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Date : 20161114


Dossier : IMM-3629-15

Référence : 2016 CF 1261

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

ADOLF HORVATH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Adolf Horvath, demande le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision d’un agent d’immigration (l’agent), datée du 28 juillet 2015, dans laquelle il a refusé sa demande de résidence permanente fondée sur le parrainage de conjoint pour les motifs d’interdiction de territoire pour criminalité et a conclu qu’une exemption de son interdiction de territoire pour criminalité pour des raisons d’ordre humanitaire n’était pas justifiée.

[2]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

[3]               L’agent a tenu compte de tous les facteurs pertinents d’ordre humanitaire, a expliqué les raisons pour lesquelles certains facteurs avaient moins de poids que d’autres, et a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de raisons d’ordre humanitaire pour justifier une dispense concernant l’interdiction de territoire pour criminalité.

[4]               Les allégations de partialité institutionnelle de M. Horvath ne sont pas étayées par les éléments de preuve. Le dossier indique que chaque décideur a agi dans les limites de ses pouvoirs et a fondé ses décisions sur les éléments de preuve qui lui étaient présentés. La décision de l’agent ne montre aucune prédisposition au résultat; elle montre un examen minutieux de la demande relativement aux faits et au droit applicable. Même si M. Horvath n’est pas satisfait du résultat de la présente demande et des demandes antérieures, ses allégations de partialité vagues ne sont pas fondées.

I.                   Contexte factuel

[5]               M. Horvath est un Hongrois d’origine ethnique Rom.

[6]               Il est arrivé pour la première fois au Canada sous un nom d’emprunt et a demandé le statut de réfugié le 16 février 1989. Sa demande a été rejetée. Il a quitté le Canada quelque temps avant le 25 mai 1990.

[7]               M. Horvath est revenu au Canada le 10 mars 1994, sous un autre nom d’emprunt. Il a présenté une deuxième demande d’asile, qui a été rejetée, tout comme le contrôle judiciaire subséquent de la décision. Une mesure de renvoi a été prise.

[8]               M. Horvath est revenu au Canada une troisième fois le 1er janvier 1999. Sa demande d’asile a été refusée en raison d’une mesure d’exclusion préexistante. Il semble qu’il soit resté au Canada.

[9]               Il a présenté une première demande de résidence permanente pour des raisons d’ordre humanitaire en janvier 2002. Sa demande de résidence permanente a été rejetée en juillet 2005 pour des motifs de criminalité.

[10]           Le 9 février 2003, M. Horvath a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Le 4 octobre 2004, il a obtenu une décision favorable concernant l’ERAR et on lui a accordé le statut de personne protégée. Le 31 janvier 2005, il a présenté une nouvelle demande de résidence permanente à titre de personne protégée.

[11]           Entre-temps, des procédures d’extradition étaient en cours en lien avec des accusations criminelles contre M. Horvath en Hongrie. Le 14 novembre 2003, il a été arrêté en vertu de la Loi sur l’extradition, LC 1999, ch. 18. Après des contestations juridiques infructueuses relativement à son extradition, y compris une demande infructueuse d’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada, il a été extradé en Hongrie le 1er septembre 2009. Il a été reconnu coupable de deux accusations d’extorsion relativement à des délits survenus entre 1995 et 1997, et il a été condamné.

[12]           M. Horvath est revenu au Canada le 18 mai 2011. À la suite de ses condamnations en Hongrie, un rapport établi au terme de l’article 44 a été préparé et une mesure de renvoi a été prise le 8 août 2012. Il a interjeté appel et, avec le consentement du défendeur, la Section d’appel de l’immigration (SAI) a suspendu sa mesure de renvoi, avec conditions, le 22 mars 2013.

[13]           La demande de résidence permanente de M. Horvath en tant que personne protégée (présentée en janvier 2005) a été rejetée le 12 février 2013 pour motifs d’interdiction de territoire pour criminalité.

[14]           Le 13 mars 2013, il a présenté une autre demande de parrainage de conjoint en vue d’obtenir la résidence permanente. Il a aussi demandé une dispense pour raisons d’ordre humanitaire relativement à son interdiction de territoire pour criminalité (alinéa 36(1)b) de la Loi).

[15]           Le 30 janvier 2015, la SAI a conclu que M. Horvath s’était conformé aux conditions du sursis de sa mesure de renvoi, a révoqué le sursis et annulé sa mesure de renvoi.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[16]           Le 28 juillet 2015, l’agent a rejeté la demande de parrainage de conjoint de M. Horvath aux fins de la résidence permanente. L’agent a conclu que le mariage de M. Horvath à une citoyenne canadienne était authentique et qu’il respectait les critères d’admissibilité du premier niveau. Cependant, il ne satisfaisait pas aux exigences prévues au sous-alinéa 72(1)e)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, concernant la résidence permanente, car il était interdit de territoire pour criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la Loi. L’agent a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une dispense pour raisons d’ordre humanitaire.

[17]           L’agent a exposé l’historique de M. Horvath au niveau de l’immigration et le fondement concernant sa demande de parrainage de conjoint.

[18]           L’agent a reconnu la réception de renseignements de M. Horvath au sujet des difficultés qui l’attendaient s’il retournait en Hongrie, de l’intérêt de son fils et de son établissement au Canada, mais il a conclu qu’en tant que personne protégée, M. Horvath ne faisait pas l’objet d’une mesure de renvoi du Canada et que, par conséquent, ces facteurs n’étaient pas significatifs.

[19]           L’agent a abordé les arguments de M. Horvath concernant sa réadaptation, y compris le fait que sa plus récente condamnation en 2009 était liée à des délits commis en 1997, et qu’il n’avait commis aucun délit depuis. L’agent a exposé une chronologie des antécédents criminels de M. Horvath depuis 1977 jusqu’au moment où il a quitté la Hongrie, en 1999. L’agent a fait remarquer que M. Horvath a été extradé en 2009, a été reconnu coupable d’extorsion et a été condamné à une année et dix mois d’emprisonnement, suivi de trois années de probation. L’agent a décrit la nature de l’extorsion, qui comportait le recours à la violence, et qui était survenue sur une période de deux ans. L’agent n’était pas d’accord avec M. Horvath qui disait que son dernier délit remontait à 1997. L’agent a fait remarquer que M. Horvath avait fui la justice hongroise, était resté au Canada en tant que fugitif, et s’était caché pour éviter le processus d’extradition. L’agent a ajouté que M. Horvath avait bafoué à de nombreuses reprises les lois d’immigration du Canada depuis sa première arrivée en 1989.

[20]           L’agent a conclu que, compte tenu de tous les renseignements dont il disposait, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que M. Horvath était réadapté, a fait remarquer ses nombreuses condamnations, la nature grave de ses crimes et le fait qu’il ne reconnaît pas et n’accepte pas sa responsabilité.

III.             Questions en litige

[21]           M. Horvath soutient que la décision de l’agent était déraisonnable, car elle est dépourvue d’un sentiment de compassion, ne comprend pas la raison de sa demande d’une dispense pour raisons d’ordre humanitaire et ne reflète pas une évaluation globale des facteurs pertinents de nature humanitaire comme l’exige l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy].

[22]           M. Horvath soutient également que le dossier démontre une crainte raisonnable de partialité institutionnelle à son encontre.

IV.             Norme de contrôle

[23]           La décision d’un agent d’immigration d’accorder ou de refuser une demande pour raisons d’ordre humanitaire est discrétionnaire et la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Terigho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 835, au paragraphe 6, [2006] ACF no 1061 (QL); voir aussi Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 57 à 62).

[24]           La norme de la raisonnabilité porte sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que sur « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Il faut faire preuve de retenue à l’endroit du décideur. La Cour ne réévaluera pas la preuve.

[25]           Le droit à un tribunal indépendant et impartial est une question d’équité procédurale (voir Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1065, au paragraphe 5, [2005] ACF no 1322 (QL)). La norme de révision pour les questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339). Si l’on conclut à une violation de l’équité procédurale, le décideur ne fait l’objet d’aucune retenue.

V.                La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[26]           M. Horvath soutient que l’agent a commis une erreur dans son analyse des raisons de nature humanitaire en comprenant mal ses arguments et en omettant de tenir compte des difficultés auxquelles il serait confronté en Hongrie, de l’incidence sur l’intérêt de son fils et de son établissement au Canada. Il prétend que l’agent a supposé à tort que, parce qu’il est une personne protégée, il ne fait pas face à une mesure de renvoi du Canada. Il soutient que ces facteurs demeurent pertinents, malgré son statut de personne protégée au Canada. M. Horvath fait valoir l’affidavit de son fils, qui faisait état de l’incidence d’être séparé de son père et de l’incertitude quant au renvoi de son père, et de son propre affidavit, dans lequel il a souligné l’effet paralysant d’être « dans le vide ».

[27]           M. Horvath ajoute qu’il a peu confiance en son statut de personne protégée au Canada parce que, malgré ce statut, il a été extradé en Hongrie en 2009.

[28]           M. Horvath mentionne l’affaire Mirza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 510, au paragraphe 49, [2016] ACF no 473 (QL) [Mirza], dans laquelle la Cour a conclu que, même si le demandeur n’était pas confronté au renvoi du Canada, « cela n’atténue pas l’effet que son absence de statut à l’heure actuelle a sur elle ou n’y répond pas ». Il soutient que le même principe s’applique dans son cas.

[29]           M. Horvath soutient également que l’agent a commis une erreur dans son évaluation des raisons d’ordre humanitaire parce que l’agent n’a pas appliqué la recommandation de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy, qui prévoit un examen global ou cumulatif de toutes les considérations pertinentes. Il prétend que l’agent s’est concentré sur ses antécédents criminels et a omis de tenir compte de tous les facteurs positifs favorisant une dispense pour raisons d’ordre humanitaire.

[30]           M. Horvath souligne également que l’agent s’est concentré sur son manque de remords, mais a omis de tenir compte du fait qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il exprime des regrets pour des accusations et des condamnations criminelles dont il n’était pas responsable. Il souligne qu’il a effectivement exprimé des regrets d’avoir enfreint les lois d’immigration du Canada.

[31]           Le défendeur soutient que l’agent a tenu compte de la demande de dispense de M. Horvath pour raisons d’ordre humanitaire dans son propre contexte, soit une dispense de l’interdiction de territoire pour criminalité par une personne protégée. L’agent a tenu compte des facteurs propres à une demande particulière et a soupesé les éléments de preuve en conséquence. L’agent n’a pas commis d’erreur en concluant que les difficultés qui l’attendaient à son retour en Hongrie, la perte de son établissement au Canada et l’incidence sur l’intérêt de son fils n’étaient pas des facteurs significatifs parce que M. Horvath ne faisait pas l’objet d’une mesure de renvoi du Canada.

[32]           Le défendeur soutient que l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable et a conclu que la criminalité de M. Horvath l’emportait sur d’autres considérations d’ordre humanitaire.

VI.             La décision est raisonnable

[33]           L’agent n’a pas commis d’erreur dans son analyse pour savoir si une dispense était justifiée pour des raisons d’ordre humanitaire. Même si l’agent ne disposait pas de la recommandation de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy, il n’a pas limité son examen à la dispense pour raisons d’ordre humanitaire à des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » et il a pris en considération tous les facteurs pertinents globalement.

[34]           Au paragraphe 33 de l’arrêt Kanthasamy, la juge Abella a aussi fait remarquer :

L’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » a donc vocation descriptive et ne crée pas, pour l’obtention d’une dispense, trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le par. 25(1). Par conséquent, ce que l’agent ne doit pas faire, dans un cas précis, c’est voir dans le par. 25(1) trois adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé et appliquer la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » d’une manière qui restreint sa faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes. Les trois adjectifs doivent être considérés comme des éléments instructifs, mais non décisifs, qui permettent à la disposition de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui la sous‑tendent.

[35]           La juge Abella a aussi fait remarquer plus tôt dans sa décision, au paragraphe 25 :

Ce qui justifie une dispense dépend évidemment des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids (Baker, par. 74-75).

[36]           En l’espèce, l’agent a tenu compte de tous les arguments de M. Horvath dans le contexte de l’affaire. Ce contexte comprenait le fait que M. Horvath n’est pas confronté au renvoi du Canada et ne le sera pas à moins qu’il commette d’autres délits criminels. Même là, il aurait le bénéfice d’un autre examen des risques.

[37]           L’agent a conclu que pour aborder les arguments de M. Horvath concernant les difficultés qui l’attendaient en Hongrie en tant que Rom, il devait d’abord aborder la probabilité que M. Horvath serait renvoyé en Hongrie. L’agent a signalé que M. Horvath avait le statut de personne protégée et ne pouvait pas faire l’objet d’un renvoi du Canada à moins qu’il ne commette de graves délits et qu’il soit identifié par le ministre comme présentant un danger pour la société canadienne. L’agent a ajouté que rien n’indiquait que le sursis concernant la mesure de renvoi de M. Horvath serait réévalué ou révoqué, et qu’il n’existait aucun autre élément de preuve selon lequel il ferait l’objet d’un renvoi du Canada.

[38]           Dans l’arrêt Balathavarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 340, 152 ACWS (3d) 301, qui comportait la possibilité de la prise d’une mesure d’exception pour des raisons d’ordre humanitaire à l’égard d’une ordonnance d’expulsion prise à l’encontre d’un réfugié au sens de la Convention, la Cour d’appel fédérale a indiqué au paragraphe 9 :

En l’espèce, le ministre n’a pas précisé le pays de destination et, au moment où l’appel devant la SAI a eu lieu, il n’avait pas pris les mesures prévues au paragraphe 115(2) de la LIPR pour expulser l’appelant. Au moment où l’appel devant la SAI a eu lieu, il était non seulement improbable, mais juridiquement inapproprié de renvoyer l’appelant au Sri Lanka. La SAI n’aurait pu qu’échafauder des hypothèses si elle avait examiné les difficultés auxquelles l’appelant pouvait être exposé s’il était expulsé au Sri Lanka. Elle n’avait pas besoin de le faire.

[39]           Tout comme dans l’arrêt Balathavarajan, au moment de la décision par l’agent, le renvoi de M. Horvath en Hongrie n’était ni imminent ni probable. Par conséquent, il n’était pas nécessaire que l’agent procède à un examen plus détaillé des difficultés en fonction d’une hypothèse improbable et qu’il était raisonnable que l’agent conclue que ce facteur n’était pas pertinent.

[40]           Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, je ne suis pas d’accord pour dire que l’arrêt Mirza a établi un principe général voulant qu’un décideur tienne compte de l’impact de l’absence de statut d’un demandeur au Canada et de tous les facteurs possibles pour des raisons d’ordre humanitaire qui découleraient du renvoi, malgré le fait que le demandeur n’est pas confronté à un renvoi. M. Mirza a été interdit de territoire pour criminalité en raison de son appartenance au Mouvement Muttahida Qaumi au Pakistan lorsqu’il avait 14 ans. Il a demandé une dispense de l’interdiction de territoire pour criminalité en raison d’une multitude de facteurs d’ordre humanitaire et a présenté d’amples observations sur l’incidence de son absence de statut au Canada et des conséquences de son renvoi possible. L’agent d’immigration a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de raisons d’ordre humanitaire pour renvoyer sa demande au palier suivant de décision. J’ai conclu que la décision était déraisonnable parce que, d’abord, l’agent a omis de tenir compte de la nature de l’interdiction de territoire pour criminalité de M. Mirza et, ensuite, que l’agent n’a pas compris les éléments de preuve présentés par M. Mirza concernant l’incidence de son absence de statut au Canada et a commis une erreur en caractérisant ses arguments comme étant des questions émotives plutôt que juridiques.

[41]           La déclaration au paragraphe 49 de l’arrêt Mirza, sur laquelle s’est fié M. Horvath, découlait de faits particuliers et de l’incidence sur M. Mirza qui, comme on l’a indiqué, avait présenté d’amples observations au sujet de son absence de statut.

[42]           En l’espèce, contrairement à l’arrêt Mirza, l’agent a minutieusement examiné la nature de l’interdiction de territoire pour criminalité de M. Horvath. Même si M. Horvath a déclaré dans un affidavit, présenté à l’appui de sa demande de parrainage de conjoint en 2012, qu’il [traduction] « est aussi très difficile de vivre dans l’incertitude. L’incertitude est débilitante et j’en souffre »; il n’a pas offert d’amples observations sur l’incidence de l’incertitude sur son statut au Canada.

[43]           L’inquiétude de M. Horvath voulant que son statut de personne protégée ne l’ait pas protégé d’une extradition en 2009 et ne le protège pas aujourd’hui ne tient pas compte du fait qu’il n’est plus visé par des accusations au criminel en suspens en Hongrie. Le contexte est différent de ce qu’il était en 2004 lorsque, malgré une décision favorable concernant l’ERAR, il était pleinement conscient du fait qu’il était confronté à un renvoi en Hongrie en vertu du processus d’extradition pour criminalité. En l’espèce, compte tenu de ses affirmations selon lesquelles il est un citoyen modèle et n’a aucune condamnation pénale ou accusation en suspens de quelque sorte au Canada ou à l’étranger, il n’est pas exposé au même risque de renvoi.

[44]           L’agent n’a pas ignoré ni mal compris les observations concernant l’intérêt du fils de M. Horvath. L’agent a pris note de l’affidavit du fils de M. Horvath, qui décrivait l’incidence qu’avait sur lui le fait d’être témoin de persécution en Hongrie lorsqu’il était un jeune enfant. L’agent a également tenu compte de l’affidavit de M. Horvath, dans lequel il indiquait que sa femme et son fils seraient exposés à des risques en Hongrie et qu’ils ne pouvaient pas retourner là-bas pour y vivre ou pour lui rendre visite. L’agent a raisonnablement conclu qu’en l’espèce, il n’y avait aucun élément de preuve selon lequel M. Horvath ferait l’objet d’un renvoi et, par conséquent, l’intérêt de son fils, qui avait alors 20 ans, n’était pas en jeu. L’agent a également souligné les éléments de preuve contradictoires selon lesquels le fils de M. Horvath et son épouse lui avaient rendu visite en Hongrie pendant deux longues périodes au cours de sa plus récente incarcération, et ce, sans incident.

[45]           L’agent a accepté que M. Horvath et sa famille sont bien établis au Canada, mais étant donné que M. Horvath n’était pas confronté à un renvoi, il a conclu de façon raisonnable qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que son établissement était menacé.

[46]           L’agent a procédé à une évaluation détaillée des antécédents criminels de M. Horvath et, puisque la dispense demandée concernait une interdiction de territoire pour criminalité, il a accordé raisonnablement plus de poids au facteur de réadaptation.

[47]           Dans l’arrêt Lupsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1054, [2009] ACF 1270 (QL) [Lupsa], au paragraphe 51, le juge Shore a fait remarquer, en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment de raisons d’ordre humanitaire pour surmonter une interdiction de territoire pour criminalité, que le délégué du ministre est habilité à accorder plus de poids aux antécédents criminels du demandeur :

Dans l’arrêt Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409, la Cour d’appel fédérale, se fondant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, le législateur a clairement montré qu’il se préoccupait beaucoup de la criminalité des non‑citoyens :

[24] Le législateur a clairement montré qu’il se préoccupait beaucoup de la criminalité des non‑citoyens. Deux des objectifs de la Loi se rapportent à la criminalité :

- protéger la santé des Canadiens et garantir leur sécurité (alinéa 3(1)h) de la Loi);

- promouvoir la justice et la sécurité par […] l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité (alinéa 3(1)i)) de la Loi).

La Cour suprême du Canada a récemment dit que les objectifs déclarés dans la nouvelle Loi révèlent l’intention du législateur de donner priorité à la sécurité et que, pour atteindre ce dernier objectif, il faut notamment renvoyer du Canada les demandeurs qui ont un casier judiciaire. Le législateur a manifesté la ferme volonté de traiter les criminels avec moins d’indulgence que le faisait l’ancienne Loi (Medovarski, précité, paragraphe 10).

[Souligné dans l’original.]

[48]           En l’espèce, l’agent a souligné le long dossier criminel de M. Horvath ainsi que son refus ou son défaut d’accepter la responsabilité à l’égard de ses crimes passés. L’agent a aussi fait remarquer les violations de la législation canadienne en matière d’immigration par M. Horvath. L’agent a raisonnablement rejeté l’allégation de M. Horvath selon laquelle son dossier criminel allait certainement être ciblé en Hongrie. L’évaluation minutieuse du dossier par l’agent, dossier qui remonte à 1977, justifie la conclusion de l’agent selon laquelle aucun élément de preuve n’appuie l’affirmation voulant que ces condamnations résultaient du fait qu’il était un Rom.

[49]           L’agent n’a pas insisté déraisonnablement sur cet aspect de sa demande. Au contraire, l’agent était tenu d’évaluer pleinement la nature du dossier criminel de M. Horvath parce que la dispense demandée avait trait à l’interdiction de territoire pour criminalité.

[50]           La conclusion de l’agent selon laquelle M. Horvath n’a pas manifesté de remords est raisonnable. Les éléments dont disposait l’agent montrent seulement que M. Horvath a exprimé des regrets pour ne pas s’être présenté au moment de son extradition, demeurant en fuite, et exposant sa famille aux conséquences. L’agent a tenu compte de l’argument de M. Horvath selon lequel il était raisonnable pour lui de se soustraire à l’extradition pour éviter des persécutions en Hongrie, mais il a conclu que M. Horvath s’était servi du système judiciaire canadien pour contester son extradition et a eu la possibilité de présenter cet argument à ce moment-là.

[51]           M. Horvath conteste son dossier criminel et soutient ne pas avoir commis les délits d’extorsion. Il maintient qu’il a choisi de ne pas contester les accusations afin d’obtenir une libération précoce. Néanmoins, la conclusion de l’agent se fondait sur une évaluation raisonnable des accusations et sur le processus juridique, décrit dans les documents du tribunal hongrois.

[52]           L’agent a tenu compte de tous les facteurs pertinents d’ordre humanitaire, a expliqué les raisons pour lesquelles des facteurs n’étaient pas pertinents ou ont eu moins de poids que d’autres, et a déterminé qu’il n’y avait pas suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire – selon les faits et dans le contexte de cette affaire – pour justifier une dispense de l’interdiction de territoire pour criminalité. L’évaluation reflète l’approche établie dans l’arrêt Kanthasamy (au paragraphe 25).

[53]           La décision de l’agent traduit le caractère raisonnable de la décision; la décision est justifiée, transparente et intelligible et appartient aux issues acceptables, étayée par les éléments de preuve au dossier et par le droit.

VII.          Le dossier n’établit pas de partialité institutionnelle

[54]           Le critère applicable en matière de partialité a été établi par le juge de Grandpré, dans ses motifs dissidents, dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (L’Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, à la page 394, 68 DLR (3d) 716 :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[55]           Dans R c. S (RD), [1997] 3 SCR 484, 151 DLR (4th) 193 [RDS], au paragraphe 113, les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin ont fait référence au critère et souligné la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente, expliquant que « l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice toute entière ». Ils ont signalé que les allégations de partialité sont graves et ne devraient pas être faites à la légère.

[56]           J’ai remarqué cette même prudence lors de l’audience de la présente demande.

[57]           Les allégations de partialité faites par M. Horvath semblent se fonder sur son historique en matière d’immigration au Canada dans son ensemble, ce qui selon lui donne lieu à une crainte raisonnable de partialité institutionnelle, et qui se reflète également dans la décision de l’agent. Il laisse entendre qu’il y a une [traduction] « orientation donnée », supposément au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, qui ne veut pas qu’il ait un statut au Canada.

[58]           M. Horvath soutient que le ton de la décision de l’agent, en particulier la longue description par l’agent de ses antécédents criminels, et l’incidence mise sur le facteur de la réadaptation, n’illustre pas un esprit ouvert. Il ajoute que les observations de l’agent au sujet de son évitement des lois en matière d’immigration ne tiennent pas compte du fait qu’il avait une raison valable d’esquiver la déportation.

[59]           M. Horvath a remis une chronologie de ses démarches en matière d’immigration de 2002 à 2015, signalant qu’il a demandé le statut à de nombreuses reprises et qu’il est pourtant toujours sans statut.

[60]           Dans ses observations orales, M. Horvath a fait état d’un échange de courriels en 2003 entre les agents d’application de la loi de l’escouade de recherche de fugitifs de Toronto et l’agent de liaison à l’ambassade du Canada à Budapest. Il soutient que ces courriels démontrent un désir ou une intention de ne pas mener à terme son ERAR et est un exemple de la prédisposition du défendeur pour s’assurer qu’il n’obtienne pas un statut au Canada.

[61]           Il incombe à M. Horvath d’établir la partialité. Une crainte raisonnable de partialité exige plus qu’un simple soupçon et des allégations vagues découlant du mécontentement quant au résultat. L’allégation doit être accompagnée d’éléments de preuve convaincants (RDS, aux paragraphes 114 et 117). En l’espèce, aucun élément de preuve, encore moins aucun élément de preuve convaincant, ne laisse entendre qu’une personne informée aurait une crainte raisonnable de partialité.

[62]           Les allégations de M. Horvath concernant l’échange de courriels en 2003 ne sont pas fondées. L’échange de courriels démontre que les agents d’exécution de la loi faisaient exactement ce qu’ils devaient faire. Dans cet échange, il est clair que les agents demandaient des renseignements au sujet des antécédents criminels de M. Horvath en Hongrie, étant donné qu’il demandait une dispense pour raisons d’ordre humanitaire et un ERAR. Les agents d’exécution de la loi ont souligné plusieurs faits pertinents, notamment le fait que M. Horvath était visé par une ordonnance de déportation, avait utilisé un faux passeport et vivait à une adresse autre que celle fournie aux autorités de l’immigration. À ce moment-là, M. Horvath avait cherché à entrer au Canada à trois reprises sous des noms d’emprunt et en utilisant des documents falsifiés. Les agents d’exécution de la loi ont tout simplement mentionné que, si M. Horvath obtenait un statut pour des raisons d’ordre humanitaire ou un ERAR, il faudrait plus de temps pour préparer son renvoi du Canada si cette décision était prise.

[63]           Parallèlement, l’allégation selon laquelle il y avait une « orientation donnée » est contredite par les éléments de preuve. M. Horvath a présenté plusieurs demandes d’immigration avec des résultats différents. Par exemple, il a obtenu le statut de personne protégée en 2004. Son ordonnance de renvoi a été révoquée en 2013 et cassée en janvier 2015. Cela ne laisse pas entendre qu’il y a une « orientation donnée ». Au contraire, chaque décideur a évalué la demande précise en regard de la Loi et des éléments de preuve dont il disposait.

[64]           Le fait que l’agent se concentre sur le facteur de la réadaptation ne laisse pas non plus entendre qu’il y a partialité. M. Horvath veut obtenir une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire de son interdiction de territoire pour criminalité. L’évaluation minutieuse par l’agent de la nature du dossier criminel de M. Horvath est précisément ce que l’agent est tenu de faire. M. Horvath n’est pas d’accord avec le poids important que l’agent a accordé à son dossier criminel, de même qu’à son absence de remords ou d’acceptation de responsabilité, mais la pondération des facteurs pertinents relève de l’agent dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Lupsa, aux paragraphes 3 et 4) et ne laisse pas entendre qu’il y a partialité à une personne raisonnable.

[65]           La référence par l’agent à l’historique en matière d’immigration de M. Horvath ne laisse pas non plus entendre qu’il y a partialité. Il s’agit tout simplement d’une déclaration de fait, amplement étayée par le dossier.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

Aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3629-15

 

INTITULÉ :

ADOLF HORVATH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

Pour le demandeur

ADOLF HORVATH

 

Modupe Oluyomi

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee and Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

ADOLF HORVATH

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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