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Date : 20161005


Dossier : IMM-311-16

Référence : 2016 CF 1114

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 5 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

CAROL MONICA ARELLANO CRUZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La demanderesse, Carol Monica Arellano Cruz, est citoyenne des Philippines. Elle est venue au Canada en septembre 2008 à titre de membre de la catégorie des aides familiaux résidants, laissant un jeune fils à la maison avec sa mère. Son mari travaillait à Hong Kong. En novembre 2011, Mme Cruz a présenté une demande de résidence permanente qui incluait son mari et son fils. Sa demande a été « verrouillée » le 25 novembre 2011. Le 1er mars 2012, un dossier électronique relatif à la demande a été créé dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC).

[2]  Entre mars 2012 et septembre 2014, Mme Cruz a reçu de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) plusieurs demandes de précisions et de renseignements supplémentaires au sujet de sa demande. Agissant pour son propre compte, Mme Cruz a envoyé une correspondance à CIC fournissant les renseignements demandés.

[3]  Le 20 juin 2015, CIC a envoyé une lettre à la demanderesse par courrier électronique demandant quatre documents précis : (1) le formulaire IMM5669; (2) le formulaire IMM5406; (3) un certificat de police original des Philippines pour son fils, Monard Allen Cruz; et 4) un CENOMAR du NSO ou un certificat du bureau national de la statistique (National Statistics Office) des Philippines indiquant qu’aucun mariage du fils ne figurait dans le registre. La lettre de CIC indiquait que ces documents devaient être produits dans les 90 jours suivant la date de la lettre. Mme Cruz n’a pas fourni les documents dans ce délai, car, d’après elle, elle n’avait pas reçu la lettre.

[4]  Le 22 octobre 2015, Mme Cruz, aidée par un avocat des services juridiques communautaires de Flemingdon, a demandé de plus amples renseignements au sujet de sa demande. Avant cela, elle n’était pas représentée par un avocat.

[5]  Le 13 novembre 2015, l’agente de CIC, Loren Eleniak, a envoyé à la demanderesse une lettre de refus indiquant qu’elle n’avait pas satisfait aux exigences du paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « LIPR »). Par conséquent, l’agente a rejeté sa demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie des aides familiaux résidants en vertu du paragraphe 72(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le « RIPR »).

[6]  Le 7 décembre 2015, l’agente Eleniak a envoyé une autre lettre qui abordait directement les observations que la demanderesse avait faites le 22 octobre 2015 et précisait que la décision initiale de rejeter sa demande demeurait inchangée.

[7]  Le 8 décembre 2015, l’avocat de la demanderesse a présenté d’autres observations à CIC lui demandant de réexaminer la décision rejetant la demande de résidence permanente. Le 8 janvier 2016, l’agente Eleniak a répondu à la lettre de l’avocat du 8 décembre 2015, indiquant qu’après avoir examiné les observations supplémentaires, la décision initiale de rejeter de la demande serait maintenue. La demanderesse a alors présenté cette demande de contrôle judiciaire du refus du 8 janvier 2016 de réexaminer la décision rendue en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[8]  Dans son affidavit présenté par le défendeur, l’agente Eleniak fait remarquer que le 29 mai 2015, le Centre de traitement des demandes de Vegreville, en Alberta, a mis en place de nouvelles procédures pour le traitement des courriels qui reviennent ou sont renvoyés à l’expéditeur comme non livrables. Il s’agit notamment de veiller à ce que toute pièce jointe au courriel, telle que la lettre du 20 juin 2015, soit imprimée et envoyée par courrier postal ordinaire à l’adresse actuelle du demandeur qui figure dans le système. De plus, l’adresse électronique porterait la mention « expirée » ou serait considérée comme inactive dans le système SMGC. Rien n’indiquait dans le système que le courriel du 20 juin 2015 était revenu en tant que courriel non livrable. Rien n’indiquait non plus que les messages ultérieurs envoyés à l’adresse électronique de la demanderesse étaient revenus.

[9]  L’affidavit de la demanderesse déposé à l’appui de cette demande est accompagné d’une copie imprimée d’une recherche effectuée dans sa boîte de messagerie Yahoo le 16 mars 2016 comprenant les termes « citoyenneté et immigration » [sic]. La recherche a révélé 10 messages entre CIC et la demanderesse entre octobre 2012 et décembre 2015, mais rien à propos du message du 20 juin 2015. L’impression indique toutefois qu’il y avait 187 messages dans le dossier de pourriels du compte à cette date et rien n’indique qu’une recherche a été effectuée dans ce dossier.

II.  QUESTIONS EN LITIGE

[10]  Les points débattus par les parties sont les suivants :

  1. L’agente a-t-elle enfreint l’équité procédurale en traitant la demande de résidence permanente de la demanderesse?

  2. L’agente devait-elle tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant?

III.  ANALYSE

[11]  Les parties conviennent que lorsqu’il est question d’atteinte à l’équité procédurale dans le cadre de demandes de résidence permanente, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : (Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 503, au paragraphe 12; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79.

[12]  L’argument de la demanderesse à l’égard de la première question revient essentiellement à dire que l’agente d’immigration aurait dû prendre d’autres mesures pour l’avertir de tout document manquant et lui donner l’occasion de répondre. Au moment où la demande de documentation supplémentaire a été envoyée, elle n’était pas représentée. Elle soutient que l’agente a traité sa demande d’une manière rigide, s’est appuyée sur un [traduction] « minimum de communication » et ne lui a pas permis de corriger les éventuelles erreurs, le cas échéant. La demanderesse soutient également que, si elle avait reçu la lettre, il lui aurait été impossible de fournir les documents demandés dans le délai imparti. En particulier, selon elle, elle n’aurait pas pu recevoir un certificat de police ou un CENOMAR du NSO pour son fils étant donné qu’il était âgé de moins de 18 ans à ce moment-là.

[13]  Mme Cruz s’appuie sur la décision du juge en chef adjoint Jerome dans l’affaire Turingan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1234, aux paragraphes 6 à 8. Dans l’affaire Turingan, une demande visant à annuler le refus d’octroyer la résidence permanente à un aide familial résidant. À l’audience, le défendeur a convenu que la décision devait être annulée et renvoyée pour un nouvel examen en raison d’une erreur dans le calcul du temps pendant lequel le demandeur avait travaillé. Le juge en chef adjoint Jerome a profité de l’occasion pour faire des commentaires sur la nature du Programme des aides familiaux résidants et sur la façon dont les agents d’immigration devraient exercer leur pouvoir discrétionnaire. Citant les principes énoncés par le juge Rouleau dans l’affaire Karim c. Canada (M.E.I.) (1988), [1989] 21 F.T.R. 237, à la page 238, le juge en chef adjoint Jerome a conclu ce qui suit :

Il ressort clairement de ce passage que le programme vise à faciliter l’obtention du statut, de résident permanent. Il incombe par conséquent au Ministère d’adopter une approche souple et constructive dans ses rapports avec les participants au programme. Le rôle du Ministère ne consiste pas à refuser le statut de résident permanent uniquement pour des questions de forme, mais de travailler et d’aider les participants à atteindre leur objectif qui est d’obtenir le statut de résident permanent.

[14]  Le défendeur invoque plusieurs décisions de la Cour selon lesquelles, lorsqu’une preuve a été fournie qu’une communication a été envoyée à un demandeur et que le ministère n’a aucune indication que la communication a échoué, le demandeur assume le risque présenté par le défaut de livraison de la communication : Alavi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 969, au paragraphe 5; voir aussi Kaur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 935, au paragraphe 12; Zare c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1024, au paragraphe 36; Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 856, aux paragraphes 16 à 21; Wijayansinghe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 811, aux paragraphes 40 et 41. Le défendeur fait valoir qu’elle doit simplement démontrer que la correspondance [traduction] « a bel et bien été acheminée » à la demanderesse : Ilahi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1399, au paragraphe 7. De plus, selon le défendeur, la demanderesse n’a pas présenté les documents demandés dans le cadre de sa demande de réexamen.

[15]  Le juge Peter Annis a récemment passé en revue la jurisprudence entourant les questions de mauvaise communication par courrier électronique dans la décision Kennedy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 628, au paragraphe 15. Il a conclu que la jurisprudence s’est développée en deux courants jurisprudentiels. Le premier courant jurisprudentiel énonce qu’il incombe au ministre défendeur de prouver deux choses : (1) que la communication contestée a été envoyée à une adresse de courrier électronique fournie par le demandeur; (2) que rien n’indique que la communication a échoué ou est revenue. Si ces deux choses ont été prouvées, il n’importe pas que le demandeur ait reçu ou non la communication, étant donné que le défendeur s’est acquitté de son obligation d’équité procédurale. Le second courant jurisprudentiel porte sur la conclusion qu’une faute a été commise par l’une des parties. Plus précisément, lorsque l’agent des visas prouve, selon la prépondérance des probabilités, qu’un document a été envoyé, il y a présomption réfutable que le demandeur l’a reçu, et le demandeur doit assumer les risques des communications non reçues : voir également Chandrakantbhai Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 900, au paragraphe 36.

[16]  Dans le dossier dont je suis saisi, je dois conclure qu’en l’espèce, l’équité procédurale a été respectée. En appliquant le premier courant jurisprudentiel défini par le juge Annis, il n’importe pas que le demandeur ait reçu ou non la lettre de juin 2015. Si j’appliquais l’approche fondée sur la faute, je conclurais que l’affidavit de l’agente Eleniak prouve que le courriel contenant la pièce jointe a été envoyé. La preuve fournie par la demanderesse est insuffisante pour établir qu’elle n’a pas reçu le courriel et, malheureusement, dans les circonstances, elle assume le risque présenté par une mauvaise communication.

[17]  En ce qui concerne la deuxième question, la demanderesse soutient que l’agente aurait dû tenir compte de l’intérêt supérieur de son enfant, Monrad Cruz, pour arriver à sa conclusion. Monrad avait moins de 18 ans lorsque la demande a été soumise, mais a atteint cet âge en octobre 2015. La demanderesse soutient que les facteurs d’ordre humanitaire, plus précisément l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, sont applicables aux demandes au titre de la catégorie des aides familiaux résidants et qu’il n’est pas nécessaire de faire une demande d’analyse : Monje c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 116; Kachmazov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 533.

[18]  Aucune demande de prise en compte des motifs d’ordre humanitaire n’a été présentée par la demanderesse. L’agente n’était pas tenue d’aviser la demanderesse qu’elle pouvait solliciter une dispense en vertu de l’article 25 de la LIPR : de Araujo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 515, au paragraphe 14; Mustafa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1092, aux paragraphes 10 et 14. Je note que, dans les deux affaires invoquées par la demanderesse, Monje et Sultana, une demande d’examen des facteurs d’ordre humanitaire pouvant l’emporter sur l’interdiction de territoire a été présentée. En l’absence d’une telle demande, je ne suis pas convaincu que l’agente était tenue de prendre en considération l’intérêt supérieur fils de la demanderesse pour prendre une décision.

[19]  Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale, et aucune ne sera certifiée.

[20]  Avant de conclure, je crois qu’il convient de constater que le dossier ne mentionne guère l’application des principes énoncés par le juge Rouleau dans l’affaire Karim et par le juge en chef adjoint Jerome dans l’affaire Turingam, précitée. CIC ne semble pas avoir adopté une [traduction] « approche souple et constructive » en traitant avec la demanderesse et ne semble pas avoir considéré que son rôle était de l’aider à atteindre son objectif qui est d’obtenir le statut de résident permanent. CIC semble plutôt avoir appliqué une interprétation stricte des exigences du programme. Le juge en chef adjoint Jerome a remis en question le bien-fondé d’une telle [traduction] « attitude sévère » dans l’affaire Turingam. L’issue ici aura de graves conséquences pour la demanderesse et sa famille.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-311-16

INTITULÉ :

CAROL MONICA ARELLANO CRUZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 5 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Ryan Hardy

Pour la demanderesse

John Locar

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ryan Hardy

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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