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Date : 20161012


Dossier : T-1314-12

Référence : 2016 CF 1125

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

CATHAY PACIFIC AIRWAYS LIMITED

Demanderesse

et

AIR MILES INTERNATIONAL TRADING B.V.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Cathay Pacific Airlines Limited [Cathay Pacific], a interjeté appel d’une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce [la Commission] datée du 25 avril 2012, par laquelle elle a refusé ses demandes d’enregistrement de cinq marques de commerce en liaison avec l’exploitation d’un programme de fidélisation ou de récompenses et divers autres marchandises et services. Ces marques de commerce sont le mot servant de marque ASIA MILES et quatre marques qui contiennent les mots ASIA MILES et un A stylisé [les marques ASIA MILES]. La défenderesse, Air Miles International Trading B.V. [Air Miles], s’est opposée à ces demandes auprès de la Commission pour plusieurs motifs, mais essentiellement en alléguant la confusion avec sa marque AIR MILES. La marque AIR MILES est employée en liaison avec un programme incitatif de récompenses qui permet aux consommateurs d’accumuler des milles échangeables contre des voyages en avion et d’autres récompenses. Air Miles demande à présent la confirmation de la décision de la Commission.

[2]               Cathay Pacific a produit de nouveaux éléments de preuve dans le présent appel et souhaite que la Cour examine ses demandes de novo, conformément à la norme de contrôle qu’elle a formulée. Air Miles fait valoir que les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas modifié de façon importante la décision de la Commission et que cette décision devrait par conséquent être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[3]               Pour les motifs expliqués ci-dessous, je conclus que la norme de la décision correcte s’applique à ma révision de certains aspects de la décision de la Commission, mais non aux conclusions de la Commission qui ne sont pas touchées par les nouveaux éléments de preuve, où la déférence reste applicable. Lorsque j’applique ces principes, j’estime que les nouveaux éléments de preuve ont une incidence importante sur certains aspects de la décision de la Commission en ce qui a trait à l’emploi des marques ASIA MILES par Cathay Pacific aux termes de la licence concédée à sa filiale. En ce qui concerne certains aspects de la décision, j’ai tiré des conclusions différentes de celles de la Commission. Cependant, je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur dans sa conclusion générale de refuser les demandes de Cathay Pacific; le présent appel doit par conséquent être rejeté.

II.                Faits et procédures

A.                Les demandes et leur opposition

[4]               Le 8 septembre 2005, Cathay Pacific a déposé cinq demandes d’enregistrement des marques ASIA MILES pour emploi en liaison avec divers services et marchandises. Le tableau qui suit présente chacune des marques ASIA MILES ainsi que la date de leur demande et la base de leur enregistrement :

[5]               Air Miles s’est opposée à ces demandes auprès de la Commission en soulevant différents motifs d’opposition en application de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13 [la Loi]. Se fondant sur les articles pertinents de la Loi, les motifs soulevés en opposition à la demande d’enregistrement de la marque ASIA MILES étaient comme suit :

A.                alinéa 30a) : L’état des marchandises et des services de la demanderesse n’est pas dressé dans les termes ordinaires du commerce;

B.                 alinéa 30b) : La demanderesse n’a pas employé sa marque de commerce au Canada depuis la date revendiquée;

C.                 alinéa 30d) : La demanderesse n’a pas employé la marque de commerce à Hong Kong, comme elle l’affirme;

D.                alinéa 30e) : La demanderesse n’a pas l’intention d’employer la marque de commerce au Canada, comme elle l’affirme;

E.                 alinéa 12(1)d) : ASIA MILES n’est pas enregistrable, car elle crée de la confusion avec la marque de commerce déposée AIR MILES de l’opposante;

F.                  alinéas 16(1)a) et b) : La demanderesse n’a pas droit d’obtenir l’enregistrement de la marque ASIA MILES, parce qu’à la date de premier emploi revendiquée au Canada, elle créait de la confusion avec une ou plusieurs marques de commerce de l’opposante, notamment AIR MILES qui a été antérieurement employée par l’opposante au Canada;

G.                alinéa 16(1)c) : La demanderesse n’a pas droit d’obtenir l’enregistrement de la marque ASIA MILES parce qu’à la date de premier emploi revendiquée au Canada, elle créait de la confusion avec un ou plusieurs noms commerciaux de l’opposante employés antérieurement;

H.                alinéas 16(2)a) et b) : La demanderesse n’a pas droit d’obtenir l’enregistrement de la marque ASIA MILES parce qu’à la date où elle a produit sa demande au Canada, elle créait de la confusion avec une ou plusieurs des marques de l’opposante;

I.                   alinéa 16(2)c) : La demanderesse n’a pas droit d’obtenir l’enregistrement de la marque ASIA MILES parce qu’à la date où elle a produit sa demande au Canada, elle créait de la confusion avec un ou plusieurs des noms commerciaux de l’opposante employés antérieurement au Canada;

J.                   alinéas 16(3)a) et b) : La demanderesse n’a pas droit d’obtenir l’enregistrement de la marque ASIA MILES parce qu’à la date de la production de sa demande au Canada, elle créait de la confusion avec une ou plusieurs des marques de commerce de l’opposante, notamment AIR MILES, que l’opposante avait employées antérieurement au Canada;

K.                alinéa 16(3)c) : La demanderesse n’a pas droit d’obtenir l’enregistrement de la marque ASIA MILES parce qu’à la date de la production de sa demande au Canada, elle créait de la confusion avec un ou plusieurs des noms commerciaux de l’opposante, notamment AIR MILES, que l’opposante avait employés antérieurement au Canada;

L.                 article 2 : La marque ASIA MILES n’est pas distinctive et n’est pas adaptée à distinguer les marchandises et services de la demanderesse de ceux de l’opposante;

M.               article 2 : La demanderesse n’a pas l’intention d’employer la marque ASIA MILES ou l’a abandonnée.

[6]               Chacune des parties a déposé un affidavit à l’appui de sa thèse, accompagné des transcriptions des contre-interrogatoires des déposants de Cathay Pacific.

B.                 La décision de la Commission des oppositions des marques de commerce

[7]               Dans sa décision rendue le 25 avril 2012, la Commission a examiné les éléments de preuve présentés par les parties et s’est d’abord penchée sur les motifs techniques d’opposition en vertu des alinéas 30a), b) et e) de la Loi. Par la suite, elle a examiné les autres motifs d’opposition qui portaient sur la confusion entre les marques ASIA MILES et AIR MILES.

[8]               En premier lieu, la Commission a examiné les éléments de preuve présentés par Cathay Pacific sur son emploi des marques ASIA MILES sous une licence octroyée à sa filiale en propriété exclusive, Cathay Pacific Loyalty Programmes Limited [CPLP]. Cependant, la Commission a conclu que l’allégation de Cathay Pacific selon laquelle CPLP a employé les marques au Canada en vertu d’une licence, conformément à l’article 50 de la Loi, soulevait des doutes, car l’article prescrit les exigences que doit satisfaire le propriétaire d’une marque pour démontrer que l’emploi de la marque par le licencié profite au propriétaire. La Commission a par conséquent refusé la demande conformément au motif d’opposition prévu à l’alinéa 30b) de la Loi concernant l’emploi au Canada.

[9]               La Commission a ensuite refusé la demande selon le motif d’opposition prévu à l’alinéa 30e) de la Loi concernant l’emploi projeté au Canada, en tenant compte du fait que l’emploi projeté par Cathay Pacific serait conforme à son emploi antérieur, de sorte que cet emploi profiterait à CPLP plutôt qu’à Cathay Pacific.

[10]           La dernière base d’enregistrement consistait en l’emploi et l’enregistrement des marchandises et services à Hong Kong. Pour ce qui est des marchandises, la Commission a conclu qu’elles étaient accessoires aux services plutôt que des marchandises autonomes. La Commission a conclu que les marques ASIA MILES n’étaient pas employées comme marque de commerce pour la litanie de marchandises dans la demande, mais simplement pour annoncer et promouvoir un programme de reconnaissance de la fidélité; elle a reconnu avec Air Miles que les marchandises étaient déclarées d’une manière trop générale et ne respectaient donc pas l’alinéa 30a) de la Loi. La demande a donc été refusée sur ce motif d’opposition à l’égard des marchandises.

[11]           Les motifs pertinents d’opposition en ce qui concerne la portion restante de la demande sont ceux qui allèguent la non-enregistrabilité, l’absence d’un droit à l’enregistrement et l’absence de caractère distinctif, chacun d’eux faisant intervenir la question de la confusion entre les marques ASIA MILES et AIR MILES. L’application par la Commission du test en matière de confusion et les facteurs prescrits par le paragraphe 6(5) de la Loi qui doivent être pris en considération pour établir la confusion font l’objet d’une description détaillée plus loin dans les présents motifs. En résumé, la Commission a soutenu que la marque Air Miles a été employée d’une manière très importante et durant une longue période, que Cathay Pacific ne peut prétendre pour sa marque à une quelconque réputation au Canada, qu’il y a un chevauchement considérable des services associés aux marques en cause et qu’il y a un degré assez élevé de ressemblance entre les marques en cause (même si elles sont plus dissemblables que semblables). La Commission a conclu qu’à toutes les dates pertinentes, Cathay Pacific n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune probabilité raisonnable de confusion entre les marques ASIA MILES et AIR MILES, pour les services pour lesquels Cathay Pacific a demandé l’enregistrement en se fondant sur l’emploi et l’enregistrement des marques à Hong Kong. Par conséquent, la Commission a jugé qu’Air Miles avait obtenu gain de cause pour les motifs d’opposition fondés sur la confusion. La Commission a repoussé la demande d’enregistrement de la marque ASIA MILES dans son intégralité.

[12]           Elle a alors conclu que les quatre autres demandes concernaient les mêmes marchandises et services, avec les mêmes bases correspondantes d’enregistrement, que la demande d’enregistrement de la marque ASIA MILES. Les arguments, les points litigieux et les éléments de preuve versés au dossier étaient les mêmes, et les dates pertinentes n’étaient pas très différentes. La Commission en a déduit que les mêmes conclusions et le même raisonnement s’appliquaient et a refusé les autres demandes dans leur intégralité.

C.                 L’historique des procédures

[13]           La Cour fédérale a entendu l’appel de la décision de la Commission interjeté par Cathay Pacific et, le 11 juin 2014, elle a rendu une décision accueillant l’appel et annulant la décision de la Commission, renvoyant l’affaire à une Commission différemment constituée pour que celle-ci procède à un nouvel examen (voir Cathay Pacific Airways Limited c. Air Miles International Trading B.V., 2014 CF 549). La Cour fédérale a soutenu que la preuve non contredite dont la Commission était saisie démontrait que Cathay Pacific autorisait CPLP à employer la marque ASIA MILES et que la Commission était saisie de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que Cathay Pacific contrôlait directement ou indirectement les caractéristiques ou la qualité de l’emploi de la marque de sorte que l’emploi de la marque par CPLP aurait dû être attribué à Cathay Pacific conformément à l’article 50 de la Loi. La Cour a également conclu que, n’eût été la conclusion déraisonnable de la Commission quant à l’emploi, son analyse relative à la question de la confusion aurait été différente. La Commission aurait été amenée à déterminer si ASIA MILES avait acquis un caractère distinctif au Canada, et elle aurait tenu compte du fait qu’il n’y avait, en dépit de l’emploi simultané des deux marques pendant de nombreuses années au Canada, aucune preuve de confusion réelle entre elles.

[14]            Cathay Pacific a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale, alléguant que la Cour aurait dû autoriser l’enregistrement des marques de commerce. Air Miles a interjeté un appel incident sur le fond de la décision de la Cour. Dans l’arrêt Air Miles International Trading B.V c. Cathay Pacific Airways Limited, 2015 CAF 549, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel incident d’Air Miles, concluant que la Cour fédérale avait commis une erreur en n’examinant pas les nouveaux éléments de preuve produits par Cathay Pacific lors de l’appel conformément à l’article 56 de la Loi. La Cour d’appel a également conclu que la Cour fédérale, tout en prétendant appliquer la norme de la décision raisonnable à la décision de la Commission, a plutôt appliqué la norme de la décision correcte. La Cour d’appel a affirmé qu’il ne lui avait été donné aucun motif de conclure que la décision de la Commission était déraisonnable, étant donné le dossier dont elle était saisie. Par conséquent, l’affaire a été renvoyée à la Cour fédérale pour le présent nouvel examen de l’appel interjeté par Cathay Pacific.

III.             Les questions en litige

[15]           Cathay Pacific définit les questions en litige suivantes qui seront examinées dans le présent appel :

A.                Quelle norme de contrôle devrait s’appliquer?

B.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en tenant compte du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30a) qui n’a pas été correctement plaidé, ou en concluant que la défenderesse s’est acquittée de son fardeau de preuve initial pour ce motif, ou encore en appliquant un mauvais critère juridique pour déterminer que la description des marchandises de la demanderesse était trop générale?

C.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant les demandes à l’égard de certains services et marchandises en application de l’alinéa 30b) de la Loi après avoir conclu que l’emploi des marques ASIA MILES par la filiale de la demanderesse ne constituait pas une utilisation concédée par licence profitant à la demanderesse conformément à l’article 50 de la Loi?

D.                La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant les demandes relativement à certains services et marchandises en application de l’alinéa 30e) de la Loi sur la présomption que l’appelante avait l’intention d’employer les marques ASIA MILES par l’entremise de sa filiale de manière à ce que l’emploi ne soit pas à l’acquit de la demanderesse?

E.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant les demandes en application de l’article 2, de l’alinéa 12(1)d) et de l’article 16 de la Loi après avoir conclu que l’appelante n’a pas établi qu’il n’y avait aucune probabilité raisonnable de confusion entre les marques ASIA MILES de la demanderesse et les marques AIR MILES de la défenderesse?

IV.             Analyse

A.                Quelle norme de contrôle devrait s’appliquer?

[16]           Le choix de la norme de contrôle repose sur la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve produits par Cathay Pacific lors de l’appel, comme l’autorise le paragraphe 56(5) de la Loi, auraient modifié de façon importante la décision de la Commission (voir Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, au paragraphe 29). Les parties ne contestent pas ce principe. Dans la récente décision de notre Cour dans Kabushiki Kaisha Mitsukan Group Honsha c. Sakura-Nakaya Alimentos Ltda., 2016 CF 20 [Kabushiki Kaisha], le juge LeBlanc a mentionné que les décisions de la Commission sont, en règle générale, susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable, mais a expliqué comme suit, au paragraphe 18, les circonstances dans lesquelles la présentation d’une nouvelle preuve peut entraîner l’application de la norme de la décision correcte :

[18]      Au sens du paragraphe 56(5) de la Loi, la norme de contrôle de la décision raisonnable peut laisser place à la norme de la décision correcte lorsqu’une preuve additionnelle est présentée devant la Cour. En pareil cas, la Cour peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi et en arriver à sa propre conclusion. Cependant, comme l’a expliqué le juge Yves de Montigny, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans Producteurs Laitiers du Canada, il n’en ira ainsi que si la nouvelle preuve est pertinente dans la mesure où elle comble une lacune ou remédie à des déficiences identifiées par le registraire ou qu’elle ajoute substantiellement à ce qui a déjà été soumis. Par contre, dans l’hypothèse où cette nouvelle preuve ne serait que répétitive et ne bonifierait pas la force probante de la preuve déjà soumise, la norme de la décision raisonnable continuera de s’appliquer (voir Producteurs Laitiers du Canada, au paragraphe 28; voir aussi la décision Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (C.A.), [2000] 3 C.F. 145, au paragraphe 51). [Non souligné dans l’original.]

[17]            Comme aucune nouvelle preuve n’a été présentée concernant le motif d’opposition prévu à l’alinéa 30a) de la Loi, les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique à la révision de ce motif. Cependant, pour ce qui est des autres motifs, Air Miles soutient que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à nouveau, alors que Cathay Pacific fait valoir que la norme est celle de la décision correcte ou, plus exactement selon elle, une révision effectuée comme une nouvelle audition fondée sur le dossier élargi.

[18]           La thèse de Cathay Pacific, selon laquelle la norme de la décision correcte serait mieux décrite comme une révision de novo, s’appuie sur la description présentée par la Cour suprême du Canada, au paragraphe 35 de l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22 [Mattel], de l’exigence selon laquelle le juge saisi de l’appel doit instruire l’affaire comme une nouvelle audition fondée sur le dossier élargi. Cependant, aux paragraphes 46 et 47 de la récente décision Eclectic Edge Inc. c. Gildan Apparel (Canada) LP, 2015 CF 1332, le juge Gascon, s’appuyant sur les paragraphes 36 et 37 de l’arrêt Mattel, souligne que l’expression procès « de novo » n’est pas tout à fait appropriée pour décrire la nature de l’appel prévue à l’article 56, puisque les décisions de la Commission méritent une certaine déférence, car le fait d’admettre et d’examiner un nouvel élément de preuve n’empêche pas en soi que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent. Une norme de la décision correcte devrait plutôt s’appliquer aux conclusions de fait qui sont touchées par la nouvelle preuve. D’autres conclusions de faits demeurent assujetties à une norme déférente de la décision raisonnable, reconnaissant la compétence particulière de la Commission. Je souscris à la formulation de la norme de contrôle applicable présentée par le juge Gascon.

[19]           Cathay Pacific a déposé quatre nouveaux affidavits dans le présent appel, souscrits par M. Stephen John Rackstraw, Mme Sarra Gau, M. Wong Ngai Sang Ivor et M. William Geraghty. Air Miles a également déposé un nouvel affidavit souscrit par M. John K. Chambers. J’examinerai chacun de ces affidavits ainsi que la question de savoir s’ils ont un effet sur la norme de contrôle applicable, lorsque je me pencherai sur les questions individuelles soulevées dans la présente demande.

B.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en tenant compte du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30a) qui n’a pas été correctement plaidé, ou en concluant que la défenderesse s’est acquittée de son fardeau de preuve initial pour ce motif, ou encore en appliquant un mauvais critère juridique pour déterminer que la description des marchandises de la demanderesse était trop générale?

[20]           Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision raisonnable.

[21]           L’alinéa 30a) de la Loi prescrit que quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce doit produire une demande renfermant un état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises ou services spécifiques en liaison avec lesquels la marque a été employée ou sera employée. Air Miles a soutenu devant la Commission que la demande de Cathay Pacific faisait référence à une litanie de marchandises et services, dont la plupart sont génériques et se chevauchent. Air Miles soutenait que des termes comme « carton mince », « dépliants » et « mise à disposition de renseignements touristiques » nécessitaient une terminologie commerciale plus précise. Air Miles a également fait valoir que l’emploi des marques ASIA MILES en liaison avec le programme de fidélisation ou de récompenses ne constitue pas un emploi comme marque de commerce, mais plutôt pour simplement annoncer et promouvoir ce programme.

[22]           La Commission a retenu la thèse d’Air Miles quant aux marchandises énumérées dans la demande de Cathay Pacific, concluant qu’il était évident, après lecture objective de la preuve versée dans le dossier, que les marchandises accompagnaient les services et en étaient le complément et qu’il ne s’agissait pas de marchandises autonomes. La Commission a reconnu avec Air Miles que les deux marques ne constituaient pas un emploi comme marque de commerce pour les marchandises et que les marchandises étaient déclarées d’une manière trop générale et ne respectaient donc pas l’alinéa 30a).

[23]           Cathay Pacific soutient que l’alinéa 38(3)a) de la Loi prescrit qu’une déclaration d’opposition doit indiquer les motifs avec détails suffisants pour permettre au requérant d’y répondre et que la déclaration d’opposition d’Air Miles ne respectait pas cette exigence, car elle n’a pas précisé les marchandises et les services qui ne respectaient pas, selon elle, l’alinéa 30a). Elle soutient également qu’Air Miles n’a pas correctement fait valoir que les marques n’étaient pas employées comme marque de commerce pour les marchandises, cette prétention étant soulevée pour la première fois dans le plaidoyer écrit d’Air Miles. Cathay Pacific fait en outre valoir qu’Air Miles ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial de présenter suffisamment d’éléments de preuve admissibles ou de fournir les arguments nécessaires qui permettent de conclure à l’existence des faits allégués à l’appui du motif d’opposition. Sur le fond de cette question, Cathay Pacific soutient également que la Commission a commis une erreur en tirant sa conclusion en se fondant sur l’emploi de la marque plutôt que sur la question de savoir si l’état des marchandises et services était dressé dans les termes ordinaires du commerce.

[24]           J’estime que la décision de la Commission sur cette question n’est pas raisonnable, car elle n’a pas examiné la thèse de Cathay Pacific selon laquelle Air Miles n’avait pas fondé ce motif d’opposition sur des allégations suffisamment détaillées. La décision de la Commission sur ce motif repose principalement sur l’admission de la prétention d’Air Miles selon laquelle les marques ASIA MILES n’étaient pas employées comme marque de commerce pour les marchandises, même si cette prétention n’est pas avancée dans la déclaration d’opposition. Dans la décision Collins Barrow National Cooperative Incorporated (Re), 2013 COMC 24, aux paragraphes 26 à 29, la Commission a rejeté le motif d’opposition prévu à l’alinéa 30a) en raison du caractère insuffisant des allégations, qui étaient vagues et ambiguës et n’indiquaient pas les services qui auraient contrevenu à l’alinéa 30a). De même, en l’espèce, les allégations d’Air Miles sur cette question étaient exprimées en des termes génériques, et Air Miles n’a pas soulevé l’argument sur lequel repose la décision de la Commission avant de produire son plaidoyer écrit. Par conséquent, Cathay Pacific a été privée de la possibilité de répondre à cet argument en présentant ses éléments de preuve ou son plaidoyer écrit à la Commission.

[25]           Le fait que la Commission n’ait pas examiné l’argument de Cathay Pacific voulant que le caractère insuffisant des allégations concernant l’alinéa 30a) et le fait de fonder sa conclusion sur un motif d’opposition insuffisamment étayé a pour conséquence que sa décision sur ce motif d’opposition n’appartient pas aux issues acceptables. Je conclus que la Commission aurait dû rejeter le motif d’opposition prévu à l’alinéa 30a) de la Loi en raison du caractère insuffisant des allégations et, par conséquent, je rejette ce motif d’opposition.

C.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant les demandes à l’égard de certains services et marchandises en application de l’alinéa 30b) de la Loi après avoir conclu que l’emploi des marques ASIA MILES par la filiale de la demanderesse ne constituait pas une utilisation concédée par licence profitant à la demanderesse conformément à l’article 50 de la Loi?

(1)               Les nouveaux éléments de preuve et la norme de contrôle

[26]           Devant la Commission, Cathay Pacific s’est appuyée sur l’affidavit de Mme Grace Poon, qui porte le titre de directrice du développement des marchés, pour établir son emploi des marques ASIA MILES au Canada sous une licence octroyée à CPLP. Cathay Pacific soutient que les affidavits de M. Wong, de Mme Gau et de M. Rackstraw apportent tous de nouveaux éléments de preuve pertinents à ce motif d’opposition.

[27]           J’ai examiné les affidavits de M. Wong et de Mme Gau et j’estime qu’ils apportent peu au témoignage de Mme Poon qui était à la disposition de la Commission.

[28]           M. Wong est analyste en valeur et en rentabilité au sein de l’équipe système d’information client chez Cathay Pacific. Les observations écrites de Cathay Pacific résume le témoignage de M. Wong comme confirmant les renseignements indiqués dans l’affidavit de Mme Poon relativement à : i) l’adhésion au programme ASIA MILES dans le monde et au Canada; ii) l’obtention et l’échange de points ASIA MILES par les adhérents canadiens; iii) les statistiques de connexion au site asiamiles.com par les adhérents canadiens de 1999 à 2007. Cathay Pacific souligne que M. Wong a également actualisé ces renseignements pour les années 2008 à 2012. Je souscris à la qualification de cet affidavit par Air Miles qui, comparativement à celui de Mme Poon, [traduction] « lui ressemble », et je conclus qu’il n’aurait pas modifié de façon importante la décision de la Commission.

[29]           De même, Cathay Pacific évoque l’affidavit de Mme Gau comme confirmant certains éléments de preuve présentés dans l’affidavit de Mme Poon en ce qui concerne la publicité et la promotion du programme ASIA MILES au Canada. Mme Gau est à l’emploi de Cathay Pacific au bureau de Vancouver en Colombie-Britannique. Elle y travaille depuis 2004 et la promotion du programme ASIA MILES au Canada fait partie de ses fonctions. Les observations écrites de Cathay Pacific indiquent que l’affidavit de Mme Gau explique sa participation directe personnelle dans l’élaboration et la distribution de documents publicitaires ou promotionnels de référence au Canada depuis 2004 et que, à sa connaissance, la même procédure était en vigueur de 1999 à 2004, avant son embauche. Un examen de son affidavit confirme cette description. Mme Gau renvoie à divers paragraphes de l’affidavit de Mme Poon, confirme leur exactitude, et décrit sa participation dans les activités mentionnées par Mme Poon. Encore une fois, j’estime que ce témoignage n’ajoute rien d’important au témoignage de Mme Poon dont la Commission disposait et qu’il n’aurait pas modifié de façon importante la décision de la Commission.

[30]           En outre, la décision de la Commission portant sur le motif d’opposition prévu à l’alinéa 30b) de la Loi concernait la question de la concession de licence des marques ASIA MILES, et les affidavits de M. Wong et de Mme Gau n’ont pas, à strictement parler, été déterminants sur cette question. Cependant, je tire une conclusion différente sur l’effet de l’affidavit de M. Rackstraw, dont le témoignage concerne directement et, à mon avis, substantiellement, la question de la concession de licence des marques ASIA MILES par Cathay Pacific à CPLP.

[31]           La Commission a conclu que le témoignage de Mme Poon ne permettait pas d’établir que CPLP employait les marques ASIA MILES aux termes d’une licence conformément à l’article 50 de la Loi. Cathay Pacific complète à présent ce témoignage par celui de M. Rackstraw, son directeur des services aux membres pour les programmes de fidélisation de Cathay Pacific, dont le programme ASIA MILES. Pour conclure que ce nouveau témoignage aurait modifié de façon importante la décision de la Commission, j’ai examiné les conclusions de la Commission fondées sur le témoignage de Mme Poon et, dans ce contexte, l’importance particulière du témoignage de M. Rackstraw.

[32]           Dans sa décision, la Commission reprend intégralement le paragraphe 6 de l’affidavit de Mme Poon dans lequel elle a témoigné que Cathay Pacific concède par licences les marques de commerce ASIA MILES à CPLP pour les marchandises et services visés par les demandes et que Cathay Pacific contrôle directement ou indirectement les caractéristiques ou la qualité des marchandises distribuées et des services fournis par CPLP en liaison avec ces marques. Mme Poon a affirmé que l’un des moyens par lesquels Cathay Pacific exerce ce contrôle est le fait que CPLP relève directement du directeur des ventes et de la commercialisation de Cathay Pacific, lequel surveille l’exploitation de CPLP. La Commission a fait référence aux aveux de Mme Poon au cours de son contre-interrogatoire selon lesquels : i) Mme Poon n’a pas connaissance de l’existence d’un accord de licence écrit entre Cathay Pacific et CPLP; et ii) elle n’a pas pu donner de détails sur le genre de contrôle direct ou indirect qu’exerce Cathay Pacific sur les marchandises et services fournis par CPLP, si ce n’est que CPLP relevait du directeur des ventes et de la commercialisation mentionné dans son affidavit.

[33]           La Commission a ensuite fait état des arguments d’Air Miles à l’appui de sa thèse selon laquelle tout prétendu emploi au Canada du programme de récompenses ASIA MILES et des marques ASIA MILES apparentées est un emploi par CPLP et ne profitait pas à Cathay Pacific selon l’article 50 de la Loi.

[34]           Au début de son analyse qui a suivi, la Commission a souligné qu’il n’était pas nécessaire qu’un accord de licence de marque de commerce soit consigné par écrit, car un accord verbal pouvait suffire à remplir les conditions de l’article 50. Cependant, la Commission a fait remarquer que les points qui concernent l’utilisation concédée par licence à CPLP et qui sont apparus en contre-interrogatoire auraient pu être clarifiés par Cathay Pacific si elle avait sollicité l’autorisation de produire une preuve additionnelle et qu’elle avait choisi de ne pas le faire. Eu égard à l’absence de spécificité du témoignage par affidavit de Mme Poon, à son incapacité en contre-interrogatoire de s’exprimer sur les termes d’un accord de licence, et aux pièces annexées à son affidavit, la Commission a conclu qu’il existait des doutes que CPLP employait les marques ASIA MILES au Canada sous licence aux termes de l’article 50. Après avoir examiné le fardeau de présentation qui incombait à Air Miles, dont elle s’était acquittée selon la Commission, et le fardeau de persuasion supporté par Cathay Pacific, la Commission a conclu que le poids de la preuve n’appuyait pas l’affirmation de Cathay Pacific selon laquelle l’emploi de la marque ASIA MILES au Canada lui profitait.

[35]           Dans le présent appel, Cathay Pacific a déposé l’affidavit de M. Rackstraw pour présenter des éléments de preuve additionnels sur la relation qui lie Cathay Pacific à CPLP (qui s’appelle Asia Miles Limited depuis 2011, ajoute-t-elle), sur la licence dont Cathay Pacific affirme l’existence et sur le contrôle qu’elle exerce sur les caractéristiques et la qualité des marchandises et services. Dans ses observations écrites, Cathay Pacific évoque l’affidavit et le contre-interrogatoire de M. Rackstraw pour établir les points suivants :

A.                M. Rackstraw travaille chez Cathay Pacific à titre de directeur des services aux membres pour ses programmes de fidélisation depuis 1999;

B.                 CPLP est une filiale de Cathay Pacific en propriété exclusive, qui a été expressément constituée pour gérer et exploiter le programme ASIA MILES de Cathay Pacific;

C.                 Un accord écrit, en vigueur depuis au moins le 1er février 1999, est intervenu entre Cathay Pacific et CPLP régissant la gestion et l’exploitation du programme ASIA MILES. Aux termes de cet accord, Cathay Pacific octroie à CPLP une licence d’utilisation des marques ASIA MILES et Cathay Pacific contrôle le type et la qualité des marchandises et services fournis par CPLP en liaison avec les  marques ASIA MILES;

D.                L’accord de licence écrit n’a pas été produit car il est confidentiel;

E.                 En pratique, Cathay Pacific contrôle directement et pratiquement toutes les activités de CPLP. CPLP n’a pas d’employés et son effectif est fourni entièrement par Cathay Pacific. CPLP est exploitée à partir du bureau de Cathay Pacific à Hong Kong, et Cathay Pacific gère la fonction de trésorerie de CPLP, permet à CPLP d’utiliser ses systèmes de soutien administratif et de ligne de contact aérien, ses systèmes concernant la fidélisation de la clientèle et son service de support informatique;

F.                  Le conseil d’administration de CPLP se compose intégralement d’employés de Cathay Pacific, et des réunions de direction sont tenues chaque semaine par un administrateur de Cathay Pacific à laquelle le directeur général de CPLP peut poser des questions concernant le programme ASIA MILES;

G.                Cathay Pacific possède le nom de domaine asiamiles.com, nom du site Web qui héberge le programme ASIA MILES.

[36]           Le paragraphe 50(1) de la Loi, sur lequel s’appuie Cathay Pacific pour établir que l’emploi lui profite, est libellé comme suit :

50. (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial — ou partie de ceux-ci — ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

50. (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade-mark to use the trade-mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the wares or services, then the use, advertisement or display of the trade-mark in that country as or in a trade-mark, trade-name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade-mark in that country by the owner.

[37]           Cathay Pacific s’appuie également sur la jurisprudence de notre Cour qui énonce les méthodes permettant de démontrer le contrôle prévu par le paragraphe 50(1). Comme l’a indiqué le juge Kelen, au paragraphe 84 de la décision Empresa Cubana Del Tabacp (Sociale Cubatabaco) c. Shapiro Cohen, 2011 CF 102 [Empresa Cubana] :

[84]      Il y a, pour le propriétaire inscrit d’une marque de commerce, essentiellement trois manières de démontrer l’effectivité de son contrôle afin de bénéficier de la présomption du paragraphe 50(1) de la Loi :

1.         il peut explicitement affirmer sous serment qu’il exerce effectivement le contrôle prévu : voir, par exemple, Mantha & Associés/Associates c. Central Transport Inc. (1995), 64 C.P.R. (3d) 354 (C.A.F.), par. 3;

2.         il peut produire des preuves démontrant qu’il exerce effectivement le contrôle nécessaire : voir, par exemple, Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, par. 3 à 6;

3.         il peut produire une copie du contrat de licence qui prévoit expressément l’exercice d’un tel contrôle.

[38]           Cathay Pacific soutient que l’affidavit de Mme Poon satisfait au premier critère de la décision Empresa Cubana et que l’affidavit de M. Rackstraw satisfait à la fois aux premier et second critères. Elle fait également valoir que pendant le contre-interrogatoire de M. Rackstraw, bien que l’accord de licence soit confidentiel, Cathay Pacific était prête à envisager la production des parties pertinentes de l’accord sous réserve d’une ordonnance de protection convenable, mais c’est Air Miles qui a choisi de ne pas évoquer ce point.

[39]           Selon la thèse d’Air Miles, l’affidavit de M. Rackstraw n’a pas de force probante s’ajoutant à celle des éléments de preuve présentés devant la Commission. Elle conteste également que Cathay Pacific se soit fondée sur la décision Empresa Cubana, prétendant que cette décision concernait une procédure en radiation prévue à l’article 45 de la Loi, dans laquelle la norme de preuve permettant d’établir l’emploi est moins rigoureuse que celle dans une procédure en opposition (voir Tint King of California Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1440). En réponse, Cathay Pacific invoque la décision Kabushiki Kaisha qui, comme elle le fait remarquer, concernait un appel à l’égard d’une procédure en opposition. Aux paragraphes 25 à 27 de la décision Kabushiki Kaisha, le juge LeBlanc a repris le paragraphe 84 de la décision Empresa Cubana, et s’est fondé sur celui-ci, pour conclure qu’un affidavit attestant l’exercice d’un contrôle de la qualité suffisait à démontrer l’existence d’un accord de licence verbal.

[40]           Je souscris à la thèse d’Air Miles selon laquelle on peut établir une distinction entre l’espèce et la jurisprudence invoquée par Cathay Pacific. Une instance fondée sur l’article 45 consiste en une méthode simple et rapide de radier du registre les marques de commerce tombées en désuétude, méthode ayant pour objectif de débarrasser du registre le « bois mort », impliquant par conséquent une norme de preuve relativement peu exigeante (voir Uvex Toko Canada Ltd. c. Performance Apparel Corp., 2004 CF 448). Il faut distinguer cette affaire d’une procédure en opposition, dans laquelle les requérants de l’enregistrement d’une marque de commerce doivent démontrer le bien-fondé de leur cause selon la prépondérance des probabilités (Thymes, LLC c. Reitmans (Canada) Limitée, 2013 CF 127, au paragraphe 17; John Labatt Ltd c. Molson Co, [1990] ACF no 533, 30 CPR (3d) 293, confirmé par [1992] ACF no 525, 42 CPR (3d) 495 (CAF)).

[41]           Il y a lieu d’établir une distinction avec la décision Kabushiki Kaisha, même s’il s’agit d’une procédure en opposition, car celle-ci a appliqué la décision Empresa Cubana dans un contexte où le fardeau de preuve initial reposait sur l’opposante à l’enregistrement de la marque de commerce. La Cour devait alors évaluer si l’opposante s’était acquittée de ce fardeau de preuve initial en présentant suffisamment d’éléments de preuve admissibles qui permettaient de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de son motif d’opposition. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’un affidavit affirmant que la prise en charge du contrôle de la qualité relevait de la première manière établie dans la décision Empresa Cubana et était suffisant pour s’acquitter du fardeau de la preuve. Étant donné le contexte, je ne suis pas prêt à considérer la décision Kabushiki Kaisha comme faisant jurisprudence pour étendre l’application de la décision Empresa Cubana à une procédure qui implique de s’acquitter du fardeau de persuasion pour satisfaire aux exigences du paragraphe 50(1) de la Loi.

[42]           Malgré cette analyse de la jurisprudence, les éléments de preuve permettant de respecter le paragraphe 50(1) varieront sans doute d’une affaire à l’autre, et la question dont notre Cour est saisie en l’espèce nécessite de déterminer l’impact précis du témoignage de M. Rackstraw. Je conclus que ce témoignage ajoute suffisamment de contenu significatif à celui présenté par Mme Poon pour avoir une incidence sur la décision de la Commission.

[43]           Mme Poon et M. Rackstraw ont tous les deux affirmé qu’il existait une licence et que Cathay Pacific contrôlait les caractéristiques, le type ou la qualité des marchandises et services fournis en liaison avec les marques ASIA MILES. En ce qui concerne l’octroi de la licence, la différence la plus importante dans leur témoignage tient en ce que M. Rackstraw affirme que la licence est consignée dans un accord écrit, tandis que Mme Poon ignorait si un tel accord existait. La Commission a expressément souligné dans sa décision qu’il n’était pas nécessaire qu’un accord de licence soit consigné par écrit et qu’un accord verbal pouvait remplir les conditions du paragraphe 50(1). Néanmoins, l’amélioration importante de la preuve de Cathay Pacific que je tire de l’affidavit de M. Rackstraw réside dans le fait que son témoignage, selon lequel la licence est consignée par écrit, offre un minimum de fondement à son affirmation selon laquelle la licence existe. Le témoignage de Mme Poon n’a pas offert ce minimum, ce qui a, selon moi, alimenté les doutes de la Commission à l’égard de l’affirmation de Cathay Pacific selon laquelle CPLP employait les marques ASIA MILES au Canada aux termes d’une licence.

[44]           En tirant cette conclusion sur cette question, la Commission a également mentionné l’incapacité de Mme Poon à s’exprimer en contre-interrogatoire sur les termes d’un accord de licence. Malgré l’absence de détails concernant les termes de cet accord de licence à la fois dans son affidavit et lors de son contre-interrogatoire, M. Rackstraw affirme qu’en vertu de la licence, Cathay Pacific contrôle le type et la qualité des marchandises et services fournis en liaison avec les marques ASIA MILES dans le monde, notamment au Canada. Il s’agit, là encore, d’une amélioration par rapport au témoignage de Mme Poon, qui n’a absolument pas abordé l’exigence prévue au paragraphe 50(1) selon laquelle le contrôle des caractéristiques ou de la qualité des marchandises et services doivent faire l’objet de la licence.

[45]           J’estime également que l’affidavit de M. Rackstraw a amélioré sensiblement la preuve du contrôle exercé par Cathay Pacific sur les marchandises et services fournis par CPLP. La Commission a relevé l’incapacité de Mme Poon à fournir des détails sur la forme du contrôle exercé, mis à part le fait que CPLP relève du directeur des ventes et du marketing de Cathay Pacific. Le témoignage de M. Rackstraw met encore beaucoup l’accent sur ces rapports hiérarchiques comme constituant le moyen de contrôle. Cependant, il apporte beaucoup plus de détails sur ces rapports, expliquant que le poste le plus élevé chez CPLP est celui de directeur général et administrateur, qui relève directement du conseil d’administration de CPLP, qui est composé entièrement des employés de la direction de Cathay Pacific, notamment le directeur des ventes et du marketing.

[46]           M. Rackstraw explique également que le directeur des ventes et du marketing de Cathay Pacific tient des réunions de direction chaque semaine auxquelles participent tous les directeurs généraux relevant de lui, certains cadres supérieurs, le directeur général et administrateur de CPLP et M. Rackstraw lui-même. Au cours de ces réunions, toutes les questions importantes concernant l’exploitation du programme ASIA MILES en liaison avec les marques ASIA MILES sont soulevées et traitées. M. Rackstraw donne l’exemple de la mise en œuvre d’un nouveau système de réservation, début 2012, pour lequel il fallait obtenir l’approbation du budget, qui a été donnée par le directeur des ventes et du marketing de Cathay Pacific, afin de pouvoir embaucher des agents supplémentaires pour le centre d’appel en vue de maintenir les temps de réponse visés.

[47]           J’estime que cet ajout important de détails sur la façon par laquelle Cathay Pacific exerce le contrôle sur les marchandises et les services fournis par CPLP par l’intermédiaire du rapport hiérarchique avec le directeur des ventes et du marketing de Cathay Pacific, ainsi que le fait que le conseil d’administration de CPLP se compose entièrement des employés de la direction de Cathay Pacific, auraient modifié de façon importante la décision de la Commission. Je ne souscris pas à la thèse d’Air Miles voulant que cette preuve n’ait rien à voir avec le contrôle de la qualité des marchandises et services offerts par CPLP au nom de Cathay Pacific. Plus particulièrement, les réunions hebdomadaires de la direction concernent l’exploitation du programme ASIA MILES; l’exemple de la mise en œuvre d’un nouveau système de réservation auquel s’ajoute l’embauche d’agents pour le centre d’appel afin de maintenir les temps de réponse visés représente un exemple du contrôle de la qualité exercé sur les services concernés, qui consistent principalement en la fourniture d’un programme de fidélisation ou de récompenses.

[48]           Je suis d’avis que le témoignage de M. Rackstraw aurait modifié de façon importante la décision de la Commission concernant l’emploi des marques ASIA MILES par Cathay Pacific aux termes de la licence octroyée à CPLP et que, par conséquent, la norme de la décision correcte s’applique à mon examen de cet aspect de la décision de la Commission.

(2)               Conclusion sur le motif d’opposition prévu à l’alinéa 30b) de la Loi

[49]           Grâce aux nouveaux éléments de preuve et en appliquant la norme de la décision correcte et l’analyse qui précède portant sur ces éléments, je ne souscris pas à la conclusion de la Commission sur cette question et je conclus que Cathay Pacific a satisfait aux conditions du paragraphe 50(1) de la Loi, car elle a établi que l’emploi des marques ASIA MILES au Canada par CPLP profite à Cathay Pacific.

[50]           Cependant, l’analyse de ce motif d’opposition et l’emploi par Cathay Pacific des marques ASIA MILES au Canada ne se termine pas avec l’analyse de la concession de licence. Sans égard à la question de la concession de licence, Air Miles conteste également la proposition selon laquelle la publicité et l’exploitation du programme ASIA MILES au Canada par CPLP constitue un emploi de ces marques au sens de la Loi.

[51]           Cathay Pacific soutient que la Commission a retenu le témoignage de Mme Poon sur l’emploi des marques au Canada, que la Commission a implicitement conclu que l’emploi nécessaire des marques par CPLP avait été établi et qu’Air Miles a eu gain de cause relativement à l’alinéa 30b) uniquement en raison de la question de la licence. Le résumé du témoignage de Mme Poon énoncé par la Commission comprend les éléments suivants :

A.                Fondée en 1946, Cathay Pacific exerçait initialement des activités de transport aérien de passagers à l’intérieur de l’Asie et offre aujourd’hui des vols à l’échelle mondiale pour passagers et cargaisons. C’est en 1983 qu’elle a commencé à offrir des vols vers et depuis le Canada.

B.                 Les membres du programme ASIA MILES de Cathay Pacific gagnent des milles qui peuvent être échangés contre des récompenses. Le nombre de membres est passé de 400 000 en 1999 (dont 6 000 étaient des résidents canadiens) à 3 millions en 2007 (dont 250 000 étaient des résidents canadiens).

C.                 Les membres peuvent gagner des points auprès de plus de 300 partenaires de Cathay Pacific, dans neuf catégories de consommation, dont l’hôtellerie, la restauration et le commerce de détail. Les membres gagnent des points en utilisant leur carte de crédit ou en achetant une grande variété de produits et services. Avant 1999, les membres pouvaient gagner des milles en voyageant par l’entremise de transporteurs aériens canadiens.

D.                Du début de 1999 au milieu de 2008, les résidents canadiens ont gagné plusieurs milliards de milles, dont environ 85 p. 100 ont été gagnés à la faveur de voyages aériens. Au cours de la même période, les résidents canadiens ont échangé plus d’un million de milles contre des récompenses, dont environ 85 p. 100 contre des récompenses de compagnies aériennes, c’est-à-dire des billets gratuits ou des surclassements.

E.                 Cathay Pacific a largement annoncé et promu son programme ASIA MILES dans la publicité imprimée (y compris formulaires de demande, guides des membres et bulletins des membres, publipostages directs et publipostages en ligne), à la radio, à la télévision, sur des sites Web et sur les cartes de membres.

[52]           La Commission a par la suite conclu qu’il existait des doutes sur l’affirmation de Cathay Pacific selon laquelle CPLP employait les marques au Canada sous licence et que le poids de la preuve n’appuie pas l’affirmation selon laquelle l’emploi de la marque ASIA MILES au Canada profite à Cathay Pacific. Il m’apparaît difficile d’établir clairement que ces conclusions constituent une conclusion implicite que l’emploi des marques par CPLP a été établi. Étant donné la norme de la décision correcte applicable à ma révision de ce motif d’opposition, j’ai plutôt tiré ma propre conclusion sur cette question.

[53]           À l’égard de l’emploi allégué des marchandises, Air Miles soulève un argument semblable à celui soulevé dans le cadre de l’alinéa 30a), à savoir que le programme ASIA MILES est effectivement un programme grand voyageur ou de fidélisation et que tout emploi des marques ASIA MILES en liaison avec ces marchandises ne constitue pas un emploi comme marque de commerce, mais plutôt pour simplement annoncer et promouvoir ce programme. Air Miles a mentionné l’exemple de la publication d’une annonce portant une marque de commerce dans un journal ou un magazine; qui ne permettrait pas d’affirmer que la marque était employée en liaison avec des marchandises de la nature d’un journal ou d’un magazine.

[54]           J’ai rejeté cet argument lors de ma révision des conclusions de la Commission portant sur l’alinéa 30a) selon la norme de la décision raisonnable au motif qu’il n’a pas été suffisamment étayé devant la Commission. Je parviens cependant à une conclusion différente dans le cas de l’alinéa 30b), où je suis tenu d’appliquer la norme de la décision correcte et je tire des conclusions sur l’emploi des marques ASIA MILES que la Commission n’avait pas tirées en raison de sa décision sur la concession de licence. Cathay Pacific a été suffisamment informée de cet argument pour y répondre dans le présent appel, puisqu’il a été soulevé à la fois dans le plaidoyer écrit d’Air Miles présenté à la Commission et dans son mémoire des faits et du droit déposé auprès de notre Cour.

[55]           Je conclus que l’argument invoqué par Air Miles est bien fondé. Air Miles s’appuie sur la décision Sea Miles LLC. c. Air Miles International Trading B.V., 2009 CarswellNat 3294 (COMC), dans laquelle la Commission a conclu que l’emploi d’une marque sur des marchandises promotionnelles servant à faire la promotion d’un programme de fidélité d’un client ne suffisait pas à établir l’emploi des marchandises au sens de la Loi. Cathay Pacific n’a pas cité de jurisprudence contraire ni présenté d’éléments de preuve pouvant appuyer la conclusion que les marques ASIA MILES étaient employées pour d’autres activités commerciales en liaison avec les marchandises revendiquées dans ses demandes. Par conséquent, je refuse ses demandes dans la mesure où elles concernent les marchandises.

[56]           En ce qui concerne les services revendiqués, Air Miles soutient encore une fois que Cathay Pacific n’a pas établi l’emploi nécessaire. Selon la thèse d’Air Miles, l’emploi allégué des marques ASIA MILES se fait par l’affichage des marques en ligne, ce qui ne peut constituer en soi un emploi en liaison avec les services si les Canadiens n’en profitent pas (voir TSA Stores, Inc. c. Registraire des marques de commerce, 2011 CF 273). Je reconnais que Cathay Pacific doit démontrer que les Canadiens en profitent. Comme le fait remarquer le juge Noël, au paragraphe 46 de la décision UNICAST SA c. South Asian Broadcasting Corporation Inc., 2014 CF 295, les services doivent effectivement être offerts aux Canadiens ou exécutés au Canada. Cependant, je n’ai aucune difficulté à conclure de la preuve présentée par Cathay Pacific que cette condition a été satisfaite. Comme le montre le résumé ci-dessus du témoignage de Mme Poon, 6 000 résidents canadiens étaient membres du programme ASIA MILES en 1999 et 250 000 y adhéraient en 2007. Du début de 1999 au milieu de 2008, les résidents canadiens ont gagné plusieurs milliards de milles, dont environ 85 p. 100 ont été gagnés à la faveur de voyages aériens, et ont échangé plus d’un million de milles contre des récompenses, dont environ 85 p. 100 contre des récompenses de compagnies aériennes.

[57]           A l’appui de sa thèse, Air Miles invoque la décision Supershuttle International, Inc. c. Fetherstonhaugh & Co., 2015 CF 1259 [SuperShuttle]. L’affaire concernait l’emploi d’une marque de commerce dans la publicité de services de transport terrestres aux aéroports du Canada et en liaison avec le placement de réservations pour ces services. Comme la demanderesse n’offrait pas de services de transport terrestre au Canada, la Commission a conclu que cet usage ne constituait pas un emploi de la marque au Canada. La juge Heneghan a confirmé cette décision après l’avoir jugée raisonnable.

[58]           Pour établir la distinction avec la décision SuperShuttle, Cathay Pacific fait valoir la preuve contenue dans les pièces annexées à l’affidavit de Mme Poon, démontrant son exploitation de vols en provenance ou à destination du Canada et énumère des partenaires canadiens, par exemple la Banque royale du Canada, Esso, Petro Canada et Golf British Columbia, chez qui les membres peuvent obtenir leurs récompenses. Air Miles soutient qu’il n’existe aucune preuve que des récompenses spécifiques ont été reçues par des résidents canadiens en échangeant leurs points. Cathay Pacific répond que même en l’absence de preuve d’échanges, le fait que ses membres résidents canadiens aient obtenu des points qui les rendent admissibles à des récompenses constitue un avantage pour les Canadiens. Je souscris à la thèse de Cathay Pacific et je conclus de toute façon que la preuve établit l’emploi des marques ASIA MILES au Canada en liaison avec les services représentés par le programme ASIA MILES. Bien que les demandes de Cathay Pacific comprennent une liste de divers services du genre, Air Miles n’a pas soulevé d’arguments contestant des éléments précis figurant dans cette liste.

[59]           Par conséquent, je rejette le motif d’opposition prévu à l’alinéa 30b) dans la mesure où il concerne les services revendiqués.

D.                La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant les demandes relativement à certains services et marchandises en application de l’alinéa 30e) de la Loi sur la présomption que l’appelante avait l’intention d’employer les marques ASIA MILES par l’entremise de sa filiale de manière à ce que l’emploi ne soit pas à l’acquit de la demanderesse?

[60]           La conclusion de la Commission sur le motif d’opposition prévu à l’alinéa 30e) de la Loi visant l’emploi projeté des marques, se fondait uniquement sur sa propre conclusion concernant l’utilisation concédée par licence. La Commission affirme qu’il était raisonnable de présumer, en l’absence d’une preuve contraire, que, à la date de production de la demande, Cathay Pacific avait l’intention d’employer la marque ASIA MILES au Canada de la même manière dont elle a fondé ses revendications d’emploi de la marque au Canada. En d’autres termes, l’emploi de la marque aurait profité à CPLP plutôt qu’à Cathay Pacific.

[61]           En me fondant sur le nouveau témoignage de M. Rackstraw, j’ai appliqué la norme de la décision correcte et j’ai conclu que l’emploi des marques par CPLP profite à Cathay Pacific, conformément à une licence qui répond aux exigences du paragraphe 50(1) de la Loi. J’applique par conséquent la même norme à ma révision de la conclusion de la Commission relativement à l’alinéa 30e) et, avec le nouveau témoignage, je suis en désaccord avec la conclusion de la Commission. En reprenant l’analyse que j’ai effectuée précédemment à l’égard de l’alinéa 30b), je conclus que ce motif d’opposition est accueilli en ce qui concerne les marchandises revendiquées, mais est rejeté en ce qui concerne les services revendiqués.

E.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant les demandes en application de l’article 2, de l’alinéa 12(1)d) et de l’article 16 de la Loi après avoir conclu que l’appelante n’a pas établi qu’il n’y avait aucune probabilité raisonnable de confusion entre les marques ASIA MILES de la demanderesse et les marques AIR MILES de la défenderesse?

(1)               Les principes juridiques

[62]           Les parties conviennent que les autres motifs d’opposition soulevés par Air Miles en vertu de l’article 2, de l’alinéa 12(1)d) et de l’article 16 de la Loi reviennent à évaluer la probabilité de confusion entre les marques ASIA MILES de Cathay Pacific et la marque AIR MILES d’Air Miles. Étant donné que les motifs d’opposition techniques d’Air Miles ont obtenu gain de cause en ce qui concerne les marchandises seulement, il demeure nécessaire d’examiner cette question relativement aux services.

[63]           Le paragraphe 6(2) de la Loi dispose que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne. Le paragraphe 6(5) précise qu’en décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent.

[64]           Les dates pertinentes auxquelles il faut évaluer la confusion sont :

A.                la date du dépôt de la demande, à l’égard du motif d’opposition alléguant l’absence d’un droit à l’enregistrement en vertu des paragraphes 16(2) et 16(3). Cette date est le 5 octobre 2005, date du dépôt de la demande modifiée de Cathay Pacific par laquelle elle a ajouté l’emploi et l’enregistrement de ses marques à Hong Kong comme base d’enregistrement;

B.                 la date du premier emploi des marques, relativement aux motifs d’opposition alléguant l’absence d’un droit à l’enregistrement en vertu du paragraphe 16(1). Il s’agit d’un éventail de dates qui commence le 28 février 1999;

C.                 la date du dépôt de la déclaration d’opposition, relativement au motif d’opposition alléguant l’absence de caractère distinctif prévu à l’article 2. Cette date est le 19 mars 2007;

D.                la date de la décision portant sur le motif d’opposition alléguant la non-enregistrabilité prévue à l’alinéa 12(1)d). Il s’agit soit du 25 avril 2012, date de la décision de la Commission, soit de la date de la présente décision de notre Cour.

[65]           Le test en matière de confusion selon la Loi est une question de première impression que laisse dans l’esprit d’un consommateur ordinaire plutôt pressé la vue de la marque à un moment où il n’a qu’un vague souvenir de la marque précédente, et où il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques (voir l’arrêt Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27 [Masterpiece], au paragraphe 40, citant la juge Binnie dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20).

(2)               La décision de la Commission en matière de confusion

[66]           Après avoir appliqué le test en matière de confusion et les facteurs du paragraphe 6(5) de la Loi à considérer pour établir la confusion, la Commission a tiré les conclusions suivantes :

A.                Le caractère distinctif inhérent et acquis – La Commission a noté que la marque AIR MILES possède un degré assez faible de caractère distinctif inhérent, car elle se compose de deux mots courants. Le mot communément employé « miles » pour décrire des points accumulés dans divers programmes de fidélisation ou de récompenses amoindrit davantage ce caractère distinctif inhérent. La Commission a conclu qu’AIR MILES évoque dans une certaine mesure un programme de fidélisation ou de récompenses et que, de la même façon, la marque ASIA MILES de Cathay Pacific possède un degré assez faible de caractère distinctif inhérent, car elle suggère un programme de fidélisation ou de récompenses qui se limite à l’Asie. Cathay Pacific n’ayant pas établi qu’un emploi de la marque ASIA MILES au Canada lui profite, elle ne peut revendiquer l’avantage d’un caractère distinctif acquis pour la marque à une quelconque date pertinente. La Commission a conclu que la marque AIR MILES de l’opposante était au Canada une marque très connue à toutes les dates pertinentes. Le caractère distinctif inhérent et le caractère distinctif acquis des marques des parties favorisent donc fortement Air Miles. En outre, la Commission n’était pas convaincue que la preuve produite par Cathay Pacific concernant l’emploi, par un tiers, de marques de commerce comprenant l’élément MILES, ou l’emploi du mot « miles » pour désigner les points dans les programmes de fidélisation ou de récompenses a notablement réduit le caractère distinctif acquis de la marque AIR MILES;

B.                 Période pendant laquelle les marques ont été en usage – La Commission a conclu que la période pendant laquelle les marques ont été en usage favorisait Air Miles, qui a commencé à utiliser sa marque environ 13 ans avant que Cathay Pacific n’ait déposé la demande fondée sur un emploi et un enregistrement de la marque à Hong Kong.

C.                 Genre de services et d’entreprises des parties, et nature du commerce – La Commission a souscrit aux observations d’Air Miles selon lesquelles les parties exploitent essentiellement le même type de programme de récompenses de la clientèle et pour qui elles le font essentiellement de la même façon. Comme les services de Cathay Pacific sont étroitement alignés sur le programme de récompenses, la Commission a conclu que les troisième et quatrième facteurs du paragraphe 6(5), considérés ensemble, militaient en faveur d’Air Miles;

D.                Degré de ressemblance – La Commission a trouvé un degré assez élevé de ressemblance entre les marques, puisqu’elles partagent le même élément MILES. La Commission a fait remarquer qu’ordinairement, la première portion d’une marque est un peu plus importante aux fins de la distinction, cependant, lorsque le premier élément est un mot courant, descriptif ou suggestif, son importance diminue. Puisque le mot ASIA est descriptif d’une région géographique, son aptitude à distinguer ASIA MILES de la marque AIR MILES s’en trouve réduite. Considérées dans leur globalité, les marques présentent davantage de dissemblances que de similitudes, visuellement et par le son, et cela parce que leurs premières portions sont différentes, mais elles présentent peu de dissemblances dans les idées qu’elles suggèrent. À ce propos, AIR MILES évoquait des voyages aériens, tandis qu’ASIA MILES évoquait des voyages dans une région donnée. La Commission a conclu que les marques se ressemblaient dans une mesure appréciable, mais présentaient néanmoins davantage de dissemblances que de similitudes. Ce facteur a donc milité en faveur de Cathay Pacific, mais seulement dans une mesure restreinte.

[67]           La Commission s’est référée à la décision Air Miles International Trading B.V. c. Deutsche Lufthansa AG, 2010 CMOC 198 [Lufthansa], portant sur les marques AIR MILES et MILES & MORE. Dans cette affaire, la Commission a mentionné la réputation presque écrasante qu’Air Miles a établi pour elle-même et a exprimé le doute que même si le mot « miles » est un synonyme de « points » employé dans le secteur connexe, la demanderesse n’avait pas choisi une marque qui était suffisamment différente de la marque bien connue d’Air Miles et n’avait pas acquis une réputation suffisamment importante en liaison avec sa marque intrinsèquement faible pour rendre la confusion peu probable. De même, en l’espèce, étant donné qu’Air Miles a établi une réputation presque écrasante pour sa marque AIR MILES au Canada, puisque la marque ASIA MILES était différente, mais non suffisamment différente, et puisque Cathay Pacific n’était pas en mesure de prétendre à une quelconque réputation pour sa marque au Canada, la Commission avait le même doute que celui exprimé dans la décision Lufthansa.

[68]           Pour conclure sur la question de la confusion, la Commission a soutenu qu’Air Miles a employé sa marque d’une manière très importante et durant une longue période, que Cathay Pacific ne peut prétendre pour sa marque à une quelconque réputation au Canada, qu’il y a un chevauchement considérable des services associés aux marques en cause et qu’il y a un degré assez élevé de ressemblance entre les marques (même si elles sont plus dissemblables que semblables). La Commission a conclu que, à toutes les époques pertinentes, Cathay Pacific n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait aucune probabilité raisonnable de confusion entre les marques ASIA MILES et AIR MILES pour les services pour lesquels Cathay Pacific demande l’enregistrement basé sur l’emploi et l’enregistrement de la marque à Hong Kong. Par conséquent, la Commission a jugé qu’Air Miles avait obtenu gain de cause pour les motifs d’opposition fondés sur la confusion. La Commission a repoussé la demande d’enregistrement de la marque ASIA MILES dans son intégralité.

(3)               Les nouveaux éléments de preuve et la norme de contrôle

[69]           Cathay Pacific fait valoir, et je suis d’accord, que la conclusion de la Commission selon laquelle aucune licence concernant les marques ASIA MILES n’a été octroyée à CPLP a eu des répercussions sur les conclusions subséquentes de la Commission concernant les alinéas 6(5)a), b) et e). En d’autres termes, les conclusions de la Commission en ce qui concerne le caractère distinctif acquis des marques ASIA MILES, la période pendant laquelle les marques ont été en usage et le degré de ressemblance ont toutes été influencées par sa conclusion que Cathay Pacific n’avait pas employé la marque au Canada. Concernant le degré de ressemblance plus précisément, la Commission a exprimé le doute que Cathay Pacific n’avait pas choisi une marque qui était suffisamment différente de la marque bien connue d’Air Miles, en partie parce que Cathay Pacific n’était pas en mesure de prétendre à une quelconque réputation de sa marque au Canada.

[70]           Par conséquent, le nouveau témoignage de M. Rackstraw a pour effet de rendre la conclusion de la Commission sur la probabilité raisonnable de confusion susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Cependant, comme je l’ai mentionné ci-dessus, dans la mesure où certaines conclusions tirées par la Commission dans le cadre de son analyse relative à la confusion ne sont pas influencées par le nouveau témoignage, ces conclusions appellent encore la déférence.

[71]           Je dois également examiner l’effet des deux autres affidavits, qui n’ont pas encore été abordés dans les présents motifs, comme élément de preuve pertinent à l’analyse relative à la confusion. Premièrement, le dernier affidavit déposé par Cathay Pacific est celui de M. William Geraghty. Comme il l’explique dans son affidavit, M. Geraghty est un enquêteur privé qui a été engagé par Cathay Pacific pour mener une enquête sur le marché canadien en vue d’identifier les marques de commerce de tiers contenant le mot « miles » employées en liaison avec un programme de fidélité d’un transporteur aérien, c’est-à-dire, un programme grand voyageur. M. Geraghty a en outre cherché des éléments de preuve de l’utilisation du mot « miles » dans la presse généraliste au Canada pour faire référence à la monnaie d’échange d’un programme grand voyageur.

[72]           Les observations écrites de Cathay Pacific renvoient à l’affidavit de M. Geraghty comme faisant la preuve de onze (11) marques de commerce de tiers contenant le mot « miles » employées au Canada en liaison avec des programmes grand voyageur. Selon Cathay Pacific, M. Geraghty fournit la preuve que ces marques de commerce sont offertes aux Canadiens et connues d’eux, car il a : i) adhéré à chacun des programmes grand voyageur ou confirmé qu’il pouvait le faire; ii) obtenu sur Internet des renseignements généraux sur chaque programme et la façon pour les consommateurs d’obtenir des points au Canada pour chacun d’eux; iii) obtenu une évaluation de la fréquence des vols à destination et en provenance du Canada que le transporteur aérien de chaque programme offrait; iv) effectué des recherches dans les bases de données des médias pour y trouver des articles de journaux canadiens faisant mention de ces marques de commerce. Les recherches qu’il a effectuées dans les bases de données des médias ont également montré que le mot « miles » est généralement utilisé dans les journaux canadiens pour faire référence à la monnaie d’échange d’un programme grand voyageur, tant avant qu’après la date de premier emploi par Cathay Pacific en février 1999.

[73]           Cathay Pacific soutient que la présence sur le marché canadien de ces marques appartenant à des tiers et comportant le mot « miles » signifie que les consommateurs ont l’habitude de faire la distinction entre des marques de commerce qui contiennent le mot « miles » et ils sont donc peu susceptibles d’établir un lien entre les marques ASIA MILES et la marque « miles » d’un tiers, notamment la marque AIR MILES (voir San Miguel Brewing International Limited c. Molson Canada 2005, 2013 CF 156 [San Miguel]; Eclectic Edge Inc. c. Victoria’s Secret Stores Brand Management, Inc., 2015 CF 453 [Victoria’s Secret]).

[74]           L’effet du témoignage de M. Geraghty doit être examiné en lien avec les éléments de preuve sur les marques de tiers présentés à la Commission. À ce stade de la présente procédure, Cathay Pacific s’est appuyée sur les affidavits de M. Jeff Coles, de Mme Caroline D’Amours et de Mme Eileen Castellano. Dans ses observations écrites, Cathay Pacific résume cette preuve par affidavit comme suit :

[traduction]

A.                L’affidavit de M. Coles fournissait la preuve de marques de commerce de tiers contenant les mots « mile » ou « miles » employés en liaison avec des programmes incitatifs ou de fidélité et des services de voyage au Canada, notamment la preuve de six marques de commerce « miles » déposées et plus de dix marques de commerce « miles » de common law employées en liaison avec des programmes grand voyageur au Canada.

B.                 L’affidavit de Mme D’Amours a dressé les résultats d’une recherche en common law sur les marques de commerce et noms commerciaux contenant les mots « mile » ou « miles » dans le contexte de services ou marchandises liés au voyage et des programmes incitatifs, de fidélité, de récompenses ou de points au Canada;

C.                 L’affidavit de Mme Castellano présentait les résultats d’un état d’une recherche dans le registre des demandes et enregistrements actifs de marques de commerce de tiers au Canada contenant les mots « mile » ou « miles » pour être employées en liaison avec des services ou marchandises liés au voyage et des programmes incitatifs, de fidélité, de récompenses ou de points, avec plus de vingt (20) marques pertinentes trouvées.

[75]           Cathay Pacific mentionne également qu’en contre-preuve présentée à la Commission, Air Miles a déposé l’affidavit de Mme Lucy Rooney, commis aux marques de commerce, offrant des renseignements sur les demandes et les enregistrements de marque de commerce canadienne à l’égard de marques contenant le mot « miles », dans les cas où Air Miles s’est opposée à la demande ou a demandé la radiation sommaire de l’enregistrement.

[76]           Dans sa décision, la Commission a examiné les témoignages de M. Coles, de Mme D’Amours et de Mme Castellano ainsi que l’effet de la contre-preuve présentée par Mme Rooney. En examinant le témoignage de Mme Castellano, la Commission a conclu que ses recherches révélaient 33 marques, dont 12 demandes et 21 enregistrements, portant les noms de 26 titulaires différents. Après avoir examiné la contre-preuve, la Commission a affirmé que les constatations de Mme Castellano pouvaient être ramenées à 14 enregistrements et 12 demandes, portant les noms de 20 titulaires différents, et a mentionné que postérieurement à la recherche de Mme Rooney, deux demandes (RENTMILES, propriété de Rent Check Corp., et MILES & MORE, propriété de Deutsche Lufthansa) ont été refusées dans des procédures d’opposition introduites par Air Miles.

[77]           Dans son analyse subséquente en matière de confusion, la Commission a mentionné que la preuve présentée par Cathay Pacific n’était pas convaincante que l’emploi, par un tiers, de marques de commerce comprenant l’élément MILES, ou l’emploi du mot « miles » pour désigner les « points » dans les programmes de fidélisation ou de récompenses, ou l’emploi générique occasionnel de l’expression « air miles », a notablement réduit le caractère distinctif acquis de la marque AIR MILES de l’opposante. Les arguments de Cathay Pacific selon lesquels la Commission a commis une erreur dans cette analyse seront examinés plus loin dans les présents motifs. Cependant, aux fins du présent appel, la question est de savoir si le témoignage de M. Geraghty aurait modifié de façon importante la décision de la Commission. Je suis d’avis qu’il n’aurait pas eu un tel effet, car il recense un certain nombre de marques de tiers qui ne dépasse pas le nombre de marques établi par la Commission en tenant compte des affidavits antérieurs.

[78]           L’affidavit de M. Geraghty indiquait également que le mot « miles » était généralement utilisé dans les journaux canadiens pour faire référence à une monnaie d’échange d’un programme grand voyageur. Cependant, la Commission semble avoir retenu que le mot « miles » est un mot communément employé pour décrire les points accumulés dans divers programmes de fidélisation ou de récompenses, invoquant ce fait comme amoindrissant le caractère distinctif inhérent de la marque AIR MILES. Par conséquent, je ne peux pas non plus conclure que cet aspect du témoignage de M. Geraghty aurait modifié de façon importante la décision.

[79]           Par conséquent, je conclus que les conclusions de la Commission sur les répercussions des marques de tiers demeurent susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable, eu égard à la preuve présentée à la Commission.

[80]           Le dernier affidavit à examiner est le seul nouvel affidavit qui ait été déposé par Air Miles, celui de M. John K. Chambers, professeur de linguistique de l’Université de Toronto. Air Miles présente l’affidavit de M. Chambers comme une preuve d’expert concernant le degré de ressemblance, le cas échéant, entre les marques AIR MILES et ASIA MILES dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent.

[81]           Cathay Pacific soutient que l’affidavit de M. Chambers est inadmissible ou aucun poids ne lui serait accordé, faisant principalement valoir qu’il ne fournit aucun renseignement pertinent qui ne dépasse pas la connaissance de la Cour, ce qui serait contraire à l’objet d’une preuve d’expert selon l’arrêt Masterpiece.

[82]           Je souscris à la thèse de Cathay Pacific sur cette question. Dans l’arrêt Masterpiece, aux paragraphes 75 à 77, le juge Rothstein a expliqué les exigences à satisfaire, tirées de l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 RCS 9, pour présenter une preuve d’expert dans les affaires portant sur des marques de commerce et a souligné en particulier l’exigence de « nécessité », de sorte qu’un expert ne doit être autorisé à témoigner que si son témoignage contient des renseignements qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge. En examinant le témoignage d’expert en cause dans l’arrêt Masterpiece, le juge Rothstein a conclu au paragraphe 80 que, dans un cas où le consommateur ordinaire, par les yeux de qui il convient d’examiner la question de la confusion, n’est pas censé posséder des compétences ou des connaissances particulières et où il existe une ressemblance entre les marques, il n’est généralement pas nécessaire de soumettre une preuve d’expert qui ne fournit qu’une simple appréciation de cette ressemblance. Au paragraphe 88, la Cour fait une distinction entre l’affaire dont elle est saisie et une situation où les biens sont vendus dans un marché spécialisé composé de consommateurs avertis exerçant un commerce particulier. En présence d’un marché spécialisé, il peut s’avérer essentiel de faire la preuve du degré de connaissance ou caractère averti particulier des consommateurs afin de déterminer dans quels cas la confusion est susceptible de se produire.

[83]           En l’espèce, il n’est pas question de marques de commerce ni de services employés dans des marchés spécialisés. En gardant à l’esprit que le test en matière de confusion prévu par la Loi est une question de première impression que laisse dans l’esprit d’un consommateur ordinaire, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de recevoir l’opinion d’un expert linguiste concernant le degré de ressemblance entre les marques, et je conclus par conséquent que l’affidavit de M. Chambers est inadmissible.

[84]           J’aborde maintenant mon analyse de la décision de la Commission portant sur la probabilité de confusion, examinant chacun des facteurs prévus au paragraphe 6(5) de Loi aux fins d’évaluer la confusion, notamment les circonstances que Cathay Pacific a fait valoir.

(4)               Le caractère distinctif inhérent et le caractère distinctif acquis

[85]           En appliquant ce facteur, la Commission a d’abord examiné le caractère distinctif inhérent des marques AIR MILES et ASIA MILES. Comme je l’ai mentionné précédemment, la Commission a conclu que la marque AIR MILES possède un degré assez faible de caractère distinctif inhérent, car elle se compose de deux mots courants. La Commission a conclu que le caractère distinctif inhérent de cette marque est amoindri davantage encore par le fait que le mot « miles » est un mot communément employé pour décrire les points accumulés dans divers programmes de fidélisation ou de récompense, de sorte que la marque évoque dans une certaine mesure un programme de fidélisation ou de récompenses. De même, la Commission a conclu que la marque ASIA MILES possède un degré assez faible de caractère distinctif inhérent, car elle suggère un programme de fidélisation ou de récompenses qui se limite à l’Asie.

[86]           Les nouveaux éléments de preuve présentés par M. Rackstraw, qui ont contribué à l’application de la norme de la décision correcte sur certains aspects du présent contrôle judiciaire, ne modifient pas ces conclusions sur le caractère inhérent distinctif. J’estime donc qu’il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard de ces conclusions, qui relèvent de l’expertise de la Commission, et je ne vois aucune raison de les modifier.

[87]           Pour ce qui est du caractère distinctif acquis de la marque AIR MILES, la Commission a conclu, compte tenu de la preuve versée dans le dossier, que la marque était très connue au Canada, sinon célèbre, à toutes les dates pertinentes. La Commission tire cette conclusion en se fondant sur l’examen qu’elle avait fait, en début de décision, de la preuve contenue dans les six affidavits déposés par Air Miles. Encore une fois, étant donné que les nouveaux éléments de preuve présentés dans le présent contrôle judiciaire ne modifient pas cette conclusion de la Commission, j’estime qu’il y a lieu de faire preuve de déférence à son égard. Même s’il n’est pas nécessaire d’examiner en détail la preuve présentée dans les affidavits d’Air Miles, je reprends la description par la Commission de certains éléments de preuve issus de ces affidavits :

A.                Les marques AIR MILES font l’objet d’une licence d’utilisation au Canada depuis 1992 en ce qui concerne le programme incitatif de récompenses d’Air Miles;

B.                  En 1994, un milliard de milles de récompense AIR MILES avaient été émis aux adhérents au Canada dans le cadre de ce programme et, en 1998, un million d’opérations d’échange de milles avaient été traitées au Canada;

C.                 En 2007, vingt-six milliards de milles de récompense AIR MILES avaient été émis aux adhérents au Canada et vingt-sept millions d’opérations d’échange avaient été traitées au Canada;

D.                Depuis le début de 1998, plus de 65 p. 100 des ménages canadiens comptent un adhérent dans le cadre du présent programme, soit plus de 9 millions d’adhérents individuels.

[88]           La conclusion de la Commission, concernant la mesure dans laquelle la marque AIR MILES est devenue connue et célèbre au Canada, est bien étayée par la preuve; je ne vois donc aucune raison de la modifier. Comme je l’ai mentionné précédemment dans les présents motifs, la Commission a également conclu que la preuve présentée par Cathay Pacific n’était pas convaincante que l’emploi, par un tiers, de marques de commerce comprenant l’élément MILES, ou l’emploi du mot « miles » pour désigner les « points » dans les programmes de fidélisation ou de récompenses, ou l’emploi générique occasionnel de l’expression « air miles », avait notablement réduit le caractère distinctif acquis de la marque AIR MILES. Ayant conclu que les nouveaux éléments de preuve ne modifieraient pas de façon importante cette conclusion, je considère que cette dernière relève de l’expertise de la Commission et appelle la déférence, et je ne vois aucune raison de la modifier.

[89]           Pour ce qui est du caractère distinctif acquis de la marque ASIA MILES, la Commission conclut que Cathay Pacific n’ayant pas établi qu’un emploi de la marque au Canada lui profite, elle ne peut revendiquer l’avantage d’un caractère distinctif acquis pour la marque à une quelconque date pertinente. Les nouveaux éléments de preuve viennent modifier cette conclusion, et m’ont amené à conclure précédemment que l’utilisation de la marque concédée sous licence profite à Cathay Pacific. Appliquant la norme de la décision correcte, et avec les nouveaux éléments de preuve, je ne puis souscrire à la conclusion de la Commission et je suis d’avis que Cathay Pacific peut prétendre jusqu’à un certain point au caractère distinctif acquis de sa marque.

[90]           Je suis toutefois d’avis également que la mesure du caractère distinctif acquis à laquelle Cathay Pacific peut prétendre pour la marque ASIA MILES est bien inférieure à celle de la marque AIR MILES. Reconnaissant que les motifs d’opposition en matière de confusion doivent être évalués à différentes dates pertinentes et sur la prémisse que le caractère distinctif acquis s’accroît avec l’emploi des marques au fil du temps, on peut comparer d’une part le témoignage de M. Kline indiquant que, depuis le début de 1998, le nombre de ménages canadiens comptant un adhérent au programme AIR MILES a représenté plus de neuf (9) millions d’adhérents, avec d’autre part le témoignage de Mme Poon selon lequel, en 2007, 250 000 résidents canadiens étaient membres du programme ASIA MILES. On peut de la même façon comparer le témoignage de Mme Poon indiquant que [traduction] « plusieurs millions de dollars » ont été consacrés à la promotion du programme ASIA MILES au Canada avec le témoignage de M. Kline selon lequel, depuis 1998, plus de quinze millions de dollars ont été consacrés annuellement à la publicité du programme AIR MILES.

[91]           Selon la conclusion générale de la Commission sur le premier facteur du paragraphe 6(5), à savoir la combinaison du caractère distinctif inhérent et du caractère distinctif acquis des marques des parties, ce facteur favorisait fortement Air Miles. Étant donné l’incidence de la question de la licence sur la conclusion de la Commission à l’égard du caractère distinctif acquis de la marque ASIA MILES, cette conclusion générale doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Je tire la même conclusion que celle de la Commission, à savoir que ce facteur favorise Air Miles, même si, en raison des répercussions de ma conclusion sur le caractère distinctif acquis, Air Miles n’est pas aussi fortement favorisée que ne l’avait conclu la Commission.

(5)               Période pendant laquelle les marques ont été en usage

[92]           Selon moi, la conclusion de la Commission selon laquelle Air Miles a commencé à utiliser sa marque au Canada environ 13 ans avant que Cathay Pacific n’ait produit sa demande fondée sur un emploi à Hong Kong a été influencée par la conclusion qu’elle a tirée selon laquelle l’emploi de la marque au Canada par CPLP depuis 1999 n’a pas profité à Cathay Pacific. Étant donné ma conclusion sur la question de la licence, il convient de comparer l’emploi par Air Miles de sa marque depuis 1992 à celui de l’emploi par Cathay Pacific depuis 1999.

[93]           La Commission a conclu que ce facteur favorisait Air Miles. Je souscris à cette conclusion, même si ce facteur ne favorise pas autant Air Miles que le suggère la décision de la Commission, car la différence au niveau de la période pendant laquelle les marques ont été en usage n’est que de sept ans au lieu de treize.

(6)               Genre de services et d’entreprises des parties, et nature du commerce

[94]           La conclusion de la Commission selon laquelle les parties exploitent essentiellement le même type de programme de récompenses de la clientèle, et pour qui elles le font de la même façon, n’est pas modifiée par les nouveaux éléments de preuve produits dans la présente demande. Cette conclusion appelle la déférence et je ne vois aucune raison de la modifier ni de modifier la conclusion de la Commission selon laquelle les troisième et quatrième facteurs du paragraphe 6(5) favorisent Air Miles.

(7)               Degré de ressemblance

[95]           Comme l’a mentionné la Commission, le facteur mentionné en dernier lieu au paragraphe 6(5), le degré de ressemblance, est souvent le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion (voir l’arrêt Masterpiece).

[96]           La Commission a conclu que, lorsque les marques AIR MILES et ASIA MILES sont considérés dans leur globalité, elles présentent davantage de dissemblances que de similitudes, visuellement et par le son, et cela parce que leurs premières portions sont différentes, mais elles présentent peu de dissemblances dans les idées qu’elles suggèrent, avec AIR MILES évoquant des voyages aériens et ASIA MILES évoquant des voyages dans une région donnée. Faisant remarquer que les marques se ressemblaient dans une mesure appréciable tout en présentant davantage de dissemblances que de similitudes, la Commission a conclu que le dernier facteur du paragraphe 6(5) militait en faveur de Cathay Pacific, mais seulement dans une mesure restreinte. Les nouveaux éléments de preuve n’ont pas de répercussion sur cette conclusion, et je ne vois aucune raison de la modifier.

[97]           Cependant, dans la prochaine partie de sa décision, la Commission a invoqué sa décision dans Lufthansa et a tiré une conclusion fondée sur le même doute que celui exprimé dans cette affaire. Air Miles avait établi une réputation presque écrasante pour sa marque, la marque ASIA MILES est différente, mais non suffisamment différente, et Cathay Pacific a été incapable de prétendre à une quelconque réputation pour sa marque au Canada. Par conséquent, la Commission craignait que Cathay Pacific n’avait pas choisi une marque qui était suffisamment différente de la marque bien connue d’Air Miles, ni qu’elle avait acquis une réputation suffisamment importante en liaison avec sa marque intrinsèquement faible pour rendre la confusion peu probable.

[98]           Cette analyse mène à la conclusion générale de la Commission selon laquelle Cathay Pacific n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, l’absence de probabilité raisonnable de confusion entre les marques. Cette analyse et la conclusion qui en résulte se fondent au moins en partie sur la conclusion de la Commission selon laquelle Cathay Pacific n’est pas en mesure de prétendre à une quelconque réputation pour sa marque au Canada, qui est par ailleurs une conséquence de la conclusion sur la concession de licence. Cette conclusion ayant été infirmée en raison des nouveaux éléments de preuve, cette analyse et cette conclusion sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte.

[99]           Je remarque qu’Air Miles a fait valoir dans la décision Lufthansa qu’elle n’essayait pas de monopoliser l’utilisation du mot MILES et ne s’opposait pas à l’emploi de la marque LUFTHANSA MILES & MORE du fait que cette marque comportait le mot distinctif LUFTHANSA. Air Miles fait également valoir en l’espèce que ses arguments ne consistent pas en une tentative de monopoliser le mot MILES, mais plutôt que la marque ASIA MILES n’est pas suffisamment distincte de la marque AIR MILES.

[100]       Comme c’est le cas pour la conclusion sur le caractère distinctif acquis de la marque ASIA MILES, je ne souscris pas à la conclusion de la Commission voulant que Cathay Pacific ne puisse prétendre à une quelconque réputation pour sa marque au Canada. Cependant, en me fondant sur les mêmes éléments de preuve que ceux qui ont étayé ma conclusion sur le caractère distinctif acquis, je conclus que le degré de réputation auquel peut prétendre Cathay Pacific est bien inférieur à celui d’Air Miles. Même si la capacité de Cathay Pacific à prétendre à une réputation par l’intermédiaire de sa licence d’utilisation modifiait l’analyse de façon à estomper le doute exprimé par la Commission, un tel effet ne serait pas, à mon avis, suffisant pour rendre la conclusion générale de la Commission mal fondée.

[101]       En d’autres termes, la capacité de Cathay Pacific à faire valoir l’octroi d’une licence pour ses marques a dans l’ensemble une incidence favorable sur sa capacité à démontrer qu’il n’y a pas de probabilité raisonnable de confusion entre la marque ASIA MILES et la marque AIR MILES. Cependant, je ne considère pas que cette incidence suffise à conclure que Cathay Pacific s’est acquittée de son fardeau. Elle s’appuie encore sur une marque intrinsèquement faible dans un marché dans lequel la marque AIR MILES est devenue très connue, sinon célèbre, et beaucoup plus connue que la marque ASIA MILES. J’en conclus que la marque ASIA MILES n’est pas suffisamment différente de la marque AIR MILES pour que Cathay Pacific soit en mesure de démontrer l’absence de probabilité raisonnable de confusion.

(8)               Circonstances de l’espèce

[102]       En tirant cette conclusion, j’ai aussi examiné la thèse de Cathay Pacific selon laquelle la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de certaines circonstances de l’espèce qui ont des répercussions sur l’analyse relative à la confusion. En premier lieu, Cathay Pacific invoque les principes énoncés dans les décisions San Miguel et Victoria’s Secret pour étayer l’argument voulant que les consommateurs ont l’habitude de faire la distinction entre les marques de commerce qui contiennent le mot « miles » et ils sont donc peu susceptibles d’établir un lien entre les marques ASIA MILES et la marque « miles » d’un tiers, notamment la marque AIR MILES. Cathay Pacific s’appuie sur la preuve de l’existence de ces marques dans le marché et sur l’utilisation du mot « miles » comme terme générique signifiant « points » dans l’industrie des primes de voyage. Elle soutient que la Commission a commis une erreur en tenant compte seulement de l’effet de ces éléments de preuve en concluant qu’ils n’étaient pas défavorables au caractère distinctif acquis de la marque AIR MILES, alors qu’elle faisait valoir que les marques de tiers devaient avoir une incidence sur l’analyse relative au degré de ressemblance.

[103]       Au paragraphe 82 de la décision Victoria’s Secret, le juge Manson exprime succinctement le principe pertinent comme suit :

[82]      Quand deux marques de commerce contiennent un élément commun qui figure par ailleurs dans un certain nombre d’autres marques de commerce, la nature commune de l’élément sur le marché amène les consommateurs à accorder davantage d’attention aux autres caractéristiques non communes des marques et à faire une distinction entre les deux marques en litige en se fondant sur les autres caractéristiques, ce qui amoindrit de ce fait la probabilité de confusion (arrêt Kellogg, précité, aux pages 358 à 360).

[104]       Je conclus que même si la Commission n’a pas formulé le principe dans les mêmes termes que ceux exprimés dans la décision Victoria’s Secret, elle n’a pas pour autant ignoré ou omis de considérer l’effet des éléments de preuve sur les marques de tiers ou l’utilisation générique du mot « miles ». Cathay Pacific a raison de dire que la Commission a considéré cet effet lorsqu’elle a abordé la question du caractère distinctif inhérent et du caractère distinctif acquis pour conclure que le mot communément employé « miles » amoindrissait le caractère distinctif inhérent de la marque AIR MILES et que la preuve présentée par Cathay Pacific n’était pas convaincante que l’emploi, par un tiers, de marques de commerce comprenant l’élément MILES a notablement réduit le caractère distinctif acquis de la marque AIR MILES. Cependant, le test applicable exige une évaluation complète de la probabilité de confusion. En examinant les éléments de preuve de marques de tiers dans le contexte du caractère distinctif, la Commission a tenu compte de la question de savoir si ces éléments de preuve réduisaient la probabilité de confusion. Étant donné que la conclusion de la Commission sur la question de la confusion se fondait essentiellement sur le caractère distinctif acquis de la marque AIR MILES, il n’est peut-être pas surprenant qu’elle ait tenu compte des éléments de preuve sur les marques de tiers dans ce contexte. Les nouveaux éléments de preuve ne modifient pas cet aspect de la décision de la Commission, qui appelle la déférence puisqu’il s’agit d’un domaine qui relève de l’expertise de la Commission et que je ne juge pas déraisonnable.

[105]       À titre subsidiaire, si j’examinais cet aspect des circonstances de l’espèce selon la norme de la décision correcte, après avoir conclu que les nouveaux éléments de preuve modifient l’analyse globale de la confusion, je ne modifierais pas pour autant ma conclusion générale. L’application du principe exprimé dans la décision Victoria’s Secret diminuerait la probabilité de confusion. Cependant, la preuve de l’emploi de marques de commerce par des tiers comprenant l’élément MILES n’est pas aussi convaincante que la preuve de l’emploi par des tiers de l’élément commun en cause dans la décision Victoria’s Secret ou dans l’arrêt Kellogg Salada Canada Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1992] ACF no 562 (CAF), sur lequel s’appuie Victoria’s Secret. Je ne conclurais pas, en m’appuyant sur la preuve portant sur les marques de tiers présentée en l’espèce, que toute diminution de la probabilité de confusion qui en résulte suffirait à Cathay Pacific pour pouvoir démontrer l’absence de probabilité raisonnable de confusion entre sa marque intrinsèquement faible et la marque très connue, sinon célèbre, AIR MILES.

[106]       Cathay Pacific soutient également que, les marques ASIA MILES et AIR MILES ayant coexisté sur le marché depuis 1999, l’absence de preuve de la confusion réelle entre les marques constitue un facteur qui la favorise fortement. Cathay Pacific s’appuie sur la décision récente Scott Technologies Inc. c. 783825 Alberta Ltd. (Scott Safety Supply Services), 2015 CF 1336 [Scott Technologies], dans laquelle le juge Zinn rejette une action en contrefaçon de marque de commerce et de commercialisation trompeuse. La Cour appuie sa décision en partie sur l’absence de preuve réelle de confusion malgré le fait que l’entreprise des défenderesses avait exercé ses activités dans un marché dans lequel la demanderesse exploite son entreprise depuis plus de 20 ans.

[107]       Je reconnais qu’une preuve de confusion réelle constituerait un facteur pertinent et que la Commission aurait pu tirer une conclusion défavorable de l’absence d’une telle preuve. Cependant, à mon avis, l’absence d’une telle preuve en l’espèce n’est pas déterminante ou cette absence aurait eu un impact déterminant sur la décision de la Commission. La Cour a mentionné au paragraphe 70 de la décision Scott Technologies que la mesure dans laquelle un tribunal peut tirer une conclusion à partir d’une absence de confusion réelle dépend des circonstances. Aux paragraphes 78 et 79 de la décision Black & Decker Corporation c. Piranha Abrasives Inc., 2015 CF 185, le juge Manson a refusé de tirer une conclusion défavorable du fait qu’il n’existait aucune preuve de confusion réelle entre les marques des parties, soutenant qu’il ne s’agissait pas d’une affaire dans laquelle la preuve de confusion réelle pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée. Le juge Manson s’est reporté au paragraphe 55 de l’arrêt Mattel rendu par la Cour suprême du Canada, dans lequel le juge Binnie a affirmé ce qui suit :

La preuve d’une confusion réelle serait une « circonstance de l’espèce » pertinente, mais elle n’est pas nécessaire (Christian Dior, par. 19), même s’il est démontré que les marques de commerce ont été exploitées dans la même région pendant dix ans : Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1987] A.C.F. no 1123 (QL) (C.A.). Comme nous le verrons plus loin, une conclusion défavorable peut toutefois être tirée de l’absence d’une telle preuve dans le cas où elle pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée.

[108]       La seule preuve en l’espèce relative à la question de la confusion réelle est le témoignage de Mme Poon qui affirme ne pas être au courant qu’un membre du public n’ait jamais indiqué ou soupçonné l’existence d’une relation ou d’un lien entre les produits ou services ASIA MILES et les produits ou services AIR MILES. Elle affirme également ne pas être au courant qu’un membre du public n’ait jamais indiqué ou soupçonné que la fourniture de produits ou services ASIA MILES est assurée par Air Miles ou lui est associée de quelque façon que ce soit. Cependant, Cathay Pacific n’a fourni aucune preuve de l’existence de procédures permettant de recueillir des éléments de preuve d’une confusion réelle ou qu’une telle preuve devrait être portée à l’attention de Mme Poon. À mon avis, la preuve au dossier ne fournit pas à la Cour de fondement pour conclure que la preuve de confusion réelle pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée.

[109]       J’accorderai donc peu de poids à l’absence de preuve de confusion réelle.

[110]       En conclusion, j’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant qu’Air Miles obtient gain de cause sur les motifs d’opposition prévus aux articles 2 et 16 et à l’alinéa 12(1)d) de la Loi et en rejetant la demande d’enregistrement de la marque ASIA MILES de Cathay Pacific. Pour tirer cette conclusion, j’ai appliqué une norme caractérisée par la déférence aux conclusions particulières de la Commission qui ne sont pas modifiées par les nouveaux éléments de preuve et j’ai appliqué la norme de la décision correcte aux autres conclusions. Cependant, comme je l’ai mentionné dans l’analyse précédente du principe énoncé dans la décision Victoria’s Secret, je reconnais également que l’analyse globale de la confusion est influencée par les nouveaux éléments de preuve. Si, sur ce fondement, je devais appliquer une norme de la décision correcte à l’intégralité de l’analyse de la confusion réalisée par la Commission, j’adopterais les conclusions de cette dernière auxquelles j’ai appliqué la norme de la décision raisonnable, étant donné que les analyses de la Commission à l’appui de ces conclusions me paraissent convaincantes. Je parviendrais donc à la même conclusion que la Commission n’a pas commis d’erreur en refusant la demande d’enregistrement de la marque ASIA MILES présentée par Cathay Pacific.

V.                Conclusion

[111]       Enfin, en ce qui concerne les demandes portant sur les quatre marques comprenant les mots ASIA MILES et accompagnées d’un élément graphique « A » stylisé, la Commission a refusé ces demandes en s’appuyant essentiellement sur les mêmes analyses qu’elle avait réalisées à l’égard des demandes d’enregistrement du mot servant de marque ASIA MILES, en ajoutant la conclusion supplémentaire que l’élément graphique des marques n’ajoutait pas vraiment au caractère distinctif inhérent des marques ni ne les distinguait véritablement de la marque AIR MILES de l’opposante.

[112]       Mon analyse des décisions de la Commission portant sur ces quatre demandes suit mon analyse de la décision sur la demande de Cathay Pacific d’enregistrer son mot servant de marque. La conclusion supplémentaire de la Commission concernant l’effet de l’élément graphique « A » stylisé, n’est pas modifiée par les nouveaux éléments de preuve et appelle donc la déférence. Je ne vois aucun fondement me permettant de conclure que la conclusion de la Commission est déraisonnable. Encore une fois, si je devais évaluer l’analyse de la Commission selon la norme de la décision correcte, en admettant que l’analyse globale des marques employant cet élément graphique comprend l’analyse du mot servant de marque, laquelle est influencée par les nouveaux éléments de preuve, je conclurais encore que la Commission n’a pas commis d’erreur en refusant ces quatre demandes.

[113]       La demande de Cathay Pacific fondée sur l’article 56 de la Loi, interjetant appel de la décision de la Commission, est donc rejetée.

VI.             Les dépens

[114]       Chaque partie a demandé des dépens dans l’éventualité où elle aurait gain de cause en l’espèce. J’adjuge donc à Air Miles des dépens.

[115]       Chacune des parties a soutenu qu’une adjudication de dépens forfaitaires serait appropriée et que le montant des dépens qui a suivi la décision de notre Cour du 11 juin 2014 sur l’audition précédente de la présente demande serait un guide utile à l’évaluation de ce montant forfaitaire. Cependant, chaque partie a également demandé la possibilité de présenter des observations à l’égard de cette évaluation.

[116]       J’accorderai aux parties 30 jours à partir de la date du présent jugement pour présenter leurs brèves observations écrites à notre Cour, confirmant ensemble leur accord à l’adjudication de dépens forfaitaires ou adressant leurs positions respectives quant au montant de cette adjudication.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande de la demanderesse, interjetant appel de la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce datée du 25 avril 2012, est rejetée avec des dépens payables à la défenderesse en un montant forfaitaire que la Cour déterminera après réception des observations écrites des parties.

2.                  Les parties doivent signifier et déposer, dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, leurs observations écrites, soit conjointement pour entériner leur entente sur l’adjudication des dépens forfaitaires, soit en communiquant leurs thèses respectives sur le montant à adjuger.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1314-12

INTITULÉ :

CATHAY PACIFIC AIRWAYS LIMITED c AIR MILES INTERNATIONAL TRADING B.V.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mai 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 12 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Daniel Anthony

Erin Creber

Pour la DEMANDERESSE

Stephen I. Selznick

Steven Kennedy

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Ottawa (Ontario)

Pour la DEMANDERESSE

Cassels Brock & Blackwell LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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