Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20161108


Dossier : IMM-2233-16

Référence : 2016 CF 1247

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

DIENEBA KOITA alias ALIMA DIAWARA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 mai 2016 par la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rejetant l’appel de la demanderesse et confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle elle n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi].

[2]               La demanderesse, qui est d’origine malienne, a quitté son pays d’origine pour trouver refuge au Canada en date du 22 mars 2015. Le 4 juin 2015, celle-ci a fait une demande d’asile au motif que sa vie serait en danger si elle était forcée à retourner au Mali. En effet, la demanderesse, qui a été mariée de force à l’âge de 15 ans, craint que son père ne la tue pour avoir quitté son mari. Ni la SPR, ni la SAR n’ont cru à son récit ou à l’existence d’une crainte subjective de persécution de sa part.

[3]               Il n’est pas nécessaire de revenir sur les motifs détaillés de refus de la SPR, sinon pour souligner les éléments importants suivants. D’abord, la SPR a soulevé que tout au long de son témoignage, la demanderesse a donné des réponses évasives, notamment sur le motif qui l’a poussé à s’enfuir de son domicile conjugal en juin 2013. La commissaire a également conclu que, par moments, le témoignage de la demanderesse était vague, imprécis et manquait de profondeur. À titre d’exemple, la SPR est revenue sur le fait que la demanderesse se soit trompée à plusieurs reprises lors de son témoignage au sujet de l’adresse où elle avait vécu avec son mari, et ce même après que la commissaire lui ait indiqué ses erreurs. Les contradictions de la demanderesse étaient d’autant plus surprenantes que l’adresse de son domicile conjugal était inscrite sur sa carte d’identité produite au dossier de la Cour. Il est devenu clair pour la commissaire que la demanderesse avait tendance à ajuster son témoignage dépendamment des circonstances et des questions auxquelles elle était confrontée. Ensuite, la commissaire n’a pas été convaincue du bien-fondé des démarches de la demanderesse pour quitter le Mali, ou même que celle-ci avait une crainte subjective d’être persécutée par son père. En effet, la commissaire s’explique mal pourquoi la demanderesse, qui disait craindre pour sa vie, a volontairement décidé de retourner vivre à Bamako, la ville même où son père demeurait, pour suivre un stage de huit mois. Lorsque questionnée sur ce qui était plus important pour elle entre sauver sa vie et apprendre, la demanderesse n’a pas su donner une réponse claire et cohérente. Enfin, la commissaire a jugé que les témoignages de sa mère, de son ami de même que les lettres de ces médecins n’étaient pas suffisants pour pallier aux doutes importants soulevés quant à la crédibilité de la demanderesse. Bien que la SPR ne remette pas en question que la demanderesse ait fait l’objet d’incidents très troublants de la part de son père et de son mari, le témoignage général de celle-ci de même que l’ensemble de ses preuves n’ont pas été jugés suffisamment crédibles pour lui octroyer le statut de réfugié.

[4]               Après avoir pris connaissance du dossier et écouté l’enregistrement de l’audience, le commissaire de la SAR a essentiellement confirmé l’ensemble des conclusions de la SPR quant au manque de crédibilité de la demanderesse et à la faible valeur probante de son témoignage. De surcroît, le commissaire a relevé une contradiction supplémentaire dans le témoignage de la demanderesse. Lors de l’audience devant la SPR, la demanderesse a déclaré avoir quitté le domicile conjugal en juin 2013 à la suite de plusieurs années d’abus physiques et psychologiques de la part de son mari, après quoi elle n’a plus jamais eu de nouvelles de celui-ci. Or, en se fiant aux informations contenues sur sa carte nationale d’identité réémise le 1er septembre 2014, celle-ci serait demeurée au domicile conjugal. Le commissaire a alors considéré cette contradiction comme étant majeure et suffisante pour rejeter la demande d’asile dans son ensemble. Bien qu’étant sensible aux difficultés de la demanderesse à témoigner sur son passé de violence conjugale, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel de la demanderesse.

[5]               À la lumière de la preuve et des représentations des parties, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SAR en appel est sans fondement et doit être rejetée, la demanderesse ne m’ayant pas convaincu en l’espèce que la décision sous étude est déraisonnable ou que la SAR a autrement violé un principe d’équité procédurale.

[6]               Rappelons d’abord les prétentions de la demanderesse en ce qui concerne l’équité procédurale. Celle-ci conteste le fait que le commissaire du SAR ait soulevé un nouveau motif attaquant sa crédibilité, et ce, sans qu’elle n’ait eu l’opportunité d’y répondre. Dans la mesure où la contradiction concernant l’enregistrement de sa carte d’identité n’avait pas été formellement retenue par la SPR, le commissaire de la SAR a contrevenu aux principes d’équité procédurale en l’invoquant comme motif supplémentaire pour rejeter son appel. Pour ma part, je suis d’avis que cet argument est sans fondement.

[7]               Selon la jurisprudence, seule une question nouvelle peut enfreindre l’équité procédurale, soit « une question qui constitue un nouveau fondement sur lequel un décideur peut s’appuyer pour conclure au caractère erroné ou valide de la décision frappée d’appel » (Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178, [2016] FCJ no 182 au para 30 [Sary], citant Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600, [2016] ACF no 619 au para 25 [Kwakwa]). En l’espèce, l’endroit et le moment où la demanderesse résidait avec son époux et celui après qu’elle ait quitté le domicile conjugal étaient au cœur des préoccupations de la SPR. Dans la décision sous étude, le commissaire fait référence au rapport de la Direction des recherches du cartable national de documentation sur le Mali, un document qui fait partie du dossier de la Cour au même titre que tout document qui peut renseigner le décideur administratif sur la situation au Mali. Il n’est pas question ici de nouvel argument ni de l’examen de preuve extrinsèque. Par conséquent, le commissaire ne fait pas référence à une « nouvelle question » lorsqu’il souligne la contradiction dans le témoignage de la demanderesse par rapport au processus d’enregistrement des cartes d’identité propre au Mali. Le commissaire de la SAR n’avait donc aucune obligation de confronter la demanderesse sur ce sujet. Ce faisant, je suis d’avis que l’équité procédurale a été respectée par le commissaire de la SAR.

[8]               Ensuite, au niveau de la raisonnabilité de la décision de la SAR, la demanderesse soulève essentiellement les mêmes arguments qu’en appel de la décision de la SPR. En premier lieu, la demanderesse impute l’ensemble de ses contradictions à sa nervosité. Elle soutient qu’en Afrique, les adresses n’ont pas de réelle importance, au point tel que, dans certaines villes, il n’y en a aucune. Les erreurs dans son témoignage sont tout au plus mineures et ne sont que le fruit de sa nervosité. Par conséquent, il était déraisonnable pour la SPR et la SAR d’y accorder tant d’importance et d’y voir un manque de crédibilité de sa part.

[9]               En second lieu, la demanderesse conteste les inférences négatives tirées par la SPR et la SAR sur sa crainte subjective ou sur son comportement par le simple fait qu’il lui ait fallu plusieurs années pour sortir du Mali. Sur ce point, la demanderesse rappelle qu’après avoir quitté le domicile conjugal, elle a tenté à maintes reprises d’obtenir un visa pour aller vivre en France. Malheureusement, toutes ses demandes de visa lui ont été refusées, expliquant pourquoi elle est demeurée au Mali pendant plusieurs années. Ce n’est qu’en rencontrant une femme d’origine nigérienne à la fin de son stage à Bamako qu’elle a pu obtenir un faux passeport et un visa pour venir au Canada. Par conséquent, la SPR et la SAR ont erré en considérant qu’elle repoussait volontairement ses tentatives pour sortir du Mali afin de pouvoir compléter son stage. Bien que la demanderesse valorise grandement l’expérience acquise durant son stage, cela ne change rien au fait qu’elle n’a jamais cessé de chercher un moyen de fuir son père.

[10]           Finalement, pour répondre à la nouvelle contradiction soulevée par le commissaire, la demanderesse explique que lors du renouvellement de sa carte d’identité en date du 1er septembre 2014, elle n’a fait que remettre son ancienne carte qui indiquait son ancienne adresse où elle vivait jadis avec son époux. Par conséquent, il était déraisonnable de la part du SAR de conclure à nouvelle forme de contradiction de sa part.

[11]           Pour l’ensemble des arguments susmentionnés, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir.

[12]           Premièrement, lors de l’audience devant la SPR, la commissaire a cherché à rendre la situation plus confortable et elle s’est montrée rassurante envers la demanderesse dont la nervosité était apparente. Malgré tout, la demanderesse s’est contredite plusieurs fois dans son témoignage. Après avoir écouté la bande audio de l’audience, le commissaire du SAR n’a jamais perçu que la demanderesse avait eu de la difficulté à rendre son témoignage en raison de sa nervosité ou de ses émotions. Celui-ci a dénoté les mêmes contradictions que la SPR et en est venu aux mêmes conclusions quant au manque de crédibilité de la demanderesse. Or, cette Cour a reconnu que même si certains éléments relevés par la SPR ou la SAR peuvent être insuffisants lorsque pris individuellement ou isolément, l’accumulation de contradictions, d’incohérences internes ou d’omissions en lien avec des éléments cruciaux du récit d’un demandeur d’asile peut sous-tendre une conclusion négative quant à sa crédibilité (Sary au para 20). À la lumière du témoignage de la demanderesse qui est pour le moins nébuleux sur plusieurs aspects de son passé, la SAR pouvait donc raisonnablement confirmer les conclusions de la SPR quant à son manque de crédibilité.

[13]           Deuxièmement, les conclusions de la SAR, quant à l’évaluation de la preuve et des faits en l’espèce, m’apparaissent à tous égards transparentes et intelligibles. Il ne faut pas oublier que la demanderesse, qui était alors en sécurité chez l’une de ses amies à Koulikoro, a volontairement choisi de revenir à Bamako où habitait son père, l’homme même qui en voulait à sa vie. La preuve et son témoignage tendent donc à démontrer qu’elle a donné préséance à son stage de huit mois plutôt qu’à sa sécurité. Cette Cour a reconnu que l’absence d’explication convaincante ou raisonnable expliquant pourquoi le demandeur a tardé pour quitter le pays peut affecter négativement la crédibilité de sa demande d’asile (Rivera c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1292, [2003] FCJ no 1634 aux paras 29 et 30). Dans le présent dossier, la demanderesse se contente de fournir les mêmes raisons que celles présentées devant le SAR pour expliquer pourquoi elle n’a pas pu quitter le pays avant la fin de son stage. Or, ces explications ont déjà été rejetées par le commissaire de la SAR et la demanderesse ne m’a pas convaincu que ses conclusions étaient entachées de quelconque erreur révisable.

[14]           Je ne vois pas non plus de motif qui me permet de remettre en question le raisonnement du commissaire du SAR concernant les contradictions de la demanderesse quant au renouvellement de sa carte d’identité. La demanderesse soutient que le renouvellement de sa carte se fait simplement à partir de son ancienne carte d’identité, alors que la preuve au dossier illustre clairement qu’il lui fallait se présenter au commissariat de sa commune et présenter un relevé de l’adresse complète. En bref, la demanderesse n’a soulevé aucune erreur révisable susceptible d’entacher la raisonnabilité de la décision rendue par le commissaire de la SAR. Pour l’essentiel, la demanderesse exprime plutôt son désaccord avec l’évaluation de la preuve faite par le décideur. Or, les conclusions de la SAR sont intelligibles, transparentes et appartiennent aux issues acceptables compte tenu de la preuve au dossier et du droit applicable.

[15]           La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question d’importance générale ne se soulève en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2233-16

 

INTITULÉ :

DIENEBA KOITA alias ALIMA DIAWARA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Luciano Mascaro

 

Pour lA DEMANDERESSE

Me Guillaume Bigaouette

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arpin, Mascara et Associés

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.