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Date : 20161019


Dossier : IMM-929-16

Référence : 2016 CF 1160

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

VINUSHAN VIJAYAKUMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Vinushan Vijayakumar demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAR a confirmé les conclusions de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon lesquelles M. Vijayakumar n’est pas un réfugié ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que la SAR a raisonnablement exclu les nouveaux éléments de preuve fournis par M. Vijayakumar pour étayer son appel en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR. L’évaluation par la SAR des autres éléments de preuve était également raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur, M. Vijayakumar, est un Tamoul du nord du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada le 31 octobre 2014 et a demandé l’asile.

[4]               M. Vijayakumar a expliqué que son père est un membre éminent des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (TLET). Son père a été tué il y a plus de vingt ans, alors que M. Vijayakumar était âgé d’à peine un an. M. Vijayakumar affirme qu’en 2009, il a été enlevé par cinq hommes, qui lui ont bandé les yeux et l’ont battu à coup de barre de métal alors qu’ils le questionnaient sur son père. Il a été enlevé une deuxième fois en 2010, interrogé sur ses liens avec les TLET et battu avec un bâton. En 2014, il a été détenu pendant une journée et demie par les agents de la sécurité de l’aéroport, qui l’ont interrogé sur son père et qui l’ont battu. M. Vijayakumar allègue que s’il retourne au Sri Lanka, il sera persécuté à titre de Tamoul ayant des liens présumés avec les TLET.

[5]               La SPR a tenu une audience pour examiner la demande d’asile de M. Vijayakumar le 10 décembre 2014 et le 22 septembre 2015. Elle a rejeté la demande le 5 novembre 2015. Les questions déterminantes étaient la crédibilité de M. Vijayakumar et la question à savoir si son profil à titre de Tamoul dont le père était un membre actif des TLET il y a plus de vingt ans l’exposerait à un risque de persécution au Sri Lanka aujourd’hui.

[6]               M. Vijayakumar a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. La SAR a rejeté son appel le 9 février 2016.

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[7]               M. Vijayakumar a soumis de nouveaux éléments de preuve pour étayer son appel. La SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne répondaient pas aux exigences prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR. Bien que la SAR ait concédé que les documents n’étaient pas disponibles avant la décision de la SPR, elle a conclu que les renseignements qu’ils contenaient auraient pu être soumis à la SPR en faisant preuve de diligence raisonnable. La SAR a également conclu que les éléments de preuve n’étaient pas déterminants en ce sens qu’ils n’auraient aucun effet sur l’issue de l’affaire. Sur ce point, la SAR a résumé sa conclusion comme suit :

La principale question en l’espèce ne consiste pas à déterminer comment son père est décédé, mais repose plutôt sur le fait que son père travaillait avec ou pour les TLET lorsqu’il est décédé. La SPR reconnaît la « possibilité que son père ait eu des liens avec les TLET » et, dans sa décision, elle ne nie aucunement les liens du père du demandeur avec les TLET. Les lettres soumises ne sont pas « nouvelles ». Ces documents ne sont pas autorisés à titre de nouvelle preuve.

[8]               La SAR n’a décelé qu’une seule erreur dans la décision de la SPR, soit son omission de tenir compte du fait que M. Vijayakumar a été détenu et interrogé par la police lorsqu’il est retourné au Sri Lanka après un séjour au Vietnam, en 2014. Toutefois, la SAR a déterminé que cela était consécutif au fait qu’il a été déporté après avoir utilisé des documents frauduleux pour entrer au Vietnam. Aucun élément de preuve ne laisse sous-entendre qu’il a été arrêté en raison de ses antécédents familiaux. La SAR a noté que M. Vijayakumar a ensuite été relâché sans condition.

[9]               Selon la SAR, la preuve est insuffisante pour conclure que M. Vijayakumar est actuellement une personne d’intérêt pour les autorités sri-lankaises. La SAR a conclu que [traduction« puisqu’il est Tamoul, [M. Vijayakumar] sera généralement considéré par la majorité cingalaise comme un partisan des TLET. Bien que cela puisse l’exposer à de la discrimination dans certaines régions du Sri Lanka, la preuve est insuffisante pour convaincre la SAR qu’il ferait l’objet de persécution. »

IV.             Questions en litige

[10]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.                Est-ce que le rejet par la SAR de la nouvelle preuve soumise par M. Vijayakumar était raisonnable?

B.                 Est-ce que la conclusion de la SAR selon laquelle M. Vijayakumar ne sera pas persécuté s’il retourne au Sri Lanka était raisonnable?

V.                Analyse

[11]           Les décisions de la SAR concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR et son évaluation du dossier de la preuve relève de questions mixtes de fait et de droit et sont susceptibles de révision par notre Cour, selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, aux paragraphes 23 et 29 [Singh]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35; Ngandu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 423, au paragraphe 12). La Cour interviendra uniquement si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47) [Dunsmuir]).

A.                Est-ce que le rejet par la SAR de la nouvelle preuve soumise par M. Vijayakumar était raisonnable?

[12]           Les nouveaux éléments de preuve que M. Vijayakumar cherchait à présenter devant la SAR consistaient en des affidavits et des lettres censés fournir d’autres détails sur les circonstances entourant le décès de ses parents et les événements survenus en 2009, 2010 et 2014. Tous ces événements étaient antérieurs à la décision de la SPR. M. Vijayakumar affirme que les documents étaient pertinents à l’égard des conclusions négatives sur la crédibilité de la SPR et qu’il n’aurait pu les produire avant puisque le rejet du témoignage par la SPR n’était pas prévisible.

[13]           La SAR a rejeté cet argument comme suit :

[traduction] En l’espèce, bien que les lettres aient été rédigées après l’audience, les renseignements qu’elles contiennent auraient pu être mis à la disposition du demandeur en tout temps avant la tenue de l’audience s’il en avait fait la demande. Il n’incombe pas à la SAR de permettre au demandeur de « combler les lacunes » dans le dépôt de sa demande devant la SPR en autorisant comme éléments de preuve en appel des renseignements ou des documents qui auraient pu être présentés lors de l’audience. Il incombe clairement au demandeur, particulièrement s’il est représenté par un avocat, de présenter la meilleure argumentation possible à la SPR. Cette argumentation inclurait raisonnablement tous les éléments de preuve, comme les affidavits qui sont maintenant divulgués.

[14]           À mon avis, le rejet par la SAR des nouveaux éléments de preuve fournis par M. Vijayakumar est soutenu par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Singh (au paragraphe 34) :

34        Il ne fait aucun doute que les conditions explicites mentionnées au paragraphe 110(4) doivent être respectées. Par conséquent, seuls les éléments de preuve suivants seront admissibles.

   Les éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile;

   Les éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles; ou

   Les éléments de preuve qui étaient normalement accessibles, mais que la personne en cause n’aurait pas normalement présentés dans les circonstances au moment du rejet.

[15]           Le paragraphe 110(4) de la LIRP doit être interprété de manière stricte. Les éléments de preuve qui se limitent à corroborer des faits ou à contredire les conclusions de la SPR ne correspondent pas à la définition de « nouveaux éléments de preuve » pour l’application du paragraphe 110(4) de la LIPR (Singh, aux paragraphes 35, 50 et 51). Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale, le « rôle de la SAR ne consiste pas à fournir la possibilité de compléter une preuve déficiente devant la SPR, mais plutôt à permettre que soient corrigées des erreurs de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit » (Singh, au paragraphe 54).

[16]           La SAR a également rejeté les nouveaux documents soumis par M. Vijayakumar puisqu’ils n’étaient pas importants dans le cadre de sa demande. Devant l’insistance de la Cour d’appel fédérale que le paragraphe 110(4) de la LIPR soit appliqué de manière stricte, l’importance n’est plus un critère pertinent (Singh, aux paragraphes 47 à 49). Bien que l’examen par la SAR de l’importance des nouveaux éléments de preuve proposés était superflu, cela ne constitue pas un motif pour écarter le caractère raisonnable de sa conclusion selon laquelle les documents ne répondaient pas aux exigences réglementaires du paragraphe 110(4).

B.                 Est-ce que la conclusion de la SAR selon laquelle M. Vijayakumar ne sera pas persécuté s’il retourne au Sri Lanka était raisonnable?

[17]           M. Vijayakumar affirme que la conclusion de la SAR, selon laquelle il n’est pas actuellement une personne d’intérêt pour les autorités sri-lanklaises, est déraisonnable. Il n’a souligné aucune lacune précise dans les conclusions de fait de la SAR, outre contester ses conclusions négatives concernant la crédibilité. Il maintient que le critère de persécution est peu exigeant : plus qu’un simple soupçon, mais moins qu’une prépondérance des probabilités (Muthuthevar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1, au paragraphe 11; Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4, au paragraphe 8). Il fait valoir que les faits, tels qu’ils ont été acceptés par la SAR, répondaient à ce critère.

[18]           À mon avis, l’examen de la question par la SAR était minutieux et convaincant. Je ne trouve aucune erreur susceptible de révision dans l’examen de la SAR des éléments de preuve soumis par M. Vijayakumar pour étayer sa demande d’asile ni dans sa conclusion que les traitements subis au Sri Lanka, bien que sévères, ne pouvaient être qualifiés de persécution par l’État. M. Vijayakumar demande à notre Cour de soupeser de nouveau les éléments de preuve et d’en arriver à une conclusion différente. Ce n’est pas le rôle de notre Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

VI.             Conclusion

[19]           La décision de la SAR est justifiable, transparente et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47). La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[20]           Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-929-16

 

INTITULÉ :

VINUSHAN VIJAYAKUMAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DES AUDIENCES :

Le 27 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

Warda Shazadi Meighen

 

Pour le demandeur

 

Alexis Singer

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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