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Date : 20161114


Dossier : IMM-1514-16

Référence : 2016 CF 1262

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

JOSE MANUEL LARA DEHEZA

CLARIFEL CAMIT GAPUZAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sollicitent l’annulation d’une décision d’un agent des visas (l’agent) à l’ambassade du Canada au Mexique, datée du 11 avril 2016, dans laquelle il a conclu que M. Deheza n’est pas membre de la catégorie du regroupement familial aux fins d’une demande de parrainage des époux ou conjoints de fait visant l’obtention de la résidence permanente et que son exclusion de la catégorie du regroupement familial ne serait pas exemptée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27, pour des raisons d’ordre humanitaire.

[2]               La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

I.                   Le contexte

[3]               Jose Manuel Lara Deheza est un citoyen mexicain qui sollicite le statut de résident permanent au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial en vertu d’une demande de parrainage d’un conjoint. Clarifel Camit Gapuzan est l’épouse et répondante de M. Deheza.

[4]               Mme Gapuzan a rencontré M. Deheza en 2009 alors qu’elle travaillait comme aide familiale résidente pour une famille. M. Deheza était au Canada en attente de l’issue de sa demande d’asile de 2008.

[5]               Le 1er septembre 2011, Mme Gapuzan est devenue résidente permanente du Canada. À l’époque, elle n’a pas déclaré M. Deheza comme étant son conjoint de fait, même s’ils habitaient ensemble depuis plus d’un an.

[6]               Sa demande d’asile ayant été refusée en 2010, M. Deheza est retourné au Mexique en août 2012. Vers juin 2012, Mme Gapuzan a présenté une demande de parrainage de M. Deheza visant sa résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. En mars 2013, un agent des visas a conclu que M. Deheza était exclu de la catégorie du regroupement familial en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), parce que Mme Gapuzan ne l’avait pas nommé comme un membre de la famille n’accompagnant pas le demandeur au moment où elle est devenue résidente permanente, malgré le fait qu’ils habitaient ensemble depuis plus d’un an.

[7]               En juin 2013, Mme Gapuzan a de nouveau demandé de parrainer M. Deheza. Cette fois, les demandeurs ont sollicité une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire en vertu de l’alinéa 117(9)d). Ils ont déclaré avoir commencé à habiter ensemble le 27 août 2010 et, en conséquence, ils sont devenus des conjoints de fait un an plus tard – soit quatre jours avant que Mme Gapuzan obtienne sa résidence permanente. Ils ont aussi expliqué que Mme Gapuzan ne savait pas que, en vertu de la loi, elle vivait en union de fait. En janvier 2014, la demande de parrainage a de nouveau été rejetée. Un agent des visas a conclu que M. Deheza et Mme Gapuzan étaient des conjoints de fait depuis cinq mois lorsque Mme Gapuzan est devenue une résidente permanente et que la relation n’avait pas été divulguée à l’époque. L’agent a tout simplement déclaré, sans aucune analyse, qu’il n’y avait pas suffisamment de raisons d’ordre humanitaire pour l’emporter sur l’exclusion. Les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire de la décision. Avec le consentement du défendeur, la demande a été renvoyée à l’agent des visas pour nouvelle détermination.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[8]               Dans sa décision du 11 avril 2016, l’agent a de nouveau conclu que M. Deheza n’était pas admissible à titre de membre de la catégorie du regroupement familial et que les raisons d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour l’emporter sur son exclusion.

[9]               L’agent a noté l’argument des demandeurs selon lequel M. Deheza était devenu le conjoint de fait de Mme Gapuzan seulement quatre jours avant qu’elle obtienne sa résidence permanente. L’agent a reconnu avoir reçu une lettre de l’employeur de Mme Gapuzan dans laquelle il indiquait que Mme Gapuzan était une aide familiale résidente et qu’elle avait résidé chez son employeur jusqu’au 27 août 2010. Cependant, l’agent s’est fondé sur deux relevés de cartes de crédit indiquant que Mme Gapuzan et M. Deheza partageaient une adresse en mars 2010 et que Mme Gapuzan avait changé l’adresse sur son permis de conduire et adopté celle de M. Deheza en mai 2010.

[10]           L’agent a conclu que les demandeurs habitaient ensemble depuis mars 2010 et étaient devenus des conjoints de fait un an plus tard, en mars 2011, soit cinq mois avant que Mme Gapuzan devienne une résidente permanente.

[11]           L’agent a fait remarquer que Mme Gapuzan n’avait pas cherché à induire intentionnellement en erreur, mais avait fait preuve de négligence en omettant de surveiller l’état de sa relation avant d’être déclarée une résidente permanente. Pour ces raisons, l’agent a déclaré avoir accordé peu de poids aux observations selon lesquelles les raisons d’ordre humanitaire justifiaient une dispense.

[12]           Pour ce qui est de l’établissement au Canada, l’agent a fait remarquer que les demandeurs ont acheté leur résidence à un moment où le statut de Mme Gapuzan était incertain et bien qu’ils aient été conscients du risque en cause; par conséquent, l’agent a accordé peu de poids à ce facteur.

[13]           L’agent a rejeté l’argument de Mme Gapuzan selon lequel elle ferait face à des obstacles, notamment l’incapacité de trouver un emploi et les barrières linguistiques, si elle rejoignait son conjoint au Mexique, indiquant que ce n’était pas différent des défis que d’autres doivent affronter dans des situations semblables.

[14]           L’agent a fait remarquer que les facteurs favorables étaient leur relation authentique et de longue date (y compris leur mariage en septembre 2013), leurs liens sociaux au sein de leur communauté et de leur église au Canada, et le fait que M. Deheza avait une offre d’emploi permanente au Canada (même si cette offre était périmée). L’agent a constaté que ces facteurs favorables ne suffisaient pas pour l’emporter sur l’exclusion.

[15]           L’agent a conclu qu’aucune des considérations d’ordre humanitaire évaluées individuellement ou globalement ne justifiait une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire.

III.             La question en litige

[16]           Les demandeurs soulèvent deux arguments; premièrement, l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en tirant des conclusions sur la crédibilité et en ne donnant pas la possibilité aux demandeurs de répondre; et, deuxièmement, l’évaluation par l’agent des considérations d’ordre humanitaire, en particulier pour ce qui est de l’établissement au Canada des demandeurs, n’était pas raisonnable.

IV.             La norme de contrôle applicable

[17]           Un manquement à l’équité procédurale est examiné selon la norme de la décision correcte.

[18]           Les questions de fait et de droit doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable : voir la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Kimbatsa, 2010 CF 346, aux paragraphes 26 et 27; Gonzalez Ortega c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 95.

[19]           La décision discrétionnaire d’accorder ou de refuser une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire est examinée selon la norme de la décision raisonnable (Terigho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 835, au paragraphe 6, [2006] ACF no 1061 (QL); voir aussi l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 57 à 62).

[20]           Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour doit établir si « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, et la Cour ne réévaluera pas les éléments de preuve.

Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale

[21]           Les demandeurs soutiennent qu’en se fondant sur les relevés de carte de crédit de mars 2010 et le permis de conduire de mai 2010, au lieu d’une lettre et d’un affidavit de l’employeur de Mme Gapuzan, l’agent doit avoir douté de la crédibilité de Mme Gapuzan et de son employeur. Les demandeurs font valoir qu’ils auraient dû être convoqués à une entrevue ou qu’on aurait dû leur remettre une lettre sur l’équité pour répondre aux conclusions sur la crédibilité.

[22]           Je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent a tiré des conclusions sur la crédibilité. La question en litige est de savoir si l’agent a fait fi des éléments de preuve pertinents. L’agent n’a pas reconnu ou adéquatement interprété l’information dans l’affidavit de Mme Gapuzan ou dans l’affidavit de son employeur. L’agent a fait référence à la « lettre », mais il y avait aussi une déclaration sous serment de l’employeur qui attestait du fait que Mme Gapuzan a résidé chez lui en tant qu’aide familiale « résidente » jusqu’au 27 août 2010.

La décision n’est pas raisonnable

[23]           L’agent a fait remarquer que Mme Gapuzan a fait preuve de négligence en ne surveillant pas l’état de sa relation. L’agent a évalué les raisons d’ordre humanitaire en fonction de sa conclusion selon laquelle les demandeurs vivaient en union de fait depuis cinq mois, soit depuis mars 2011. Il a déclaré que pour toutes ces raisons (« for all these reasons »), il a attribué peu de poids aux facteurs d’ordre humanitaire. La démarche de l’agent ne tient pas compte du fait que l’objectif d’une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire consiste à surmonter une disposition de la Loi que les demandeurs ne peuvent pas respecter ou ne parviennent pas à respecter. De plus, l’agent n’a pas pris en considération tous les éléments de preuve au dossier en ce qui concerne la relation des demandeurs.

[24]           Les demandeurs reconnaissent, peu importe qu’ils aient été officiellement des conjoints de fait en mars 2011 ou en août 2011, que Mme Gapuzan a omis de déclarer M. Deheza comme son conjoint de fait lorsqu’elle est devenue une résidente permanente en septembre 2011. Cependant, la date à laquelle les demandeurs ont satisfait à la définition d’une union de fait est une conclusion factuelle permanente en l’espèce.

[25]           L’agent a tiré une conclusion de fait selon laquelle les demandeurs étaient des conjoints de fait depuis mars 2011 – en se fondant sur les relevés de carte de crédit et sur le changement d’adresse de Mme Gapuzan sur son permis de conduire – sans expliquer pourquoi il a rejeté la preuve contradictoire de l’employeur de Mme Gapuzan (sous la forme d’une déclaration sous serment et du relevé d’emploi) qui étayait les éléments de preuve de Mme Gapuzan. L’agent n’a pas non plus expliqué comment les relevés de carte de crédit sur lesquels il s’appuyait établissaient que la relation des demandeurs satisfaisait à la définition d’une union de fait, telle qu’elle est exposée dans le Règlement.

[26]           Le paragraphe 1(1) du Règlement dispose ce qui suit :

conjoint de fait Personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an. (common-law partner)

common-law partner means, in relation to a person, an individual who is cohabiting with the person in a conjugal relationship, having so cohabited for a period of at least one year. (conjoint de fait)

[27]           Dans la décision Cai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 816, le juge Kelen s’est penché sur une question similaire où la date à laquelle le répondant et le demandeur étaient devenus des conjoints de fait était déterminante. Le juge Kelen a renvoyé au Règlement et a fait observer, au paragraphe 12 :

[…] Le Règlement ne définit pas ce qu’est une « relation conjugale ». Toutefois, comme l’a noté le juge Rouleau dans la décision Siev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 736, les procédures opérationnelles préparées par le défendeur reflètent le critère de common law énoncé par la Cour suprême du Canada :

15 Le guide OP 2 - Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial, reprend les critères énoncés par la Cour suprême dans M. c. H., ([1999] 2 R.C.S. 3) pour déterminer si deux personnes vivent réellement une relation conjugale :

- logement commun (p. ex., ententes relatives au couchage);

- comportement sexuel et personnel (p. ex., fidélité, engagement, sentiments l’un envers l’autre);

- services (p. ex., comportement et habitudes concernant la répartition des tâches ménagères);

- activités sociales (p. ex., attitude et comportement en tant que couple au sein de la collectivité et avec leurs familles);

- soutien économique (p. ex., ententes financières, propriété de biens);

- enfants (p. ex., attitude et comportement vis-à-vis les enfants);

- perception sociale des partenaires en tant que couple.

Si l’on considère les termes employés par la Cour suprême au cours de l’affaire M. c. H., il est clair qu’une relation conjugale suppose une certaine permanence, une interdépendance financière, sociale, émotive et physique, un partage des responsabilités ménagères et connexes, ainsi qu’un engagement mutuel sérieux.

En se fondant sur ces facteurs, les caractéristiques suivantes devraient être présentes, à un certain degré, dans toutes les relations conjugales, que les conjoints soient mariés ou non :

- engagement mutuel à une vie commune;

- exclusivité - on ne peut vivre plus d’une relation conjugale en même temps;

- intimité - engagement envers une exclusivité sexuelle;

- interdépendance - physique, émotive, financière et sociale;

- permanence - relations authentiques constantes à long terme;

- les conjoints se présentent comme un couple;

(Point 5.25 du guide)

[Souligné dans l’original.]

[28]           Dans les documents du défendeur accessibles au public (qui sont destinés aux demandeurs sans être des documents juridiques), le conjoint de fait « [d]ésigne les personnes, de sexe opposé ou de même sexe, qui cohabitent dans une relation conjugale depuis au moins un an. Une relation conjugale existe lorsqu’il y a un degré important d’engagement entre les deux personnes. Cette relation peut être démontrée au moyen d’une preuve que les conjoints vivent sous le même toit, se soutiennent mutuellement, sur le plan financier et émotif, ont eu des enfants ensemble, ou s’affichent en public comme couple » (Citoyenneté et Immigration, Guide IMM 3999, « Parrainage d’un époux, d’un conjoint de fait, d’un partenaire conjugal ou d’un enfant à charge, qui réside hors du Canada » (22 juillet 2016)).

[29]           Pour ce qui est de la signification de cohabitation, Citoyenneté et Immigration, le guide opérationnel OP 2, « Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial » (14 novembre 2006) prévoit au point 5.35 :

On entend par cohabitation le fait « d’habiter ensemble ». Deux personnes qui cohabitent ont mis leurs affaires en commun et emménagé dans le même logement. Pour être considérés conjoints de fait, il faut avoir cohabité pendant au moins un an. Il s’agit de la norme en vigueur partout au gouvernement fédéral. Cela suppose que le couple a cohabité pendant un an de façon continuelle, et non qu’il ait cohabité de façon intermittente pour une durée totale d’un an. La nature continuelle de la cohabitation est une entente universelle fondée sur la jurisprudence.

[Souligné dans l’original.]

[30]           La conclusion de fait de l’agent selon laquelle les demandeurs vivaient ensemble en mars 2010 a été faite sans reconnaissance ou prise en compte de la définition de « conjoint de fait » dans le Règlement, le guide opérationnel ou la jurisprudence, et sans aucune analyse de la façon dont les éléments de preuve satisfaisaient aux critères pertinents.

[31]           Pour ce qui est des observations des demandeurs selon lesquelles l’agent n’a pas effectué l’analyse adéquate des considérations d’ordre humanitaire, je souligne qu’il y a parfois une distinction subtile entre une réévaluation des éléments de preuve, que la Cour ne fera pas dans un contrôle judiciaire, et une conclusion selon laquelle l’analyse était viciée.

[32]           En l’espèce, l’analyse était viciée parce que, premièrement, elle n’a pas été réalisée dans le but d’établir si le défaut de se conformer à la Loi pouvait être surmonté et, deuxièmement, les éléments de preuve relatifs à l’établissement des demandeurs au Canada ont été mal interprétés.

[33]           La conclusion déraisonnable de l’agent selon laquelle les demandeurs étaient des conjoints de fait depuis cinq mois, et que Mme Gapuzan avait fait preuve de négligence dans la surveillance de son état, entachait l’analyse par l’agent des considérations d’ordre humanitaire à tel point que l’agent a décidé au préalable qu’il accorderait peu de poids aux facteurs d’ordre humanitaire et que ces facteurs ne pouvaient pas l’emporter sur l’exclusion. L’erreur dans la démarche de l’agent quant à l’analyse des considérations d’ordre humanitaire suffit à conclure que la décision n’est pas raisonnable, étant donné qu’elle n’est pas justifiée en fait ou en droit.

[34]           En outre, l’agent n’a pas tenu compte de l’achat par les demandeurs d’une maison au Canada, parce que les demandeurs étaient conscients du statut d’immigrant précaire de M. Deheza et de son renvoi imminent. Cela indique que les demandeurs ont acheté la maison uniquement pour améliorer leur demande ultérieure de résidence permanente. L’achat d’une maison, conjugué aux autres éléments de preuve de leur établissement, y compris leur implication dans leur église, leur réseau social, l’emploi de Mme Gapuzan et l’offre d’emploi pour M. Deheza (quoiqu’elle remonte à 2013), n’aurait pas dû être caractérisé de cette façon. Une telle démarche décourage ceux et celles qui sollicitent l’asile au Canada à s’établir. Si les demandeurs n’avaient pas cherché à établir une résidence à long terme, l’agent aurait aussi pu tirer une conclusion défavorable.

[35]           Comme l’indique le juge Zinn dans Sebbe c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 813, quoique dans une remarque incidente :

L’agent a tiré une conclusion abusive de la preuve relative à l’établissement présentée par les demandeurs. Doit‑on faire abstraction de chaque placement, chaque achat, chaque entreprise mise sur pied, chaque résidence acquise, etc., au motif que ces biens ont été acquis alors même que l’on savait devoir peut‑être y renoncer ou les abandonner? L’agent laisse‑t‑il entendre que les Canadiens préfèrent que les demandeurs d’asile déboutés ne fassent rien pour réussir et pour subvenir à leurs besoins pendant qu’ils sont au Canada? Laisse‑t‑il entendre que les mesures, quelles qu’elles soient, prises pour réussir seront dénuées de valeur parce que les demandeurs savaient qu’ils pouvaient faire l’objet d’un renvoi? À mon avis, les réponses à ces questions montrent qu’il n’est nullement pertinent de se demander si les demandeurs savaient qu’ils pouvaient faire l’objet d’une mesure de renvoi lorsqu’ils ont pris des mesures pour s’établir, avec les membres de leur famille, au Canada. Bien que l’on puisse avancer que les demandeurs, en s’établissant au Canada, utilisent une voie détournée pour obtenir l’entrée au Canada, ce point de vue ne peut être fondé que si les demandeurs n’ont aucun réel espoir de demeurer au pays. Dans la presque totalité de ces cas, les demandeurs conservent l’espoir de réussir, en fin de compte, à demeurer ici. Compte tenu de la période que passent la plupart de ces demandeurs au Canada, il n’est pas réaliste de supposer qu’ils vont mettre leur vie en suspens dans l’attente d’une décision définitive.

Il ne s’agit pas de se demander ce qu’ils savaient au moment où ils ont pris ces mesures, mais plutôt quelles étaient ces mesures, si elles ont été prises régulièrement et quelles seront les conséquences s’ils doivent abandonner leurs biens.

[36]           De même, en l’espèce, l’agent a omis de tenir compte de l’établissement comme facteur favorable et a omis de tenir compte de l’incidence sur les demandeurs si M. Deheza ne revient pas chez lui au Canada et n’est pas réuni avec son épouse, ou si Mme Gapuzan est obligée de quitter sa maison et son emploi au Canada.

Une adjudication des dépens n’est pas justifiée

[37]           Les demandeurs soutiennent que des dépens devraient leur être adjugés pour les raisons suivantes : (i) l’agent a commis la même erreur au réexamen de leur demande que lors de la première décision rendue en 2014, (ii) deux demandes pour rouvrir la décision n’ont pas été prises en compte et (iii) les demandeurs ont attendu 18 mois de plus pour la décision d’avril 2016.

[38]           L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, prescrit ce qui suit : « Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens. »

[39]           Dans la décision Adewusi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 75, au paragraphe 23, la juge Mactavish a indiqué que le critère permettant d’établir l’existence de « raisons spéciales » est rigoureux, et a poursuivi et donné quelques exemples tirés de la jurisprudence où ce critère a été respecté. Ces exemples comprennent lorsqu’une partie s’est comportée d’une manière que l’on peut qualifier d’inéquitable, oppressive ou inappropriée, ou d’attribuable à de la mauvaise foi (ibid, au paragraphe 24, citant la décision Manivannan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1392, [2008] ACF no 1754 (QL), au paragraphe 51) et dans le cas d’une conduite qui prolonge inutilement ou déraisonnablement l’instance (ibid, au paragraphe 25, citant la décision M Untel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 535, [2006] ACF no 674 (QL); Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, [2005] ACF no 1523 (QL), au paragraphe 26; et Qin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CF 1re inst. 1154, [2002] ACF no 1576 (QL)).

[40]           En l’espèce, les demandeurs ont subi un retard supplémentaire à attendre la nouvelle décision et l’agent a commis une erreur dans son appréciation des faits et du droit. Cependant, il n’y a aucun élément de preuve de mauvaise foi ou d’une autre conduite qui a prolongé le prononcé de la décision qui satisferait au critère rigoureux des raisons spéciales pour étayer l’adjudication de dépens.

[41]           Cependant, j’accepte l’observation des demandeurs selon laquelle il faudrait imposer au défendeur un délai pour la deuxième décision concernant la demande pour considérations d’ordre humanitaire et que la décision concernant le premier stade devrait être prise avant que les demandeurs soient de nouveau obligés de fournir les renseignements relatifs aux dossiers médicaux et aux casiers judiciaires. Je prends note des observations du défendeur selon lesquelles un délai de deux à trois mois n’est probablement pas réaliste. Comme il s’agira de la troisième fois que la demande est examinée, elle doit l’être rapidement. Par conséquent, j’ordonne au défendeur de traiter la demande le plus rapidement possible et de remettre aux demandeurs une décision rendue sur le fond de la demande pour des considérations d’ordre humanitaire au plus tard dans quatre mois à compter de la date du présent jugement (14 mars 2017).

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
  2. L’affaire doit être examinée de nouveau par un agent des visas différent et une décision doit être rendue sur le fond de la demande pour raisons d’ordre humanitaire au plus tard le 14 mars 2017.
  3. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.
  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1514-16

 

INTITULÉ :

JOSE MANUEL LARA DEHEZA, CLARIFEL CAMIT GAPUZAN c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 octobre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Aadil Mangalji

 

Pour les demandeurs

 

Laoura Christodoulides

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Long Mangalji LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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