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Date : 20160920


Dossier : T-928-15

Référence : 2016 CF 1062

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

MURRAY WILKINSON,

JERRY JESSO, CHRISTOPHER ARGUE,

 JAMES BASTARACHE, CATHERINE BLACK,

CYNTHIA BURNS, LAURA CLARKE, RICHARD

 CUZZETTO, ANGELO DE RIGGI, JEFF DUNK,

 GEORGE DURSTON, JACQUES FRECHETTE,

LILY-CLAUDE FORTIN, FRANK GONCALVES,

NELSON GUAY, CLAUDE HARVEY, MARK HASTIE,

 MARK HAYES, FANNY HO, ALANA HUNTLEY,

MARK KAPICZOWSKI, KEVIN KELLY, ROSE-ANN JANG,

 ALAN JOHNS, ANGELIA JOHNSON, CAMERON JUNG,

 BOB LEDOUX, ROBERT LOHNES, INA MACRAE,

 DEBBIE MAIN, GREGORY MCKENNA,

 SHANE MCKINNON, KAREN MCMAHON,

 MAUREEN MILLER, MANJIT SINGH MOORE,

RON NAULT, FIONA NORTHCOTE, HENRY PETERS,

 LINDA ROBERTSON, RALPH SCHOENIG,

 PATRICK SCOTT, DARLENE STAMP,

RICHARD STEFANIUK, DOUG TISDALE,

 KEITH WATKINS, HARALD WUIGK

 

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l’encontre d’une décision rendue le 19 mai 2015 par l’administrateur général de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), dans laquelle l’administrateur a rejeté la recommandation du comité de règlement des griefs de classification [le Comité] visant la reclassification de leur poste, du niveau FB-06 au niveau FB-07.

[2]               Les demandeurs soutiennent que la décision de l’administrateur général est fondée sur des facteurs non pertinents et qu’elle est déraisonnable. Ils demandent une ordonnance visant l’annulation de la décision et son renvoi pour réexamen.

[3]               Pour les motifs suivants, j’accueille la présente requête.

[4]               Les demandeurs occupent tous le poste de gestionnaire, Programmes régionaux, au sein de l’ASFC. Ce poste est actuellement classé dans le groupe et niveau FB-06. En 2007, les demandeurs ont présenté un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, demandant la reclassification de leur poste au groupe et niveau FB-07. Le grief a été examiné par le Comité, qui a reconnu qu’il devait y avoir reclassification au niveau FB-07 et qui a formulé une recommandation en ce sens à l’administrateur général. En février 2013, l’administrateur général a rejeté la recommandation.

[5]               Le point de divergence fondamental entre le Comité et l’administrateur général était le nombre de points devant être attribués à un facteur précis : la prise de décision. Selon le Comité, les éléments de preuve justifiaient le relèvement de ce facteur au degré 6, alors que l’administrateur général était d’avis qu’il devait être maintenu au degré 5. L’attribution du degré 6 au facteur « prise de décision » permettrait la reclassification du poste de gestionnaire, Programmes régionaux, au niveau FB-07.

[6]               Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’administrateur général. Le juge Roy de la Cour a accueilli la demande et a conclu que la décision de l’administrateur général n’était pas intelligible : Wilkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CF 741, au paragraphe 44, 243 ACWS (3d) 367 :

Dans une affaire comme celle-ci, les motifs pour lesquels une recommandation bien articulée n’est pas retenue doivent être intelligibles, en ce sens qu’ils [traduction] « peuvent être compris » (The Canadian Oxford Dictionary, 2001, au mot « intelligible »). Avec égard, la décision n’est pas vraiment intelligible. Il semble que certaines déclarations relatives aux degrés 7 et 6 soient considérées comme portant sur les degrés 6 et 5. Si tel n’était pas réellement le sens de la décision, le défendeur n’a pas non plus réussi à éclairer la Cour en fournissant une autre explication. Le défendeur semble également se fonder sur « l’objectif de la création du poste » pour éloigner son analyse de la description de travail qui est au cœur de l’arbitrage des griefs. Enfin, il critique le Comité pour n’avoir pas tenu compte du contexte organisationnel alors qu’il semblerait que le Comité l’ait fait. Si l’administrateur général n’était pas d’accord avec les conclusions pour cette raison, il n’a pas expliqué la source de son désaccord. Au final, il a été impossible pour la cour de révision de comprendre « le fondement de la décision du tribunal » (arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, paragraphe 16).

[7]               En mai 2015, après réexamen de l’affaire, l’administrateur général a rendu une décision par laquelle il rejetait à nouveau la recommandation du Comité, apparemment pour le motif que les titulaires des postes en cause sont conseillés et encadrés par les gestionnaires régionaux :

[traduction]
Les points attribués dans la nouvelle décision divergent de ceux attribués par le Comité sur un élément : la prise de décision. Alors que le Comité soutient que le travail du gestionnaire, Programmes régionaux, excède le degré 5 et justifie un relèvement au degré 6, le président est d’avis que les responsabilités des titulaires de ce poste en matière de prise de décision sont inférieures à celles exigées du degré 6 et qu’elles se comparent à celles du degré 5. Cette divergence de notation s’explique par l’importance que les membres du Comité accordent aux conseils et au caractère fondamental des recommandations et des décisions des gestionnaires, Programmes régionaux.

Après examen de la définition du degré 6, des lignes directrices d’application et des exemples correspondants d’activités professionnelles, je suis d’avis que les conseils fournis aux titulaires des postes de gestionnaire, Programmes régionaux, et l’encadrement complémentaire qu’ils reçoivent des gestionnaires régionaux ne justifient pas l’attribution du degré 6 au poste de gestionnaire, Programmes régionaux. [Non souligné dans l’original.]

[8]               En alléguant qu’il est loisible à l’administrateur général d’être en désaccord avec la recommandation du Comité, le défendeur note que les deux sont [traduction] « assujettis à un régime particulier et spécialisé qui témoigne d’un degré élevé d’expertise ». De fait, le Comité est constitué de trois personnes qui connaissent bien les questions de classification et qui ont de l’expérience dans l’application des normes de classification pertinentes. En l’espèce, ces membres ont formulé à l’administrateur général une recommandation unanime que le juge Roy a qualifiée d’examen soigné de quelque 22 pages.

[9]               Le défendeur prétend que l’administrateur général est [traduction] « le mieux placé pour connaître et comprendre le processus décisionnel au sein de son Agence, y compris le processus dans son intégralité et le rôle des divers niveaux de gestion dans ce processus décisionnel ». Cela ne fait aucun doute. Bien que j’accepte l’observation du défendeur selon laquelle la Cour a déclaré, dans Bourdeau c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1089, 258 ACWS (3d) 736, que le processus allait au-delà d’une simple vérification de la correspondance entre les termes employés dans la description de travail et ceux employés dans la norme de classification, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille faire abstraction du libellé de la description de travail durant l’examen du contenu et des fonctions du poste.

[10]           De fait, en l’espèce, la demande de classification ne pouvait être examinée avant que les parties se soient entendues sur la description de travail. Cela témoigne de la pertinence de la description de travail lorsque l’administrateur général doit examiner [traduction] « le processus dans son intégralité et le rôle des divers niveaux de gestion dans ce processus décisionnel ».

[11]           L’un des documents pris en compte par l’administrateur général pour parvenir à sa décision est un graphique préparé par ses responsables des ressources humaines au sujet de l’élément de prise de décision dans le poste en cause. Ce graphique compare certaines parties de la description de travail du poste de gestionnaire, Programmes régionaux, à la norme de classification, aux lignes directrices d’application ainsi qu’à des exemples d’activités professionnelles de degrés 5 et 6.

[12]           Je souscris à l’observation des demandeurs selon laquelle le graphique comporte de grandes lacunes du fait qu’il omet ou ne prend pas en compte des éléments pertinents de la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux, qui, est-il permis de croire, correspondent à des exemples d’activités professionnelles de degré 6 et qui, à juste titre, auraient pu amener l’administrateur général à approuver la recommandation du Comité. Je suis persuadé qu’il est plus que probable que l’administrateur général a accordé une grande importance à ce graphique, car ces lacunes sont justement les éléments sur lesquels il semble s’être fondé pour conclure qu’en matière de prise de décision, le poste de gestionnaire, Programmes régionaux, est un poste de degré 5, et non de degré 6.

[13]           Dans un exercice de classification, la description de travail doit être évaluée en fonction de la norme de classification appropriée, et c’est commettre une erreur que de modifier la description de travail ou de refuser de prendre en compte les tâches et activités qui y sont énoncées : Wilkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CF 741, au paragraphe 9, 243 ACWS (3d) 367; Allard c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2012 CF 979, aux paragraphes 26 et 39, 417 FTR 1.

[14]           Les omissions importantes dans le graphique montrent que la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux, a été modifiée et qu’elle n’a pas été prise en compte dans son intégralité par l’administrateur général. Le graphique fait en effet abstraction d’éléments de la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux, qui correspondent dans une large mesure à des exemples d’activités professionnelles de degré 6 en ce qui a trait à la prise de décision. Si ces éléments de la description de travail avaient été présentés à l’administrateur général, sa décision aurait pu être différente. Cependant, même à la lumière des éléments qui lui ont été présentés, l’avocat du défendeur a reconnu que le degré 6 aurait pu être attribué, car la classification est un art, et non une science.

[15]           Je suis d’accord avec le défendeur que le matériel présenté à l’administrateur général peut être considéré comme faisant partie des motifs : voir Wanis c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2013 CF 963, au paragraphe 21.

[16]           Le défendeur soutient que l’administrateur général est censé avoir soupesé et pris en compte tous les éléments de preuve présentés et qu’il n’est pas tenu d’examiner chaque élément de la description de travail allant à l’encontre de la formulation qu’il accepte. D’un point de vue général, cette allégation est fondée. Cependant, lorsque les éléments de la description de travail qui sont omis appuient fortement une décision contraire, le décideur doit indiquer explicitement que ces éléments ont été pris en compte et expliquer les motifs d’une décision qui semble aller à l’encontre de ces éléments de preuve. Rien n’indique que cela a été fait en l’espèce. De plus, le fait que des éléments pertinents de la description de travail aient été omis du graphique préparé à l’intention de l’administrateur général permet de présumer de manière raisonnable que l’administrateur général n’a pas tenu compte de ces éléments dans sa décision.

[17]           Pour ces motifs, la décision doit être annulée de nouveau et renvoyée à l’administrateur général aux fins d’un réexamen devant porter sur l’ensemble de la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux.

[18]           Des dépens sont accordés aux demandeurs. Les demandeurs réclament des dépens élevés, car c’est la deuxième fois qu’ils demandent un réexamen de la décision; ils font aussi valoir le délai démesuré qui s’est écoulé entre le moment où le Comité a formulé sa recommandation et celui où l’administrateur général a rendu sa décision. Un montant de l’ordre de 12 000 $ à 15 000 $ a été proposé. Le défendeur a pour sa part proposé des dépens de l’ordre de 5 000 $ à 6 000 $.

[19]           Selon mon évaluation et compte tenu du volume de matériel présenté, du dépôt tardif du graphique sur lequel la décision repose en grande partie, ainsi que du fait que c’est la deuxième fois que cette décision fait l’objet d’une révision, des dépens de 8 000 $ me semblent appropriés.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE la présente demande soit accueillie, que la décision de l’administrateur général soit annulée, que le grief déposé par les demandeurs ainsi que la recommandation du Comité soient renvoyés à l’administrateur général pour réexamen conformément aux présents motifs, et que la décision soit rendue après examen de l’intégralité de la description du poste de gestionnaire, Programmes régionaux. Des dépens de 8 000 $ sont accordés aux demandeurs.

« Russel W. Zinn »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-928-15

 

INTITULÉ :

MURRAY WILKINSON ET AL. c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 août 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 SEPTEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Andrew Raven

Morgan Rowe

Pour les demandeurs

 

Sean Kelly

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne

& Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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