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T-363-16Date : 20161117


Dossier : T-363-16

Référence : 2016 CF 1278

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

VIA RAIL CANADA INC.

demanderesse

et

MARCIA CANNON

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS :

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, d’une décision interlocutoire rendue par la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] en date du 13 janvier 2016 [la décision révisée] déterminant qu’elle exercerait son pouvoir discrétionnaire pour traiter la plainte de la défenderesse déposée tardivement conformément à l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [la Loi].

[2]               La demanderesse, VIA Rail Canada Inc. [VIA], soutient que la Commission a mal interprété les faits et mal appliqué la loi en décidant si elle devait ou non exercer son pouvoir discrétionnaire pour traiter la plainte déposée tardivement.

[3]               Un examen de la décision de la Commission n’a révélé aucune erreur et, pour cette raison, la demande est rejetée.

I.                   Faits et procédures

[4]               La présente demande découle d’un incident survenu le 22 février 2012 entre la défenderesse et un des employés de VIA. La défenderesse, qui s’identifie comme faisant partie du spectre des transgenres, a été interrompue par un employé de sexe masculin pendant qu’elle était dans les toilettes pour femmes.

[5]               Le 26 avril 2016, la défenderesse a envoyé une lettre de plainte à VIA décrivant l’incident. Dans cette lettre, elle conclut :

[traduction] J’aimerais savoir quelle procédure est en place, le cas échéant, pour permettre au personnel de traiter les situations comme celle que j’ai vécue – dans mon cas une réaction dégradante et humiliante démesurée face à mon expression sexuelle – et ce que Via Rail Canada propose pour faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Je demande des dommages-intérêts généraux.

[6]               Le 23 juillet 2012, la défenderesse a envoyé par courriel un formulaire de plainte rempli et un exposé des faits à la Commission. Il est arrivé au bureau de la Commission le ou vers le 1er août 2012.

[7]               Peu de temps après, la Commission a communiqué avec les parties et recommandé la médiation préventive. Les parties ont conclu une entente de médiation préventive [l’entente], qui a notamment reconnu que la plainte n’avait pas encore été déposée et que, si la médiation préventive échouait, les parties conservaient le droit de contester le dépôt subséquent d’une plainte pour des raisons de délais à respecter. Les parties ont organisé des séances de médiation le 13 décembre 2012 et le 15 avril 2013, mais elles ne sont arrivées à aucun règlement.

[8]               Le 15 avril 2013, après la deuxième et la dernière séance de médiation, l’avocat de la défenderesse a demandé une prorogation de délai pour proposer une offre de règlement. L’avocat de VIA a écrit à l’avocat de la défenderesse :

[traduction] Je voudrais confirmer que VIA Rail Canada Inc. s’engage à ne soulever d’objection relative au délai de dépôt de la plainte du client qu’après le 30 juin 2013. Cette plainte est soulignée dans la lettre de votre client datée du 26 avril 2012, adressée à Mme Karry Murphy et à Mme Jean Tierney, employées de VIA.

À partir du 1er juillet 2013, et conformément à l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, VIA aura le droit d’invoquer le délai de prescription prévu par l’alinéa 41(1)e) relativement à l’incident que Mme Cannon a eu le 20 avril 2012.

[9]               VIA a envoyé une copie conforme de ce courriel au médiateur de la Commission.

[10]           Le 11 juillet 2013, VIA a reçu une proposition de règlement de la part de Mme Cannon datée du 8 juillet 2013. VIA a accusé réception de cette proposition le 18 juillet 2013 et a ajouté :

[traduction] Sous réserve de l’entente de médiation daté du 13 décembre 2012 et du courriel de VIA daté du 15 avril 2013, concernant le respect du délai, votre demande d’examiner l’offre de règlement datée du 8 juillet 2013 ne doit pas être interprétée comme signifiant que VIA renonce directement ou indirectement à l’une des conditions (passées, présentes ou futures) du courriel de VIA daté du 15 avril 2013.

VIA examinera donc l’offre de règlement sous réserve du courriel de VIA daté du 15 avril 2013. Je communiquerai à nouveau avec vous et la Commission avant le 31 juillet 2013.

[11]           VIA a aussi envoyé une copie conforme de ce courriel au médiateur de la Commission. Les parties ne sont pas arrivées à un règlement et le médiateur a fermé le dossier de médiation vers la fin de juillet 2013.

[12]           Le 1er août 2013, la Commission a admis que la plainte de la défenderesse soit déposée et, le 6 août 2013, elle a informé VIA qu’une plainte avait été déposée. Le résumé du formulaire de plainte envoyé à VIA indique que la plainte a été reçue le 1er août 2013 et le formulaire de plainte et l’exposé des faits datés du 23 juillet 2012 y étaient joints.

[13]           VIA a soulevé l’objection relative au délai de présentation de la plainte en prétendant qu’elle a été déposée plus d’une année après l’acte de discrimination allégué. La Commission a examiné et rejeté cette objection en concluant que la plainte avait été déposée par la défenderesse le 1er août 2012. Par conséquent, la Commission a accepté d’instruire la plainte. VIA a demandé que cette décision fasse l’objet d’un contrôle judiciaire.

[14]           Dans une décision rendue le 19 août 2015, le juge Diner a accueilli cette demande de contrôle judiciaire (décision Via Rail Canada Inc. c. Cannon, 2015 CF 989 [première décision concernant le contrôle judiciaire]). La Cour a conclu que la Commission avait manqué à son obligation d’équité procédurale en rejetant l’objection de VIA relative au délai de la plainte en l’antidatant au 1er août 2012.

[15]           La Cour a ordonné ce qui suit :

La décision d’enquêter devrait être annulée et renvoyée à la Commission aux fins de réexamen conformément à ces motifs. Ayant corrigé le manquement à l’équité procédurale mentionné ci-dessus, la Commission est libre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer si elle doit aller de l’avant avec la plainte de la manière qu’elle juge appropriée. (Première décision concernant le contrôle judiciaire, au paragraphe 26.)

II.                La décision contestée

[16]           Une section du rapport révisé fondé sur les articles 40 et 41 [le rapport révisé] daté du 25 septembre 2015 recommandait que la Commission instruise la plainte. La Commission a reçu les observations des deux parties répondant au rapport révisé. Après avoir examiné le rapport révisé et les observations des parties, la Commission a retenu la recommandation du rapport révisé et a décidé d’instruire la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la Loi.

[17]           La décision révisée a reproduit la chronologie des communications de la plaignante avec la Commission que présente le rapport révisé :

    22 avril 2012 : date de la discrimination alléguée

    26 avril 2012 : premières communications de la plaignante avec la Commission

    21 juin 2012 : le personnel envoie une trousse de plainte, en demandant qu’elle soit retournée au plus tard le 23 juillet

    1er août 2012 : plainte reçue par la Commission, mais non acceptée aux fins de dépôt (c.-à-d., partie narrative de la plainte, formulaires de consentement et d’information reçus, mais la défenderesse n’est pas encore avisée)

    15 août 2012 : Le personnel de la Commission communique avec la plaignante pour discuter de la médiation préventive

    D’août 2012 à juillet 2013 : processus de médiation préventive

    30 juillet 2013 : dossier retourné par le médiateur

    1er août 2013 : plainte acceptée aux fins de dépôt

    6 août 2013 : la défenderesse est officiellement informée que la plainte a été déposée

[18]           À la lumière de ces faits, la Commission a conclu que même si la plainte avait été déposée tardivement le 1er août 2013, il était approprié pour elle d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour traiter la plainte déposée tardivement, car la défenderesse avait communiqué avec la Commission dans l’année suivant la discrimination alléguée et tout retard dans le dépôt de la plainte était attribuable à la Commission puisqu’elle ne pouvait accepter le dépôt de la plainte qu’à la fin du processus de médiation préventive le 30 juillet 2013. En résumant les motifs de sa décision, elle a adopté l’analyse du rapport révisé des facteurs pertinents à soupeser en déterminant si son pouvoir discrétionnaire doit être exercé :

[traduction] Ces facteurs comprennent la nature des allégations, toute préoccupation d’intérêt public, la durée du retard, si le retard était imputable ou non à la plaignante et le préjudice subi par la défenderesse. En l’espèce, le retard accusé n’était pas imputable à la plaignante. Le retard a plutôt découlé des efforts déployés par la Commission pour résoudre l’affaire sans que le dépôt d’une plainte ne soit nécessaire. Le délai est d’environ 16 mois, soit quatre mois de plus que le délai d’un an prévu à l’alinéa 41(1)e). Pendant la majeure partie de cette période, la défenderesse savait que la plaignante avait l’intention de soulever des questions relatives aux droits de la personne dans cette plainte et a participé au processus de médiation préventive pour résoudre ces problèmes [...] (rapport révisé, au paragraphe 23).

III.             Dispositions législatives pertinentes

Plaintes

Complaints

40 (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

40 (1) Subject to subsections (5) and (7), any individual or group of individuals having reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice may file with the Commission a complaint in a form acceptable to the Commission.

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the that

[...]

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la commission estime indiqué dans les circonstances.

[...]

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

IV.             Questions en litige

[19]           VIA prétend que la Commission a mal interprété les faits dans sa décision révisée : elle a considéré que la plainte avait été reçue le 1er août 2012 et n’a pas tenu compte de la conclusion du juge Diner selon laquelle elle n’avait été déposée que le 1er août 2013; et elle a conclu que la médiation préventive s’est poursuivie jusqu’au 30 juillet 2013, alors que VIA soutient que son consentement pour procéder à la médiation préventive a été retiré à partir du 30 juin 2013. VIA prétend aussi que la Commission a négligé et n’a pas pris en compte les facteurs qu’elle avait soulevés et qui étaient pertinents pour la décision. Enfin, elle prétend qu’étant donné l’omission répétée de la Commission de s’acquitter de son obligation de manière neutre, la Cour devrait rendre un verdict imposé déterminant que la seule issue raisonnable est de refuser d’instruire la plainte de la défenderesse.

[20]           La défenderesse soutient qu’une déférence doit être accordée à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission et que, contrairement aux arguments de VIA, la Commission a correctement cerné le critère juridique, les faits pertinents et la conclusion du juge Diner dans la première décision concernant le contrôle judiciaire.

[21]           Ainsi, la présente demande soulève les questions en litige suivantes :

1.      La Commission a-t-elle commis une erreur dans l’évaluation des faits procéduraux?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

3.      Un verdict imposé devrait-il être rendu?

[22]           Ayant conclu que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par la Commission était raisonnable, je ne dois trancher que les deux premières questions.

V.                Norme de contrôle

[23]           VIA demande que la décision de la Commission soit réexaminée selon la norme de la décision correcte. VIA prétend qu’en concluant que la plainte a été reçue le 1er août 2012, la Commission a mal appliqué la conclusion du juge Diner dans la première décision concernant le contrôle judiciaire, une question de compétence susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Commissaire de la concurrence) c. Superior Propane Inc., 2003 CAF 53, au paragraphe 53). VIA soutient en outre qu’étant donné que la Commission a tiré des [traduction] « conclusions de fait abusives ou arbitraires qui omettent de mentionner des faits ou des éléments de preuve contradictoires », elle a perdu son droit à la déférence quant à sa conclusion selon laquelle la médiation préventive était en cours jusqu’au 30 juillet 2013. VIA soutient également qu’une omission de reconnaître et d’appliquer le critère approprié pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire ne mérite aucune déférence (Khalil Markis c. Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2008 CF 428, au paragraphe 19. Enfin, VIA soutient que le défaut de la Commission de s’acquitter de son obligation de remplir son mandat de manière complète et neutre est un manquement à l’équité procédurale susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa), 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

[24]           En concluant que la Commission a correctement interprété et appliqué les conclusions de la première décision concernant le contrôle judiciaire et que, en prenant une décision, elle a appliqué le critère juridique approprié pour l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, je conclus que la décision de la Commission doit être réexaminée selon la norme de la décision raisonnable. L’exercice du pouvoir discrétionnaire par la Commission en appliquant la décision du juge Diner a droit à la déférence dans les limites décrites dans l’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53.

VI.             Analyse

A.                Introduction

[25]           Je conclus que, le ou vers le 1er août 2012, la défenderesse a clairement déposé une plainte « en la forme acceptable pour [la Commission] », au sens de l’article 40 de la Loi. Le 23 juillet 2012, la défenderesse a envoyé par courriel un formulaire de plainte rempli et un exposé des faits à la Commission. Nous savons que cette plainte était dans la forme acceptable pour la Commission puisque ce même formulaire et l’exposé des faits ont été reproduits dans la plainte déposée le 1er août 2013 et signifiée à VIA le 6 août 2013.

[26]           Après cette conclusion initiale, la Commission a convaincu les parties de recourir à une médiation préventive. En initiant ce processus, la Commission et les parties ont conclu une entente disant, entres autres, qu’aucune plainte n’avait été déposée.

[27]           En effet, pendant la médiation préventive, la défenderesse a poursuivi en tenant pour acquis qu’une plainte n’avait pas été déposée. Elle a obtenu le consentement de VIA pour proroger le délai afin de déposer la plainte à une date fixée au 30 juin 2013. C’était environ trois mois après la période d’un an prévue par l’alinéa 41(1)e) de la Loi.

[28]           La médiation préventive ne s’est cependant pas révélée fructueuse et s’est terminée après l’expiration de la période légale d’un an. En décidant, pour la première fois, si elle devait traiter la plainte de la défenderesse, la Commission a choisi d’abandonner les conditions de l’entente, s’appuyant plutôt sur le fait que la défenderesse avait, en réalité, déposé sa plainte le 1er août 2012.

[29]           Cette approche a résolu la question de la prescription pour la Commission, mais était injuste pour VIA. Le juge Diner avait tout à fait raison de conclure que cela était inéquitable sur le plan procédural parce que VIA s’était fiée à la capacité de contester le délai de dépôt de la plainte après le 30 juin 2013, en se fondant sur son interprétation selon laquelle aucune plainte n’avait été déposée avant ou pendant la médiation préventive. Le juge Diner a rejeté la date de dépôt du 1er août 2012 et a plutôt conclu que le dépôt avait dû avoir lieu après la fin de la médiation préventive. Selon la demande acceptée, cela a eu lieu le 30 juin ou le 30 juillet 2013 et de toute manière, pas avant le 22 avril 2013, et par conséquent, hors délai.

[30]           Cet ensemble de circonstances a placé la Commission dans une situation difficile en appliquant la décision du juge Diner. Le juge Diner ayant décidé que la plainte a dû être déposée après la médiation préventive, elle a exercé son pouvoir discrétionnaire pour traiter la plainte déposée tardivement. Ce faisant, elle a souligné que la plainte a été réellement déposée environ 15 mois plus tôt, mais s’est appuyée sur la médiation préventive pour expliquer le retard tout en soulignant que VIA était généralement au courant du contenu de la plainte par l’intermédiaire de la médiation préventive.

[31]           Cela amène VIA à contester, devant la Cour, la façon dont la Commission pourrait fonder l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sur deux conclusions contradictoires : que le dépôt de la plainte a eu lieu le 1er août 2013 (une date postérieure à la fin de la médiation préventive comme l’a conclu le juge Diner); et que la plainte a été reçue en une forme acceptable, conformément à la Loi, aux alentours du 1er août 2012.

[32]           VIA conteste les conclusions factuelles de la Commission, particulièrement le fait de s’appuyer sur la date du 1er août 2012 et la conclusion selon laquelle la médiation préventive était en cours jusqu’à la fin juillet 2013. De plus, elle soutient que la Commission a omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable et de tenir compte des éléments de preuve contradictoires. Ma conclusion est défavorable pour chacun de ces arguments, comme je l’explique plus loin.


B.                 Trois autres possibilités de rejet de la demande de VIA

[33]           Dans ce qui est reconnu comme un nouvel ensemble de faits, la Cour trouve trois autres solutions au dilemme de la Commission. Cela constitue des motifs subsidiaires de rejet de la demande de VIA, soit de façon indépendante ou ensemble. Premièrement, la Commission a eu raison de corriger l’erreur administrative qu’elle a commise, puisqu’elle n’a causé aucun préjudice à VIA. Deuxièmement, le juge Diner a ordonné aux parties, dans la section « Réparation » de sa décision de traiter la question de l’examen de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission pour permettre que la plainte soit traitée une fois déposée tardivement. Troisièmement, la caractérisation appropriée des faits est que la défenderesse a déposé et ensuite retiré sa plainte en août 2012 ou aux alentours de cette date, pour être en mesure de participer à la médiation préventive. J’examine chacune des conclusions à tour de rôle.

(1)               La Commission a eu raison de corriger l’erreur administrative qu’elle a commise, puisqu’elle n’a causé aucun préjudice à VIA.

[34]           Dans la décision révisée, la Commission a reconnu qu’elle était la seule responsable du retard à déposer une plainte. Même si le retard peut être attribué à la médiation préventive, la Commission a aussi omis de dissiper la confusion quant à savoir si la plainte avait été déposée. La Commission aurait dû aviser la plaignante par écrit que, pour entreprendre la médiation préventive, elle devait retirer sa plainte comme condition de participation et fournir son consentement exprès pour ce faire. Dans tous les cas, la circonstance dans laquelle la défenderesse se trouve est largement attribuable aux actes de la Commission et non à ses propres actes.

[35]           La Commission est un tribunal administratif chargé et responsable de ses propres procédures. Si elle conclut que ses actes dans la recherche d’une solution légitime à une plainte entre les parties créent un problème imprévu relatif à la question du délai, je conclus qu’elle a le droit de corriger ses erreurs, à moins que cela ne cause préjudice aux parties. En l’espèce, la défenderesse subirait un préjudice important si le Comité devait refuser de traiter sa plainte, alors que toute injustice procédurale subie par VIA est résolue en appliquant la décision du juge Diner.

[36]           Conformément à ce qu’elle a compris comme étant l’orientation du juge Diner, la Commission a conclu que la plainte a été déposée le 1er août 2013. Cette conclusion fixe le retard maximal à déposer une plainte comme aucune des parties n’a avancé une date de dépôt postérieure. La Commission a ensuite examiné si elle devait examiner son pouvoir discrétionnaire pour néanmoins traiter la plainte. Au centre de la décision de la Commission de procéder ainsi se trouvait le fait que la défenderesse avait initialement soulevé un problème auprès de VIA qu’elle avait ensuite porté à l’attention de la Commission, laquelle a entrepris de faire participer les parties à une médiation préventive.

[37]           La Commission a conclu que la médiation préventive consécutive était la principale cause du retard à déposer la plainte. Conformément à l’entente conclue par les deux parties et la Commission, aucune plainte ne pouvait être déposée avant la fin de la médiation. En outre, conformément à l’entente, la Commission a conclu que VIA a compris qu’une plainte relative à l’incident initial était probable, à moins que la médiation soit couronnée de succès.

[38]           Je conclus que VIA n’a subi aucun préjudice en raison des mesures de la Commission. Elles ont été prises dans l’intérêt supérieur des parties et en examinant correctement les facteurs qui permettent d’accueillir la plainte pour procéder à une audience, même hors délai.

(2)               La Commission a appliqué de façon raisonnable la décision du juge Diner concernant la réparation pour manquement à l’équité procédurale.

[39]           Je conclus aussi que la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il était approprié pour elle d’effectuer une analyse pour déterminer si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et accepter de traiter la plainte déposée tardivement. Cette approche était en général conforme avec la conclusion du juge Diner sur la réparation appropriée, tant que la Commission n’empêchait pas VIA de contester le délai de dépôt de la plainte.

[40]           La Commission a conclu que le dépôt avait eu lieu le 1er août 2013, après la fin de la médiation préventive, comme l’exigeait la Cour. Comme il a été mentionné précédemment, c’est aussi la date la plus favorable pour VIA puisqu’elle a bénéficié d’un délai plus long. Comme aucune date postérieure au 1er août 2013 n’a été avancée pour le dépôt de la plainte, il n’apparaît pas clairement comment la détermination de cette date serait déraisonnable.

[41]           En abordant la réparation, le juge Diner a déclaré que« [c]omme elle a remédié à la violation de l’équité procédurale » que la Commission a commise en acceptant que la plainte soit déposée après la médiation préventive et que VIA pouvait par conséquent contester le délai de dépôt, « la Commission peut exercer son pouvoir discrétionnaire de donner suite à la plainte comme elle l’entend » (première décision concernant le contrôle judiciaire, au paragraphe 27).

[42]           Je conclus que les arguments de VIA revêtent un caractère technique et sont destinés à empêcher la Commission de s’acquitter de ses fonctions, et en particulier, visent à l’empêcher de se fonder sur les faits historiques qui appuient la décision de donner suite à la plainte.

[43]           Je veux ici parler du fait que la défenderesse a déposé la même plainte seulement trois mois et demi après l’incident et que les généralités de la plainte ont fait l’objet d’une médiation préventive. La Commission n’a pas admis le dépôt de la plainte et en a avisé VIA uniquement parce qu’elle croyait qu’il était dans l’intérêt supérieur des parties d’essayer de résoudre le problème au moyen de la médiation préventive en évitant les dépenses, le retard et certaines conséquences découlant d’une audience complète sur la question (un point sur lequel les parties sont d’entente).

[44]           Par conséquent, la seule question à examiner devrait être celle de savoir si la Commission a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire pour traiter la plainte déposée tardivement par la défenderesse, conformément à la décision du juge Diner concernant la réparation.

(3)               La défenderesse a retiré sa plainte afin de participer à la médiation préventive.

[45]           Le troisième autre motif sur lequel on peut se fonder pour rejeter la demande de VIA est que les faits appuient la conclusion selon laquelle la défenderesse avait retiré sa plainte déposée le 1er août 2012 ou aux alentours de cette date après avoir accepté de participer à la médiation préventive. La conclusion contourne l’argument de VIA selon lequel la Commission ne peut pas conclure que la plainte a été déposée en août 2013 si elle reconnaît qu’elle a également été déposée en août 2012.

[46]           Le juge Diner a reconnu le fait et il n’a ni mis en doute le fait que la Commission avait reçu une plainte en une forme acceptable en 2012 ni contesté ce fait lorsqu’il déclare au paragraphe 12 de sa décision que « [c]e rapport indique que la plainte avait été reçue dans une forme acceptable [...] le 1er août 2012, qu’elle avait été estampillée au moyen d’un timbre dateur par la Commission à cette même date [...] ».

[47]           L’effet de la signature de l’entente par la défenderesse et la Commission devait être que toutes les deux avaient envisagé le retrait de la plainte, que VIA en soit informée ou non. Cela a dû être l’interprétation du juge Diner, car il a expressément souligné les mots suivants dans l’entente : « Les participants comprennent qu’aucune plainte n’a été déposée auprès de la Commission en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne ».

[48]           Le juge Diner a aussi conclu que la défenderesse, par l’entremise de son avocat, avait reconnu que le délai de prescription d’un an expirerait pendant la médiation préventive et avait demandé une prorogation du délai auprès de VIA. Cette prorogation du délai a été accordée par lettre de VIA datée du 15 avril 2013, à condition que VIA puisse contester le délai lié au dépôt de la plainte, si celle-ci était déposée après le 30 juin 2013. Cela ne pouvait se produire que si la plainte était en suspens.

[49]           J’ai conclu qu’en signant l’entente, la défenderesse a effectivement convenu avec la Commission de retirer sa plainte. Cela est confirmé par la défenderesse plus tard lorsqu’elle reconnaît la nécessité de proroger la date limite de dépôt. Ce raisonnement est implicite dans la décision du juge Diner. Ce n’est que sur ce fondement qu’il a pu conclure que le problème d’équité procédurale a été résolu tant que la date de dépôt de la plainte était postérieure au 30 juin 2013 pour permettre à VIA de contester le délai de dépôt de la plainte.

[50]           Je reconnais que la défenderesse déclare que ce scénario n’est pas exact. Elle et son avocat étaient d’accord pour dire, en examinant la lettre de VIA du 15 avril 2013, qu’elle n’avait pas à déposer une autre plainte si la médiation échouait, car une plainte avait déjà été déposée. Cependant, cet élément de preuve n’a pas été présenté au juge Diner. Pour que cet argument soit recevable, la défenderesse devait expliquer pourquoi elle avait signé l’entente et prétendu que son avocat avait commis une erreur en soulevant, à deux occasions différentes, la question de la prorogation du délai de prescription d’un an auprès de VIA et en demandant une prorogation de délai menant à sa lettre du 15 avril 2013.

[51]           Cette interprétation des faits explique aussi pourquoi la Commission ne tient pas compte de la date de dépôt de la plainte initiale dans sa décision révisée. Le dépôt initial n’est pas utilisé comme justification pour autoriser la plaignante à passer à l’étape suivante. La médiation préventive de 11 mois était une raison suffisante pour que la Commission proroge le délai.

[52]           Une fois la médiation préventive terminée vers la fin juillet 2013, la Commission a raisonnablement utilisé la plainte initiale déposée en 2012, laquelle avait été retirée aux fins de la médiation préventive, comme fondement du nouveau dépôt de la plainte. La plainte a été déposée de nouveau le 1er août 2013, la première date possible à laquelle elle pouvait être déposée.

[53]           D’après ces faits, il est correct de dire que la date de dépôt était le 1er août 2013, après la fin de la médiation préventive fin juin 2013. C’est plus de trois mois après l’expiration du délai de prescription d’un an. La Commission était donc tenue d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer si elle devait traiter la plainte déposée tardivement.

[54]           Tout aussi important pour cette affaire, bien qu’il ne soit pas admis par VIA, est le fait que, en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour proroger la date de dépôt, la Commission avait le droit de tenir compte des faits historiques afin de déterminer s’il était dans l’intérêt de la justice qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai. Un fait historique important qui devait être pris en compte est que toute incompréhension de la part de la défenderesse concernant l’état de sa plainte pourrait être attribuée au traitement de la plainte initiale par la Commission et à la médiation préventive.

C.                 Examen des observations de VIA

[55]           Ces explications introductives étant fournies, je vais maintenant examiner les observations particulières de VIA. Elles peuvent être classées en deux rubriques, soit : que la Commission a commis une erreur dans son évaluation des faits procéduraux; que la Commission a mal interprété et mal appliqué le critère applicable en vertu de l’alinéa 41(1)e). La première est largement couverte par l’analyse ci-dessous, sous réserve de certaines conclusions factuelles que VIA conteste.

(1)               La Commission n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des faits procéduraux.

(a)                Il n’y a aucune incohérence à conclure que la plainte a été reçue en août 2012 et déposée en août 2013

[56]           La discussion connexe ci-dessus a largement répondu à cette partie des observations de VIA. Il est allégué dans l’observation que la Commission n’a pas appliqué la décision du juge Diner. Même si cela constituait un défaut de nature juridictionnelle assujetti à la norme de contrôle de la décision correcte, selon mon exposé qui précède, je ne suis pas d’accord pour dire que la Commission n’a pas appliqué correctement la décision du juge Diner.

[57]           Plus précisément, je ne suis pas d’accord avec l’observation au paragraphe 52 du mémoire de VIA selon laquelle le juge Diner a conclu qu’aucune plainte n’avait été reçue par la Commission avant le 30 juin 2013. La Cour n’a pas tiré une telle conclusion; en réalité, elle a précisément fait référence à ce fait sans le réfuter. Ce n’était pas non plus l’essence de la question relative à l’équité procédurale.

[58]           La décision du juge Diner était axée sur la façon dont l’entente et les communications entre avocats avaient créé une situation de confiance équitable lorsque VIA a accepté qu’une plainte puisse être déposée après (et non pas avant aux termes de l’entente) la fin de la médiation. Cette promesse équitable a été rompue lorsque la Commission a changé d’avis et a admis que la plainte avait été déposée le 1er août 2012 malgré l’entente et les termes négociés sur la prorogation du délai. La Commission ne pouvait pas le faire équitablement puisque l’entente disposait que le dépôt d’une plainte après la médiation, si hors délai, serait assujetti à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission. La décision du juge Diner n’était pas une conclusion affirmant qu’aucune plainte n’avait été reçue en août 2012.

[59]           En résumé, la Cour conclut que la distinction entre la réception d’une plainte par la Commission et le moment où elle a été admise aux fins de dépôt par les parties à l’entente est résolue par la conclusion implicite du juge Diner selon laquelle la plainte de 2012 a été retirée aux fins de la médiation.

[60]           Je souligne une fois de plus qu’il est nécessaire de faire une distinction entre le dépôt de la plainte aux fins du calcul du délai imparti pour le dépôt, plutôt que de déterminer si le pouvoir discrétionnaire de la Commission devrait être exercé en se fondant sur le fait historique relatif au moment où la plainte a été initialement déposée et la médiation consécutive pour déterminer le préjudice causé aux parties.

(b)               La plainte a été initialement déposée le 1er août 2012

[61]           Concernant la question de la compétence, VIA soutient implicitement qu’on ne dispose pas, ou pas assez, d’éléments de preuve attestant qu’une plainte a été reçue par la Commission le 1er août 2012. Le seul élément de preuve que VIA peut présenter à l’appui de cette observation est l’absence de la plainte estampillée au moyen d’un timbre dateur, dont la copie n’a pas été versée au dossier. J’ai déjà conclu que le juge Diner avait accepté que la plainte soit déposée dans une forme acceptable pour la Commission à cette date.

[62]           Le formulaire de plainte et l’exposé des faits joint datés du 26 juin 2012 sont des documents de fond qui accompagnaient la page de couverture de la plainte de la défenderesse datée du 1er août 2013. La défenderesse a aussi fourni un affidavit indiquant qu’elle avait préparé la plainte en juillet et l’avait déposée vers le 1er août 2012.

[63]           VIA soutient que la Cour ne devrait pas prendre connaissance de la preuve par affidavit parce qu’elle n’avait pas été présentée au décideur. La Commission ne semble pas avoir versé ses notes chronologiques du déroulement des événements qui se produisent à son dossier. En leur absence, je conclus que VIA a le droit de présenter les faits historiques relatifs au moment où elle a déposé le document. Ils sont corroborés par les déclarations de la Commission et reflètent les dates sur le formulaire de plainte et l’exposé des faits joints à la page de couverture de la plainte, bien qu’elle soit datée du 1er août 2013. La Cour ne va certainement pas admettre que la Commission a autorisé frauduleusement qu’un document portant une date erronée soit utilisé pour justifier sa thèse sans être attaquée de front par de telles allégations graves par VIA.

[64]           De plus, la preuve circonstancielle appuie fortement le fait que la Commission a reçu un document de la nature d’une plainte en 2012, avant que la médiation préventive ne soit entreprise. Il ressort clairement du dossier que VIA a été contactée en octobre 2012 par la Commission et a accepté de participer à une médiation préventive avec la défenderesse, sous la supervision de la Commission. VIA avait déjà reçu la lettre de la défenderesse datée du 26 avril 2012 relatant un incident portant sur des questions liées au sexe.

(c)                La lettre de la demanderesse datée du 26 avril 2012 soulève des questions potentiellement relatives aux droits de la personne

[65]           Concernant une question connexe, VIA soutient que la lettre initiale du 26 avril 2012, qu’elle a reçue de la part de la défenderesse signalant l’incident, ne soulève pas de préoccupations relatives au respect des droits de la personne. Je ne suis pas d’accord avec l’argument selon lequel l’incident tel qu’il est décrit ne pouvait pas potentiellement soulever des questions relatives aux droits de la personne. La défenderesse se considère elle-même comme n’ayant pas été reconnue selon le sexe auquel elle s’identifie dans les toilettes et à l’accueil, qualifiant les événements d’ [traduction] « inacceptables, offensants d’une manière dégradante et humiliants », offrant une description plus détaillée de l’effet de l’événement sur elle et présentant une demande d’indemnisation.

[66]           Quoi qu’il en soit, il serait facétieux de soutenir que la Commission canadienne des droits de la personne communiquerait avec VIA pour participer à une médiation préventive relativement à cet incident s’il ne s’agissait pas d’une éventuelle plainte relative aux droits de la personne.

(d)               VIA savait que la demanderesse avait évoqué l’incident du 26 avril 2012 dans le contexte d’une plainte relative aux droits de la personne et qu’elle avait l’intention de donner suite à la plainte en cas d’échec de la médiation.

[67]           Néanmoins, à l’appui de cet argument, VIA soutient aussi par la suite dans ses observations qu’elle ne savait pas que la défenderesse avait l’intention de donner suite à sa plainte auprès de la Commission si les parties ne parvenaient pas à un règlement.

[68]           VIA n’a pas produit d’affidavit attestant sa méconnaissance du fait que la défenderesse avait déposé une plainte ou soulevé des questions relatives aux droits de la personne pendant la médiation préventive.

[69]           VIA prétend aussi que les discussions tenues au cours du processus de médiation préventive sont couvertes par le privilège de la confidentialité puisqu’elles sont liées aux discussions en vue du règlement. Je ne suis pas d’accord sur ce point si les renseignements sollicités ont pour seul but d’être mis à disposition pour informer la Cour en l’espèce. La seule préoccupation pertinente liée à la divulgation des discussions en vue d’un règlement est leur impact sur le décideur final sur le plan du fond de la question de savoir s’il y a eu une violation de la Loi. Il n’y a aucune raison pour laquelle la Cour ne peut pas être informée de ce qui a été débattu au cours des discussions en vue d’un règlement en décidant si VIA a subi un préjudice ou a été induite en erreur en ne comprenant pas qu’elles concernaient une plainte potentiellement liée aux droits de la personne. La Cour veut uniquement savoir si les questions relatives aux droits de la personne liées à la plainte, telle qu’elle a été déposée par la suite, ont été discutées au cours du processus de médiation.

[70]           VIA a accepté de participer à une médiation préventive, qui ne pouvait être « préventive » que dans la mesure où elle empêchait la défenderesse de donner suite à une plainte relative aux droits de la personne. En outre, par sa lettre datée du 15 avril 2013, VIA a reconnu qu’elle conservait le droit de contester le délai de dépôt de toute plainte par la défenderesse en vertu de l’article 41 de la Loi. Elle a aussi accepté d’étudier une offre dans le contexte de la médiation préventive pour résoudre l’affaire, sans porter atteinte à son droit de contester le délai de dépôt d’une plainte, le cas échéant.

[71]           VIA est une vaste entreprise de transport public sophistiquée et syndicalisée qui offre des services ferroviaires au public dans tout le Canada et qui possède une grande expérience dans le traitement des questions relatives aux droits de la personne. Je ne puis prétendre que la lettre de la défenderesse ne soulevait pas de questions relatives aux droits de la personne sur ce sujet d’actualité précis du traitement des membres de la communauté transgenre, ou qu’elle a participé à la médiation préventive avec la Commission sans parfaitement connaître de quoi il s’agissait. Plus particulièrement, comme la lettre de la défenderesse et la participation de VIA à la médiation préventive font état de sa connaissance de la plainte potentiellement liée aux droits de la personne, VIA doit fournir des éléments de preuve si elle entend soutenir qu’elle ignorait ou qu’elle avait mal interprété ce fait.

[72]           Tous les faits démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que VIA savait que la défenderesse soulèverait une question relative aux droits de la personne, qu’elle était visée dans une plainte potentielle liée aux droits de la personne, et qu’elle savait que la défenderesse porterait probablement sa plainte devant la Commission si aucun règlement n’était conclu.

(e)                Le processus de médiation préventive s’est terminé le ou vers le 30 juillet 2013

[73]           VIA prétend que la Commission a commis une erreur dans sa décision selon laquelle la médiation préventive s’est tenue jusqu’au 30 juillet 2013. Dans son argumentaire, elle tente de s’appuyer sur sa lettre du 15 avril 2013 informant la défenderesse qu’après le 30 juin 2013, si aucune plainte n’était déposée, elle aurait le droit de s’opposer au délai de dépôt de toute plainte subséquente.

[74]           Je conclus que l’effet de la lettre était uniquement de réserver le droit de s’opposer à la plainte si celle-ci était déposée après le 30 juin 2013. Ce droit existait le 1er août 2013, à la date de dépôt de la plainte, et le 6 août 2013, lorsque la plainte a été finalement présentée à VIA.

[75]           Malgré sa lettre du 15 avril 2013, VIA a néanmoins consenti à étudier l’offre faite par la défenderesse le ou vers le 7 juillet 2013, offre qui a été rejetée un peu plus tard dans le mois. Selon ces faits, le médiateur de la Commission a déclaré que la médiation préventive s’est terminée fin juillet 2013.

[76]           Je conclus qu’il est illogique pour VIA de prétendre que la médiation s’est terminée le 30 juin 2013, alors qu’elle a ensuite consenti à étudier une offre faite après cette date. La médiation s’est poursuivie jusqu’aux alentours du 30 juillet 2013.

(2)               La Commission n’a ni mal interprété les faits ni mal appliqué le critère établi en vertu de l’alinéa 41(1)e).

[77]           VIA soutient que la Commission n’a pas examiné ses observations alléguant que sa décision contenait des omissions importantes et substantielles, et n’y a pas répondu, en citant la décision dans Herbert c. Canada (Procureur général), 2008 CF 969, au paragraphe 26. L’essentiel du raisonnement de la Commission est résumé au paragraphe 75 de la décision révisée comme suit :

[traduction] Au moment de décider d’exercer ou non le pouvoir discrétionnaire pour traiter une plainte déposée tardivement, un certain nombre de facteurs doivent être pris en compte [...] Ces facteurs comprennent la nature des allégations, toute préoccupation d’intérêt public, la durée du retard, si le retard était imputable ou non à la plaignante et le préjudice subi par la défenderesse. En l’espèce, le retard accusé n’était pas imputable à la plaignante. Le retard a plutôt découlé des efforts déployés pour résoudre l’affaire sans que le dépôt d’une plainte soit nécessaire. Le délai est d’environ 16 mois, soit quatre mois de plus que le délai d’un an prévu à l’alinéa 41(1)e). Pendant la majeure partie de cette période, la défenderesse savait que la plaignante avait l’intention de soulever des questions relatives aux droits de la personne dans cette plainte et a participé au processus de médiation préventive pour résoudre ces problèmes [...]

[78]           Ce résumé des motifs de la Commission souligne le critère juridique approprié et explique également comment la Commission a soupesé les facteurs pertinents à la lumière de ses conclusions factuelles relativement à la date de réception, à la date de dépôt et à la durée de la médiation préventive. Je conclus que la Commission a appliqué le critère juridique approprié en exerçant sa discrétion et n’a pas omis de répondre à une quelconque observation pertinente présentée par VIA.

[79]           En grande partie, VIA suit le courant jurisprudentiel dans ses observations fondées sur les arguments examinés ci-dessus visant à démontrer que la plainte du 1er août 2012 n’a jamais été déposée ou ne peut pas être examinée à la lumière de la décision du juge Diner. J’ai déjà répondu à ces observations et à plusieurs de ses autres observations. J’examine les autres observations de VIA telles qu’elles sont présentées à la Cour ci-dessous.

(a)                La Commission a omis de déterminer la durée du retard et d’exiger une explication pour le retard de la défenderesse, et a excusé le retard pour des raisons qui n’avaient aucun fondement au dossier.

[80]           Ces deux observations sont liées aux questions déjà tranchées par la Cour dans lesquelles VIA tente de prétendre que la défenderesse n’avait pas déposé une plainte le 1er août 2012 ou que la Commission a commis une erreur en concluant que la médiation préventive s’est poursuivie jusqu’en juillet 2013.

[81]           Je ne comprends pas l’observation de VIA selon laquelle [traduction] « avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire, la Commission doit d’abord déterminer quand le délai a commencé à courir (la date de l’incident allégué) et quand le délai a pris fin (au moment où une plainte dans une forme acceptable a été déposée auprès de la Commission par la plaignante) » et la prétention selon laquelle la Commission ne l’a pas fait. Il est évident que l’incident s’est produit le 22 avril 2012 et que la plainte a été considérée comme étant déposée dans une forme acceptable le 1er août 2013, avec avis fourni à VIA le 6 août 2013.

[82]           Le retard accusé par la défenderesse dans le dépôt de la plainte, s’il peut être appelé ainsi, a été expliqué par les efforts de la Commission pour résoudre l’affaire et, par conséquent, elle n’est pas responsable d’avoir occasionné le retard. La Cour n’est pas non plus d’accord pour dire qu’il y a une contradiction entre les conclusions et les constatations du juge Diner et les conclusions de la Commission, décrites ci-dessus.

(b)               La Commission n’a pas tenu compte du fait que la défenderesse était représentée par un avocat

[83]           Le fait que la défenderesse soit représentée par un avocat n’avait rien à voir avec le retard dans le dépôt de la plainte. Le retard était principalement attribuable à la médiation préventive qui a commencé en septembre 2012 et s’est terminée autour du 30 juillet 2013. Selon les termes de l’entente, les parties ne pouvaient pas déposer de plainte avant la fin de la médiation.

(c)                La Commission n’a pas tenu compte de l’insuffisance de la plainte et des préoccupations de VIA concernant la caractérisation de la plainte par la Commission comme soulevant les questions [traduction] « systémiques »

[84]           La Cour ne constate aucune préoccupation relative aux [traduction] « questions systémiques » posées dans les observations faites par VIA à la Commission. Quoi qu’il en soit, VIA demande à la Cour d’examiner le poids que la Commission a accordé aux éléments de preuve appuyant une décision préliminaire sur la question de savoir si elle devait ou non instruire la plainte. Le juge Diner a rejeté la demande d’un verdict imposé en raison de son caractère inapproprié en raison de [traduction] « l’importance des droits en jeu » et étant donné que l’incident est né de l’application de la politique de sécurité plus large de VIA.

[85]           Il n’y a aucune raison de conclure que les questions soulevées ne peuvent pas s’appliquer à d’autres personnes dans des circonstances similaires à celles de la plaignante. En outre, il n’y a aucune raison d’écarter les facteurs systémiques étant donné que les incidents de cette nature concernant des personnes transgenres soulèvent des questions qui sont d’un grand intérêt pour le public et font l’objet de débats à l’heure actuelle. Il serait prématuré de contester la décision de donner suite à la plainte pour l’une des raisons avancées par VIA.

(d)               La Commission a commis une erreur en concluant que VIA savait durant la médiation préventive que la défenderesse avait l’intention de soulever des questions relatives aux droits de la personne.

[86]           Cette allégation est rejetée pour les motifs décrits ci-dessus. Bien que la Commission n’ait pas directement répondu à cette allégation, pour les motifs fournis ci-dessus, y compris sa lettre du 15 avril 2013 et l’entente, elle est dépourvue de tout fondement. Le fait que VIA pouvait envisager que la défenderesse déposerait la plainte en cas d’échec de la médiation préventive révèle l’absence de préjudice lié à l’examen de la plainte par la Commission.

(e)                La Commission n’a pas tenu compte des observations de VIA concernant le préjudice

[87]           Le préjudice dans ce contexte est un préjudice d’ordre procédural causé par le retard dans le dépôt de la plainte. Le seul préjudice évoqué par VIA était que le seul témoin avait pris sa retraite et pourrait ne pas communiquer avec VIA, et ne pouvait être contraint à témoigner. Cette allégation est hypothétique et ne démontre pas le préjudice réel. Aucune preuve n’est présentée pour expliquer pourquoi le témoin ne serait pas disponible, en supposant que la plainte soit instruite sans retard supplémentaire. Il est également difficile d’imaginer que VIA n’aurait pas obtenu la déposition du témoin dans le contexte d’une enquête interne alors qu’il était son employé.

[88]           En tout cas, que le témoin ait été contraint à donner son témoignage ou qu’il l’ait donné volontairement à VIA ne ferait aucune différence quant au contenu et au caractère de la preuve qui en résulte.

VII.          Conclusion

[89]           En conclusion, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission était raisonnable et il n’y a pas lieu de s’immiscer. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens. Aucuns dépens n’ont été adjugés à la défenderesse dans l’affaire entendue par le juge Diner.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande, sans dépens.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-363-16

 

INTITULÉ :

VIA RAIL CANADA INC. c. MARCIA CANNON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 SEPTEMBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Monica Song

Pour la DEMANDERESSE

 

Marcus McCann

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dentons Canada S.E.N.C.R.L.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la DEMANDERESSE

 

Symes Street & Millard

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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