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Date : 20161005


Dossier : T-310-16

Référence : 2016 CF 1109

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

THE BLACK & DECKER CORPORATION

demanderesse

et

METHOD LAW PROFESSIONAL CORPORATION

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2016)

[1]               La demanderesse interjette appel, en application de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, d’une décision rendue par le registraire des marques de commerce [le registraire], le 21 décembre 2015 [la décision]. La décision a eu pour effet de modifier la marque de commerce PIRANHA (LMC330222) [l’enregistrement], qui avait été enregistrée au départ pour être employée en liaison avec les [traduction] « lames de scie à chaîne » [les lames de scie à chaîne] et les [traduction] « lames de scie circulaire » [les marchandises enregistrées], le 17 juillet 1987. Dans sa décision, le registraire a conclu que les éléments de preuve présentés par la demanderesse, relativement à l’emploi de la marque en liaison avec les lames de scie à chaîne, étaient ambigus; il a donc ordonné la radiation de cette partie de l’enregistrement.

I.                   Contexte

[2]               Les lames de scie circulaire de marque PIRANHA sont offertes dans une gamme de matériaux et de tailles et sont destinées à être utilisées avec des scies circulaires.

[3]               Une abondance d’éléments de preuve concernant ces lames de scie ont été présentés au registraire, comme le confirme l’affidavit produit en 2014 par Greg C. Weston [l’affidavit de M. Weston de 2014]. À l’époque, M. Weston était directeur du marketing commercial chez Stanley Black & Decker Canada. Ces éléments de preuve avaient été présentés pour démontrer que la demanderesse avait bel et bien employé sa marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises enregistrées au cours des trois années précédentes, soit du 3 avril 2011 au 3 avril 2014 [la période visée].

[4]               M. Weston a affirmé sous serment que, pendant la période visée, la demanderesse avait employé la marque de commerce dans le cours normal de ses affaires, ainsi qu’en liaison avec les marchandises enregistrées. Les éléments de preuve présentés avec cet affidavit pour attester de l’emploi des lames de scie à chaîne incluaient ce qui suit :

                    Copies représentatives de jeux de lames de scie sauteuse pour emploi sur scies à chaîne, sur lesquelles apparaissait la marque sur chaque lame, sur le coffret du jeu de lames ainsi que sur l’emballage

                    Modèles de listes de prix en vigueur au Canada entre le 1er janvier 2011 et le 1er janvier 2014, sur lesquelles figuraient des marchandises de marque PIRANHA mises en vente

                    Chiffres sur les ventes de lames PIRANHA pour scies circulaires et scies à chaîne réalisées durant la période visée

                    Copies de factures représentatives, indiquant les ventes de marchandises enregistrées réalisées par divers détaillants canadiens durant la période visée, en particulier les ventes de lames de scie circulaire

                    Imprimés des sites Web de vente au détail www.amazon.ca et www.walmart.ca indiquant les lames pour scie sauteuse et scie circulaire pouvant être achetées au Canada

[5]               Le registraire a admis que la demanderesse avait, en ce qui a trait à la partie résiliée de la marque (lames de scie à chaîne), i) démontré l’emploi de la marque sur les marchandises mêmes et ii) mis en vente au Canada les marchandises sur des sites de commerce de détail en ligne. Le registraire a néanmoins conclu qu’il n’y avait aucune preuve de vente, et donc qu’il n’existait aucune preuve de l’emploi réel, au Canada, de la marque en liaison avec les lames de scie à chaîne. Le registraire a donc ordonné que les lames de scie à chaîne soient retirées de l’enregistrement de la marque.

II.                Nouveaux éléments de preuve

[6]               M. Weston, le souscripteur d’affidavit devant le registraire, a présenté de nouveaux éléments de preuve à l’appui de cette demande, là encore sous la forme d’un affidavit [affidavit de 2016 de M. Weston]. M. Weston est aujourd’hui directeur du marketing des produits et de la marque pour la demanderesse.

[7]               M. Weston a joint à son affidavit de 2016 des factures pour des ventes de 18 nouvelles lames de scie à chaîne, réalisées au Canada durant la période visée. Ces ventes ont totalisé plus de 70 000 $.

III.             Dispositions législatives

[8]               Les dispositions législatives pertinentes s’énoncent comme suit :

Le registraire peut exiger une preuve d’emploi

45 (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne [...], donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, [...], un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacun des produits ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

[...]

Effet du non-usage

(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie [...], que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des produits ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’un de ces produits ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

[9]           L’article 2 de la Loi définit l’« emploi ou l’usage » comme suit :

À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des produits ou services.

[10]           Enfin, le paragraphe 4(1) de la Loi est ainsi libellé :

4(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

IV.             Analyse

[11]           Bien que la norme de la « décision raisonnable », qui commande la retenue, s’applique aux décisions prises en vertu de l’article 45, lorsqu’une preuve additionnelle est présentée à la Cour fédérale dans le cadre d’un appel, et que cette preuve pourrait avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, c’est alors la norme de la décision correcte qui s’applique (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 RCF 145, au paragraphe 51).

[12]           Le but de l’article 45 est de débarrasser le registre de son bois mort. Il n’est pas de révoquer ou de modifier la portée des droits accordés en vertu des marques de commerce connues et en usage (Berlucchi c. Prince, [2007] FCJ no 319, au paragraphe 15 [Prince]). Pour satisfaire à la définition d’emploi au sens de la Loi, le propriétaire de la marque doit simplement fournir une preuve prima facie d’emploi [Prince, au paragraphe 18]. En d’autres mots, le fardeau de la preuve n’est pas lourd. Comme l’a déclaré la Cour, il faut éviter une surabondance de preuve.

[13]           Je suis d’avis que l’affidavit de 2014 de M. Weston fournissait suffisamment d’éléments à l’appui pour établir une preuve prima facie que la marque avait été employée au Canada en liaison avec des lames de scie à chaîne durant la période visée; ces éléments incluaient notamment ce qui suit :

                                           I.                        Copies représentatives montrant que la marque était employée sur des jeux de lames de scie sauteuse et leurs emballages

                                        II.                        Copies de sites Web d’importants détaillants proposant la vente au Canada de jeux de lames de scie sauteuse de marque PIRANHA

                                     III.                        Données sur les ventes totales réalisées pendant la période visée qui, selon le témoignage de M. Weston, englobaient à la fois les ventes de lames de scie circulaire et de lames de scie à chaîne de marque PIRANHA

[14]           Les éléments de preuve précités, présentés en 2014, montrent que la marque a bel et bien été employée en liaison avec toutes les marchandises enregistrées durant la période visée. La Cour fédérale a clairement indiqué qu’il n’est pas nécessaire de fournir des factures dans le cadre de procédures en vertu de l’article 45. Par conséquent, le défaut de produire ces factures n’aurait pas dû être un facteur déterminant. Compte tenu du faible seuil de preuve exigé et de l’objet de l’article 45, les éléments de preuve précités auraient dû suffire comme preuve d’emploi (Diamant Elinor Inc. c. 88766 Canada Inc., 2010 CF 1184, au paragraphe 6).

[15]           De plus, toute ambiguïté quant à l’emploi, le cas échéant, aurait dû être résolue en faveur du propriétaire inscrit, eu égard aux éléments de preuve présentés par M. Weston dans son affidavit de 2014 (Fraser Sea Food Corp c. Fasken Martineau Dumoulin LLP, 2011 CF 893, au paragraphe 19).

[16]           Enfin, dans la mesure où il y aurait eu ambiguïté légitime – ce qui n’était pas le cas à mon avis – celle-ci a été dissipée par les nouveaux éléments de preuve présentés, à savoir l’affidavit de 2016 de M. Weston, qui fournit des données sur le chiffre d’affaires établi à partir de factures détaillées totalisant plus de 70 000 $ et incluant des lames de scie à chaîne. Ces ventes ont toutes été réalisées pendant la période visée.

[17]       Bien que l’emploi ait été remis en question par l’annulation de la marque par le registraire, je suis d’avis que ces nouveaux éléments de preuve dissipent toute ambiguïté quant à savoir si les marchandises enregistrées ont réellement été vendues au Canada durant la période visée. Pour ces motifs, je conclus que l’enregistrement « lames de scie à chaîne » (LMC330222) devrait être rétabli.

V.                Conclusion

[18]           Les éléments de preuve présentés au registraire fournissent clairement une preuve prima facie d’emploi en liaison avec des [traduction] « lames de scie à chaîne ». Eu égard aux éléments de preuve présentés durant l’audience, je suis d’avis que la décision du registraire était déraisonnable. De plus, les nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés à notre Cour, à l’appui de la présente demande, établissent clairement, et sans la moindre ambiguïté, qu’il y a eu emploi au sens de la Loi.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

a.                   L’appel est accueilli. La marque de commerce de la demanderesse, qui fait l’objet de l’enregistrement, est employée par la demanderesse au sens de la Loi sur les marques de commerce en liaison avec les produits suivants : 1) lames de scie à chaîne; 2) lames de scie circulaire.

b.                  Le registraire doit modifier l’état des produits à l’égard desquels la marque LMC330222 est enregistrée, afin d’y inclure la mention [traduction] « lames de scie à chaîne ».

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-310-16

INTITULÉ :

THE BLACK & DECKER CORPORATION c. METHOD LAW PROFESSIONAL CORPORATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 5 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Jane Steinberg

Julia Kelen

Pour la demanderesse

Aucune comparution

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

METHOD LAW PROFESSIONAL CORPORATION

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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