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Date : 20161118


Dossier : T-1533-15

Référence : 2016 CF 1276

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

HEATHER RUTH MCDOWELL

demanderesse

et

LAVERANA GmbH & Co. KG

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’un appel d’une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce au nom du registraire des marques de commerce, en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 [la Loi sur les marques de commerce]. La décision portée en appel a pour référence 2015 COMC 125.

[2]               Heather McDowell est présidente de cinq magasins de la marque « HONEY ». Elle est la propriétaire inscrite du mot de la marque de commerce « HONEY » et du dessin de marque « HONEY et Dessin », enregistrements nos LMC767,075 et LMC767,134. Le dessin de marque est reproduit ci-dessous :

http://shophoney.com/wp-content/uploads/2014/03/HONEY.jpg

[3]               Le 10 juin 2013, le registraire des marques de commerce a donné un avis à Mme McDowell lui enjoignant de « fournir [...] un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacun des produits ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date » (Loi sur les marques de commerce, article 45).

[4]               La demande visant à ce qu’un avis soit délivré, en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, a été faite par Laverana GmbH & Co KG [Laverana], un fabricant allemand de produits cosmétiques qui a enregistré la marque de commerce « HONEY MOMENTS » pour emploi au Canada. Mme McDowell conteste l’enregistrement d’« HONEY MOMENTS » dans une instance distincte (McDowell c. Laverana GmbH & Co. KG, 2015 COMC 56, faisant actuellement l’objet d’un appel à la Cour : dossier de la Cour no T-911-15.

[5]               Laverana a choisi de ne pas répondre à l’appel de Mme McDowell en l’espèce.

[6]               Les marques de commerce de Mme McDowell étaient toutes les deux enregistrées pour emploi en liaison avec les produits suivants :

Vêtements, nommément pantalons, jeans, pantalons d’entraînement, pantalons de yoga, vêtements d’exercice, pantalons, chandails, pulls d’entraînement, polos, chemises, jupes, chemisiers, robes, bonneterie, vestes, blazers, manteaux, vestes de ski, vestes en duvet, vestes de fourrure, manteaux de laine, shorts, maillots de bain, vêtements de détente; lingerie; articles chaussants, nommément chaussures, sandales, bottes, pantoufles; chaussures pour hommes, femmes et enfants en cuir, en suède ou en soie, nommément escarpins, chaussures à talons hauts, chaussures habillées de toutes sortes, espadrilles, chaussures de course, chaussures de basketball, chaussures de golf, chaussures d’entraînement, chaussures de court, chaussures de piste, chaussures de plage, nommément sandales, tongs; couvre-chefs, nommément chapeaux, casquettes, bandanas, bandeaux, visières; bijoux; accessoires de mode, nommément foulards, châles, sacs à main, gants, montres; accessoires pour cheveux, nommément peignes, brosses, bandeaux pour cheveux en tissu ou en plastique, barrettes, chouchous, attaches de queue de cheval, pinces pour cheveux, épingles à cheveux et ornements pour cheveux; ceintures, lunettes de soleil; cosmétiques, nommément fond de teint liquide ou en poudre, crèmes pour le visage, fard à joues, ombre à paupières, traceur pour les yeux, mascara, rouge à lèvres, brillant à lèvres, crayon à lèvres, sacs à cosmétiques vendus vides; articles‑cadeaux, nommément lampes, plateaux, vases; ornements et figurines en céramique, en porcelaine de chine, en verre, en porcelaine; bonbonnières.

[7]               Les marques de commerce étaient également enregistrées pour emploi en liaison avec les services suivants :

Services de magasin de détail, nommément exploitation d’un magasin de vêtements, d’articles chaussants, de couvre-chefs, d’accessoires de mode et d’articles-cadeaux.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               L’agent d’audience a conclu que Mme McDowell avait établi l’emploi des marques de commerce avec les « services » visés par l’enregistrement, au sens du paragraphe 4(2) et de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce. Il a aussi conclu que les accords de licence et la déclaration de contrôle étaient suffisants pour répondre aux exigences du paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce.

[9]               Cependant, l’agent d’audience n’était pas convaincu que les éléments de preuve indiquaient [traduction] « la vente et le transfert de chacun des produits visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente ». Plus fondamentalement, il a conclu que Mme McDowell n’était pas en mesure de démontrer que la marque « HONEY » est « apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée », tel que l’exige le paragraphe 4(1) de la Loi sur les marques de commerce.

[10]           L’agent d’audience a donc ordonné les modifications suivantes aux enregistrements de Mme McDowell :

51        L’enregistrement no LMC767,075 de la marque de commerce HONEY sera modifié pour radier l’état déclaratif des produits. L’enregistrement sera maintenu en ce qui concerne les services visés par l’enregistrement.

52        L’enregistrement no LMC767,134 de la marque de commerce HONEY et Dessin sera modifié pour radier l’état déclaratif des produits. L’enregistrement sera maintenu en ce qui concerne les services visés par l’enregistrement.

III.             Questions en litige

[11]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.    Quelle est la norme de contrôle?

B.     La preuve nouvelle offerte par Mme McDowell à l’appui de son appel est-elle substantielle, le cas échéant, démontre-t-elle l’emploi des marques de commerce en liaison avec les produits présentés dans les enregistrements?

C.     L’agent d’audience a-t-il raisonnablement conclu que Mme McDowell n’était pas en mesure de démontrer l’emploi de ses marques de commerce en liaison avec les produits présentés dans les enregistrements?

IV.             Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle?

[12]           En l’absence de preuve nouvelle, la norme de contrôle applicable à l’appel d’une décision du registraire est la raisonnabilité (décision Mövenpick Holding AG c. Exxon Mobil Corporation, 2011 CF 1397, au paragraphe 8 [Mövenpick]); décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 SCR 190). Lorsque la preuve nouvelle est substantielle, la retenue qui est due envers l’expertise d’un agent d’audience est réduite, mais pas éliminée. Comme l’a expliqué le juge Binnie dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772, au paragraphe 37 :

L’admission d’un nouvel élément de preuve pourrait évidemment (selon sa nature) affaiblir le fondement factuel de la décision rendue par la Commission et lui enlever le poids que lui confère l’expertise de la Commission. Toutefois, le pouvoir dont dispose le juge des requêtes d’admettre et d’examiner un nouvel élément de preuve n’empêche pas en soi que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent : Lamb c. Canadian Reserve Oil & Gas Ltd., [1977] 1 R.C.S. 517, p. 527‑528.

[13]           Si la preuve nouvelle est substantielle, il convient d’examiner la décision du registraire à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve, tant nouvelles qu’anciennes, et la Cour doit arriver à sa propre conclusion (décision Mövenpick, au paragraphe 10; arrêt Shell Canada Limitée c. P.T. Sari Incofood Corporation, 2008 CAF 279, au paragraphe 22).

B.                 La preuve nouvelle offerte par Mme McDowell à l’appui de son appel est-elle substantielle, le cas échéant, démontre-t-elle l’emploi des marques de commerce en liaison avec les produits présentés dans les enregistrements?

[14]           L’agent d’audience a conclu que Mme McDowell avait produit suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’emploi de ses marques de commerce relativement à chacun de ses produits par l’enregistrement. Il a conclu qu’au mieux, les reçus présentés montraient la vente et le transfert de deux tee-shirts et d’un jean au cours de la période pertinente. Il n’est pas évident pour l’agent d’audience s’il y a eu des ventes d’autres produits visés par l’enregistrement comme des chaussures de course, des lunettes de soleil, du brillant à lèvres ou des bonbonnières.

[15]           L’agent d’audience a reconnu qu’un propriétaire inscrit n’est pas obligé de fournir des factures pour chacun des produits visés par l’enregistrement, citant la décision Lewis Thomson & Son Ltd c. Rogers, Bereskin & Parr (1988), 21 CPR (3d) 483 (CF 1re inst)]. Cependant, en l’absence de facture, il a conclu que Mme McDowell « aurait dû être prête à produire une preuve à l’égard du volume de ventes, de la valeur monétaire des ventes ou de renseignements équivalents factuels pour permettre au registraire de conclure que le transfert dans la pratique normale du commerce a eu lieu au Canada en ce qui concerne chacun des produits visés par l’enregistrement » [souligné dans l’original].

[16]           Dans le présent appel, Mme McDowell a cherché à combler les lacunes dans la preuve en soumettant un nouvel affidavit, conformément au paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce. Elle a réparti les ventes en différentes catégories de produits portant les marques de commerce en pourcentages du total. Elle dit que les ventes de chaque année au cours de la période ont dépassé 100 000 $. Les 51 pièces jointes au nouvel affidavit comprennent ce qui suit : 1) des photos de vitrines sur lesquelles le dessin de marque figure bien en vue; 2) des photos de vêtements et d’accessoires dotés d’une étiquette portant le dessin de marque; 3) des reçus sur lesquels figure le dessin de marque; 4) des photos de logos et de matériel promotionnel sur lesquels figure le dessin de marque, y compris des publicités, des cartes de fidélité et des sacs, des boîtes et des housses à vêtements.

[17]           En supposant, sans trancher la question, que l’agent d’audience a raisonnablement conclu que les éléments de preuve de Mme McDowell étaient insuffisants pour démontrer son emploi des marques de commerce relativement à chacun des produits visés par l’enregistrement, je conclus que la preuve nouvelle produite par Mme McDowell est substantielle pour l’appel et traite en profondeur les lacunes relevées par l’agent d’audience (décisions Mövenpick, aux paragraphes 10 et 32, et Empresa Cubana Del Tabaco (Sociale Cubatabaco) c. Shapiro Cohen, 2011 CF 102, au paragraphe 48).

[18]           Toutefois, cela ne règle pas la question. L’agent d’audience a également conclu que le défaut de Mme McDowell de produire suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’emploi de ses marques de commerce relativement à chacun de ses produits par l’enregistrement était en fin de compte théorique puisqu’il n’était « pas convaincu que la manière dont les Marques sont présentées constitue un emploi en liaison avec l’un ou l’autre des produits vendus dans les magasins de vente au détail HONEY en vertu de l’article 4(1) de la Loi ». Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit susceptible de révision par la Cour selon la norme de la décision raisonnable.

C.                 L’agent d’audience a-t-il raisonnablement conclu que Mme McDowell n’était pas en mesure de démontrer l’emploi de ses marques de commerce en liaison avec les produits présentés dans les enregistrements?

[19]           L’article 45 de la Loi sur les marques de commerce a maintes fois été qualifié par la Cour de mesure d’ordre administratif : son objet fondamental est de débarrasser le registraire d’enregistrements [traduction] « inutiles » et non pas de résoudre des contentieux concernant des intérêts commerciaux concurrents (Saks & Co v Canada (Registrar of Trade Marks), [1989] FCJ no 28 (TD), au paragraphe 6). Comme l’a dit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Meredith & Finlayson v Canada (Registrar of Trade Marks), [1991] FCJ no 1318, au paragraphe 412 (FCA) :

[traduction]
L’article 45 prévoit une méthode simple et rapide de radier du registre les marques tombées en désuétude. Il n’est pas censé prévoir un moyen supplémentaire de contester une marque de commerce, autre que la procédure litigieuse courante visée par l’article 57. Le fait que l’auteur d’une demande fondée sur l’article 45 ne soit même pas tenu d’avoir un intérêt dans l’affaire [...] en dit long sur la nature publique des intérêts que l’article vise à protéger [...]. Cette disposition ne vise manifestement pas la tenue d’une instruction qui porterait sur une question de faits contestée mais, plus simplement, à donner au propriétaire inscrit l’occasion d’établir, s’il le peut, que sa marque est employée, ou bien d’établir les raisons pour lesquelles elle ne l’est pas, le cas échéant.

[20]           En l’espèce, l’agent d’audience a tiré plusieurs conclusions contestées concernant les éléments de preuve présentés par Mme McDowell. Parmi celles-ci, mentionnons la question de savoir si la marque de Mme McDowell était en fait « apposé[e] sur les produits mêmes », si les étiquettes volantes de marque « HONEY » étaient essentiellement des étiquettes de prix et par conséquent, ne distinguaient pas les produits, mais seulement les services du détaillant; et si la présentation de la marque de Mme McDowell sur des sacs à provisions et des boîtes, des affiches à l’extérieur et à l’intérieur du magasin, sur des affiches publicitaires, des cartes professionnelles et des cartes de fidélité et dans la partie supérieure des reçus donnait l’avis de liaison prévu au paragraphe 4(1) de la Loi sur les marques de commerce ou constituait un emploi en liaison avec uniquement les services de magasin de vente au détail.

[21]           Selon moi, les conclusions de fait et de droit de l’agent d’audience étaient des questions contentieuses qui n’étaient pas adaptées à une résolution en vertu d’une procédure sommaire envisagée dans l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, plus particulièrement étant donné l’existence d’un conflit inter partes distinct et non résolu mettant en cause une marque de commerce concurrente enregistrée par la partie requérante. De plus, les étiquettes volantes et les étiquettes apposées sur des produits seraient ordinairement suffisantes pour démontrer qu’une marque de commerce était affichée en liaison avec les produits pendant la période pertinente (voir, par exemple, la décision Sim & McBurney c. Garbo Group Inc, 2013 COMC 141, au paragraphe 10).

[22]           L’agent d’audience a conclu que la preuve présentée par Mme McDowell était ambigüe et que cette ambiguïté devait être résolue à l’encontre des intérêts de la propriétaire :

Au mieux, la preuve est ambiguë à savoir si l’un ou l’autre des produits vendus dans les magasins HONEY étaient des produits HONEY plutôt que des produits de tiers. Suivant Plough [Plough (Canada) Ltd v Aerosol Fillers Inc, [1981] 1 FC 679 (CA)], cette ambiguïté doit être résolue à l’encontre des intérêts de la Propriétaire.

[23]           Cette conclusion est entachée d’erreur flagrante. Toute ambiguïté en matière de preuve aurait dû être réglée en faveur de la propriétaire inscrite Mme McDowell (décision Black & Decker Corporation v. Method Law Professional Corporation, 2016 FC 1109, au paragraphe 15, citant la décision Fraser Sea Food Corp. c. Fasken Martineau Dumoulin LLP, 2011 FC 893, au paragraphe 19; voir aussi la décision Fairweather Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1248, au paragraphe 41, conf. 2007 CAF 376).

V.                Conclusion

[24]           La preuve nouvelle produite par Mme McDowell à l’appui de son appel traite en profondeur les lacunes relevées pas l’agent d’audience.

[25]           L’agent d’audience a tenté de régler les contentieux concernant des intérêts commerciaux concurrents dans une instance en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce en appliquant un fardeau de preuve déraisonnablement exigeant. De plus, l’agent d’audience a résolu une ambiguïté en matière de preuve à l’encontre de Mme McDowell, alors qu’elle aurait dû l’être en sa faveur. Par conséquent, la décision de l’agent d’audience était déraisonnable.

[26]           L’appel est accueilli et les enregistrements d’origine pour les deux marques de commerce sont rétablis.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.      L’appel est accueilli avec dépens;

2.      L’enregistrement no LMC767,075 de la marque de commerce HONEY sera modifié par le registraire pour rétablir l’état déclaratif des produits.

3.      L’enregistrement no LMC767,134 de la marque de commerce HONEY et Dessin sera modifié par le registraire pour rétablir l’état déclaratif des produits.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1533-15

 

INTITULÉ :

HEATHER RUTH MCDOWELL c. LAVERANA GmbH & Co. KG

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 novembre 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Kenneth McKay

 

Pour la demanderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim Ashton & McKay LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

 

 

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