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Date : 20160513


Dossier : IMM-4146-15

Référence : 2016 CF 536

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2016

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KAMRAN ASADI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, à l’encontre d’une décision rendue par un agent des visas (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) qui a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) [TQF].

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Iran. En 2010, il a présenté une demande de résidence permanente dans le cadre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Il a demandé à être rattaché au code de groupe 3111 de la Classification nationale des professions (CNP) : « Médecins spécialistes ». La demande a d’abord été rejetée, en partie, parce que le demandeur ne détenait qu’un baccalauréat. La demande a été rouverte et les formulaires mis à jour ont été soumis le 18 avril 2015. Le demandeur a indiqué que son niveau d’études le plus élevé était un [traduction] « doctorat – Ph. D. ». Il a soumis des documents de l’Université Shiraz confirmant ses diplômes. Le demandeur a également fourni à CIC un rapport d’évaluation publié par le Conseil médical du Canada. Le rapport d’évaluation a confirmé que l’équivalent canadien du diplôme médical du demandeur est un doctorat en médecine.

[3]               Le 22 mai 2015, le demandeur a été informé que les documents qu’il avait obtenus de l’Université de Shiraz et soumis étaient mal traduits du dari à l’anglais. Les documents traduits indiquent que le demandeur a terminé un [traduction] « programme d’études de doctorat professionnel (Ph. D.) » et a passé des examens à l’issue de [traduction] « cours de maîtrise spécialisés ». Cependant, une personne du bureau de CIC à Ankara qui parlait le dari a fait remarquer que les mots « Ph. D. » et « maîtrise » ne figuraient pas dans les documents originaux en langue dari. L’agent a dit au demandeur que des termes avaient été rajoutés aux documents traduits dans l’espoir qu’il reçoive des points supplémentaires au chapitre de l’éducation. L’agent a accepté le fait que le demandeur était un médecin, mais pas qu’il possédait un doctorat.

[4]               Le demandeur a eu la possibilité de répondre à cette lettre. Il n’a pas répondu à la lettre.

[5]               Dans une lettre de décision datée du 10 août 2015, l’agent a informé le demandeur que sa demande avait été rejetée. L’agent a conclu qu’il manquait deux points au demandeur pour atteindre le nombre minimal de points requis (67)

[6]               Le demandeur a demandé une substitution de l’appréciation en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), qui confère à un agent des visas le pouvoir discrétionnaire de substituer son appréciation aux critères quant à la question de savoir si un demandeur est apte à réussir son établissement économique au Canada. Le paragraphe 76(3) énonce ce qui suit :

76 (3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

76 (3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

[7]               L’agent a rejeté la demande de substitution de l’appréciation faite par le demandeur. Les notes du Système mondial de gestion des cas révèlent que l’agent avait les préoccupations suivantes : [traduction]

Je note qu’en cours de traitement, le demandeur a fourni les résultats d’un test IELTS (International English Language Testing System) de 2011 pour lequel il a reçu un total de 12 points. Le candidat aurait pu augmenter son score en cherchant simplement à améliorer son anglais, en repassant le test IELTS et en présentant un meilleur résultat. L’amélioration de l’un de ses scores aurait pu permettre au candidat d’obtenir plus de 67 points. Le fait que le demandeur a choisi de ne pas retenir cette façon apparemment simple d’être admissible à la résidence permanente suscite chez moi des préoccupations quant à son degré d’engagement à effectivement vivre et travailler au Canada.

[...]

Si le demandeur a sciemment permis que des traductions inexactes soient fournies, cela soulève des préoccupations quant à son niveau d’intégrité. Je suis également préoccupé par l’absence de réponse à ma lettre du 22 mai 2015. J’ai délibérément accordé plus de temps pour la soumission d’une réponse, et ce, afin que le demandeur ait une chance équitable de rassembler des renseignements. Le fait qu’il n’a pas répondu suggère qu’il aurait pu être au courant que des mots, qui ne figuraient pas dans le document original, avaient été rajoutés à la traduction anglaise.

[8]               L’agent a conclu que les points attribués reflétaient fidèlement la capacité du demandeur à s’établir sur le plan économique au Canada, et qu’une appréciation de substitution n’était pas justifiée.

[9]               La question déterminante consiste à savoir si l’agent a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une substitution de l’appréciation. Une substitution de l’appréciation est une décision discrétionnaire réservée aux circonstances qui « ne s’applique[nt] qu’exceptionnellement » : Mina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1182, au paragraphe 22; Requidan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 237, au paragraphe 29. Une cour de révision ne réexaminera pas les facteurs sur lesquels l’agent des visas s’est fondé : Budhooram c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 18, au paragraphe 14.

[10]           L’avertissement suivant de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 RCS 2, pages 7 et 8, est instructif relativement à l’examen de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas :

C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[11]           Ce principe a été énoncé dans le contexte des décisions discrétionnaires des agents des visas dans les affaires Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 312, au paragraphe 12, et Rudder c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 689, aux paragraphes 27 et 28. Il a été énoncé dans le contexte particulier de l’examen des décisions de substitution d’appréciation dans les affaires Synyshyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1318, au paragraphe 13, et Koromila c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 393, aux paragraphes 31 et 32.

[12]           En l’espèce, l’agent a remis en question l’« intégrité » du demandeur. L’agent a estimé que le demandeur n’avait pas répondu à la lettre relative à l’équité procédurale du 22 mai 2015 parce qu’il savait que les documents traduits avaient été traduits de façon inexacte. De plus, la décision du demandeur de ne pas repasser le test de l’International English Language Testing System a soulevé des préoccupations quant à son [traduction] « degré d’engagement à effectivement vivre et travailler au Canada ».

[13]           Ces considérations, qui se rapportent au caractère du demandeur, à son engagement et à ses motifs de sa demande d’immigration, dépassent la portée de la question qui consiste à savoir si le demandeur en mesure ou non de réussir son établissement économique au Canada. L’expression « intégrité » ne figure nulle part dans les exigences de l’article 76 du Règlement sur l’appartenance à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Si la compétence dans les langues officielles du Canada est un critère, le Règlement ne parle pas du « niveau d’engagement » d’un demandeur à vivre et à travailler au Canada.

[14]           Les critères à prendre en considération sont ceux énumérés à l’article 76 : études, compétences linguistiques, expérience de travail, âge, exercice d’un emploi réservé, capacité d’adaptation et fonds suffisants. En l’espèce, l’agent s’est fondé sur des facteurs qui sont étrangers à l’objet de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et des dispositions régissant la substitution d’appréciation.

[15]           Le refus d’une substitution de l’appréciation sur la base de l’« intégrité » et de l’« engagement » du demandeur, alors même que ces critères sont absents des exigences réglementaires, était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4146-15

INTITULÉ :

KAMRAN ASADI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 avril 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 13 mai 2016

COMPARUTIONS :

Winnie Lee

Pour le demandeur

Michael Butterfield

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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