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Date : 20160819


Dossier : T-1693-14

Référence : 2016 CF 856

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 août 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

GILEAD SCIENCES, INC. et

GILEAD SCIENCES CANADA, INC.

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

APOTEX INC.

défendeurs

JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS

(Jugement et motifs confidentiels publiés le 21 juillet 2016)

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agissait au départ d’une demande en vue d’obtenir une ordonnance en application de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/1993-133, en sa version modifiée, DORS/1998-166, DORS/1999-379, DORS/2006-242 (le « Règlement sur les MB(AC) »), interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité (AC) à l’égard d’un avis d’allégation (AA) envoyé par Apotex Inc. (Apotex ou la défenderesse) à Gilead Sciences Canada, Inc. (Gilead ou la demanderesse) et daté du 19 juin 2014, concernant trois (3) brevets canadiens, nos 2 261 619 (brevet 619), 2 298 059 (brevet 059) et 2 512 475 (brevet 475), et des comprimés pour administration par voie orale contenant l’ingrédient pharmaceutique actif pour le précurseur fumarate de ténofovir disoproxil (FTD, commercialisé comme VIREAD®), et l’ingrédient pharmaceutique FTC (commercialisé comme EMTRIVA® et auparavant comme Coviracil, ou comme le générique emtricitabine).

[2]               L’association médicamenteuse TRUVADA® contient 300 mg de FTD (VIREAD®), qui est le médicament breveté par le brevet 619, et 200 mg de FTC (EMTRIVIA®). Le FTD et le FTC séparément, et dans l’association médicamenteuse du brevet 475, sont des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) utiles dans le traitement du virus d’immunodéficience humaine (VIH). L’association médicamenteuse visée par le brevet 475 a atteint un niveau considérable de réussite et elle est maintenant prescrite abondamment pour le traitement du VIH.

[3]               Pour les motifs suivants, seul le brevet 475 est maintenant en litige.

[4]               Le juge Barnes a radié l’avis de demande de Gilead concernant la validité du brevet 059 par une ordonnance datée du 8 mai 2015 (Sciences Canada c. Canada (Santé), 2015 CF 610), en vertu de l’alinéa 6(5)a) du Règlement sur les MB(AC), pour le motif que ce fumarate particulier utilisé avec TD a déjà été invalidé au motif de son caractère évident dans une autre instance, Gilead Sciences Inc. c. Canada (Santé), 2013 CF 1272, et le litige dans cette affaire consistait en un abus de procédure de la part de Gilead. Je ne ferai pas davantage référence au brevet 059.

[5]               La juge Heneghan a déterminé que le brevet 619 n’était pas admissible à l’inscription au registre des brevets, et par conséquent, il n’était pas admissible à une instance relative à un avis de conformité dans Gilead Sciences, Inc. c. Canada (Santé), 2016 CF 231. En conséquence, le brevet 619 a également été radié de la présente instance. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de cette décision : Gilead Sciences, Inc. c. Apotex Inc., 2016 CAF 140. Les parties ont subséquemment informé la Cour que cette décision de la Cour d’appel fédérale signifiait que seules les allégations d’Apotex concernant le brevet 475 devaient faire l’objet d’une décision en l’espèce. Par ailleurs, elles s’entendent sur le fait que la décision de la Cour d’appel fédérale n’a aucune incidence sur la décision que je m’apprête à rendre dans le dossier connexe T-1694-14 visant le brevet 619, évoqué dans le paragraphe suivant.

[6]               Également en guise de contexte, une affaire connexe à l’affaire en instance existe, à savoir le dossier T-1694-14, portant sur la validité du brevet 619 du médicament FTD, c.-à-d., VIREAD®, que j’ai instruit lors de la même séance et qui est jugé de manière concomitante. L’affaire connexe porte sur une demande différente, mais apparentée visant l’interdiction présentée par Gilead concernant un avis d’allégation envoyé par Apotex à Gilead (également daté du 19 juin 2014) concernant le brevet 619, le brevet 059 (en vertu duquel les revendications ont été radiées par le juge Barnes : Sciences Canada c. Canada (Santé), 2015 CF 610) et les comprimés pour administration par voie orale contenant du FTD (300 mg).

[7]               Les parties acceptent que ma décision dans le dossier T-1694-14 concernant le brevet 619 s’applique aux parties pertinentes de la présente décision concernant le brevet 475. Les allégations et les éléments de preuve concernant le brevet 619 sont identiques dans les deux dossiers de la Cour. Les questions litigieuses du brevet 619 visent des questions relatives à la validité, et elles sont examinées en fonction des mérites de l’affaire connexe.

[8]               J’accueille la demande d’interdiction présentée par Gilead dans l’affaire AC T-1694-14 connexe visant le brevet 619, étant arrivé à la conclusion que Gilead avait réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que les assertions d’Apotex concernant l’invalidité ne sont pas fondées. Cependant, la demande d’interdiction visant le brevet 475 présentée en l’espèce par Gilead est rejetée pour les motifs exposés ci-dessous.

[9]               En raison d’une ordonnance de protection datée du 22 janvier 2016, je délivre les présents motifs confidentiels qui deviendront publics une fois que le caviardage nécessaire aura été effectué, comme il est mentionné plus loin.

II.                Les faits

A.                Revendications relatives au brevet 475

[10]           Le brevet 475 vise l’utilisation de l’association du FTD et du FTC, dans une composition ou une formulation pharmaceutique, pour le traitement des infections par le VIH.

[11]           Dans le brevet 475, les cinq revendications invoquées énoncent ce qui suit :
[traduction]

15. Une formulation pharmaceutique de diisopropoxycarbonyloxyméthyl ester d’acide [2-(6-amino-purin-9-yl)-1-méthyl-éthoxyméthyl]-phosphonique, ci-après désigné comme le fumarate de ténofovir disoproxil, et de (2R, 5S, cis)-4-amino-5-fluoro-1-(2-hydroxymethyl-1,3-oxathiolan-5-yl)-(1H)-pyrimidin-2-one, ci‑après désigné comme l’emtricitabine.

16. La formulation pharmaceutique selon la revendication 15, comprenant en outre un ou plusieurs supports ou excipients acceptables pharmaceutiquement.

[...]

24. La formulation pharmaceutique selon la revendication 15, dans laquelle le fumarate de ténofovir disoproxil et l’emtricitabine sont présents avec un ratio de l’ordre de 300:200 au poids.

25. La formulation pharmaceutique selon la revendication 24, contenant environ 300 mg de fumarate de ténofovir disoproxil et environ 200 mg d’emtricitabine.

[...]

28. La formulation pharmaceutique selon la revendication 15, convenant à une administration une fois par jour à un humain infecté.

[12]           Le Résumé de l’invention du brevet 475 énonce ce qui suit à la page 3 :
[traduction]

La présente invention concerne des combinaisons de composés antiviraux, en particulier des compositions et des méthodes pour l’inhibition du VIH. Dans un exemple, l’invention inclut une composition comprenant du fumarate de ténofovir disoproxil (FTD) et de l’emtricitabine qui a une activité anti‑VIH. La composition du FTD et de l’emtricitabine est stable sur le plan chimique, en plus d’être synergique et/ou de réduire les effets secondaires du FTD et/ou de l’emtricitabine ou les deux. L’observance thérapeutique risque d’être accrue vu la réduction du nombre de pilules à prendre et la simplification de la posologie.

La présente invention concerne des combinaisons thérapeutiques de diisopropoxycarbonyloxyméthyl ester d’acide [2-(6-amino-purin-9-yl)-1-méthyl-éthoxyméthyl]-phosphonique (fumarate de ténofovir disoproxil, tenofovir DF, TDF, Viread®) et de (2R, 5S, cis)-4-amino-5-fluoro-1-(2-hydroxymethyl-1,3-oxathiolan-5-yl)-(1H)-pyrimidin-2-one (emtricitabine, EmtrivaMC, (-)-cis FTC) et leur utilisation pour traiter des infections par le VIH, comprenant les infections à mutants du VIH résistant à des inhibiteurs nucléosidiques et/ou non nucléosidiques. La présente invention a également trait à des compositions pharmaceutiques et à des formulations de ces combinaisons de fumarate de ténofovir disoproxil et d’emtricitabine. Un autre élément de l’invention concerne une formulation pharmaceutique contenant un dérivé physiologiquement fonctionnel de fumarate de ténofovir disoproxil ou un dérivé physiologiquement fonctionnel d’emtricitabine.

B.                 Témoins

(1)               Experts

(a)                Gilead

(i)                 Dre Angela D.M. Kashuba

[13]           La Dre Kashuba est pharmacologue-clinicienne et diplômée de l’American Board of Clinical Pharmacology. Elle est également professeure et vice-présidente du département de Recherche et Études supérieures de la Eshelman School of Pharmacy à la University of North Carolina à Chapel Hill. Elle est par ailleurs professeure auxiliaire de médecine à la UNC School of Medicine. La Dre Kashuba a établi un programme de pharmacologie clinique pour le VIH reconnu à l’échelle mondiale à la UNC depuis qu’elle s’y est jointe en 1997, et elle a rédigé de nombreux ouvrages sur la pharmacologie du VIH.

[14]           Apotex a contesté une partie du témoignage donné par la Dre Kashuba, notamment son avis sur la stabilité chimique, les formulations pharmaceutiques ou le traitement de maladies, en raison de son manque d’expertise dans le domaine de la formulation pharmaceutique et les domaines énoncés. Je suis d’accord avec Apotex et j’admets le témoignage donné par la Dre Kashuba seulement dans la mesure où elle est qualifiée pour témoigner et se limite à son champ d’expertise, soit la pharmacologie clinique.

(b)               Apotex

(i)                 Dr Charles William Flexner

[15]           Le Dr Flexner est médecin depuis 1982; il est spécialisé en pharmacologie clinique et en virologie. Il est actuellement professeur de médecine (pharmacologie clinique et maladies infectieuses) et professeur de pharmacologie et sciences moléculaire à la School of Medicine de la Johns Hopkins University. En plus de sa tâche pédagogique, le Dr Flexner joue divers rôles administratifs à la Johns Hopkins University. Il possède de l’expérience dans le développement clinique de nouveaux médicaments pour traiter le VIH, notamment, et a agi à titre de chercheur dans le cadre d’essais cliniques employant un grand nombre de médicaments antirétroviraux actuellement sur le marché, dont l’emtricitabine (EMTRIVA®) et le fumarate de ténofovir disoproxil (VIREAD®).

(ii)               Professeur Arthur H. Kibbe

[16]           Le professeur Kibbe est professeur de sciences pharmaceutiques à la Wilkes University School of Pharmacy de la Wilkes University, et est l’ancien président du département des sciences pharmaceutiques de la School of Pharmacy. Il mène une carrière fort remplie dans le domaine pharmaceutique, notamment dans les milieux universitaires, industriels et gouvernementaux. Par exemple, le professeur Kibbe a donné des cours sur la conception et la mise au point de formulations, des cours de pharmacocinétique et des cours de formation continue à l’intention des pharmaciens. Il a également présidé un comité spécial nommé par le commissaire de la FDA pour enquêter sur le processus d’approbation des médicaments génériques. Le professeur Kibbe a axé sa carrière sur le développement de formulations pharmaceutiques, sur la pharmacocinétique et sur les processus d’essais pharmaceutiques, de réglementation et d’approbation.

(2)               Témoins des faits

[17]           Gilead a présenté des affidavits de témoins des faits pour mettre en contexte l’invention de TRUVADA®. Les témoins incluent Michael Miller, actuellement directeur principal de la virologie clinique, et directeur de virologie clinique à Gilead de 2000 à 2003, ainsi que Reza Oliyai, actuellement vice-président au développement de produits et fournitures cliniques, et chercheur scientifique à Gilead de 1994 à 2004.

[18]           Gilead a acquis Triangle Pharmaceuticals (Triangle) en 2003. La preuve démontre que l’acquisition a été signée en grande partie afin de permettre à l’entité combinée de commercialiser une association médicamenteuse composée de FTD, à l’égard duquel Gilead détenait les droits, et de FTC, à l’égard duquel Triangle détenait les droits. Plus précisément, Triangle était titulaire du FTC grâce à une protection par brevet à un moment donné. Pour sa part, Gilead était titulaire du FTD ou de bis(POC)PMPA, un précurseur protégé par le brevet 619.

[19]           Le FTC de Triangle et le FTD de Gilead étaient tous deux plus ou moins connus respectivement pour être des traitements efficaces du VIH ou pour avoir le potentiel de le devenir; le FTD a été commercialisé précisément à cette fin, tandis qu’on savait que le FTC était en essais cliniques dans le même but. Les deux médicaments sont des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), qui sont des composés connus pour être utiles dans le traitement du VIH.

[20]           Les chercheurs de Triangle, dans les mois précédant son acquisition par Gilead, avaient préparé un document interne (« rapport Triangle ») [………………………………………………………… ……………………………………………..Expurgé……………………………………………………..]. Triangle a fourni le rapport Triangle à Gilead avant l’acquisition. Le rapport Triangle n’a pas été rendu public.

[21]           À la période pertinente, on savait que le traitement du VIH menait à une résistance aux monothérapies, à savoir les traitements obligeant les patients à prendre une ou, dans le cas de ceux atteints du VIH, plusieurs pilules par jour. Il existait une motivation de créer une polythérapie comprenant la prise d’un nombre réduit de comprimés, comme le traitement en prise unique quotidienne proposé dans le brevet 475, afin d’améliorer la viabilité à long terme du traitement.

III.             Questions en litige

[22]           En n’alléguant pas la non-contrefaçon des revendications 5, 16, 24, 25 et 28, Apotex concède que le produit d’Apotex contrevient à ces revendications. D’après ce que je comprends, les parties s’entendent sur le fait que la contrefaçon n’est pas en jeu.

[23]           À mon avis, les questions en litige sont les suivantes :

A.    Apotex s’est-il acquitté de son fardeau relativement faible au sujet de ses allégations d’invalidité à l’égard du brevet 475 concernant les revendications 15, 16, 24, 25, et 28 pour cause de :

i.        l’antériorité, si l’association médicamenteuse a fait l’objet d’un communiqué de presse ou d’une conférence de presse avant la date pertinente;

ii.      l’évidence, si l’association médicamenteuse du FTD et du FTC était évidente, ou qu’un essai allait de soi, tel qu’il est indiqué dans Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61;

iii.    l’absence de prédiction valable et d’utilité démontrée par rapport à la promesse du brevet 475.

B.     Si tout motif soulevé par Apotex reçoit une apparence de vraisemblance, la question sera donc de savoir si Gilead s’est acquitté de son fardeau en prouvant selon la prépondérance des probabilités que ces allégations ne sont pas fondées.

[24]           À mon avis, Gilead n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’antériorité et d’évidence soulevées par Apotex ne sont pas fondées, mais elle s’est déchargée de son fardeau à l’égard de l’utilité démontrée et de la prédiction valable. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée, et elle l’est.

IV.             Dispositions législatives

[25]           La Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (Loi sur les brevets), prévoit à l’article 2 que pour être brevetée, une invention doit être nouvelle et utile :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. (invention)

invention means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter; (invention)

[non souligné dans l’original]

[emphasis added]

[26]           La Loi sur les brevets prévoit à l’article 28.2 que l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet au Canada (la « demande en cours ») ne doit pas avoir fait l’objet d’une communication :

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

28.2 (1) The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) must not have been disclosed

a) plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant, in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(b) before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

c) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a)

(c) in an application for a patent that is filed in Canada by a person other than the applicant, and has a filing date that is before the claim date; or

[non souligné dans l’original]

[emphasis added]

[27]           La Loi sur les brevets prévoit à l’article 28.3 que l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet au Canada ne doit pas être évident :

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[non souligné dans l’original]

[emphasis added]

V.                Analyse

A.                Questions préliminaires

(1)               Dates pertinentes

[28]           Dans les présents motifs, je remarque que les dates pertinentes de l’examen du bien-fondé des diverses allégations d’invalidité sont les suivantes 

                    i.            Date de l’interprétation – publication du brevet : 5 août 2004

                  ii.            Antériorité/nouveauté – un an avant la date de dépôt de la demande canadienne (13 janvier 2004) : 13 janvier 2003

                iii.            Évidence (état de la technique) – date de la revendication (date de priorité) : 14 janvier 2003

                iv.            Utilité – date de dépôt de la demande canadienne : 13 janvier 2004

[29]           Les parties s’entendent sur ces dates pertinentes.

(2)               Dissimulation d’information aux experts

[30]           Je fais les mêmes commentaires en l’espèce que ceux que j’ai émis dans l’affaire T-1694-14 connexe, mais je reprends ici mon analyse pour des raisons de commodité.

[31]           Les parties ont choisi différentes méthodes pour collecter l’information auprès de leurs experts pour leurs affidavits respectifs. Tandis que l’avocat de Gilead a fourni le cadre législatif à ses experts tôt, notamment les critères juridiques applicables à l’antériorité, à l’évidence et à l’utilité, Apotex affirme qu’elle ne l’a pas fait avant que les experts aient tiré leurs propres conclusions à propos de questions comme la promesse du brevet, l’interprétation des revendications et l’art antérieur.

[32]           Apotex affirme que la Cour considère que l’aveuglement des experts est la méthode privilégiée pour rassembler la preuve d’experts et elle cite les décisions suivantes : AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex inc., 2014 CF 638, sous la plume du juge Rennie, au paragraphe 321; Teva Canada Innovation c. Apotex Inc., 2014 CF 1070, sous la plume de la juge Gleason (tel était alors son titre), aux paragraphes 94 à 96; Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2015 CF 570, sous la plume du juge O’Reilly, aux paragraphes 27 et 29; Allergan Inc. c. Apotex Inc., 2016 CF 344, sous la plume du juge Zinn, au paragraphe 13. Pour ces motifs, elle a demandé à la Cour d’accorder plus de poids aux opinions de ses experts au moment d’aborder ces questions et les conclusions des témoins experts. À mon avis, l’aveuglement d’un témoin peut être un critère, possiblement un parmi tant d’autres, qui touche à la crédibilité et au poids, mais il n’affecte pas l’admissibilité.

[33]           Gilead, à titre de réplique aux allégations d’Apotex selon lesquelles on devrait accorder moins de poids à la preuve d’experts de Gilead parce que les experts n’étaient pas aveugles, affirme que les experts d’Apotex n’avaient pour l’essentiel pas mené leur propre recherche pour examiner l’art antérieur, ce qui selon moi était largement le cas. L’avocat d’Apotex a plutôt fourni aux experts d’Apotex la totalité ou la quasi-totalité des documents pertinents pour leurs opinions relatives à l’art antérieur et la personne versée dans l’art. Gilead affirme que cela diminue le poids que je devrais accorder à la preuve d’expert d’Apotex, essentiellement parce que les témoins d’Apotex ne disent pas ce que sont l’art antérieur ou la personne versée dans l’art, mais se contentent de se prononcer sur ce que l’avocat d’Apotex leur a présenté comme étant l’art antérieur et les connaissances d’une personne versée dans l’art.

[34]           La Cour doit peser la preuve qui lui est présentée. Au sujet de la question de la dissimulation, je suis d’accord avec la juge Gleason (tel était alors son titre) dans Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc, 2015 CF 875, au paragraphe 166 :

[166]    Quant à l’allégation concernant l’absence de [traduction] « dissimulation », Apotex tente d’appliquer l’arrêt Teva et la décision AstraZeneca en dehors de leur contexte. Dans ces affaires, les experts pour lesquels il a été établi que la crédibilité laissait à désirer avaient interprété les brevets en tenant compte de la contrefaçon, et avaient pu fonder leurs opinions sur les renseignements figurant dans l’AA du fabricant de produits génériques. Dans l’arrêt Teva, cela avait mené à une interprétation particulièrement tortueuse. Dans l’arrêt Teva et la décision AstraZeneca, l’approche adoptée a été jugée nuisible à la crédibilité des experts, car elle a abouti à une opinion erronée axée sur les résultats. Aucun de ces précédents ne peut étayer la position qu’Apotex cherche à défendre en l’espèce à savoir que lorsqu’une partie dissimule des renseignements à ses experts, et pas l’autre, la preuve de celle qui a dissimulé les renseignements doit être privilégiée. Les deux précédents cités doivent plutôt se limiter aux faits auxquels ils se rapportaient.

Dans le même sens, voir l’approche adoptée par le juge Locke dans Shire Canada Inc. c. Apotex Inc., 2016 CF 382, aux paragraphes 42 à 48.

[35]           De manière plus générale, la pondération de la preuve d’expert est une question de fait. Après avoir examiné le droit applicable, et comme l’a honnêtement fait remarquer l’avocat d’Apotex à l’audition, j’ai conclu que la question de l’aveuglement était une question de pertinence, de fiabilité et de poids, et non une question doctrinale.

[36]           Pour les motifs invoqués, je préfère le témoignage de certains experts sur certaines questions, et le témoignage d’autres experts sur d’autres questions, en tenant compte des arguments soulevés par les deux parties et en évaluant le poids qu’il convient d’accorder aux témoignages d’experts.

(3)               Interprétation des revendications

(a)                Personne versée dans l’art

[37]           L’interprétation des revendications est une question de droit que la Cour doit trancher. Lorsque la signification des termes ou des éléments des revendications n’est pas évidente à la lecture de la revendication elle-même ou d’une référence relative aux spécifications, les experts peuvent fournir des indications à ce sujet. Les revendications doivent être interprétées de la façon dont une personne douée d’habiletés moyennes dans l’art (personne versée dans l’art), à la date pertinente, interpréterait le brevet.

[38]           Un brevet est traité selon cette notion de la personne versée dans l’art, qui est « censée être dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, posséder néanmoins un degré moyen de compétence et de connaissances accessoires au domaine dont relève le brevet […] et faire preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans ce domaine » : AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex inc., 2014 CF 638, au paragraphe 51 (citant Merck & Co., Inc. c. Pharmascience Inc., 2010 CF 510, aux paragraphes 34 à 40), conf. par 2015 CAF 158. Le libellé « dépourvue d’imagination et d’esprit inventif » se retrouve dans la décision Beloit Canada Ltd c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (F.C.A.) [Beloit], où la Cour d’appel fédérale fait référence au « technicien qualifié mais peu imaginatif », et dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, au paragraphe 81, où la Cour suprême fait référence à l’inventivité comme étant étrangère à la personne versée dans l’art dans l’analyse portant sur l’évidence. À mon avis, la Cour fédérale a retenu ces notions lors de son interprétation du technicien qualifié en droit des brevets : AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex inc., 2014 CF 638 au paragraphe 51 (le juge Rennie, tel était alors son titre) (citant Merck & Co., Inc. c. Pharmascience Inc., 2010 CF 510, aux paragraphes 34 à 40 (le juge Hughes)), conf. par 2015 CAF 158 (la juge Dawson).

[39]           Les parties ne s’entendent pas sur les compétences de la personne versée dans l’art relativement au brevet 475. Le brevet 475 vise l’utilisation de l’association du FTD et du FTC, dans une composition ou une formulation pharmaceutique, pour le traitement des infections par le VIH.

[40]           À mon avis, la personne versée dans l’art possède l’instruction, les connaissances et la formation relatives aux domaines des formulations pharmaceutiques, du traitement et de la prévention de l’infection par le VIH et de ses symptômes, ainsi que de la pharmacologie des thérapies antirétrovirales. La personne versée dans l’art n’a pas besoin d’avoir d’expérience clinique pour comprendre le brevet 475, quoique cette expérience soit utile. Je tire cette conclusion, car le brevet 475 porte sur une polythérapie chimiquement stable qui est utile dans le traitement du VIH. Ces propriétés ne pouvaient être entièrement évaluées et comprises que par une personne versée à la fois dans l’art des formulations pharmaceutiques (stabilité) et de la pharmacologie (utilité dans le traitement du VIH).

(b)               Interprétation des revendications

[41]           La juge Kane, dans la décision Alcon Canada inc. c. Apotex inc., 2014 CF 699, a cité le juge Hughes au sujet des principes applicables à l’interprétation des revendications :

[121]    Le juge Hughes a présenté un résumé utile des principes applicables après avoir examiné la totalité de la jurisprudence dans la décision Pfizer Canada Inc c Pharmascience Inc, 2013 CF 120, [2013] ACF no 111 :

[64]      Les cours de justice ont formulé de nombreuses directives sur l’interprétation d’une revendication. Pour résumer :

• il faut d’abord interpréter la revendication avant d’envisager les questions de validité et de contrefaçon;

• sur le plan du droit, seule la Cour peut se charger de l’interprétation;

• la Cour doit interpréter la revendication du point de vue de la personne versée dans l’art à qui le brevet est destiné;

• la Cour peut se faire aider par des experts pour élucider le sens de phrases ou de mots particuliers, ou s’informer de l’état de la technique à la date à laquelle la revendication a été publiée;

• la Cour doit lire la revendication dans le contexte général du brevet, ce qui inclut la description et les autres revendications;

• la Cour doit éviter de faire siennes les prétentions trop avantageuses de la description;

• la Cour ne doit pas limiter la revendication aux exemples spécifiques cités dans le brevet;

• la Cour doit s’efforcer d’interpréter la revendication d’une manière qui donne corps à l’intention de l’inventeur;

• la Cour doit s’efforcer d’appuyer une invention méritoire.

[42]           Étant donné que je ne dois examiner que les cinq revendications invoquées, et compte tenu de l’ensemble du brevet 475, j’interprète les revendications comme comprenant une formulation pharmaceutique de FTC et de FTD (revendication 15), avec des excipients et supports acceptables (revendication 16), dans un rapport de 200:300 en poids (revendication 24), ou plus précisément en formulations de 200 mg et 300 mg en poids (revendication 25), devant être administré une fois par jour à un humain infecté par le VIH (revendication 28)

(4)               Admission du communiqué de presse et transcription de la conférence téléphonique

[43]           Les parties ne s’entendent pas sur l’admissibilité de certains documents présentés par Apotex à l’appui de son argument d’invalidité pour cause d’antériorité. En résumé, les documents seraient de prétendus rapports publics relatifs à la fusion de Gilead et de Triangle, notamment un communiqué de presse présumé émis par Gilead daté du 4 décembre 2002 (le « communiqué de presse »), et une prétendue transcription d’une conférence téléphonique sous la forme d’une conférence de presse tenue par Gilead le 4 décembre 2002 (la « transcription de la conférence téléphonique » ou « TCT »).

[44]           Les documents contestés comprenaient également divers articles de journaux et reportages couvrant ces événements datés du 4 décembre 2002 au mois de janvier 2003. Apotex ne demande pas à la Cour d’admettre les articles de journaux et autres reportages annexés à son AC. Elle demande à la Cour de les voir comme des éléments de preuve que la conférence téléphonique a eu lieu le 4 décembre 2002. J’admets les articles de journaux à ce titre.

[45]           Les documents les plus pertinents à la présente instance sont le communiqué de presse présumé et la prétendue transcription de la conférence téléphonique. Le communiqué de presse présumé mentionne qu’une conférence de presse aura lieu le 4 décembre 2002 et qu’un enregistrement de cette conférence sera mis à la disposition du public jusqu’au 7 décembre 2002. Le communiqué de presse est présenté comme étant délivré par Gilead et accessible sur son site Internet. La personne-ressource indiquée est le service des affaires publiques de Gilead, les investisseurs devant s’adresser à Susan Hubbard et les médias, à Amy Flood. Le communiqué comprend également une citation de John C. Martin, président et chef des opérations de Gilead à l’époque, qui fait encore partie du conseil d’administration de Gilead.

[46]           Le communiqué de presse a été présenté à titre de pièce jointe à l’AC d’Apotex; il a également été présenté au témoin de Gilead, M. Miller, lors de son contre-interrogatoire. Apotex n’a pas présenté le communiqué de presse par affidavit et elle a été contrecarrée par l’avocat de Gilead dans ses efforts de le présenter par le témoignage oral de M. Miller de Gilead pour des raisons que j’aborderai dans quelques instants. Le communiqué de presse n’a pas été authentifié ou déposé en preuve par une personne associée à sa préparation, quoique pour des raisons énoncées plus loin, sans quelque faute que ce soit de la part d’Apotex. De même, il n’y avait pas non plus d’élément de preuve oral ou par affidavit attestant la véracité de son contenu.

[47]           La transcription de la conférence téléphonique a prétendument été préparée par CCBN, Inc., et se trouverait sur un site internet de LexisNexis. À première vue, la transcription de la conférence téléphonique contient les dates suivantes, que les parties ont relevées : [traduction] « Tous droits réservés 2002 FDCHeMedia, Inc. », [traduction] « Tous droits réservés 2002 CCBN, Inc. » et [traduction] « DATE DE CHARGEMENT : 18 janvier 2003 ». La transcription de la conférence téléphonique est censée avoir été préparée à partir de la conférence téléphonique elle-même; la conférence téléphonique a eu lieu le 4 décembre 2002. Donc, si le contenu de la transcription de la conférence téléphonique est admis comme étant le caractère véridique de ce qui a été dit dans le cadre d’une telle procédure, ces dates sont seulement pertinentes pour mon examen du critère d’antériorité, dans lequel l’invention doit être divulguée dans une même divulgation au plus tard un an avant la date de dépôt de la demande canadienne.

[48]           La transcription de la conférence téléphonique nomme les personnes suivantes comme étant présentes lors de la conférence téléphonique : John C. Martin (président et chef des opérations, Gilead Sciences); John F. Milligan (premier vice-président et directeur des finances, Gilead Sciences); Norbert Bischofberger (vice-président directeur, recherche et développement, Gilead Sciences); Susan Hubbard (codirectrice des relations avec les investisseurs); Mark Perry (vice-président directeur des opérations); Margaret H. Malloy (analyste); Elise Wang (analyste, Salomon Smith Barney); Craig Parker (analyste, Lehman Brothers); Michael King (analyste, Banc of America Securities); Caroline Copithorne (analyste, Morgan Stanley); Eric J. Ende (analyste, Merrill Lynch); John S. Sonnier (analyste, Prudential); Ben Pat (analyste, RBC Capital); Jason D. Kantor (analyste, WR Hambrecht and Co).

[49]           Apotex a également joint la transcription de la conférence téléphonique à son AC. La transcription de la conférence téléphonique n’a pas été authentifiée ou présentée par affidavit ou témoignage oral par une personne associée à sa préparation, et la véracité de son contenu n’a été attestée par aucune personne associée à sa préparation. On n’a appelé personne de CCBN, Inc. ou de LexisNexis à témoigner pour prouver la véracité de la transcription de la conférence téléphonique, c.-à-d., pour indiquer qu’elle reflétait correctement ce qui avait été dit lors de la conférence téléphonique par les différents participants allégués.

[50]           Gilead s’oppose à l’utilisation du communiqué de presse et de la transcription de la conférence téléphonique au motif qu’ils constituent tous deux du ouï-dire. Il ne fait aucun doute qu’ils sont tous deux du ouï-dire. Les deux documents ont été présentés non pas pour montrer qu’ils ont été rédigés, mais pour établir que ce qu’ils contiennent est véridique. La seule question est de savoir s’ils sont admissibles en preuve. Je vais les examiner séparément.

(a)                Le communiqué de presse

[51]           Apotex affirme que le communiqué de presse est admissible pour plusieurs raisons. Premièrement, le communiqué de presse a été rédigé et publié par Gilead elle-même, qui aurait pu s’opposer au contenu ou aux origines du communiqué de presse de quelque façon, mais qui ne l’a pas fait. Cela devrait empêcher Gilead de plaider maintenant son inadmissibilité. Deuxièmement, Michael Miller, directeur principal de la virologie clinique à Gilead, avait reçu d’Apotex une assignation à comparaître lui demandant de présenter le communiqué de presse. M. Miller a demandé des instructions à l’avocat de Gilead au sujet des mesures à prendre pour se conformer à l’assignation à comparaître. Lors de son contre-interrogatoire, M. Miller a déclaré que l’avocat de Gilead lui avait dit de laisser l’avocat aborder cette question. Ni M. Miller ni son avocat n’ont produit le communiqué de presse comme le demandait l’assignation à comparaître. Troisièmement, Apotex affirme que le communiqué de presse est à la fois fiable et nécessaire, comme l’exige la jurisprudence établissant les exceptions à la règle du ouï-dire : R. c. Finta, [1994] 1 RCS 701, aux pages 854 et 855 [Finta]. Quatrièmement, Apotex affirme que pour l’antériorité, la véracité du contenu du communiqué de presse n’a pas à être prouvée; il a simplement été prouvé que le communiqué de presse avait été émis et que son contenu divulguait l’objet de la revendication brevetée.

[52]           Au sujet de l’admissibilité du communiqué de presse, il est important de préciser que le témoin de Gilead, M. Miller, avait reçu une assignation à comparaître indiquant précisément qu’il devait apporter le communiqué de presse à son contre-interrogatoire. En contravention aux Règles des Cours fédérales, ni M. Miller ni Gilead n’ont fourni le communiqué de presse. Les règles de la Cour régissant les assignations à comparaître (articles 94 et 97 des Règles des Cours fédérales, [DORS/98-106]) énoncent ce qui suit :

94 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la personne soumise à un interrogatoire oral ou la partie pour le compte de laquelle la personne est interrogée produisent pour examen à l’interrogatoire les documents et les éléments matériels demandés dans l’assignation à comparaître qui sont en leur possession, sous leur autorité ou sous leur garde, sauf ceux pour lesquels un privilège de non-divulgation a été revendiqué ou pour lesquels une dispense de production a été accordée par la Cour en vertu de la règle 230.

94 (1) Subject to subsection (2), a person who is to be examined on an oral examination or the party on whose behalf that person is being examined shall produce for inspection at the examination all documents and other material requested in the direction to attend that are within that person’s or party’s possession and control, other than any documents for which privilege has been claimed or for which relief from production has been granted under rule 230.

(2) La Cour peut, sur requête, ordonner que la personne ou la partie pour le compte de laquelle la personne est interrogée soient dispensées de l’obligation de produire pour examen certains des documents ou éléments matériels demandés dans l’assignation à comparaître, si elle estime que ces documents ou éléments ne sont pas pertinents ou qu’il serait trop onéreux de les produire du fait de leur nombre ou de leur nature.

(2) On motion, the Court may order that a person to be examined or the party on whose behalf that person is being examined be relieved from the requirement to produce for inspection any document or other material requested in a direction to attend, if the Court is of the opinion that the document or other material requested is irrelevant or, by reason of its nature or the number of documents or amount of material requested, it would be unduly onerous to require the person or party to produce it.

97 Si une personne ne se présente pas à un interrogatoire oral ou si elle refuse de prêter serment, de répondre à une question légitime, de produire un document ou un élément matériel demandés ou de se conformer à une ordonnance rendue en application de la règle 96, la Cour peut :

97 Where a person fails to attend an oral examination or refuses to take an oath, answer a proper question, produce a document or other material required to be produced or comply with an order made under rule 96, the Court may

a) ordonner à cette personne de subir l’interrogatoire ou un nouvel interrogatoire oral, selon le cas, à ses frais;

(a) order the person to attend or re-attend, as the case may be, at his or her own expense;

b) ordonner à cette personne de répondre à toute question à l’égard de laquelle une objection a été jugée injustifiée ainsi qu’à toute question légitime découlant de sa réponse;

(b) order the person to answer a question that was improperly objected to and any proper question arising from the answer;

c) ordonner la radiation de tout ou partie de la preuve de cette personne, y compris ses affidavits;

(c) strike all or part of the person’s evidence, including an affidavit made by the person;

d) ordonner que l’instance soit rejetée ou rendre jugement par défaut, selon le cas;

(d) dismiss the proceeding or give judgment by default, as the case may be; or

e) ordonner que la personne ou la partie au nom de laquelle la personne est interrogée paie les frais de l’interrogatoire oral.

(e) order the person or the party on whose behalf the person is being examined to pay the costs of the examination.

[non souligné dans l’original]

[emphasis added]

[53]           En l’espèce, Gilead n’a pas plaidé que le communiqué de presse n’était pas sous son autorité, ou que M. Miller n’occupait pas un poste de cadre supérieur à Gilead et n’était pas impliqué dans l’acquisition de Triangle par Gilead. Gilead et M. Miller ont délibérément évité de demander à être dispensés de leurs obligations aux termes du paragraphe 94(2) des Règles; ils ont plutôt refusé unilatéralement de produire le document requis en vertu du paragraphe 94(1) des Règles.

[54]           L’élément de preuve fourni par Gilead était qu’elle avait été avisée par son avocat de ne pas chercher le communiqué de presse ou de documents y afférent.

[55]           À mon avis, la non-conformité de Gilead au paragraphe 94(1) des Règles fait que le communiqué de presse satisfait au critère de la nécessité. La nécessité et la fiabilité sont, ensemble, les critères d’admissibilité d’une preuve par ouï-dire établis par la Cour suprême dans les décisions Finta, R. c. Khan, [1990] 2 CSR 531; R c. Smith, [1992] 2 RCS 915 [Smith]; R c. Blackman, 2008 CSC 37, et évoqués récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Pfizer Canada Inc v Teva Canada Limited, 2016 FCA 161. Dans Smith, le juge en chef Lamer a confirmé que le principe de la nécessité entre en jeu lorsque la preuve directe n’est pas disponible. Telle est ici la situation, la preuve directe n’est pas disponible :

Le critère de la nécessité n’a cependant pas le sens de “nécessaire à la preuve de la poursuite”. Si c’était le cas, la preuve par ouï-dire non corroborée qui satisfait au critère de la fiabilité serait admissible si elle n’était pas corroborée, mais pourrait ne plus être “nécessaire” à la preuve de la poursuite si elle était corroborée par une autre preuve indépendante. Pareille interprétation du critère de la “nécessité” aurait donc pour résultat illogique que la preuve par ouï-dire non corroborée serait admissible, mais deviendrait inadmissible si elle était corroborée. Telle n’était pas l’intention de l’arrêt Khan de notre Cour.

Comme je l’ai déjà dit, il faut donner au critère de la nécessité une définition souple, susceptible d’englober différentes situations. Ces situations auront comme point commun que, pour différentes raisons, la preuve directe pertinente n’est pas disponible. Un certain nombre de situations peuvent engendrer pareille nécessité. Sans tenter de faire une énumération exhaustive, Wigmore propose les catégories suivantes au §1421 :

[traduction] (1) Il se peut que l’auteur de la déclaration présentée soit maintenant décédé, hors du ressort, aliéné ou, pour quelque autre motif, non disponible aux fins de la vérification [par contre‑interrogatoire]. C’est la raison la plus courante et la plus évidente...

(2) La déclaration peut être telle qu’on ne peut pas, de nouveau ou à ce moment-ci, obtenir des mêmes ou d’autres sources une preuve de même valeur. [...] La nécessité n’est pas aussi grande; il s’agit peut‑être à peine d’une nécessité; on peut supposer qu’il s’agit d’une simple commodité. Mais le principe demeure le même.

Il est évident que les catégories de nécessité ne sont pas limitées. Dans l’arrêt Khan, par exemple, notre Cour a reconnu la nécessité de recevoir la preuve par ouï-dire des déclarations d’une enfant qui n’était pas elle-même habile à témoigner. Nous avons également dit que cette preuve par ouï-dire pourrait devenir nécessaire lorsque l’obligation de témoigner de vive voix causerait un traumatisme important à l’enfant. La question de savoir s’il y a une nécessité de ce genre est une question de droit qui doit être tranchée par le juge du procès.

[Non souligné dans l’original]

[56]           À mon avis, le communiqué de presse est nécessaire, tel qu’il est indiqué ci-dessus. Apotex a fait tout ce qu’elle pouvait pour faire produire le communiqué de presse. Elle a demandé à Gilead, étant son auteur présumé, de le fournir. Cependant, Gilead n’a pas répondu à l’assignation à comparaître ni demandé de dispense en application des Règles. L’avocat de Gilead a bloqué la production du communiqué de presse, ce qui a contrecarré à la fois son authentification et la présentation d’éléments de preuve attestant la véracité de son contenu. Les gens toujours en poste à Gilead sont restés silencieux au sujet du communiqué de presse (et de la transcription de la conférence téléphonique); rien ne les empêchait de présenter des éléments de preuve à la Cour. Ce comportement a rendu nécessaire la présentation du communiqué de presse par Apotex.

[57]           Je juge également que le communiqué de presse est fiable; il est réputé avoir été tiré du site Internet de Gilead et publié avant le début du litige. Le silence de Gilead au sujet de la véracité et la fiabilité du document constituait une non-conformité aux Règles, et m’amène également à déduire que le communiqué de presse est fiable : Eli Lilly & Co c. Nu-Pharm Inc (1996), 69 C.P.R. (3d) 1, aux paragraphes 18 et 19 (CAF). Gilead a eu amplement la possibilité de contester la fiabilité du document ou d’inviter un témoin à comparaître si le document contenait des inexactitudes. Gilead ne l’a pas fait.

[58]           Vu qu’il est à la fois nécessaire et fiable, j’admets donc le communiqué de presse. Je juge qu’il s’agit d’une copie datée du 4 décembre 2002 d’un communiqué de presse réel et émis par Gilead. Cela étant dit, comme je le préciserai ci-après, le communiqué de presse ne fait pas avancer la position adoptée par Apotex sauf pour donner de la crédibilité au fait concernant l’accès public à la conférence téléphonique à la période pertinente pour l’antériorité.

(b)               La transcription de la conférence téléphonique

[59]           Je conviens avec Gilead que la transcription de la conférence téléphonique constituerait habituellement du ouï-dire inadmissible. Je note l’importance de la transcription de la conférence téléphonique pour établir la portée de la divulgation publique pendant la conférence téléphonique le 4 décembre 2002. Je note également que le document même énonce qu’avant de se fier à la transcription, la transcription provenant de l’entreprise elle-même devrait être examinée : [traduction] « L’INFORMATION CONTENUE DANS LA TRANSCRIPTION DE L’ÉVÉNEMENT EST UNE REPRÉSENTATION TEXTUELLE DE LA CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE PERTINENTE DE L’ENTREPRISE ET, BIEN QUE DES MESURES AIENT ÉTÉ PRISES EN VUE DE FOURNIR UNE TRANSCRIPTION FIDÈLE, IL PEUT Y AVOIR DES ERREURS, DES OMISIONS OU DES INEXACTITUDES SIGNIFICATIVES DANS LA COMMUNICATION DU FOND DE LA CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE. [...]. LES UTILISATEURS DEVRAIENT EXAMINER LA CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE PERTINENTE DE L’ENTREPRISE MÊME ET LES DOCUMENTS PERTINENTS DE L’ENTREPRISE DÉPOSÉS AUPRÈS DE LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES AMÉRICAINE (SEC) AVANT DE PROCÉDER À TOUT INVESTISSEMENT OU DE PRENDRE D’AUTRES DÉCISIONS. » (Non souligné dans l’original.) En l’espèce, l’entreprise qui pourrait vraisemblablement se trouver en possession de la transcription est Gilead.

[60]           Cependant, je conviens avec Apotex que la transcription de la conférence téléphonique devrait être admise à titre d’exception à la règle du ouï-dire, et j’en conviens pour les mêmes raisons qui m’ont amené à admettre le communiqué de presse : l’exception fondée sur la nécessité et la fiabilité. Là encore, Apotex a fait tout ce qu’elle pouvait pour prouver la transcription de la conférence téléphonique, notamment en signifiant une assignation à comparaître à M. Miller, le seul témoin dans la présente instance qui y avait prétendument accès. Bien qu’obligée de produire la transcription de la conférence téléphonique complète en vertu du paragraphe 94(1) des Règles des Cours fédérales ou de demander une dispense en vertu du paragraphe 94(2) des Règles, Gilead ne s’est conformée à aucune des composantes de l’article 94 des Règles. L’élément de preuve fourni par Gilead était qu’elle avait été avisée par son avocat de ne pas chercher ce document ou de documents y afférent. Peut-être que les témoins ou les employés de Gilead ont pris des notes, ou qu’ils ont leurs propres copies de la conférence téléphonique; peut-être qu’ils pourraient se souvenir des paroles qui avaient été prononcées; peut-être qu’ils avaient leur propre enregistrement. La Cour l’ignore. Cette situation découle du comportement unilatéral de Gilead. Gilead l’a rendue inaccessible; la transcription de la conférence téléphonique répond au critère de la nécessité.

[61]           Je suis également d’accord que la transcription de la conférence téléphonique est fiable; la conférence téléphonique a été transcrite de façon contemporaine en 2002. À cet égard, je note que le droit d’auteur sur la transcription est daté de 2002. La transcription a été publiée par LexisNexis, un éditeur et fournisseur de contenu juridique bien connu, et elle a été publiée bien avant que ne survienne le présent litige. Je note également que Gilead n’a pas contesté le contenu de la transcription de la conférence téléphonique à laquelle ses dirigeants ont participé. Je constate en outre que Gilead est la seule partie ayant la connaissance et la possession réelles de ces faits pertinents. Par ailleurs, deux personnes identifiées sur la transcription de la conférence téléphonique, Norbert Bischofberger et John Martin, occupent toujours des postes de direction au sein de Gilead, et ils auraient pu produire des éléments de preuve appuyant d’éventuelles inexactitudes dans la transcription de la conférence téléphonique si de telles inexactitudes existaient. Cependant, Gilead a choisi de ne pas fournir d’élément de preuve de la part de ces témoins sous son contrôle. L’avocat de Gilead avait donné au témoin l’instruction de ne chercher ni le communiqué de presse ni la transcription de la conférence téléphonique.

B.                 Antériorité ou nouveauté

[62]           La Loi sur les brevets prévoit qu’un brevet ne peut pas être accordé pour une invention qui a été divulguée préalablement ou qui n’est pas nouvelle, dans le cas où le contenu de la divulgation serait à la disposition du public canadien. La période pertinente pour déterminer si le brevet 475 était antériorisé était le 13 janvier 2003, soit un an avant la date du dépôt du brevet canadien 475 du 13 janvier 2004. La Loi sur les brevets stipule, dans le passage pertinent :

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

28.2 (1) The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) must not have been disclosed

a) plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant, in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(b) before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

[…]

[non souligné dans l’original]

[emphasis added]

[63]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, aux paragraphes 18 à 37 [Sanofi], prescrit que l’antériorité consiste en un document disponible publiquement divulguant le contenu du brevet en question, de façon à ce que le brevet porte atteinte à une divulgation antérieure lorsqu’elle est faite, et que cette divulgation antérieure permette à la « personne versée dans l’art » de fabriquer l’invention comme elle est revendiquée. Le juge Rothstein (écrivant au nom de la Cour) a dit ce qui suit :

[20]      Après renvoi au par. 27(1) de la Loi, le juge de première instance opine qu’il y a antériorité « [lorsque] l’invention exacte a déjà été faite et a été divulguée au public » (par. 55). Il cite un extrait de l’arrêt Free World Trust c. _lectro Sant_ Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66, où notre Cour approuve le critère de l’antériorité énoncé dans l’arrêt Beloit Canada Ltée c. Valmet OY, [1986] A.C.F. no 87 (QL) (C.A.), par. 30 :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. [Souligné par le juge de première instance.]

[21]      Le juge signale que dans l’arrêt General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457, la Cour d’appel d’Angleterre a dit ce qui suit à la p. 486 :

[traduction] Si, par contre, la publication antérieure renferme des instructions qui sont susceptibles d’être exécutées de façon à contrevenir à la revendication du breveté, mais qui seraient à tout le moins aussi susceptibles d’être exécutées de façon à ne pas y contrevenir, la revendication du breveté ne se heurterait pas à une antériorité, bien qu’elle puisse être jugée non valide pour cause d’évidence. Pour constituer une antériorité opposable à la revendication du breveté, la publication antérieure doit contenir des instructions claires et non équivoques permettant d’obtenir ce que le breveté prétend avoir inventé... [Souligné par le juge de première instance.]

Il précise ensuite qu’au par. 26 de l’arrêt Free World, notre Cour a approuvé l’extrait suivant de l’arrêt General Tire :

[traduction] Aussi clair qu’il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté. [p. 486]

[22]      Les tribunaux canadiens ont adhéré sans réserve au critère de l’antériorité défini dans les arrêts Beloit et General Tire : Free World, par. 26. Lorsqu’il affirme ce qui suit au par. 57, il est clair que le juge Shore s’appuie sur le critère énoncé dans l’arrêt Beloit pour appliquer le droit aux faits de l’espèce :

La Cour doit, en se fondant sur le droit applicable, décider si une personne versée dans l’art a reçu des instructions d’une clarté telle que, lorsqu’elle prend connaissance du brevet ’875 (ou de ses équivalents américains ou français) et s’y conforme, elle arrivera infailliblement à un composé ou à une composition pharmaceutique visé par les revendications du brevet ’777 (c.-à-d. le bisulfate de clopidogrel).

c)         Jurisprudence britannique récente

[23]      Pour les motifs qui suivent et au vu de la jurisprudence récente, j’estime respectueusement que le juge de première instance a exagéré la rigueur du critère de l’antériorité en considérant que l’« invention exacte » devait déjà avoir été faite et avoir été rendue publique.

[24]      En 2005, dans l’arrêt Synthon de la Chambre des lords, lord Hoffmann a apporté quelques précisions supplémentaires sur le critère de l’antériorité et sur son interprétation depuis l’arrêt General Tire. Le fait qu’il a qualifié d’inattaquable le passage cité des motifs de lord Westbury dans Hills c. Evans (1862), 31 L.J. Ch. (N.S.) 457, p. 463, indique clairement que son analyse ne tient pas à quelque modification du droit anglais découlant de l’adoption de la Patents Act 1977 (R.U.), 1977, ch. 37, non plus qu’à la ratification de la Convention sur la délivrance de brevets européens, 1065 R.T.N.U. 199 (entrée en vigueur le 7 octobre 1977) par le Royaume‑Uni. Il établit une distinction entre deux exigences en la matière qui, jusqu’alors, ne faisaient pas expressément l’objet d’un examen distinct, à savoir la divulgation antérieure et le caractère réalisable.

[25]      Lord Hoffmann explique que suivant l’exigence de la divulgation antérieure, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (par. 22) :

[traduction] Si je puis me permettre de résumer ce qui découle de ces deux énoncés fort connus [tirés de General Tire et de Hills c. Evans], l’objet de l’antériorité alléguée doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait le brevet. [...] Il s’ensuit que, peu importe que cela aurait sauté ou non aux yeux de quiconque au moment considéré, lorsque ce qui est décrit dans la divulgation antérieure est réalisable et une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet, la condition de la divulgation antérieure est remplie.

En ce qui concerne la divulgation, la personne versée dans l’art [traduction] « est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] a voulu dire » (par. 32). À cette étape, les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur.

[26]      Lorsque l’exigence de la divulgation est remplie, le second élément établissant l’antériorité est le « caractère réalisable », à savoir la possibilité qu’une personne versée dans l’art ait pu réaliser l’invention (par. 26).

[64]           À ce propos, je remarque que le critère établi dans l’arrêt Sanofi était fondé sur un libellé législatif différent de celui en vigueur dans la présente demande. À l’époque de l’arrêt Sanofi, la loi précisait que la divulgation devait se faire sous forme de brevet ou de publication :

27. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’auteur de toute invention ou le représentant légal de l’auteur d’une invention peut, sur présentation au commissaire d’une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le « dépôt de la demande », et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l’exclusive propriété d’une invention qui n’était pas :

a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l’ait faite;

b) décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;

c) en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.

[65]           La version actuelle ne précise pas la forme de la divulgation, qui peut maintenant être orale ou écrite. Les deux parties se sont appuyées sur la disposition actuelle :

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

a) plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part de la demanderesse ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

c) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a);

d) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt correspond ou est postérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a) si [...].

[66]           Dans le commentaire portant sur l’article 28.2 du document Stratton : Annotated Patent Act, la forme de la divulgation est expliquée ainsi :
[traduction]

Contrairement aux définitions antérieures de la nouveauté et aux définitions que l’on trouve dans d’autres ressorts lorsqu’il s’agit de la mise à la disposition du public, la Loi actuelle ne définit pas de catégories distinctes pour les différents moyens de divulgation au public. Par exemple, il n’existe pas de catégorie spéciale pour l’antériorité par publication, ou pour l’antériorité par l’offre à la vente ou la vente de produits concrétisant l’objet d’une revendication.

[67]           Apotex a pris note de la nature publique de la conférence téléphonique, et je l’accepte. Le communiqué de presse indiquait qu’il y aurait une conférence téléphonique. La transcription de la conférence téléphonique elle-même confirme que la conférence téléphonique a eu lieu. La date importante pour déterminer l’antériorité est le 13 janvier 2003. Bien que l’appel ait eu lieu le 4 décembre 2002, il appert que la transcription de la conférence téléphonique a été téléchargée ou publiée le 18 janvier 2003. La conférence téléphonique était ouverte au public; elle pouvait être écoutée en direct et pendant trois jours après son déroulement. La transcription de la conférence téléphonique est la transcription de l’appel public. Si le brevet était antériorisé par la conférence téléphonique, à mon avis cette antériorité a eu lieu le 4 décembre 2002, avant la date pertinente pour l’antériorité.

[68]           Dans la décision AstraZeneca Canada Inc c. Apotex Inc, 2014 CF 638, le juge Rennie (tel était alors son titre) a résumé l’antériorité comme suit :

[223]    Apotex affirme que le brevet 653 est invalide parce que l’objet revendiqué n’était pas nouveau ou, en termes positifs, parce qu’il était « antériorisé ». Selon les articles 2 et 28.2 de la Loi sur les brevets, tout brevet doit présenter le caractère de la nouveauté pour être valide. En substance, un brevet est antériorisé si la personne versée dans l’art aurait pu, avant la date de la revendication (le 28 mai 1993), et en consultant une seule pièce d’antériorité, réaliser l’objet du brevet sans « trop de difficultés ».

[224]    Dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo Plavix, aux paragraphes 30 à 33, la Cour suprême du Canada a élaboré un critère en deux volets relatif à l’antériorité. L’antériorité d’un brevet s’établit, du point de vue de la personne versée dans l’art, par : 1) la divulgation antérieure, et 2) le caractère réalisable de l’objet de cette divulgation antérieure.

[69]           J’analyserai maintenant les deux conditions établies par la doctrine pour établir l’antériorité : la divulgation antérieure et le caractère réalisable.

(1)               Divulgation

[70]           Comme je l’ai mentionné précédemment, pour qu’il y ait divulgation du brevet 475 par le communiqué de presse, par la conférence téléphonique ou par la transcription de la conférence téléphonique, je dois juger que le communiqué de presse ou la transcription de la conférence téléphonique, qui est la consignation de la conférence téléphonique elle-même, divulgue tous les renseignements requis pour la personne versée dans l’art, dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, pour fabriquer l’objet qui contreviendrait nécessairement au brevet 475.

[71]           Je conviens avec Gilead que le critère de l’arrêt Beloit établi par l’arrêt J.M. Voith GmbH et autres c. Beloit Corp. et autres (1991), 36 C.P.R. (3d) 322 (C.A.F.) [Beloit], continue de s’appliquer après l’arrêt Sanofi. L’arrêt Beloit est un arrêt de la Cour d’appel fédérale. La décision Beloit explique la divulgation comme étant une seule divulgation, qui contient des directives d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Lorsque, comme c’est le cas ici, l’invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d’antériorité.

[Non souligné dans l’original]

[72]           Gilead soutient, et je suis du même avis, que le critère établit dans l’arrêt Beloit a été réaffirmé lorsque la Cour d’appel fédérale l’a cité après la décision Sanofi dans Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219 [Eurocopter] :

[109]    L’invention peut être antériorisée par une publication ou une communication verbale ou du fait de son utilisation. En l’espèce, Bell Helicopter n’invoque que l’antériorité par publication. L’antériorité par publication antérieure exige que l’invention ait en fait été divulguée dans des documents écrits accessibles au public, comme les brevets, les articles de journaux et la littérature spécialisée, y compris les manuels et brochures d’instruction et de réparation. Le critère objectif applicable à la divulgation par publication antérieure est énoncé dans l’affaire Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, 64 N.R. 287, au par. 30 de l’édition N.R. :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Lorsque, comme c’est le cas ici, l’invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d’antériorité.

[110]    Il a été fait mention avec approbation du critère de l’antériorité susmentionné dans l’arrêt Free World Trust, au par. 26, où il a de plus été souligné qu’il était difficile à remplir. Sous réserve de la distinction existant entre la divulgation et le caractère réalisable, il y a toujours lieu d’appliquer ce critère en matière d’antériorité : Sanofi, au par. 28.

[Non souligné dans l’original]

[73]           Dans l’interprétation des revendications formulées dans le brevet 475, je peux être guidé par les experts. D’un côté, la Dre Kashuba, témoin expert de Gilead, sans aucune expérience du domaine pharmaceutique, considère que l’invention revendiquée alléguée associe au moins le FTD et le FTC dans une formulation pharmaceutique ayant une activité antivirale, et qui est stable chimiquement ou synergique, ou à la fois stable chimiquement et synergique.

[74]           De l’autre côté, le professeur Kibbe, témoin d’Apotex, a affirmé que l’invention est la coformulation de FTD et FTC destinée au traitement du VIH.

[75]           Le Dr Flexner, pour Apotex, explique qu’à son avis l’invention est une coformulation à dose unique de FTC et FTD pour le traitement de l’infection au VIH.

[76]           En l’espèce, je ne suis pas convaincu que le communiqué de presse, à lui seul, divulgue l’invention revendiquée, c’est à dire, la combinaison de FTD et de FTC dans un comprimé contenant une coformulation à dose unique, qui doit nécessairement présenter une certaine stabilité chimique et une efficacité pour être de quelque utilité que ce soit dans le traitement d’une infection au VIH. À mon humble avis, l’objectif général du communiqué de presse, comme en témoigne le ton employé, est d’aborder les synergies commerciales et d’affaires qui existent entre Gilead et Triangle. Le seul élément de preuve pertinent d’une divulgation pharmaceutique ou relative à un médicament dans le communiqué de presse est ce qui suit :
[traduction]

En plus de poursuivre ses activités de commercialisation de Coviracil [FTC], une monothérapie, Gilead prévoit lancer immédiatement le développement d’une coformulation de Viread et Coviracil comme traitement combiné potentiel à dose fixe pour les patients atteints du VIH.

[77]           Comme l’explique Gilead, à ce moment, le FTC (ou Coviracil) n’était pas pleinement développé et disponible pour être distribué en formulation simple; il était seulement au stade d’essai clinique. Par ailleurs, rien dans le communiqué de presse n’indique que des essais avaient lieu démontrant que la coformulation était une option judicieuse de développement, ou que la coformulation s’avérerait stable chimiquement. Même si une personne versée dans l’art avait connu le FTD et le FTC et leur forme de dosage respectif, à mon avis, le communiqué de presse ne contient pas des directives d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arriverait infailliblement à l’invention revendiquée. Le communiqué de presse ne me démontre pas qu’une personne versée dans l’art aboutirait immédiatement et infailliblement à la coformulation de 300 mg et de 200 mg.

[78]           Par conséquent, je ne suis pas disposé à juger que le communiqué de presse à lui seul divulgue l’invention du TRUVADA®, qui contient une coformulation chimiquement stable en prise unique quotidienne de FTD et de FTC dans une association de 300 mg et de 200 mg pour traiter le VIH.

[79]           D’un autre côté, la conférence téléphonique elle-même, reflétée dans la transcription de la conférence téléphonique, révèle beaucoup plus que le communiqué de presse. À mon avis, la conférence téléphonique divulgue des renseignements à partir desquels une personne versée dans l’art parviendrait immédiatement et infailliblement à la coformulation en prise unique quotidienne revendiquée de 300 mg et de 200 mg de FTD et de FTC pour traiter le VIH. La transcription de la conférence téléphonique (qui rapporte selon moi correctement la conférence téléphonique elle-même) cite M. Bischofberger, de Gilead, déclarant ce qui suit :
[traduction]

Le travail de coformulation est en cours, mais d’après les propriétés physico-chimiques des deux composantes, nous ne prévoyons aucun défi majeur. Pour ce qui est de la voie réglementaire, il est assez clair que tout ce dont nous avons besoin est une trousse CMC (chimie, fabrication et contrôle). Donc, vous avez besoin des renseignements relatifs à la fabrication chimique en plus de l’étude sur la bioéquivalence, pour montrer que le comprimé coformulé vous donne la même exposition aux composantes individuelles que le font les composantes individuelles. Mais en plus de ça, nous menons des études pour examiner l’association du FTC à nos produits Coviracil et Viread chez les patients atteints du VIH.

[80]           À mon avis, cet énoncé divulgue à la personne versée dans l’art ayant l’intention de comprendre que la coformulation ne requiert qu’une trousse CMC, ce qui, pour une personne versée dans l’art, signifierait que les doses comprises dans la coformulation sont les mêmes que celles des comprimés individuels. Cet énoncé divulgue également l’utilisation de la coformulation pour les patients atteints du VIH.

[81]           Plus loin dans la conférence téléphonique, John F. Milligan, de Gilead, a déclaré ce qui suit :
[traduction]

Le chemin menant aux produits coformulés est très simple. Il est limité par les études relatives à la stabilité. Donc, il n’est pas limité par les données cliniques, mais plutôt par la stabilité pour avoir une durée de conservation, [...]

Cette déclaration indique également que la coformulation doit être chimiquement stable aux fins de sa durée de conservation.

[82]           Étant donné que l’invention revendique une coformulation chimiquement stable à prise unique quotidienne de FTD et de FTC en doses de 300 mg et de 200 mg, qui, je le fais remarquer, sont identiques aux doses de leurs comprimés individuels pour le traitement du VIH, la revendication a effectivement été divulguée lors de la conférence téléphonique. Par conséquent, je conclus que la conférence téléphonique divulgue l’objet qui, s’il était accompli, contreferait nécessairement le brevet qui contient une coformulation chimiquement stable en prise unique quotidienne de FTD et de FTC dans une association de 300 mg et de 200 mg pour traiter le VIH. En les prenant conjointement et en les examinant comme un tout, je juge que la divulgation dans la conférence téléphonique et dans la transcription de la conférence téléphonique était suffisante pour établir l’antériorité.

(2)               Caractère réalisable

[83]           Je dois maintenant examiner le caractère réalisable puisque l’invention a été divulguée dans la transcription de la conférence téléphonique. À l’étape du caractère réalisable, les essais successifs routiniers sont permis à la personne versée dans l’art, qui par contre ne pourrait avoir recours à aucune étape inventive ou subir un fardeau indu pour arriver à l’invention revendiquée :

[27]      Dès lors que l’objet de l’invention est divulgué dans un brevet antérieur, on suppose que la personne versée dans l’art est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. Bien que de tels essais soient exclus à l’étape de la divulgation, ils ne le sont pas pour les besoins du caractère réalisable, car la question n’est plus de savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention.

Arrêt Sanofi, au par. 27.

[84]           L’arrêt Sanofi a abordé les critères suivants à considérer pour déterminer si la divulgation a également permis de mettre à exécution l’invention revendiquée :

[37]      Au vu de cette jurisprudence, j’estime que les facteurs suivants – dont l’énumération n’est pas exhaustive et l’applicabilité dépend de la preuve – doivent normalement être considérés.

1.         Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’art antérieur est constitué de la totalité du brevet antérieur.

2.         La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possèdent généralement les personnes versées dans l’art en cause au moment considéré.

3.         Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle-ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

4.         Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.

[85]           Dans l’arrêt Eurocopter, la Cour d’appel fédérale a écrit, citant l’arrêt Sanofi :

[108]    L’appréciation de la deuxième condition, le caractère réalisable de l’invention, est effectuée lorsqu’il a été établi, de façon objective, que l’objet de l’invention a en effet été divulgué. Au moment de l’examen du caractère réalisable, il ne s’agit plus de savoir ce que la personne versée dans l’art a compris grâce à la divulgation, mais si cette personne serait en mesure d’exécuter l’invention sans trop de difficultés : Sanofi, aux par. 26 et 37. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Il est permis, à cette étape, de réaliser certains essais, mais ils ne doivent pas se prolonger, et ce, même dans des domaines techniques où ils sont monnaie courante : Sanofi, aux par. 27 et 33 à 37.

[86]           En résumé, pour apprécier le caractère réalisable, l’arrêt Sanofi indique que les éléments suivants sont à prendre en compte :

1.      l’entièreté de la divulgation;

2.      les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art;

3.      le fait que les essais soient courants ou longs et ardus;

4.      le fait que des habiletés et des connaissances raisonnables puissent facilement corriger des erreurs ou des omissions manifestes de la divulgation.

[87]           Ces critères ont été suivis dans des jugements ultérieurs. J’examinerai maintenant chacun d’entre eux.

1. Divulgation

[88]           Dans la présente demande, la divulgation faite dans le communiqué de presse n’est pas suffisante pour respecter les exigences du caractère réalisable. Cependant, la divulgation faite dans la conférence téléphonique est une autre question. Elle contient les éléments suivants :

                    i.            le Coviracil (FTC ou EMTRIVA®) était [traduction] « très complémentaire » au VIREAD®, c.-à-d. au FTD, pour le VIH (page 2);

                  ii.            le FTC est un comprimé administré une fois par jour qui a un profil d’innocuité semblable à un placebo (page 2);

                iii.            le FTC et le FTD n’ont aucun [traduction] « chevauchement de mutation de résistance. Cela semble indiquer qu’ils seraient très compatibles lorsqu’ils sont utilisés en association » (page 2);

                iv.            déclaration de John Milligan, de Gilead : [traduction] « la nécessité de thérapies à prise unique quotidienne est évidente [...] Viread et Coviracil sont très complémentaires. Les deux sont administrés en prise unique quotidienne. Les deux sont puissants. Il n’y a aucun chevauchement [irritations]. Les deux sont des produits très bien tolérés; il y a donc ici une synergie évidente. » (page 4);

                  v.            déclaration de Norbert Bischofberger, de Gilead : « Le travail de coformulation est en cours, mais d’après les propriétés physico-chimiques des deux composantes, nous ne prévoyons aucun défi majeur. » (page 5);

                vi.            le FTD (vendu sous le nom VIREAD®) était déjà associé à 3TC (lamivudine) [un autre médicament INTI utile pour traiter le VIH] chez 50 % des patients prenant VIREAD®;

              vii.            le médicament qui serait fabriqué par la société fusionnée serait une coformulation;

            viii.            la coformulation serait composée de VIREAD® et de Coviracil (FTC);

                ix.            Gilead devait lancer le développement de la coformulation de VIREAD® et de Coviracil comme traitement combiné potentiel à dose fixe pour les patients atteints du VIH. Cela pourrait donner le premier produit à dose unique quotidienne d’une association de médicament;

                  x.            Gilead n’avait pas [traduction] « prévu de défi majeur pour [coformuler VIREAD® et Coviracil] » (page 5).

2. Connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art

[89]           Le professeur Kibbe, pour Apotex, a présenté une preuve d’expert utile concernant les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Je souligne ici que bien que la Dre Kashuba soit experte en pharmacologie, elle a admis n’avoir aucune expertise de la chimie pharmaceutique ou de la formulation pharmaceutique, qui est le champ déterminé pour la présente divulgation. Puisque Gilead n’a fourni aucune preuve d’expert à la Cour à ce sujet, et puisque le professeur Kibbe possède d’excellentes compétences dans le domaine, je préfère la preuve présentée par le professeur Kibbe concernant les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art de la formulation pharmaceutique.

[90]           Dans l’art antérieur, Coviracil et VIREAD® auraient des ingrédients pharmaceutiques actifs à dosage connu dont les méthodes de préparation seraient connues, bien qu’elles soient peut-être protégées par les brevets.

[91]           Je suis donc d’avis que la personne versée dans l’art qui est formulateur chimique saurait que le dosage du Coviracil était de 200 mg, et que le dosage du VIREAD® était de 300 mg.

3. Types des essais

[92]           Pour les motifs expliqués précédemment, je préfère encore une fois l’opinion du professeur Kibbe. Le professeur Kibbe a fourni des éléments de preuve décrivant la nature du travail d’une personne versée dans l’art qui est formulateur pharmaceutique. Dans son affidavit, le professeur Kibbe énonce qu’un formulateur effectuerait aisément des essais courants de stabilité chimique pour s’assurer que les deux ingrédients pharmaceutiques actifs sont compatibles en coformulation. Une fois ces essais courants terminés, le formulateur pharmaceutique qualifié préparerait aisément les excipients appropriés et il fabriquerait la coformulation sous forme de comprimé à prise unique, comme le revendique l’invention.

4. Erreurs ou omissions manifestes

[93]           Évidemment, la divulgation ne révèle pas la méthode de préparation du Coviracil, du VIREAD®, ou de sa coformulation. Cependant, une personne versée dans l’art peut se tourner vers l’art antérieur ou chercher ailleurs pour remédier à cette omission à l’étape du caractère réalisable.

[94]           En l’espèce, je souligne que la préparation des ingrédients pharmaceutiques actifs du Coviracil et du VIREAD® était connue et avait été divulguée dans des brevets antérieurs, et qu’elle était ainsi facilement accessible pour la personne versée dans l’art.

[95]           Avec ces connaissances supplémentaires, à mon humble avis, les essais courants décrits plus tôt deviennent encore plus simples.

[96]           L’invention devait associer deux médicaments aux dosages connus pour une administration une fois par jour par voie orale, afin de créer une coformulation permettant de prendre un comprimé une seule fois par jour. Je conclus que l’invention était permise par la conférence téléphonique de telle sorte qu’en examinant la divulgation, et considérant l’art antérieur et les connaissances générales courantes comme le ferait un formulateur pharmaceutique qualifié, la personne versée dans l’art n’aurait eu qu’à effectuer des essais courants pour fabriquer l’invention brevetée par le brevet 475.

[97]           Ainsi, la conférence téléphonique a divulgué et permis l’invention revendiquée par le brevet 475. Par conséquent, je dois conclure que Gilead n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’antériorité d’Apotex n’étaient pas fondées. Pour ce motif, je rejetterais la demande d’interdiction de Gilead.

C.                 Évidence

(1)               Évidence et essais allant de soi

[98]           Apotex allègue que l’association du FTD et du FTC était évidente à la lumière de l’état de la technique et des traitements offerts à la période pertinente. Gilead n’est pas d’accord. Compte tenu de ma conclusion au sujet de l’antériorité, il n’y a pas lieu d’aborder cette question, mais je le ferai puisque ce critère a fait l’objet de plaidoiries exhaustives.

[99]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Sanofi, a établi le cadre suivant pour l’examen de l’évidence :

[67]      Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, (page 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité? [Je souligne.]

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

[100]       Selon l’arrêt Sanofi de la Cour suprême du Canada, le critère de l’« essai allant de soi » peut également être appliqué pour examiner l’évidence, bien que ce ne soit pas le seul critère de l’examen relatif à l’évidence.

[66] Pour conclure qu’une invention résulte d’un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas.

[...]

i. Dans quels cas la notion d’« essai allant de soi » est-elle pertinente?

[68] Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables.

ii. « Essai allant de soi » : éléments à considérer

[69] Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

1.      Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2.      Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3.      L’art antérieur fournit-elle [sic] un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[70] Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme de métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

[101]       J’aborderai maintenant ces critères.

(a)                « Personne versée dans l’art »

[102]       J’ai décrit précédemment la personne versée dans l’art comme étant une personne ou une équipe de personnes titulaires d’un diplôme de niveau supérieur dans le domaine de la formulation pharmaceutique, et possédant l’instruction, les connaissances et la formation relatives aux domaines des formulations pharmaceutiques, du traitement et de la prévention de l’infection au VIH et de ses symptômes, ainsi que de la pharmacologie des thérapies antirétrovirales. La personne versée dans l’art n’a pas besoin d’avoir d’expérience clinique pour comprendre le brevet 475, quoique cette expérience soit utile.

(b)               Connaissances générales courantes pertinentes de la personne versée dans l’art

[103]       J’ai décrit précédemment les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art quant à l’analyse de l’antériorité comme suit : la personne versée dans l’art connaîtrait le VIREAD® et le Coviracil et leurs formulations pharmaceutiques actives ainsi que la posologie individuelle divulguée dans des publications et dans les essais effectués. Elle aurait su que les deux étaient administrés une fois par jour. Les experts s’entendent pour dire que la norme de soin pour le traitement de l’infection au VIH en janvier 2003 était l’usage chronique d’une combinaison de médicaments. La personne versée aurait également su à partir de la conférence téléphonique ou de la transcription de la conférence téléphonique que Gilead s’attendait à ce que la coformulation de Viread® et de Coviracil ne présente aucune difficulté particulière.

[104]       Le formulateur chimique qualifié aurait également su comment effectuer les essais de stabilité chimique et, de façon générale, choisir les excipients et la substance de remplissage appropriés pour la formulation d’un médicament.

(2)               Idée originale de la revendication

[105]       Les revendications dont je suis saisi sont les revendications 15, 16, 24, 25 et 28 du brevet 475. Ces revendications énoncent que la coformulation est constituée de FTD et de FTC (revendication 15), avec des supports et des excipients (revendication 16), en concentrations de 300 mg et de 200 mg (revendications 24 et 25), et dans une formulation pharmaceutique qui peut être administrée une fois par jour à un humain infecté par le VIH (revendication 28).

[106]       L’idée originale est la coformulation chimique stable du FTC et du FTD pour un comprimé administré une fois par jour ayant une activité anti-VIH.

[107]       Bien que Gilead affirme que la synergie du FTC et du FTD fait partie de l’idée originale, je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’un élément essentiel de l’invention revendiquée. Premièrement, je remarque que la coformulation contient exactement la même posologie d’IPA pour le FTC et pour le FTD, ce qui indique que leur coformulation n’était pas nécessairement inventée en coformulation synergique. Lorsqu’une propriété fait partie intégrante d’un produit, cela ne peut être une invention dans le sens qui serait protégé en vertu du droit canadien des brevets : voir Calgon Carbon Corporation c. North Bay (Ville), 2005 CAF 410, au paragraphe 16. Deuxièmement, je remarque que les essais figurant dans le rapport Triangle n’étaient pas rendus publics ou n’étaient pas complets, et qu’ils ne démontrent pas à une personne qualifiée que [.. Expurgé..] faisait partie de l’idée originale. Il semblerait que la coformulation ait été effectuée comme produit à commercialiser rapidement, et que certains des premiers essais aient incidemment démontré qu’il pouvait y avoir [……………….Expurgé…………….... ……..] in vitro. Je note également que le brevet 475 en tant que tel n’indique pas que la synergie est un volet essentiel de la revendication, mais plutôt qu’elle peut être le résultat de la coformulation : [traduction] « Selon un aspect donné à titre d’exemple, l’invention contient une composition incluant du fumarate de ténofovir disoproxil et de l’emtricitabine ayant une activité anti-VIH. La composition du fumarate TD et de l’emtricitabine est à la fois stable sur le plan chimique, en plus d’être synergique et/ou de réduire les effets secondaires du FTD et/ou de l’emtricitabine ou les deux » [non souligné dans l’original], à la page 3 du brevet 475, et de façon générale également « Dans certaines réalisations, un effet antiviral synergique est atteint. Pour d’autres réalisations, une association chimiquement stable est atteinte » [non souligné dans l’original], à la page 9 du brevet 475. Fait important, les revendications formulées ne mentionnent aucunement les propriétés intrinsèques de la coformulation, comme la stabilité chimique, ou les propriétés synergiques, même si le brevet 475 ne revendique pas la stabilité chimique et qu’il mentionne les propriétés synergiques. Aucune revendication du brevet 475 ne mentionne les propriétés synergiques de la coformulation.

[108]       Ces facteurs sont insuffisants pour que je puisse conclure que la prétendue synergie retrouvée in vitro dans la coformulation faisait partie de l’idée originale des revendications formulées.

(3)               Différences entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

[109]       En comparant l’invention à l’aune de l’état de la technique, je juge que les principales différences entre ce dernier et l’idée originale sont que l’invention est 1) une coformulation; 2) de FTC et de FTD; 3) administrée une fois par jour. À cet égard, les polythérapies étaient prisées en tant que traitements souhaitables pour le VIH; par exemple, à la période pertinente, le VIREAD® était prescrit avec 3TC (un autre INTI) la moitié du temps.

(4)               Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelconque inventivité? Les essais allaient-ils de soi?

[110]       Pour déterminer si l’invention alléguée telle qu’elle est revendiquée nécessitait une étape inventive, Sanofi permet l’application du critère des « essais allant de soi » et ses éléments, sur lesquels je me pencherai maintenant.

1.                  Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

[111]       Dès le départ, je souligne que la doctrine des « essais allant de soi » doit être utilisée avec prudence; il ne s’agit pas d’une panacée : voir Sanofi, au paragraphe 64. Généralement, je ne considérerais pas une association médicamenteuse comme étant des « essais allant de soi » simplement parce que ses composantes étaient ou pourraient être utilisées dans le traitement de problèmes de santé semblables, mais appartenaient ou pourraient appartenir à différentes entités unifiées au moyen d’une acquisition, d’une fusion ou autrement. Cela faciliterait beaucoup trop l’application de la doctrine.

[112]       Par contre, en l’espèce, Gilead a elle-même divulgué la coformulation lors de la conférence téléphonique. Je conviens avec le professeur Kibbe qu’une fois l’idée de la coformulation divulguée lors de la conférence téléphonique, un formulateur pharmaceutique qualifié n’aurait qu’un nombre déterminé de solutions prévisibles pour mettre au point une formulation chimiquement stable de TDF et de FTC.

[113]       À cet égard particulièrement, les posologies du TDF et du FTC étaient déjà déterminées. Le FTD était approuvé en monothérapie sous forme de comprimé dosé à 300 mg; le FTC n’était pas encore approuvé, mais était en phase d’essais cliniques sous forme de comprimés dosés à 200 mg. Le brevet 475 ne modifie pas cette dose. Bien qu’il soit possible qu’une personne qualifiée puisse avoir été tentée d’essayer une autre dose pour la coformulation, je ne vois aucune raison de considérer cette possibilité dans l’analyse du nombre de solutions prévisibles; à mon avis, il était plus ou moins évident que les doses actuelles devaient fonctionner.

[114]       En outre, la stabilité chimique de la coformulation serait nécessaire pour assurer sa durée de conservation et son utilité comme traitement anti-VIH. Je juge qu’il est facile pour un formulateur pharmaceutique qualifié de déterminer la stabilité chimique par le biais d’essais courants, comme l’a exprimé le professeur Kibbe. Bien que la Dre Kashuba ait pu exprimer le contraire, son manque d’expertise concernant la stabilité chimique va à l’encontre de son témoignage à ce sujet.

[115]       Je suis d’accord que Gilead aurait pu examiner d’autres médicaments anti-VIH et INTI approuvés par la FDA comme le dit Gilead. Mais le nombre est limité et relativement faible, et il est encore plus fait lorsque l’on examine les INTI appropriés administrés une fois par jour.

2.                  Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

[116]       Je suis d’avis que les essais relatifs à la stabilité chimique de la coformulation étaient chose courante. L’invention de Gilead s’est faite sans difficulté pour cette coformulation; il s’agissait d’une approche de commercialisation rapide. Une fois que l’idée de la coformulation a été avancée, il appert que les produits anti-VIH de Gilead et de Triangle, les FTD et FTC, se sont révélés stables chimiquement […………………Expurgé……………….. ……………………………..………..]. Le rapport ne mentionne pas d’efforts intenses pour arriver à une coformulation de FTD et de FTC ayant une activité anti-VIH. Gilead n’a pas non plus prévu ou mené d’essais laborieux ou prolongés avant la commercialisation du produit. Seuls des essais courants ont été effectués; c’était suffisant.

3.                  L’art antérieur fournit-elle [sic] un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[117]       Le brevet 475 et l’art antérieur établissent qu’il existait une motivation pour trouver la solution visée par le brevet 475. Le brevet 475 énonce le besoin d’un traitement anti-VIH en coformulation administré une fois par jour. Ce besoin découlait de problèmes potentiels de traitement : une mutation de résistance médicamenteuse était courante pour les monothérapies (comme l’utilisation du VIREAD® seul), réduisant ainsi l’efficacité de certains médicaments à long terme. Au moment de la fusion de Gilead et de Triangle, les médecins prescrivaient déjà le VIREAD® en association avec d’autres antiviraux comme les INTI pour le traitement du VIH. À mon avis, les polythérapies représentaient l’état de la technique en matière de traitement du VIH à l’époque pertinente, à savoir la date de la revendication, ou en l’espèce à la date de priorité revendiquée, le 14 janvier 2003. En outre, l’observance des patients posait problème avec le nombre de comprimés plus élevé; on prévoyait qu’un traitement par coformulation en prise unique quotidienne par voie orale augmenterait l’efficacité du traitement et l’observance des patients.

[118]       Je juge que la production de coformulations des médicaments anti-VIH, soit le FTD et le FTC (un INTI déjà connu), était motivée afin aborder ces problèmes liés au traitement du VIH.

[119]       Gilead demande à la Cour d’examiner s’il y avait une motivation précise derrière la coformulation du Coviracil et du VIREAD®; elle affirme que lorsque ces médicaments n’étaient pas encore largement utilisés ou prescrits ensemble, aucune motivation n’aurait existé pour la coformulation de l’invention revendiquée. Je ne suis pas d’accord pour dire que ce degré de spécificité était requis pour l’analyse de la motivation. Je suis d’avis que la conférence téléphonique établit la motivation générale de mettre au point une coformulation du VIREAD® et du FTC à dose unique administrée une fois par jour. Cela suffisait pour que le formulateur qualifié envisage la coformulation du FTD et du FTC. Par ailleurs, la transcription de la conférence téléphonique rapporte que John Martin de Gilead avait précisément dit que : [traduction] « Cette opération fournit à Gilead un médicament candidat à l’étape du cycle de vie dans le domaine du VIH et un portefeuille d’antiviraux pour le traitement du VIH [...]. Le plus avancé des médicaments candidats de Triangle pour le traitement du VIH est l’antiviral Coviracil, un analogue de nucléotide faisant actuellement l’objet d’essais de phase III. L’équipe de Triangle a réussi à mener ce médicament du stade préclinique à toutes les étapes de développement. Elle a récemment annoncé l’acceptation de ses demandes d’homologation de nouveaux médicaments par la U.S. Food and Drug Administration avec une date [inaudible] fixée au 4 septembre 2003 »; [traduction] « [Gilead croit] que la coformulation présente de grandes possibilités à long terme ». John Milligan, premier vice-président et directeur des finances chez Gilead, a également affirmé que [traduction] « le message d’un traitement en prise unique quotidienne est très fort actuellement » et, [traduction] « comme John l’a dit dans la partie précédente, les deux produits sont très complémentaires. [...] [Il y a] un besoin manifeste de nouveaux traitements en prise unique quotidienne, et comme John l’a souligné, le Viread et le Coviracil sont très complémentaires. Les deux sont administrés en prise unique quotidienne. Les deux sont puissants. Il n’y a aucun chevauchement [irritations]. Les deux sont des produits très bien tolérés; il y a donc ici une synergie évidente. » [Non souligné dans l’original.]

[120]       À mon humble avis, ces énoncés démontrent ce que je juge être une motivation évidente pour la coformulation résultante des deux médicaments administrés quotidiennement en monothérapie.

[121]       En conclusion, et nonobstant la nécessité d’être prudent, je juge que la coformulation de FTD et FTC allait de soi, puisque la conférence téléphonique de Gilead avait divulgué une intention de mettre au point cette coformulation même, à un moment où il existait un grand besoin d’un médicament en coformulation administré une fois par jour pour un traitement anti-VIH plus efficace. Il suffisait à la personne qualifiée d’effectuer les essais courants pour arriver à l’invention revendiquée par le brevet 475.

[122]       Compte tenu de ma conclusion voulant que la formulation du FTD et du FTC aille de soi en raison de la conférence téléphonique, la marge entre l’état de l’art et l’invention alléguée ne requérait pas d’étape inventive. Je juge que l’invention alléguée allait de soi pour la personne qualifiée à l’époque pertinente. Par conséquent, Gilead n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’Apotex relatives à l’essai allant de soi et à l’évidence ne sont pas fondées. Également pour ces motifs, la demande de Gilead doit être rejetée.

D.                Absence d’utilité ou de prédiction valable

[123]       Compte tenu de mes conclusions susmentionnées relativement à l’antériorité et à l’évidence, il n’est pas nécessaire d’examiner les allégations d’Apotex concernant l’invalidité fondée sur l’utilité. Néanmoins, puisqu’elle a été plaidée devant moi, je l’examinerai.

[124]       L’utilité est requise pour qu’une invention soit brevetable : voir l’article 2 de la Loi sur les brevets. L’article 2 requiert qu’une invention soit « utile » :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. (invention)

invention means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter; (invention)

[non souligné dans l’original]

[emphasis added]

[125]       Le juge Rennie (tel était alors son titre) explique la différence entre les objectifs et les promesses pour l’interprétation de l’utilité du brevet dans la décision AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex inc., 2014 CF 638 :

[115] Il existe une différence entre les objectifs que le brevet espère atteindre, et les résultats qu’il promet. Dans AstraZeneca Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023 [Mylan Arimidex], je faisais remarquer que « ce ne sont pas toutes les déclarations que l’on trouve dans un brevet au sujet des avantages qui peuvent être considérées comme une promesse » (au paragraphe 139). Cette distinction entre les objectifs et les promesses a été confirmée par la Cour d’appel fédérale (voir, p. ex. Apotex Inc. c Sanofi-Aventis, 2013 CAF 186, au paragraphe 67 [SanofiAventis Plavix]).

[116] Différencier les objectifs des promesses est affaire de description. Ainsi, avant de déterminer si la mention dans le brevet 653 d’un profil thérapeutique amélioré correspond à un objectif ou à une promesse, il convient de distinguer ces deux notions dans l’abstrait.

[117] L’objectif décrit simplement « un avantage que l’on espère que l’invention comportera » (Mylan Arimidex, au paragraphe 139). Ainsi, dans Mylan Arimidex, j’ai conclu qu’une clause concernant l’objet et commençant par la phrase « [l]a présente invention a pour objet particulier de » ne présentait qu’un objectif que le brevet espérait atteindre plutôt qu’une promesse de résultat. De même, dans l’arrêt Sanofi-Aventis Plavix, aux paragraphes 55 à 67, le juge Pelletier a estimé que l’inférence d’une promesse d’utilité thérapeutique fondée sur des renvois indirects à l’utilisation du médicament chez les humains (p. ex., mentions de maladies et de posologies susceptibles de correspondre à un usage chez les humains) était insuffisante pour établir l’existence d’une promesse et suggérait simplement des usages potentiels. En somme, les promesses sont explicites et décrivent les résultats garantis ou anticipés par le brevet (selon que la promesse est démontrée ou valablement prédite), alors que les objectifs s’attachent simplement aux usages potentiels du brevet.

[126]       Il est bien établi en droit que l’absence d’utilité doit être évaluée une revendication à la fois, et que les promesses peuvent être interprétées comme imposant des exigences en matière d’utilité à chacune des revendications d’un brevet ou qu’elles peuvent viser uniquement un sous-ensemble de revendications : Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2015 CAF 158, aux paragraphes 4 et 5.

[127]       L’utilité est interprétée en regard de la promesse du brevet. Dans l’arrêt Eli Lilly Canada inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, la juge Layden-Stevenson explique que l’utilité doit être soit démontrée, soit prédite valablement à la date du dépôt. Lorsque les spécifications établissent une promesse explicite, l’utilité sera mesurée en regard de cette promesse :

[74] L’article 2 de la Loi exige que l’objet d’un brevet présente le caractère de la nouveauté et de l’utilité. Le principe général veut que, à la date pertinente (la date du dépôt), l’utilité de l’invention doit avoir été démontrée ou avoir fait l’objet d’une prédiction valable. Une preuve autre que celle exposée dans le mémoire descriptif peut être nécessaire et elle le sera normalement.

[75] Pour établir l’absence d’utilité, la partie soupçonnée de contrefaçon doit démontrer [traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera » : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504 (Consolboard).

[76] Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d’utilité n’est requis; la « moindre parcelle » d’utilité suffira. Toutefois, lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse : Consolboard, Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) et Ranbaxy Laboratories Inc., [2009] 1 R.C.F. 253, 2008 CAF 108 (Ranbaxy). La question est de savoir si l’invention fait ce que le brevet a promis qu’elle ferait.

[128]       Ce raisonnement a également été examiné dans l’arrêt Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, suivant la décision de la Cour suprême du Canada dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77 (AZT) :

[38] Comme le signalent les juridictions inférieures, pour satisfaire à la condition d’utilité prévue à l’art. 2, il suffit que l’invention exposée fasse ce qu’elle est censée faire selon le brevet, c’est‑à‑dire qu’elle tienne promesse : voir aussi S. J. Perry et T. A. Currier, Canadian Patent Law (2012), §7.11. Le brevet 446 affirme que les composés revendiqués, dont le sildénafil, sont utiles dans le traitement de la DÉ. Au moment du dépôt de la demande, le sildénafil pouvait servir au traitement de la DÉ. C’est tout ce qui est exigé. L’omission de Pfizer de révéler que le composé mis à l’essai est le sildénafil intéresse la divulgation de l’invention, et non celle de son utilité.

[39] L’exigence que l’invention soit utile au moment de la revendication ou du dépôt va dans le sens des remarques de notre Cour dans l’arrêt AZT, par. 56 :

Lorsque la nouvelle utilisation est l’élément essentiel de l’invention, l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise alors disponibles. Si un brevet qu’on a tenté d’étayer par une prédiction valable est par la suite contesté, la contestation réussira si [...] la prédiction n’était pas valable à la date de la demande ou si, indépendamment du caractère valable de la prédiction, « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ». [Italiques dans l’original; je souligne.]

(1)               Promesse du brevet 475

[129]       Les parties s’entendent pour dire que le brevet 475 prévoit des promesses en fonction desquelles l’utilité ou la prédiction valable doivent être mesurées. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la définition de la promesse du brevet 475. Gilead soutient que les allégations d’Apotex vont bien au-delà de la promesse du brevet 475.

[130]       La Dre Kashuba, témoin expert de Gilead, a énoncé dans son affidavit (au paragraphe 101) que la promesse du brevet 475 se limite à une coformulation contenant une association de FTD et de FTC qui est chimiquement stable et qui possède une activité antivirale synergique (utilité proposée). Toutefois, à la page 3 du brevet 475, les inventeurs ont fourni un [traduction] « résumé de l’invention » divulguée et revendiquée, qui affirme que l’invention contient une association de TDF et de FTC ayant une activité anti-VIH, qui [traduction] « est stable sur le plan chimique en plus d’être synergique et/ou de réduire les effets secondaires » [non souligné dans l’original] du TDF ou du FTC ou les deux. Selon le mémoire de Gilead au paragraphe 99, en lisant le brevet 475 en association avec les études divulguées et leurs résultats, la personne qualifiée comprendrait que la stabilité chimique et l’activité synergique anti-VIH seraient l’utilité promise de la coformulation du FTD et du FTC, et non la réduction des effets secondaires.

[131]       Par contre, Apotex affirme que Gilead avait promis que le brevet 475 aurait une utilité beaucoup plus grande. Selon Apotex, le brevet 475 promet explicitement que l’association du FTD et du FTC : 1) traiterait et préviendrait les infections par le VIH chez l’humain; 2) serait chimiquement stable; 3) serait synergique et/ou réduirait les effets secondaires du FTD et du FTC ou les deux; 4) traiterait les infections à mutants du VIH résistants aux inhibiteurs nucléosidiques et/ou non nucléosidiques.

[132]       Gilead nie que le brevet 475 promet de traiter les infections à mutants du VIH résistants aux inhibiteurs nucléosidiques et/ou non nucléosidiques. Apotex soutient que cela fait partie de la promesse du brevet, puisque le résumé de l’invention indique que [traduction] « la présente invention traite d’associations thérapeutiques du [FTD] et du [FTC] et de leur utilisation dans le traitement des infections à VIH, notamment des infections à mutants du VIH résistants aux inhibiteurs nucléosidiques et/ou non nucléosidiques ».

[133]       À mon avis, les points de divergence sont les suivants :

1.      si le brevet 475 promet la synergie et/ou la réduction des effets secondaires du FTC et du FTD ou les deux, ou seulement l’effet synergique;

2.      si le brevet 475 promet de traiter les infections à mutants du VIH résistants aux inhibiteurs nucléosidiques et/ou non nucléosidiques.

[134]       Dans la décision Astrazeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, le juge Rennie (tel était alors son titre) a affirmé que l’interprétation de la promesse d’un brevet est une question de droit qui relève exclusivement de la compétence de la Cour :

[90]      L’interprétation de la promesse du brevet est une question de droit qui relève exclusivement de la compétence de la Cour (GlaxoSmithKline rosiglitazone, précité, au paragraphe 86). Les tribunaux doivent être prudents lorsqu’ils s’en remettent au témoignage des experts pour interpréter les promesses d’un brevet. Dans la décision Pfizer donepezil, précitée, au paragraphe 224, le juge Roger Hughes insiste sur la nécessité de bien distinguer les rôles en présence :

Ces exemples, qui ne sont nullement les seuls qu’on pourrait citer, montrent le danger qu’il y a, s’agissant de l’interprétation des brevets, à demander aux experts de s’écarter de leur spécialité pour entrer dans le domaine du débat judiciaire. Il est très tentant pour l’avocat d’essayer de faire dire à l’expert ce qu’il n’a pas dit, puis de presser le tribunal d’accepter ce discours d’emprunt comme une aide de l’expert dans l’interprétation du brevet en question.

[135]       À la lecture du brevet, je ne saurais accepter que l’activité synergique anti-VIH fasse partie de la promesse du brevet 475. Bien que l’expert de Gilead, la Dre Kashuba, le prétende, et bien que Gilead insiste sur ce point, le brevet en tant que tel énonce cette possibilité comme étant l’une des caractéristiques possibles (l’autre étant la réduction des effets secondaires). Compte tenu de cela et de l’information fournie par la Dre Kashuba, je suis d’avis que bien que l’activité anti-VIH fasse partie de la promesse, l’activité synergique n’en fait pas partie. Interpréter le brevet autrement serait incompatible avec le brevet lui-même, qui énonce que :
[traduction]

La composition du FTD et de l’emtricitabine est stable sur le plan chimique, en plus d’être synergique et/ou de réduire les effets secondaires du FTD et/ou de l’emtricitabine ou les deux. (Non souligné dans l’original.)

Pour les mêmes motifs (l’activité synergique offerte comme étant seulement l’un des deux attributs possibles), je ne puis retenir que cette réduction des effets secondaires fait partie de la promesse du présent brevet. Le professeur Kibbe a souligné à juste titre l’incohérence qu’il y a à promettre de trouver une synergie, sans promettre une réduction des effets secondaires. Comment des attributs décrits comme étant des possibilités interchangeables peuvent-ils être tous deux des promesses? En toute déférence, ma lecture du brevet m’amène à conclure que ni la réduction des effets secondaires ni l’effet synergique ne sont garantis ou promis : les deux ne sont que des résultats espérés. Apotex ne peut pas me porter à interpréter ce brevet comme promettant à la fois un effet synergique et une réduction des effets secondaires, pas plus que Gilead n’a pu me porter à interpréter ce brevet comme promettant seulement des effets synergiques.

[136]       Le juge Rennie, tel était alors son titre, a expliqué dans la décision AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex inc., 2014 CF 638, qu’il y a une différence entre les objectifs et les promesses lors de l’interprétation de l’utilité promise d’un brevet :

 [117]   L’objectif décrit simplement « un avantage que l’on espère que l’invention comportera » (Mylan Arimidex, au paragraphe 139). Ainsi, dans Mylan Arimidex, j’ai conclu qu’une clause concernant l’objet et commençant par la phrase « [l]a présente invention a pour objet particulier de » ne présentait qu’un objectif que le brevet espérait atteindre plutôt qu’une promesse de résultat. De même, dans l’arrêt Sanofi-Aventis Plavix, aux paragraphes 55 à 67, le juge Pelletier a estimé que l’inférence d’une promesse d’utilité thérapeutique fondée sur des renvois indirects à l’utilisation du médicament chez les humains (p. ex., mentions de maladies et de posologies susceptibles de correspondre à un usage chez les humains) était insuffisante pour établir l’existence d’une promesse et suggérait simplement des usages potentiels. En somme, les promesses sont explicites et décrivent les résultats garantis ou anticipés par le brevet (selon que la promesse est démontrée ou valablement prédite), alors que les objectifs s’attachent simplement aux usages potentiels du brevet.

[137]       Enfin, à la lecture du brevet 475 avec les conseils des experts, je ne puis conclure que le brevet promet le traitement des infections à mutants du VIH. En effet, le brevet promet une activité anti-VIH du médicament chez les personnes infectées par le VIH. La Dre Kashuba de Gilead a indiqué, au paragraphe 102 de son affidavit, que le brevet ne promettait pas d’activité contre les souches d’infections à mutants du VIH. Les experts d’Apotex, le Dr Flexner et le professeur Kibbe, ne sont pas d’accord. Aucun des experts n’a offert d’explication ou d’argument convaincants appuyant leurs conclusions. Compte tenu de ces opinions et de la lecture du brevet dans son ensemble, je juge que le traitement des infections à mutants du VIH ne fait pas partie de sa promesse.

[138]       À mon avis, cet aspect du résumé de l’invention n’est rien qu’un autre objectif de l’invention revendiquée; je ne vois aucune garantie ou aucun résultat anticipé concernant le traitement des infections à mutants du VIH.

[139]       Je conclus donc que la promesse du brevet 475 est que la coformulation du FTD et du FTC, qui possède une activité anti-VIH, est chimiquement stable. L’utilité promise qui doit être démontrée ou qui est valablement prédite n’a pas à inclure de propriétés synergiques de la coformulation, une réduction des effets secondaires, ou une activité contre les infections à mutants du VIH résistants. Par ailleurs, la personne qui interprète le brevet 475 en tentant de le comprendre verrait que l’effet synergique promis devrait se produire dans le traitement du VIH, ou in vivo.

(2)               Utilité valablement prédite ou démontrée

[140]       Ayant interprété la promesse du brevet 475, j’aborderai la question de savoir si l’utilité était démontrée ou prédite valablement au moment du dépôt du brevet 475. L’utilité peut être démontrée ou valablement prédite selon les éléments de preuve se trouvant dans le brevet ou à l’extérieur de celui-ci. Les parties ont débattu de l’utilité par rapport à la promesse du brevet 475 au lieu de le faire revendication par revendication. Comme la Cour d’appel fédérale l’a autorisé dans l’arrêt Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2015 CAF 158, aux paragraphes 7 et 8, je mesurerai maintenant l’utilité du brevet par rapport à sa promesse, puisque les parties ont exprimé la question en litige de cette façon.

[141]       Gilead n’a pas plaidé la prédiction valable, mais Apotex l’a fait. Je passe à l’analyse de la preuve pour déterminer si ces promesses ont été démontrées ou prédites valablement.

(a)                Stabilité chimique

[142]       Le brevet 475 énonce que les essais sur la stabilité chimique dans des systèmes contenant-fermeture ont été effectués par les chercheurs de Gilead. Les résultats sont inclus dans le brevet 475. Bien que ces essais puissent ne pas refléter tous les essais requis avant que la coformulation ne se rende sur le marché, ces essais démontrent que la stabilité chimique existait, même si ce ne fut qu’aux paramètres précis d’humidité et de température testés.

[143]       Le brevet 475 n’indique pas clairement si la stabilité chimique promise est pour la durée de vie de TRUVADA® ou pour son administration in vivo des ingrédients pharmaceutiques actifs. Par contre, en prenant le brevet dans son ensemble, je juge que les essais divulgués prédisent valablement la stabilité chimique pour la durée de vie du produit. À cet égard, un brevet n’a pas à démontrer chaque propriété de l’invention revendiquée. Il doit y avoir un équilibre entre le dépôt d’un brevet, c’est à dire revendiquer le monopole, et le besoin de bien établir les promesses du brevet au moyen de longs essais. Dans cet esprit, je conclus selon la prépondérance des probabilités que la divulgation est suffisante pour permettre de s’acquitter de la promesse à l’égard de la stabilité chimique émise par le brevet 475.

(b)               Propriétés anti-VIH

[144]       Les parties ne contestent pas l’activité anti-VIH de la coformulation. J’ai jugé que l’activité synergique n’était pas promise. Néanmoins, par souci d’exhaustivité, j’aborderai les propriétés synergiques anti-VIH.

[145]       À mon avis, si les propriétés synergiques anti-VIH font partie de l’utilité promise du présent brevet (ce qui n’est pas le cas) l’effet synergique n’est alors ni démontré ni prédit valablement par le brevet 475 même. Je dois examiner la divulgation et les éléments de preuve extérieurs. Pour fonder cette promesse d’utilité, Gilead soumet le rapport Triangle par l’entremise de l’affidavit factuel de Michael Miller et de l’opinion d’expert de la Dre Kashuba. [……………………………………………... …………………………………………Expurgé………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………....]. Les chercheurs qui ont signé le rapport n’ont pas fourni de preuve dans la présente instance. Apotex affirme que le rapport Triangle est inadmissible, car Gilead cherche à le faire admettre pour la véracité de son contenu sans établir au préalable qu’il répond aux critères de la nécessité et de la fiabilité pour être dispensé de la règle du ouï-dire.

[146]       Le Dr Flexner d’Apotex affirme que la synergie in vivo n’a pas été observée chez l’humain lorsque les médicaments antiviraux sont associés, soit à la date pertinente, soit, en effet, à ce jour. Le Dr Flexner explique que la synergie est un phénomène purement in vitro, et que la synergie in vivo ne pourrait être prédite valablement puisqu’elle est peu probable scientifiquement. Le professeur Kibbe affirme que l’évaluation de la synergie in vivo est l’expertise du pharmacologue, par conséquent il ne s’est pas prononcé à ce sujet.

[147]       Dans son affidavit, la Dre Kashuba exprime le besoin de tester les associations afin de déterminer si un effet de nature synergique ou additive existe. La Dre Kashuba affirme qu’il est totalement impossible de prédire si deux médicaments afficheront une activité synergique; des essais doivent être réalisés. La Dre Kashuba explique que les essais portant sur la synergie sont habituellement fastidieux et ne font pas partie du travail habituel de la personne qualifiée. Cela confirme le fait qu’il est peu probable que […………….….. Expurgé………………..], soit un indicateur valable de la synergie in vivo.

[148]       À la lecture du rapport Triangle, je remarque qu’il datait de quelques mois seulement avant la fusion entre Gilead et Triangle. [………………... Expurgé………………………………….]. [.. Expurgé..] À mon avis, compte tenu des éléments de preuve présentés par les deux parties, même si [….. Expurgé..…]     [………………..Expurgé……..] cela ne parvient pas à démontrer la synergie in vivo promise.

[149]       Compte tenu de cela, il n’est pas nécessaire que je tranche sur la question du ouï-dire. Même s’il est véridique, le rapport Triangle ne fonde ni la prédiction valable ni l’utilité démontrée. Si je devais trancher la question, je jugerais que le rapport Triangle a été dûment authentifié en ce qu’il a été présenté à la Cour par le témoignage de l’expert de Gilead et qu’en tout état de cause, il s’agit d’un document que possède Gilead à la suite de son acquisition de Triangle. Toutefois, aucun élément de preuve n’appuie sa véracité, c.-à-d. que la Cour n’a pas entendu les personnes chez Triangle qui l’ont préparé. Que les experts de Gilead l’offrent à titre de vérité de ce qu’ils affirment constitue du ouï-dire puisqu’ils n’ont pas eux-mêmes réalisé les essais. Puisque la Cour n’est pas au courant de la disponibilité ou de la non-disponibilité de ceux qui ont réalisé les expériences et qui ont signé le rapport Triangle, je suis dans l’impossibilité de le juger nécessaire au sens du fondement requis pour une exception à la règle du ouï-dire. Pour le même motif, il ne m’est pas possible de conclure que le rapport Triangle est fiable. Par conséquent, le rapport Triangle est et demeure du ouï-dire inadmissible.

[150]       À l’appui de sa thèse selon laquelle il avait valablement prédit l’effet synergique, Gilead a également présenté des essais réalisés après la date pertinente par M. Miller, qui, cependant, ne m’aident pas sur ce point. Par exemple, l’affiche « Lack of Pharmacokinetic Interaction between Emtricitabine and Tenofovir DF when Co-administered to Steady State in Healthy Volunteers » présentée par M.R. Blum et al. lors de la 43e Conférence interscience sur les Agents antimicrobiens et la chimiothérapie, tenue du 14 au 17 septembre 2003 (l’affiche A-1621 présentée), indique que l’on n’a observé aucune influence in vivo de l’un des composés sur l’efficacité de l’autre. Ceci aide Apotex plutôt que Gilead. Les autres essais semblent avoir été réalisés seulement in vitro et après la date canadienne pertinente de dépôt du brevet 475.

[151]       Pour ce motif, si j’avais jugé qu’il faisait partie de la promesse du brevet, ce qui n’est pas le cas, j’aurais conclu que la promesse alléguée relative à la synergie du brevet 475 n’avait ni été démontrée ni prédite valablement.

[152]       Je juge que le brevet 475 est utile. Par conséquent, Gilead a réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation d’invalidité d’Apotex pour cause d’utilité n’est pas fondée.

VI.             Conclusions

[153]       Je juge selon la prépondérance des probabilités que Gilead n’a pas prouvé que les allégations d’invalidité d’Apotex pour cause d’antériorité et d’évidence ne sont pas fondées. Par conséquent, la demande de Gilead doit être rejetée.

VII.          Dépens

[154]       Les parties se sont entendues sur des dépens, dont l’entente est exposée dans le jugement de la Cour à l’annexe « A » – Entente relative aux dépens, qui sont raisonnables, que j’admets et que j’adjuge.

VIII.       Motifs confidentiels

[155]       Les présents motifs contiennent des renseignements assujettis à une ordonnance de non-divulgation et sont par conséquent désignés comme étant confidentiels. Les parties disposeront de 20 jours pour se consulter et pour informer la Cour, s’il y a lieu, des parties qu’elles souhaitent censurer, à défaut de quoi les présents motifs seront rendus publics et versés au dossier public. Remarque : la phrase précédente faisait partie du jugement et des motifs confidentiels; les présents motifs contiennent les suppressions demandées par la demanderesse et sont maintenant rendus publics.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est rejetée.

2.      Gilead paiera à Apotex ses dépens pour la présente demande conformément à l’Annexe « A » – Entente relative aux dépens, qui figure en annexe.

3.      Les parties disposeront de 20 jours pour se consulter et pour informer la Cour, s’il y a lieu, des parties qu’elles souhaitent censurer de ce jugement et de ces motifs confidentiels, à défaut de quoi les présents motifs seront rendus publics et versés au dossier public en conséquence. Remarque : cette partie du jugement a été incluse aux motifs confidentiels, mais les parties ayant été entendues, elle est maintenant périmée; voir le paragraphe 155.

« Henry S. Brown »

Juge


Annexe « A » – Entente relative aux dépens

1.                  La partie ayant obtenu gain de cause se verra adjuger les dépens conformément aux directives suivantes, à condition que les directives suivantes ne modifient ou ne remplacent aucunement toutes ordonnances ou directives existantes relatives aux dépens pour des requêtes ou des mesures particulières avant l’audition de la présente demande :

a)                              les dépens devront être taxés selon le milieu de la colonne IV du tarif B;

b)                  aucuns dépens ne sont recouvrables dans le cas des avocats internes, des assistants judiciaires, des étudiants et du personnel de soutien;

c)                  les dépens ne sont recouvrables que dans le cas des experts ayant fourni des affidavits ou des rapports ayant été déposés lors de l’instance (les « experts admissibles »);

d)                 le taux horaire des experts admissibles ne doit pas dépasser celui des avocats principaux;

e)                  les honoraires versés aux experts admissibles pour les heures n’ayant pas été consacrées à la préparation de leur propre affidavit/rapport ou de leur contre-interrogatoire ne sont recouvrables que s’il est établi qu’il était raisonnable et nécessaire d’offrir une assistance technique à l’avocat;

f)                   les honoraires d’avocat seront évalués de la manière suivante :

i.                    un avocat principal et un avocat adjoint à l’audience;

ii.                  un avocat principal et un avocat adjoint menant les contre-interrogatoires;

iii.                un avocat principal défendant lors des contre‑interrogatoires;

g)                 les frais de déplacement et de logement seront évalués sur la base des tarifs aériens en classe économique et du coût de chambres individuelles;

h)                 les coûts de photocopie seront évalués à raison de 0,25 $ par page, et le nombre de copies recouvrables sera limité à la quantité raisonnable et nécessaire.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1693-14

INTITULÉ :

GILEAD SCIENCES CANADA, INC c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET APOTEX INC

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 11, 12, 13 et 14 avril 2016

JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 19 AOÛT 2016

COMPARUTIONS :

Patrick Kierans

Brian Daley

Louisa Pontrelli

Brian J. Capogrosso

Nisha Anand

Pour les demanderesses

GILEAD SCIENCES, INC. et

GILEAD SCIENCES CANADA, INC.

- Néant -

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Belle Van

Andrew Brodkin

Dino Clarizio

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Cabinet d’avocats

Montréal (Québec)

Pour les demanderesses

GILEAD SCIENCES, INC. et

GILEAD SCIENCES CANADA, INC.

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

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