien pour 1 DTS était de 1,685130 $. Par conséquent, la demande de l’administrateur est pour un montant de 2 544 546,30 $ (c’est‑à‑dire, 1 510 000 DTS x 1,685130 $).

[63]           La part des produits de la vente pour l’administrateur est inférieure à 45 000 $. La question se pose de savoir si ce montant devrait rester à la Cour, si on devrait le prélever si, et lorsque, l’administrateur approuve les paiements. Si aucun paiement n’est fait, ce montant est alors distribué aux créanciers ordinaires.

[64]           Comme l’a souligné Verreault, ce processus est des plus incommodes et il pourrait exiger que de nombreux avocats gardent leurs dossiers ouverts pendant des années. À ce jour, une demande a été produite auprès de l’administrateur, celle de Trois‑Rivières. Il n’incombe bien évidemment pas à la Cour de déterminer si sa demande est couverte en partie ou en entier par la caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires. De plus, la Garde côtière canadienne pourrait déposer une demande.

[65]           Le moyen le plus pratique de trancher la question est que les fonds soient payés à l’administrateur. Si des problèmes surgissent, il pourrait demander des directives.

VIII.         Ketah Investments Inc.

[66]           La demande de Ketah découle d’un contrat de prêt effectué en décembre 2012 avec 662 903 N.B. Ltd. Ce prêt a été garanti par CAI Investments Inc., Chaulk Air Inc., et David Chaulk. Le prêt avait pour objet de mettre le navire Chaulk Tenacity, alors à Swansea, au Pays de Galles, suffisamment en état, le rendre libre et quitte de toute réclamation, afin qu’il puisse naviguer jusqu’à à un port de l’est du Canada.

[67]           Non seulement cette revendication n’a rien à voir avec le Chaulk Lifter, mais le propriétaire du Chaulk Lifter, 662901 N.B. Ltd., ne figure nullement dans le prêt. Le Chaulk Tenacity n’était pas un navire-frère puisqu’il appartenait à des propriétaires différents. Par conséquent, cette demande est rejetée.

IX.              Conclusion

[68]           Après le paiement de 324 839,01 $ à Verreault et de 56 305,83 $ à Trois‑Rivières, des 463 143,84 $ actuellement devant la Cour, il reste 81 999 $. Ce montant doit être partagé au prorata entre Trois‑Rivières, qui réclame la somme restante de 260 181 $, la Garde côtière canadienne, qui réclame la somme de 1 839 927,68 $, et la caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, qui réclame la somme de 2 544 546,30 $. Chacun de ces créanciers reçoit un paiement de 0,01765449 % du montant restant. Trois‑Rivières a droit à 4 593,36 $, la Garde côtière canadienne à 32 482,97 $, et l’administrateur de la caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires à 44 922,65 $.

X.                 Intérêt

[69]           Notre Cour, dans l’exercice de sa compétence en matière d’amirauté, a un vaste pouvoir discrétionnaire par rapport à l’intérêt avant le jugement et après le jugement. Voir Phoenix Sun, précitée. À mon avis, il serait injuste et déraisonnable d’accorder tout intérêt autre que l’intérêt gagné sur les sommes déposées à notre Cour, qui sera partagé au prorata en conséquence.

XI.              Dépens

[70]           Il n’y a aucune adjudication de dépens, autres que la part de Verreault concernant les dépens relatifs à la préparation de Chaulk Lifter à la vente.


JUGEMENT

Pour les motifs exposés, la Cour ordonne ce qui suit :

1.              Sur les produits de la vente du navire Chaulk Lifter, les montants suivants sont payés :

a)      Verreault Navigation Inc. (ses dépens de 3 306,23 $ et les privilèges possessoires au montant de 324 839,01 $) pour un total de 328 145,24 $;

b)      L’Administration portuaire de Trois‑Rivières (son hypothèque de 56 305,83 $ en plus de 4 593,36 $) pour un total de 60 899,19 $;

c)      la Garde côtière canadienne au montant de 32 482,97 $;

d)      l’administrateur de la caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causés par les navires 44 922,65 $.

2.         Les intérêts accumulés en Cour seront partagés au pro rata.

3.         Il n’y a pas d’autre adjudication des dépens.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t‑272‑15

INTIULÉ :

VERREAULT NAVIGATION INC. c LE NAVIRE « CHAULK LIFTER » ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 1er novembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

le 17 novembre 2016

COMPARUTIONS :

Me Jean‑François Bilodeau

Pour VERREAULT NAVIGATION INC. et KETAH INVESTMENTS INC.

Me Danièle Dion

Pour L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TROIS‑RIVIÈRES

Me Peter Cullen

Pour BRENT et MORRIS CHAULK

Me Vanessa Rochester

Pour l’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

Me Sherry Rafai Far

Pour le MINISTre des TRANSPORTs et la Garde côtière canadienne

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robinson Sheppard Shapiro

Montréal (Québec)

POUR VERREAULT NAVIGATION INC. ET KETAH INVESTMENTS INC.

Brisset Bishop

Montréal (Québec)

Pour L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TROIS‑RIVIÈRES

Stikeman Elliott

Montréal (Québec)

POUR BRENT CHAULK ET MORRIS CHAULK

Norton Rose Fulbright

Montréal (Québec)

POUR L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE MINISTRE DES TRANSPORTS ET LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.