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Date : 20161104


Dossier : T-1431-15

Référence : 2016 CF 1235

Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

CHRISTIANE ALLARD, MARIE-ANDRÉE FREDETTE, HÉLÈNE GAGNON, EL MEHDI HADDOU, ALAIN LAJOIE, SONJA LAURENDEAU, JULIE NAGEL, DANIEL PERRON, FRANCE PROVOST, MARIE-CLAUDE SIMARD, HÉLÈNE SOUCY ET GENEVIÈVE TOUPIN

demandeurs

et

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]         Les demandeurs sont à l’emploi de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence). Ils y occupent tous un poste de « Spécialiste des programmes du Centre opérationnel, médecine vétérinaire règlementaire » (le Poste en cause).

[2]         Une longue dispute les oppose à l’Agence quant à la classification de ce poste, jugé de groupe et niveau VM-03 par l’Agence, avec date effective rétroactive au 26 juin 2001. Les demandeurs soutiennent que ce poste devrait être classifié au niveau VM-04, avec les ajustements correspondants sur le plan de la rémunération et des avantages sociaux. Un premier grief de classification, déposé en juin 2010 suite à la décision de l’Agence de maintenir le niveau VM-03 [le Grief de 2010], se solde par un échec. Toutefois, la Cour, dans un jugement prononcé le 10 août 2012 par le juge Yves de Montigny, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, annule cette décision (Allard c Agence canadienne d'inspection des aliments, 2012 CF 979 [Allard]. Le juge de Montigny estime que le comité de grief de classification a outrepassé sa compétence et fait défaut de respecter le processus de griefs de classification en vigueur à l’Agence en modifiant la description de tâches faisant l’objet du grief. Il conclut que ce faisant, le comité a usurpé le rôle d’un arbitre de grief de description de tâches, enfreint, par le fait même, les principes de justice naturelle et rendu, du même coup, une décision déraisonnable (Allard, au para 41).

[3]         Suite à ce jugement, une nouvelle procédure de grief de classification s’engage entre les parties [le Grief de 2015] mais le résultat est le même : le grief est rejeté. Les demandeurs soutiennent, aux termes de la présente demande de contrôle judiciaire, que le comité de grief de classification chargé d’entendre ce nouveau grief [le Comité] s’est rendu coupable de la même erreur que celle sanctionnée par le juge de Montigny, c’est à dire qu’il a procédé à l’analyse du grief en minimisant et même en supprimant certains aspects de la description de tâches du Poste en cause sur laquelle les parties s’étaient pourtant entendues, en avril 2009, au terme d’un grief de contenu de description de tâches déposé par le syndicat représentant les demandeurs. Ceux-ci prétendent aussi que le Comité a également manqué à son devoir d’agir équitablement en confiant à un de ses membres un rôle qu’il devait se garder de lui confier, soit celui d’agir au lieu et place des représentants désignés de la direction.

[4]         Les demandeurs prient la Cour, si elle devait conclure dans le sens où ils l’invitent à le faire, de rendre la décision que l’Agence aurait dû, selon eux, rendre et à enjoindre celle-ci, par conséquent, à classifier le Poste en cause au niveau VM-04.

II.                Contexte

[5]         L’Agence, créée en 1997, est, aux fins, notamment, de ses relations avec ses employés, un « organisme distinct » au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, ch 22. Suivant l’article 13 de sa loi constitutive, la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, LC 1997, ch 6, elle a ainsi le pouvoir de nommer elle‑même ses employés, de fixer leurs conditions d’emploi, de leur assigner des fonctions et de prendre des décisions en matière d’organisation et de classification (voir aussi : Allard, au para 5).

[6]         À ce dernier égard, l’Agence s’est dotée d’une politique, la Politique en matière d’organisation et de classification (la Politique de classification) à laquelle se greffe une procédure s’appliquant aux griefs en matière de classification, la Procédure de grief de classification, une procédure distincte de celle applicable aux griefs portant sur le contenu de la description de travail d’un employé, laquelle est régie par convention collective. Ce régime est plus amplement décrit de la façon suivante dans Allard :

[6]               L'Agence a adopté la Politique en matière d'organisation et de classification (« Politique de classification »), qui sert de cadre de travail pour la gestion et le contrôle des activités de conception organisationnelle et de classification de l'Agence. Les décisions de classification, y compris celles découlant d'un grief de classification, sont rendues conformément à cette politique, ainsi qu'aux directives, lignes directrices et principes de conception organisationnelle correspondants, aux descriptions de travail, aux définitions des groupes professionnels et aux normes de classification approuvées par l'Agence. La norme de classification utilisée pour évaluer les postes rattachés au groupe de la médecine vétérinaire prévoit que l'évaluation des postes et la détermination de leur niveau de classification se font en fonction des cinq facteurs suivants : nature des travaux, complexité du travail, responsabilité professionnelle, responsabilités administratives, et portée des recommandations et des activités.

[7]        Contrairement aux griefs portant sur le contenu de la description de travail d’un employé, qui impliquent l’interprétation de la convention collective, les griefs de classification sont exclus de cette dernière et la procédure applicable est plutôt régie par le Processus de griefs de classification de l’Agence. En vertu de ce Processus, un employé doit présenter un grief portant sur la classification des postes par écrit à son superviseur immédiat au sein de l’Agence. Chaque grief est examiné selon son mérite et une recommandation sur la classification du poste est faite par un Comité de grief de classification (le « Comité ») au Vice-président de l’Agence par l’entremise du Gestionnaire, Classification et Design organisationnel. Le Vice-président, en tant que représentant du Président, révise le rapport du Comité et peut soit confirmer les recommandations du Comité, rendre une décision dans les cas de rapports minoritaires et majoritaires, ou rendre une décision séparée [références omises].

[7]         J’ajouterais à cette description que la Politique de classification vise, par le biais des normes de classification, à promouvoir un système de classification « qui établit la valeur relative de tout travail à l’Agence ». À cette fin, la norme de classification pertinente en l’espèce - la Norme de classification du groupe de la médecine vétérinaire, catégorie scientifique et professionnelle [la Norme de classification] – décrit une dizaine de postes-repères, lesquels servent à noter le degré de difficulté de chacun des cinq facteurs d’évaluation applicables en l’espèce en fonction d’une échelle de difficulté comportant cinq niveaux.

[8]         Comme c’était le cas du Grief de 2010, des cinq facteurs devant servir à l’évaluation du Poste en cause suivant la Norme de classification, seule l’évaluation des facteurs « Nature des travaux » et « Complexité du travail » sont en cause dans le cadre du Grief de 2015. C’est donc dire que ni l’attribution au groupe professionnel VM (Médecine vétérinaire), ni l’évaluation des facteurs « Responsabilité professionnelle », « Responsabilités administratives » et « Portée des recommandations et des activités » ne font l’objet d’une dispute entre les parties. Tout comme c’était aussi le cas en 2010, l’analyse du Grief de 2015 s’est faite à partir de la description de tâches convenues entre les parties. Les demandeurs soutiennent qu’il suffit que l’un ou l’autre des deux facteurs contestés se voit allouer une cote numérique de difficulté 4 pour que la classification du poste passe d’un niveau VM-03 à un niveau VM-04.

[9]         Quant au facteur Nature des travaux, le Comité, en rendant compte de ses délibérations, s’est dit d’avis que les postes-repères invoqués par les demandeurs ne justifiaient pas une cote numérique supérieure au niveau 3. Dans le cas du poste-repère de Vétérinaire, maladie infectieuses, PR-5, le Comité a jugé que la nature des travaux du Poste en cause était comparable, mais non supérieure, comme le prétendent les demandeurs, à ce poste-repère de niveau 3. Il s’est par ailleurs dit d’avis que la nature des travaux associés au poste-repère de Chef des programmes de lutte, division de la santé des animaux, PR-9, de niveau 4, était non pas comparable au Poste en cause, comme le soutiennent les demandeurs, mais supérieure.

[10]     Le Comité a tiré les mêmes conclusions en ce qui a trait au facteur Complexité du travail, jugeant le travail associé aux titulaires de postes PR-5 et PR-9 de complexité égale et supérieure, respectivement, à celui accompli par les demandeurs.

[11]     Le Comité a ensuite examiné les descriptions de travail de postes de groupe et niveau VM-04, proposées par les demandeurs « comme points de relativité ». Il a conclu qu’ultimement, ces deux postes du siège national de l’Agence - ceux de « Spécialiste national(e), Programme de transformation des viandes » et de « Senior Staff Veterinarian » - comportaient des responsabilités « pour le travail à un niveau national », exigeaient une connaissance plus approfondie et une compréhension stratégique plus large de questions nationales et « avaient un impact direct sur les opérations à l’échelle de l’Agence ayant des orientations fonctionnelles sur les [postes en cause], tel que décrit dans leur description de travail ».

[12]     Sous la rubrique « Évaluation », le Comité s’est employé à démontrer, en comparant la description de tâches du Poste en cause à celle des postes-repères PR-5, précité, PR-4 (Vétérinaire de district) et PR-8 (Évaluateur des médicaments vétérinaires), que les deux facteurs en litige - Nature des travaux et Complexité du travail, avaient été correctement évalués au niveau VM-03.

[13]     Il est à noter que le Comité n’a pas jugé utile de communiquer avec les deux représentants désignés de la direction au motif qu’un des membres du Comité, Nicole Bouchard-Steeves, « avait une connaissance approfondie des fonctions entreprises par les plaignants et était considérée comme experte en la matière ».

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[14]     La présente affaire soulève les trois questions suivantes :

a)      Comme dans l’affaire Allard, le Comité a-t-il manqué à son devoir d’agir équitablement en modifiant la description de tâches du Poste en cause et a-t-il, ce faisant, rendu une décision déraisonnable?

b)      Le Comité a-t-il aussi manqué à son devoir d’agir équitablement en consultant un de ses membres en tant qu’expert au lieu d’obtenir les précisions recherchées des représentants désignés de la direction?

c)      Si la Cour est d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire, quelle est la réparation appropriée dans les circonstances de la présente affaire?

[15]     Comme l’a souligné le juge de Montigny dans Allard, bien que, suivant le Processus de griefs de classification, la décision de dernier palier en cette matière soit celle du Vice‑président, Ressources humaines, de l’Agence, et qu’il s’agisse donc, théoriquement, de la décision sujette à contrôle judiciaire, il est bien établi que ladite décision, dans la mesure où elle endosse la recommandation du Comité, ne peut être dissociée du rapport du Comité, faisant en sorte que toute erreur commise par ce dernier viciera la décision du Vice-président (Allard, au para 19).

[16]     Il est également bien établi que l’examen des questions d’équité procédurale est soumis à la norme de la décision correcte, ce qui signifie, en l’espèce, que la Cour doit être elle-même satisfaite que la procédure suivie par le Comité pour en arriver à rejeter le Grief de 2015, est conforme aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale (Allard, aux para 20-21; voir aussi : Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404).

[17]     Par ailleurs, personne ne conteste que lorsque l’on se questionne sur le mérite de la décision portant sur un grief de classification, cela soulève des questions mixte de fait et de droit relevant de l’expertise du décideur, lesquelles sont révisables suivant la norme de la décision raisonnable (Allard, au para 20). Suivant cette norme de contrôle, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard du décideur et n’intervenir que si la décision en cause ne fait pas partie « des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[18]     En l’espèce, compte tenu de ma réponse à la première question en litige, il sera nécessaire d’aborder la troisième question, mais non la deuxième.

IV.             Analyse

A.                 Le Comité a manqué à son devoir d’agir équitablement en modifiant le contenu de la description de tâches du Poste en cause et a, de ce fait, entaché la raisonnabilité de sa décision.

[19]     Comme je viens de le souligner, aucune retenue ne s’impose à la Cour lorsqu’il s’agit de déterminer si les règles d’équité procédurale ont été respectées dans un cas donné. Au surplus, je ne peux procéder à cet exercice, dans le contexte particulier de la présente affaire, sans tenir compte du dossier Allard, lequel implique les mêmes parties qu’en la présente instance, les mêmes faits, à toutes fins utiles, notamment la même description de tâches, et les mêmes questions de droit. Je dois donc notamment me demander, comme les demandeurs m’invitent à le faire, si la décision rendue par le Comité est affectée des mêmes vices que ceux qui ont conduit la Cour à conclure à l’inéquité procédurale de la décision rendue par le comité s’étant penché sur le Grief de 2010. Je dois aussi me poser la même question en ce qui a trait à la raisonnabilité de la décision du Comité.

[20]     Si la décision du Comité est affectée des mêmes vices, j’estime, bien que je ne sois techniquement pas lié par le jugement rendu dans l’affaire Allard, que l’intervention de la Cour sera justifiée. Suivant le principe de la courtoisie judiciaire, un juge est en effet invité à suivre une décision d’un de ses collègues lorsque celle-ci, à moins qu’elle ne se distingue sur les faits, porte sur les mêmes questions, n’est manifestement pas erronée en droit ou ne créerait pas une injustice si elle était appliquée (Apotex Inc. c Allergan, Inc., 2012 CAF 308 aux para 46-48 et Pfizer Inc. c Canada (Santé), 2007 CF 446 au para 28).

[21]     Dans le cas présent, bien que le Comité ait structuré sa décision différemment, je suis d’avis qu’il a ultimement erré de la même façon que le comité qui a tranché le Grief de 2010, c’est-à-dire qu’il a écarté les postes-repères et les deux postes de relativité proposés par les demandeurs en minimisant, notamment, l’aspect national des tâches et responsabilités décrites dans la description de tâches du Poste en cause, faisant ainsi fi du libellé de ladite description et usurpant, du même coup, le rôle d’un arbitre de griefs de description de tâches, seule instance habilitée à trancher un différend portant sur le contenu d’une description de tâches.

[22]     Comme le juge de Montigny l’a souligné dans Allard, au paragraphe 41, lorsqu’un comité de classification décèle un désaccord important entre les parties quant à la description de tâches dont il fait l’évaluation, « il lui incombe de se dessaisir du grief jusqu’à ce qu’il y ait une entente ou, le cas échéant, décision arbitrale quant à la description de tâches ». S’il ne procède pas de la sorte, le comité de classification se trouve alors à enfreindre la procédure applicable au règlement des différends portant sur le contenu d’une description de tâches, laquelle est prévue par convention collective et a préséance sur la procédure de grief de classification. La Procédure de grief de classification de l’Agence le prévoit d’ailleurs clairement :

B.        Grief de classification

...

2.         Un grief de classification ne peut porter sur le contenu d’une description de travail ou la date d’entrée en vigueur de la décision de classification. Ces derniers aspects sont résolus par application de la procédure de règlement des griefs de relations de travail prévue dans les conventions collectives.

3.         Un grief de relations de travail portant sur le contenu d’une description de travail a préséance sur un grief de classification. Une décision sur un grief touchant le contenu d’une description de travail d’un poste doit être rendue avant qu’un grief de classification concernant ce poste puisse être présenté. Si la description de travail est modifiée à la lumière d’un grief portant sur le contenu d’une description de travail, une nouvelle décision de classification doit être rendue, et le fonctionnaire peut exercer son droit de présenter un nouveau grief de classification. Ainsi, le grief de classification devient périmé.

[23]      Il va donc de soi qu’un comité de classification ne peut, dans l’exercice de ses fonctions, modifier la description de travail ou refuser de considérer les tâches et activités qui y sont prévues (Allard, au para 26). Je rappelle ici que la description de travail du Poste en cause a fait l’objet d’une entente suite à un grief de contenu de description de travail entrepris en vertu de la convention collective liant les demandeurs et l’Agence.

[24]     Comme c’était le cas dans Allard, la question à résoudre consiste donc ici à déterminer si le Comité a modifié la description de travail pour en arriver à conclure, comme l’avait fait avant lui le comité ayant tranché le Grief de 2010, au rejet du grief dont il était saisi, ou s’il a simplement considéré les informations qu’il avait devant lui pour s’assurer de bien comprendre la nature des tâches des demandeurs.

[25]     Dans Allard, le juge de Montigny a noté que les représentants de la direction, qui avaient été appelés à témoigner devant le comité, n’avaient pas simplement modulé les responsabilités des demandeurs de façon à tenir compte du contexte dans lequel les activités décrites à la description de travail sont exercées, mais qu’ils avaient à plusieurs égards remis en question la nature même desdites activités. Il a jugé qu’en retenant la preuve des représentants de la direction, le comité de classification « ne s’est pas contenté d’évaluer la fréquence ou le degré avec lequel les tâches décrites à la description de travail étaient effectivement exercées, mais qu’il est allé plus loin en modifiant la description de travail elle-même » (Allard, au para 34).

[26]     Le juge de Montigny a illustré ce constat à partir du traitement, par le comité de classification, de sept (7) des vingt et une (21) activités principales répertoriées à la description de travail, soit les activités 1, 4, 6, 7, 10, 17 et 20. Il convient, à cet égard, de reproduire les passages pertinents du jugement du juge de Montigny :

[29]      La première activité consiste à « [é]laborer et tenir à jour les règlements, politiques, programmes, procédures et normes de l’ACIA ayant trait aux exigences zoosanitaires et à la salubrité des aliments ». Les demandeurs ont indiqué qu’ils effectuaient ces tâches, et ils ont fourni des exemples à cet effet, et leurs superviseurs ont essentiellement confirmé leurs dires. Par contre, les gestionnaires ont affirmé que cette activité principale « est du ressort de postes à l’administration centrale », et ont minimisé la responsabilité des demandeurs en indiquant que les demandeurs sont « consultés » dans l’élaboration des politiques et « collaborent » dans la rédaction de certains documents. Enfin, les demandeurs avaient indiqué au Comité qu’ils élaboraient des politiques pour la région du Québec en consultation avec des collègues ailleurs au pays, alors que les gestionnaires ont plutôt mentionné qu’ils étaient responsables de « tenir à jour » les documents pour la région du Québec.

[30]      Plus significatif encore est l’écart qui sépare les activités 4 et 17 telles que décrites dans la Description de travail et les commentaires formulés par les superviseurs et les gestionnaires devant le Comité. Les activités 4 et 17 se lisent comme suit dans la Description de travail:

4. Consulter les gouvernements provinciaux et les groupes sectoriels exerçant leurs activités sur le territoire desservi par le Centre opérationnel. Représenter l’ACIA et diriger des comités et groupes de travail internationaux, nationaux et régionaux participant à des consultations bilatérales et multilatérales, à des négociations liées aux politiques et programmes canadiens touchant les exigences zoosanitaires et la salubrité des aliments.

17. Négocier les exigences applicables à la certification des importations et des exportations ainsi que les exigences des programmes relativement aux animaux, aux produits animaux, aux sous-produits et à d’autres produits connexes. Fournir des interprétations et des avis concernant les exigences zoosanitaires et les exigences en matière de salubrité des aliments s’appliquant aux importations/exportations.

[31]      Or, s’agissant de l’activité 4, les surveillants ont nié que les demandeurs dirigent des groupes internationaux, tandis que les gestionnaires ont indiqué que les demandeurs « ne sont pas du tout impliqués au niveau international et ne participent pas à des consultations bilatérales et multilatérales liées aux politiques et programmes canadiens touchant les exigences zoosanitaires et la salubrité des aliments ». Pour ce qui est de l’activité 17, les surveillants ont témoigné devant le Comité que les demandeurs ne font pas de négociations tel que prévu dans cette activité principale car ce genre de travail se fait à « Ottawa », alors que les gestionnaires ont catégoriquement indiqué que les demandeurs « n’ont pas de responsabilités au niveau de la première partie de cette activité principale et que cette responsabilité appartient au niveau national ».

[32]      L’activité 6 concerne l’élaboration, la participation et la présentation à la haute direction de l’Agence, au personnel des Réseaux et Opérations, ainsi qu’à d’autres organisations gouvernementales et non gouvernementales, des avis, des interprétations, des recommandations, des conférences à caractère scientifique concernant les exigences zoosanitaires et les programmes de salubrité des aliments. À ce chapitre, les surveillants et les gestionnaires ont allégué que les demandeurs accomplissaient ce genre de travail « au niveau du Québec seulement ».

[33]      On constate une moins grande disparité entre la description de travail et les commentaires de la gestion en ce qui concerne les activités 7 et 10. En revanche, l’activité 20 fait également apparaître des disparités importantes entre le texte de la description de travail et la perception qu’en ont les gestionnaires. Cette activité consiste à répondre à des questions et à agir en qualité de porte-parole national et régional en matière de politiques et de programmes zoosanitaires et de salubrité des aliments, en réponse aux questions soulevées par le personnel de l’Agence, les représentants des gouvernements nationaux et internationaux et l’industrie, le grand public et les médias. Tandis que les demandeurs ont affirmé agir régulièrement comme porte-paroles de l’Agence au niveau national, particulièrement en français, les surveillants et les gestionnaires ont insisté pour dire que les demandeurs parlent au nom de l’Agence « surtout au Québec, mais aussi au niveau national surtout à cause de la langue ».

[27]     Notant qu’il y avait divergences entre les demandeurs et la direction sur des aspects essentiels de la description de travail du Poste en cause, le juge de Montigny a conclu que le comité de classification ne pouvait ignorer ce fait et procéder à l’examen du grief de classification sans d’abord s’assurer que les parties s’entendaient sur la description de travail (Allard, au para 37). Il a jugé que le comité avait ainsi excédé sa compétence « en modifiant le contenu de la description de travail des demandeurs sans leur donner l’occasion de se faire entendre par un arbitre » (Allard, au para 38).

[28]     À mon avis, ce même constat, qui, ceci dit en tout respect, m’apparaît reposer manifestement sur une bonne lecture du droit applicable en la matière, s’impose en l’espèce.

[29]     Je rappelle d’entrée de jeu, comme l’a fait le juge de Montigny dans Allard, que même si la description de travail n’est pas le seul élément dont peut tenir compte un comité de grief de classification pour évaluer la valeur relative d’un poste, elle n’en demeure pas moins un élément crucial (Allard, au para 39). Je rappelle aussi que le fait que les titulaires d’un poste puissent n’être appelés à exercer des fonctions ne correspondant qu’à une partie des exigences de la description de travail « ne modifie pas la description de poste, ni n’établit que les exigences ne sont plus en vigueur » (Eksal c Canada (Procureur général), 2006 CAF 50 au para 10). En l’espèce, il est admis que les demandeurs n’accomplissent pas nécessairement toutes les tâches apparaissant à leur description de travail (Allard, au para 25). Toutefois, l’on doit présumer qu’ayant été nommés dans le Poste en cause, ils satisfont à toutes les exigences de la description de travail associée à ce poste, d’où le caractère crucial de celle-ci comme outil de comparaison dans l’évaluation de la valeur relative d’un poste pour fins de classification (Eksal, au para 10).

[30]     En l’espèce, tout comme le comité de classification qui s’est penché sur le Grief de 2010, le Comité, dans son analyse du facteur Nature des travaux, s’est dit en désaccord avec le choix du poste-repère PR-9, de niveau 4 (Chef des programmes de lutte, division de la santé des animaux) sur la base, essentiellement, que plusieurs des tâches et activités principales du Poste en cause étaient, contrairement à celles du poste-repère PR-9, effectuées à l’échelle régionale ou provinciale plutôt qu’à l’échelle nationale. Il convient de reproduire les délibérations du Comité sur cette question, lesquelles, il est important de le préciser, forment la partie principale du rapport du Comité, soit celle où doit être clairement expliqué comment celui-ci en est arrivé à sa décision (Laplante c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2004 CF 1345, aux para 18-19). Les portions pertinentes desdites délibérations sont les suivantes :

[La représentante des demandeurs] a mentionné que les deux postes sont responsables de veiller à l’application des dispositions de la Loi sur la protection des animaux et de la maladie et, le cas échéant, de s’assurer que les règlements établis en vertu de la loi sont adéquats pour contrôler/éradiquer les maladies. Le Comité a jugé que le PR-9 est supérieur aux [postes en cause] car, afin de s’assurer que les règlements établis en vertu de la loi sont adéquats à travers le Canada, le PR doit évaluer l’efficacité des programmes de contrôle de la maladie en coordonnant des méthodes de surveillance multirégionaux, en veillant à ce que des systèmes adéquats pour la compilation des données statistiques soient en place et en émettant des directives et des lignes directrices pour les vétérinaires de terrains par le biais des vétérinaires régionaux. Les [postes en causes] d’autre part, veillaient à ce que les règlements établis en vertu de la loi étaient adéquats dans la région par le suivi de l’exécution des programmes, l’évaluation de l’efficacité des programmes, et faisaient des recommandations au niveau opérationnel.

[La représentante des demandeurs] a aussi mentionné que les deux postes donnent des interprétations et des recommandations sur les règlements et les programmes dans leurs domaines de spécialisation. Le comité juge que le PR-9 est supérieurs aux [postes en cause] car il est chargé de recommander au Directeur associé la mise en œuvre de programmes à un niveau national qui ont un impact à travers le Canada. D’autre part, les [postes en cause] devaient faire des recommandations au Directeur par l’entremise de son (sic) superviseur immédiat, le Gestionnaire des programmes, sur la mise en œuvre de programme ou lorsque les programmes ne sont pas exécutés de la manière prévue.

[La représentante des demandeurs] a mentionné que les deux postes doivent « s’assurer de l’application des taux d’indemnisation maximale et voient à ce qu’ils soient équitables pour les animaux dont l’abattage a été ordonné en vertu de la Loi sur les maladies animales ». Le Comité a jugé que le PR-9 est supérieur aux [postes en cause] car non seulement il obtient les informations pertinentes auprès des propriétaires mais résout les problèmes car il existe différentes conditions d’élevage dans les différentes provinces du Canada. Par conséquent, l’uniformité des programmes est souvent altérée involontairement et le PR doit être en mesure d’identifier ces écarts à un niveau national et doit prendre des mesures correctives alors que les [postes en cause] étaient responsables pour leur région.

[31]     Pourtant, l’examen de la description de travail du Poste en cause révèle que rien ne limite de la sorte les tâches des titulaires du Poste en cause. Plus particulièrement, quant au caractère adéquat de la règlementation, les titulaires du Poste en cause ont la responsabilité d’élaborer et de tenir à jour les règlements (Description de tâches, Dossier de la défenderesse, vol 1, à la page 64), ce qui comprend la responsabilité de « déterminer la nécessité de modifier la règlementation » et celle d’« entreprendre la modification de règlements », et ce, en consultation avec le personnel des Affaires règlementaires et des services juridiques de l’Agence et du Ministère de la justice et les intervenants du milieu de la santé animale et de la salubrité des aliments (Description de tâches, Dossier de la défenderesse, vol 1, aux pages 66-67). Rien, dans la description de tâches, ne limite ce travail à veiller à ce que les règlements établis en vertu de la loi soient « adéquats dans la région » et à ne faire, à cette fin, que des « recommandations au niveau opérationnel ».

[32]     Je ne vois rien non plus, dans la description de travail, qui restreigne à une tâche purement régionale la responsabilité des titulaires du Poste en cause de veiller à la mise en œuvre des programmes et à l’évaluation de leur efficacité. Au contraire, la portée nationale de cette responsabilité ressort clairement du libellé de la description de tâches :

Analyser, formuler des commentaires et faire des recommandations appropriées lorsque les programmes ne sont pas exécutés de la manière prévue. Assurer l’uniformité d’application pancanadienne des différents programmes d’inspection des viandes et de la santé animale (Description de tâches, Dossier de la défenderesse, vol 1, à la page 65);

Surveiller l’exécution des programmes et évaluer l’efficacité des programmes zoosanitaires et des programmes relatifs à la salubrité des aliments. Planifier, réaliser et diriger des vérifications (audits) portant sur l’exécution des programmes soit de [l’Agence] ou des programmes fédéraux appliqués dans les provinces (Description de tâches, Dossier de la défenderesse, vol 1, à la page 65);

Suivre, évaluer et examiner les développements qui surviennent à l’échelle régionale, nationale et internationale en science vétérinaire, dans le domaine zoosanitaires et en matière de salubrité des aliments. Cerner les préoccupations et les risques naissants en vue d’améliorer les programmes de [l’Agence] (Description de tâches, Dossier de la défenderesse, vol 1, à la page 65);

Examiner et analyser de l’information scientifique et technique sur les dangers pesant sur la santé des humains et des animaux; évaluer la nécessité d’adopter de nouvelles politiques ou de modifier les programmes existants; préparer des propositions de politique visant à répondre aux besoins recensés; [...] (Description de tâches, Dossier de la défenderesse, vol 1, à la page 66);

Élaborer des documents se rapportant aux programmes, incluant créer des politiques, des procédures, des directives, des notes de service et des normes devant s’appliquer à l’échelle nationale et régionale et en assurer la diffusion et effectuer des modifications aux manuels et au matériel de formation (Description de tâches, Dossier de la défenderesse, vol 1, à la page 67);

Identifier des programmes qui sont inadéquats, non-appropriés, incomplets ou irréalisables, ce qui est essentiel à la restructuration des programmes et des documents s’y rattachant (Description de tâches, Dossier de la défenderesse, vol 1, à la page 67);

Planifier et procéder à des vérifications et des évaluations des programmes zoosanitaires et de salubrité des aliments, vérifier si le personnel de [l’Agence] responsable des inspections respecte les exigences et à cette fin, inspecter des documents et des rapports, consulter le personnel des Réseaux et Opérations et participer à la vérification des programmes en question ou diriger ces vérifications pour que la législation et les normes applicables soient respectées. [...] Apporter des révisions aux politiques ou procédures qui seront mises en œuvre au niveau national (Description de tâches, Dossier de la défenderesse, vol 1, à la page 68).

[33]     Enfin, l’opinion du Comité voulant que les titulaires du poste PR-9 soient mieux équipés que les titulaires du Poste en cause pour assurer une application équitable des taux d’indemnisation pour les animaux dont l’abattage a été ordonné en raison de leur connaissance des différentes conditions d’élevage dans les différentes provinces du Canada, pose aussi problème. Encore ici, suivant le Comité, l’expertise des titulaires du Poste en cause serait, à cet égard, strictement régionale. Or, je ne vois pas une telle limitation dans la description de tâches.

[34]     Sur le plan du facteur Complexité du travail, je note que le constat posé par le Comité quant à la justification d’un niveau 4 pour les titulaires du poste PR-9 s’articule encore une fois autour du caractère national des tâches qu’ils sont appelés à effectuer, par opposition au caractère régional des tâches des titulaires du Poste en cause :

[...] Le Comité a jugé que le PR-9 est supérieur aux [postes en cause] car ils (sic) sont responsables pour déterminer les taux d’indemnisation qui doit être appliqué à l’échelle nationale pour les animaux abattus alors que les [postes en cause] étaient responsables pour la région du Québec.

[...] Le Comité a jugé que le PR-9 est supérieur aux [postes en cause] car il est responsable d’assurer qu’un système adéquat pour la compilation de statistiques est en place au niveau national pour capturer les informations fournies par les régions. Les [postes en cause], d’autre part, étaient responsables de capturer les informations pertinentes dans leur province et fournir les statistiques provinciales au niveau national de la Direction des Politiques et des programmes pour la RCN.

[...] Le Comité a jugé que le PR-9 est supérieur aux [postes en cause] car il doit informer le Sous-ministre adjoint (Vice-président adjoint), sur l’état des différentes maladies animales à travers le Canada alors que les [postes en cause] informaient des niveaux de la gestion allant jusqu’au Directeur exécutif (EX-03) sur l’état des différentes maladies animales dans la région du Québec.

[La représentante des demandeurs] a mentionné que les postes sont équivalents car les deux assurent que les programmes qui ont été développés pour contrôler les maladies animales sont exécutés de manière à obtenir les résultats requis. Le Comité a jugé que le PR-9 est supérieur aux [postes en cause] car sa responsabilité générale est au niveau national alors que les [postes en cause] étaient au niveau de sa région. »

(Je souligne)

[35]     Je partage aussi l’avis des demandeurs quant au traitement que le Comité a réservé à la comparaison du Poste en cause au poste-repère PR-5, notamment en minimisant les responsabilités des titulaires du Poste en cause à un rôle de consultation assujetti à l’expertise plus pointue des Spécialistes nationaux ou des vétérinaires seniors. Tout comme le juge de Montigny avant moi (Allard, au para 29), je n’y trouve, encore une fois, aucun appui dans la description de travail du Poste en cause.

[36]     Je rappelle, en terminant, que le Comité, comme l’avait fait avant lui le comité saisi du Grief de 2010, n’a pas retenu les postes de « Spécialiste national(e), Programme de transformation des viandes » et de « Senior Staff Veterinarian », tous deux de niveau VM-04, proposés par les demandeurs « comme points de relativité », sur la base, notamment, que ces postes comportaient des responsabilités « pour le travail à un niveau national », reléguant ainsi la portée des responsabilités des titulaires du Poste en cause à un niveau purement régional ou provincial, ce qui, comme on l’a vu, ne reflète pas le contenu de la description de tâches du Poste en cause.

[37]     Compte tenu de ce qui précède, il me semble clair que le Comité a commis la même erreur que son prédécesseur en faisant fi du libellé de la description de travail, une chose qu’il ne pouvait se permettre de faire sans usurper le rôle d’un arbitre de grief de contenu de description de tâches et enfreindre, par le fait même, les principes de justice naturelle puisqu’il se trouvait ainsi à court-circuiter la procédure prévue par la convention collective et les politiques de l’Agence pour débattre de la justesse du contenu d’une description de travail.

[38]     Je rappelle de nouveau que la description de travail du Poste en cause a été acceptée par l’employeur en avril 2009, même si la gestionnaire qui, au nom de l’Agence, a réglé le grief de contenu de la description de tâches aurait indiqué ne pas avoir nécessairement lu le contenu de ladite description de tâches. Dans la mesure où il subsistait alors, du côté de l’employeur, un désaccord sur des aspects essentiels de ladite description de tâches, comme cela semble être de toute évidence le cas, il revenait à l’employeur, comme l’a souligné le juge de Montigny dans Allard, de « déposer un grief de contenu qui aurait été entendu par un arbitre impartial soumis au contrôle judiciaire de cette Cour » (Allard, au para 37). Ce n’est pas par le biais de la procédure de grief de classification que cette question doit être réglée, mais par le biais de la procédure de grief prévue à la convention collective régissant les rapports entre les demandeurs et l’Agence.

[39]     Il semble d’ailleurs que le Comité ait mal aiguillé sa réflexion lorsqu’il a indiqué que sa tâche consistait non seulement à établir quels sont le groupe et le niveau appropriés pour la description de travail visée par le grief de classification mais aussi à évaluer ladite description « en fonction des tâches et des responsabilités attribuées par la direction et dont s’acquittaient les employés », comme s’il lui était permis de s’écarter du contenu de la description de tâches sur la base, ultimement, de l’idée que s’en fait la direction.

[40]     Ce procédé est d’autant plus questionnable ici dans la mesure où le Comité n’a pas jugé utile de faire appel, lors de l’audition du grief, à ni l’un ni l’autre des représentants désignés de la direction, préférant s’en remettre à l’expertise d’un de ses membres dans le secret de son délibéré. L’Agence plaide que le Comité était parfaitement en droit de procéder ainsi. C’est peut-être le cas mais dans le contexte tout à fait particulier de ce différend entre les demandeurs et l’Agence, lequel avait déjà requis l’intervention de la Cour, ce choix n’a pas été, à mon avis, sans affecter la transparence du processus.

[41]     Enfin, je ne saurais retenir l’argument de l’Agence voulant que le Comité n’ait pas minimisé le contenu de la description de tâches du Poste en cause mais l’ait simplement « mise en perspective » en faisant ressortir, sur fond de contexte organisationnel, sa vocation régionale. Cette approche a échoué dans Allard. Elle doit aussi échouer en l’instance.

[42]      Comme dans l’affaire Allard, et pour les mêmes raisons, j’en viens aussi à la conclusion, en raison de leur corrélation très étroite ici comme dans Allard, que la violation des principes de justice naturelle par le Comité a eu un impact déterminant sur la classification qu’il a attribuée au Poste en cause au point d’en affecter la raisonnabilité (Allard, aux para 39‑40).

[43]     La demande de contrôle judiciaire des demandeurs sera donc accueillie. Il me reste toutefois à déterminer quelle est la réparation appropriée dans les circonstances de la présente affaire où, pour la deuxième fois en autant d’occasions, la Cour annule, pour essentiellement les mêmes motifs, la décision d’un comité de grief de classification impliquant les mêmes parties et portant sur la même description de travail.

B.                 La réparation appropriée

[44]     Les demandeurs demandent à la Cour de substituer sa décision à celle de l’Agence plutôt que de retourner l’affaire à un nouveau comité de grief de classification pour un nouvel examen de leur grief. En d’autres termes, ils sollicitent une ordonnance enjoignant à l’Agence de classifier le Poste en cause au niveau VM-04. L’Agence plaide que la Cour n’a pas ce pouvoir puisqu’il ne revient pas aux cours de justice, selon elle, de substituer leur opinion à celle du décideur administratif.

[45]     Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, étaye les pouvoirs de réparation dont dispose la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire. Cette disposition se lit comme suit :

Pouvoirs de la Cour fédérale

Powers of Federal Court

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[46]     Il importe de préciser à cet égard que la demande de contrôle judiciaire demeure intrinsèquement un recours extraordinaire et que le pouvoir de redressement qui en découle demeure essentiellement de nature discrétionnaire (Canadien Pacifique Ltée c Bande Indienne de Matsqui, [1995] 1 RCS 3, au para 30; Letarte et al, Recours et procédure devant les Cours fédérales, Montréal : Lexis Nexis, 2013, aux pages 73-76).

[47]      Les demandeurs estiment que bien que le procédé soit exceptionnel, la Cour est néanmoins habilitée, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, à dicter la décision devant être rendue par le décideur administratif dans les cas où : (i) une fois corrigée l’erreur qui vicie la décision de ce dernier, le seul moyen légitime, pour ce décideur, d’exercer ses pouvoirs est de faire droit à la demande dont il est saisi; et (ii) un nouveau retard entrainerait un préjudice. Ils citent en exemple les affaires Canada (Sécurité publique et protection civile) c LeBon, 2013 CAF 55 au para 14 [LeBon]; Murad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1089 aux para 66-67; Boogard c Canada (Procureur général), 2014 CF 1113 aux para 85-90; et D’Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95 au para 18 [D’Errico].

[48]     Les demandeurs affirment que le Comité s’est presqu’entièrement fondé, pour conclure au rejet de leur grief, sur le fait qu’ils n’accomplissent pas leurs tâches au niveau national et qu’ils peuvent consulter des spécialistes nationaux lorsqu’ils élaborent des politiques et règlements. Ils soutiennent par ailleurs qu’à tous autres égards, le Comité, dans l’exercice de comparaison qu’il a mené, a, à toutes fins utiles, accepté leurs arguments faisant en sorte que si ce n’était de ces deux erreurs, le seul moyen légitime, pour le Comité, d’exercer son pouvoir d’appréciation du Grief de 2015, aurait été d’y faire droit. Ils rappellent à cet égard que suivant la Norme de classification, l’attribution d’une cote numérique de difficulté 4 à l’un ou l’autre des facteurs Nature des travaux et Complexité du travail suffit, en principe, pour faire basculer le Poste en cause vers une classification de niveau 4.

[49]     Quant au préjudice, les demandeurs plaident qu’un second renvoi de l’examen de leur grief à un comité de grief de classification ajouterait aux délais substantiels déjà encourus dans ce dossier. Ils rappellent à cet égard que le différend les opposant à l’Agence concernant, dans un premier temps, le contenu de la description de tâches du Poste en cause et, ensuite, la classification de celui-ci, remonte à octobre 2007 et que ce différend vise à fixer la situation juridique des parties sur cette question rétroactivement au moins de juin 2001.

[50]     Comme le note l’Agence, la Cour d’appel fédérale, dans Canada (Procureur général) c Gilbert, 2009 CAF 76 [Gilbert], une affaire similaire à la nôtre, a renversé un jugement de cette Cour qui enjoignait au décideur d’attribuer une cotation donnée au poste occupé par l’intimé. Suivant ce jugement, lorsque cette Cour détermine qu’il y a lieu d’accueillir une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision faisant suite à une recommandation d’un comité de grief de classification, elle doit renvoyer l’affaire au décideur pour réexamen et ce, en raison du degré élevé d’expertise de ces comités et des décideurs et du caractère particulier et spécialisé du régime qu’ils sont tous deux appelés à mettre en œuvre (Gilbert, aux para 21-23). Ce jugement, ajoute l’Agence, se situe dans la parfaite lignée de l’affaire Gauthier c Canada (Procureur général), 2008 CAF 75 [Gauthier], où la Cour d’appel fédérale a statué qu’il ne lui appartenait pas, pas plus qu’à cette Cour, de décider, lors d’un contrôle judiciaire, du fond d’un litige, sa fonction première en cette matière étant de juger de la légalité, et non de l’opportunité, de la décision sous examen (Gauthier, au para 48).

[51]     Toutefois, il y a, comme on l’a vu, des situations d’exception à cette règle, où l’issue d’une affaire a été dictée en marge d’un contrôle judiciaire. Il s’agit de déterminer si la présente affaire en est une. Je crois que oui.

[52]     Dans l’affaire D’Errico, précitée, la Cour d’appel fédérale rappelait que le caractère exceptionnel du pouvoir de dicter l’issue d’une affaire témoignait « de la volonté que les tribunaux administratifs se voient offrir une seconde chance de statuer sur le fond de l’affaire et que la cour de révision n’accomplisse pas cette tâche à leur place » (D’Errico, au para 17). Ici, cette deuxième chance a été offerte à l’Agence, tout comme elle avait été offerte au Ministre de la justice dans l’affaire LeBon, précitée. Dans ce dernier cas, qui concernait une demande de transfèrement aux termes de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, la Cour d’appel fédérale a jugé que cette Cour était bien fondée de rendre une ordonnance impérative contre le Ministre au lieu de lui renvoyer l’affaire une troisième fois dans l’espoir qu’il rende une décision « conforme aux lois fédérales et à la jurisprudence » (LeBon, aux para 11, 14 et 15). Le Ministre, dans cette affaire, prétendait, tout comme le fait l’Agence en l’espèce, que cette Cour n’avait d’autre alternative, en accueillant le second contrôle judiciaire, que de renvoyer l’affaire au Ministre.

[53]     Dans D’Errico, la Cour d’appel fédérale a aussi rappelé qu’il y a des exceptions au principe voulant que la Cour ne puisse rendre une ordonnance de nature impérative que si l’issue du litige, au fond, est inévitable, c’est-à-dire que lorsque la preuve au dossier « ne peut mener qu’à un résultat » (D’Errico, au para 16). Parmi ces exceptions, il y a celles où il y a eu un « retard important et où le retard supplémentaire attribuable au renvoi de l'affaire au décideur administratif pour nouvel examen est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice » (D’Errico, au para 16). Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a, sur cette base, opté de dicter l’issue de l’affaire même si elle était saisie, pour la première fois, d’une demande de contrôle judiciaire du rejet, par la Commission d’appel des pensions, de l’appel logé par le demandeur à l’encontre du refus du Ministre des Ressources humaines et du Développement Canada de lui verser une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada.

[54]     Ici, je le répète, l’Agence, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Gilbert, a déjà eu une seconde chance de statuer sur le grief de classification logé par les demandeurs mais elle a commis les mêmes erreurs que la première fois. Je rappelle aussi que le différend qui oppose les parties ne porte que sur deux des cinq facteurs d’évaluation établis par la Norme de classification. Suivant la décision rendue dans Allard et celle que je rends aujourd’hui, l’évaluation des deux facteurs litigieux s’est à toutes fins utiles décidée, dans les deux cas, sur la base de considérations que le Comité, et le comité ayant traité du Grief de 2010 avant lui, ne pouvait invoquer sans excéder sa compétence.

[55]     Si l’on exclut ces considérations, je suis porté à penser que la preuve au dossier conduit à un résultat inévitable, soit celui que les facteurs Nature des travaux et/ou Complexité du travail doivent recevoir une cote numérique de difficulté de 4. Si j’ai tort sur cette question, j’estime que le retard supplémentaire attribuable au renvoi de l’affaire à l’Agence, alors que le différend entre les parties perdure depuis 2007 et qu’il met directement en cause le niveau de rémunération des demandeurs, et les avantages sociaux qui en découlent, rétroactivement au mois de juin 2001, serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Qu’est-ce qui empêcherait l’Agence, dans un tel scénario, de commettre la même erreur une troisième fois? La question se pose.

[56]     Je suis tout à fait conscient qu’en matière de classification de postes, l’Agence, et les comités qui ont à se pencher sur des griefs de classification, exercent des fonctions spécialisées et que la déférence est de mise lorsque la Cour est appelée à réviser leurs décisions en cette matière. Je suis aussi conscient que, pour l’Agence, les enjeux financiers sont considérables compte tenu de la période de rétroaction en cause. Toutefois, ces enjeux sont tout aussi considérables pour les demandeurs.

[57]     Je suis donc d’avis qu’il y a lieu ici, compte tenu du contexte particulier de la présente affaire, d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à faire exception à la règle voulant que la Cour se garde de dicter l’issue d’une affaire. Faire perdurer ce différend encore davantage ne m’apparaît pas, dans ce contexte, servir les intérêts de la justice.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      La décision de dernier palier de grief, rendue en date du 7 juillet 2015 par le Vice-président, Ressources Humaines, de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, est annulée;

3.      La Cour enjoint le Vice-président, Ressources Humaines, de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, de reconnaître la classification du poste de Spécialiste des programmes du Centre opérationnel, médecine vétérinaire réglementaire, au niveau VM-04;

4.      Le tout, avec dépens en faveur des demandeurs

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1431-15

INTITULÉ :

CHRISTIANE ALLARD, MARIE-ANDRÉE FREDETTE, HÉLÈNE GAGNON, EL MEHDI HADDOU, ALAIN LAJOIE, SONJA LAURENDEAU, JULIE NAGEL, DANIEL PERRON, FRANCE PROVOST, MARIE-CLAUDE SIMARD, HÉLÈNE SOUCY ET GENEVIÈVE TOUPIN c AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 mai 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 4 novembre 2016

COMPARUTIONS :

Me Lise Leduc

 

Pour les demandeurs

Me Zorica Guzina

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goldblatt Partners LLP

Avocat(e)s

Ottawa (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

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