Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20161027


Dossier : IMM-1805-16

Référence : 2016 CF 1197

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 27 octobre 2016

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

MEKEDES MELAKU HARAMICHEAL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) à l’encontre d’une décision par laquelle un commissaire de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada confirme que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Faits

[2]               La demanderesse est citoyenne de l’Éthiopie. Originaire de la région Amhara, la demanderesse est membre de l’Église éthiopienne orthodoxe. Elle se dit activiste politique et engagée de longue date dans les mouvements d’opposition au parti au pouvoir en Éthiopie.

[3]               En novembre 2014, elle est venue visiter l’une de ses filles au Canada. Durant son séjour, elle a discuté de politique éthiopienne avec des membres de sa famille et des amis. Dans la foulée de ces échanges, il aurait été décidé d’aider des familles de prisonniers politiques; à cette fin, de l’argent et des lettres de soutien auraient été confiés à la demanderesse afin qu’elle les distribue à son retour en Éthiopie.

[4]               À l’aéroport d’Addis Ababa, ses bagages ont été fouillés et les autorités y ont trouvé l’argent et les lettres. La demanderesse aurait été détenue pendant cinq jours et libérée sous caution. Elle aurait ensuite été sous haute surveillance, et plusieurs fois sommée de se rapporter aux autorités. Elle aurait en outre été menacée de poursuite au titre de lois antiterroristes si elle ne ralliait pas les rangs du parti au pouvoir dans deux mois.

[5]               Son mari et elle ont décidé qu’il vaudrait mieux qu’elle revienne au Canada, où elle a atterri le 10 août 2015. Sa demande d’asile déposée le 24 septembre 2015 a été refusée le 1er décembre 2015.

III.             Décision

[6]               La SAR a jugé que la question déterminante tenait à la crédibilité des allégations de la demanderesse. Si son récit détaillé du harcèlement subi depuis longtemps aux mains des autorités éthiopiennes est véridique, a jugé la SAR, il semble invraisemblable que la demanderesse ait pris le risque de retourner en Éthiopie avec l’argent et les lettres de soutien dans ses bagages. La SAR a souligné que la demanderesse a déclaré dans ses formulaires de demande d’asile qu’elle n’était membre d’aucun organisme, et que son défaut de mentionner son soutien au parti Democracy and Justice [UDJ] était important au vu de son exposé circonstancié.

[7]               La SAR a donné peu de poids au rapport psychologique ajouté à la preuve. Après avoir relevé que le rapport explique en partie certaines lacunes de la déposition de la demanderesse devant la Section de la protection des réfugiés (SPR), la SAR a souligné que la mise en doute des faits sous-jacents à un rapport médical peut entraîner sa mise à l’écart et qu’un rapport psychologique ne constitue pas une panacée contre tous les doutes quant à la crédibilité. La SAR a conclu que le rapport ne justifiait pas le défaut de la demanderesse de mentionner le soutien à l’UDJ dans ses formulaires.

[8]               Aux yeux de la SAR, le retour en Éthiopie de la demanderesse en dépit du lourd historique d’abus que des membres de sa famille et elle-même y auraient subis ébranle sa crédibilité. La SAR a reconnu que la SPR avait commis une erreur concernant l’origine ethnique de la demanderesse, mais elle a néanmoins jugé que celle-ci n’avait pas prouvé de manière suffisante que son appartenance à l’ethnie amharique et à l’Église orthodoxe l’exposait à la persécution. La SAR a estimé que la demanderesse avait adhéré à des organismes politiques et politiques au Canada à seule fin de renforcer sa cause.

IV.             Questions en litige

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  La SAR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger?

V.                Observations des parties

A.                La demanderesse

[9]               La demanderesse allègue que l’appréciation de sa crédibilité de la part de la SAR ne trouve pas de fondement légitime dans la preuve. La demanderesse explique que si elle n’a pas mentionné son affiliation à l’UDJ sur son formulaire, c’est parce qu’elle soutenait ce parti sans en être membre. Selon elle, la question posée sur le formulaire porte à confusion, car il est difficile de savoir si le critère à remplir pour qu’un organisme soit mentionné est le soutien ou l’appartenance. Il s’agit toutefois d’une contradiction qui tire peu à conséquence au vu de sa déposition et du reste du dossier.

[10]           Le rapport psychologique atteste du piètre état de santé de la demanderesse au moment de l’audience de la SPR, et non à faire foi de ses allégations. De plus, en concluant que la demanderesse s’est réclamée à nouveau de la protection de l’Éthiopie, la SAR néglige le fait que sa mise en détention dès son arrivée à l’aéroport a été le déclencheur de la demande d’asile.

[11]           La demanderesse allègue que la SAR n’a pas interprété les contradictions apparentes de sa déposition dans le contexte global de la preuve, et qu’elle a laissé de côté des éléments de preuve à l’appui de sa détention qui contredisent ses conclusions.

B.                 Le défendeur

[12]           Le défendeur soutient qu’il était loisible à la SAR de relever que la demanderesse a omis de mentionner son soutien au parti UDJ sur son formulaire. Les réserves soulevées par cette omission s’ajoutaient à d’autres que la SAR avait déjà concernant la crédibilité. La déposition de la demanderesse était hésitante et sa façon d’agir à son retour en Éthiopie apparaissait assez invraisemblable compte tenu de ses allégations d’y avoir été victime de harcèlement. Le rapport psychologique n’élucide pas les lacunes dans les éléments de preuve produits par la demanderesse.

[13]           Le défendeur ajoute que la Cour a établi que le fait pour une personne de se réclamer à nouveau de la protection d’un pays suggère normalement l’inexistence de risque ou de crainte subjective de persécution (Ortiz Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1346, au paragraphe 8).

VI.             Analyse

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

[14]           Les questions intéressant la crédibilité et le poids de la preuve sont de nature factuelle. Par conséquent, un degré élevé de retenue doit être accordé à la SAR sur ces questions (Ortega Ayala c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 611, au paragraphe 14). La Cour doit se garder d’intervenir si la décision est justifiée, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

2.         La SAR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger?

[15]           Notre Cour a établi clairement les principes qui régissent l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur dans le contexte de l’asile. La SAR est loisible de tirer des conclusions relatives à la crédibilité en tenant compte des invraisemblances, du bon sens et de la raison (Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116). Elle doit éviter toutefois de faire des inférences négatives quant à la crédibilité par suite d’un examen à la loupe de questions secondaires ou non pertinentes à une affaire (Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444).

[16]           En ce qui a trait à l’appréciation que la SAR doit faire de la preuve, il est également reconnu que « [...] plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]” » (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425).

[17]           De toute évidence, la SAR n’est pas tenue de mentionner ou d’analyser l’ensemble des éléments de preuve, mais l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ait examiné le seul élément qui corrobore le récit de la demanderesse. Le dossier comprend un reçu attestant le paiement d’une caution de 2000 birrs, émis le 13 janvier 2015, ce qui concorde avec le retour de la demanderesse en Éthiopie. Je constate que la SPR et la SAR ne mentionnent nulle part l’élément de preuve corroborant la détention. Même si ce document ne dissipe pas à lui seul tous les doutes soulevés quant à la crédibilité, il reste qu’il aurait dû être pris en compte. Comme je l’ai indiqué dans la décision Teklewariat v. Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 1026, le défaut de mentionner un élément de preuve essentiel, quel qu’il soit, soulève toujours des doutes. La Cour ne peut pas spéculer sur l’incidence qu’aurait pu avoir l’élément de preuve en cause sur les conclusions de crédibilité la SAR.

[18]           Pour ce seul motif, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour réexamen.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour réexamen.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-1805-16

 

INTITULÉ :

MEKEDES MELAKU HARAMICHEAL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 OCTOBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :

LE 27 OCTOBRE 2016

COMPARUTIONS :

Daniel Tilahun Kebede

Pour la demanderesse

Norah Dorcine

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet de Daniel Tilahun Kebede

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.