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Date : 20161110


Dossier : T-664-16

Référence : 2016 CF 1254

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

KARA JOHNSON

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire relativement à une décision rendue le 15 décembre 2015 d’un membre de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada [la division d’appel], qui a rejeté une demande d’autorisation d’interjeter appel d’une décision rendue le 10 août 2015 par la division générale – Section de la sécurité du revenu du Tribunal de la sécurité sociale [la division générale], dans laquelle elle refusait d’accorder les prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 [RPC]. La demanderesse cherche à obtenir une ordonnance l’autorisant à interjeter appel devant la division d’appel.

[2]               Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, cette demande est rejetée, car la décision de la division d’appel, qui a refusé d’accorder une autorisation d’interjeter appel au motif que l’appel de la demanderesse n’aurait pas une chance raisonnable de succès, appartient à une gamme d’issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

II.                Contexte factuel

[3]               La demanderesse, Kara Johnson, a travaillé pour la dernière fois comme serveuse dans un restaurant, de mars 1998 jusqu’au 7 février 2006, et n’a pas travaillé depuis. Elle avait travaillé auparavant comme serveuse et préposée de marina dans une entreprise familiale de 1985 à 1995.

[4]               Mme Johnson a cessé de travailler après avoir été impliquée dans un accident d’automobile survenu le 8 février 2006 au cours duquel son véhicule a été heurté à l’arrière par une camionnette roulant à 80-90 kilomètres par heure. Lors de l’accident, Mme Johnson a subi des blessures à la tête, à la figure, à la mâchoire et au pied qui nécessitaient plusieurs chirurgies. Elle présente comme éléments de preuve ses symptômes depuis l’accident, notamment des maux de tête, des douleurs et un engourdissement du dos et des jambes, une douleur au pied gauche, des pertes de mémoire à court terme, de la confusion et de la désorientation à certains moments et de la dépression. Elle prend des analgésiques pour passer ses journées et l’aider à dormir.

[5]               Mme Johnson affirme qu’elle est invalide et incapable de poursuivre régulièrement toute occupation réellement rémunératrice à temps plein, à temps partiel ou de façon saisonnière. Elle prétend que son invalidité persiste et est d’une durée indéterminée. Mme Johnson a présenté une demande de prestations d’invalidité au titre du Régime de pension du Canada (RPC) le 27 février 2012. Sa demande a été rejetée initialement et après la présentation d’une demande de réexamen. La demanderesse a ensuite fait appel de la décision de réexamen auprès du Bureau du commissaire des tribunaux de révision, et l’appel a été transféré à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale conformément à l’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19.

[6]               Le 10 août 2015, la division générale a rendu sa décision, rejetant l’appel. La division générale a souligné que, pour recevoir des prestations d’invalidité au titre du RPC, Mme Johnson devait établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa période minimale d’admissibilité [PMA] ou avant cette date, pour laquelle elle a versé des cotisations au RPC. Les parties ont convenu, et la division générale a conclu, que la date marquant la fin de la PMA pour Mme Johnson était le 31 décembre 2007. Ayant noté qu’une personne est réputée avoir une invalidité grave si elle est incapable de poursuivre régulièrement toute occupation véritablement rémunératrice, la division générale a conclu que Mme Johnson n’avait pas établi une telle incapacité avant la date marquant la fin de la PMA, soit le 31 décembre 2007, et de façon continue par la suite.

[7]               Mme Johnson a demandé une autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale devant la division d’appel, sur le fondement des moyens d’appel prévus à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 [la Loi], en alléguant que la division générale a commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose.

[8]               Le 15 décembre 2015, la division d’appel a rendu sa décision rejetant la demande d’autorisation d’interjeter appel de Mme Johnson, car elle a jugé que la division n’a pas commis une erreur comme l’alléguait Mme Johnson et, par conséquent, elle ne pouvait conclure que cet appel avait une chance raisonnable de succès.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[9]               Mme Johnson soutient que la question à trancher dans cette demande est de savoir si une autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale devrait lui être accordée. Le défendeur soulève deux questions :

A.                Devrait-on radier certaines parties de l’affidavit de la demanderesse déposé dans cette demande de contrôle judiciaire?

B.                 La décision de la division d’appel de rejeter la demande d’autorisation d’interjeter appel de la demanderesse était-elle raisonnable?

[10]           La formulation de la deuxième question par le défendeur repose sur sa position selon laquelle, en examinant une décision relative à une autorisation d’interjeter appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir la décision Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, aux paragraphes 17 à 23; Canada (Procureur général) c. Hoffman, 2015 CF 1348, aux paragraphes 26 et 27). Mme Johnson n’a fait aucune observation sur la norme de contrôle. Je conviens que la jurisprudence citée par le défendeur appuie la conclusion selon laquelle la norme applicable est celle de la décision raisonnable, et telle est ma conclusion. Le rôle de la Cour consiste à décider si la décision de la division d’appel appartient à une gamme d’issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 à 49).

[11]           J’adopte par conséquent la formulation du défendeur des questions à trancher par la Cour dans cette demande.

IV.             Analyse

A.                Devrait-on radier certaines parties de l’affidavit de la demanderesse déposé dans cette demande de contrôle judiciaire?

[12]           Le défendeur prétend que certaines parties de l’affidavit de Mme Johnson, en particulier les paragraphes 7, 11 et 12 et 16 à 18, devraient être radiées du fait qu’elles contiennent des opinions et des arguments. Le défendeur s’appuie sur le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 47, au paragraphe 18, pour la position selon laquelle un affidavit doit se limiter aux faits et ne devrait pas contenir des opinions ou des arguments.

[13]           Mme Johnson convient que les paragraphes 7 et 11 représentent des opinions, tout en affirmant que les paragraphes 12 et 16 à 18 de son affidavit représentent une combinaison de faits et d’opinions, et elle laisse à la Cour le soin de traiter l’affidavit correctement.

[14]           Comme le souligne le défendeur, les paragraphes contestés de l’affidavit, ou du moins leur contenu, sont reproduits dans le mémoire des faits et du droit de Mme Johnson déposé dans ce contrôle judiciaire. En conséquence, même si les paragraphes contestés contiennent certains éléments qui ne conviennent pas à un affidavit, les arguments qu’ils contiennent sont présentés correctement à la Cour au moyen des observations écrites de Mme Johnson. En m’appuyant sur la décision Zurita Vallejos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 289, aux paragraphes 16 et 17, je n’accorde aucun poids aux paragraphes 7, 11ou 12 ni à la dernière phrase des paragraphes 16 et 18 (je conclus qu’ils représentent tous des arguments ou des expressions d’opinions). Cependant, compte tenu de la reprise de ces arguments dans les observations écrites de Mme Johnson, ma décision sur cette question ne porte aucunement atteinte à la capacité de Mme Johnson d’avancer ses arguments intégralement dans le présent contrôle judiciaire.

B.                 La décision de la division d’appel de rejeter la demande d’autorisation d’interjeter appel de la demanderesse était-elle raisonnable?

[15]           Mme Johnson a expliqué que son principal argument dans la contestation de la décision de la division d’appel est que la division générale et la division d’appel ont toutes deux commis une erreur en concluant que sa blessure au dos ne résultait pas de l’accident d’automobile. Elle prétend qu’elle n’avait pas de problèmes de dos avant l’accident et que ce n’est qu’avec sa participation à un programme de conditionnement au travail après l’accident qu’elle a commencé à ressentir des douleurs au dos. Son programme de conditionnement au travail a commencé en juillet 2008, et en septembre 2008, soit environ huit mois après la date marquant la fin de la PMA, elle a commencé à ressentir des douleurs au dos. Elle souligne aussi que le dossier comprend les résultats d’un tomodensitogramme du 3 septembre 2010 qui indique un bombement proéminent ou hernie discale au niveau L4–L5. Mme Johnson soutient que sa blessure au dos semble avoir été causée par l’accident et que si elle avait commencé le programme de conditionnement au travail plus tôt, elle aurait découvert la blessure avant la date marquant la fin de la PMA.

[16]           La décision de la division d’appel démontre qu’elle a tenu compte de cet argument. Toutefois, elle souligne que, selon le témoignage même de Mme Johnson, elle ne souffrait pas de maux de dos à la date marquant la fin de la PMA ou avant cette date. La division d’appel a aussi tenu compte des résultats du tomodensitogramme et a conclu que la division générale n’avait pas contesté ces résultats. La division d’appel a plutôt conclu que ces résultats étaient arrivés beaucoup trop tard après la date marquant la fin de la PMA pour établir que Mme Johnson avait une invalidité qui était grave et prolongée à la date marquant la fin de la PMA ou avant cette date. La division d’appel a par conséquent conclu que la division générale n’avait pas commis d’erreur sur cet aspect de sa décision.

[17]           Comme il a été indiqué plus haut, la Cour doit établir si la décision de la division d’appel était raisonnable, en décidant si Mme Johnson avait une chance raisonnable de succès en faisant valoir, en vertu de l’alinéa 58(1)c) de la Loi, que la division générale a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. La décision de la division d’appel démontre qu’elle a tenu compte de l’argument de Mme Johnson, tout en concluant qu’une telle erreur n’avait pas été commise par la division générale. Je suis d’accord avec le point de vue du défendeur selon lequel Mme Johnson demandait à la division d’appel de réévaluer les éléments de preuve liés à sa blessure au dos et qu’elle demande encore à la Cour de réévaluer ces éléments de preuve dans le présent contrôle judiciaire. Or, ce n’est pas le rôle de la division d’appel ni celui de la Cour. Je conclus que l’analyse de la division d’appel appartient à la gamme d’issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et qu’elle est donc raisonnable.

[18]            En faisant référence au prochain argument concernant un point d’importance mineure, Mme Johnson soutient également que la division d’appel aurait dû reconnaître l’erreur commise par la division générale en concluant qu’il y avait des incohérences dans ses réponses à un questionnaire qu’elle a soumis à l’appui de sa demande ainsi que dans ses réponses à l’audience devant la division générale. Cet argument repose sur la partie suivante du paragraphe 10 de la décision de la division générale :

[traduction]
[10] … Elle a indiqué dans le Questionnaire relatif aux prestations d’invalidité (le Questionnaire) daté du 22 février 2012 que les incapacités qui l’empêchaient de travailler sont une discopathie dégénérative, une maladie des facettes articulaires, des douleurs chroniques dans le dos, des maux de tête et une douleur à la mâchoire. Lors de son témoignage, elle a déclaré que les principales raisons pour lesquelles elle n’a pas pu travailler depuis le 8 février 2006 sont une lombalgie et des difficultés cognitives.

[19]           Mme Johnson soutient que ses réponses, dans le Questionnaire et à l’audience, n’étaient pas incohérentes. Elle se réfère à ses éléments de preuve démontrant qu’elle a souffert de « multiples blessures à la tête » et prétend que la division d’appel a commis une erreur en concluant que l’omission de la division d’appel de cet élément du paragraphe ci-dessus n’était pas importante. Mme Johnson soutient que cette omission est importante, car la crédibilité est essentielle dans les causes portant sur les prestations d’invalidité, et les incohérences dans les éléments de preuve de la demanderesse soulèvent des préoccupations quant à la crédibilité.

[20]           En examinant cet argument présenté par Mme Johnson dans sa demande d’autorisation d’interjeter appel, la division d’appel a indiqué que la division générale faisait référence aux maux de tête mentionnés au paragraphe 10 de la décision et qu’elle n’était pas convaincue que l’omission d’une référence spécifique aux « multiples blessures à la tête » était une omission suffisamment importante pour invoquer l’application de l’alinéa 58(1)c) de la Loi. La division d’appel a aussi exprimé son opinion selon laquelle le paragraphe 10 n’était qu’une récitation des troubles que Mme Johnson a déclarés ou mentionnés dans son témoignage comme l’empêchant de travailler. Elle a conclu qu’il n’y avait pas d’incohérence.

[21]           Je souligne que le paragraphe 10 de la décision de la division générale ne qualifie pas d’incohérent le Questionnaire ou le témoignage de Mme Johnson. On ne peut pas en tirer non plus une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Je considère que la division d’appel est parvenue à une conclusion raisonnable en interprétant que ce paragraphe récitait simplement la liste des troubles cernés par Mme Johnson dans son questionnaire et dans son témoignage. Je conclus aussi que la division d’appel a conclu à juste titre que l’omission de « multiples blessures à la tête » de la liste dressée au paragraphe 10 n’est pas importante, compte tenu de la référence aux maux de tête par la division générale. À la lecture du dossier, je ne trouve aucun soutien à l’argument de Mme Johnson selon lequel la division d’appel a fait fi d’une conclusion négative et erronée quant à la crédibilité tirée par la division générale.

[22]           Enfin, Mme Johnson souligne que la décision de la division générale était basée en partie sur une conclusion relative au caractère conservateur de son traitement. Elle soutient que le traitement qu’elle subissait avait été prescrit par sa compagnie d’assurance, ses médecins et d’autres conseillers désignés par l’assureur. Elle fait valoir que son traitement était approfondi, qu’elle l’avait bien suivi et que c’était par conséquent une erreur de conclure sur cette base qu’elle n’avait pas une invalidité grave.

[23]           Une fois encore, je dois souscrire à la position du défendeur selon laquelle, en avançant cet argument, Mme Johnson demande que les éléments de preuve dont dispose la division générale soient réévalués. Dans son mémoire des faits et du droit, ses observations sur cet argument se concentrent en particulier sur l’allégation de la division générale quant à l’absence de traitement comme une thérapie cognitivo-comportementale. Elle prétend avoir reçu un traitement pour ses problèmes cognitifs auprès du gestionnaire de cas désigné par son assureur et que la division générale a commis une erreur en omettant de reconnaître un tel traitement.

[24]           La division d’appel a examiné cet argument et a noté en particulier l’évaluation psychiatrique de Mme Johnson et les rapports de son ergothérapeute. La division d’appel n’était pas convaincue que la division générale avait commis une erreur quand elle a conclu que Mme Johnson n’avait pas participé aux séances de thérapie cognitivo-comportementale, et n’était donc pas convaincue que ce moyen d’appel avait des chances raisonnables de succès.

[25]           Le défendeur soutient que cette thérapie comportementale est une forme particulière de traitement et que, malgré les références dans le dossier concernant la discussion des stratégies cognitives entre Mme Johnson et son ergothérapeute, il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que la division générale n’avait pas commis d’erreur en déclarant qu’elle n’avait pas entrepris une thérapie cognitivo-comportementale. Mme Johnson n’a pas présenté d’éléments de preuve décrivant en quoi consiste la thérapie cognitivo-comportementale. Le dossier devant la Cour n’appuie pas la conclusion selon laquelle la division d’appel a rendu une décision déraisonnable n’appartenant pas à la gamme d’issues possibles et acceptables lorsqu’elle a conclu que ce moyen d’appel n’avait pas de chances raisonnables de succès.

[26]           Ayant conclu que la division d’appel n’a commis aucune erreur susceptible de révision, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a demandé des dépens et aucuns dépens ne sont accordés.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-664-16

INTITULÉ :

KARA JOHNSON c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Windsor (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 OCTOBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 10 NOVEMBRE 2016

COMPARUTIONS:

Patrick Castagna

POUR LA DEMANDERESSE

Christine Singh

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patrick Castagna

Castagna Law Professional Corporation

Windsor (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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