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Date : 20161125


Dossier : T-287-16

Référence : 2016 CF 1307

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

GLORIA ROOPNAUTH

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Gloria Roopnauth, travaille comme agente des services aux contribuables à l’Agence du revenu du Canada depuis 17 ans. Elle travaille au centre d’appels de l’Agence situé à Toronto, en Ontario. Elle sollicite, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, modifiée, un contrôle judiciaire d’une décision par laquelle son grief visant la reclassification de son poste à un niveau supérieur a été rejeté.

I.  Résumé des faits

[2]  La demanderesse occupe à l’Agence un poste de groupe et niveau SP-04 au sein du groupe professionnel Services et programmes (SP). La description de travail de son poste (numéro SP0465) décrit comme suit les principales activités d’un agent des services aux contribuables (ASC) : [traduction] répondre à un éventail de demandes de renseignements des contribuables sur des questions fiscales, des programmes et des comptes connexes administrés par l’Agence; effectuer différents calculs pour déterminer l’impôt ou les exigences, les choix, les droits ou l’allègement administratif prévus dans les programmes administrés par l’Agence; accepter des arrangements de paiement, le cas échéant, sous réserve d’autorisation et selon les paramètres établis; sensibiliser les contribuables en leur fournissant des renseignements et en faisant la promotion des services offerts.

[3]  En 2008, l’Agence a déterminé que certaines questions fiscales devaient être traitées par des « centres d’expertise » et a donné de la formation à un groupe d’ASC pour les aider à répondre aux demandes de renseignements sur ces sujets afin d’améliorer l’exactitude des renseignements qu’ils communiquent au public. Il n’était pas nécessaire de créer une nouvelle description de travail pour ces agents, car ils donnaient déjà des conseils sur les sujets traités par les centres d’expertise, notamment en ce qui concerne les fiducies, les établissements d’enseignement agréés, les gains en capital et le revenu de location.

[4]  De 2009 à 2010, l’Agence a procédé à un examen de son Bureau international des services fiscaux d’Ottawa. Les employés de ce bureau occupaient également des postes de groupe et niveau SP-04 et répondaient aux demandes de renseignements téléphoniques des non-résidents, en plus de répondre aux demandes de renseignements sur les mêmes sujets que les demandes de renseignements traitées par les ASC d’autres centres d’appels de l’Agence. Au cours de 2012 et de 2013, l’Agence a transféré toutes les demandes de renseignements relatives à l’impôt international à ses centres d’appels de partout au Canada et a intégré ces demandes de renseignements à la charge de travail des centres d’expertise. Il n’était pas nécessaire de créer une nouvelle description de travail, car la description de travail existante pour le poste SP0465 ne s’appliquait pas seulement à une charge de travail liée aux résidents par opposition aux non-résidents.

[5]  Depuis 2012, la demanderesse répond aux demandes de renseignements portant sur des sujets traités par les centres d’expertise. En 2013, elle a été invitée à participer à une séance de formation sur les services fiscaux offerts aux non-résidents, mais le dossier n’indique pas si elle a suivi cette formation.

[6]  Il existe un système de paliers pour les employés occupant un poste SP0465. Dans ce système, les employés du palier 1 répondent aux demandes de renseignements simples, les employés du palier 2 répondent aux questions complexes, les employés spécialisés en avantages sociaux traitent les demandes de renseignements sur les avantages sociaux et, enfin, certains employés répondent aux questions fiscales que traitent les centres d’expertise et les questions fiscales touchant les non-résidents. Tous les ASC sont classifiés au groupe et niveau SP-04, quel que soit le type de demandes de renseignements sur l’impôt qu’ils traitent. Même si les ASC ne possèdent pas tous la formation et les qualifications nécessaires pour répondre à toutes les questions fiscales, ils occupent tous le même poste.

[7]  La classification de l’ensemble des postes du groupe SP se fait au moyen d’une évaluation fondée sur la Norme de classification de l’Agence – Services et programmes [la Norme]. Cette norme est un outil qui sert à déterminer le niveau approprié pour les postes du groupe SP en attribuant des points à une description de travail donnée en fonction de 12 éléments. Le nombre de points maximal attribué à chaque élément varie (p. ex., le nombre de points maximal attribué à l’élément « Analyse et résolution de problèmes » est de 170, alors que pour l’élément « Efforts sensoriels », il est de 10). La Norme comprend une grille de notation et des lignes directrices connexes pour déterminer le nombre de points qu’il convient d’attribuer à chaque élément. La grille de notation comporte différents degrés qui correspondent au niveau de responsabilité requis pour chaque élément. La grille de notation ne permet pas à un évaluateur de sélectionner un nombre de points qui n’est pas associé à un niveau donné. Une fois que les 12 éléments ont été évalués et que les points appropriés ont été attribués, les points sont comptabilisés et le total des points détermine le niveau SP d’un poste donné. L’échelle de points pour le poste de groupe et niveau SP-04 est de 241 à 300 points.

[8]  Après la résolution des problèmes de classification liés au poste SP0465 par l’Agence et le Syndicat des employé(e)s de l’impôt en mars 2014, des descriptions de travail révisées ont été remises à tous les employés concernés (y compris la demanderesse). Le 11 mars 2014, la demanderesse a avisé son chef d’équipe de son intention de déposer un grief pour contester la classification de son poste. Dans son grief de classification, elle demandait que son poste SP0465 soit classé à un niveau supérieur pour les raisons suivantes : 1) la dernière évaluation effectuée ne tenait pas compte des compétences et de l’expertise diversifiées des employés occupant le poste et ne reconnaissait pas le fait que les ASC qui répondent aux questions fiscales traitées par les centres d’expertise et aux questions fiscales touchant les non-résidents possèdent des compétences et des connaissances plus approfondies que les employés appartenant au palier 1; 2) étant donné que ces différences n’ont pas été reconnues, des employés du palier 1 ont été promus à un poste de groupe et niveau SP-05 au lieu d’employés plus expérimentés et qui possédaient de plus amples connaissances; 3) les avis de postes à pourvoir affichés à l’externe concernant le poste SP0465 n’indiquaient pas les différents niveaux de complexité du poste.

[9]  À ce stade-ci, il convient de mentionner que la demanderesse a signalé son mécontentement à l’égard des différents niveaux de complexité des tâches des employés occupant un poste SP0465 en suivant la procédure de règlement des griefs de classification. Elle n’a pas amorcé ni déposé un grief de description de travail. Les deux types de griefs sont décrits à l’article 4.11 des [traduction] Procédures de règlement des griefs de classification et de description de travail de l’Agence du revenu du Canada [les Procédures] :

[traduction] Un grief de classification est une plainte écrite d’un employé qui conteste la classification attribuée par la direction de l’Agence à la description des tâches qu’il effectue.

Un grief de description de travail est une plainte écrite d’un employé qui conteste le contenu de l’exposé des fonctions (description de travail) qu’il exerce actuellement qui a été établi par la direction de l’Agence ou qui conteste la date de l’attribution des tâches énoncées dans la description de travail. Dans certains cas, les griefs de description de travail portent sur des problèmes liés à la nature du travail ou à la date d’entrée en vigueur qui touchent la même période que celle en question.

[10]  La différence principale entre ces griefs est que le grief de classification évalue un poste en fonction de la description de travail et n’évalue pas si celle-ci correspond bien au travail exécuté par l’employé présentant le grief. Inversement, un grief de description de travail compare le travail effectué par l’employé à la description de travail. Selon les Procédures (alinéa 4.11(1)d)), si un employé dépose un grief de classification et un grief de description de travail, le grief de classification sera normalement mis en suspens jusqu’à ce que le grief de description de travail soit réglé.

[11]  Un comité d’examen des griefs de classification composé de trois membres [le comité] s’est réuni à Ottawa le 10 juin 2015 pour entendre le grief de classification de la demanderesse. La demanderesse a présenté au comité un exposé écrit et a expliqué oralement son exposé. Elle a demandé que la norme soit modifiée afin de permettre l’attribution d’un plus grand nombre de points aux ASC qui possèdent plus d’expérience et à qui on demande de répondre aux questions traitées par les centres d’expertise ou aux demandes de renseignements des non-résidents. La demanderesse a mentionné au comité qu’une augmentation de cinq pour cent des points attribués à six des 12 éléments de la Norme est justifiée compte tenu de l’ajout de questions fiscales traitées par les centres d’expertise et de questions fiscales touchant les non-résidents. Une telle hausse ferait augmenter le nombre total de points attribués au poste SP0465, qui serait alors plus élevé que le nombre maximal de points accordés au poste SP-04. Ainsi, le poste de la demanderesse serait classifié au groupe et niveau SP-05.

[12]  Après l’audience, le comité a demandé des renseignements aux représentants de la direction de l’Agence au sujet du système de paliers et de l’attribution et de la répartition des tâches des ASC. Il a ensuite transmis ces renseignements à la demanderesse par courriel le 29 juillet 2015, auquel la demanderesse a répondu par courriel le 31 juillet 2015.

II.  La décision du Comité

[13]  Dans son rapport du 17 décembre 2015, après avoir résumé l’exposé de la demanderesse et les renseignements obtenus auprès d’un représentant de la direction de l’Agence, le comité a expliqué son mandat comme suit :

[traduction] Le comité a pour mandat d’évaluer le travail en fonction des principes d’application reconnus et du processus systémique établis dans la NCA-SP. Les membres du comité n’ont pas le pouvoir de modifier la norme, ses grilles d’évaluation ou la pondération des éléments. Par conséquent, les arguments avancés par la plaignante, ainsi que la méthode utilisée pour proposer une nouvelle pondération de certains éléments, sont inadmissibles et ne seront pas abordés dans le cadre du grief.

[14]  Le comité a observé que la description de travail tenait compte du système de paliers et de la répartition de la charge de travail; il a également observé que la demanderesse avait confirmé, dans son exposé, que la description de travail correspondait aux responsabilités des ASC. Le comité a conclu que les renseignements obtenus de la direction de l’Agence ne contredisaient pas la nature du travail exécuté par les ASC et le système de paliers décrit dans la description de travail, observant que la réponse de la demanderesse à ces renseignements ne comprenait pas de nouveaux éléments.

[15]  Le comité a ensuite effectué un examen détaillé des 12 éléments de la norme pour le poste SP0465 et a conclu qu’aucun élément ne nécessitait un changement. Le comité a conclu que le poste faisant l’objet du grief était dûment classifié au groupe et niveau SP-04, totalisant 284 points. Par conséquent, le comité a recommandé dans son rapport adressé au représentant du commissaire, le sous-commissaire de la Direction générale des ressources humaines de l’Agence, que la classification du poste SP0465 ne soit pas modifiée. Le sous-commissaire a accepté la recommandation du comité le 23 décembre 2015.

III.  Questions en litige

[16]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La demanderesse a-t-elle été privée de son droit à l’équité procédurale dans la décision de rejeter son grief?

  3. La décision de rejeter le grief de la demanderesse était-elle raisonnable?

IV.  Discussion

A.  Norme de contrôle

[17]  La demanderesse conteste la décision du sous-commissaire quant au maintien de la classification du poste SP0465, mais c’est plutôt le processus et la recommandation du comité qui doivent être examinés. Dans McEvoy c Canada (Procureur général), 2013 CF 685, [2013] ACF no 756 [McEvoy], confirmé dans 2014 CAF 164, [2014] ACF no 762, le juge Mandamin a reconnu que le comité était le décideur de fait :

[41]  D’entrée de jeu, il importe de se rappeler que la décision contestée en l’espèce est la décision de la déléguée d’accepter la recommandation du comité. Toutefois, lorsqu’un comité de grief de classification a été constitué, c’est essentiellement celui‑ci qui fournit les motifs invoqués. C’est lui qui entend la preuve et qui a l’obligation d’assurer aux parties le degré approprié d’équité procédurale; le rôle du délégué est alors très limité.

[...]

[44]  Il ressort clairement de ce qui précède que c’est le comité qui est tenu d’assurer le degré approprié d’équité procédurale envers les demandeurs et dont la décision et la recommandation doivent être raisonnables.

[18]  Il est bien établi que la décision du comité en l’espèce doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Dans McEvoy, la Cour a observé que les comités de griefs de classification « assume[nt] des fonctions hautement spécialisées et possède[nt] une expertise en matière de classification; les décisions [des comités] doivent faire l’objet d’un degré élevé de déférence. La norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable » (McEvoy, au paragraphe 39, cité dans Bourdeau c Canada (Procureur général), 2015 CF 1089, au paragraphe 31, [2015] ACF no 1114). De façon similaire, le juge de Montigny dans Allard c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2012 CF 979, au paragraphe 20, 417 FTR 1 [Allard] a conclu que la norme de la décision raisonnable devait s’appliquer, car « un grief de classification est une question mixte de fait et de droit qui relève de l’expertise du décideur de dernier palier. »

[19]  Par conséquent, et bien que la Cour puisse intervenir « si le décideur a ignoré des éléments de preuve importants ou pris en compte des éléments qui sont inexacts ou dénués d’importance » (James c Canada (Procureur général), 2015 CF 965, au paragraphe 86, 257 ACWS [3d] 113), la décision de rejeter le grief de la demanderesse ne devrait pas être modifiée dans la mesure où elle est justifiable, intelligible et transparente, et si elle peut se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [2011] 3 RCS 708).

[20]  Que les règles d’équité procédurale aient été enfreintes en rendant la décision contestée est une question soumise à la norme de contrôle de la décision correcte (voir : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339). Celle-ci dicte que la Cour doit décider si le comité, en formulant sa décision, a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (voir : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Il n’est donc pas vraiment question de savoir si la décision qui rejetait le grief de la demanderesse ou si la recommandation est correcte, mais plutôt d’établir si le processus suivi pour prendre la décision était équitable (voir : Hashi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 154, au paragraphe 14, 238 ACWS (3d) 199; Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au paragraphe 35, 471 FTR 71; et Allard, au paragraphe 21).

[21]  Dans Fischer c Canada (Procureur général), 2012 CF 720, au paragraphe 25, 413 FTR 64 [Fischer], notre Cour a remarqué que « dans le contexte des griefs de classification dans la fonction publique fédérale, la teneur de l’obligation d’équité “se situe du côté d’une moindre exigence” ».

B.  La demanderesse a-t-elle été privée de son droit à l’équité procédurale dans la décision de rejeter son grief?

[22]  La demanderesse avance que le comité ne lui a pas demandé de clarifier sa [traduction] « réponse sévère », selon ses propres dires, aux réponses des représentants de la direction de l’Agence aux deux questions du comité. En réponse, le défendeur estime que le comité a permis à la demanderesse de répondre aux renseignements reçus du représentant de sa direction et que la demanderesse a saisi l’occasion. Selon le défendeur, le comité n’était pas tenu de chercher à obtenir une clarification de la réponse de la demanderesse à l’égard de ces renseignements. À mon sens, ces observations soulèvent une question d’équité procédurale. La question est donc de savoir si le comité était tenu, au regard de son obligation d’équité procédurale, de demander à la demanderesse de clarifier sa réponse aux réponses du représentant de la direction.

[23]  L’obligation d’équité procédurale, bien qu’elle se situe à l’extrémité inférieure du registre dans le cas des griefs de classification, exige du comité qu’il donne à la plaignante une occasion valable de participer au processus. Dans Bulat c Canada (Conseil du Trésor), [2000] ACF no 148, au paragraphe 10, 95 ACWS (3d) 99 (CAF) [Bulat], le juge Evans a abordé l’obligation dans le cadre des griefs de classification, observant ceci :

L’un des aspects élémentaires de l’obligation d’agir équitablement veut que la personne sur laquelle une décision a un effet négatif ait véritablement la possibilité de débattre d’une question qui joue, de l’avis du comité, un rôle crucial dans le règlement du grief, mais que l’auteur du grief ne croit pas litigieuse et qu’il ne s’attend donc pas à voir surgir ni à traiter.

[24]  Dans Bulat, la Cour a conclu que le comité avait enfreint son obligation d’équité procédurale, car il avait fondé « sa recommandation défavorable sur des renseignements obtenus d’un représentant de la direction, qui n’ont pas été divulgués à l’appelant pour qu’il les commente » (Bulat, au paragraphe 3). Or, en l’espèce, les renseignements obtenus du représentant de la direction ont été communiqués à la demanderesse et elle y a répondu.

[25]  L’obligation d’équité procédurale en common law a été codifiée dans les procédures. Le sous-alinéa 2b)(iv) des procédures dispose, en partie, que : [traduction] « Si de nouveaux renseignements importants sont présentés au comité par la direction, ces renseignements seront transmis au plaignant et (ou) à son représentant qui disposera de 10 jours ouvrables pour répondre ». La demanderesse ne prétend pas que le comité a enfreint ce sous-alinéa ou qu’elle ne s’est pas vu offrir l’occasion de répondre aux renseignements transmis par la direction. Elle avance plutôt que le comité était tenu de lui demander de clarifier sa position après qu’elle eût saisi l’occasion qui lui était offerte de répondre au représentant de la direction. Le degré d’équité procédurale exigé dans le cas des griefs de classification se situant à l’extrémité inférieure du registre, il n’incombait pas, à mon sens, au comité d’entreprendre une telle démarche proactive. Le comité a reçu les observations écrites et verbales de la demanderesse et lui a permis de répondre aux renseignements fournis par le représentant de la direction. Il n’y a eu aucun manquement à l’obligation d’équité procédurale à ce chapitre.

[26]  La demanderesse avance de plus que le comité n’a pas suivi les procédures pour le règlement d’un grief de classification, car il a omis de résoudre toutes les questions liées au contenu du poste. Cette affirmation semble reposer sur le sous-alinéa 2a)(ii) des procédures, qui dispose : [traduction] « Un grief de classification ne sera pas entendu tant que tous les griefs relatifs au contenu de la description de travail ne seront pas résolus. » Je ne vois aucun fondement à cette prétention de la demanderesse. En effet, ce sous-alinéa exige seulement du comité qu’il attende que tous les griefs relatifs à la description de travail aient été résolus avant de classifier ou de reclassifier un poste. En réponse au grief, le comité n’était pas tenu de résoudre les questions relatives à la description de travail du poste. Au contraire, le comité avait pour seul et unique rôle d’examiner et d’évaluer la description de travail en regard des 12 éléments de la norme. En effet, si le comité avait modifié la description de travail ou refusé de tenir compte des tâches et des activités inscrites la description de travail dans son analyse de la classification, il aurait été dans l’erreur (voir : Wilkinson c Canada (Procureur général), 2014 CF 741, au paragraphe 9, 460 FTR 175; voir également : Allard, aux paragraphes 26 et 39).

[27]  En résumé, je conclus que le droit à l’équité procédurale de la demanderesse a été respecté tout au long du processus menant au rejet de son grief.

C.  La décision de rejeter le grief de la demanderesse était-elle raisonnable?

[28]  La demanderesse soutient que le comité a omis d’examiner la preuve qui lui a été soumise quant à [traduction] « le déséquilibre entre la description de travail de la classification SP-04 et la structure hiérarchique des connaissances et des compétences que doivent détenir les agents des services téléphoniques. » Selon la demanderesse, le poste SP0465 s’inscrit dans cette structure hiérarchique qui prévoit différents degrés de connaissances et de responsabilité, étant donné que certains employés ont peu d’expérience, tandis que d’autres se chargent des matières fiscales réservées aux centres d’expertise ainsi que des questions liées aux non-résidents, les employés ayant moins d’expérience renvoyant les dossiers complexes à ceux qui possèdent plus de connaissances.

[29]  Le défendeur avance que le comité a apprécié les éléments de preuve relatifs à la structure hiérarchique du poste SP0465 et que les prétentions de la demanderesse quant à la structure organisationnelle du poste SP0465 ne sont pas pertinentes dans le contexte d’un grief de classification, bien qu’elles le seraient dans un grief de description de travail. Selon le défendeur, les observations de la demanderesse démontrent une incapacité de saisir la différence de fond entre un grief de classification et un grief de description de travail. Le défendeur maintient que le comité a raisonnablement évalué la description de travail écrite lorsqu’il a utilisé la norme pour déterminer le niveau de classification approprié pour le poste.

[30]  À mon sens, les motifs du comité en l’espèce ne laissent aucun doute, il a tenu compte de la structure organisationnelle hiérarchique du poste SP0465 pour déterminer la classification appropriée pour le poste. Le comité a examiné les observations de la demanderesse quant au système de paliers ainsi que sur la façon dont la charge de travail est répartie entre les ASC, y compris sa demande de reclassification des ASC plus expérimentés et affectés aux questions réservées aux centres d’expertise ou aux demandes de non-résidents. Le comité a de plus posé des questions aux représentants de la direction de l’Agence à propos de la hiérarchie des connaissances et des compétences comprises dans le système de paliers ainsi que sur la façon dont le travail est réparti entre les ASC. Les motifs du comité démontrent qu’il a été attentif à l’existence de la structure organisationnelle hiérarchique du poste SP0465. Les motifs sous-tendant la recommandation du comité ne sont pas déraisonnables pour défaut d’adéquation.

[31]  Au surplus, la décision du comité de ne pas prendre en compte des plaintes de la demanderesse relativement à la description de travail était raisonnable pour diverses raisons. Premièrement, un comité de griefs de classification n’est pas habilité en application des procédures à modifier une description de travail, bien qu’il doive l’examiner et l’évaluer pour déterminer la classification appropriée pour un poste. Deuxièmement, un grief de classification repose sur la prémisse voulant que le plaignant accepte le contenu de la description de travail du poste; en l’espèce, la demanderesse a confirmé que la description de travail était conforme aux responsabilités professionnelles des ASC. Troisièmement, une description de travail ou d’emploi peut être formulée en des termes généraux pour englober des degrés variés de compétences ou de connaissances. À ce titre, dans Currie c Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2006 CAF 194, [2007] 1 FCR 471, le juge Pelletier a mentionné ceci :

[1]  Il n’est pas rare que les fonctions et responsabilités d’employés ayant la même description de travail soient différentes. Dans la mesure où elles concordent avec la formulation générale de la description de travail, il n’y a pas de problème [...]

[32]  La demanderesse estime également que les questions posées par le comité aux représentants de la direction de l’Agence témoignent de son incompréhension des enjeux dans son grief. En outre, elle avance que les réponses du représentant de la direction donnent une impression déformée et fausse de l’environnement de travail au centre d’appels de Toronto et n’illustrent pas l’expérience de travail des ASC [traduction] « sur le terrain ». À mon sens, ces affirmations ne sont pas fondées. Le comité a conclu que les renseignements reçus de la direction correspondaient aux observations de la demanderesse. Le représentant de la direction a indiqué qu’il y avait différents paliers au sein du poste SP0465; que les appels sont répartis entre les employés selon leur degré d’expérience et de formation; que divers employés ont des degrés différents de connaissances et d’expertise et qu’ils se font ainsi attribuer différents types d’appels; puis que certains ASC traitent des questions fiscales réservées aux centres d’expertise et liées aux non-résidents. Étant donné ce qui précède, il me semble raisonnable que le comité conclue : [traduction] « Les renseignements reçus de la direction ne contredisent pas l’existence d’un système à trois paliers, ou la répartition du travail entre les agents occupant le poste SP-0465, comme le décrit la description de travail. »

[33]  La demanderesse avance en outre que le comité n’a pas agi de façon raisonnable en utilisant la grille de notation de la norme, puisqu’il s’agit d’un outil déficient, incohérent au regard de l’intention et de la raison d’être de la norme, et que la norme est un simple guide et non un outil scientifique. Le défendeur soutient que l’utilisation et l’application de la norme par le comité étaient raisonnables, puisqu’il a évalué chaque élément de la description de travail tel qu’il était rédigé en utilisant les principes directeurs de la norme et en sélectionnant le degré le plus approprié.

[34]  La demanderesse a soutenu, devant le comité, que le nombre de points attribués à six des 12 éléments de la norme devrait être augmenté de cinq pour cent. Toutefois, le comité a estimé que la méthode proposée par la demanderesse pour attribuer de nouvelles cotes de pointage à certains éléments était [traduction] « inadmissible » au motif que son mandat était de déterminer la classification appropriée en appliquant les normes de classification actuelles et approuvées. La décision du comité de classifier le poste en utilisant la norme et sa grille de notation était raisonnable, pour ne pas dire exigé dans les circonstances de l’espèce. La norme ne permet pas au comité d’augmenter de façon arbitraire la valeur en points de certains éléments et n’indique pas non plus que le comité peut s’écarter des grilles de notation existantes. Le comité n’a pas le pouvoir discrétionnaire lui permettant de sélectionner une cote de points qui ne correspond pas à une gamme particulière. Le comité doit plutôt déterminer le degré approprié de chaque élément en analysant différentes lignes directrices. La norme a été conçue de façon à permettre aux évaluateurs, y compris le comité, d’examiner la classification d’un poste d’une façon uniforme.

V.  Conclusion

[35]  En conclusion, la décision de refuser le grief de classification de la demanderesse est raisonnable, car elle est justifiable au regard des faits et du droit et elle appartient aux issues acceptables. De plus, la décision respecte l’équité procédurale; ni le comité ni le sous-commissaire n’ont omis de respecter quelque principe de justice naturelle.

[36]  La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est donc rejetée avec dépens. Elle doit payer au défendeur un montant forfaitaire fixe de 1 000 $ (incluant tous les débours et taxes applicables).

 


JUGEMENT

LA COUR CONCLUT que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée avec dépens. Elle doit payer au défendeur un montant forfaitaire fixe de 1 000 $ (incluant tous les débours et taxes applicables).

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-287-16

 

INTITULÉ :

GLORIA ROOPNAUTH c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Gloria Roopnauth

 

Pour la demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Debra Prupas

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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