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Date : 20161027


Dossier : T-1379-13

T-1468-13

T-1368-14

Référence : 2016 CF 1192

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Fothergill

Dossier : T-1379-13

ENTRE :

BAYER INC. et BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT

demanderesses

défenderesses reconventionnelles

et

COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY

défenderesse

demanderesse reconventionnelle

Dossiers : T-1468-13

T-1368-14

ET ENTRE :

BAYER INC. et BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT

demanderesses

défenderesses reconventionnelles

et

APOTEX INC.

défenderesse

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le 7 septembre 2016, la Cour a conclu que le brevet canadien no 2 382 426 [le brevet 426], qui appartient à la demanderesse Bayer Pharma Aktiengesellschaft et dont la demanderesse Bayer Inc. [collectivement Bayer] détient une licence, était valide et avait été contrefait par les défenderesses Apotex Inc. [Apotex] et Cobalt Pharmaceuticals Company [Cobalt] (Bayer Inc. c. Apotex Inc., 2016 CF 1013). Les parties se sont vu accorder la possibilité de présenter des observations écrites concernant le droit de Bayer de choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices. Les parties ont déposé leurs observations, le 7 octobre 2016, et leurs observations complémentaires, le 17 octobre 2016. Cobalt s’appuie pour l’essentiel sur les observations d’Apotex.

[2]  Bayer dit qu’elle a le droit de choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices une fois les interrogatoires préalables terminés. Apotex soutient que c’est elle, et non Bayer, qui devrait avoir le droit de choisir, et que Bayer devrait se contenter de la restitution des bénéfices. Cette nouvelle approche repose sur le fait qu’Apotex s’est déjà conformée aux exigences du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [Règlement sur les AC] et sur la conclusion du juge Hughes que les produits d’Apotex ne contrefaisaient pas le brevet 426 (Bayer Inc. c. Apotex Inc., 2014 CF 436). À titre subsidiaire, Apotex fait valoir que Bayer devrait être tenue de faire son choix rapidement après les interrogatoires préalables.

[3]  Apotex soutient que, en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, la Cour peut autoriser le défendeur n’ayant pas eu gain de cause à choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices pour le compte du demandeur ayant eu gain de cause. Je ne suis pas d’accord.

[4]  Conformément au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, « [q]uiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté [...] du dommage que cette contrefaçon [lui] a fait subir [...] ». Le juge de première instance n’a aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la réparation que constituent les dommages‑intérêts parce que le législateur a prévu que le breveté a droit à des dommages‑intérêts et que seul le législateur peut modifier ce droit (Eli Lilly and Company c. Apotex Inc.), 2014 CF 1254, aux paragraphes 13 et 14.

[5]  Plutôt que des dommages-intérêts, la Cour peut accorder au demandeur ayant eu gain de cause la réparation en equity que constitue la restitution des bénéfices (Beloit Canada Ltée. c. Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 C.F. 497, au paragraphe 97). Elle tient ce pouvoir des articles 4 et 20 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 et du paragraphe 57(1) de la Loi sur les brevets.

[6]  Il est de pratique courante dans les affaires de contrefaçon de brevet de permettre au demandeur de choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices (AlliedSignal Inc c Du Pont Canada Inc, [1995] ACF no 744 (CA), au paragraphe 77). Cependant, cette pratique ne crée pas un droit de faire un choix. L’octroi d’une réparation en equity, comme la restitution des profits, dépend du pouvoir discrétionnaire du tribunal, sous réserve des principes régissant sa disponibilité (Strother c. 3464920 Canada Inc., 2007 CSC 24, au paragraphe 74; Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, au paragraphe 107; Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Co., 2003 CAF 263, au paragraphe 14; Philip Morris Products S.A. c. Marlboro Canada Limitée, 2016 CAF 55, au paragraphe 8).

[7]  Comme la juge Snider l’a expliqué dans Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2008 CF 825, conf. par 2009 CAF 222, au paragraphe 504 [Laboratoires Servier] :

[L]a restitution des bénéfices repose sur la prémisse selon laquelle le défendeur, en raison de son comportement fautif, a reçu de manière irrégulière des bénéfices qui appartiennent au demandeur. L’octroi de cette réparation vise à restituer les bénéfices réalisés à leur propriétaire légitime, soit le demandeur, de façon à éliminer tout enrichissement injuste du défendeur.

[8]  Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Merck & Co., 2006 CAF 323, au paragraphe 127, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’« [u]ne fois que le breveté a réussi à faire la preuve de la contrefaçon, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de lui accorder l’une des réparations prévues » (voir aussi Lilly, au paragraphe 14). Ce n’est pas parce qu’un défendeur a pris un risque commercial et qu’il a obtenu l’autorisation de commercialiser un produit contrefait sous le régime du Règlement sur les AC que le demandeur ayant eu gain de cause sera privé de la possibilité de choisir entre l’octroi de dommages-intérêts et la restitution des bénéfices (voir p. ex., Laboratoires Servier, aux paragraphes 509 et 510, et Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2009 CF 991, aux paragraphes 655 et 663).

[9]  Quoi qu’il en soit, Apotex et Cobalt ne cherchent pas à priver Bayer de la réparation en equity que constitue la restitution des bénéfices. En revanche, les défenderesses cherchent à priver Bayer du droit à des dommages-intérêts que lui confère la Loi.

[10]  Un défendeur n’ayant pas eu gain de cause ne peut invoquer la compétence en equity de la Cour pour se soustraire à une condamnation à des dommages‑intérêts. Ce serait là dénaturer les principes de l’equity et de la souveraineté parlementaire. Tout au plus, le défendeur n’ayant pas eu gain de cause peut s’opposer à l’octroi d’une réparation en equity en se fondant sur des considérations reconnues par la jurisprudence, p. ex., le demandeur n’est pas sans reproche; le demandeur a indûment tardé à intenter la poursuite; le demandeur a indûment tardé à poursuivre l’instance; la complexité d’une restitution des bénéfices, ou encore la conduite du contrefacteur (voir Varco Canada Limited c. Pason Systems Corp., 2013 CF 750, aux paragraphes 403 à 410; Philip Morris Products S.A. c. Marlboro Canada Limited, 2015 CF 364, aux paragraphes 22 à 45, conf. par 2016 CAF 55). Outre qu’Apotex s’est conformée au Règlement sur les AC, les défenderesses ne prétendent pas que ces considérations s’appliquent en l’espèce.

[11]  Étant donné que Bayer a droit à des dommages-intérêts, conformément au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, et que les parties conviennent que la restitution des bénéfices peut aussi être une réparation appropriée, je ne vois aucune raison de refuser à Bayer la possibilité de choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que Bayer puisse, après enquête en bonne et due forme et interrogatoires préalables raisonnables, choisir entre la restitution des bénéfices réalisés par Apotex et Cobalt et les dommages‑intérêts découlant de la contrefaçon du brevet 426 par Apotex et Cobalt.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

T-1379-13, T-1468-13 ET T-1368-14

 

DOSSIER :

T-1379-13

 

INTITULÉ :

BAYER INC. ET BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT c. COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY

 

ET DOSSIERS :

T-1468-13, T-1368-14

 

INTITULÉ :

BAYER INC. ET BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT c. APOTEX INC.

Ordonnance et motifs :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 octobre 2016

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Peter Wilcox

Jason Markwell

 

Pour les demanderesses

 

Douglas Deeth

Pour la défenderesse

COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY

Harry Radomski

Pour la défenderesse

APOTEX INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

Deeth Williams Wall LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

APOTEX INC.

 

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