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Date : 20160919


Dossier : IMM-717-16

Référence : 2016 CF 1054

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

SARANJIT KAUR HEHAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire par Saranjit Kaur Hehar (la demanderesse), en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR); cette demande vise une décision rendue par un agent des visas du consulat général du Canada en Inde, qui a conclu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations, aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, et a rejeté sa demande de visa de résidente temporaire (VRT) et de permis de travail ouvert au Canada. La décision définitive a été rendue le 21 octobre 2015. L’autorisation de demander un contrôle judiciaire a été accordée le 8 juin 2016.

[2]               À mon humble avis, la demande doit être rejetée pour les motifs suivants :

II.                Faits

[3]               Âgée de 28 ans, la demanderesse est de nationalité indienne. Le 3 janvier 2015, elle a épousé Gurdeep Singh Hehar (le conjoint de la demanderesse). Au moment où elle a présenté sa demande, son conjoint terminait sa maîtrise en gestion durable de l’environnement à l’Université de la Saskatchewan.

[4]               Le 16 avril 2015, la demanderesse a soumis une demande en vue d’obtenir un VRT et un permis de travail, afin de pouvoir demeurer au Canada avec son époux pendant qu’il terminait ses études. Elle avait inclus dans sa demande ses antécédents de travail à AniWeb Designs (AniWeb), entre mai 2013 et septembre 2014, et à Euclide Software Solutions (Euclide), entre octobre 2014 et avril 2015. Les deux employeurs sont situés en Inde. La demanderesse a fourni ses lettres d’offre d’emploi, ainsi que des lettres de ses deux employeurs décrivant ses tâches et sa situation en tant qu’employée.

[5]               Le 14 septembre 2015, les documents que la demanderesse avait fournis avec sa demande ont fait l’objet d’une vérification parallèle afin de confirmer son expérience de travail. Un agent (SK) a communiqué avec Euclide, l’entreprise de son employeur, par l’intermédiaire d’une personne du nom de Naveen Kumar Verma, qui avait signé l’offre d’emploi et la confirmation de travail que la demanderesse avait déposées; il est le PDG d’Euclide. L’autre agent, (VG), a parlé avec la demanderesse au cours du processus d’entrevue parallèle.

[6]               SK a posé les questions ci-après au cours de sa conversation de vérification avec l’employeur et il a obtenu les réponses suivantes :

[traduction]

Q. : Est-ce que Saranjit Kaur Hehar travaille avec vous?
R. : Oui, elle travaille ici en tant que développeuse Web.
Q. : Depuis quand?
R. : Depuis un an environ.
Q. : Où se trouve-t-elle en ce moment?
R. : Elle est au bureau, en conversation sur Skype avec un client.
Q. : Pouvez-vous l’appeler en ligne?
R. : Non, elle est occupée; il faudra rappeler dans cinq minutes.
Q. : Qui est son supérieur immédiat?
R. : A. Manoj, chef d’équipe.

[7]               AG a posé les questions ci-après au cours de sa conversation de vérification avec la demanderesse et il a obtenu les réponses suivantes :

[traduction]

Q. : Quelles sont vos fonctions?
R. : Je suis développeuse Web principale au sein d’Euclide Software.
Q. : Depuis combien d’années?
R. : Depuis octobre 2014.
Q. : Où êtes-vous en ce moment?
R. : Je suis chez mes beaux-parents depuis la semaine dernière.
Q. : Qui est votre supérieur immédiat?
R. : A. Ravi, gestionnaire de projet.
Q. : Quelle est l’adresse d’Euclide Software Solutions?

[8]               La communication téléphonique avec la demanderesse a été interrompue lorsqu’on lui a demandé l’adresse de son employeur. Dans ses notes, l’agent mentionne : [traduction] « j’ai tenté de communiquer avec [la demanderesse] à plusieurs reprises… mais elle n’a pas répondu », et [traduction] « il semble que PA a débranché le téléphone intentionnellement et ne s’est pas occupée de notre conversation téléphonique TVE-2 ».

[9]               Le 18 septembre 2015, une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée à la demanderesse exposant en ces termes les préoccupations de l’agent au sujet de son emploi au sein d’Euclide :

[traduction]
Expérience de travail : Les renseignements que vous avez fournis concernant votre emploi au sein d’Euclide Software Solutions ne sont pas véridiques. Au cours de notre entrevue téléphonique parallèle, les réponses que vous avez données ne correspondaient pas à celle de votre employeur.

[10]           La lettre relative à l’équité procédurale précisait, à deux endroits distincts, qu’une fausse déclaration peut avoir comme conséquence l’interdiction de territoire pendant cinq ans : cette mise en garde figure d’abord dans le corps de la lettre, puis est répétée dans l’extrait du paragraphe 40(2) de LIPR qui est inclus dans cette lettre. Le paragraphe 40(2) de la LIPR porte sur l’interdiction de territoire pendant cinq ans.

[11]           Le 30 septembre 2015, la demanderesse a envoyé sa lettre de réponse dans laquelle elle a déclaré :

         qu’elle avait fourni des renseignements véridiques concernant son emploi au sein d’Euclide;

  • qu’elle était en voyage avec sa belle-mère au moment de l’entrevue;
  • que le [traduction] « risque de répondre incorrectement à quelques questions ne peut être exclu »;
  • qu’elle est une informaticienne qualifiée possédant la désignation MCA, qu’elle a reçu sa formation au sein de l’entreprise AniWeb et qu’elle y a déjà travaillé;
  • qu’elle a reçu une lettre d’offre d’emploi d’Euclide le 20 septembre 2014 et qu’elle y est entrée en service le 1er octobre 2014;
  • qu’après son mariage, elle a demandé et obtenu l’autorisation de faire du télétravail.

[12]           Elle a également déposé une autre lettre signée par son employeur présumé, le PDG d’Euclide, Naveen Kumar Verma, indiquant qu’elle était toujours employée au sein d’Euclide; cette lettre indique également les projets qui lui sont assignés et le fait qu’elle est autorisée à travailler à domicile selon certaines conditions.

III.             Décision

[13]           Le 21 octobre 2015, la décision définitive a été transmise à la demanderesse; ce document mentionnait que la demanderesse n’avait pas répondu véridiquement à toutes les questions, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la LIPR. La décision a été prise par un troisième agent (CM) qui avait passé en revue les notes que SK avait consignées au sujet de sa conversation et des conversations parallèles d’AG avec la demanderesse et son l’employeur, respectivement. La conclusion repose sur les divergences dans les réponses fournies par l’employeur et par la demanderesse à des questions semblables au cours du processus de vérification parallèle.

[14]           La décision se lit comme suit :

[traduction]
J’estime que les documents concernant l’expérience professionnelle de la demanderesse ne sont pas crédibles, vu les divergences dans les réponses qu’elle et son employeur ont fournies, et je ne suis pas convaincu que les documents d’emploi qui accompagnent sa demande sont authentiques. La réponse de la demanderesse ne m’a pas satisfait, car elle mentionne simplement qu’elle a travaillé pour Euclide et elle n’était pas en mesure d’expliquer les divergences entre ses réponses et celles de son employeur. En fournissant des documents d’emploi qui ne sont pas authentiques, la demanderesse a omis de divulguer un fait important concernant une question pertinente qui aurait pu entraîner à une erreur dans l’application de la LIPR. Plus précisément, la demanderesse soumet une demande de permis de travail dans le but de travailler au Canada. Comme elle n’a pas fourni des documents d’emploi authentiques, je ne suis pas convaincu du motif véritable de son voyage et je ne suis pas persuadé que la demanderesse soit une véritable travailleuse qui ne quittera pas le Canada avant la fin de sa période de séjour autorisé. La demanderesse est inadmissible en vertu du paragraphe A40(1) de la LIPR. La demande est refusée pour des motifs liés à la bonne foi et à de fausses déclarations. Une interdiction de territoire sera en vigueur pendant cinq ans.

IV.             Questions en litige

[15]           La question à trancher est de déterminer si la décision est raisonnable. La demanderesse croit que la décision est déraisonnable et que l’on a accordé trop d’importance à des éléments insignifiants; que même s’il était loisible à l’agent de rejeter sa demande parce que les éléments de preuve ne l’avaient pas convaincu sur le fond, la conclusion de fausse représentation n’était pas raisonnable, eu égard en particulier au fait qu’elle avait essentiellement pour effet de rendre la demanderesse et son époux interdits de territoire pendant cinq ans, ce qui les empêchait d’obtenir leur statut de résidents permanents. La demanderesse fait aussi état de manquements aux exigences liées à l’équité procédurale en ce qui concerne la lettre relative à l’équité procédurale, qui était inadéquate, et en ce qui concerne le processus d’entrevue parallèle. Enfin, la demanderesse soutient que le critère approprié quant aux fausses déclarations n’a pas été satisfait. Le défendeur est en désaccord sur tous ces points.

V.                Dispositions pertinentes

[16]           L’article 11, le paragraphe 16(1), l’alinéa 40(1)a), et les paragraphes 40(2) et (3) de la LIPR prévoient ce qui suit :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Obligation du demandeur

Obligation — answer truthfully

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

Fausses declarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants:

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

...

...

Application

Application

2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

Interdiction de territoire

Inadmissible

(3) L’étranger interdit de territoire au titre du présent article ne peut, pendant la période visée à l’alinéa (2)a), présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent.

(3) A foreign national who is inadmissible under this section may not apply for permanent resident status during the period referred to in paragraph (2)(a).

[17]           Les règles pertinentes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR) prévoient ce qui suit :

SECTION 3

Délivrance du permis de travail

DIVISION 3

Issuance of Work Permits

Permis de travail — demande préalable à l’entrée au Canada

Marginal note: Work permits

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après sont établis :

200 (1) Subject to subsections (2) and (3) — and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act — an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

a) l’étranger a demandé un permis de travail conformément à la section 2;

(a) the foreign national applied for it in accordance with Division 2;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

...

...

VI.             Norme de contrôle

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi aux paragraphes 57 et 62 qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Au moment de déterminer si un agent d’immigration a commis une erreur susceptible de révision en concluant qu’un demandeur avait fait une fausse déclaration importante aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Sidhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 176, au paragraphe 16. Les questions d’équité procédurale sont sujettes à un contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43. Lorsque les motifs ont été fournis et qu’il n’y a eu aucun manquement au devoir d’équité procédurale, le bien-fondé des motifs est également examiné selon la norme de la décision raisonnable : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses].

[19]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[20]           En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision, la tâche de la Cour ne consiste pas à déterminer si la décision est correcte ou incorrecte, mais plutôt si elle est raisonnable. Il est bien établi qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor à la recherche d’une erreur. Une cour de révision a le devoir de considérer la décision comme un tout.

[21]           Dans Dunsmuir, au paragraphe 50, la Cour suprême explique les exigences de la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

VII.          Analyse

[22]           La difficulté fondamentale, dans le cas de la demanderesse, réside dans le fait qu’elle a donné des réponses qui divergeaient manifestement de celles de son employeur lors des entrevues parallèles effectuées par les agents d’immigration canadiens. Dans sa demande, la demanderesse avait essentiellement identifié Naveen Kumar Verma, le représentant de l’employeur que l’agent des visas a interrogé, comme la [traduction] « personne ressource »; c’était lui qui lui avait présenté une offre d’emploi et qui avait fourni des lettres certifiant que la demanderesse continuait à remplir ses fonctions (lettres qui ont été déposées par la demanderesse); il était le PDG de son employeur présumé. Il est raisonnable de conclure qu’il était loisible à l’agent de considérer que ses réponses étaient exactes. Cependant, Naveen Kumar Verma a donné des réponses radicalement différentes de celles qu’a fournies la demanderesse à deux questions simples au cours du processus de vérification. D’une part, en réponse à la question, « Qui est son supérieur immédiat?/Qui est votre supérieur immédiat? » deux personnes différentes, portant des titres de poste différents, ont été citées. D’autre part, en réponse à la question : « Où se trouve-t-elle en ce moment?/Où êtes-vous en ce moment? », l’employeur a répondu que la demanderesse était au bureau et qu’elle était en conversation sur Skype avec un client, mais la demanderesse a répondu qu’elle était chez ses beaux-parents « depuis la semaine dernière ». Dans un cas comme dans l’autre, les deux réponses ne pouvaient pas être correctes. À mon humble avis, comme l’enseigne Dunsmuir, il était raisonnable pour l’agent de conclure en s’appuyant sur ce seul motif qu’il était en présence d’une fausse déclaration. Il était loisible à l’agent de tirer la conclusion qu’il a tirée.

[23]           On a fait grand cas de l’interdiction de séjour de cinq ans. Je souligne que, selon la LIPR, l’interdiction de séjour qui vise la demanderesse s’applique également à son conjoint. Toutefois, j’ignore de quelle manière on aurait pu expliquer plus clairement cette conséquence à la demanderesse qu’on ne l’a fait dans la lettre relative à l’équité procédurale, laquelle porte spécifiquement à l’attention de la demanderesse la possibilité de cette interdiction, et ce, deux fois plutôt qu’une. Je reconnais que les conséquences sont très fâcheuses pour ce couple, mais la question aux présentes ne porte pas sur les conséquences d’une fausse déclaration. Il s’agit plutôt de déterminer si la conclusion de fausse déclaration était en soi déraisonnable. Comme je le mentionne ci-dessus, j’ai jugé que la conclusion de l’agent était raisonnable.

[24]           C’était au moment de soumettre la demande qu’il fallait porter attention à l’interdiction de séjour pendant cinq ans. En outre, la demanderesse a eu une deuxième chance de répondre lors des entrevues de vérification parallèles et même une troisième chance de le faire dans la lettre relative à l’équité procédurale.

[25]           À mon humble avis, il n’est pas raisonnable de répondre à une lettre relative à l’équité procédurale en affirmant que les réponses données précédemment sont exactes, tout en précisant que « le risque de répondre incorrectement à quelques questions ne peut être exclu ». Je n’accorde aucune valeur à cette déclaration; elle n’apportait aucune réponse valable.

[26]           Le dossier indique que l’on a posé quatre questions à la demanderesse. Même si elle n’avait pas été informée des préoccupations que son entrevue a suscitées, elle aurait pu formuler ses réponses en prenant ces quatre questions en considération. Essentiellement, l’agent a conclu que la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale était évasive, et elle l’était : je suis incapable de déceler le caractère déraisonnable de sa décision.

[27]           La demanderesse a émis des préoccupations concernant l’équité procédurale du processus, alléguant notamment que le même agent aurait dû se charger des deux entrevues (celle de l’employeur et celle de la demanderesse), que l’agent aurait dû rappeler l’employeur cinq minutes plus tard comme celui-ci l’avait demandé, que l’appel d’AG, tel qu’il a été rapporté, constituait un double ouï-dire, qu’AG aurait dû consigner séparément et conserver ses notes, et que la politique ministérielle visant la tenue minutieuse des dossiers d’entrevue n’a pas été respectée.

[28]           À mon humble avis, il n’y a aucune raison pour que le processus d’entrevue parallèle d’un demandeur et de son employeur soit effectué par le même agent, en particulier lorsqu’il est question d’obtenir un permis de travail, comme c’est le cas en l’espèce. En supposant que les entrevues parallèles soient effectuées simultanément, il serait impossible qu’elles le soient par le même agent. En outre, si je comprends bien, le processus d’entrevue parallèle a pour objet d’établir la véracité d’une demande. De toute évidence, il vaut mieux que de telles entrevues soient effectuées simultanément, c’est-à-dire parallèlement, afin d’éviter que les personnes adaptent les réponses données au second appel en fonction de celles fournies au cours du premier appel. Cet avantage serait éliminé si le même agent devait effectuer les deux appels.

[29]           De plus, il est bien établi que les agents ne sont pas tenus d’effectuer plusieurs appels de suite pour parler à un demandeur sur son lieu de travail, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, la demanderesse était elle-même au téléphone avec un autre agent qui l’avait jointe chez ses beaux-parents : voir Heer c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 1357, aux paragraphes 19 à 21. Un demandeur doit faire valoir ses meilleurs arguments dans sa demande; sa responsabilité à cet égard s’étend aux processus d’entrevue connexes et à toutes ses réponses à une lettre relative à l’équité procédurale.

[30]           Il est évident que SK a consigné les résultats de son entrevue avec l’employeur et qu’il a également noté les renseignements d’AG concernant son appel à la demanderesse. Je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans le rapport qu’a transmis AG directement à SK à la suite de l’entrevue parallèle de la demanderesse, ni dans la manière dont SK a consigné, dans les notes du SMGC, les réponses que lui et AG avaient reçues. Il est bien établi que les agents peuvent s’appuyer sur ce leur disent d’autres agents : Dieng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 217, au paragraphe 22 :

[22] Les notes du SSOBL sont admissibles à titre de renseignements qui apparaissent au dossier et dont le juge peut prendre connaissance : Ally c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 445, au paragraphe 20. Le juge James Russell y a écrit : « L’agent des visas était en droit de se fonder sur des renseignements qui figuraient dans le dossier, même s’il s’agissait de renseignements que le demandeur avait fournis à un autre agent. »

[31]           En ce qui concerne le ouï-dire et le double ouï-dire, il va sans dire que les règles régissant la réception des dépositions généralement applicables aux tribunaux judiciaires ne s’appliquent pas aux agents qui effectuent des entrevues ou qui s’appuient sur des notes prises lors d’entrevues : alinéa 173c) de la LIPR. Pour contester l’exactitude des notes consignées dans le SMGC, la demanderesse n’offre que des spéculations. À moins d’établir la vraisemblance ou d’invoquer un autre motif, la demanderesse ne peut attaquer les notes consignées dans le SMGC, lesquelles doivent en conséquence être prises au pied de la lettre. Cette objection est dénuée de fondement.

[32]           En conséquence, le décideur ultime, CM, a agi correctement en s’appuyant sur les notes des deux autres agents, soit SK et AG, consignées dans le SMGC.

[33]           L’objection portait également sur la conclusion ci-après de CM relativement à la vraisemblance : « La réponse de la demanderesse ne m’a pas satisfait, car elle mentionne simplement qu’elle a travaillé pour Euclide et elle n’était pas en mesure d’expliquer les divergences entre ses réponses et celles de son employeur. » L’avocat de la demanderesse déclare qu’il y a une explication plausible pour ces divergences, à savoir que la demanderesse était autorisée à faire du télétravail et qu’elle était en déplacement au moment du processus de vérification parallèle. Même si les conclusions relativement à la vraisemblance doivent être étayées par des motifs et reposer sur des éléments de preuve, je suis franchement incapable de voir comment l’une ou l’autre de ces explications pourrait indiquer pourquoi ses réponses concernant l’endroit où elle se trouvait et qui était son supérieur immédiat différaient tellement de celles de son employeur. Il n’y a, à ma connaissance, aucun motif pour justifier un contrôle judiciaire dans le présent argument.

[34]           La demanderesse mentionne également le fait que les notes consignées dans le SMGC mentionnaient que l’entrevue téléphonique de la demanderesse s’était terminée de manière abrupte et que celle-ci n’avait pas répondu aux appels subséquents d’AG, ce qui indique un acte délibéré d’évasion de la part de la demanderesse. Toutefois, comme il a déjà été mentionné, le décideur, CM, n’a fait aucune référence à cet aspect des notes d’entrevue de l’agent. Pour cette raison, le caractère raisonnable de la décision à cet égard ne peut être attaqué; c’est une échappatoire.

[35]           Enfin, la demanderesse insiste sur le fait que les conclusions de fausses déclarations doivent reposer sur la prépondérance des probabilités, comme l’indiquent les lignes directrices ministérielles, et non simplement sur la base de motifs raisonnables de croire autre chose, comme l’exige l’article 133 de la LIPR. Je suis d’accord et je conviens également qu’une preuve claire et convaincante est requise, voir Chughtai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 416 [Chughtai] :

[29]      Une demande pour un visa de résidence permanente peut être rejetée si le demandeur ou la demanderesse n’arrive pas à satisfaire le fardeau de preuve nécessaire pour convaincre un agent de son admissibilité. Toutefois, une conclusion d’interdiction de territoire est de nature plus grave. En vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, une personne est interdite de territoire au Canada si elle « fai[t] une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ». Comme mon collègue le juge Barnes l’a déclaré dans Xu au paragraphe 16, « Une conclusion de fausse déclaration aux fins de l’article 40 de la LIPR a des conséquences sérieuses, et il ne faut ainsi pas tirer pareille conclusion en l’absence d’une preuve claire et convaincante […] » [Non souligné dans l’original]. Parallèlement, dans l’arrêt Berlin, au paragraphe 21, le juge Barnes mentionne qu’« on n’établit pas l’existence de fausses déclarations sur de simples apparences. Ainsi que le guide opérationnel sur l’exécution de la loi du défendeur le reconnaît, l’existence d’une fausse déclaration doit être établie selon la prépondérance des probabilités. » Bien qu’un demandeur de résidence permanente a une obligation de franchise exigeant de lui la divulgation des faits substantiels et que même une omission innocente de fournir un renseignement substantiel peut avoir pour conséquence une conclusion d’interdiction de territoire (Baro au paragraphe 15), il doit malgré tout être démontré de façon claire et convaincante selon la prépondérance des probabilités que le demandeur n’a pas divulgué des faits substantiels pour pouvoir tirer une conclusion de fausse déclaration.

[33]      Dans l’ensemble, il appert de la décision que la seule preuve utilisée par l’agent au soutien de sa conclusion de fausse déclaration est la décision selon laquelle il est possible que l’entreprise actuelle de l’employeur n’exigeait pas de poste de gestionnaire de bureau. En conséquence, les motifs ne soutiennent pas la conclusion de fausse déclaration selon un critère de preuve claire et convaincante. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la conclusion d’interdiction de territoire de l’agent des visas appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[36]           À mon humble avis, ces critères ont été satisfaits en l’espèce. Il n’y a eu aucun saut non justifié de la preuve à la conclusion comme dans Chughtai. Comme on peut le constater, une telle décision dépend des faits. En l’espèce, la demanderesse a fourni des réponses totalement différentes de celles de son employeur à des questions simples et directes. À mon avis, la conclusion de fausse déclaration a été basée de façon raisonnable sur les faits.

VIII.       Conclusion

[37]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision satisfait aux critères énoncés dans Dunsmuir en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel, en ce sens qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, le contrôle judiciaire doit être rejeté.

IX.             Question à certifier

[38]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune ne se pose.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire, aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-717-16

 

INTITULÉ :

SARANJIT KAUR HEHAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

Pour la demanderesse

David Shiroky

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice, région des Prairies

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

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