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Date : 20160209


Dossier : IMM-2158-15

Référence : 2016 CF 166

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

SALEH MOHAMMAD SHERZAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Saleh Mohammad Sherzai [le demandeur] en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR], d’une décision rendue par un agent des visas de la section des visas du Haut-commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan [l’agent] datée du 11 mars 2015 et transmise au demandeur le 18 mars 2015, dans laquelle l’agent a déterminé que le demandeur n’était pas admissible au statut de résident permanent du Canada en vertu de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR et de l’alinéa 16d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [RIRP]. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été accordée par la juge Heneghan le 28 octobre 2015.

[2]               Le 1er octobre 1994, le prédécesseur d’alors du ministre considérait le régime marxiste qui avait existé en Afghanistan de 1978 à 1992 comme un régime impliqué dans le terrorisme, des violations graves ou répétées des droits de la personne ou dans un génocide, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24.

[3]               Il a été établi que le demandeur avait occupé un poste de rang supérieur au sein de la fonction publique afghane et que, par conséquent, il était interdit de territoire en vertu de l’effet combiné de l’alinéa 35(1)b) du LIPR :

Atteinte aux droits humains ou internationaux

Human or international rights violations

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

35 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

b) occuper un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

[soulignement ajouté]

(b) being a prescribed senior official in the service of a government that, in the opinion of the Minister, engages or has engaged in terrorism, systematic or gross human rights violations, or genocide, a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsections 6(3) to (5) of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act; or ….

[emphasis added]

et de l’alinéa 16d) du RIPR, lequel énonce ce qui suit :

Application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi

Application of par. 35(1)(b) of the Act

16 Pour l’application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi, occupent un poste de rang supérieur au sein d’une administration les personnes qui, du fait de leurs actuelles ou anciennes fonctions, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages, notamment :

16 For the purposes of paragraph 35(1)(b) of the Act, a prescribed senior official in the service of a government is a person who, by virtue of the position they hold or held, is or was able to exert significant influence on the exercise of government power or is or was able to benefit from their position, and includes

a) le chef d’État ou le chef du gouvernement;

(a) heads of state or government;

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

(b) members of the cabinet or governing council;

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

(c) senior advisors to persons described in paragraph (a) or (b);

d) les hauts fonctionnaires;

(d) senior members of the public service;

e) les responsables des forces armées et des services de renseignement ou de sécurité intérieure;

(e) senior members of the military and of the intelligence and internal security services;

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomatique de haut rang;

(f) ambassadors and senior diplomatic officials; and

g) les juges.

[soulignement ajouté]

(g) members of the judiciary.

[emphasis added]

[4]               À titre de précision sur le contexte, le demandeur est né en Afghanistan en 1940. Il est marié et père de trois filles, dont l’une est mariée et habite actuellement au Canada.

[5]               Le demandeur a occupé un poste de fonctionnaire de carrière au sein du gouvernement afghan de 1959 à 1996. De 1980 à 1990, il était responsable de dix subalternes. Entre 1990 et 1996, il avait 40 subalternes. Entre 1970 et 1996, le demandeur a occupé les postes énumérés ci-après au sein du gouvernement afghan, ce qui inclut la période allant de 1978 à 1992, période pertinente pour sa demande :

A.                     Dépôt de Tahawoni (soutien et aide) : de 1959 à 1980. Émission de factures sous les ordres du directeur administratif. L’entreprise importait des produits électroniques, des vêtements, etc., de différents pays pour les vendre au public et à des marchands.

B.                      Tasfia Wahed (division de la distribution et de la vérification) : de 1980 à 1990. Directeur des RH, directeur de la dotation. Relevait du directeur administratif au service des Finances; référait les dossiers et les comptes des directions générales qui étaient démantelées lorsque leurs services étaient considérés non essentiels. Il dirigeait dix personnes.

C.                      Zorab-Khana et Matboha Soukouk : de 1990 à 1996. A accédé au niveau 1 en 1990. Chef de l’usine qui émettait les plaques d’immatriculation après l’approbation du directeur administratif. Il dirigeait 40 personnes. Dès la réception des demandes émanant de la direction générale de la circulation à Kaboul, Zorak‑Khana préparait et imprimait les plaques d’immatriculation pour les véhicules gouvernementaux et privés.

[6]               Le demandeur allègue qu’il se rendait au travail en vélo ou à pied. Après 31 ans de promotions régulières et systématiques, le demandeur était un cadre de « niveau 1 » au sein de la fonction publique, ce qui constitue le niveau le plus élevé pour les employés. Le demandeur n’a jamais servi dans les forces armées ni été membre du parti marxiste.

[7]               Le demandeur et sa famille ont fui leur ville natale en Afghanistan en 1997. Un soir de 1997, trois talibans se sont présentés au domicile du demandeur et ont exigé d’épouser les filles du demandeur. Cela ressemblait davantage à une tentative d’enlèvement des filles. Le neveu du demandeur, qui habitait la même maison avec sa mère, a tenté de protéger les jeunes filles. Le neveu a été abattu. Après cet incident et craignant pour leur vie, les membres de la famille ont fui leur domicile. Ils sont allés de Kaboul à Jalalabad, puis à Peshawar. Ils habitent actuellement au Pakistan où la discrimination contre les Afghans est très répandue.

[8]               L’agent a interviewé le demandeur et les membres de sa famille le 7 février 2013. Le 11 mars 2014, l’agent a envoyé au demandeur une lettre relative à l’équité procédurale dans laquelle il exposait ses préoccupations concernant l’interdiction de territoire dont fait l’objet le demandeur en raison de ses antécédents dans la fonction publique. Le demandeur a répondu dans une lettre datée du 14 avril 2014. Il n’y a eu aucune autre interaction entre le demandeur et l’agent jusqu’à la date d’émission de la décision en mars 2015.

[9]               L’agent a déterminé que le demandeur et les personnes à sa charge étaient interdits de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR, ainsi que de l’alinéa 16d) du RIRP, concluant qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait occupé un poste de cadre supérieur dans la fonction publique [ministère des Finances] sous le régime marxiste en Afghanistan entre 1978 et 1992.

[10]           La présente demande soulève deux questions : D’une part, est-ce que l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [arrêt Ezokola] a comme effet de modifier les exigences visant la détermination de l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR. À mon avis, c’est là une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte. D’autre part, le demandeur conteste le caractère raisonnable de la décision voulant qu’il ait occupé un poste de cadre supérieur dans la fonction publique afghane entre 1978 et 1992.

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [arrêt Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a estimé aux paragraphes 57 et 62 qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La norme de révision qui s’applique aux conclusions relatives à l’interdiction de territoire est celle de la décision raisonnable : décision Kojic c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 816; décision Tareen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1260, au paragraphe 15. Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

I.                   Est-ce que l’arrêt Ezokola a pour effet de modifier les exigences visant la détermination de l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR?

[12]           Pour la première question, il s’agit de déterminer si l’interdiction de territoire est subordonnée à l’appartenance à une catégorie ou au statut du demandeur comme l’exige, à mon humble avis, le libellé de la loi et du règlement. C’est ce que j’appelle la notion de l’exclusion d’un groupe ou d’un statut. La mise en apposition avec la notion de l’appartenance à un groupe ou du statut est ce que j’appelle la notion de complicité relativement à l’interdiction de territoire, c’est-à-dire que les tribunaux doivent donner une interprétation atténuante au libellé de la loi de manière à ce qu’il s’applique uniquement aux personnes jugées personnellement complices d’un acte de terrorisme, de violations graves ou répétées des droits de la personne ou de génocide, d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

[13]           Bref, deux notions opposées se prêtent à l’interdiction de territoire, l’une fondée sur le statut du demandeur ou sur son appartenance à un groupe, et l’autre voulant que, peu importe le libellé de la loi, le statut ou l’appartenance à un groupe n’entraîne pas l’interdiction de territoire parce que l’interdiction de territoire survient uniquement si le demandeur est personnellement complice d’un acte de terrorisme, de violations graves ou répétées des droits de la personne ou de génocide, d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité.

[14]           La dichotomie entre le statut et l’appartenance à un groupe et la complicité personnelle est abordée par le juge Camp dans la décision Tareen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1260 [décision Tareen]. La décision Tareen porte sur une conclusion d’interdiction de territoire en vertu du même alinéa de la LIPR, soit l’alinéa 35(1)b), comme en l’espèce, et le même alinéa 16d) du RIRP en cause en l’espèce. Dans la décision Tareen, la Cour a conclu que : « [l]a conclusion qu’une personne est ou a été un haut fonctionnaire d’un gouvernement visé à l’alinéa 35(1)b) de la LIPR suffit pour conclure à l’interdiction de territoire. » Dans la décision Tareen, la Cour a examiné et rejeté une demande fondée sur l’arrêt Ezokola. À mon humble avis, la décision dans Tareen à cet égard était correcte. Par conséquent, je ne peux pas admettre que l’arrêt Ezokola a une incidence sur l’approche que la Cour devrait adopter relativement à l’alinéa 35 (1)b) de la LIPR.

II.                Caractère raisonnable de la décision

[15]           Pour la seconde question, il faut déterminer s’il était raisonnable de conclure que le demandeur avait été un haut fonctionnaire du gouvernement. Même si je reconnais que l’insuffisance des motifs ne constitue pas un motif indépendant pour accueillir une demande de contrôle judiciaire, je conclus qu’en l’espèce, l’agent n’a pas soumis les faits à un examen raisonnable. La lettre de décision indique simplement sa décision. À cet égard, le demandeur (et les membres de sa famille) et la loi exigent davantage. Le cas en l’espèce ressemble beaucoup à Hamidi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 333, où la juge Snider a ordonné un contrôle judiciaire dans ces termes, que je considère valables en l’espèce :

Question no 2 : Décision en vertu de l’alinéa 35(1)b)

[…]

[25]      La question qui se posait à l’agent - et qui se pose maintenant à la Cour - est la signification de « rang supérieur ». Ni la LIPR ni le Règlement n’en donnent une définition. Dans la décision Hussein v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] D.S.A.I. no 1330, la Section d’appel de l’immigration indique, au paragraphe 13 :

Un membre militaire de haut rang serait une personne qui occupe un poste élevé dans l’armée, une situation plus avancée et, souvent, comptant à son actif un service relativement long. On peut reconnaître une situation avancée par les responsabilités qui sont confiées à la personne et par les postes occupés par ses supérieurs immédiats.

[26]      D’après cet énoncé, j’ajouterais que l’application de l’alinéa 16e) du Règlement à un rang en particulier dépend des faits liés au régime militaire en question. Le grade de colonel ou de général est supérieur dans l’armée canadienne, mais je pense qu’il est erroné d’appliquer les critères canadiens à la hiérarchie militaire d’autres pays.

[27]      Ce point de vue est confirmé par la section 8.2 du chapitre « ENF 18 Crimes de guerre et crimes contre l’humanité », du Guide de l’exécution de la loi de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), qui guide les agents dans la prise de décisions sur l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 35(1)b). Plus précisément, CIC indique que l’agent doit obtenir la « [p]reuve d’un poste de rang supérieur » et poursuit ainsi :

Outre la preuve nécessaire, on doit établir que le poste est de rang supérieur. À cette fin, on doit situer le poste dans la hiérarchie où le fonctionnaire travaille ... Si l’on peut prouver que le poste est dans la moitié supérieure de l’organisation, on peut considérer qu’il est un poste de rang supérieur. Un autre moyen de l’établir est celui des preuves de responsabilités liées au poste et du type de travail effectué ou des types de décisions prises (à défaut d’être prises par le demandeur, par les titulaires de postes analogues).

In addition to the evidence required, it must be established that the position the person holds or held is a senior one. In order to establish that the person’s position was senior, the position should be related to the hierarchy in which the functionary operates. . . . If it can be demonstrated that the position is in the top half of the organization, the position can be considered senior. This can be further established by evidence of the responsibilities attached to the position and the type of work actually done or the types of decisions made (if not by the Applicant then by holders of similar positions).

[28]      Le chapitre ENF 18, à la section 8.4, incite aussi à la prudence les agents qui doivent prendre ce type de décision importante aux termes de l’alinéa 35(1)b) :

Les agents doivent être conscients de la nature délicate de ce qui touche L 35(1)b) et de la nécessité d’une évaluation soignée et approfondie de tous les renseignements pertinents. L’intention n’est pas que les agents emploient des critères si généraux que tous les employés de régimes désignés soient considérés comme interdits de territoire.

Officers should be aware of the sensitive nature of A35(1)(b) and the need for careful and thorough consideration of all relevant information. It is not intended that officers should cast the net so widely that all employees of a designated regime are considered inadmissible.

[16]           Je note aussi que dans la décision Yahie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1319, le juge Russell a également insisté sur la nécessité de respecter les directives du chapitre ENF, lesquelles exigent que toute l’information pertinente soit soigneusement examinée et prise en considération :

[32]      En examinant la décision complète, je dois conclure que les demandeurs ont raison lorsqu’ils soutiennent que l’agente n’a effectué aucune analyse de la position hiérarchique de M. Yahie au sein du gouvernement par rapport à ses responsabilités. Il est impossible de déduire, à partir de la décision et des documents que l’agente a examinés, si M. Yahie occupait un poste suffisamment élevé pour justifier l’exclusion. L’agente n’a pas suivi les directives; l’avocat du défendeur fait valoir que l’agente a simplement fondé sa conclusion au sujet du poste de « haut fonctionnaire » sur ce que M. Yahie lui a dit à l’entrevue. L’agente a décidé qu’à son avis, M. Yahie était un « haut fonctionnaire » sans mentionner les directives ou la jurisprudence.

[33]      Bien entendu, il est vrai que l’agente a un large pouvoir discrétionnaire lui permettant de prendre ce genre de décision. Cependant, un tel pouvoir discrétionnaire n’est pas distinct et il ne peut pas être utilisé sans être lié à la jurisprudence. C’est ce que l’agente a omis de faire. Elle n’a mentionné aucune jurisprudence pour les critères qu’elle a utilisés afin de prendre sa décision au sujet du niveau hiérarchique de M. Yahie et elle n’explique pas comment les faits en l’espèce répondent à une telle jurisprudence.

[34]      Il n’y a pas de fondement jurisprudentiel ni d’analyse pertinente dans la décision. Les motifs sont inadéquats. Cette décision est déraisonnable pour ce motif et elle devrait être annulée. Je relève les mêmes problèmes dans la présente décision que ceux que la juge Heneghan a exprimés dans l’affaire Nezam, précitée, au paragraphe 26 et auxquels le juge Blanchard a fait face dans la décision Sungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1639 (C.F.), au paragraphe 45. Il s’agit là de questions qui doivent être traitées en réexamen.

[17]           À cet égard, en l’espèce, l’examen minutieux fait défaut; nous n’avons que de simples conclusions. Si l’agent avait appliqué les directives du chapitre ENF, qui sont toujours en vigueur, sa décision aurait peut-être été bien différente. Quoi qu’il en soit, les motifs n’ont pas la justification et la transparence requises pour survivre à une contestation fondée sur l’arrêt Dunsmuir. La décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[18]           Par conséquent, le présent contrôle judiciaire doit être accueilli.

III.             Dispense ministérielle en vertu du paragraphe 42.1 de la LIPR

[19]           Avant de conclure, j’aimerais mentionner que la LIPR confère précisément au ministre le pouvoir d’accorder une dispense aux personnes qui sont subordonnées à la portée beaucoup trop vaste de l’alinéa 35(1)b) et de l’alinéa 16d) du RIPR, comme cela pourrait en fait être le cas demandeur, ayant été déclaré interdit de territoire en raison son appartenance à un groupe et de l’absence de preuve de sa complicité personnelle, tel que cela est indiqué ci-dessus. Le paragraphe 42.1 de la LIPR prévoit ce qui suit :

Note marginale : Exception — demande au ministre

Exception — application to Minister

42.1 (1) Le ministre peut, sur demande d’un étranger, déclarer que les faits visés à l’article 34, aux alinéas 35(1)b) ou c) ou au paragraphe 37(1) n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de l’étranger si celui-ci le convainc que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national.

42.1 (1) The Minister may, on application by a foreign national, declare that the matters referred to in section 34, paragraphs 35(1)(b) and (c) and subsection 37(1) do not constitute inadmissibility in respect of the foreign national if they satisfy the Minister that it is not contrary to the national interest.

Note marginale : Exception — à l’initiative du ministre

Marginal note: Exception — Minister’s own initiative

(2) Le ministre peut, de sa propre initiative, déclarer que les faits visés à l’article 34, aux alinéas 35(1)b) ou c) ou au paragraphe 37(1) n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de tout étranger s’il est convaincu que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national.

(2) The Minister may, on the Minister’s own initiative, declare that the matters referred to in section 34, paragraphs 35(1)(b) and (c) and subsection 37(1) do not constitute inadmissibility in respect of a foreign national if the Minister is satisfied that it is not contrary to the national interest.

Note marginale : Considérations

Marginal note: Considerations

(3) Pour décider s’il fait la déclaration, le ministre ne tient compte que de considérations relatives à la sécurité nationale et à la sécurité publique sans toutefois limiter son analyse au fait que l’étranger constitue ou non un danger pour le public ou la sécurité du Canada.

(3) In determining whether to make a declaration, the Minister may only take into account national security and public safety considerations, but, in his or her analysis, is not limited to considering the danger that the foreign national presents to the public or the security of Canada.

[20]           Il semble que le demandeur ignorait le libellé du paragraphe 42.1 et que l’agent ne l’en avait pas informé. Il semble également qu’il n’a pas bénéficié de l’aide d’un avocat ou d’un consultant en immigration. On m’a demandé de conclure que la décision de l’agent était déraisonnable ou injuste, parce que l’agent n’avait pas, ni dans la lettre d’équité procédurale ni d’une autre manière, attiré l’attention du demandeur sur l’existence de la dispense prévue au paragraphe 42.1. Même si je ne suis pas d’accord pour dire que les agents devraient en toute circonstance informer les personnes dont l’exclusion fait l’objet d’un examen en raison de leur appartenance à une catégorie visée par une dispense ministérielle ou attirer leur attention sur l’obtention d’une telle dispense ministérielle sans qu’on leur demande précisément de le faire (décision Rogers c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 26 [décision Rogers], au paragraphe 39; la décision Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1193, au paragraphe 35; voir également la décision Saito c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1192; la décision Sherzady c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 516, aux paragraphes 14 à 20), dans certains cas, cela pourrait être requis : décision Rogers, au paragraphe 42.

[21]           Le demandeur est maintenant âgé de 75 ans. Il a dû attendre six ans pour en arriver là. Sans avoir commis de faute, il doit maintenant se soumettre à un nouveau processus. S’il demande une dispense ministérielle en vertu du paragraphe 42.1 comme solution de rechange ou si on lui conseille de le faire, sa demande devra être traitée en priorité afin que, s’il échoue à nouveau en vertu du paragraphe 35(1)b), toute demande de dispense ministérielle qu’il pourrait soumettre soit examinée dès que possible par la suite. Le nouvel examen ordonné en l’espèce devra également être effectué en priorité.

[22]           Le demandeur propose que je certifie une question afin d’établir si l’arrêt Ezokola a pour effet de modifier les exigences visant l’évaluation de l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR. Le défendeur s’y oppose. À mon avis, il n’y a pas lieu de certifier une question pour les motifs énoncés dans la décision Tareen, où une telle demande a été refusée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire, la décision de l’agent est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent aux fins de réexamen, réexamen qui sera effectué en priorité; aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2158-15

INTITULÉ :

SALEH MOHAMMAD SHERZAI c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

Le 9 février 2016

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery

Pour le demandeur

James Todd

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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