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Date : 20161007


Dossier : IMM-1093-16

Référence : 2016 CF 1128

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 7 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

MANOLITO ARROJO PALMERO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               L’affaire de M. Palmero suscite de la sympathie. Nous pouvons tous en convenir. Cependant, la question en litige est de savoir si la décision d’un agent de lui refuser un permis de séjour temporaire était raisonnable. À mon avis, elle ne l’était pas.

[2]               M. Palmero se trouve dans une situation regrettable parce que l’adresse électronique qu’il utilisait pour communiquer avec les autorités a été piratée. Il n’a pas rapidement donné sa nouvelle adresse électronique. Il n’a donc pas reçu le courriel dans lequel on lui demandait des renseignements supplémentaires concernant sa demande de visa de résident permanent. En conséquence, sa demande a été rejetée. Sa demande de réexamen a également été rejetée. À juste titre ou à tort, il n’a pas présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de ces décisions. Il a plutôt demandé un permis de séjour temporaire. Le paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) autorise un agent à délivrer un tel permis à un étranger qui est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la loi. L’agent estimait qu’un tel permis n’était pas justifié dans les circonstances.

[3]               Le paragraphe 24(1) de la LIPR se lit comme suit :

24 (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

24 (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

[4]               Ni la LIPR ni le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) énonce les circonstances qui pourraient justifier la délivrance d’un tel permis.

I.                   L’histoire de M. Palmero au Canada

[5]               M. Palmero, un ressortissant philippin et un infirmier, est venu au Canada en février 2009 dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants (PAFR). Après avoir occupé un emploi autorisé à temps plein pendant deux ans, il avait le droit de présenter une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des aides familiaux résidants. Il a présenté sa demande en 2013.

[6]               M. Palmero est le seul pourvoyeur de sa femme et de son jeune fils, qui demeurent aux Philippines. Son objectif est de devenir résident permanent du Canada et donc d’être en mesure de les faire venir au Canada. Un permis de séjour temporaire, combiné à un permis de travail ouvert, lui permettrait de présenter une nouvelle demande de résidence permanente, de parrainer sa famille et de continuer à la soutenir.

[7]               Voici la décision de l’agent, dans son entièreté.

[traduction] [L]es éléments soumis indiquent que le client est arrivé au Canada le 16 février 2009, a accompli un emploi admissible 1, et en vertu du PAFR, a présenté une demande de résidence permanente qui a été rejetée au motif de non-conformité. Le client avait modifié son adresse électronique et n’avait pas donné ses nouvelles coordonnées à Citoyenneté et Immigration Canada. Il demande maintenant un permis de séjour temporaire et un permis de travail afin de régulariser son statut au Canada, puisqu’une erreur aussi minime peut avoir des conséquences graves, et il demande un délai pour récupérer sa demande de résidence permanente ou présenter une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. La demande du client a été rejetée il y a plus d’un an. Sa demande de permis de travail a été rejetée le 20 juillet 2015 (il y a plus de six mois). Il indique qu’il a seulement 500 $ (au 15 octobre 2015) et qu’il reçoit de l’aide de proches au Canada. Le client est marié et sa famille est aux Philippines. Le client a satisfait aux exigences de l’alinéa 200 (3)g) du Règlement, et ne peut donc pas obtenir un autre permis de travail pour l’instant, à moins qu’il réponde aux exigences. Il n’y a pas de barrière à la présentation d’une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire pour un client sans statut. Le client peut retourner aux Philippines et présenter au bureau des visas sa demande de visa et ses documents pour retourner au Canada. Je ne crois pas qu’un permis de séjour temporaire est justifié dans ces circonstances. Le client a une famille aux Philippines et il n’a pas travaillé depuis juillet 2015.

[8]               Même si la LIPR et son Règlement n’indiquent pas dans quelles circonstances la délivrance d’un visa de résidence temporaire est justifiée, le gouvernement a publié le guide « Permis de séjour temporaire (PST) : admissibilité et évaluation », qui contient des politiques, des procédures et des instructions.

[9]               Le guide indique qu’un permis de séjour temporaire est délivré à la discrétion de l’autorité déléguée, qui déterminera :

•        s’il existe un motif impérieux justifiant la nécessité d’accorder à l’étranger le droit d’entrer ou de rester au Canada;

•        si la présence de l’étranger au Canada l’emporte sur tout risque qu’il pourrait présenter pour les Canadiens ou la société canadienne.

[10]           Le ministre reconnaît que M. Palmero ne représente aucun risque pour les Canadiens. Il est entièrement respectueux des lois. Tel qu’il est indiqué par l’agent des visas, il n’a pas travaillé depuis l’expiration de son permis de travail. Non pas qu’il ne peut pas travailler. Il s’agit simplement qu’il n’a pas respecté les exigences de la LIPR en ne répondant pas à la demande de renseignements, demande qu’il n’a jamais reçue.

[11]           Les décisions de notre Cour, qui portent sur les permis de séjour temporaires, se fondent essentiellement sur les faits. Généralement, elles concernent des particuliers qui, à l’instar de M. Palmero, sont interdits de territoire. Dans la décision Farhat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275, le juge Shore a effectué un examen complet de la loi et des lignes directrices en vigueur. M. Farhat était un criminel condamné qui a présenté une demande de permis de séjour temporaire alors qu’il était à l’extérieur du Canada. Son lien avec le Canada était son épouse canadienne. Le juge Shore n’a pas remis en cause le rejet, par l’agent, de la demande de visa de M. Farhat.

[12]           Il faut souligner que la norme de contrôle applicable à ce moment aux décisions considérées comme hautement discrétionnaires était la norme de la décision manifestement déraisonnable. Cette norme de contrôle a été abolie en 2008, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9. En l’espèce, la décision doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.

[13]           Même si une demande de permis de séjour temporaire est différente d’une demande de résidence permanente présentée à partir du Canada et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il y a des similitudes.

[14]           Comme le juge Shore a mentionné au paragraphe 22 de l’arrêt Farhat :

On vise avec l’article 24 de la LIPR à rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des « raisons impérieuses » pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la LIPR. Fondamentalement, le permis de séjour temporaire permet aux agents d’intervenir dans des circonstances exceptionnelles tout en remplissant les engagements sociaux, humanitaires et économiques du Canada. (Guide de l’immigration, ch. OP 20, section 2; pièce B de l’affidavit d’Alexander Lukie; Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) c. Hardayal, [1978] 1 R.C.S. 470 (QL).)

Il a ensuite noté que le titulaire d’un permis de séjour temporaire, contrairement aux autres, peut demander un permis de travail à partir du Canada et présenter une demande de résidence permanente.

[15]           Dans la décision Ali c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 784, le juge Phelan s’est intéressé à l’article 24 de la LIPR, qui exige de l’agent qu’il décide si les « circonstances » justifient la délivrance d’un permis, soit les circonstances pertinentes. Aucune mention n’a été faite de l’enfant mineur de M. Ali, et la demande de contrôle judiciaire a été accueillie.

[16]           La décision faisant l’objet d’un contrôle est déraisonnable pour de nombreuses raisons. L’agent affirme que M. Palmero a une famille aux Philippines. C’est vrai, mais il est ici, et sa famille est là-bas parce qu’il doit travailler pour honorer son obligation de soutenir sa famille. II a 52 ans, et la seule preuve au dossier montre qu’il serait extrêmement difficile pour lui de trouver un emploi comme infirmier aux Philippines.

[17]           On lui a dit qu’il pouvait présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. C’est exact. Ce que l’agent ne dit pas c’est qu’une telle demande ne permettrait pas au demandeur de travailler, qu’il pourrait être renvoyé à tout moment et que même si sa demande était accueillie, il devrait alors présenter une nouvelle demande de parrainage de sa famille.

[18]           Un permis de séjour temporaire avec un permis de travail lui permettrait de travailler et de présenter une nouvelle demande de visa de résident permanent. Cette demande comprendrait sa femme et son fils.

[19]           On a dit au demandeur qu’il pouvait présenter une demande de visa à partir des Philippines. Le conseiller pensait que la seule demande réaliste était de retourner au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Il s’agit d’un long processus.

[20]           En ce qui concerne la note de l’agent relativement au fait que M. Palmero avait une famille aux Philippines, il n’était pas indiqué que M. Palmero avait un fils mineur. Selon le juge Phelan dans la décision Ali susmentionnée, il s’agissait d’une erreur grave selon les « circonstances ». Je suis d’accord avec cette observation.

[21]           Je suis préoccupé par le fait que les lignes directrices traitent des « raisons impérieuses », alors que la LIPR elle-même ne le fait pas. Non seulement les lignes directrices ne sont pas la loi, mais elles ne peuvent aller au-delà des limites de la loi. Quoi qu’il en soit, il y a des raisons impérieuses en l’espèce.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS :

a)      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

b)      La décision de l’agent CW/T, Centre de traitement des données – Vegreville est annulée.

c)      L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

d)     Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1093-16

INTITULÉ :

MANOLITO ARROJO PALMERO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 OCTOBRE 2016

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

LE 7 OCTOBRE 2016

COMPARUTIONS :

Natalie Drolet

Pour le demandeur

Timothy Fairgrieve

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

West Coast Domestic Workers’ Association

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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