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Date : 20161006


Dossier : T-2204-14

Référence : 2016 CF 1117

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

CASCADE CORPORATION

demanderesse

et

KINSHOFER GmbH et KINSHOFER LIFTALL INC.

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les parties à la présente action fabriquent et vendent des produits connus sous le nom de « raccords ou couplages rapides » qui sont fixés à des machines de travail agricole, comme des excavatrices, afin d’accrocher ou de décrocher rapidement des accessoires fixés à l’extrémité du bras d’une excavatrice. La demanderesse, Cascade Corporation [Cascade], est la titulaire d’un brevet canadien portant sur un dispositif de verrouillage de sécurité destiné à des raccords rapides et affirme que les défenderesses, Kinshofer GmbH et sa filiale, Kinshofer Liftall Inc. [collectivement, Kinshofer], ont contrefait ou incité à contrefaire ce brevet en vendant un produit connu sous le nom de « coupleur X-LOCK ».

[2]  Comme il sera expliqué plus en détail ci-dessous, les raccords rapides s’accrochent à un accessoire à l’aide de deux tiges, appelées la tige avant et la tige arrière. Le litige entre les parties porte sur l’interprétation du brevet de Cascade et, plus particulièrement, sur le libellé de la revendication du brevet qui explique que le dispositif de verrouillage de sécurité permettant de libérer la tige avant utilise un circuit hydraulique qui fonctionne indépendamment du mécanisme de verrouillage hydraulique de la tige arrière. Kinshofer conteste cette action en contrefaçon en faisant valoir que les revendications du brevet de Cascade, si elles sont interprétées correctement, ne visent que les raccords qui sont dotés de circuits hydrauliques indépendants destinés à actionner les verrous des tiges avant et arrière. Kinshofer affirme que cette indépendance, qui constitue un élément essentiel du brevet de Cascade, est absente de son produit X-LOCK.

[3]  Les questions relatives à la responsabilité et à la quantification ont été scindées à la suite d’une ordonnance antérieure rendue par notre Cour, et une collaboration entre les parties a permis de circonscrire les questions relatives à la responsabilité et de demander de trancher ces questions par voie de procès sommaire. La Cour a reçu une preuve par affidavit et a entendu le témoignage de vive voix des experts convoqués par les parties en interrogatoire principal et en contre-interrogatoire.

[4]  Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejette l’action de Cascade. Je conclus qu’il convient de trancher le présent litige par voie de procès sommaire. Pour interpréter le brevet, je me suis aidé de la preuve présentée par les experts pour tirer mes propres conclusions quant à l’interprétation qu’il fallait lui donner. Je conclus qu’un élément essentiel du brevet de Cascade est que le circuit hydraulique qui libère la tige avant fonctionne indépendamment du mécanisme de verrouillage hydraulique de la tige arrière. Autrement dit, le circuit hydraulique qui libère la tige avant doit pouvoir effectuer les fonctions pour lesquelles il a été conçu, peu importe l’état ou le fonctionnement du mécanisme de verrouillage hydraulique de la tige arrière. Je conclus également que le mécanisme de verrouillage hydraulique de la tige arrière comprend les composantes mécaniques du verrou de la tige arrière ainsi que les composantes hydrauliques qui actionnent ces composantes mécaniques.

[5]  Comme je l’expliquerai plus loin, je conclus que le coupleur X-LOCK de Kinshofer utilise un circuit hydraulique pour libérer la tige avant qui ne fonctionne pas indépendamment du mécanisme de verrouillage de la tige arrière, y compris de ses composantes hydrauliques. Par conséquent, le coupleur X-LOCK ne contrefait pas le brevet de Cascade.

II.  Faits et procédures

A.  Les parties et l’action

[6]  Cascade est une société de l’Oregon qui se décrit comme étant l’un des plus importants fabricants d’outils de manutention de matériaux pour chariots élévateurs du monde. L’entreprise a récemment étendu ses activités aux accessoires de machinerie de construction, notamment des assemblages de couplage rapide. Kinshofer GmbH est une société allemande qui fabrique des accessoires se fixant à des grues de chargement et à des excavatrices hydrauliques ainsi que des ensembles de couplage rapide. Sa filiale, Kinshofer Liftall Inc., est une société ontarienne.

[7]  Cascade est titulaire du brevet canadien no 2 587 065 [le brevet], qui fait l’objet de la présente action. Le brevet revendique la priorité sur un brevet déposé en Nouvelle-Zélande et a été initialement déposé par une société de Nouvelle-Zélande, Wedgelock Equipment Limited. Des brevets semblables existent également en Europe. Cascade a acquis les droits du brevet aux États-Unis et au Canada à l’égard de l’invention décrite et revendiquée dans le brevet, alors que Kinshofer GmbH a acquis les droits du brevet correspondant en Europe.

[8]  Cascade fabrique et vend en Amérique du Nord un coupleur appelé le coupleur rapide « Cascade I-LOCK » qui utilise la technologie divulguée dans le brevet. En Europe, Kinshofer fabrique et vend deux produits : les coupleurs I-LOCK et les coupleurs X-LOCK (bien que, comme il sera expliqué plus loin dans les présents motifs, il existe deux versions du produit X-LOCK). Kinshofer ne vend que les coupleurs X-LOCK en Amérique du Nord.

[9]  Cascade allègue que le coupleur X-LOCK contrefait le brevet et a introduit la présente action, réclamant des dommages-intérêts, une injonction et d’autres réparations à l’encontre de Kinshofer pour avoir contrefait ou incité ou amené une autre personne à contrefaire le brevet. Kinshofer ne conteste pas la validité du brevet, mais conteste l’action au motif que son produit X-LOCK ne contient pas tous les éléments essentiels indiqués dans l’une ou l’autre des revendications du brevet.

B.  Le contexte des raccords rapides

[10]  Comme je l’ai mentionné plus haut, le brevet porte sur un mécanisme de verrouillage de sécurité destiné aux raccords rapides, qui sont utilisés avec des machines de travail agricoles comme des excavatrices, afin d’accrocher et de décrocher rapidement des accessoires de l’extrémité d’un bras d’excavatrice. L’accessoire est muni de deux tiges, appelées « tige avant » (située plus près de la cabine de l’excavatrice) et « tige arrière ». Lors du processus de couplage, l’opérateur de l’excavatrice fera tout d’abord en sorte que la partie du raccord en forme de crochet engage la tige avant, puis abaisse ladite partie de fixation du raccord sur la tige arrière. Une fois la tige arrière correctement engagée, un mécanisme de verrouillage est activé pour maintenir cette tige et, par le fait même, l’accessoire en place.

[11]  Si la tige arrière n’est pas correctement engagée, l’accessoire peut se décrocher du bras de l’excavatrice, ce qui représente un risque en matière de sécurité. Les dispositifs de verrouillage de sécurité, notamment celui divulgué dans le brevet, ont été conçus pour remédier à ce problème. Le dispositif de verrouillage de sécurité maintient la tige avant dans le creux du crochet du raccord, empêchant le décrochage de l’accessoire même si la tige arrière n’est pas correctement engagée.

[12]  Comme nous le verrons plus en détail ci-dessous dans les présents motifs, les dispositifs de verrouillage de sécurité dans l’art antérieur comportaient des lacunes causées par les interactions entre le dispositif de verrouillage de sécurité et le mécanisme de verrouillage de la tige arrière, de sorte qu’une défaillance de l’une pouvait avoir des répercussions sur l’autre. L’invention revendiquée dans le brevet concerne un raccord muni d’un dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant qui s’engage automatiquement dans la tige avant et qui est indépendant du mécanisme de verrouillage de la tige arrière. L’objet du présent litige porte sur le désaccord des parties quant à la nature de cette indépendance telle qu’elle est revendiquée dans le brevet.

C.  Les produits des parties

[13]  Cascade décrit le coupleur I-LOCK qu’elle vend en Amérique du Nord comme étant une réalisation commerciale du brevet. Du point de vue de l’opérateur d’une excavatrice, le coupleur I-LOCK et le coupleur X-LOCK de Kinshofer fonctionnent de la même manière. La partie crochet du raccord est munie d’un dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant qui est constitué d’un joint d’articulation qui dispose d’une installation hydraulique ou d’un ressort incliné dans une position qui verrouille la tige en place une fois qu’il a dépassé le joint d’articulation pour s’insérer dans la partie crochet. En accrochant un accessoire, le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant s’engage automatiquement lorsque la tige avant se trouvant sur l’accessoire est insérée dans la partie crochet du raccord. La partie fixation du raccord est ensuite placée sur la tige arrière, et l’opérateur doit intervenir pour engager le mécanisme de verrouillage de la tige arrière. Cette intervention de l’opérateur n’a aucun effet sur le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant.

[14]  Pour décrocher l’accessoire, l’opérateur doit intervenir pour libérer le mécanisme de verrouillage de la tige arrière. Là encore, cette intervention n’a aucun effet sur le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant. L’opérateur doit intervenir de nouveau pour déplacer le joint d’articulation qui se trouve dans la partie crochet de sa position inclinée afin de débloquer le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant.

[15]  Ces trois mesures contrôlées par l’opérateur (engagement du mécanisme de verrouillage de la tige arrière, déblocage du mécanisme de verrouillage de la tige arrière et déblocage du dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant) font appel aux systèmes hydrauliques qui se trouvent dans les deux coupleurs I-LOCK et X-LOCK. La principale différence entre les coupleurs I-LOCK et X-LOCK est la configuration et le fonctionnement des systèmes hydrauliques. Les deux produits utilisent un vérin hydraulique à double effet (c.-à-d. un vérin à l’extrémité duquel le fluide hydraulique peut être fourni) qui peut être déplacé pour engager et débloquer le mécanisme de verrouillage de la tige arrière, et un vérin hydraulique distinct qui sert à débloquer le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant. Cela constitue les trois emplacements par lesquels le fluide hydraulique doit être fourni. Le circuit hydraulique du coupleur I-LOCK achemine le fluide vers ces emplacements à l’aide de trois différentes conduites hydrauliques qui partent du corps de l’excavatrice et passent par son bras pour se rendre jusqu’au raccord, tandis que le coupleur X-LOCK n’utilise que deux conduites.

[16]  Grâce à ces trois conduites, le coupleur I-LOCK accomplit les trois mesures contrôlées par l’opérateur de façon binaire, c’est-à-dire que chacune des trois conduites est soit pressurisée, soit ne l’est pas. Par conséquent, on obtient le déblocage du dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant en pressurisant la conduite hydraulique qui est dédiée au vérin hydraulique fixé à ce dispositif. Par contre, le coupleur X-LOCK débloque le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant en variant la pression dans l’une des conduites reliées au mécanisme de verrouillage de la tige arrière. Une section de la conduite relie les composantes hydrauliques du mécanisme de verrouillage de la tige arrière au vérin hydraulique fixé au dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant. Lorsque la pression est plus basse dans le système hydraulique relié au mécanisme de verrouillage de la tige arrière, cela n’a pas d’incidence sur le vérin hydraulique fixé au dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant. En revanche, lorsque la pression est plus élevée, ce vérin est alimenté en fluide hydraulique au moyen d’une soupape de pression qui permet de faire circuler le fluide dans la section de la conduite reliée à ce vérin, ce qui entraîne le déblocage du dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant.

[17]  Kinshofer, dans ses descriptions des deux produits, affirme que le coupleur I-LOCK exécute les actions nécessaires grâce à l’isolement hydraulique, tandis que le coupleur X-LOCK les exécute grâce à une modulation de pression. Selon Cascade, les deux coupleurs I-LOCK et X-LOCK peuvent être caractérisés comme utilisant l’isolement hydraulique.

D.  Le litige

[18]  Dans le brevet, Cascade fait valoir son monopole sur l’invention divulguée au moyen de 13 revendications. Cascade allègue que le coupleur X-LOCK contrefait les revendications 1, 2, 5, 6 et 8 à 13. Néanmoins, ces revendications dépendent toutes de la revendication 1. Les parties ne contestent pas que si la revendication 1 est contrefaite, les autres revendications le sont également, et si la revendication 1 n’est pas contrefaite, les autres revendications ne le sont pas non plus. Par exemple, la revendication 2 du brevet concerne [traduction] « le raccord selon la revendication 1, dans lequel l’élément de verrouillage est incliné dans une position de verrouillage par un ressort ». Il convient de noter qu’il existe deux produits X-LOCK, appelés « coupleur CMX » et « coupleur CMX-S ». Le coupleur CMX-S utilise une sollicitation hydraulique plutôt qu’une sollicitation par ressort pour le joint d’articulation du dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant. En cas de contrefaçon de la revendication 1, le coupleur CMX contreferait également la revendication 2, contrairement au coupleur CMX-S.

[19]  La revendication 1 est donc la seule revendication nécessitant une interprétation en l’espèce. La revendication 1 vise :

[traduction] Un raccord destiné à fixer un accessoire sur un bras d’une machine de travail agricole comprenant :

une partie orientée vers le haut conçue pour fixer le raccord à l’extrémité du bras de la machine de travail agricole;

une partie fixation orientée vers le bas positionnée près de l’une des extrémités du raccord, comprenant un mécanisme de verrouillage hydraulique permettant de verrouiller une tige arrière de l’accessoire à la partie fixation;

une partie crochet tournée vers l’extérieur disposée sur une extrémité opposée du raccord, comprenant un dispositif de verrouillage de sécurité comportant un élément de verrouillage incliné dans une position de verrouillage pour verrouiller une tige avant de l’accessoire dans la partie crochet du raccord, l’élément de verrouillage étant configuré pour être déplacé en regard de l’inclinaison en position ouverte par la tige avant lorsque le raccord s’engage avec la tige avant, puis se déplacer selon l’inclinaison dans une position verrouillée une fois que la tige avant est entièrement engagée dans la partie crochet;

dans lequel le dispositif de verrouillage de sécurité de la partie crochet est configuré pour libérer la tige avant en la déplaçant en une position déverrouillée à l’aide d’un circuit hydraulique qui fonctionne indépendamment du mécanisme de verrouillage hydraulique de la partie fixation.

[20]  Le litige peut être davantage circonscrit, puisque la seule partie de la revendication 1 à l’égard de laquelle l’interprétation est en litige est ce que les parties ont qualifié de « septième élément ». Bien que la revendication 1 ne compte que cinq paragraphes, les parties considèrent que le quatrième paragraphe comprend trois éléments. Le septième élément correspond donc au dernier paragraphe, qui est rédigé comme suit : [TRADUCTION] « dans lequel le dispositif de verrouillage de sécurité de la partie crochet est configuré pour libérer la tige avant en le déplaçant en une position déverrouillée à l’aide d’un circuit hydraulique qui fonctionne indépendamment du mécanisme de verrouillage hydraulique de la partie fixation ». Selon Cascade, les produits X-LOCK de Kinshofer contiennent tous les éléments essentiels de la revendication 1. De son côté, Kinshofer soutient que, puisque les composantes hydrauliques du coupleur X-LOCK assurent la libération de la tige avant au moyen d’une modulation de pression plutôt que par isolement hydraulique, le circuit hydraulique actionnant le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant du coupleur X-LOCK ne fonctionne pas indépendamment du mécanisme de verrouillage hydraulique de la tige arrière. Par conséquent, affirme Kinshofer, un des éléments essentiels de la revendication 1 est manquant dans le produit X-LOCK.

E.  L’historique des procédures

[21]  La présente action fait l’objet d’une ordonnance de disjonction rendue par le protonotaire Aalto le 11 mai 2015. Les questions que je dois trancher à la suite de l’audience tenue devant moi sont les questions de responsabilité, à savoir :

  1. les revendications 1, 2, 5, 6 et 8 à 13 du brevet ont-elles été contrefaites par Kinshofer?

  2. Kinshofer a-t-elle incité ou amené une autre personne à contrefaire les revendications 1, 2, 5, 6 et 8 à 13 du brevet?

  3. Cascade a-t-elle droit aux réparations qu’elle demande?

[22]  Cascade a soumis les questions de responsabilité à notre Cour par voie de requête en procès sommaire présentée en vertu de l’article 213 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Kinshofer ne s’oppose pas à une décision par voie de procès sommaire, sauf en ce qui concerne l’allégation de contrefaçon ou d’incitation à contrefaire, pour laquelle elle soutient que la preuve présentée à l’égard de cette requête est insuffisante.

[23]  Le dossier présenté à la Cour dans le cadre de cette requête comprend la preuve par affidavits de témoins de fait, les transcriptions des contre-interrogatoires de ces témoins, ainsi qu’un rapport d’expert présenté par chacune des parties relativement à l’interprétation qu’il convient de faire de la revendication 1 et à la question de savoir si les produits X-LOCK contrefont le brevet. Les experts de chacune des parties ont témoigné oralement devant notre Cour, présentant une preuve en interrogatoire principal et faisant l’objet d’un contre-interrogatoire, puis les parties ont présenté leurs observations écrites et orales à l’appui de leurs thèses respectives.

III.  Décision rendue au sujet de la preuve

[24]  Au début de l’instruction de la présente affaire, Kinshofer a demandé à notre Cour l’autorisation de déposer un troisième dossier de requête supplémentaire contenant des documents que Kinshofer a décrits comme mettant à jour l’état de ses demandes de brevet canadien et américain qui faisaient partie du dossier présenté à notre Cour. Dans son affidavit précédemment déposé, Christoph Scholz, un ingénieur travaillant dans le service de recherche et développement de Kinshofer GmbH, a déclaré sous serment que l’entreprise avait déposé ces demandes de brevet concernant la conception des systèmes à deux conduites dans ses produits X-LOCK. M. Scholz avait joint à son affidavit les demandes de brevet américain et canadien en cause ainsi que l’avis d’acceptation correspondant.

[25]  Kinshofer décrit le troisième dossier de requête supplémentaire comme visant à ajouter au dossier une copie du brevet canadien qui lui a été délivré le 5 avril 2016 ainsi que les documents relatifs à l’acceptation de la demande de brevet américain le 27 avril 2016.

[26]  Cascade s’est opposée au dépôt de ces documents, aux motifs que la demande avait été présentée à la dernière minute, que les documents se présentaient sous la forme d’un affidavit sous serment reposant sur des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements – les renseignements ayant été fournis par l’avocat de Kinshofer – et que les documents ne sont pas pertinents. Cascade s’est appuyée sur la décision rendue par notre Cour dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2007 CF 168 [Pfizer], à l’appui de sa thèse.

[27]  Kinshofer a fait valoir que les nouveaux documents sont pertinents à la question du caractère non évident de son invention par rapport au brevet de Cascade, que l’affidavit déposé ne fait qu’attester l’authenticité des documents, et que ces documents n’étaient pas disponibles lorsque les affidavits précédents ont été déposés au dossier.

[28]  Après avoir entendu les arguments à l’audience, j’ai rejeté la requête de Kinshofer de présenter un troisième dossier de requête supplémentaire et indiqué que mes motifs écrits à l’appui de cette décision suivraient. Ces motifs sont les suivants.

[29]  Dans la décision Pfizer, notre Cour a rejeté une requête visant à autoriser le dépôt d’un affidavit complémentaire pour appuyer deux requêtes présentées sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Pour rendre sa décision, le juge Hughes a tenu compte des facteurs à considérer pour autoriser le dépôt de ce type de documents en vertu de l’article 312 des Règles : (i) Cet élément de preuve aurait-il pu être prévu antérieurement? (ii) Cet élément de preuve aidera-t-il la Cour à rendre un jugement définitif? (iii) Le refus de la Cour causerait-il un préjudice important à la partie qui cherche à déposer le document? (iv) Cet élément de preuve servira-t-il l’intérêt de la justice? (v) Cet élément de preuve entraînera-t-il des délais déraisonnables? Le juge Hughes a rejeté la requête essentiellement aux motifs que l’affidavit aurait pu être présenté plus tôt, qu’il constituait une preuve par ouï-dire par un étudiant en droit employé aux bureaux des avocats des demanderesses, et qu’il apportait peu de poids aux arguments présentés relativement aux requêtes principales.

[30]  Je suis d’accord avec l’argument de Kinshofer voulant que la décision Pfizer se distingue d’une certaine manière au motif que les documents que l’on voulait présenter en l’espèce n’étaient pas disponibles avant avril 2016. Cela dit, je partage les préoccupations exprimées par le juge Hughes dans la décision Pfizer sur le fait que l’affidavit est une preuve par ouï-dire et qu’il serait mis en doute puisqu’il repose sur le témoignage d’un membre du cabinet d’avocats représentant la partie qui cherche à déposer le document. Comme le prétend Cascade, l’article 81 des Règles n’autorise pas la présentation d’affidavits reposant sur des renseignements tenus pour véridiques sur la foi de renseignements dans des requêtes en procès sommaire. L’article 82 des Règles interdit également à un avocat de présenter des arguments fondés sur son affidavit sans l’autorisation de la Cour. L’affidavit présenté par Kinshofer a été signé par une secrétaire travaillant dans les bureaux de l’avocat de l’entreprise, selon les renseignements fournis par Christopher Bury, l’un des avocats inscrits au dossier pour Kinshofer en l’espèce.

[31]  Kinshofer a prétendu que l’affidavit sert à authentifier les documents sur le brevet et que le dépôt de ces documents en preuve de cette manière est une pratique qui trouve régulièrement l’appui des parties. Bien que cela puisse être le cas, et bien que notre Cour puisse autoriser l’avocat à débattre une question en s’appuyant sur l’affidavit d’un avocat lorsque celui-ci n’est pas contesté, Cascade s’est opposée à la présentation de l’affidavit en l’espèce, faisant valoir qu’elle n’a pas eu la possibilité de le contre-interroger sur les renseignements contenus dans l’affidavit relativement à l’historique des poursuites visant les brevets.

[32]  Kinshofer n’a pas expliqué pourquoi il était nécessaire de présenter en preuve l’état à jour des brevets canadien et américain d’une manière qui soulève des interrogations aux termes des articles 81 et 82 des Règles, alors qu’elle aurait très bien pu le faire, par exemple, par la présentation d’un affidavit mis à jour de M. Scholz. Je suis également d’avis que la mise à jour de l’état des demandes de brevet, et les documents connexes, ajoutent peu de preuve probante à celle qui est déjà présentée à notre Cour, d’autant plus que le dossier contient déjà l’avis d’acceptation de la demande de brevet canadien de Kinshofer. L’application des critères pertinents à la requête de Kinshofer sous le régime de l’article 312 des Règles n’étaye pas la décision d’autoriser le dépôt de ce troisième dossier de requête supplémentaire.

IV.  Les questions en litige

[33]  Cascade soumet à notre Cour les questions suivantes à trancher :

  1. La présente affaire doit-elle être instruite par voie de procès sommaire?

  2. Kinshofer contrefait-elle les revendications 1, 2, 5, 6 et 8 à 13 du brevet?

  3. Kinshofer a-t-elle incité ou amené d’autres personnes à contrefaire le brevet?

  4. Cascade a-t-elle droit à un jugement déclaratoire, à une injonction, à une saisie-contrefaçon ou à une destruction des produits de contrefaçon, à une indemnisation raisonnable, à des dommages-intérêts ou à une reddition de profits, de dépens et d’intérêts?

[34]  La formulation des questions en litige par Kinshofer nécessite essentiellement les mêmes décisions de la part de notre Cour. Pour les besoins de la présente décision, j’adopte la formulation des questions en litige établie par Cascade.

V.  L’analyse

A.  La présente affaire doit-elle être instruite par voie de procès sommaire?

[35]  Dans une requête en procès sommaire, le paragraphe 216(6) des Règles dispose que si la Cour est convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire, elle peut rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier à moins qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de trancher les questions en litige dans le cadre de la requête. Pour établir s’il y a lieu de tenir un procès sommaire, le tribunal devrait prendre en considération des facteurs tels que le montant en question, la complexité de l’affaire, l’urgence de son règlement, tout préjudice que sont susceptibles de causer les lenteurs d’un procès complet, le coût d’un procès complet en comparaison du montant en question, la marche de l’instance et tous autres facteurs qui s’imposent à l’examen (voir Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga Enterprises (Canada) Inc., 2011 CF 776).

[36]  Cascade soutient que la présente affaire peut être tranchée par voie de procès sommaire, vu que le montant en cause (bien qu’il n’ait pas encore été établi) devrait être symbolique puisque le produit X-LOCK de Kinshofer n’est entré que récemment sur le marché canadien. Cascade soutient qu’une décision rapide par voie de procès sommaire permettra de trancher le litige avant que le produit ne pénètre davantage le marché et que le coût de porter cette affaire jusqu’au procès selon la procédure régulière pourrait excéder de beaucoup le montant accordé au titre des dommages-intérêts ou des pertes de profit qui se seraient accumulés à ce jour. Plus important encore, les parties ont collaboré afin de réduire la complexité et de circonscrire les questions en litige de manière à se concentrer principalement sur l’interprétation d’un seul élément de la revendication 1 du brevet. D’autant plus que, à l’exception de la question de l’incitation à la contrefaçon, les parties conviennent que la présente affaire peut être tranchée par voie de procès sommaire. J’ai peu de difficulté à partager cet avis.

[37]  Vu ma décision sur le fond de la présente affaire, soit que, pour les motifs énoncés ci-dessous, Kinshofer n’a pas contrefait le brevet, je n’ai nul besoin de me prononcer sur la question de l’incitation à la contrefaçon. Il n’est donc pas nécessaire de se pencher sur les prétentions de Kinshofer selon lesquelles la question de l’incitation à la contrefaçon ne peut pas être tranchée par voie de procès sommaire.

B.  Kinshofer contrefait-elle les revendications 1, 2, 5, 6 et 8 à 13 du brevet?

(1)  Principes d’interprétation d’un brevet

[38]  Bien que les parties s’entendent pour l’essentiel sur les principes applicables à l’interprétation des revendications contenues dans un brevet, elles divergent dans une certaine mesure quant à la question de savoir si leurs experts respectifs ont appliqué correctement ces principes. Il est donc utile d’examiner brièvement les principes applicables, en commençant par le résumé suivant présenté au paragraphe 31 de l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 [Free World Trust] :

a) La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

b) Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.

c) La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.

d) Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.

e) Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

(i) en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

(ii) à la date à laquelle le brevet est publié;

(iii) selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

(iv) conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

(v) mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

f) Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

[39]  Le rôle des experts lorsqu’ils aident la Cour à interpréter des revendications est bien résumé au paragraphe 74 de l’arrêt Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par action simplifiée, 2013 CAF 219 [Eurocopter] :

Comme il a été déclaré au par. 53 de l’arrêt Whirlpool, les mots utilisés dans un brevet doivent être examinés et compris « du point de vue et à la lumière des connaissances usuelles du travailleur moyennement versé dans le domaine auquel le brevet a trait ». Cette approche permet au lecteur d’apprécier la nature et la description de l’invention sur le plan technique. Le juge peut donc être assisté par des témoins experts lorsqu’il interprète les revendications. Il n’est cependant pas lié par l’opinion des experts. L’évaluation de la preuve d’expert par un juge, est une conclusion de fait qui ne sera pas infirmée en appel, sauf erreur manifeste et dominante : Halford c. Seed Hawk Inc. 2006 CAF 275, 54 C.P.R. (4th) 130, au par. 11; Weatherford, au par. 24.

[40]  Comme il sera expliqué plus en détail ci-après, chacune des parties conteste la manière et la mesure selon laquelle l’expert de la partie adverse a pris en considération la partie divulgation du brevet en formulant son interprétation des revendications. Le rôle de la divulgation dans l’interprétation des revendications est résumé au paragraphe 37 de l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2002 CAF 309 [Schmeiser] (modifiée sur d’autres points dans l’arrêt 2004 CSC 34) :

Il est également bien établi qu’en interprétant les revendications d’un brevet, (1) on peut se reporter à la partie divulgation du mémoire descriptif pour mieux comprendre les termes employés dans les revendications; (2) il n’est pas nécessaire de s’y référer lorsque l’énoncé de la revendication est clair et non équivoque; et (3) on ne peut à bon droit y avoir recours pour modifier la portée des revendications : Dableh c. Ontario Hydro (C.A.), [1996] 3 C.F. 751, paragraphe 30, autorisation de pourvoi refusée, [1996] A.C.S. no 441 (QL).

[41]  Chacune des parties a étayé ses prétentions à ce sujet en invoquant la décision rendue par notre Cour dans Janssen-Ortho Inc. c. Canada (Santé), 2010 CF 42 [Janssen-Ortho], dans laquelle le juge Zinn a expliqué le lien entre la divulgation et les revendications d’un brevet comme suit aux paragraphes 119 et 120 :

119  Je ne pense pas que la Cour suprême du Canada ait dit que, dans tous les cas, la divulgation doit être examinée avant que l’on procède à l’interprétation des revendications du brevet. J’estime plutôt qu’elle a indiqué, dans Whirlpool et Free World Trust, qu’il ne faut pas tirer une conclusion définitive concernant le sens des termes employés dans les revendications sans avoir d’abord vérifié le bien-fondé de l’interprétation initiale à l’aide de la divulgation. Il convient alors de recourir au sens attribué aux termes dans la divulgation si celle-ci semble suggérer une autre interprétation des termes contenus dans les revendications, à la condition cependant que l’invention qui est protégée soit bien ce qui est décrit dans les revendications et que la divulgation n’y ajoute rien. Comme le juge Taschereau l’a dit dans Metalliflex Ltd. c. Rodi & Wienenberger Aktiengesellschaft, [1961] R.C.S. 117, à la page 122 :

[traduction] On doit naturellement interpréter les revendications en se reportant à l’ensemble du mémoire descriptif, qui peut donc être consulté pour faciliter la compréhension et l’interprétation d’une revendication, mais on ne peut pas permettre que le breveté élargisse la portée de son monopole décrit expressément dans les revendications « en empruntant tel ou tel élément à d’autres parties du mémoire descriptif ».

[Non souligné dans l’original.]

L’un des avocats de Novopharm, Me Stainsby, a énoncé ce principe de manière plus imagée lorsqu’il a dit, au cours de sa plaidoirie, que [traduction] « la jurisprudence ne permet pas à une partie de se servir de la divulgation comme un cheval partant à l’aventure, la bride sur le cou et sans cavalier ». Je suis aussi de cet avis.

120  L’interprétation des revendications a pour but, au bout du compte, de déterminer ce qui se trouve dans le jardin entouré de la clôture construite par l’inventeur. Se balader loin du jardin pour cueillir des tournesols et des pétunias, puis affirmer que le jardin en est un de fleurs, alors que quiconque se trouve dans le jardin ne voit que des zinnias rouges, montre pourquoi on doit d’abord avoir une idée de l’étendue du jardin à partir de l’intérieur avant de se promener dans les champs avoisinants pour obtenir la confirmation de la nature du jardin ou pour mieux connaître celle-ci. Sans une vue initiale du jardin, on pourrait se servir des fleurs qui poussent à l’extérieur de celui-ci pour décrire ce qui pousse à l’intérieur. En résumé, on ne devrait pas se servir de la divulgation comme un cheval partant à l’aventure, la bride sur le cou et sans cavalier; il faut disposer d’un guide que l’on obtient en examinant d’abord toutes les revendications du brevet.

[42]  C’est dans ce contexte jurisprudentiel qu’il faut examiner le témoignage d’expert de chacune des parties.

(2)  Le témoignage de l’expert de Cascade

[43]  Cascade s’appuie sur le témoignage de John E. Johnson, un ingénieur mécanique agréé dans l’état de l’Oregon. M. Johnson compte une quarantaine d’années d’expérience dans la conception, l’essai et l’évaluation d’équipement industriel utilisant la force hydraulique. Il travaille actuellement comme consultant dans une entreprise privée. Cascade a présenté M. Johnson comme un expert dans le domaine des composantes et des systèmes hydrauliques et mécaniques ainsi que comme un expert dans le domaine des systèmes électriques, dans la mesure où ils concernent des composantes et des systèmes hydrauliques et mécaniques. Notre Cour a accepté ce témoin à l’audience.

[44]  Le rapport de M. Johnson décrit l’étendue de sa mission et les documents qu’il a examinés pour tirer ses conclusions. Son rapport dresse un aperçu de l’historique des dispositifs de verrouillage de sécurité et des raccords rapides, décrit les qualifications et les connaissances générales courantes que doit posséder selon lui la personne versée dans l’art [PVA] à laquelle s’adresse le brevet, présente son interprétation proposée des revendications contenues dans le brevet du point de vue de la PVA, puis analyse les produits X-LOCK de Kinshofer pour déterminer s’ils contiennent tous les éléments essentiels des revendications interprétées.

[45]  L’interprétation qu’a faite M. Johnson des revendications rejoint celle de l’expert de Kinshofer (exposée en détail ci-après), à l’exception du septième élément de la revendication 1. Par souci de commodité, le septième élément de la revendication 1 est libellé ainsi :

dans lequel le dispositif de verrouillage de sécurité de la partie crochet est configuré pour libérer la tige avant en la déplaçant en une position déverrouillée à l’aide d’un circuit hydraulique qui fonctionne indépendamment du mécanisme de verrouillage hydraulique de la partie fixation.

[46]  M. Johnson interprète cet élément comme suit :

[traduction] Ce passage énonce clairement qu’un circuit hydraulique amène l’élément de verrouillage situé sur la partie crochet en position déverrouillée.

Ce circuit hydraulique fonctionnerait indépendamment du mécanisme de verrouillage situé sur la partie fixation, plutôt qu’indépendamment du circuit hydraulique qui fait partie du mécanisme de verrouillage.

Cela signifie clairement qu’il y a absence d’une séquence mécanique entre le dispositif de verrouillage de sécurité et le mécanisme de verrouillage hydraulique [que l’on retrouvait assez couramment dans l’art antérieur menant à la présente invention], c’est-à-dire que le circuit hydraulique exécute la fonction de déverrouillage sans tenir compte du mouvement du mécanisme de verrouillage.

[47]  M. Johnson a ensuite comparé cet élément de la revendication 1 aux coupleurs X-LOCK et constaté dans la notice d’utilisation du fabricant que le système de sécurité X-LOCK fonctionne indépendamment du verrou principal. Il a enfin exposé ses propres conclusions concernant les coupleurs X-LOCK, qui vont comme suit :

[TRADUCTION

  1. Le circuit hydraulique qui permet de retirer la tige avant fonctionne indépendamment du circuit hydraulique qui déplace le dispositif de verrouillage de la tige arrière;

  2. La conduite hydraulique qui mène au vérin du volet de sécurité de la tige avant est isolée hydrauliquement du circuit hydraulique de l’élément de fixation de la tige arrière grâce à une soupape de commutation par pression;

  3. L’isolement hydraulique des deux circuits empêche tout flux hydraulique opérationnel ou toute défaillance (p. ex. une fuite) dans un circuit d’affecter l’autre circuit, formant ainsi des circuits qui fonctionnent indépendamment l’un de l’autre.

[48]  Pour tirer sa conclusion exprimée à la fin de son rapport, selon laquelle les coupleurs X-LOCK contiennent tous les éléments essentiels revendiqués dans le brevet, M. Johnson affirme que les deux versions des coupleurs X-LOCK utilisent des circuits hydrauliques qui fonctionnent de façon indépendante afin d’isoler le fonctionnement du vérin hydraulique à la tige avant du fonctionnement du circuit hydraulique à la tige arrière.

[49]  À l’audience, M. Johnson a apporté une preuve directe conforme à son rapport et a été contre-interrogé. Les parties ont également confirmé qu’il était dans leur intention que les rapports d’expert soient considérés comme ayant été consignés en preuve, et notre Cour a donné son autorisation à cet effet.

(3)  Le témoignage de l’expert de Kinshofer

[50]  Kinshofer s’est appuyé sur le témoignage de Peter J. Weller, un ingénieur mécanique agréé en Californie. M. Weller compte 45 années d’expérience dans les domaines de l’ingénierie et de la fabrication, y compris la fabrication d’accessoires pour les machines de travail agricole, et 14 années d’expérience dans le domaine du génie judiciaire et du témoignage d’expert. Il possède actuellement une firme d’ingénieurs-conseils. Kinshofer a présenté M. Weller comme un expert en génie mécanique et en hydraulique possédant de l’expérience dans l’ingénierie et la fabrication, notamment la fabrication d’accessoires pour les machines de travail agricole. Notre Cour a accepté ce témoin à l’audience.

[51]  À l’instar de M. Johnson, le rapport de M. Weller décrit l’étendue de sa mission et les documents qu’il a examinés pour tirer ses conclusions. Son rapport présente l’historique des raccords rapides et leurs dispositifs de verrouillage de sécurité, en mettant l’accent sur les brevets dans l’art antérieur, et présente la compréhension qu’aurait une personne versée dans l’art [PVA] à laquelle s’adresse le brevet des termes employés dans le brevet et dans son rapport, et s’attarde de façon plus générale sur les systèmes hydrauliques. (Bien que M. Weller définit la PVA comme la « personne qualifiée », je continuerai d’employer le terme « PVA » dans les présents motifs.) M. Weller, dans son rapport, examine la partie divulgation du brevet, expliquant la compréhension qu’en aurait la PVA, puis expose son avis sur la compréhension qu’aurait la PVA des revendications contenues dans le brevet, en expliquant en quoi il est d’accord ou en désaccord avec l’interprétation proposée par M. Johnson dans son rapport.

[52]  L’interprétation proposée par M. Weller de la revendication 1 fait en sorte qu’elle ne contredit pas celle de M. Johnson, sauf en ce qui concerne le septième élément de cette revendication 1. À cet égard, je résume les conclusions de M. Weller de la façon suivante :

  1. La PVA comprendrait que le « mécanisme de verrouillage hydraulique de la partie fixation » désigne le verrou utilisé pour la tige arrière et le système hydraulique qui l’actionne, ce qui comprend le distributeur, les deux conduites hydrauliques qui partent du distributeur dans le corps de l’excavatrice jusqu’au raccord, le vérin hydraulique à double action qui déploie et rétracte la composante cunéiforme qui empêche le retrait de la tige arrière, et la valve anti-retour à commande par pilote qui est fixée au vérin;

  2. Le terme « circuit hydraulique » est quelque peu ambigu. Cela dit, dans le contexte du brevet, la PVA comprendrait que le « circuit hydraulique » pour le verrou de la tige avant comprend le vérin hydraulique de type simple effet qui rétracte le verrou de la tige avant, le distributeur qui actionne le vérin, et la conduite hydraulique simple qui part du corps de l’excavatrice pour se rendre jusqu’au raccord afin de faire circuler dans les deux sens le fluide hydraulique dans le vérin;

  3. Étant donné que la revendication 1 précise que les deux systèmes hydrauliques fonctionnent indépendamment l’un de l’autre, la PVA comprendrait qu’ils disposent de conduites, de soupapes, de vérins et de composantes hydrauliques distincts leur permettant de fonctionner de façon indépendante. On entend par « fonctionnement hydraulique indépendant » le fait que chaque système hydraulique peut exécuter les fonctions pour lesquelles il a été conçu, peu importe l’état ou les fonctions de l’autre système hydraulique;

  4. M. Weller formule ensuite des commentaires sur l’interprétation du septième élément de la revendication 1 présentée par M. Johnson dans son rapport. La première phrase de l’interprétation de M. Johnson précise :

[traduction] Ce passage énonce clairement qu’un circuit hydraulique amène l’élément de verrouillage situé sur la partie crochet en position déverrouillée.

D’après ce que M. Weller comprend de l’interprétation de M. Johnson, ce dernier affirme que le verrou de la tige avant est actionné hydrauliquement, et il partage cette interprétation;

  1. M. Weller fait référence à la deuxième phrase de l’interprétation qu’a proposée M. Johnson du septième élément de la revendication 1, qui est rédigée comme suit :

[traduction] Ce circuit hydraulique fonctionnerait indépendamment du mécanisme de verrouillage situé sur la partie fixation, plutôt qu’indépendamment du circuit hydraulique qui fait partie du mécanisme de verrouillage.

M. Weller décrit cette interprétation comme signifiant que la revendication 1, en définissant le fonctionnement indépendant du verrou de la tige avant, exclut les composantes hydrauliques du système qui verrouille la tige arrière. En désaccord sur ce point avec M. Johnson, il conclut que la PVA interpréterait l’expression « mécanisme de verrouillage hydraulique » comme représentant les composantes hydrauliques qui déploient et rétractent la composante mécanique, ainsi que la composante mécanique en tant que telle. M. Weller affirme que la divulgation du brevet confirme cette définition, puisqu’il y est expliqué le problème d’interférence hydraulique entre les composantes hydrauliques du verrou de la tige arrière et du verrou de la tige avant et qu’il y est décrit comment ce problème est évité grâce à la séparation des deux systèmes hydrauliques;

  1. M. Weller examine ensuite la troisième phrase de l’interprétation qu’a présentée M. Johnson du septième élément de la revendication 1, qui est formulée comme suit :

[traduction] Cela signifie clairement qu’il y a absence d’une séquence mécanique entre le dispositif de verrouillage de sécurité et le mécanisme de verrouillage hydraulique [que l’on retrouvait assez couramment dans l’art antérieur menant à la présente invention], c’est-à-dire que le circuit hydraulique exécute la fonction de déverrouillage sans tenir compte du mouvement du mécanisme de verrouillage. »

Selon M. Weller, la PVA comprendrait cette phrase comme signifiant que l’invention résout le problème que l’on retrouvait parfois dans l’art antérieur lorsque des systèmes de liaison mécaniques sont installés entre les systèmes de verrouillage des tiges avant et arrière. Puisque l’invention ne comprend aucun système de liaison mécanique, mais plutôt deux circuits indépendants l’un de l’autre permettant d’actionner hydrauliquement les deux verrous, M. Weller convient que l’invention parviendra à le résoudre;

  1. Toutefois, M. Weller invoque également le septième élément de la revendication 1 comme introduisant un concept qui, au moment de la publication du brevet, était nouveau dans le domaine des raccords rapides destinés aux machines de travail agricole, soit des circuits hydrauliques indépendants l’un de l’autre destinés à actionner les mécanismes de verrouillage des tiges avant et arrière. Selon lui, la PVA déduira de cette indépendance entre les deux circuits hydrauliques qu’il n’est plus nécessaire d’avoir une liaison mécanique entre les deux verrous et que l’opérateur de l’excavatrice peut actionner les deux systèmes de verrouillage séparément. M. Weller se reporte à la description d’une réalisation préférentielle qui se trouve dans la partie divulgation du brevet pour illustrer son interprétation et indiquer l’intention de l’inventeur, faisant remarquer que la divulgation précise que les conduites hydrauliques qui se rendent jusqu’aux deux vérins sont séparées, conférant l’avantage que, en cas de défaillance du joint dans le vérin qui actionne le verrou de la tige, cela n’a aucune incidence sur le mécanisme de verrouillage de la tige arrière.

[53]  M. Weller analyse ensuite les produits X-LOCK de Kinshofer afin de les comparer au septième élément de la revendication 1 du brevet, et formule des commentaires sur les conclusions de M. Johnson relativement à la comparaison qu’il avait effectuée. Les conclusions de M. Weller peuvent être résumées comme suit :

  1. Le fonctionnement des coupleurs X-LOCK repose sur le principe de la modulation de pression et non sur la séparation des fluides comme cela est le cas dans le brevet;

  2. Le coupleur X-LOCK dépend de l’état des composantes hydrauliques dans l’ensemble du système hydraulique. Contrairement au brevet, il n’y a aucune indépendance de l’alimentation hydraulique;

  3. Les coupleurs X-LOCK ne nécessitent que deux conduites hydrauliques qui partent du corps de l’excavatrice et se rendent jusqu’à la flèche de la pelle et au raccord, tandis que l’invention visée dans le brevet nécessite trois conduites pour assurer la séparation de l’alimentation hydraulique prévue à la revendication 1 du brevet;

  4. Soulignant le renvoi de M. Johnson à la notice d’utilisation des coupleurs X-LOCK, qui énonce que le verrou de la tige avant du coupleur X-LOCK fonctionne séparément du verrou de la tige arrière, M. Weller affirme qu’il s’agit d’une consigne à l’intention de l’opérateur pour manier le raccord, et non d’une explication des principes d’ingénierie utilisés dans sa conception. Tandis que les deux inventions divulguées dans le brevet et les coupleurs X-LOCK peuvent fonctionner séparément, les systèmes qui déploient et rétractent les verrous des tiges avant et arrière sont indépendants l’un de l’autre seulement dans le cas de l’invention visée dans la divulgation du brevet;

  5. Citant l’affirmation de M. Johnson selon laquelle la conduite comprise dans les coupleurs X-LOCK qui se rend jusqu’au vérin de verrouillage de la tige avant en passant par la soupape de pression [traduction] « fonctionne indépendamment du circuit hydraulique qui déplace le dispositif de verrouillage de la tige arrière », M. Weller observe qu’il est impossible pour cette conduite d’alimenter le vérin du verrou de la tige avant sans recevoir une pression élevée de l’une des conduites hydrauliques reliées au vérin commandant le verrou de la tige arrière. La conduite qui alimente le vérin du verrou de la tige avant dépend donc fortement du fonctionnement du système hydraulique du verrou de la tige arrière;

  6. Invoquant l’affirmation de M. Johnson selon laquelle la conduite hydraulique qui mène au vérin du verrou de la tige avant est isolée hydrauliquement par rapport au circuit hydraulique du vérin de l’élément de fixation de la tige arrière grâce à une soupape de commutation par pression dans les coupleurs X-LOCK, M. Weller affirme que cette affirmation est fausse. Par exemple, il mentionne que, lorsque la soupape de pression est ouverte, la conduite qui mène au vérin du verrou de la tige avant transporte un fluide à haute pression à partir des conduites reliées au vérin du verrou de la tige arrière jusqu’au vérin du verrou de la tige avant;

  7. Concernant l’affirmation de M. Johnson selon laquelle l’isolement hydraulique des deux circuits dans les coupleurs X-LOCK empêche tout flux hydraulique opérationnel ou toute défaillance (p. ex. une fuite) dans un circuit d’affecter l’autre circuit, constituant ainsi des circuits fonctionnant indépendamment l’un de l’autre, M. Weller est d’avis qu’elle est inexacte. Il n’est pas d’accord que les conduites hydrauliques dans les coupleurs X-LOCK sont isolées l’une de l’autre, et il donne des exemples de fuite qui pourraient survenir. Il souligne toutefois qu’en pareil cas, il n’y aurait pas rétraction du verrou de la tige avant, en raison de l’absence de séquencement mécanique entre les deux verrous et du fait que les soupapes de surpression en amont dans le circuit hydraulique limitent la pression du fluide en deçà de la pression d’ouverture de la soupape de pression, empêchant ainsi le fluide de se rendre jusqu’au vérin du verrou de la tige avant. Par conséquent, les coupleurs X-LOCK évitent la libération involontaire de la tige avant par la modulation de la pression, et non par l’isolement de la conduite d’alimentation;

  8. Enfin, M. Weller ne souscrit pas à la conclusion de M. Johnson selon laquelle les coupleurs X-LOCK [traduction] « utilisent des circuits hydrauliques qui fonctionnent de façon indépendante », affirmant que les produits conçus par Kinshofer n’ont qu’un seul système d’alimentation en fluide, les deux conduites allant du corps de l’excavatrice jusqu’à l’extrémité de la flèche étant utilisées ensemble pour tous les modes de fonctionnement des verrous des tiges avant et arrière.

[54]  M. Weller termine son rapport en tirant les conclusions suivantes :

  1. Tant les coupleurs X-LOCK que l’invention décrite dans le brevet éliminent la nécessité de séquencement mécanique entre les systèmes de verrouillage des tiges avant et arrière, réglant le problème que l’on retrouvait dans certaines inventions de l’art antérieur qui comprenaient un tel séquencement mécanique;

  2. Le brevet fait appel au concept d’isolement hydraulique pour empêcher toute interférence entre les caractéristiques hydrauliques actionnant les verrous des tiges avant et arrière. La PVA comprendrait que cela signifie que les conduites hydrauliques reliées aux actionneurs de verrouillage des tiges avant et arrière sont entièrement séparées. La réalisation préférentielle décrite dans le brevet est conforme à cette compréhension;

  3. Les coupleurs X-LOCK n’utilisent qu’un seul circuit hydraulique pour actionner les systèmes de verrouillage des tiges avant et arrière qui bifurque vers chaque système d’actionneur linéaire. Ils utilisent également la modulation de pression pour commander le flux de fluide vers la section de la conduite effectuant la rétractation du verrou de la tige avant;

  4. Les deux concepts de séparation du comportement mécanique des systèmes de verrouillage des tiges avant et arrière sont différents l’un de l’autre, et les coupleurs X-LOCK ne contrefont pas le brevet.

[55]  À l’audience, M. Weller a apporté une preuve directe conforme à son rapport et a été contre-interrogé.

(4)  L’analyse des témoignages d’expert et interprétation du brevet

[56]  Chacune des parties a avancé divers arguments pour démontrer la raison pour laquelle le témoignage de l’expert de la partie adverse devrait être écarté tandis que le témoignage de son propre expert devrait être retenu. L’un des principaux arguments exposés par les deux parties est que l’expert de l’autre partie, dans son interprétation du septième élément de la revendication 1, a commis une erreur dans la manière dont il a traité la partie divulgation du brevet. Après avoir examiné ces arguments, le témoignage des experts et la jurisprudence applicable, des questions, semblables à celles exprimées par le juge Zinn dans la décision JanssenOrtho, se posent à moi à l’égard de l’analyse effectuée par chacun des experts en l’espèce.

[57]  Dans la décision Janssen-Ortho, le juge explique que le libellé des revendications contenues dans un brevet devrait être examiné avant d’anticiper les effets, le cas échéant, de la divulgation sur l’interprétation des revendications. Dans cette affaire, le juge Zinn a conclu que les experts des demanderesses ne s’étaient pas fait une idée sur le sens des revendications avant de consulter la divulgation. En l’espèce, M. Weller consacre une bonne partie de son rapport à examiner et à analyser les sections du brevet réservées à la divulgation, notamment l’éventuelle compréhension par la PVA de la divulgation, avant de se pencher sur le libellé de la revendication et d’examiner comment une PVA le comprendrait.

[58]  J’aurais préféré que l’expert s’attarde davantage sur le sens des revendications contenues dans le brevet avant d’interpréter la divulgation, de manière à s’assurer de respecter les principes jurisprudentiels s’appliquant à l’interprétation d’une revendication. Toutefois, après avoir examiné le contenu de l’analyse réalisée par M. Weller, contrairement à la structure de son rapport, je conclus que son analyse respecte suffisamment ces principes. Il est inutile de se référer à la partie divulgation du brevet lorsque l’énoncé de la revendication est clair et non équivoque (voir Schmeiser). Cependant, M. Weller a rapidement conclu dans son analyse de l’interprétation du septième élément de la revendication 1 que la définition du terme « circuit hydraulique » était, en soi, quelque peu ambiguë (ayant auparavant défini ce terme de façon générale comme étant un ensemble de composantes hydrauliques par lesquelles circule le fluide hydraulique). Je souscris à la conclusion de M. Weller quant à l’ambiguïté de ce terme. Il pouvait donc se reporter à la divulgation pour l’aider à en comprendre le sens. M. Weller conclut que la PVA, dans le contexte de ce brevet, comprendrait que ce terme désigne le vérin hydraulique qui rétracte le verrou de la tige avant, le distributeur qui commande le vérin et la conduite hydraulique qui part du corps de l’excavatrice pour se rendre jusqu’au raccord afin d’alimenter bilatéralement le fluide hydraulique dans le vérin.

[59]  Le sens de l’expression [traduction] « mécanisme de verrouillage hydraulique de la partie fixation », telle qu’employée dans le septième élément de la revendication 1, est essentiel à l’interprétation du brevet. M. Weller ne conclut pas expressément que cette expression est ambiguë avant de se référer à la divulgation pour l’aider à l’interpréter. À mon avis cependant, cette expression telle qu’elle est utilisée dans le libellé de la revendication est ambiguë, plus précisément en ce qui concerne l’importance du terme « hydraulique » dans cette expression.

[60]  Pour tirer cette conclusion, j’ai pris en considération la thèse de Cascade selon laquelle le troisième paragraphe de la revendication 1 aide à interpréter cette expression. Ce paragraphe est libellé comme suit : « une partie fixation orientée vers le bas positionnée près de l’une des extrémités du raccord, comprenant un mécanisme de verrouillage hydraulique permettant de verrouiller une tige arrière de l’accessoire à la partie fixation ». Cascade fait valoir que ce paragraphe indique que [traduction] « le mécanisme de verrouillage hydraulique » est positionné près de l’une des extrémités du raccord, c’est-à-dire que cette expression ne vise pas à inclure le circuit hydraulique alimentant le mécanisme de verrouillage, puisque ce circuit comprend des composantes hydrauliques situées dans la flèche et la cabine de l’opérateur de l’excavatrice. Je suis d’accord avec Cascade que cette thèse favorise son interprétation, c’est-à-dire que l’expression « mécanisme de verrouillage hydraulique » désigne le mécanisme de verrouillage lui-même, lequel est actionné hydrauliquement, mais pas le circuit qui alimente cet actionnement. Néanmoins, je ne considère pas que cette thèse soit décisive pour l’interprétation, au point d’éliminer toute ambiguïté dans l’expression.

[61]  En concluant ainsi, je constate que le propre expert de Cascade semble reconnaître que cette expression englobe, au moins dans une certaine mesure, les composantes hydrauliques qui actionnent le mécanisme de verrouillage. Dans la partie de son rapport décrivant la PVA, M. Johnson présente le brevet comme suit :

[traduction] Le brevet 065 décrit et concerne un couplage rapide comportant une retenue à verrouillage automatique de la tige avant, qui est déverrouillée à l’aide d’un circuit hydraulique fonctionnant indépendamment du mécanisme de verrouillage et du système hydraulique de la tige arrière, réduisant ainsi considérablement le risque qu’un accessoire soit mal fixé. [Non souligné dans l’original.] 

[62]  M. Johnson n’a pas expliqué ce qu’il entendait par l’expression « système hydraulique ». Toutefois, son interprétation du brevet en l’espèce permet de conclure que l’interprétation proposée par Kinshofer, selon laquelle l’expression « mécanisme de verrouillage hydraulique » englobe à la fois les composantes mécaniques du mécanisme de verrouillage de la tige arrière et le circuit hydraulique qui les actionne, est à tout le moins discutable. À mon avis, puisqu’il est impossible de saisir entièrement le sens à l’aide du seul libellé de la revendication du brevet, il est autorisé, voire nécessaire, de se référer à la divulgation pour interpréter correctement le brevet.

[63]  Dans son analyse de la divulgation, M. Weller se penche sur le problème d’interférence hydraulique entre les composantes hydrauliques du verrou de la tige arrière et du verrou de la tige avant et sur la manière dont ce problème est évité en séparant les deux systèmes hydrauliques. Il cite l’extrait suivant de la partie de la divulgation intitulée [traduction] « Description détaillée des réalisations préférentielles de l’invention » :

[traduction] Ainsi, le circuit hydraulique destiné au dispositif de verrouillage de sécurité (tige avant) est indépendant du circuit hydraulique servant à actionner le piston 16 du mécanisme de verrouillage du couplage rapide (verrou de la tige arrière). Par conséquent, toute défaillance dans le circuit hydraulique, par exemple une défaillance du joint 38 dans le piston 36 (la tige du vérin hydraulique qui se trouve dans le système de verrouillage de la tige avant), n’aura aucun effet sur le mécanisme de verrouillage du couplage rapide.

[64]  Je souligne que les précisions indiquées entre parenthèses dans la citation ci-dessus sont des ajouts de M. Weller, qui, j’en conviens, traduisent fidèlement les composantes auxquelles l’extrait se rapporte. S’appuyant sur cette citation, M. Weller affirme que la divulgation explique comment l’invention empêche les interférences entre les deux circuits hydrauliques qui se trouvent dans les mécanismes de verrouillage des tiges avant et arrière. Il souligne que la divulgation indique expressément que ce sont les deux circuits hydrauliques qui sont indépendants et que la divulgation utilise le terme « mécanisme de verrouillage » pour inclure les composantes hydrauliques qui actionnent les composantes mécaniques du système de verrouillage de la tige arrière.

[65]  L’analyse du septième élément de la revendication 1 par M. Weller, et les commentaires qu’il a formulés à l’égard de l’interprétation de M. Johnson, reposent également sur une affirmation tirée de la divulgation du brevet, toujours sous la rubrique [traduction] « Description détaillée des réalisations préférentielles de l’invention », voulant que les conduites d’alimentation hydrauliques reliées aux deux vérins (c.-à-d. les vérins qui actionnent les deux mécanismes de verrouillage) sont séparées.

[66]  Ce recours à la divulgation est ce qui distingue le rapport de M. Weller de celui de M. Johnson, où il se réfère très peu à la divulgation. M. Johnson, dans son rapport, soutient avoir examiné le brevet dans son ensemble. De plus, il a expliqué lors de son témoignage en interrogatoire principal présenté de vive voix qu’il avait interprété les revendications contenues dans le brevet en lisant tout d’abord le brevet du début à la fin afin d’en comprendre la teneur. Il a ensuite déclaré qu’il avait examiné plus attentivement les revendications afin d’en faire ressortir les nouvelles caractéristiques revendiquées par le brevet et de saisir en quoi consiste cette nouvelle invention, pour enfin revenir aux parties descriptives et schématiques du brevet permettant de faire le lien avec les revendications du brevet. M. Johnson a affirmé que la description ne définit pas le brevet, mais qu’elle aide à en comprendre la teneur.

[67]  Je n’ai rien à reprocher à M. Johnson concernant la méthode qu’il a utilisée pour interpréter le brevet. Néanmoins, l’analyse de M. Johnson ne me convainc pas qu’il a bel et bien tenu compte de la partie divulgation du brevet, ou qu’il l’a fait dans une mesure suffisante, en formulant son interprétation du libellé de la revendication.

[68]  Selon la conclusion tirée par M. Johnson, le libellé du septième élément de la revendication 1 implique clairement l’absence d’une séquence mécanique entre le dispositif de verrouillage de sécurité et le mécanisme de verrouillage hydraulique; en d’autres termes, le circuit hydraulique exécute la fonction de déverrouillage sans égard au mouvement du mécanisme de verrouillage. Il indique par ailleurs que la séquence mécanique est relativement répandue dans l’art antérieur ayant mené à l’invention. Je note que les parties semblent admettre qu’une telle séquence mécanique était une lacune dans l’art antérieur à laquelle était censée remédier l’invention divulguée dans le brevet. Cet aspect de l’art antérieur est expressément décrit dans la partie divulgation du brevet intitulée « Historique de l’invention », qui porte sur les inconvénients de dispositifs de sécurité connus.

[69]  Cependant, la même section du brevet décrit également le problème constaté sur plusieurs dispositifs de verrouillage de sécurité connus, soit que ceux-ci sont commandés par le circuit hydraulique qui actionne le mécanisme de verrouillage principal. On y explique qu’une défaillance dans le circuit hydraulique d’un mécanisme de verrouillage peut entraîner une défaillance dans l’autre mécanisme de verrouillage, ce qui pourrait donner lieu à un résultat catastrophique si une telle défaillance devait entraîner le décrochage de l’accessoire du couplage rapide. En guise d’exemple, le brevet décrit ce qui se passerait en cas de défaillance du joint se trouvant dans le piston de l’un des dispositifs de verrouillage qui donnerait lieu à une dérivation du fluide hydraulique. J’en déduis qu’il s’agit du problème que M. Weller a appelé [traduction] « interférence hydraulique » (bien que ce terme ne soit pas employé dans le brevet).

[70]  En bref, le brevet fait état de lacunes dans l’art antérieur causées tant par des dépendances mécaniques qu’hydrauliques entre les mécanismes de verrouillage des deux tiges. M. Johnson, dans son interprétation du brevet, tient compte de la première de ces dépendances, mais pas de la deuxième. Il ne tient pas non plus compte des descriptions des réalisations préférentielles du brevet, lesquelles, comme il a été mentionné dans l’analyse détaillée effectuée précédemment du rapport de M. Weller, mettent également en évidence l’indépendance entre les circuits hydrauliques des deux mécanismes de verrouillage. Comme l’a noté le juge au paragraphe 119 de la décision Janssen-Ortho, il ne faut pas tirer une conclusion définitive concernant le sens des termes employés dans les revendications sans avoir d’abord vérifié le bien-fondé de l’interprétation initiale à l’aide de la divulgation.

[71]  En résumé, les deux experts se sont écartés de ce que je décrirais comme étant le parfait respect des principes applicables à l’interprétation des revendications d’un brevet. Néanmoins, j’estime que la méthode de M. Weller est la meilleure des deux, puisqu’elle tient compte de l’identification du problème dans la divulgation du brevet concernant la dépendance hydraulique entre les deux systèmes de verrouillage dans l’art antérieur ainsi que de l’explication, qui se trouve elle aussi dans la divulgation, de la manière dont la réalisation préférentielle du brevet permet de résoudre ce problème. Cette information est selon moi nécessaire pour interpréter le libellé ambigu du septième élément de la revendication 1. Je suis conscient qu’on ne peut se reporter à la divulgation pour modifier la portée des revendications (voir Schmeiser). Cependant, je ne considère pas que l’analyse de M. Weller est contraire à ce principe, puisque l’expression [traduction] « mécanismes de verrouillage hydraulique » est tirée directement du libellé de la revendication et que c’est le terme « hydraulique » dans cette expression qui est visé par cette analyse.

[72]  En privilégiant l’interprétation de M. Weller par rapport à celle de M. Johnson, je sais que notre Cour n’est pas tenue de choisir entre les interprétations présentées par les experts et devrait plutôt, à l’aide du témoignage des experts, tirer ses propres conclusions quant à l’interprétation à donner (voir Eurocopter). J’ai ainsi examiné certains autres arguments soulevés par Cascade en réponse au témoignage de M. Weller.

[73]  Cascade souligne que M. Weller reconnaît que les deux inventions divulguées dans le brevet et les coupleurs X-LOCK peuvent fonctionner de façon indépendante, bien qu’il fasse une distinction entre un fonctionnement indépendant du point de vue de l’opérateur dans la cabine et une indépendance du point de vue technique ou des systèmes. Cascade soutient que le libellé de la revendication exige seulement un fonctionnement indépendant, et non des systèmes indépendants.

[74]  M. Weller a bien illustré cette distinction dans son rapport par une analogie avec une cuisinière au gaz. M. Weller explique que le cuisinier peut utiliser l’un ou l’autre des feux de la cuisinière, que ce soit un à la fois ou en combinaison avec les autres. Du point de vue du cuisinier, chaque feu de la cuisinière peut fonctionner de façon indépendante. Toutefois, pour l’ingénieur qui a conçu la cuisinière, les moyens techniques qui font fonctionner les feux peuvent être indépendants ou non. Une façon de concevoir les cuisinières est d’installer une conduite de gaz séparée qui part de la source d’énergie pour se rendre à chaque feu. Une autre façon est d’installer une conduite qui part de la source d’énergie pour se rendre jusqu’à une rampe à gaz située dans la cuisinière qui distribue le gaz de sorte qu’une ligne d’alimentation relie la rampe à gaz à chaque feu. Dans la première conception, les conduites de gaz dans la cuisinière sont indépendantes, tandis que dans la seconde, elles ne le sont pas, même si, pour le cuisinier, les feux semblent fonctionner indépendamment l’un de l’autre.

[75]  En ce qui concerne le libellé de la revendication, le monopole exige [traduction] « [d’utiliser] un circuit hydraulique qui fonctionne indépendamment du mécanisme de verrouillage hydraulique de la partie fixation ». Puisqu’il est possible d’interpréter ce libellé d’une façon qui concorde avec l’un ou l’autre de ces deux types d’indépendance opérationnelle illustrée par l’analogie de la cuisinière au gaz, j’envisage de nouveau de recourir à la partie divulgation du brevet pour résoudre la question. Le problème qui devait être résolu sur les dispositifs de verrouillage connus ainsi que les solutions exposées dans la section du brevet portant sur les réalisations préférentielles ne concernent pas l’indépendance du point de vue d’un opérateur, mais plutôt l’indépendance permettant qu’un dispositif de verrouillage n’ait pas d’incidence sur l’autre dispositif de verrouillage.

[76]  J’estime que cette interprétation est conforme aux définitions offertes par les deux experts à l’égard du libellé [traduction] « fonctionne indépendamment » de la revendication 1. M. Weller affirme que le fonctionnement hydraulique indépendant signifie que chaque système hydraulique peut exécuter les fonctions pour lesquelles il a été conçu, peu importe l’état ou le fonctionnement de l’autre système hydraulique. Il souligne également que M. Johnson, dans son rapport, a donné la définition suivante qui concorde avec cette interprétation :

[traductionFonctionnement indépendant : État dans lequel un composant ou un groupe de composants sont séparés et ne sont pas affectés par le fonctionnement ou l’état d’un autre composant ou groupe de composants. Les composants peuvent être du même type, par exemple hydraulique, mais leur fonctionnement (ou la capacité de fonctionner) de l’un n’est pas conditionné par le fonctionnement de l’autre ni ne dépend de celui-ci.

[77]  Je suis d’accord avec l’opinion de M. Weller selon laquelle ces définitions sont cohérentes et, d’autant plus qu’il s’agit d’un point sur lequel les experts des deux parties semblent s’entendre, je suis d’avis que le témoignage d’expert favorise l’interprétation de M. Weller selon laquelle le septième élément de la revendication 1 nécessite que le circuit hydraulique, qui déplace le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant en position déverrouillée, puisse remplir les fonctions pour lesquelles il a été conçu quel que soit l’état ou le fonctionnement du mécanisme de verrouillage hydraulique de la tige arrière. Cette interprétation repose sur une indépendance systémique plutôt qu’une indépendance du point de vue de l’opérateur.

[78]  Cascade souligne également que M. Weller a admis en contre-interrogatoire que le brevet ne divulgue aucune trajectoire des fluides ni aucun schéma hydraulique et qu’il existe plusieurs configurations possibles des composantes hydrauliques qui permettraient d’atteindre le but décrit dans les revendications. Cascade fait donc valoir que la configuration hydraulique précise employée relativement au dispositif de verrouillage de sécurité est un élément non essentiel de l’invention revendiquée dans le brevet. À cet égard, je suis d’accord avec Cascade que la configuration hydraulique précise n’est pas essentielle. Je tirerais cette conclusion, que j’examine cette question du point de vue de l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, ou du point de vue d’un lecteur averti au moment où le brevet a été publié, selon qu’il était manifeste ou non qu’une variation de la configuration hydraulique modifierait le fonctionnement de l’invention (voir Free World Trust).

[79]  De même, je conclurais qu’il n’est pas nécessaire, aux fins de l’interprétation de la revendication, de relever un ensemble précis de composantes hydrauliques visées par le terme [traduction] « circuit hydraulique » employé dans le libellé du septième élément de la revendication. Je n’accorde pas non plus d’importance à ce qui est apparemment l’innovation commerciale apportée par les produits X-LOCK, soit la capacité d’actionner les mécanismes de verrouillage des deux tiges à l’aide de deux conduites hydrauliques au lieu de trois, de sorte qu’il ne soit pas nécessaire d’installer une troisième conduite le long de la flèche de l’excavatrice.

[80]  En revanche, même si la configuration précise des composantes hydrauliques n’est pas en soi essentielle, je suis d’avis que l’indépendance décrite ci-dessus qui est conférée par les composantes hydrauliques précises constitue un élément essentiel de l’invention divulguée dans le brevet.

[81]  J’analyserais de la même façon la thèse de Cascade voulant que l’interprétation du brevet proposée par M. Weller, selon laquelle les verrous des tiges avant et arrière doivent être actionnés par des circuits hydrauliques distincts, devrait être rejetée parce qu’elle va à l’encontre de la réalisation préférentielle de l’invention divulguée dans le brevet et de la réalisation commerciale représentée par le coupleur I-LOCK. Cascade soutient cette thèse en faisant valoir que, dans ces réalisations, les circuits hydrauliques reliés aux verrous des tiges avant et arrière partagent au moins certaines composantes hydrauliques, comme la pompe, le distributeur et le réservoir. Je n’adopterais pas une interprétation du brevet qui indiquerait qu’il faut obligatoirement des circuits hydrauliques séparés. La condition est plutôt que le circuit hydraulique qui déverrouille le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant fonctionne indépendamment (dans le sens examiné précédemment, et à la fois sur les plans mécanique et hydraulique) du mécanisme de verrouillage de la tige arrière.

[82]   En résumé, au vu des témoignages d’expert, dans la mesure où je les ai retenus ou rejetés ci-dessus, et de l’analyse qui précède, j’interprète le libellé faisant l’objet du litige du septième élément de la revendication 1 du brevet comme nécessitant que le circuit hydraulique (soit toutes les composantes hydrauliques) qui déplace le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant en position déverrouillée fonctionne indépendamment (c’est-à-dire qu’il peut remplir les fonctions pour lesquelles il a été conçu, quel que soit l’état ou le fonctionnement) du mécanisme de verrouillage hydraulique de la tige arrière (c’est-à-dire les composantes mécaniques du verrou de la tige arrière et les composantes hydrauliques qui actionnent ces composantes mécaniques).

(5)  La contrefaçon du brevet

[83]  Il reste à déterminer si les produits X-LOCK contrefont le brevet tel qu’il a été interprété ci-dessus. Je conclus que ce n’est pas le cas.

[84]  Les experts des parties divergent d’opinion quant à la question de savoir si le brevet est contrefait. Comme je l’ai expliqué plus tôt dans les présents motifs, M. Johnson est d’avis que le fonctionnement du circuit hydraulique servant à débloquer la tige avant est indépendant de celui du circuit hydraulique qui déplace le dispositif de verrouillage de la tige arrière, du fait qu’ils sont hydrauliquement isolés l’un de l’autre par la soupape de commutation par pression. M. Weller n’est pas d’accord sur ce point, soutenant que le fonctionnement de la soupape de pression n’entraîne pas d’isolement hydraulique.

[85]  Ma conclusion sur cette question ne consiste pas à privilégier une opinion par rapport à l’autre, ces opinions divergeant essentiellement sur la signification de l’isolement hydraulique, et ne se fonde pas sur la manière dont le système hydraulique du produit X-LOCK fonctionne. La question est de savoir si les produits X-LOCK, dont les systèmes de verrouillage des tiges avant et arrière fonctionnent grâce à ce que M. Weller appelle la modulation de pression, contiennent tous les éléments essentiels de l’invention revendiquée dans le brevet (selon l’interprétation qui en a été faite plus haut).

[86]  Je conclus que les produits X-LOCK ne contrefont pas le brevet parce que l’élément essentiel du brevet (c’est-à-dire que le circuit hydraulique qui déplace le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant en position déverrouillée fonctionne indépendamment du circuit hydraulique du mécanisme de verrouillage de la tige arrière) est absent des produits X-LOCK. Afin de débloquer le verrou de la tige avant, la pression dans l’une des conduites hydrauliques qui actionne le mécanisme de verrouillage de la tige arrière doit dépasser un seuil de pression précis afin que la soupape de pression permette au fluide hydraulique de se rendre jusqu’au vérin qui rétracte le verrou de la tige avant. Il est par conséquent impossible d’affirmer que les composantes hydrauliques qui déplacent le dispositif de verrouillage de sécurité de la tige avant en position déverrouillée peuvent exercer cette fonction, quel que soit l’état ou le fonctionnement des composantes hydrauliques du mécanisme de verrouillage de la tige arrière.

[87]  En tirant cette conclusion, je suis conscient de l’opinion de M. Weller selon laquelle les coupleurs X-LOCK empêchent, grâce à la modulation de pression, la libération involontaire de la tige avant. Toutefois, le fait que les produits de Kinshofer puissent atteindre les mêmes objectifs de sécurité que l’invention visée par le brevet ne se traduit pas en de la contrefaçon, si ces objectifs sont atteints d’une façon autre que celle qui est revendiquée.

[88]  Je conclus donc que les défendeurs n’ont pas contrefait le brevet de Cascade.

C.  Kinshofer a-t-elle incité ou amené d’autres personnes à contrefaire le brevet?

[89]  Compte tenu de ma conclusion selon laquelle les produits X-LOCK des défenderesses ne contrefont pas le brevet de Cascade, il s’ensuit nécessairement que les défenderesses n’ont pas incité ou amené une autre personne à contrefaire le brevet.

D.  Cascade a-t-elle droit à un jugement déclaratoire, à une injonction, à une saisie-contrefaçon ou à une destruction des produits de contrefaçon, à une indemnisation raisonnable, à des dommages-intérêts ou à une reddition de profits, de dépens et d’intérêts?

[90]  Compte tenu des conclusions exposées ci-dessus, Cascade n’a droit à aucune des réparations demandées.

VI.  Conclusion et dépens

[91]  Il résulte de mes conclusions que l’action de Cascade est rejetée.

[92]  Chaque partie a demandé des dépens dans l’éventualité où elle aurait gain de cause en l’espèce. Les parties ont cependant indiqué à l’audience qu’elles préféreraient avoir la possibilité de s’entretenir sur les dépens une fois qu’elles connaîtront la décision relative à la responsabilité et que, en cas de désaccord, elles présenteraient à notre Cour des observations limitées relativement aux dépens. Mon jugement en tiendra compte.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’action de la demanderesse est rejetée.

  2. Les parties s’entretiendront sur l’adjudication des dépens en l’espèce et, dans les 30 jours de la date du présent jugement :

  1. aviseront notre Cour par écrit si un accord a été conclu sur cette adjudication; ou

  2. en l’absence d’un tel accord, elles présenteront à notre Cour des observations écrites succinctes à ce sujet.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2204-14

INTITULÉ :

CASCADE CORPORATION c. KINSHOFER GMBH ET KINSHOFER LIFTALL INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 9 au 11 mai 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 6 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Kenneth D. Hanna

Christopher Langan

Andrew J. Montague

Pour la demanderesse

Adam Bobker

Christopher Bury

 

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ridout & Maybee, LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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