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Date : 20161024


Dossier : IMM-954-16

Référence : 2016 CF 1184

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

KA HO LAU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Le demandeur, Ka Ho Lau, demande le contrôle judiciaire d’une décision dans laquelle sa demande d’approbation de la réadaptation et d’admission au Canada a été rejetée.

[2]               La présente demande est accueillie pour les motifs qui suivent.

II.                CONTEXTE

[3]               Le demandeur est un citoyen de Hong Kong, de la République populaire de Chine. Il a rencontré Fook Yee Grace Au (Grace) à la fin de 2001 et ils se sont mariés en décembre 2004. Ils ont eu trois enfants ensemble (âgés de 11 ans, 9 ans et 6 mois). La femme et les enfants du demandeur sont des citoyens canadiens.

[4]               M. Ka Ho Lau a 43 ans. Il a des antécédents criminels dont la plupart datent de l’époque où il était jeune. En 1989, à l’âge de quinze ans, il a été reconnu coupable d’une agression dans une cour d’école ayant entraîné des lésions corporelles. Il a donc a été condamné à une amende de 100 $ dollars de Hong Kong (HKD) et à payer une indemnité de 200 $ HKD à la victime. Entre 1993 et 1997, il a été reconnu coupable d’infractions liées au jeu commises à trois reprises. Il a reçu des amendes de 600 HKD, 500 HKD et 1 000 HKD en guise de peine.

[5]               En 1998, il a été impliqué dans une affaire plus grave de chantage d’un directeur de chantier de construction. Cette affaire lui a valu d’être reconnu coupable de deux infractions et d’être condamné à deux peines de deux ans et trois mois à purger simultanément. Il affirme qu’à sa libération en 2000, il était déterminé à changer de style de vie et il a suivi des cours pour améliorer son niveau d’instruction et ses compétences en langue anglaise.

[6]               En octobre 2002, le demandeur a décroché un emploi de technicien dans une entreprise de conditionnement. En septembre 2005, il a été promu directeur du marketing. En mai 2007, il a été promu directeur général. En avril 2006, le demandeur a été reconnu coupable de conduite pendant une interdiction et d’infraction en matière d’assurance contre les dommages causés aux tiers après avoir conduit un véhicule à moteur sur une route. Pour avoir conduit pendant une interdiction, M. Lau a été condamné à une amende de 1 000 HKD, soit environ 170 dollars canadiens au moment de la rédaction des présents motifs et, pour la deuxième infraction, à une amende de 3 000 HKD, soit environ 510 dollars canadiens au moment de la rédaction des présents motifs, et il a été interdit de permis de conduire pendant 12 mois.

[7]               Depuis 2006, le demandeur n’a été inculpé ou déclaré coupable d’aucune autre infraction. Il prétend que grâce à l’influence positive exercée par sa femme et sa famille, il a trouvé un nouveau sens à sa vie et est devenu une meilleure personne. En 2009, le demandeur a créé sa propre entreprise qui fabrique des matériaux d’emballage.

[8]               En juin 2013, la femme du demandeur est retournée au Canada pour s’occuper de son père malade. Le demandeur a fait une demande d’approbation de la réadaptation pour pouvoir retrouver sa famille au Canada. Dans sa demande, M. Ka avait supposé qu’il serait interdit de territoire en raison de ses condamnations au criminel. Le dossier relatif à cette demande n’indique pas clairement qu’une conclusion officielle d’interdiction de territoire a été tirée.

[9]               Le 14 janvier 2016, la demande d’approbation de la réadaptation a été rejetée par une agente du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) en vertu de l’alinéa 36(3)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

III.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[10]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes :

Grande criminalité

Serious criminality

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

Application

Application

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

(3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui, à l’expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

(c) the matters referred to in paragraphs (1)(b) and (c) and (2)(b) and (c) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or foreign national who, after the prescribed period, satisfies the Minister that they have been rehabilitated or who is a member of a prescribed class that is deemed to have been rehabilitated;

IV.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[11]           La décision de refuser la réadaptation a été prise par un gestionnaire adjoint de programmes sur la recommandation d’une agente des visas de la mission à Hong Kong. Cette décision a été notifiée au demandeur dans une lettre datée du 16 janvier 2016. La lettre indiquait également que le demandeur [traduction] « demeurait interdit de territoire au Canada ».

[12]           Les motifs de la décision sont représentés par les notes inscrites dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC). Il y a deux entrées distinctes : la première en date du 8 juillet 2014 et la seconde en date du 14 janvier 2016. La première entrée du 8 juillet 2014 indique que l’affaire a été examinée et que le demandeur cumule les condamnations suivantes : [traduction]

1.                  02/1989 – Agression ayant entraîné des dommages corporels réels, article 39 du chapitre 212 (le demandeur a été accusé alors qu’il avait 15 ans);

2.                  03/1993, 04/1993, 09/1997 – Jeu dans un établissement de jeu, article 6 du chapitre 148;

3.                  04/1999 – Chantage, paragraphe 23(1) du chapitre 210;

4.                   04/2006 – Conduite pendant une interdiction, article 12 du chapitre 375; 04/2006 – Conduite d’un véhicule à moteur sur une route sans assurance contre les dommages causés aux tiers, section 4 du chapitre 272.

[13]           L’entrée du 8 juillet 2014 renvoie donc à l’équivalence des condamnations susmentionnées en vertu du Code criminel du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-46 (Code criminel). L’agente détermine que les infractions équivalentes prévues par le Code criminel sont les suivantes :

1.                  Voies de fait causant des lésions corporelles, alinéa 267b)

2.                  Personne trouvée dans une maison de jeu, alinéa 201(2)a)

3.                  Extorsion, paragraphe 346(1)

4.                  Conduite durant l’interdiction, paragraphe 259(4)

[14]           L’agente a ensuite noté ce qui suit : [traduction]

Le demandeur a déclaré qu’il a grandi dans un foyer brisé et qu’il a longtemps été perdu, mais après avoir été emprisonné pour chantage pendant 2 ans et après avoir rencontré sa femme et avoir eu des enfants, il a changé et est devenu quelqu’un de responsable en subvenant aux besoins de sa famille et en essayant de vivre honnêtement. Ses derniers chefs d’accusation en 2006 étaient dus au fait qu’il avait oublié qu’il venait de perdre tous les points de son permis de conduire et par habitude, il est allé livrer quelque chose pour sa compagnie quand il s’est fait arrêter par la police. Sa femme est citoyenne canadienne et les deux enfants, âgés de 7 et 9 ans, sont canadiens de par leur naissance. Sa femme a déménagé au Canada il y a un an pour s’occuper de son père au Canada qui a des problèmes de foie chroniques. Étant donné que sa femme et ses enfants prévoient s’installer au Canada à long terme, il aimerait pouvoir rejoindre sa famille au Canada. Il ne semble pas que 10 années se soient écoulées depuis sa condamnation antérieure du 07/04/2006 où il a reçu une amende et a été interdit de conduire pendant 12 mois.

[15]           La seconde note inscrite le 14 janvier 2016 indique que le demandeur demande maintenant une réadaptation individuelle. L’agente conclut ce qui suit : [traduction]

Il est marié à une citoyenne canadienne et a deux enfants de citoyenneté canadienne qui vivent au Canada. Dans son argumentation, le demandeur se concentre sur son enfance et il déclare que son milieu familial et la façon dont il a été élevé [...] sont étroitement liés à son comportement et aux délits qu’il a commis. Bien que le demandeur affirme qu’il regrette profondément ce qu’il a fait par le passé, la majorité de ses explications portent sur son enfance, le fait que son père travaillait, le fait que sa belle-mère ne prenait pas soin de lui, le fait qu’il allait d’école en école, et son besoin d’attention et d’amour. Il déclare également qu’il voulait gagner de l’argent et que c’est pour cette raison qu’il a commencé à jouer. Par la suite, un ami l’a convaincu de demander de l’argent à un directeur de chantier de construction et il déclare ce qui suit : [traduction] « Je suppose que le directeur du chantier de construction a informé la police et j’ai été arrêté au début du mois de novembre 1998 et j’ai été accusé de chantage ». S’il a conduit pendant l’interdiction, c’est parce qu’il a uniquement réalisé qu’il était sous le coup d’une interdiction lorsqu’il a été arrêté par la police.

[16]           Les facteurs suivants ont été énumérés en faveur de la réadaptation du demandeur :

         Il semble maintenir une certaine stabilité, tant en ce qui concerne son emploi au sein de l’entreprise de son père que sur le plan familial;

       Il a pris part à des programmes de formation.

[17]           Les facteurs suivants ont été énumérés en défaveur de la réadaptation du demandeur :

       longs antécédents d’infractions;

       multiples infractions et antécédents de récidives;

       remords superficiels;

       forte tendance à rejeter la faute des crimes commis sur les autres et à ne pas assumer sa responsabilité; et

       importance minimisée d’infractions graves telles que l’extorsion.

[18]           L’agente conclut en disant que le demandeur a de longs antécédents d’infractions et de récidives, qu’il manifeste peu ou pas de remords et qu’il n’assume pas la responsabilité de ses crimes.

V.                QUESTIONS EN LITIGE

[19]           Dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le demandeur ne sollicitait l’autorisation que relativement à la décision refusant sa demande d’approbation de la réadaptation. Les questions relatives à l’interdiction de territoire et à l’équivalence au Canada des infractions commises à Hong Kong ont été soulevées dans son mémoire des faits et du droit et dans sa plaidoirie. Après avoir examiné le dossier et l’argumentation des parties, je limiterais la question à trancher à la suivante :

La décision de l’agente selon laquelle le demandeur n’était pas réadapté était‑elle déraisonnable, compte tenu de l’ensemble de la preuve?

VI.             ANALYSE

[20]           Les parties conviennent et la Cour accepte qu’il est bien établi que la norme de contrôle qui s’applique à la décision d’un agent en matière réadaptation est la raisonnabilité : Hadad c. Canada (Citoyenneté, Immigration et Multiculturalisme), 2011 CF 1503, au paragraphe 40.

[21]           Je conviens avec le demandeur que, selon le dossier dont est saisie la Cour, il n’est pas clair qu’une décision formelle d’interdiction ait été prise de façon appropriée – du moins pas avant que la décision faisant l’objet du contrôle n’ait été rendue. Rien n’indique que l’agente a effectué une évaluation approfondie de l’équivalence comme celle décrite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] A.C.F. no 47, à la page 9. Le dossier ne permet pas de conclure, par exemple, si l’agente a considéré que les infractions comparables en vertu du droit de Hong Kong et du droit canadien comportaient des éléments essentiels communs.

[22]           En l’espèce, l’agente a pu supposer qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une évaluation de l’équivalence étant donné que le demandeur semblait avoir présenté sa demande en supposant qu’il serait jugé interdit de territoire. Le défendeur soutient qu’une décision relative à l’interdiction de territoire peut être rendue avant ou après qu’une décision en matière de réadaptation a été rendue. Comme l’a fait remarquer le juge Shore dans la décision Alabi c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 370, au paragraphe 46, il se peut que cela soit incompatible avec le libellé de la loi. À mon avis, il serait préférable de prendre la décision d’interdiction de territoire avant d’aborder la question de la réadaptation. Cela ne semble pas avoir été fait en l’espèce. S’il fallait trancher la question, j’estime, d’après le dossier dont je suis saisi, que la décision d’interdiction de territoire était inadéquate.

[23]           Quoi qu’il en soit, je conclus que la décision en matière de réadaptation ne peut pas résister au contrôle judiciaire.

[24]           L’agente n’a pas tenu compte du facteur le plus important dans le contexte d’une demande de réadaptation, à savoir si l’étranger récidivera : Thamber c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CF 1re inst. 177, au paragraphe 16. La réadaptation ne signifie pas qu’il n’y a plus aucun risque d’activité criminelle, mais que le risque est considéré être « très peu probable »: guide opérationnel de CIC « ENF-2/OP 18 18 – Évaluation de l’interdiction de territoire ». La période pendant laquelle le demandeur n’a commis aucun crime est un facteur important dans une demande de réadaptation : Thamber, précité, aux paragraphes 14, 17 et 18.

[25]           En particulier, l’agente n’a pas raisonnablement tenu compte des antécédents du demandeur depuis le moment où il a commis sa dernière infraction grave, à savoir les condamnations pour chantage en 1999. Bien que les infractions relatives à la conduite d’un véhicule en 2006 ne soient pas négligeables, elles ne constituent pas des infractions graves au sens de la loi. Toutefois; même si ces infractions avaient été prises en compte, le demandeur n’a fait l’objet d’aucun chef d’accusation pendant dix ans lorsque la décision a finalement été rendue en janvier 2016.

[26]           Pour prendre une décision relativement à une demande d’approbation de la réadaptation, il convient de tenir compte de facteurs clés tels que les suivants : la nature de l’infraction, les circonstances dans lesquelles elle a été commise, le temps écoulé depuis l’infraction et les infractions antérieures ou postérieures : Gonzalez Aviles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1369, au paragraphe 18. À mon avis, l’agente n’a tenu compte d’aucun de ces facteurs, sauf pour ce qui est des récidives.

[27]            Les motifs de l’agente se concentrent de façon disproportionnée sur le comportement antérieur du demandeur et ne tiennent pas compte des facteurs positifs présents dans la demande. Comme notre Cour l’a conclu dans l’arrêt Hadad, précité, la réadaptation est tournée vers l’avenir. Par conséquent, la question qui se pose est la suivante : est-il susceptible de maintenir le même comportement ou un comportement semblable? Pour répondre à cette question, il faut examiner les dix dernières années de la vie du demandeur, période pendant laquelle il ne s’est livré à aucune activité criminelle. L’agente a souligné que le demandeur avait trouvé un emploi stable, mais a négligé de tenir compte du fait que le demandeur avait effectivement créé sa propre entreprise en 2009.

[28]           Le récit biographique de M. Lau que ce dernier a présenté à l’appui de sa demande précise le contexte et l’historique des infractions qu’il a commises. Pour l’agente, le récit de M. Lau signifie que ce dernier rejette la responsabilité de ses activités criminelles sur ses parents et ses amis et qu’il ne manifeste aucun remords ni n’assume aucune responsabilité pour sa conduite. À mon avis, cette interprétation était déraisonnable, notamment si l’on tient compte du fait que dans son formulaire de demande d’approbation de la réadaptation, CIC demande aux demandeurs de « décrire en détail les faits/les circonstances, qui ont débouché [sic] le(s) délit(s) reproché(s)/la (les) condamnation(s) ».

[29]           L’accent mis par l’agente sur les « longs antécédents de délinquance » du demandeur était disproportionné et elle a attribué trop d’importance au fait que le demandeur s’était livré à des activités criminelles auparavant plutôt qu’à la probabilité qu’il prenne part à une activité criminelle ou illégale dans le futur.

[30]           La demande est par conséquent accueillie et la demande d’approbation de la réadaptation est renvoyée à un autre agent pour réexamen. De plus, bien qu’elle ne soit pas indispensable pour l’issue de la présente demande, il apparaît à la Cour que la question de savoir si une décision appropriée en matière d’équivalence a été prise reste ouverte.

[31]           Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un autre agent. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-954-16

INTITULÉ :

KA HO LAU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 24 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Jennifer C. Luu

Pour le demandeur

Modupe Oluyomi

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jennifer C. Luu

Avocats

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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