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Date : 20160720

Dossier : DES-7-08

Référence : 2016 CF 808

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale en application du paragraphe 77(1) de la LIPR;

ET Mohamed Zeki MAHJOUB

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Nature de l’instance

[1]               La Cour est saisie d’une requête de M. Mohamed Zeki Mahjoub (le demandeur) tendant à l’annulation de l’ensemble des conditions de mise en liberté qui lui sont actuellement fixées en vertu du paragraphe 82(4) et de l’alinéa 82(5)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), exception faite des conditions habituelles. Le demandeur a également sollicité dans son avis de requête et dans l’avis de question constitutionnelle qu’il a aussi déposé l’autorisation de plaider, à une date ultérieure et non précisée, la thèse que l’article 79, les alinéas 82(5)a) et b) et l’article 82.3 de la LIPR, concurremment avec ses articles 33 et 77 à 85.6, enfreignent l’alinéa 2b) et les articles 7, 8, 9, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Il a cependant proposé que la question constitutionnelle qu’il soulève ne soit débattue et tranchée que si la Cour rejette ses moyens tendant à obtenir l’annulation de l’ensemble des conditions de sa mise en liberté sauf les conditions habituelles.

A.                Résumé de la décision

[2]               J’ai décidé d’assouplir un certain nombre des conditions de la mise en liberté du demandeur, encore que dans une moindre mesure qu’il n’en a exprimé le souhait. Les principaux changements que j’ai apportés à ces conditions sont les suivants : le demandeur pourra dorénavant accéder aux médias sociaux tels que Facebook et Twitter, à Skype et à d’autres sites Web, hors de la présence de cautions approuvées par la Cour; il pourra avoir un ordinateur portable au lieu d’un ordinateur de bureau à sa résidence; il pourra posséder un téléphone cellulaire à capacité Internet; et il aura droit à un préavis de 24 heures avant que l’ASFC ne fouille son ordinateur ou son téléphone cellulaire. En outre, il pourra changer de résidence, dans les limites de la région du Grand Toronto, sur préavis de trois jours, et non plus de dix, et il lui sera permis de se déplacer à l’extérieur de la région du Grand Toronto sur préavis de cinq jours, et non plus de sept. Les conditions afférentes à la mise en liberté du demandeur sont exposées en détail à l’annexe A de la présente ordonnance motivée. Il est à noter que ces changements ont été proposés par les ministres avant l’audience.

[3]               Comme je le disais plus haut, je n’assouplis pas les conditions de mise en liberté du demandeur dans toute la mesure qu’il a demandée. Étant donné le danger que je l’estime représenter sous le régime de la LIPR, ce serait manquer de prudence ou de sens des responsabilités que d’annuler à la présente étape la totalité de ces conditions sauf les conditions habituelles. Les conditions qui subsistent paraissent nécessaires à la Cour, au titre de l’alinéa 85(2)b), pour neutraliser le danger que, selon ma conclusion, le demandeur constitue encore. À mon sens, ces conditions sont proportionnées et raisonnables compte tenu des circonstances, et elles tiennent compte de l’évolution de la situation du demandeur, notamment du fait que le Service canadien du renseignement de sécurité  (SCRS) ne le considère plus comme une menace pour la sécurité nationale, en a avisé les organismes compétents aussi bien nationaux qu’étrangers et leur a demandé de prendre des mesures en conséquence.

[4]               J’estime très important que le demandeur ne supprime pas les traces de son activité Internet, que ce soit sur son téléphone cellulaire ou sur son ordinateur. Bien que je ne le précise pas dans mon ordonnance, les ministres sont libres de demander la modification de ces conditions de mise en liberté, et d’autres s’il y a lieu, dans le cas où des éléments de preuve indiqueraient que le demandeur ne s’est pas conformé auxdites conditions. Pour les mêmes raisons, soit afin d’assurer l’observation des conditions, je ne l’autoriserai pas, comme il l’a demandé, à fréquenter les cybercafés.

[5]               J’estime le demandeur mal fondé en sa requête pour ce qui concerne le souhait qu’il exprime de pouvoir entrer dans des armureries, c’est-à-dire des établissements dont la fonction principale est de vendre au détail des armes à feu ou d’autres armes, ou qui peuvent être définis comme des [traduction] « salles de tir » ou des [traduction] « clubs de tir ». Je conclus dans ce sens en raison du facteur de danger, prenant acte de la déclaration qu’il a faite dans son témoignage à l’audience selon laquelle il n’a pas le désir d’acheter des armes à feu, mais n’oubliant pas non plus qu’il a reçu en Égypte une formation militaire, y compris un entraînement au maniement des armes automatiques. Ce chef de la requête du demandeur est tout à fait malvenu.

[6]               J’exposerai maintenant les motifs de ma décision.

B.                 Questions procédurales

[7]               Après une réunion de gestion de la présente requête, j’ai ordonné par directive en date du 31 mai 2016 la comparution d’un témoin du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS), conformément à une requête informelle du demandeur. J’ai également fait droit à la requête informelle des défendeurs tendant à obtenir l’autorisation de contre-interroger le demandeur sur l’affidavit déposé par lui au soutien de sa requête. J’ai ensuite prescrit à la demande des défendeurs, par ordonnance en date du 3 juin 2016, que le nom du témoin du SCRS ne soit pas divulgué. Par la suite, le demandeur a avisé la Cour qu’il ne souhaitait plus interroger le témoin du SCRS; j’ai en conséquence révoqué la disposition correspondante de la directive de gestion de la requête par ordonnance en date du 7 juin 2007.

[8]               L’audience de la présente requête a duré deux jours. La première journée a été consacrée au contre-interrogatoire du demandeur (celui-ci ne souhaitant pas être entendu en interrogatoire principal, mais remplacer celui-ci par son affidavit) et à son réinterrogatoire par son avocat. Les plaidoiries concernant les conditions de mise en liberté ont occupé la seconde journée.

[9]               Les présents motifs ne font pas état de renseignements classifiés. Les caviardages des passages cités de décisions antérieures se trouvent dans ces décisions mêmes. J’ai examiné les renseignements classifiés sous-tendant la divulgation que j’ai ordonnée le 6 juin 2016 et ceux dont le juge Noël a prescrit la communication sommaire en janvier 2016, ainsi que la décision sur le caractère raisonnable rendue par le juge Blanchard sous la référence 2013 CF 1092 (la décision sur le caractère raisonnable). Je me suis engagé à l’audience à faire intervenir les avocats spéciaux, dont l’un était présent aux séances publiques, dans le cas où je m’appuierais sur des renseignements classifiés. J’ai également entendu en séance spéciale à huis clos tenue le 13 juillet 2016 les observations des avocats spéciaux et des ministres, concernant notamment les documents confidentiels résumés par la Cour les 14 janvier et 6 juin 2016, ainsi que la version non expurgée de la décision du juge Blanchard sur le caractère raisonnable.

C.                 Les plaidoiries sur les questions constitutionnelles

[10]           Le demandeur ne souhaitait pas plaider sur les questions constitutionnelles à l’audience de juin comme il aurait normalement dû le faire. Je l’ai autorisé à scinder ses moyens entre les conditions de sa mise en liberté et les questions constitutionnelles qu’il avait mises en litige. Les plaidoiries que j’ai entendues les 9 et 10 juin 2016 ne concernaient que lesdites conditions de mise en liberté.

[11]           Cependant, je n’ai pas accordé au demandeur l’autorisation de ne plaider ses moyens constitutionnels que dans le cas où il échouerait à obtenir l’annulation de toutes ses conditions de mise en liberté sauf les conditions habituelles. À l’ouverture de l’audience, le 9 juin 2016, j’ai ordonné aux parties de se concerter pour présenter à la Cour un calendrier de dépôt d’écritures qui permette un règlement relativement rapide des questions constitutionnelles soulevées par le demandeur.

[12]           J’ai également examiné à l’audience la chronologie éventuelle de l’audition des plaidoiries sur les questions constitutionnelles, suggérant aux parties de déposer leurs écritures dans les meilleurs délais de manière qu’une audience puisse être tenue en juillet. Les avocats du demandeur ont expliqué qu’ils n’avaient pas le financement nécessaire pour certains aspects de cette contestation et qu’ils ne seraient pas libres en août. Il a en conséquence été entendu qu’ils reviendraient à la Cour sur ce sujet avec des observations écrites. C’était le 10 juin 2016. Le 30 du même mois, les avocats du demandeur ont informé la Cour qu’ils n’avaient toujours pas obtenu le financement nécessaire et ils ont proposé, subordonnément à la condition qu’ils l’obtiendraient, un calendrier de dépôt des écritures selon lequel les arguments constitutionnels seraient plaidés en septembre 2016. Mais le demandeur a une fois encore proposé de scinder ses moyens, de telle sorte que seuls soient débattus en septembre les points relatifs au seuil de preuve et à la charge de la preuve, c’est-à-dire les chefs 15 et 16 i) à iv) de l’avis de question constitutionnelle. Il souhaitait faire valoir le reste de ses moyens, y compris ceux se rapportant à la procédure de certification, après ma décision sur le premier volet de sa thèse constitutionnelle – mais seulement [traduction] « si cela se révél[ait] nécessaire ».

[13]           Il est à noter que le demandeur a eu tout le temps depuis le 30 octobre 2015, date du dernier contrôle des conditions de sa mise en liberté, de se préparer à plaider la présente requête; or, à ce jour, il n’est toujours pas prêt à le faire.

[14]           Par courriel en date du 5 juillet 2016, les ministres ont fait opposition à ce qu’ils appellent la [traduction] « fragmentation » de l’instance, proposant plutôt que la Cour tranche toutes les questions à la fois à l’issue d’une procédure écrite qui serait au besoin complétée par la tenue d’une audience au cours de septembre.

[15]           Je ne suis pas disposé à instruire les questions de la manière fragmentée en multiples étapes qu’a proposée le demandeur. La requête en financement qu’il avait déposée le 20 juillet 2016 n’avait pas encore été plaidée, encore moins décidée. En fait, le demandeur n’a aucun véritable calendrier à offrir, puisque même le programme fragmenté qu’il propose dépend de l’obtention des fonds nécessaires, qu’il n’a pas obtenus. Son avocat évoque la possibilité d’une audience en septembre, mais cette possibilité pourrait fort bien ne se matérialiser que plus tard, après même la date à laquelle le demandeur aurait la faculté d’introduire une nouvelle demande de contrôle des conditions de sa mise en liberté (ce qu’il paraît pouvoir faire en novembre 2016).

[16]           La requête en contrôle des conditions de mise en liberté est datée du 12 mai 2016, tandis que l’avis de questions constitutionnelles l’est du 25 du même mois. Je ne suis pas disposé à émettre des directives de dépôt d’écritures dans l’abstrait : je ne trancherai pas ces points tant que le demandeur ne se présentera pas devant notre Cour avec un programme valable et concret pour le dépôt des écritures nécessaires, en un seul ensemble, qui permette le règlement de ses questions constitutionnelles par une seule décision motivée, sans procédure orale ou à l’issue d’un seul ensemble d’audiences. Mais d’abord, je le répète, avant de redemander des directives à notre Cour, ses avocats devront se concerter avec les avocats des ministres afin de réduire leurs différends dans la mesure du possible.

[17]           Je ne suis certainement pas disposé à reporter à la fin de l’automne 2016 ma décision sur les conditions de mise en liberté du demandeur. À mon avis, les requêtes de cette nature devraient avancer à un rythme raisonnable et dans les limites habituelles que les Règles fixent à la Cour, sauf exception justifiée.

[18]           En conséquence, je prononce ce jour même ma décision sur les conditions de mise en liberté du demandeur.

1)                  Bref historique des procédures

[19]           Le demandeur fait l’objet d’un certificat de sécurité signé sous le régime du paragraphe 77(1) de la LIPR le 22 février 2008 par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Ce certificat est ainsi libellé :

[traduction] Nous attestons être d’avis, sur le fondement d’un rapport secret en matière de sécurité reçu et examiné par nous, que Mohamed Zeki Mahjoub, ressortissant étranger, est interdit de territoire canadien pour raison de sécurité au titre des alinéas 34(1)b), 34(1)c), 34(1)d) et 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[20]           Je reproduis ici aux fins de référence le texte alors en vigueur des dispositions applicables de l’article 34 de la LIPR :

Sécurité

Security

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

[…]

[…]

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada

(d) being a danger to the security of Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

[21]           Le demandeur a un long passé avec notre Cour. En outre, les dispositions législatives applicables à son cas ont évolué au fil des années. Le juge Noël a bien résumé aux paragraphes 5 à 20 de Mahjoub (Re), 2015 CF 1232 (la décision du 30 octobre 2015 sur les conditions de mise en liberté), les aspects importants de la mise en détention de M. Mahjoub, de la mise en liberté sous condition qui a suivi, des nombreux contrôles des conditions de cette mise en liberté, ainsi que de l’évolution du dispositif législatif applicable. Cette décision concluait le plus récent des multiples contrôles dont les conditions de mise en liberté du demandeur ont fait l’objet.

[22]           Le demandeur est un ressortissant égyptien né en avril 1960. Il est arrivé au Canada par Toronto à la fin de décembre 1995, muni d’un faux passeport saoudien. Il a alors présenté une demande d’asile, que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accueillie le 24 octobre 1996. Le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) a commencé à s’intéresser à lui au cours de cette même année. Par suite de l’enquête menée par le SCRS, les ministres ont délivré contre lui un certificat de sécurité en juin 2000, et il a été arrêté le 26 du même mois. Détenu à partir de 2000, il a été mis en liberté en février 2007, sous de rigoureuses conditions.

[23]           Le juge Nadon, alors membre de la Cour fédérale du Canada, a rendu le 5 octobre 2001 une décision portant que le certificat de sécurité était raisonnable. Il a noté dans l’exposé des motifs de son ordonnance que le demandeur s’était parjuré en n’admettant pas qu’il connaissait une personne déterminée. Le juge Nadon a refusé d’ajouter foi à l’explication de ce mensonge donnée par le demandeur, faisant observer que ce dernier avait menti plusieurs fois devant notre Cour. Voir les paragraphes 57, 58, 68 et 70 de Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 200 CFPI 1095 (la décision du juge Nadon).

[24]           Après que la Cour suprême du Canada eut statué en 2007, par l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 [Charkaoui I]), que le premier régime des certificats de sécurité portait atteinte aux droits garantis par la Charte, un nouveau dispositif législatif a été mis en application, que la même Cour a confirmé par l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, [2014] 2 RCS 33.

[25]           Le demandeur a commencé en 2008 à solliciter sous ce nouveau régime les contrôles des conditions de sa mise en liberté.

[26]           Les nouvelles dispositions prévoient aussi la délivrance de certificats de sécurité dont le caractère raisonnable peut être contesté devant notre Cour. Un certificat de cette nature a été délivré contre le demandeur. Après une très longue procédure, qui a duré plusieurs années, le regretté juge Blanchard a rendu en octobre 2013 une décision portant que le certificat de sécurité visant le demandeur était raisonnable; voir Mahjoub (Re), 2013 CF 1092 (la décision sur le caractère raisonnable). Le demandeur a formé contre cette décision, devant la Cour d’appel fédérale, un appel qui n’a pas encore été instruit.

[27]           Le juge Blanchard a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre d’Al Jihad et de son sous-groupe ou groupe dissident dénommé « Avant-garde de la conquête », et qu’il constituait un danger pour la sécurité du Canada du fait de ses relations avec de nombreux terroristes notoires ou suspects de terrorisme, au Canada et à l’étranger. Le juge Blanchard a en outre conclu qu’Al Jihad et l’Avant-garde de la conquête étaient des groupes terroristes importants, actifs en Égypte, et directement liés à Oussama ben Laden et à Al-Qaïda.

[28]           Par la suite, le défunt juge Blanchard, après avoir instruit une demande de M. Mahjoub tendant à l’annulation de l’ensemble de ses conditions de mise en liberté à l’exception de quelques-unes, a formulé la conclusion suivante le 17 décembre 2013 :

[traduction] J’estime établi que M. Mahjoub constitue une menace pour la sécurité du Canada, comme je l’ai expliqué dans les motifs de mon ordonnance du 7 janvier 2013.

[29]           Le juge Blanchard a également conclu que les conditions de mise en liberté du demandeur ne devaient pas être modifiées, à l’exception de minimes adaptations concernant l’utilisation de cartes d’appel, et qu’il avait en théorie violé ces conditions en n’informant pas l’ASFC qu’il s’était procuré un téléphone mobile, encore que cette violation ne fût pas grave, au motif qu’il ne l’avait pas utilisé. Le même juge a en outre conclu que le demandeur n’avait enfreint aucune condition en décidant de couper lui-même son bracelet GPS plutôt que de laisser l’ASFC le lui enlever sans le détruire, mais que cette conduite unilatérale marquait une [traduction] « absence de volonté » de coopération avec l’ASFC. Voir les paragraphes 5, 6, 16, 17 et 18 de Mahjoub (Re), 2013 CF 1257 (la décision de décembre 2013 du juge Blanchard).

[30]           En mai 2014, le juge Noël a rendu une ordonnance faisant obligation au demandeur de communiquer son mot de passe d’ordinateur à l’ASFC, au motif que ses conditions de mise en liberté autorisaient celle-ci à accéder à son ordinateur; voir Mahjoub (Re), 2014 CF 479 (la décision de mai 2014 du juge Noël). L’attitude du demandeur, a noté le juge Noël, dénotait une absence de volonté de collaboration et de coopération, et n’aidait en rien l’ASFC à remplir le mandat de surveillance que lui assignait l’ordonnance de la Cour.

[31]           M. Mahjoub a déposé une autre demande de contrôle des conditions de sa mise en liberté au milieu de 2014. Il y sollicitait pour l’essentiel la même mesure que devant le juge Blanchard et dans la présente requête, à savoir l’annulation de toutes les conditions susdites, sauf quelques conditions habituelles relatives à l’obligation de ne pas troubler l’ordre public. Le juge Noël a rejeté cette demande dans sa décision référencée 2014 CF 720, où il formulait entre autres les conclusions suivantes :

[78]      Le danger que pose M. Mahjoub pour la sécurité du Canada n’est certainement pas comparable à celui qu’il représentait auparavant. Mais est-il pour autant inexistant? J’estime que ce danger s’est amenuisé au fil des ans. Mais, depuis le contrôle de janvier 2013 où il a été jugé que la menace était « sensiblement » inférieure, j’estime que rien d’important n’indique qu’elle a diminué davantage de manière importante. Pour en arriver à cette conclusion, comme je l’ai déjà expliqué, j’ai examiné la preuve confidentielle et la preuve publique, qui démontrent que des préoccupations subsistent toujours. Le danger que M. Mahjoub représente pour la sécurité du Canada ne s’est pas évaporé. Il demeure latent, perceptible et factuel. Les conditions de mise en liberté de M. Mahjoub telles qu’elles ont été conceptualisées et modifiées par le juge Blanchard sont efficaces et elles n’ont pas neutralisé le danger qui avait à l’époque été évalué. Lever toutes les conditions de la mise en liberté ne garantit pas que le danger que représente M. Mahjoub sera neutralisé de façon appropriée. Je ne suis donc pas prêt à accorder à M. Mahjoub la réparation qu’il réclame, sauf pour ce que qui est énoncé ci-dessous.

[32]           M. Mahjoub a demandé en 2015 un nouveau contrôle des conditions de sa mise en liberté, qui a donné lieu à la décision précitée du 30 octobre 2015 sur les conditions de mise en liberté rendue par le juge Noël. La Cour a encore une fois refusé au demandeur l’annulation de l’ensemble des conditions sauf les conditions habituelles. Elle a cependant prononcé certaines mesures d’assouplissement de ces conditions, notamment :

a)                  la réduction à un rythme bimensuel de l’obligation hebdomadaire de se présenter à l’ASFC;

b)                  l’autorisation conditionnelle d’utiliser un téléphone mobile;

c)                   l’annulation de l’interception du courrier.

[33]           En conséquence de ces décisions et d’autres, les conditions de mise en liberté actuellement en vigueur sont celles qu’on trouvera exposées à l’annexe A des présents motifs, intitulée « CONDITIONS AFFÉRENTES À LA MISE EN LIBERTÉ DE M. MAHJOUB ».

[34]           Les ministres s’opposent à l’annulation demandée par M. Mahjoub, mais consentent aux modifications suivantes de ses conditions de mise en liberté :

-                      ils sont disposés à envisager que soit porté de sept à cinq jours le préavis à donner des déplacements extérieurs à la région du Grand Toronto;

-                      ils proposent d’autoriser le demandeur à accéder aux médias sociaux, à Skype et aux sites Web correspondants sous réserve de conditions permettant la surveillance de ces activités :

[traduction]

                    Le demandeur ne pourra créer qu’un seul compte par site Web ou application de média social, par exemple Facebook et Twitter. Il ne pourra de même créer qu’un seul compte sur Skype. Il lui sera permis de créer un seul compte sur toute autre application ou site Web offrant des services de vidéobavardage et de communication vocale, sous réserve de l’approbation de l’ASFC.

                    Le demandeur permettra à l’ASFC ou à toute personne désignée par elle d’accéder à chacun de ces comptes sans préavis.

                    Le demandeur sera tenu de faire en sorte que personne d’autre que lui-même et l’ASFC ou des agents de celle-ci ne puisse accéder à ces comptes.

                    Le demandeur communiquera sans exception à l’ASFC les renseignements de connexion et les mots de passe choisis dès la création d’un compte sur un site Web ou une application, notamment Facebook, Twitter ou Skype, et l’informera immédiatement de tout changement de nom d’utilisateur ou de mot de passe.

                    Le demandeur ne pourra accéder à Skype qu’au moyen d’une application bureautique.

                    Les paramètres de Skype devront être réglés de telle sorte que l’historique de toutes les communications et séances de vidéobavardage soit sauvegardé « définitivement ».

                    Le demandeur devra donner à l’ASFC le nom et l’adresse Skype de toute personne avec qui il souhaitera communiquer au moyen de cette application un mois avant de communiquer ainsi avec elle.

                    Le demandeur s’abstiendra de modifier ou de supprimer les traces de communications ou autres activités sur les sites Web ou applications de médias sociaux, les sites Web ou applications qui offrent des services de vidéobavardage et de communication vocale, ou tous autres sites Web ou applications, notamment Facebook, Twitter et Skype.

-                      Les ministres proposent en outre la fixation des conditions suivantes :

[traduction]

o        Le demandeur pourra posséder un ordinateur de bureau ou un ordinateur portable.

o        Le demandeur pourra utiliser un réseau Wi-Fi à sa résidence. Ce réseau devra être protégé par mot de passe de telle sorte que nul autre que lui ne puisse y accéder.

o        L’ordinateur du demandeur devra rester, et n’être utilisé, que dans sa résidence. Il ne pourra accéder à Internet que par son réseau domestique, au moyen d’une connexion par câble ou Wi-Fi.

o        L’ASFC donnera au demandeur un préavis écrit de 24 heures de l’intention d’entrer dans sa résidence pour prendre possession de son ordinateur aux fins d’examen. La confirmation de la réception de ce préavis par le demandeur ne sera pas nécessaire.

-                      Pour ce qui concerne l’examen du téléphone mobile du demandeur, les ministres proposent les conditions suivantes, qui sont calquées sur les conditions en vigueur relatives à l’ordinateur de bureau auquel il a actuellement droit :

[traduction]

o   L’ASFC donnera au demandeur un préavis écrit de 24 heures de l’intention d’examiner son téléphone mobile. La confirmation de la réception de ce préavis par le demandeur ne sera pas nécessaire.

 

o   L’ASFC pourra en tout autre temps, sous réserve de justification, demander à un juge désigné de rendre une ordonnance l’autorisant à accéder à l’ordinateur du demandeur sans préavis, aux fins de contrôler son observation des conditions de la présente ordonnance.

o   M. Mahjoub s’abstiendra en tout temps de supprimer ou d’effacer, sans l’autorisation préalable de l’ASFC, toutes données d’application, tous renseignements sur l’utilisation des applications ou sur l’utilisation des données, tous fichiers-journaux de réseau ou toutes autres informations mises en cache sur son téléphone mobile.

-                      Les ministres consentent également à ce que le délai de préavis de changement de résidence passe de dix à trois jours ouvrables.

D.                La thèse du demandeur

[35]           Le demandeur se fonde sur son affidavit et les faits exposés pour soutenir que la Cour devrait lui accorder l’annulation complète des conditions de sa mise en liberté, à l’exception des conditions habituelles concernant l’obligation de [traduction] « ne pas troubler l’ordre public ».

[36]           Il affirme être une personne paisible et respectueuse des lois depuis de nombreuses années. Les conditions qui lui sont imposées, explique-t-il, attentent à sa vie privée et l’empêchent de mener une vie digne de ce nom. Elles lui causent du stress et de l’anxiété, au sujet desquels il invoque le rapport du Dr Payne, où celui-ci examine les rapports psychologiques établis sur lui au fil des années.

[37]           Le demandeur fait valoir l’absence d’éléments tendant à établir qu’il constituerait actuellement une menace, le ministre n’ayant produit aucun élément de cette nature depuis le dernier contrôle. M. Mahjoub attire aussi l’attention sur le passage suivant du résumé mentionné plus haut, divulgué par le juge Noël le 18 janvier 2016, du rapport classifié du SCRS :

[traduction] Malgré le rôle dirigeant qu’a joué Mohamed Mahjoub dans Al Jihad et ses relations antérieures avec des membres très en vue de ce groupe, le SCRS estime que la menace représentée par ses activités a diminué depuis l’évaluation de 2011. Le SCRS, en effet, ne soupçonne plus que ses activités récentes constituent une menace envers la sécurité du Canada pour l’application de la Loi sur le SCRS.

[38]           Le demandeur invoque aussi le fait que, en application de l’alinéa 83(1)e) de la LIPR, j’ai ordonné le 6 juin 2016 la divulgation des éléments suivants :

[traduction]

Le SCRS a avisé le 27 janvier 2016 chacun des organismes étrangers avec lesquels il avait échangé des renseignements sur M. Mahjoub que son enquête l’avait amené à conclure que les activités de ce dernier ne constituaient plus une menace envers la sécurité du Canada pour l’application de la Loi sur le SCRS. Le SCRS invitait ces organismes à agir en conséquence de cette évaluation.

Le 7 mars 2016, le SCRS a de même avisé les organismes nationaux compétents, notamment l’ASFC, que son enquête l’avait amené à conclure que les activités de M. Mahjoub ne constituaient plus une menace envers la sécurité du Canada pour l’application de la Loi sur le SCRS. Le SCRS invitait ces organismes à agir en conséquence de cette évaluation.

[39]           En outre, le demandeur soutient que le résumé de l’évaluation de la menace daté de janvier 2016 est basé sur un exposé de faits sans fondement, déjà écarté par notre Cour, de sorte qu’il faut en déduire que le niveau de la menace a baissé plus encore même que ne le donne à entendre ce résumé. Celui-ci porte en effet que M. Mahjoub a joué un rôle dirigeant au sein d’Al Jihad, alors que le juge Blanchard a conclu dans sa décision sur le caractère raisonnable – Mahjoub (Re), 2013 CF 1092 – à l’absence de motifs raisonnables de croire qu’il eût joué un tel rôle. Par conséquent, raisonne le demandeur, le rapport classifié pourrait avoir été basé sur des prémisses erronées qui en auraient faussé les conclusions.

[40]           Le demandeur fait valoir que le danger doit être substantiel si les conditions de mise en liberté sont conçues pour le neutraliser. Les conditions doivent être proportionnées au danger; s’il n’y a pas de danger identifiable, aucune condition de mise en liberté ne se justifie.

[41]           Le demandeur argue en outre d’erreurs de droit, relatives à la preuve et au seuil de preuve applicable, commises dans le contrôle des conditions. Selon lui, la Cour a appliqué une norme de preuve erronée, c’est-à-dire que la charge pesant sur les ministres relevait de la « prépondérance des probabilités » et non des « motifs raisonnables de croire ». Le fait que chaque décision antérieure soit aussi fondée sur la norme de preuve erronée des « motifs raisonnables » n’établit pas la justesse de cette norme.

[42]           Quoi qu’il en soit, poursuit le demandeur, les ministres n’auraient pu s’acquitter de leur charge de présentation suivant l’une ou l’autre de ces normes, puisqu’ils n’ont produit aucun élément de preuve tendant à établir qu’il constitue une menace ou un danger actuels quelconques pour la sécurité nationale du Canada. J’examinerai sous peu cette question relative à la « charge de la preuve ».

[43]           Le demandeur soutient que ses conditions actuelles de mise en liberté sont disproportionnées et ont eu sur sa santé physique et mentale des effets défavorables, d’ailleurs constatés dans des décisions antérieures. Il assimile ces effets à des souffrances cruelles et injustifiées.

[44]           Le passage du temps milite aussi en faveur de l’annulation de la totalité des conditions de mise en liberté. La menace représentée par le demandeur a diminué, et ses activités récentes ne constituent pas une menace pour la sécurité du Canada.

[45]           Le demandeur a formé devant la CAF un appel contre la décision sur le caractère raisonnable, appel dont la date d’audience n’est pas encore fixée mais pourrait l’être bientôt. Cet appel en instance, affirme-t-il, milite pour l’annulation de toutes ses conditions de mise en liberté à titre de mesure provisoire que la Cour pourrait prononcer sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte en réparation de la violation de son droit à un procès équitable. L’appel susdit se fonde sur divers éléments analogues aux caractéristiques d’un procès inéquitable pour l’application du Code criminel et de ses dispositions prévoyant la mise en liberté provisoire par voie judiciaire en attendant le jugement d’un appel.

[46]           Le demandeur fait aussi valoir la pertinence quant à la présente requête de sa qualité de réfugié au sens de la Convention et de l’incapacité des autorités canadiennes de le renvoyer en Égypte en raison des indéniables violations des droits de la personne qui caractérisent ce pays; en fait, il sera soumis à des conditions de mise en liberté tant qu’il restera au Canada. Il a déjà été détenu ou soumis à des conditions de mise en liberté durant 16 ans; cette durée de détention et de liberté sous condition peut être dite déraisonnable et arbitraire.

[47]           En somme, le demandeur accepterait de se soumettre aux conditions habituelles de mise en liberté, sans plus, conditions qui seraient proportionnées au très faible risque qu’il affirme représenter.

E.                 La thèse des ministres

[48]           Les défendeurs font valoir que le demandeur constitue un danger au titre de l’alinéa 85(2)a) de la LIPR, qu’il faut lui fixer des conditions de mise en liberté pour neutraliser ce danger, et que l’absence de transgressions de sa part s’explique par le succès des conditions existantes, qui restent nécessaires pour continuer à neutraliser ledit danger.

[49]           Les ministres concèdent dans leurs conclusions écrites qu’il conviendrait d’assouplir les conditions suivantes, sous réserve des restrictions formulées plus haut.

[50]           Les ministres demandent aussi l’adjonction de la disposition ci-dessous aux conditions de mise en liberté. Comme elle ne m’a pas paru susciter de désaccord sérieux, en particulier du fait qu’elle calque les conditions déjà en vigueur concernant l’ordinateur du demandeur, j’ajouterai cette condition au motif qu’elle est à la fois raisonnable et proportionnée. Qui plus est, je considère cette condition, ainsi que celles qui se rapportent à l’ordinateur et à la conservation des traces d’activité sur Internet, comme une part très importante des conditions de mise en liberté. La condition additionnelle proposée est la suivante :

[traduction] M. Mahjoub s’abstiendra en tout temps de supprimer ou d’effacer, sans l’autorisation préalable de l’ASFC, toutes données d’application, tous renseignements sur l’utilisation des applications ou sur l’utilisation des données, tous fichiers-journaux de réseau ou toutes autres informations mises en cache sur son téléphone mobile.

[51]           Les ministres soutiennent que les antécédents du demandeur militent pour le maintien des conditions actuelles de mise en liberté. Ils invoquent à cet égard la décision du juge Blanchard sur le caractère raisonnable : cette décision, bien qu’elle fasse l’objet d’un appel en instance, est définitive, de sorte que la Cour devrait s’appuyer sur elle.

[52]           Les ministres avancent de plus que les parjures commis par le demandeur devant notre Cour, ses inobservations des directives de l’ASFC et son habitude de se plaindre constamment des actions de celle-ci montrent que la Cour ne peut maintenant ajouter foi à sa promesse de ne pas troubler l’ordre public.

[53]           Les ministres font valoir que notre Cour a déjà examiné les arguments du demandeur et qu’ils restent mal fondés. Premièrement, la Cour a déjà conclu, et avec raison, que la norme de preuve applicable est celle des motifs raisonnables de croire, par opposition à celle de la « prépondérance des probabilités » mise de l’avant par le demandeur. Deuxièmement, la Cour, quand elle contrôle les conditions de mise en liberté, ne siège pas en appel de ses décisions antérieures. Troisièmement, la question du renvoi éventuel du demandeur en Égypte et de la situation égyptienne est dénuée de pertinence parce que prématurée.

[54]           Les antécédents du demandeur militent contre lui, soutiennent les demandeurs, si l’on applique les critères énumérés aux paragraphes 110 et suivants de Charkaoui I, ainsi que dans Harkat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 795. Ces critères ont aussi été appliqués par le juge Noël dans sa décision Mahjoub (Re), 2014 CF 720, comme en témoigne le passage suivant :

[44]      Pour arriver à la juste décision dans le cadre du présent contrôle des conditions de mise en liberté, la Cour entend appuyer son analyse sur les critères suivants, établis dans Harkat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 795, au paragraphe 26, [2013] ACF n° 860, et dans Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, aux paragraphes 110 à 121, [2007] ACS n° 9 :

A.   les décisions antérieures relatives au danger et l’historique des procédures, à savoir les contrôles de la détention, la mise en liberté sous conditions et les décisions déjà rendues;

B.    l’appréciation par la Cour du danger pour la sécurité du Canada associé au demandeur, à la lumière des éléments de preuve présentés;

C.    le cas échéant, la décision relative au caractère raisonnable du certificat;

D.   les éléments de confiance et de crédibilité touchant le comportement du demandeur après sa mise en liberté sous conditions et son respect de celles-ci;

E.    l’incertitude quant à la fin éventuelle des procédures;

F.    l’écoulement du temps (pas en soi un facteur décisif – voir Harkat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 416, au paragraphe 9, [2007] ACF n° 540;

G.   l’incidence des conditions de mise en liberté sur le demandeur et sur sa famille et la proportionnalité entre le danger que constitue le demandeur et les conditions de sa mise en liberté.

[55]           Les ministres concluent de leur analyse fondée sur chacun de ces critères que les faits militent pour l’assouplissement de certaines des conditions de mise en liberté fixées au demandeur, mais ne justifient pas l’annulation de leur totalité.

[56]           Dans leur contre-interrogatoire de M. Mahjoub à l’audience, les ministres ont obtenu de lui l’aveu qu’il avait effectivement utilisé le nom d’emprunt « Shaker » pendant son séjour au Soudan. Ce fait, soutiennent-ils, aurait changé la conclusion du juge Blanchard sur le point de savoir s’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait utilisé ce nom d’emprunt, et en conséquence sa conclusion sur le niveau de la menace qu’il représentait.

II.                Rappel des faits

[57]           Les faits de la présente espèce ont été récapitulés dans plusieurs autres instances plaidées devant notre Cour, notamment dans le passage suivant de la décision Mahjoub (Re), 2015 CF 1232, que le juge Noël a rendue en octobre 2015 :

[5] M. Mahjoub, un ressortissant égyptien, est né en avril 1960. Il est arrivé à Toronto, ici au Canada, à la fin de décembre 1995. Il était muni d’un faux passeport de l’Arabie saoudite. Il a présenté une demande d’asile qui a été accueillie par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 24 octobre 1996. Le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) a commencé à s’intéresser à lui en 1996. Par suite de l’enquête menée par le SCRS, il a fait l’objet d’un certificat délivré par les ministres en juin 2000, et il a été arrêté le 26 juin 2000.

[6] Le juge Nadon de la Cour fédérale du Canada (tel était alors son titre) a conclu le 5 octobre 2001 que le certificat qui avait été délivré était raisonnable. Dans les motifs de son ordonnance, le juge a fait observer que M. Mahjoub avait avoué s’être parjuré lorsqu’il avait affirmé ne pas connaître une certaine personne. Le juge Nadon a écrit qu’il ne croyait pas l’explication que M. Mahjoub avait donnée pour avoir menti et a ajouté que M. Mahjoub avait menti sur un certain nombre de sujets (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Mahjoub, 2001 CFPI 1095 (la décision de 2001 du juge Nadon (octobre), aux paragraphes 57, 58, 68 et 70).

[7] La juge Eleanor Dawson, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, a rejeté à deux reprises (en 2003 et en 2005) les demandes présentées par M. Mahjoub en vue d’obtenir sa mise en liberté. Dans sa première décision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Mahjoub, 2003 CF 928 (la décision de 2003 de la juge Dawson (juillet), au paragraphe 76), la juge Dawson s’est fondée sur les conclusions tirées par le juge Nadon dans la décision susmentionnée au sujet des mensonges. Lors de son second contrôle de la détention, la juge Dawson a refusé de faire droit à la demande de mise en liberté, parce qu’elle ne croyait pas que les conditions de mise en liberté pouvaient neutraliser le danger que représentait M. Mahjoub. Elle a ajouté qu’elle n’était pas convaincue que l’on pouvait se fier à M. Mahjoub pour respecter les conditions discutées à l’époque (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Mahjoub, 2005 CF 1596 (la décision de 2005 de la juge Dawson (novembre)), au paragraphe 101).

[8] Le 15 février 2007, M. Mahjoub a fait l’objet d’une mise en liberté assortie de sévères conditions, notamment surveillance électronique, détention à domicile, surveillance physique, dépôt d’un cautionnement, interdiction d’accès à tout dispositif de communication, etc. (Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 171 (la décision de 2007 du juge Mosley (février))).

[9 Le 23 février 2007, la Cour suprême du Canada a déclaré inconstitutionnel le régime régissant la délivrance de certificats de sécurité et a suspendu pour un an l’effet de sa déclaration d’invalidité pour permettre au législateur fédéral de modifier la LIPR (voir Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350 (Charkaoui no 1))).

[10] Un nouveau régime de certificats de sécurité, prévoyant notamment l’intervention d’avocats spéciaux, est entré en vigueur en février 2008. Les ministres ont signé un nouveau certificat de sécurité à l’encontre de M. Mahjoub le 22 février 2008.

[11] La juge Layden-Stevenson, qui était la juge désignée chargée de cette nouvelle instance en certificat de sécurité avant sa nomination à la Cour d’appel fédérale, a rendu deux décisions sur les conditions de mise en liberté à la fin décembre 2008 et en mars 2009. Dans sa première décision, elle a modifié une des conditions de mise en liberté prévue par une ordonnance précédente (datée du 11 avril 2007). Dans sa seconde décision, elle a fait observer que le fait que M. Mahjoub avait insisté sur le respect à la lettre des conditions de sa mise en liberté avait nui aux efforts faits par l’ASFC pour répondre aux besoins de sa famille (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Mahjoub, 2009 CF 248 (la décision de 2009 de la juge Layden-Stevenson (mars)), au paragraphe 150)).

[12] Une dizaine de jours après le prononcé des motifs de l’ordonnance de la juge Layden-Stevenson, deux des cautions de M. Mahjoub, son épouse et son gendre, se sont désistés comme cautions. Par conséquent, M. Mahjoub a accepté d’être réincarcéré le 18 mars 2009.

[13] Il a de nouveau été mis en liberté sous condition le 30 novembre 2009 par le juge Blanchard, le nouveau juge désigné chargé de présider la seconde instance visant le certificat de sécurité (Mahjoub (Re), 2009 CF 1220 (la décision de 2009 du juge Blanchard (novembre))).

[14] En réponse à une nouvelle demande visant à faire lever la plupart des conditions de la mise en liberté, le juge Blanchard a modifié certaines conditions, notamment l’obligation pour M. Mahjoub de porter un dispositif de repérage GPS (voir Mahjoub (Re), 2011 CF 506 (la décision de 2011 du juge Blanchard (mai))).

[15] Dans les deux exposés successifs de motifs d’ordonnance datés respectivement du 1er février 2012 et du 7 janvier 2013, le juge Blanchard a à nouveau levé certaines conditions et en a considérablement modifié d’autres après avoir conclu que la menace que posait M. Mahjoub avait diminué (voir Mahjoub (Re), 2012 CF 125 (la décision de 2012 du juge Blanchard (février)), aux paragraphes 66 et 90 à 93; Mahjoub (Re), 2013 CF 10 (la décision de 2013 du juge Blanchard (janvier))). Dans sa dernière décision, au paragraphe 47, le juge Blanchard a exprimé ses préoccupations quant au fait de s’assurer que M. Mahjoub ne communique pas avec des terroristes et ne reprend pas contact avec des terroristes.

[16] Le 25 octobre 2013, le juge Blanchard a rendu ses motifs du jugement et son jugement au sujet du caractère raisonnable du certificat de sécurité (voir Mahjoub (Re), 2013 CF 1092 (la décision de 2013 du juge Blanchard (octobre) ou la décision sur le caractère raisonnable)). Il a conclu ce qui suit :

[traduction]

[618] Voici un résumé de mes conclusions précédentes concernant la crédibilité des différents comptes rendus de M. Mahjoub :

a) M. Mahjoub a menti lorsqu’il a nié connaître M. Marzouk, M. Khadr, M. Jaballah ou leurs noms d’emprunt. Plus précisément, au cours de sa quatrième entrevue, en octobre 1998, il a nié connaître M. Khadr malgré le fait qu’il avait admis le contraire lors d’une entrevue précédente. Lorsqu’on lui a signalé qu’il avait habité chez les Elsamnah, les beaux-parents de M. Khadr, un autre fait qu’il n’avait pas dévoilé aux autorités canadiennes, il a alors admis connaître M. Khadr.

b) M. Mahjoub a menti lorsqu’il a nié avoir déjà employé un nom d’emprunt. J’ai conclu que l’explication de M. Mahjoub au sujet de la façon dont il en était venu à employer le nom d’emprunt « Ibrahim », lorsqu’il avait admis cette utilisation, n’était pas crédible, pour les motifs exposés ci-dessus, au paragraphe 539.

c) L’explication de M. Mahjoub selon laquelle il n’a pas fourni au Service les noms des personnes qui le connaissaient sous le nom d’emprunt Ibrahim, parce qu’il craignait que les autorités égyptiennes ne ciblent ces personnes et lui-même, n’était pas crédible, ainsi que je l’ai expliqué ci-dessus au paragraphe 540.

d) M. Mahjoub a omis de dévoiler aux autorités canadiennes la véritable nature de son travail et de son employeur à la ferme Damazine lorsqu’il se trouvait au Soudan, mentionnant uniquement qu’il avait été employé comme ingénieur agricole à la ferme. Cette omission est un autre élément qui affaiblit sa crédibilité.

e) L’explication que M. Mahjoub a donnée au sujet du fait qu’il avait quitté la ferme pour aller acheter et vendre des produits au marché n’était pas crédible, eu égard au salaire qu’il touchait probablement à l’époque comparativement au salaire moyen au Soudan, comme je l’ai expliqué ci-dessus aux paragraphes 484 à 486 et 490.

[619] À mon avis, les omissions et mensonges susmentionnés de M. Mahjoub visent à constamment dissimuler des faits qui pourraient le rattacher à des terroristes notoires, à des activités terroristes ou à des entreprises, comme Althemar, dont les liens avec le terrorisme sont connus. Le fait que M. Mahjoub était prêt à mentir au sujet de l’utilisation de noms d’emprunt est particulièrement troublant. L’utilisation de noms d’emprunt est bien connue dans le milieu du terrorisme et permet de dissimuler la véritable identité des individus concernés.

[620] Dans ces conditions, les omissions et mensonges susmentionnés de M. Mahjoub m’incitent à conclure que le compte rendu innocent qu’il a fait de certains événements et activités au Soudan ainsi qu’au Canada n’est pas crédible. Cette conclusion appuie les allégations des ministres.

[…]

iii. La période des voyages de M. Mahjoub

[623] Les voyages que M. Mahjoub a faits au Soudan en septembre 1991 coïncident avec le déplacement d’éléments de l’AJ et d’Al-Qaïda vers ce même pays. Le départ de M. Mahjoub du Soudan vers le Canada coïncide avec l’exode de ces éléments du Soudan vers l’ouest et vers d’autres pays du monde musulman. Je reconnais qu’au cours de cette période, les organisations terroristes se cherchaient une base à l’étranger et leurs membres se sont dispersées à différents endroits, notamment en Europe et en Amérique du Nord. Je conclus que la période des voyages de M. Mahjoub appuie l’allégation des ministres selon laquelle M. Mahjoub était membre de l’AJ.

iv. Les contacts de M. Mahjoub avec des terroristes

[624] Plusieurs personnes avec lesquelles M. Mahjoub a des liens jouent un rôle important dans le milieu terroriste. M. Mahjoub entretient en effet depuis longtemps des liens étroits avec M. Al Duri, M. Khadr et M. Marzouk. Certains de ces individus jouaient encore un rôle manifestement actif chez les militants de l’AJ et dans le milieu d’Al-Qaïda connexe lorsque M. Mahjoub était en contact avec eux. Le recours fréquent à des noms d’emprunt, à des mensonges et à des omissions pour dissimuler ces liens aux autorités montre la nature terroriste de ces contacts. Je conclus que ces contacts appuient les allégations des ministres quant à l’appartenance de M. Mahjoub à l’AJ et au VOC. De plus, M. Mahjoub XXXXXXXXXXXXXXXXXXX a composé un numéro de téléphone associé au VOC.

v. Le souci de protection du secret de M. Mahjoub

[625] Certains éléments de preuve montrent que M. Mahjoub s’est préoccupé à l’occasion du secret entourant le terrorisme lorsqu’il se trouvait au Canada. Ainsi, l’utilisation de tactiques pour déjouer la surveillance lorsqu’il faisait des appels téléphoniques ou qu’il était suivi par le Service, l’emploi de noms d’emprunt et le manque de coopération dont il a fait preuve à l’endroit des autorités canadiennes correspondent au comportement d’une personne qui cherche à dissimuler ses activités et ses contacts. Je suis d’avis que ce comportement appuie les allégations des ministres en ce qui concerne l’appartenance de M. Mahjoub à l’AJ et au VOC.

vi. Les éléments de preuve directs confirmant ou niant le fait que M. Mahjoub est un terroriste et un membre du conseil de la Shura du VOC

[626] Tel qu’il est mentionné ci-dessus, les éléments de preuve directs concernant les allégations des ministres selon lesquelles M. Mahjoub est membre du VOC et du conseil de la Shura de celui-ci, ou membre de l’AJ, sont les suivants :

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

c) XXXXXXXXXXXXXXXXX [certains éléments de preuve classifiés]

d) une conversation interceptée.

J’ai conclu que les rapports [classifiés] XXXXXXXXXXXXX n’étaient pas suffisamment convaincants pour appuyer l’allégation des ministres concernant l’appartenance; cependant, j’ai aussi conclu que XXXXXXXXXXXXXX [un élément de preuve indiquant que M. Mahjoub était un dirigeant de l’AJ] et le fait que M. Mahjoub s’est lui-même décrit comme un « membre » dans le contexte du procès des rapatriés de l’Albanie appuient l’allégation d’appartenance.

c) Conclusion sur l’appartenance

[627] Après examen global de la preuve, et sur le fondement d’inférences justifiées et raisonnables, je conclus que les ministres ont établi qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub est membre de l’AJ et de son sous-groupe, ou groupe dissident, le VOC.

[628] À cet égard, je me fonde sur les conclusions précédemment exposées, dont les suivantes :

a) L’AJ et le VOC existaient en tant qu’organisations terroristes aux époques pertinentes;

b) M. Mahjoub était en contact au Canada et à l’étranger avec des terroristes membres de l’AJ et du VOC;

c) M. Mahjoub a utilisé des noms d’emprunt pour dissimuler ses contacts avec des terroristes;

d) M. Mahjoub a dissimulé de manière malhonnête aux autorités canadiennes ses contacts avec des terroristes;

e) M. Mahjoub a occupé un poste de très haut niveau dans l’organisation de ben Laden, auprès de terroristes au Soudan, alors que les principaux chefs terroristes se trouvaient dans ce pays;

f) M. Mahjoub a dissimulé de manière malhonnête aux autorités canadiennes la nature de son travail à la ferme de Damazine;

g) M. Mahjoub s’est rendu au Soudan et il en est sorti en même temps que des membres de l’AJ et d’Al-Qaïda;

h) XXXXXXXX [Certains éléments de preuve directs] concernant l’appartenance de M. Mahjoub à l’AJ et des conversations interceptées de M. Mahjoub étayent l’allégation des ministres.

[629] Pour arriver à ma décision, je me suis aussi fondé sur les inférences suivantes, concernant les déplacements et les activités de M. Mahjoub :

a) M. Mahjoub était en contact avec des terroristes;

b) M. Mahjoub avait une relation étroite et de longue date avec un certain nombre de ces terroristes;

c) M. ben Laden avait placé sa confiance en M. Mahjoub en raison de ses liens avec les milieux extrémistes islamiques;

d) M. Mahjoub était au courant de l’entraînement au maniement des armes dispensé par Al-Qaïda à la ferme de Damazine et il était complice de cette activité;

e) Ce n’est pas par coïncidence si M. Mahjoub s’est rendu au Soudan et en est sorti en même temps que des membres de l’AJ.

[630] Je suis convaincu que, même en l’absence des éléments de preuve directs XXXXXXXXXXX et de la conversation interceptée, ma décision demeurerait la même.

[631]  Compte tenu des conclusions qui précèdent, je suis convaincu que M. Mahjoub avait un lien institutionnel avec l’AJ et qu’il a participé sciemment aux activités de cette organisation. Malgré la minceur des éléments de preuve péremptoires et dignes de foi rattachant explicitement M. Mahjoub au VOC, je suis convaincu que la preuve établit un lien institutionnel avec l’aile de l’AJ dirigée par M. Al Zawahiri et une participation consciente aux activités de celle-ci, qui s’est finalement rangée du côté d’Al-Qaïda et a poursuivi ses activités militantes après que de nombreux membres de l’AJ eurent déclaré un cessez-le-feu. J’ai conclu que cette aile était probablement connue sous le nom du VOC, du moins à une certaine période de son existence. M. Mahjoub avait des liens avec cette aile de l’AJ et avec Al-Qaïda dans le cadre de son emploi chez Althemar, de ses voyages et de ses contacts avec des terroristes au Canada. Ces liens sont demeurés actifs pendant de nombreuses années. M. Mahjoub a participé sciemment à ces réseaux dans le cadre du rôle, passif ou actif, qu’il a joué lors de l’entraînement au maniement des armes à la ferme de Damazine, ainsi que dans le cadre des contacts qu’il a maintenus avec des individus qui étaient des terroristes actifs liés à M. ben Laden ou à M. Al Zawahiri. Bien que l’appartenance réelle au groupe n’ait pas été établie au moyen d’une preuve du fait que M. Mahjoub a juré allégeance à celui-ci, cette preuve n’est pas nécessaire dans le contexte d’une instance visant le certificat de sécurité. Je suis convaincu que les liens et la participation de M. Mahjoub cadrent avec l’interprétation large et libérale que doit recevoir le mot « membre » aux fins de l’application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[632] Compte tenu des éléments de preuve susmentionnés qui sont mis en relief dans ma conclusion ainsi que des principes de droit commentés dans la section des présents motifs qui porte sur le cadre juridique, je suis d’avis que les ministres ont établi l’existence de motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub était membre de l’AJ et de son sous-groupe, ou groupe dissident, le VOC. En conséquence, les ministres ont satisfait aux exigences de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[633] Étant donné que les exigences énoncées à l’article 34 de la LIPR sont disjonctives, ma conclusion susmentionnée est déterminante quant au caractère raisonnable du certificat. En conséquence, compte tenu de la conclusion susmentionnée, je suis d’avis que le certificat de sécurité délivré contre M. Mahjoub au titre du paragraphe 77(1) de la LIPR est raisonnable.

[…]

[668] Au cours des années 1996 et 1997, pendant lesquelles le nombre de terroristes associés aux groupes en litige a semblé augmenter considérablement au Canada, et au cours de la période de 1998 à 2000, après l’adhésion de l’AJ au Front islamique dirigé par Al-Qaïda et le prononcé d’une fatwa contre les Américains et leurs alliés, M. Mahjoub a maintenu des contacts depuis le Canada avec des terroristes, présumés ou réels, que ce soit au Canada ou à l’étranger : M. Khadr, M. Al Duri, M. Jaballah et surtout M. Marzouk XXXXXXXXXXXX. Fait important à souligner, les individus avec lesquels M. Mahjoub avait des contacts à l’étranger, soit M. Khadr et M. Al Duri, étaient des citoyens canadiens. J’ai conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que tous ces individus, à l’exception de XXXXXXXX M. Jaballah, dont M. Mahjoub lui-même, étaient présents au Canada ou pouvaient y entrer librement et avaient des liens avec des groupes terroristes déterminés à tuer des alliés des États-Unis, y compris des Canadiens. Ces faits établissent que les membres de l’AJ au Canada constituaient une menace pour les Canadiens.

[669] J’en arrive à la conclusion que ces faits établissent l’existence de motifs raisonnables de croire qu’avant son arrestation, M. Mahjoub constituait, en tant que membre de l’AJ et de son sous-groupe, ou groupe dissident, le VOC, un danger pour la sécurité du Canada

Remarque : Les éléments caviardés sont ceux qui figurent dans les motifs publics.

[17] Ainsi qu’il ressort des renvois susmentionnés aux divers motifs du jugement et jugements, l’AJ (l’Al Jihad ou le Jihad) et le VOC (le Vanguards of Conquest) sont qualifiés par le juge Blanchard de groupes terroristes importants qui étaient actifs en Égypte et qui avaient des liens et des rapports directs avec Oussama ben Laden et Al-Qaïda (voir également les paragraphes 177 et suivants de la décision sur le caractère raisonnable).

[18] Le 17 décembre 2013, par suite de la demande déposée par M. Mahjoub en vue de faire lever les conditions de mise en liberté à l’exception de quelques-unes, le juge Blanchard concluait : [traduction] « Je demeure convaincu que M. Mahjoub constitue une menace pour la sécurité du Canada, comme je l’ai expliqué dans les motifs de mon ordonnance du 7 janvier 2013. » Le juge Blanchard a également conclu que les conditions de mise en liberté ne devaient pas être modifiées, sauf pour quelques adaptations concernant l’utilisation de cartes d’appel. Il a également pris note du fait que M. Mahjoub avait techniquement violé les conditions de sa mise en liberté en n’informant pas l’ASFC qu’il s’était procuré un téléphone mobile, mais qu’il ne s’agissait pas d’une violation grave, étant donné que M. Mahjoub n’avait pas utilisé ce téléphone. Il a également conclu que, lorsque M. Mahjoub avait choisi de couper lui-même le bracelet GPS qu’il portait au lieu de laisser l’ASFC le lui enlever sans le détruire, il n’avait pas violé de conditions, mais avait démontré un indice d’un [traduction] « refus » de collaborer avec l’ASFC (voir Mahjoub (Re), 2013 CF 1257 (la décision de 2013 du juge Blanchard (décembre)), aux paragraphes 5, 6, 16, 17 et 18)).

[19] En mai 2014, j’ai précisé que M. Mahjoub devait communiquer le mot de passe de son ordinateur à l’ASFC, étant donné que l’ASFC avait accès à son ordinateur suivant les conditions de sa mise en liberté (voir Mahjoub (Re), 2014 CF 479 (la décision de 2014 du juge Noël (mai))). Pour la Cour, il était évident que l’attitude de M. Mahjoub démontrait son manque de collaboration. Son attitude n’aide pas l’ASFC à exercer le rôle de surveillance que lui impose l’ordonnance de la Cour.

[20] Un peu plus de six mois après que le juge Blanchard eut rendu ses derniers motifs à la suite du contrôle des conditions de sa détention, M. Mahjoub a déposé une autre demande en vue de faire réexaminer les conditions de sa mise en liberté. Il réclamait essentiellement la même mesure, à savoir que la Cour lève l’ensemble des conditions, à l’exception des conditions habituelles. La Cour a tiré les conclusions suivantes (voir Mahjoub (Re), 2014 CF 720 (la décision de 2014 du juge Noël (juillet))) :

D. Les éléments de confiance et de crédibilité touchant le comportement du demandeur après sa mise en liberté sous conditions et son respect de celles-ci

[57] Le comportement de l’intéressé au regard des conditions de sa mise en liberté est un facteur important à considérer lorsqu’on envisage de modifier ces conditions ou certaines d’entre elles. Dans Harkat (Re), 2009 CF 241, au paragraphe 92, [2009] ACF n° 316, la Cour a commenté ce facteur comme suit :

[92] La crédibilité et la confiance sont des considérations essentielles à l’occasion du contrôle judiciaire du caractère approprié des conditions. Lors de l’examen de la question de savoir si les conditions neutraliseront le danger, la Cour doit examiner l’efficacité des conditions. La crédibilité d’une personne qui est assujettie aux conditions et la confiance de la Cour à son endroit régiront vraisemblablement le type de conditions nécessaires.

[58] M. Mahjoub ne s’est pas conformé de manière exemplaire à ses plus récentes conditions de mise en liberté, comme la Cour l’a signalé dans son ordonnance du 17 décembre 2013, lorsqu’elle a conclu qu’il avait enfreint une condition en ne donnant pas l’avis prévu avant de procéder à l’acquisition et à l’utilisation de services de téléphonie et de télécopieur. La Cour a conclu qu’on ne pouvait [traduction] « […] se fier à ce que M. Mahjoub respecte ses conditions de mise en liberté » (ordonnance du 17 décembre 2013, au paragraphe 18).

[59] Dans la même décision, encore une fois rendue aussi récemment qu’en décembre 2013, la Cour a aussi conclu, en ce qui concerne l’enlèvement du bracelet GPS, que le fait pour M. Mahjoub de ne pas avoir permis à l’ASFC d’accomplir cette mesure sans endommager le bracelet était [traduction] « […] l’indice d’un refus de collaborer avec l’ASFC » (voir le paragraphe 17).

[60] L’attitude, les agissements et le comportement récents de M. Mahjoub dénotent également un refus de collaborer avec l’ASFC et de lui faciliter l’exercice du devoir de surveillance que la Cour lui a imposé. En voici quelques exemples :

A. En janvier 2014, bien que la condition 7 lui ait prescrit de le faire, M. Mahjoub n’a pas donné à l’ASFC l’information exacte sur un voyage effectué de Toronto à Ottawa. Par l’entremise de son avocat, le demandeur a communiqué une heure de départ erronée à l’ASFC, ce qui a empêché cette dernière de dûment assumer son rôle de surveillance. Les explications données à ce titre, soit que l’erreur était imputable à l’avocat et que l’ASFC aurait dû faire part à M. Mahjoub des divergences dans les renseignements, ne sont pas acceptées. La condition 7 imposait à M. Mahjoub de donner l’information exacte sur ses déplacements, et il n’appartenait pas à l’ASFC de pallier l’imprécision des renseignements fournis. Quoi qu’il en soit, vu l’inexactitude flagrante des faits communiqués par M. Mahjoub, l’ASFC n’a pas été en mesure d’exercer les fonctions de surveillance exigées d’elle par la Cour. C’est là une autre indication du manque de collaboration et de coopération de la part de M. Mahjoub.

B. M. Mahjoub n’a pas transmis, encore à ce jour, les relevés de communications téléphoniques de Startec demandés par l’ASFC, conformément à la condition de mise en liberté 11b), pour la période d’utilisation allant du 31 janvier 2014 au 21 février 2014. La question a été soumise à la Cour à la fin du printemps 2014. La condition 11b) est claire : M. Mahjoub est tenu de transmettre les relevés de communications téléphoniques de Startec pour la période de trois semaines en cause. C’est là un autre exemple du manque de collaboration et de coopération de M. Mahjoub. Quant aux relevés pour l’année 2013, M. Mahjoub n’a toujours pas consenti à les transmettre, même si on lui a demandé de le faire en application de la condition de mise en liberté 11a) imposée le 31 janvier 2013. M. Mahjoub invoque comme motif que l’ASFC ne devrait pas obtenir rétroactivement l’accès à ces relevés de communications. M. Mahjoub n’a pas non plus donné avis du fait qu’il utilisait les services de Startec même si les conditions de sa mise en liberté le requéraient. Il soutient que l’ASFC avait connaissance de son compte Startec et aurait dû en demander plus tôt les relevés. Cet argument ne saurait libérer M. Mahjoub de son obligation de consentir à la transmission des relevés, tel que la Cour le lui a enjoint en application de la condition 11a). Ce comportement, encore une fois, n’est pas l’indice de la collaboration et de la coopération requises par ces conditions. En agissant ainsi, M. Mahjoub fait de nouveau en sorte que l’ASFC ne puisse exercer le rôle de surveillance que la Cour lui a imposé.

C. Conformément à la condition de mise en liberté 10f) de 2014, M. Mahjoub doit accorder plein accès à l’ASFC à son ordinateur, y compris le disque dur et la mémoire périphérique, sans préavis, et l’ASFC peut saisir l’ordinateur à cette fin. Lorsque l’ASFC lui a demandé un tel accès, le 24 avril 2014, M. Mahjoub ne le lui a pas immédiatement accordé. M. Mahjoub a fait attendre à sa porte le représentant de l’ASFC, qui a cru le voir, étant retourné à son ordinateur, y effectuer des opérations pendant deux minutes. La condition imposée obligeait M. Mahjoub à accorder accès et contrôle à l’ASFC, sans préavis. Il ne l’a pas fait. Il s’est également opposé à ce que le représentant de l’ASFC prenne des photographies, alors que le but visé était de brancher l’ordinateur de la même manière lors de sa réinstallation, et d’attester tout dommage éventuellement subi. Il s’agit d’une procédure habituelle de la part de l’ASFC et d’une politique dont l’application est facile à comprendre. M. Mahjoub n’a pas non plus remis les périphériques USP pour inspection, tel que le requérait la condition 10f), qui prescrivait d’autoriser l’examen non seulement de l’ordinateur, mais aussi de tous les dispositifs mémoire périphériques. S’il n’y a pas eu violation, on en a été bien proche. Pour en finir sur ce point, M. Mahjoub a refusé de fournir le mot de passe de son ordinateur. La Cour a alors rédigé des motifs d’ordonnance et une ordonnance enjoignant à M. Mahjoub de s’exécuter (voir Mahjoub (Re), 2014 CF 479, plus particulièrement au paragraphe 21). Il a semblé évident à la Cour que M. Mahjoub devait donner son mot de passe pour qu’on puisse procéder à l’examen de l’ordinateur. Ce qui semblait évident à la Cour ne l’était toutefois pas pour M. Mahjoub. Ce type de comportement ne peut que dénoter un manque de collaboration et de coopération et, non seulement dessert les intérêts de M. Mahjoub, mais aussi rend plus difficile, voire impossible, pour l’ASFC d’assumer le rôle de surveillance que la Cour lui impose dans les Conditions de mise en liberté tant de 2013 que de 2014.

[61]  M. Mahjoub explique qu’il vise à s’assurer, par son comportement, que la portée des conditions de sa mise en liberté ne soit nullement élargie et que sa vie privée soit respectée. Ces motifs sont valables, dans une certaine mesure, mais on ne doit pas les invoquer pour vider de tout sens véritable les conditions de mise en liberté et empêcher la surveillance de l’utilisation des dispositifs de communication, des ordinateurs et des autres modes de transmission de données, de renseignements et d’images. Sans surveillance adéquate de la part de l’ASFC, les conditions de mise en liberté perdent toute utilité.

[58]           Le demandeur, les défendeurs et les avocats spéciaux mettent en avant de nouveaux faits dans la présente instance, notamment les deux résumés de renseignements classifiés respectivement communiqués les 14 janvier et 6 juin 2016, ainsi que les renseignements confidentiels sous-jacents. En outre, les ministres ont déposé le rapport relatif à l’inspection de l’ordinateur de M. Mahjoub en date du 31 mai 2016 et un affidavit concernant la suppression des données de son téléphone mobile.

[59]           Le demandeur a quant à lui déposé un affidavit expliquant les difficultés ou préjudices que lui causent les conditions de sa mise en liberté. Il y exprime des sentiments de dépression et d’anxiété qu’il attribue à la surveillance constante dont il fait l’objet et à la crainte d’enfreindre sans le vouloir ces conditions, et il s’y plaint de la vie de reclus qu’il est forcé de mener. Il y parle également de son travail bénévole de recherche d’hébergement pour les familles de réfugiés syriens dans la région du Grand Toronto. Les conditions qui lui sont actuellement imposées, fait-il valoir, ne lui permettent pas de s’acquitter des tâches qu’il remplirait autrement, par exemple de sortir de Toronto pour fournir des services de traduction ou pour visiter des logements éventuels.

[60]           Le demandeur fait aussi observer que le SCRS n’a pas effectué de nouvelles évaluations des risques à son sujet depuis 2011, et que celle de 2011 ne concorde pas entièrement avec les conclusions du juge Blanchard sur le caractère raisonnable de son certificat de sécurité. L’ASFC n’a pas produit d’évaluation des risques pour l’audience de la présente instance.

[61]           Le demandeur attire aussi l’attention sur la récente décision Renvoi relatif au paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), 2016 CF 586, où la juge Hansen a conclu au caractère déraisonnable du certificat de sécurité délivré contre M. Jaballah. Il pourrait s’ensuivre qu’au moins une des personnes citées nommément comme des relations terroristes du demandeur dans l’évaluation des risques dont il a fait l’objet en 2011 ne puisse raisonnablement être tenue pour un terroriste.

[62]           Le demandeur, à l’audience, a été contre-interrogé par les défendeurs et réinterrogé par son avocat.

[63]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.                   Quelle sorte de contrôle notre Cour devrait-elle effectuer?

2.                  Le ministre s’est-il acquitté de la charge pesant sur lui de prouver l’existence de motifs raisonnables de croire – si c’est là la norme applicable – que le demandeur continue de représenter un risque sérieux pour la sécurité nationale?

3.                  Dans l’affirmative, quelles conditions de mise en liberté rempliraient les critères exposés aux paragraphes 110 à 117 de Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, et dans la jurisprudence de notre Cour?

III.             Les dispositions applicables

[64]           Le paragraphe 82(5) de la LIPR est ainsi libellé :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés,

LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

82(5) Lors du contrôle, le juge:

82(5) On review, the judge:

a) ordonne le maintien en détention s’il est convaincu que la mise en liberté sous condition de la personne constituera un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi si elle est mise en liberté sous condition;

(a) shall order the person’s detention to be continued if the judge is satisfied that the person’s release under conditions would be injurious to national security or endanger the safety of any person or that they would be unlikely to appear at a proceeding or for removal if they were released under conditions; or

b) dans les autres cas, ordonne ou confirme sa mise en liberté et assortit celle-ci des conditions qu’il estime indiquées.

(b) in any other case, shall order or confirm the person’s release from detention and set any conditions that the judge considers appropriate.

IV.             Analyse

[65]           La première question à examiner est celle de savoir si le demandeur constitue un danger. Il est acquis aux débats que la conclusion selon laquelle l’intéressé constitue un danger détermine de manière cruciale la fixation de conditions de mise en liberté. Selon le demandeur, le fait que le SCRS ne le considère plus comme une menace envers la sécurité du Canada pour l’application de la Loi sur le SCRS signifie en fait qu’il ne constitue plus un danger au titre de la LIPR. Ses avocats présentent le danger qu’il constitue comme négligeable ou nul. Ils soutiennent qu’aucun élément de preuve n’étaye la conclusion selon laquelle il représenterait un danger. Je ne peux souscrire à cette affirmation; les objets respectifs des deux lois (la Loi sur le SCRS et la LIPR) sont manifestement différents. Le fait de constituer ou non un danger au sens d’un danger pour autrui est un critère de la LIPR, plus précisément de son alinéa 85(2)a). Alors qu’une évaluation de la menace par le SCRS peut motiver une conclusion de danger pour l’application de la LIPR, l’absence d’une telle évaluation relevant de la Loi sur le SCRS n’empêche nullement la Cour de conclure à l’existence d’un danger au titre de ladite LIPR. En d’autres termes, il est possible de conclure à l’existence d’un danger sous le régime de la LIPR même s’il n’a pas été conclu que l’intéressé constitue une menace envers la sécurité du Canada pour l’application de la Loi sur le SCRS.

A.                Comment définir le danger?

[66]           Je reprends ici à mon compte la définition du danger que donne la Cour suprême du Canada au paragraphe 90 de Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] ACS no 3, dans le contexte de l’expression « danger pour la sécurité du Canada ». Pour constituer un danger, explique la Cour suprême, l’intéressé doit représenter une menace grave, c’est-à-dire que cette menace doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable :

90.       […] une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada » si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d’un pays est souvent tributaire de la sécurité d’autres pays. La menace doit être « grave », en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable

[67]           Le juge Noël a examiné la définition du concept de danger dans sa décision du 30 octobre 2015 sur les conditions de mise en liberté, où le demandeur et le dispositif législatif applicable étaient les mêmes que dans la présente instance, et il y a exposé les critères et la méthode juridiques qu’il convient selon lui, et aussi à mon humble avis, d’appliquer au contrôle des conditions de mise en liberté, notamment en ce qui concerne la question de la charge de la preuve, sur laquelle insistent les avocats du demandeur :

[51] La définition de l’expression « danger pour la sécurité du Canada » a été scrupuleusement suivie par tous les juges de la Cour dans le cadre du contrôle des détentions, du contrôle des conditions de mise en liberté et de la vérification de la validité des certificats de sécurité (voir la décision de juillet 2003 de la juge Dawson dans l’affaire Mahjoub, précitée; sa décision de novembre 2005 dans l’affaire Mahjoub (Re), précitée; les décisions du juge Noël dans les affaires Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 628, [2006] ACF no 770, aux paragraphes 54 à 59, Charkaoui (Re), 2005 CF 248, [2005] ACF no 269, au paragraphe 36, et Harkat (Re), précitée, mars 2009, aux paragraphes 42 et 43; les décisions du juge Mosley dans l’affaire Mahjoub (Re), précitée, au paragraphe 106, et dans l’affaire Almrei (Re), 2009 CF 3, [2009] ACF no 1, aux paragraphes 47 et 48; etc.).

[52] Le fardeau initial d’établir l’existence d’un danger pour la sécurité du Canada aux fins d’évaluer le danger que comporterait la mise en liberté repose sur les ministres (voir Charkaoui n° 1, précité, au paragraphe 100). La Cour suprême du Canada a également fait observer, au paragraphe 105 de ce même arrêt, que la détention en attendant l’expulsion est susceptible d’être prolongée ou d’avoir une durée indéterminée et que la mise en liberté assortie de sévères conditions peut également se traduire par une détention prolongée ou pour une durée indéterminée selon les faits de l’espèce.

[53] Les faits allégués par les deux parties relativement au danger que pose ou non M. Mahjoub pour la sécurité du Canada doivent être jugés selon des faits qui « reposent sur des soupçons objectivement raisonnables » et doivent être évalués selon la norme des « motifs raisonnables de croire », ainsi que la Cour suprême l’a clairement expliqué dans l’arrêt Charkaoui n° 1, au paragraphe 39 :

39.       […] La norme des « motifs raisonnables de croire » exige que le juge se demande s’il existe « un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, par. 114. C’est la norme des « motifs raisonnables de croire » que les juges doivent appliquer lorsqu’ils contrôlent le maintien en détention sous le régime des dispositions de la LIPR régissant les certificats. La LIPR n’impose pas une grande retenue au juge désigné, mais l’oblige à procéder à un examen approfondi.

Il convient de suivre le même raisonnement et d’appliquer la même logique pour le contrôle des conditions de la mise en liberté. Selon l’interprétation que je fais des enseignements des arrêts Suresh et Charkaoui n° 1 de la Cour suprême du Canada, il n’y a pas lieu d’adopter une approche différente. Au contraire, l’une complète l’autre. Le juge désigné doit procéder à un contrôle approfondi en se fondant sur des soupçons objectivement raisonnables qui reposent sur des faits démontrant que le préjudice découlant du danger est important et qu’il n’est pas simplement négligeable. Cet examen approfondi doit être effectué selon la norme des « motifs raisonnables de croire », comme la Cour suprême du Canada l’affirme explicitement dans l’arrêt Charkaoui n° 1. C’est la méthode qu’a suivie le juge Blanchard dans tous les contrôles des conditions de mise en liberté relatifs à M. Mahjoub (voir Mahjoub (Re), précitée, novembre 2009, aux paragraphes 35 à 44; Mahjoub (Re), précitée, mai 2011, aux paragraphes 17 à 23; Mahjoub (Re), précitée, janvier 2013, aux paragraphes 13 à 16).

[54] Si, lors du processus mentionné dans les paragraphes qui précèdent, le juge désigné constate l’existence d’un danger pour la sécurité du Canada, il doit déterminer si ce danger à la sécurité du Canada est tel qu’aucune condition n’est susceptible de neutraliser ce danger. Dans l’affirmative, le maintien en détention se justifie. Si, au contraire, le juge désigné estime que certaines conditions peuvent neutraliser le danger à la sécurité du Canada, la Cour doit se demander quelles conditions de mise en liberté neutraliseront le danger en question, en proportion du danger constaté. La Cour doit s’assurer que la levée des conditions ne sera pas préjudiciable à la sécurité nationale, qu’elle ne compromettrait pas la sécurité de personnes et que les conditions assureront également la présence de la personne désignée lors d’une instance ou à son renvoi au besoin (voir Charkaoui n° 1, précité, aux paragraphes 109, 111, 116, 117, 120, 122 et 123; Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 628, 278 FTR 118, confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 259, 270 DLR (4th) 35, aux paragraphes 37 à 46 et 48).

[68]           Je dois aussi m’interroger sur le type de contrôle qu’il faut effectuer pour déterminer les conditions adéquates de mise en liberté. L’une des questions que je dois me poser est évidemment celle de savoir ce qui a changé. Mais la loi exige plus. La Cour suprême du Canada a formulé à ce propos les observations suivantes dans Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 [Charkaoui I] :

[117]    Autrement dit, il faut que la détention soit contrôlée régulièrement et que le juge qui la contrôle puisse tenir compte de tous les facteurs pertinents quant au bien-fondé du maintien de la détention, y compris la possibilité d’un mauvais usage ou d’une application abusive des dispositions de la LIPR autorisant la détention. Des principes analogues s’appliquent à la mise en liberté assortie de conditions sévères ou restrictives pendant une longue période : ces conditions doivent être révisées régulièrement, en fonction de tous les facteurs susmentionnés, y compris l’existence de solutions de rechange.

(…)

[122]    Les juges ont aussi pris l’habitude de prévoir des contrôles périodiques de la mise en liberté : Charkaoui (Re), 2005 CF 248, par. 86. Dans le contexte de l’immigration, ces contrôles périodiques doivent être considérés comme requis par les art. 7 et 12 de la Charte. La Cour d’appel fédérale a laissé entendre qu’un étranger qui a déjà présenté une demande de mise en liberté en vertu du par. 84(2) ne peut présenter une nouvelle demande, sauf pour faire valoir (i) une nouvelle preuve, ou (ii) un changement important dans les circonstances depuis la dernière demande : Almrei, 2005 CAF 54; voir aussi Ahani, par. 14-15. Suivant une telle interprétation, il faudrait conclure que le par. 84(2) est incompatible avec les art. 7 et 12; toutefois, comme j’ai déjà conclu que le par. 84(2) viole l’art. 9 et ne peut être validé par l’article premier, il n’est pas nécessaire de trancher cette question.

[123]    En résumé, lorsqu’elle est interprétée conformément à la Charte, la LIPR permet un contrôle judiciaire vigoureux et continu du bien-fondé et de la nécessité du maintien de la détention en attente de l’expulsion. Pour cette raison, je conclus que les longues périodes de détention avant le renvoi prévues par des dispositions de la LIPR relatives aux certificats ne contreviennent pas aux art. 7 ou 12 de la Charte, pourvu que le juge qui procède au contrôle suive les lignes directrices énoncées précédemment. La procédure établie par la LIPR n’est donc pas en soi inconstitutionnelle pour ce motif. Cela n’écarte toutefois pas la possibilité que, dans un cas particulier, un juge arrive à la conclusion que la détention constitue un traitement cruel et inusité ou est incompatible avec les principes de justice fondamentale, de sorte qu’elle constitue une violation de la Charte ouvrant droit à réparation conformément au par. 24(1) de la Charte.

[Non souligné dans l’original.]

[69]           Pour ce qui concerne les exigences d’un tel contrôle vigoureux ou rigoureux, je reprends à mon compte le passage de la décision du 30 octobre 2015 sur les conditions de mise en liberté où le juge Noël explique qu’un contrôle de cette nature exige une compréhension complète des décisions antérieures et des motifs qui les sous-tendent, et que des conclusions antérieures selon lesquelles l’intéressé constituait un danger, qu’il avait violé ou failli violer des conditions déterminées, ou qu’il s’était montré dans l’ensemble peu coopératif, sont des facteurs à prendre en considération s’agissant de décider s’il y a lieu d’assouplir les conditions de mise en liberté :

[21]      J’ai fait ce bref historique des motifs d’ordonnance ainsi que des jugements déjà rendus et j’ai cité des extraits de ceux que je trouvais pertinents pour le présent contrôle. La Cour suprême du Canada exige des contrôles rigoureux. Le juge désigné chargé d’examiner la demande s’acquitte en partie de cette obligation lorsqu’il comprend bien les décisions antérieures et les motifs qui les sous-tendent. Un contrôle rigoureux exige non seulement que l’on tienne compte des facteurs favorables à la personne visée, mais également de tous les autres facteurs intéressant la personne visée qui ont été relevés dans les décisions antérieures. Ainsi, le fait que l’on a déjà conclu que l’intéressé constituait un danger, qu’il n’avait pas respecté certaines conditions ou qu’il avait failli ne pas s’y conformer ou qu’il avait, dans l’ensemble, fait preuve d’une attitude de manque de collaboration sont des facteurs qui militent contre l’assouplissement des conditions de sa mise en liberté. Le juge désigné chargé de procéder à un contrôle de la détention qui dispose de telles connaissances factuelles de faits passés et présents doit apprécier les différentes questions juridiques et rendre une décision au bout du compte.

[70]           Enfin, pour déterminer les conditions précises de mise en liberté qu’il convient de fixer, la Cour doit mener son analyse en se fondant sur les critères suivants :

1.      Les décisions antérieures relatives au danger, et l’historique des procédures afférentes aux contrôles de la détention et des conditions de la mise en liberté.

2.      L’appréciation par la Cour, à la lumière de la preuve produite, du danger que le demandeur constitue pour la sécurité du Canada.

3.      La décision rendue, le cas échéant, sur le caractère raisonnable du certificat.

4.      La confiance et la crédibilité qu’inspire la conduite suivie par le demandeur après sa mise en liberté sous conditions, et son observation de celles-ci.

5.      L’incertitude de l’avenir touchant le caractère définitif ou non des procédures.

6.      Le passage du temps (qui n’est pas en soi un facteur décisif).

7.      L’incidence des conditions de mise en liberté sur le demandeur et sa famille, et la proportion de ces conditions au danger que celui-ci représente.

Voir la décision du 30 octobre 2015 sur les conditions de mise en liberté, au paragraphe 55; Harkat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 795, [2013] ACF no 860, au paragraphe 26; Charkaoui n° 1, précité, aux paragraphes 110 à 121; et Harkat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 416, [2007] ACF no 540, au paragraphe 9.

[71]           J’examinerai maintenant l’application de chacun de ces facteurs.

1.         Les décisions antérieures relatives au danger, et l’historique des procédures afférentes aux contrôles de la détention et des conditions de la mise en liberté.

[72]           Le juge Noël a résumé comme suit, dans sa décision du 30 octobre 2015, le récent contrôle des conditions de la mise en liberté du demandeur :

[80]      Nous avons déjà examiné les décisions antérieures se rapportant à la procédure, les contrôles de la détention et les contrôles des conditions de mise en liberté. Pour les besoins du présent contrôle, nous ne mentionnerons que l’instance sur le certificat la plus récente, sauf pour mentionner le contrôle des conditions de détention du juge Mosley de février 2007.

[81]      Dans cette décision de février 2007, le juge Mosley a mis en liberté M. Mahjoub sous réserve de conditions rigoureuses s’apparentant à une détention à domicile. Le juge Mosley avait estimé que M. Mahjoub n’avait pas démontré qu’il ne représentait plus un danger pour la sécurité nationale. Dans le contrôle suivant des conditions de sa mise en liberté, M. Mahjoub n’avait pas contesté les conclusions du juge Mosley, ni celles de la juge Layden-Stevenson, la juge désignée suivante qui avait été chargée en premier de la deuxième instance sur le certificat. La juge Layden-Stevenson a examiné l’ensemble des conditions de mise en liberté et a conclu qu’elles étaient toutes adaptées à sa situation actuelle (voir Mahjoub, précitée, mars 2009).

[82]      À la suite du désistement de sa femme et de son gendre à titre de cautions, M. Mahjoub avait été incarcéré de nouveau jusqu’à ce que de nouvelles conditions de mise en liberté puissent être élaborées.

[83]      Dans les motifs qu’il a prononcés en novembre 2009, le juge Blanchard a ordonné la mise en liberté de M. Mahjoub sous conditions, lesquelles furent mises à jour en mars 2010. Dans cette décision, le juge Blanchard a examiné la preuve et a conclu qu’avec l’écoulement du temps et par suite de sa longue détention, le danger que représentait M. Mahjoub avait diminué. C’était la raison pour laquelle il avait assoupli les conditions de sa mise en liberté. Le 2 mai 2011, le juge Blanchard a prononcé d’autres motifs après avoir procédé au contrôle des conditions de la mise en liberté. Après avoir conclu que le danger était neutralisé par les conditions de mise en liberté, le juge a examiné les conditions et estimé qu’il y avait lieu de favoriser un certain assouplissement. M. Mahjoub souhaitait que toutes les conditions soient levées, mais le juge en a décidé autrement. Les conditions ont à nouveau été modifiées et non levées. Un autre contrôle des conditions de mise en liberté a eu lieu à la fin de 2011, et des motifs ont été publiés en février 2012 (voir Mahjoub (Re), 2012 CF 125).

[84]      Les conditions de mise en liberté ont été considérablement modifiées en janvier 2013, étant donné que le juge Blanchard estimait alors que le danger que représentait M. Mahjoub avait diminué (voir le paragraphe 35).

[85]      Après avoir prononcé la décision sur le caractère raisonnable en octobre 2013, le juge Blanchard a, comme nous l’avons déjà mentionné, procédé à un nouveau contrôle des conditions en décembre 2013. Il a conclu que le danger était le même que lors de l’évaluation de 2013. Le juge Blanchard a constaté des manquements aux conditions de la mise en liberté au point d’écrire ceci : [traduction« [...] on ne peut se fier à ce que M. Mahjoub respecte ses conditions de mise en liberté » (voir le paragraphe 18). En outre, certains de ses agissements ont été considérés comme [traduction« [...] constituant un indice d’un refus de collaborer avec l’ASFC » (voir le paragraphe 17).

[86]      En juillet 2014, après avoir entendu les parties au début du mois sur le contrôle des conditions de la mise en liberté, le soussigné a rendu des motifs dans lesquels le danger que représentait M. Mahjoub a été considéré comme n’ayant pratiquement pas changé. Le soussigné a conclu que le danger que représentait M. Mahjoub était le même que celui constaté par le juge Blanchard dans la décision sur le caractère raisonnable ainsi que dans son contrôle des conditions de mise en liberté de la fin de décembre 2013. L’avocat de M. Mahjoub fait valoir que cette dernière évaluation du danger n’avait pas été faite correctement, étant donné qu’elle reposait sur l’évaluation du danger du juge Blanchard. Cela est inexact, comme on peut le constater à la lecture de l’ensemble des motifs prononcés. Comme nous l’avons déjà vu, les conditions de mise en liberté demeuraient inchangées, sous réserve de quelques modifications. Le soussigné a également prononcé d’autres motifs à la fin du printemps 2014, dans lesquels il a conclu que les antécédents ainsi que l’attitude de M. Mahjoub concernant ses récentes conditions de mise en liberté n’étaient pas exemplaires et démontraient qu’il ne s’était pas montré coopératif, comme le juge Blanchard l’avait déjà conclu.

[73]           Le juge Noël a résumé la situation relative au danger telle qu’elle se présentait au moment de son contrôle des conditions en date du 30 octobre 2015, et il a conclu que le danger pour la sécurité du Canada constitué par M. Mahjoub n’avait pas disparu, et restait latent, perceptible et réel :

[78]      Le danger que pose M. Mahjoub pour la sécurité du Canada n’est certainement pas comparable à celui qu’il représentait auparavant. Mais est-il pour autant inexistant? J’estime que ce danger s’est amenuisé au fil des ans. Mais, depuis le contrôle de janvier 2013 où il a été jugé que la menace était « sensiblement » inférieure, j’estime que rien d’important n’indique qu’elle a diminué davantage de manière importante. Pour en arriver à cette conclusion, comme je l’ai déjà expliqué, j’ai examiné la preuve confidentielle et la preuve publique, qui démontrent que des préoccupations subsistent toujours. Le danger que M. Mahjoub représente pour la sécurité du Canada ne s’est pas évaporé. Il demeure latent, perceptible et factuel. Les conditions de mise en liberté de M. Mahjoub telles qu’elles ont été conceptualisées et modifiées par le juge Blanchard sont efficaces et elles n’ont pas neutralisé le danger qui avait à l’époque été évalué. Lever toutes les conditions de la mise en liberté ne garantit pas que le danger que représente M. Mahjoub sera neutralisé de façon appropriée. Je ne suis donc pas prêt à accorder à M. Mahjoub la réparation qu’il réclame, sauf pour ce que qui est énoncé ci-dessous. [Non souligné dans l’original.]

[74]           Il est à noter que tous les juges chargés de contrôler les motifs de la détention du demandeur, puis les conditions de sa mise en liberté, ont conclu qu’il constituait un danger. J’ai soigneusement examiné ces décisions. Bien qu’elles ne scellent pas le sort de la présente requête, elles m’incitent à conclure que le demandeur constitue un danger; il est tout à fait certain que notre Cour l’a constamment considéré comme un danger dans les nombreux contrôles dont ont fait l’objet sa détention et, après sa mise en liberté, les conditions de celle-ci. Ces conclusions donnent certainement à penser que le demandeur reste un danger. Par conséquent, il convient en bonne logique de se demander quels changements, s’il y en a, justifieraient l’annulation complète ou la modification, substantielle ou non, des conditions actuelles de mise en liberté. Une deuxième question se pose aussi : si le demandeur ne constitue plus une menace, la raison en est-elle qu’il a changé avec le temps ou que les conditions de sa mise en liberté sont parvenues à neutraliser le danger qu’il représentait?

2.         L’appréciation par la Cour, à la lumière de la preuve produite, du danger que le demandeur constitue pour la sécurité du Canada ou pour la sécurité d’autrui.

[75]           Sous ce rapport, la charge de présentation, c’est-à-dire la charge initiale d’établir l’existence du danger, pèse sur les ministres. Les faits doivent montrer, conformément au critère exposé dans Suresh, que le danger est sérieux, que sa constatation repose sur des soupçons objectivement raisonnables, et que son objet est grave et non pas négligeable. J’estime que les ministres se sont acquittés de cette charge.

[76]           L’appréciation de la preuve, si la charge de présentation est remplie, doit se faire suivant la norme des « motifs raisonnables de croire », comme l’explique l’arrêt Charkaoui no 1. Il existe à mon sens des motifs raisonnables de croire, et je conclus en conséquence, que le demandeur reste un danger pour la sécurité nationale et la sécurité d’autrui au titre de la LIPR. Rien ne donne à penser qu’il ait changé de manière sensible. Il se peut qu’il ait observé plus scrupuleusement les conditions de sa mise en liberté et se soit montré un peu moins exigeant envers les personnes chargées d’en assurer l’application, mais cela ne signifie pas que, non surveillé, il ne constituerait plus un danger. Le danger qu’il représente diminue, comme il a diminué dans le passé. À mon sens, cette diminution s’explique par le caractère adéquat et équilibré des conditions de mise en liberté qu’on lui a fixées, et non par sa propre transformation.

[77]           J’estime que le danger constitué par le demandeur n’a pas disparu ni n’est devenu nul ou négligeable comme le soutiennent ses avocats : c’est plutôt que les conditions de sa mise en liberté se sont révélées efficaces. À mon humble avis, il ne faut pas voir là un argument au soutien de leur annulation, mais plutôt considérer que leur efficacité milite fortement en faveur de leur maintien en la forme actuelle, sous réserve des ajustements raisonnables et proportionnés dont la preuve établira la possibilité.

[78]           J’ai pris en considération la conclusion récente du SCRS comme quoi le demandeur ne constitue plus une menace envers la sécurité du Canada suivant les critères de cet organisme, c’est-à-dire pour l’application de la Loi sur le SCRS, conclusion sur laquelle le demandeur s’appuie largement. Je mets certainement ce fait à son crédit. Cependant, comme je le notais plus haut, les opinions formulées par le SCRS sous le régime de la Loi sur le SCRS, si elles sont évidemment importantes, ne sont pas nécessaires pour conclure à l’existence d’un danger au titre de la LIPR. Leur absence ne contredit pas la conclusion de notre Cour selon laquelle l’intéressé constitue un danger pour l’application de la LIPR. C’est là l’un des nombreux facteurs que je dois prendre et prendrai en considération.

[79]           J’ai également pris en compte le fait que l’ASFC n’a pas déposé d’évaluation du danger. Mais là encore, à la présente étape des rapports entre le demandeur et notre Cour, un tel document n’est pas nécessaire. À mon humble avis, le danger que constitue le demandeur peut se déduire d’actes récents (par opposition à ceux d’un passé plus éloigné) de nature dangereuse, ou manifestant une volonté de désobéissance, un manque de respect envers l’autorité ou de la malfaisance, mais en aucune manière il ne se déduit nécessairement que de tels actes récents. Si tel était le cas, le simple fait de se conformer aux conditions de sa mise en liberté finirait par donner le droit à l’intéressé de se voir affranchir de toutes les conditions de cette nature. Permettre une telle chose reviendrait à ne tenir aucun compte du caractère raisonnable de la décision par laquelle les ministres ont délivré le certificat de sécurité, ni de la reconnaissance de ce caractère raisonnable par notre Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire – décision qui n’a pas été infirmée. Bien que je ne m’appuie pas exclusivement sur la décision relative au caractère raisonnable et les conclusions de fait qui la sous-tendent, je ne puis les écarter d’un revers de main comme le voudrait le demandeur.

[80]           Je prends acte que la juge Hansen a récemment statué dans sa décision Renvoi relatif au paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), 2016 CF 586, que le certificat de sécurité délivré contre M. Jaballah était déraisonnable. Cependant, soit dit en tout respect, cette décision n’aide pas le demandeur, pour deux raisons. Premièrement, toute décision sur le caractère raisonnable dépend nécessairement des faits de l’espèce dans une large mesure. Deuxièmement, ce qui est d’une pertinence directe, le juge Blanchard s’abstient délibérément dans sa décision sur le caractère raisonnable de tirer des conclusions des éléments de preuve relatifs à M. Jaballah, comme il le dit explicitement au paragraphe 231 :

[231]    [traduction] Pour ce qui concerne la deuxième allégation, j’ai conclu, après examen de l’ensemble de la preuve au dossier, que celui-ci contient suffisamment d’éléments pour me convaincre du caractère raisonnable du certificat de sécurité sans que j’aie à trancher la question de savoir si M. Jaballah s’était livré au terrorisme ou avait été membre d’une organisation terroriste. Par conséquent, et comme une procédure de certificat de sécurité est en cours contre M. Jaballah, je me contenterai d’exposer la preuve relative à sa participation à des activités et des organisations terroristes telle qu’elle a été présentée à la Cour, et je m’abstiendrai de tirer des conclusions de cette preuve.

[Non souligné dans l’original.]

[81]           On voit donc que la décision de la juge Hansen ne change pas sensiblement la situation du demandeur.

[82]           En outre, j’ai eu l’avantage de voir et d’entendre le demandeur témoigner, ce qu’il n’avait pas fait devant notre Cour depuis presque 20 ans. En effet, il n’a témoigné ni devant le juge Blanchard dans l’audience qui a donné lieu à la décision sur le caractère raisonnable, ni pour autant que je sache dans aucun des contrôles précédents de ses conditions de mise en liberté.

[83]           Je tiens à noter que, au cours du contre-interrogatoire du demandeur par le ministre, on m’a demandé de statuer sur la portée que peut revêtir le contre-interrogatoire d’un demandeur concernant un affidavit déposé par lui dans un contrôle des conditions de sa détention, ainsi que sur l’utilisation de réponses données au cours d’interrogatoires antérieurs dans d’autres instances portées devant notre Cour. Pour ce qui concerne le contre-interrogatoire sur les affidavits, j’ai appliqué le principe ainsi formulé par le juge Mosley au paragraphe 71 de la décision Almrei (Re), 2009 CF 3 :

[traduction] La jurisprudence porte que le contre-interrogatoire n’est pas étroitement circonscrit au cadre de l’affidavit, à condition d’être pertinent, équitable et axé sur une question en litige dans l’instance ou sur la crédibilité du demandeur […] Toutefois, la Couronne peut utiliser le témoignage donné volontairement par l’accusé dans une instance antérieure pour le contre-interroger à l’audience à n’importe quelle fin; voir R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] A.C.S. no 76.

[84]           La crédibilité est une question qui se pose dans la présente instance. Le juge Mosley concluait son analyse dans les termes suivants au paragraphe 75 :

[traduction] Dans le présent contexte, le point de savoir si M. Almrei constitue un danger pour la sécurité nationale du Canada et sa crédibilité restent des questions actuelles aux fins du contrôle de sa détention. J’ai par conséquent conclu que, dans le cas où il témoignerait ou produirait son affidavit, les ministres auraient le droit de le contre-interroger sur ces questions et en se fondant sur ses déclarations et témoignages antérieurs, sous réserve des obligations de pertinence et d’équité.

[85]           Toujours en ce qui concerne le contre-interrogatoire sur des témoignages antérieurs, j’ai suivi l’exemple donné par la juge Dawson (alors membre de la Cour fédérale) dans la décision Jaballah (Re), 2010 CF 224, au paragraphe 93 de laquelle on peut lire ce qui suit :

Pour cette raison, si M. Jaballah décide de témoigner dans la présente instance, les ministres peuvent le contre-interroger sur toute déclaration antérieure faite lors des procédures de certificat de sécurité antérieures.

[86]           Il est à noter que les déclarations en cause devant la juge Dawson avaient été faites sous le régime que Charkaoui I avait plus tard déclaré anticonstitutionnel parce que contraire à la Charte. Or le juge Blanchard, dans une instance à laquelle le demandeur était aussi partie, a adopté [traduction] « toutes les conclusions de droit formulées par la juge Dawson dans son ordonnance motivée en date du 26 février 2010 », soit la décision que je viens de citer.

[87]           Franchement, la preuve du demandeur ne m’a pas impressionné, et j’y accorde peu de poids. Sa stratégie, appliquée par son avocat, consistait à interrompre à tout propos l’avocat des ministres au cours de son contre-interrogatoire. Chacune de ces nombreuses interruptions par son avocat, dont certaines ne revêtaient même pas la forme d’objections, avait pour effet de permettre au demandeur de gagner du temps pour répondre et de le défendre contre des questions légitimes, et dans divers cas, lesdites interruptions équivalaient presque à des conseils tactiques ou même à des suggestions de réponses.

[88]           Ces interruptions se sont poursuivies malgré la latitude considérable dont jouit le contre-interrogateur, les conditions rigoureuses qui limitent les interruptions pendant les contre-interrogatoires, et même les avertissements de la Cour.

[89]           Finalement, le demandeur, par le truchement de son avocat, est passé d’interruptions qui ne se prétendaient manifestement pas des objections à des interruptions – multiples elles aussi – présentées cette fois sous forme d’objections. Ces interruptions se faisaient plus fréquentes à chaque fois que l’avocat des ministres abordait une nouvelle question. À mon sens, la plupart des objections du demandeur, si ce n’est presque toutes, étaient dénuées de fondement.

[90]           Je remarque aussi que le demandeur a témoigné avec l’aide d’un interprète, alors qu’il a très fréquemment répondu en anglais, et dans ce que je considère comme un très bon anglais.

[91]           À mon avis, la multiplicité des interruptions injustifiées de son contre-interrogatoire et le fait que son avocat lui ait suggéré ses réponses en réinterrogatoire ont eu pour effet cumulatif de réduire considérablement la crédibilité du demandeur. Ces manœuvres ont compliqué pour la Cour la tâche de discerner le véritable M. Mahjoub et de se faire une opinion sur lui. Le juge Noël a fait observer dans sa décision que le demandeur donnait l’impression d’avoir « quelque chose à cacher ». Le témoignage du demandeur à l’audience, pris dans son ensemble, a eu pour effet de dissimuler encore une fois le demandeur à la Cour, de sorte que mes inquiétudes touchant le danger qu’il représente n’ont en rien été atténuées.

[92]           Le demandeur, dans son mémoire, a expressément prié la Cour de l’autoriser à fréquenter des armureries. Il a répondu en contre-interrogatoire de manière défensive et ergoteuse. Son attitude trahissait une méconnaissance profonde de sa situation réelle. Il a demandé à être traité comme toute autre personne au Canada. Or il n’est pas comme toute autre personne – [traduction] « tout autre citoyen », pour reprendre les termes de son avocat : il n’est pas un citoyen canadien, mais un ressortissant étranger interdit de territoire sous le régime de la LIPR. Il fait l’objet d’un certificat de sécurité, délivré en vertu de dispositions législatives que la Cour suprême du Canada a déclarées constitutionnelles. Et le caractère raisonnable de ce certificat de sécurité a été confirmé après un contrôle très approfondi du juge Blanchard, dont la décision demeure valable tant qu’elle ne sera pas infirmée en appel.

[93]           En outre, interrogé au sujet de son mensonge avoué devant le juge Nadon (alors membre de la Cour fédérale), il a vigoureusement soutenu qu’il avait eu une bonne raison de mentir à notre Cour, à savoir qu’il l’avait fait pour protéger quelqu’un d’autre. Le demandeur n’accepte pas le principe de l’interdiction du mensonge. Il n’a manifesté à cet égard aucun remords réel. Ses réponses montrent qu’il ne reconnaît pas pleinement ses obligations en tant que témoin. À mon humble avis, son témoignage à l’audience a confirmé qu’il se parjurerait de nouveau s’il pensait avoir une bonne raison de le faire; il se considère à tort comme autorisé à décider souverainement quand il peut mentir à notre Cour et quand il lui dira la vérité. C’est là une tare inquiétante de son rapport avec notre Cour, qui entame encore plus sa crédibilité.

[94]           Le demandeur a également admis en contre-interrogatoire qu’il avait utilisé le nom d’emprunt « Shaker » en rapport avec les activités que le juge Blanchard a examinées dans sa décision sur le caractère raisonnable. Or le demandeur, avant celle-ci, avait plusieurs fois nié ce fait au cours d’interrogatoires du SCRS en plus de le contester devant le juge Blanchard. En fin de compte, ce dernier a conclu à [traduction] « l’insuffisance de la preuve tendant à établir que M. Mahjoub aurait utilisé le nom d’emprunt "Shaker" ». « [I]l est de la plus haute importance, ajoutait le juge Blanchard au paragraphe 248, que [les ministres] n’aient produit absolument aucun élément XXXXXXXXXXXX pour justifier la mise en rapport de M. Mahjoub avec le nom d’emprunt "Shaker" ». Nous savons maintenant que le demandeur a effectivement utilisé ce pseudonyme, ce qu’il n’a pas admis devant le juge Blanchard. À en juger d’après le dossier public, cet aveu me semble venir au soutien de la thèse que le demandeur était à tout le moins un moudjahid. Ledit aveu, si le demandeur l’avait fait devant le juge Blanchard, aurait à mon sens changé sensiblement la décision sur le caractère raisonnable : le juge Blanchard a lui-même souligné la « haute importance » de l’impossibilité où il se trouvait de conclure que le demandeur eût utilisé le nom d’emprunt « Shaker ».

[95]           La preuve m’amène à conclure non pas que le demandeur ait cessé de constituer un danger, mais au contraire que le danger subsiste. Il faut attribuer la diminution du danger qu’il représente aux conditions de sa mise en liberté plutôt qu’à une quelconque transformation de sa personne. Ce fait ne milite pas pour l’annulation de ces conditions, mais doit à mon humble avis inciter plutôt à les maintenir afin de neutraliser le danger, conformément à la visée de l’article 85 de la LIPR.

3.         La décision rendue, le cas échéant, sur le caractère raisonnable du certificat.

[96]           J’ai la faculté d’examiner, sans m’appuyer exclusivement sur elle, la décision du juge Blanchard concernant le caractère raisonnable, ce que je ferai maintenant. Je note d’abord qu’elle a été rendue à l’issue de très longues audiences et de très longues plaidoiries des avocats des parties et des avocats spéciaux. De plus, elle n’a été aucunement infirmée ou modifiée. S’il est vrai qu’elle fait l’objet d’un appel, le demandeur ne paraît pas faire avancer celui-ci – tâche qui lui incombe pourtant – avec beaucoup de diligence; la décision sur le caractère raisonnable a été prononcée il y maintenant plus de deux ans et demi, et son appel n’avait pas encore été mis au rôle au moment de l’audience.

[97]           Le juge Blanchard a formulé les conclusions suivantes dans la décision sur le caractère raisonnable :

            c)         Conclusion sur l’appartenance

[627] Après examen global de la preuve, et sur le fondement d’inférences justifiées et raisonnables, je conclus que les ministres ont établi qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub est membre de l’AJ et de son sous-groupe, ou groupe dissident, le VOC.

[628] À cet égard, je me fonde sur les conclusions précédemment exposées, dont les suivantes :

a)         L’AJ et le VOC existaient en tant qu’organisations terroristes aux époques pertinentes;

b)         M. Mahjoub était en contact au Canada et à l’étranger avec des terroristes membres de l’AJ et du VOC;

c)         M. Mahjoub a utilisé des noms d’emprunt pour dissimuler ses contacts avec des terroristes;

d)         M. Mahjoub a dissimulé de manière malhonnête aux autorités canadiennes ses contacts avec des terroristes;

e)         M. Mahjoub a occupé un poste de très haut niveau dans l’organisation de ben Laden, auprès de terroristes au Soudan, alors que les principaux chefs terroristes se trouvaient dans ce pays;

f)         M. Mahjoub a dissimulé de manière malhonnête aux autorités canadiennes la nature de son travail à la ferme de Damazine;

g)         M. Mahjoub s’est rendu au Soudan et il en est sorti en même temps que des membres de l’AJ et d’Al-Qaïda;

h)         XXXXXXXX [Certains éléments de preuve directs] concernant l’appartenance de M. Mahjoub à l’AJ et des conversations interceptées de M. Mahjoub étayent l’allégation des ministres.

[629]    Pour arriver à ma décision, je me suis aussi fondé sur les inférences suivantes, concernant les déplacements et les activités de M. Mahjoub :

a)         M. Mahjoub était en contact avec des terroristes;

b)         M. Mahjoub avait une relation étroite et de longue date avec un certain nombre de ces terroristes;

c)         M. ben Laden avait placé sa confiance en M. Mahjoub en raison de ses liens avec les milieux extrémistes islamiques;

d)         M. Mahjoub était au courant de l’entraînement au maniement des armes dispensé par Al-Qaïda à la ferme de Damazine et il était complice de cette activité;

e)         Ce n’est pas par coïncidence si M. Mahjoub s’est rendu au Soudan et en est sorti en même temps que des membres de l’AJ.

[630]    Je suis convaincu que, même en l’absence des éléments de preuve directs XXXXXXXXXXX et de la conversation interceptée, ma décision demeurerait la même.

[631]    Compte tenu des conclusions qui précèdent, je suis convaincu que M. Mahjoub avait un lien institutionnel avec l’AJ et qu’il a participé sciemment aux activités de cette organisation. Malgré la minceur des éléments de preuve péremptoires et dignes de foi rattachant explicitement M. Mahjoub au VOC, je suis convaincu que la preuve établit un lien institutionnel avec l’aile de l’AJ dirigée par M. Al Zawahiri et une participation consciente aux activités de celle-ci, qui s’est finalement rangée du côté d’Al-Qaïda et a poursuivi ses activités militantes après que de nombreux membres de l’AJ eurent déclaré un cessez-le-feu. J’ai conclu que cette aile était probablement connue sous le nom du VOC, du moins à une certaine période de son existence. M. Mahjoub avait des liens avec cette aile de l’AJ et avec Al-Qaïda dans le cadre de son emploi chez Althemar, de ses voyages et de ses contacts avec des terroristes au Canada. Ces liens sont demeurés actifs pendant de nombreuses années. M. Mahjoub a participé sciemment à ces réseaux dans le cadre du rôle, passif ou actif, qu’il a joué lors de l’entraînement au maniement des armes à la ferme de Damazine, ainsi que dans le cadre des contacts qu’il a maintenus avec des individus qui étaient des terroristes actifs liés à M. ben Laden ou à M. Al Zawahiri. Bien que l’appartenance réelle au groupe n’ait pas été établie au moyen d’une preuve du fait que M. Mahjoub a juré allégeance à celui-ci, cette preuve n’est pas nécessaire dans le contexte d’une instance visant le certificat de sécurité. Je suis convaincu que les liens et la participation de M. Mahjoub cadrent avec l’interprétation large et libérale que doit recevoir le mot « membre » aux fins de l’application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[632]    Compte tenu des éléments de preuve susmentionnés qui sont mis en relief dans ma conclusion ainsi que des principes de droit commentés dans la section des présents motifs qui porte sur le cadre juridique, je suis d’avis que les ministres ont établi l’existence de motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub était membre de l’AJ et de son sous-groupe, ou groupe dissident, le VOC. En conséquence, les ministres ont satisfait aux exigences de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[Caviardé dans l’original.]

[98]           De même, j’ai examiné et invoque les décisions de contrôle des conditions de mise en liberté que notre Cour a rendues par la suite, qui ont toutes conclu, y compris à la date récente du 30 octobre 2015, que le demandeur est et reste un danger. J’ai cité plus haut la récapitulation de la preuve donnée par le juge Blanchard dans la décision sur le caractère raisonnable. Celle-ci continue de produire ses effets tant qu’elle ne sera pas modifiée ou infirmée en appel. Les conclusions du juge Blanchard sont puissantes, et militent fortement contre le demandeur et sa requête en annulation de l’ensemble de ses conditions de mise en liberté à l’exception des conditions habituelles.

4.         La confiance et la crédibilité qu’inspire la conduite suivie par le demandeur après sa mise en liberté sous conditions, et son observation de celles-ci.

[99]           Notre Cour a mis en doute la crédibilité du demandeur la dernière fois qu’il a comparu devant elle pour témoigner, soit en 1997, il y a donc presque 20 ans. Sa crédibilité a aussi été mise en doute dans cet intervalle de deux décennies. J’ai déjà noté dans les présents motifs le peu de poids que j’accorde aux déclarations qu’il a faites dans son témoignage de juin 2016. Ces facteurs sont à inscrire contre son souhait de voir annuler l’ensemble des conditions de mise en liberté sauf les conditions habituelles.

[100]       Le juge Noël a récapitulé comme suit les problèmes de crédibilité que pose le demandeur dans son contrôle des conditions de mise en liberté en date du 18 juillet 2014 (2014 CF 720); si ardemment que le souhaite M. Mahjoub, je ne peux faire comme si ces inquiétudes n’existaient pas :

[57]      Le comportement de l’intéressé au regard des conditions de sa mise en liberté est un facteur important à considérer lorsqu’on envisage de modifier ces conditions ou certaines d’entre elles. Dans Harkat (Re), 2009 CF 241, au paragraphe 92, [2009] ACF n° 316, la Cour a commenté ce facteur comme suit :

[92] La crédibilité et la confiance sont des considérations essentielles à l’occasion du contrôle judiciaire du caractère approprié des conditions. Lors de l’examen de la question de savoir si les conditions neutraliseront le danger, la Cour doit examiner l’efficacité des conditions. La crédibilité d’une personne qui est assujettie aux conditions et la confiance de la Cour à son endroit régiront vraisemblablement le type de conditions nécessaires.

[58]      M. Mahjoub ne s’est pas conformé de manière exemplaire à ses plus récentes conditions de mise en liberté, comme la Cour l’a signalé dans son ordonnance du 17 décembre 2013, lorsqu’elle a conclu qu’il avait enfreint une condition en ne donnant pas l’avis prévu avant de procéder à l’acquisition et à l’utilisation de services de téléphonie et de télécopieur. La Cour a conclu qu’on ne pouvait [TRADUCTION] « […] se fier à ce que M. Mahjoub respecte ses conditions de mise en liberté » (ordonnance du 17 décembre 2013, au paragraphe 18).

[59]      Dans la même décision, encore une fois rendue aussi récemment qu’en décembre 2013, la Cour a aussi conclu, en ce qui concerne l’enlèvement du bracelet GPS, que le fait pour M. Mahjoub de ne pas avoir permis à l’ASFC d’accomplir cette mesure sans endommager le bracelet était [TRADUCTION] « […] l’indice d’un refus de collaborer avec l’ASFC » (voir le paragraphe 17).

[60]      L’attitude, les agissements et le comportement récents de M. Mahjoub dénotent également un refus de collaborer avec l’ASFC et de lui faciliter l’exercice du devoir de surveillance que la Cour lui a imposé. En voici quelques exemples :

A. En janvier 2014, bien que la condition 7 lui ait prescrit de le faire, M. Mahjoub n’a pas donné à l’ASFC l’information exacte sur un voyage effectué de Toronto à Ottawa. Par l’entremise de son avocat, le demandeur a communiqué une heure de départ erronée à l’ASFC, ce qui a empêché cette dernière de dûment assumer son rôle de surveillance. Les explications données à ce titre, soit que l’erreur était imputable à l’avocat et que l’ASFC aurait dû faire part à M. Mahjoub des divergences dans les renseignements, ne sont pas acceptées. La condition 7 imposait à M. Mahjoub de donner l’information exacte sur ses déplacements, et il n’appartenait pas à l’ASFC de pallier l’imprécision des renseignements fournis. Quoi qu’il en soit, vu l’inexactitude flagrante des faits communiqués par M. Mahjoub, l’ASFC n’a pas été en mesure d’exercer les fonctions de surveillance exigées d’elle par la Cour. C’est là une autre indication du manque de collaboration et de coopération de la part de M. Mahjoub.

B. M. Mahjoub n’a pas transmis, encore à ce jour, les relevés de communications téléphoniques de Startec demandés par l’ASFC, conformément à la condition de mise en liberté 11b), pour la période d’utilisation allant du 31 janvier 2014 au 21 février 2014. La question a été soumise à la Cour à la fin du printemps 2014. La condition 11b) est claire : M. Mahjoub est tenu de transmettre les relevés de communications téléphoniques de Startec pour la période de trois semaines en cause. C’est là un autre exemple du manque de collaboration et de coopération de M. Mahjoub. Quant aux relevés pour l’année 2013, M. Mahjoub n’a toujours pas consenti à les transmettre, même si on lui a demandé de le faire en application de la condition de mise en liberté 11a) imposée le 31 janvier 2013. M. Mahjoub invoque comme motif que l’ASFC ne devrait pas obtenir rétroactivement l’accès à ces relevés de communications. M. Mahjoub n’a pas non plus donné avis du fait qu’il utilisait les services de Startec même si les conditions de sa mise en liberté le requéraient. Il soutient que l’ASFC avait connaissance de son compte Startec et aurait dû en demander plus tôt les relevés. Cet argument ne saurait libérer M. Mahjoub de son obligation de consentir à la transmission des relevés, tel que la Cour le lui a enjoint en application de la condition 11a). Ce comportement, encore une fois, n’est pas l’indice de la collaboration et de la coopération requises par ces conditions. En agissant ainsi, M. Mahjoub fait de nouveau en sorte que l’ASFC ne puisse exercer le rôle de surveillance que la Cour lui a imposé.

C. Conformément à la condition de mise en liberté 10f) de 2014, M. Mahjoub doit accorder plein accès à l’ASFC à son ordinateur, y compris le disque dur et la mémoire périphérique, sans préavis, et l’ASFC peut saisir l’ordinateur à cette fin. Lorsque l’ASFC lui a demandé un tel accès, le 24 avril 2014, M. Mahjoub ne le lui a pas immédiatement accordé. M. Mahjoub a fait attendre à sa porte le représentant de l’ASFC, qui a cru le voir, étant retourné à son ordinateur, y effectuer des opérations pendant deux minutes. La condition imposée obligeait M. Mahjoub à accorder accès et contrôle à l’ASFC, sans préavis. Il ne l’a pas fait. Il s’est également opposé à ce que le représentant de l’ASFC prenne des photographies, alors que le but visé était de brancher l’ordinateur de la même manière lors de sa réinstallation, et d’attester tout dommage éventuellement subi. Il s’agit d’une procédure habituelle de la part de l’ASFC et d’une politique dont l’application est facile à comprendre. M. Mahjoub n’a pas non plus remis les périphériques USP pour inspection, tel que le requérait la condition 10f), qui prescrivait d’autoriser l’examen non seulement de l’ordinateur, mais aussi de tous les dispositifs mémoire périphériques. S’il n’y a pas eu violation, on en a été bien proche. Pour en finir sur ce point, M. Mahjoub a refusé de fournir le mot de passe de son ordinateur. La Cour a alors rédigé des motifs d’ordonnance et une ordonnance enjoignant à M. Mahjoub de s’exécuter (voir Mahjoub (Re), 2014 CF 479, plus particulièrement au paragraphe 21). Il a semblé évident à la Cour que M. Mahjoub devait donner son mot de passe pour qu’on puisse procéder à l’examen de l’ordinateur. Ce qui semblait évident à la Cour ne l’était toutefois pas pour M. Mahjoub. Ce type de comportement ne peut que dénoter un manque de collaboration et de coopération et, non seulement dessert les intérêts de M. Mahjoub, mais aussi rend plus difficile, voire impossible, pour l’ASFC d’assumer le rôle de surveillance que la Cour lui impose dans les Conditions de mise en liberté tant de 2013 que de 2014.

[61]      M. Mahjoub explique qu’il vise à s’assurer, par son comportement, que la portée des conditions de sa mise en liberté ne soit nullement élargie et que sa vie privée soit respectée. Ces motifs sont valables, dans une certaine mesure, mais on ne doit pas les invoquer pour vider de tout sens véritable les conditions de mise en liberté et empêcher la surveillance de l’utilisation des dispositifs de communication, des ordinateurs et des autres modes de transmission de données, de renseignements et d’images. Sans surveillance adéquate de la part de l’ASFC, les conditions de mise en liberté perdent toute utilité.

[62]      Par son comportement, M. Mahjoub pourrait donner à croire à un observateur neutre qu’il a quelque chose à cacher. Cela porte atteinte aux conditions de mise en liberté, tout en étant préjudiciable à M. Mahjoub lui-même, s’il veut que sa liberté soit le moins possible assortie de conditions. Les éléments de confiance et de crédibilité touchant le comportement du demandeur sont des facteurs à prendre en considération dans l’évaluation des conditions de mise en liberté. Il est dans l’intérêt de M. Mahjoub de collaborer et de coopérer pour s’assurer du respect de ces conditions, et pour que l’ASFC, en exerçant son rôle de surveillance, confirme ce respect.

[101]       Le juge Noël a répété ses conclusions de l’année précédente dans sa décision du 30 octobre 2015 sur les conditions de mise en liberté, en y ajoutant des observations qui allaient dans le même sens :

[92]      Encore une fois, pour éviter toute répétition inutile, j’ai déjà examiné ce facteur dans les motifs que j’ai rendus en juillet 2014, aux paragraphes 57 à 62, et j’estime qu’ils s’appliquent toujours au présent contrôle.

[93]      Je trouve important de répéter ce que j’écrivais au paragraphe 62 de cette décision : M. Mahjoub n’accepte pas les conditions de mise en liberté et ce refus est parfaitement acceptable. Cela étant dit, ça ne l’autorise pas pour autant à les contester en refusant de collaborer avec l’ASFC. Cette attitude donne l’impression qu’il a quelque chose à cacher et n’améliore en rien sa crédibilité et sa fiabilité. Là encore, ces éléments peuvent travailler en sa faveur s’il le souhaite.

[94]      Dans le cadre du présent contrôle des conditions de mise en liberté, M. Mahjoub maintient, aux paragraphes 34 à 37 de son affidavit, qu’il refuse de divulguer le nom des personnes qu’il rencontre de crainte d’attirer l’attention du gouvernement sur elles. En ce qui concerne ces observations, la Cour se réfère au résumé public des renseignements publiés en juillet 2015, mais également aux renseignements confidentiels rédigés à l’appui de ce résumé. La situation exige que l’ASFC exerce un rôle de surveillance pour s’assurer que M. Mahjoub ne reprend pas contact avec ses acolytes terroristes. Ce comportement cachottier n’aide pas M. Mahjoub; il nuit à son objectif d’obtenir l’assouplissement ou la levée des conditions de sa mise en liberté.

[95]      Un autre exemple qui indique une attitude trop critique envers l’ASFC est l’habitude des agents de l’ASFC de couvrir leurs chaussures lorsqu’ils visitaient son domicile. L’an dernier, en 2014, M. Mahjoub s’était plaint du fait que les agents revêtaient leurs chaussures de sacs de plastique, ce qui donnait aux observateurs l’impression que son domicile était une scène de crime ou était contaminé. Dans le cadre du présent contrôle, M. Mahjoub s’est plaint, au paragraphe 28 de son affidavit, du fait que des agents de l’ASFC avaient gardé leurs chaussures dans sa maison et qu’ils [traduction« [...] n’avaient pas porté de couvre-chaussures pour s’assurer que mes planchers restent propres ». Aucune explication n’a été donnée pour expliquer une contradiction aussi flagrante. Là encore, une telle attitude n’aide pas sa cause.

[96]      M. Mahjoub critique le rôle de surveillance exercé par l’ASFC en ce qui concerne la livraison du courrier, et plus notamment du fait que ses factures de Startec et de Rogers ne lui ont pas été livrées. La Cour a examiné les éléments de preuve déposés par les deux parties sur cette question. Il n’appartient pas au soussigné de se glisser dans la peau d’un enquêteur et de trouver un coupable. Il a déjà été jugé dans des décisions antérieures que cette condition concernant la surveillance du courrier était importante pour s’assurer qu’aucune communication illicite ne se produise. M. Mahjoub n’accepte de toute évidence pas l’existence de cette condition. L’ASFC a déposé des éléments de preuve, des journaux de bord et d’autres documents qui indiquent le flot de courrier; rien ne permet de penser qu’une partie du courrier a été livrée extrêmement lentement. Pour la Cour, la solution à ce problème consisterait, pour M. Mahjoub, à appeler les agents de l’ASFC lorsqu’il ne reçoit pas du courrier. Les factures pourraient également être transmises par Internet. La Cour n’accepte pas la réponse de M. Mahjoub suivant laquelle la facturation en ligne n’est pas une solution acceptable pour lui. Plus récemment, M. Mahjoub s’est plaint de ne pas recevoir de courrier de l’ODPS. Les ministres ont répondu que l’on ne pouvait en faire le reproche à l’ASFC. Là encore, la Cour ne veut pas se transformer en enquêteuse; ce n’est pas son rôle. M. Mahjoub devrait s’adresser à l’ODPS et chercher à en savoir plus au sujet de ce problème, en informer l’ASFC et trouver une solution. Comme on le verra, les conditions relatives au courrier ne seront pas maintenues à l’avenir.

[97]      Il n’y a aucun doute que la surveillance des conditions ne peut être parfaite; certains contretemps sont inévitables. Lorsqu’ils se produisent, M. Mahjoub devrait s’adresser aux agents de l’ASFC et ne pas laisser le problème devenir un obstacle insurmontable. Le dialogue et la recherche de solutions sont des facteurs essentiels pour obtenir éventuellement d’autres modifications à ces conditions.

[98]      Pour en terminer avec ce facteur, la Cour tient à souligner de nouveau que la confiance et la fiabilité de M. Mahjoub sont importantes, comme dans le cas de toute autre personne désignée dans le cadre du régime des certificats de sécurité. Ces éléments doivent être examinés et appliqués de façon concrète.

[102]       Dans le cadre du présent contrôle, les ministres n’avaient comparativement guère à se plaindre du demandeur du point de vue de sa conduite très récente. Ils ont fait observer qu’il s’était montré excessivement critique à propos de la réparation du bloc d’alimentation de son ordinateur, qui, endommagé par l’ASFC, avait été réparé en une journée. Cela dit, la situation me paraît confirmer que les conditions actuelles de mise en liberté se révèlent efficaces.

[103]       Le demandeur a interrompu son contre-interrogatoire à l’audience pour soulever une question dénuée de pertinence; je ne lui ai pas permis de développer ce point au moment même, mais il en a eu la possibilité lors de son réinterrogatoire, où il s’est exprimé avec véhémence sur le contenu de certains courriels de fonctionnaires touchant sa décision de couper son bracelet électronique, en dépit du fait que notre Cour eût déjà statué que cette action n’enfreignait pas les conditions de sa mise en liberté. Le sens de son intervention semblait être que sa crédibilité était mise en doute alors que les fonctionnaires n’encouraient pas de reproches pour avoir écrit des courriels selon lui mensongers. Cette question est dépourvue de pertinence pour deux raisons. Premièrement, il n’y a pas de rapport entre la crédibilité du demandeur et la conduite des fonctionnaires; son obligation de véracité est absolue et non pas subordonnée à ce que d’autres peuvent dire ou faire; il se trompe en donnant à penser le contraire. Deuxièmement, la Cour avait déjà statué sur le fait qu’il eût coupé publiquement son bracelet électronique.

[104]       Notre Cour a expliqué que les éléments relatifs à la confiance, à la crédibilité et au respect des conditions peuvent jouer en faveur du demandeur, et qu’il lui appartient de faire plus à ces égards. S’il est vrai que son témoignage de vive voix n’allait pas dans ce sens, la preuve concernant sa conduite depuis le dernier contrôle, y compris la preuve classifiée, justifie un nouvel assouplissement des conditions de sa mise en liberté.

5.         L’incertitude de l’avenir touchant le caractère définitif ou non des procédures.

[105]       Le juge Noël a formulé les observations suivantes à ce propos dans son contrôle des conditions de mise en liberté en date de juillet 2014 :

[63]      Dans la mesure où l’on procède à des contrôles rigoureux et périodiques des motifs de la détention, ou des conditions de mise en liberté, les longues périodes de détention ou de mise en liberté sous conditions qui ont une incidence sur la vie et les droits d’un individu ne constituent pas des violations de la Charte (voir Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 123, [2007] ACS n° 9).

[64]      La Cour a rendu la décision sur le caractère raisonnable ainsi que diverses autres décisions visant le demandeur, mettant notamment en cause l’abus de procédure et l’arrêt des procédures. Les procédures en sont rendues en bonne partie maintenant au stade de l’appel, et la Cour d’appel fédérale se prononcera sur toutes les questions soulevées dans l’avis d’appel ou dans le cadre de l’appel lui-même. Le demandeur tire profit de la procédure d’appel et celle-ci exige du temps.

[65]      On a procédé et on procède toujours à des contrôles continus des conditions de mise en liberté de M. Mahjoub. Des contrôles se sont déroulés et des décisions ont été rendues en janvier 2013, en décembre 2013, en janvier 2014 et pendant l’été 2014 (la présente décision). Sur une période d’un peu plus de 18 mois, M. Mahjoub a eu droit à trois audiences relatives au contrôle des conditions de sa mise en liberté et à trois décisions.

[66]      Procéder à des contrôles vigoureux des conditions de mise en liberté ne veut pas nécessairement dire accorder à M. Mahjoub ce qu’il désire. De tels contrôles obligent la Cour à procéder à un examen approfondi des conditions imposées et de leur nécessité, c.-à-d. de s’assurer non seulement qu’elles sont nécessaires pour neutraliser le danger qu’elle estime exister, mais aussi qu’elles portent une atteinte minimale aux droits et à la liberté du demandeur. Pour que des conditions moins invasives soient approuvées, il faut démontrer (1) que le danger a diminué, et (2) que les conditions permettent de neutraliser ce risque moins élevé. Le demandeur a à cet égard fortement intérêt à collaborer et à coopérer pour que, par la surveillance, on puisse attester le respect des conditions. Fort d’une telle preuve de conformité, le demandeur peut alors faire valoir que les conditions ne sont pas nécessaires. C’est là le sens d’un contrôle rigoureux.

[106]       Le juge Noël a répété ces observations dans sa décision du 30 octobre 2015 sur les conditions de mise en liberté, en y ajoutant ce qui suit :

[100]    L’avocat de M. Mahjoub fait valoir que la situation qui existe en Égypte fait en sorte qu’il pourrait être soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains, de sorte qu’il est impossible d’exécuter la mesure d’expulsion prise contre lui par suite de la conclusion suivant laquelle le certificat a été jugé raisonnable. Par conséquent, les conditions de sa mise en liberté devraient être levées, au motif qu’elles sont déraisonnables et arbitraires.

[101]    Le processus d’appel se déroule comme prévu, et aucune décision définitive et déterminante n’a encore été rendue. Cet argument pourra peut-être être invoqué à l’avenir, mais il ne peut l’être pour le moment et ne peut donc être retenu.

[107]       Je pense comme le juge Noël que cet aspect de l’analyse ne s’applique pas à la présente étape, de sorte qu’il ne milite ni pour ni contre le demandeur.

6.         Le passage du temps.

[108]       Ce facteur n’est pas décisif, mais reste toujours pertinent. À mon sens, le passage du temps joue en faveur de l’assouplissement des conditions de la mise en liberté du demandeur.

7.         L’incidence des conditions de mise en liberté sur le demandeur et sa famille, et la proportion de ces conditions au danger qu’il représente.

[109]       La Cour a souligné dans des décisions antérieures les raisons profondes de la restriction et de la surveillance qu’assurent des activités du demandeur un bon nombre des conditions, notamment celles qui concernent les communications et les déplacements. L’un des objets sous-jacents à ces conditions est d’empêcher le demandeur de prendre ou reprendre contact avec des terroristes; voir Mahjoub (Re), 2013 CF 10, au paragraphe 47; Mahjoub (Re), 2014 CF 720, au paragraphe 76; et Mahjoub (Re), 2015 CF 1232, aux paragraphes 94 et 113. Cet objet sous-tend aussi les conditions adéquates et équilibrées que la Cour souhaite définir dans le présent contrôle. C’est là une réalité dont le demandeur ne peut encore s’affranchir.

[110]       Je souscris à la nécessité d’empêcher le demandeur de prendre ou reprendre contact avec des terroristes. En conséquence, j’abonde dans le sens des ministres quand ils soulignent l’importance que la Cour continue d’assigner à l’ASFC un rôle de surveillance afin que les activités du demandeur fassent l’objet d’un contrôle suivi, en particulier ses communications, mais aussi sa conduite en général.

[111]       Sur cette toile de fond, le demandeur soulève dans le présent contrôle la question personnelle de ses ennuis de santé comme il l’a fait dans des contrôles antérieurs, ainsi que le rappelle le juge Noël aux paragraphes suivants de sa décision du 30 octobre 2015 sur les conditions de mise en liberté :

[103]    Dans cette section, j’ai l’intention de formuler quelques observations sur l’incidence perçue des conditions de mise en liberté sur M. Mahjoub. Je vais également me pencher sur la proportionnalité entre, d’une part, le danger que constitue le demandeur et, d’autre part, les conditions de mise en liberté, en tentant ainsi de minimiser l’atteinte portée à son droit à la vie privée tout en tenant compte de l’objectif consistant à neutraliser le danger en question.

[104]    Entre sa première période de détention jusqu’à maintenant, la santé de M. Mahjoub a souvent été un facteur que les juges désignés ont examiné. Qu’il s’agisse d’une courte période de détention, d’une longue période de détention, d’une mise en liberté assortie de conditions aussi strictes qu’une détention à domicile ou encore de conditions assouplies avec le temps selon l’évolution du danger, la question de la santé de M. Mahjoub et de l’incidence des conditions de mise en liberté sur son bien-être général a constamment été appréciée, comme les décisions antérieures le démontrent (voir Mahjoub – novembre 2005, précitée, aux paragraphes 11 et 37; Mahjoub – février 2007, précitée, aux paragraphes 76 à 82; Mahjoub (Re) – novembre 2009, précitée, aux paragraphes 115 et suivants; Mahjoub (Re) – janvier 2013, précitée, aux paragraphes 22 à 28; Mahjoub (Re) – décembre 2013, précitée, au paragraphe 11; Mahjoub (Re) – juillet 2014, précitée, aux paragraphes 70 à 72).

[105]    Les derniers motifs d’ordonnance de juillet 2014 ont été portés à la connaissance du Dr Donald Payne en vue de la rédaction de son rapport le plus récent du 14 mai 2015 qui fait partie de la preuve présentée par M. Mahjoub dans le cadre du présent contrôle. Les raisons pour lesquelles la Cour n’a pas retenu le dernier rapport du Dr Payne, comme elle l’a signalé aux paragraphes 70 à 72 de la décision de juillet 2014, ne seront pas reproduites, mais il y est fait référence parce que le Dr Payne y répond dans son nouveau rapport. Pour les besoins du rapport de mai 2015, le Dr Payne a rencontré M. Mahjoub une fois pendant une heure et 45 minutes et ne lui a fait subir aucun test en particulier.

[106]    En réponse aux observations formulées au sujet des rapports qu’il avait déjà déposés dans le cadre des contrôles précédents, le Dr Payne a expliqué que ces rapports visaient [traduction« [...] à démontrer l’ampleur de la frustration et du découragement de M. Mahjoub en raison des contraintes avec lesquelles il devait composer » et il ajoute ceci : [traduction« [...] je ne puis formuler de commentaires au sujet de l’authenticité de ses préoccupations ».

[107]    J’abonde dans le sens du Dr Payne lorsqu’il explique comment M. Mahjoub dépeint la façon dont il fait face aux conditions de sa mise en liberté dans sa vie quotidienne et les frustrations que leur mise en pratique lui occasionne. Quant aux diagnostics qui ont été posés, la Cour les a pris en considération lors du contrôle antérieur.

[108]    Il n’y a aucun doute que la vie quotidienne de M. Mahjoub est affectée par la mise en application des conditions de sa mise en liberté, comme on peut aisément le comprendre. Cela étant dit, d’entrée de jeu, le soussigné ne comprend tout simplement pas le passage du rapport du médecin où celui-ci rapporte les propos de M. Mahjoub selon lequel celui-ci considère que les conditions de sa mise en liberté sont [traduction« pires » que lorsqu’il était [traduction« [...] détenu à domicile ». Les conditions de mise en liberté faisant l’objet du présent contrôle ne se comparent en rien à sa « détention à domicile » de 2007. Deuxièmement, les propos du Dr Payne reconnaissent que M. Mahjoub a toujours abordé ses conditions de mise en liberté et leur surveillance par l’ASFC [traduction« [...] constamment dans un esprit antagoniste envers l’ASFC, les conflits entourant les conditions de sa mise en liberté perpétuant ce climat antagoniste ». Le médecin poursuit en expliquant que cette situation [traduction« [...] explique peut-être pourquoi il est perçu comme ne coopérant pas ». Ces éléments n’aident pas la situation personnelle de M. Mahjoub et ne facilitent pas la tâche de ceux qui ont participé aux contrôles en question, tel que l’ASFC ainsi que les juges désignés. Au paragraphe 56 des observations qu’il formule pour le compte de M. Mahjoub, l’avocat de ce dernier reconnaît ce qui suit : [traduction« […] Les conditions imposées à M. Mahjoub ont été considérablement modifiées par la Cour fédérale [...] » M. Mahjoub doit certainement tenir compte de ce fait, et le Dr Payne aurait dû en tenir compte dans son rapport. Or, cette affirmation importante n’a pas du tout été prise en considération.

[109]    Cette dernière observation sur la perception que M. Mahjoub [traduction« ne coopère pas » se retrouve dans les décisions et les contrôles antérieurs déjà en 2009 et aussi récemment qu’en 2013 et 2014 (voir Mahjoub – mars 2009, précitée, au paragraphe 150; Mahjoub (Re) – décembre 2013, précitée, au paragraphe 17; Mahjoub (Re) – mai 2014, aux paragraphes 18 à 21).

[110]    Si je devais suivre la solution proposée par le Dr Payne à la suite de son diagnostic, mais également la perception qu’il a de M. Mahjoub, je lèverais toutes les conditions de la mise en liberté. Il n’a fait aucune autre proposition. Mais cette façon de voir ne méconnaît-elle pas l’objectif consistant à identifier les conditions susceptibles de faciliter la neutralisation du danger qui a été évalué? Certes, on ne saurait affirmer qu’en raison de l’état de santé que le médecin perçoit chez M. Mahjoub, on doit faire fi du danger qui a été évalué. Il doit exister, dans le domaine médical, des outils permettant de répondre aux préoccupations en matière de santé tout en maintenant un équilibre avec les questions et les objectifs de la société dont la loi exige que l’on tienne compte. Contrairement à ce que j’ai constaté à la lecture d’autres rapports médicaux semblables, le rapport de ce médecin ne prescrit, ne suggère ou ne discute d’aucune thérapie médicale indiquée en pareil cas. Ce genre de suggestion aurait pourtant été utile.

[111]    Ayant défini le danger et analysé la question de la proportionnalité en fonction de celui-ci, la seconde étape consiste à arrêter les conditions de mise en liberté appropriées. Ces conditions doivent tenir compte de ce danger de façon proportionnelle, de manière à porter le moins possible atteinte aux droits à la vie privée de M. Mahjoub. Je réfère le lecteur aux paragraphes 67 à 79 du présent contrôle, en ce qui concerne le danger qui a été évalué, et aux paragraphes 57 à 66, pour ce qui est de la proportionnalité du concept du danger par rapport aux conditions qui sont susceptibles de porter le moins possible atteinte au droit à la vie privée de M. Mahjoub.

[112]       Le demandeur n’a produit aucun nouvel élément de preuve à ce sujet, au motif, dit-il, qu’il n’a pu obtenir de financement. Il déclare dans son affidavit se sentir déprimé et anxieux et avoir du mal à dormir. Il se plaint de mener une vie de reclus parce que les personnes qui pourraient le fréquenter craignent de tomber, s’ils le font, sous la surveillance de l’ASFC ou du SCRS. Tant que ses conditions de mise en liberté ne seront pas complètement supprimées, ajoute-t-il, il continuera de vivre une vie émotionnellement précaire et d’être atteint dans sa dignité et son droit à la vie privée.

[113]       Malgré ces sujets de plainte, il a admis dans son contre-interrogatoire avoir fait en 2013 une tournée pancanadienne de conférences et de collecte de fonds, et avoir participé en 2013 et 2014 à d’autres activités publiques, notamment des interviews, pour faire connaître sa situation. Tout compte fait, je constate que le demandeur a la possibilité de sortir, de voyager et de s’adresser à des sympathisants quand il le souhaite, malgré ses sentiments de dépression et d’anxiété. J’accorde un certain poids à ce facteur, sous le rapport de ses ennuis de santé, dans l’analyse visant à établir ce qui est raisonnable et proportionné vu les circonstances.

8.         Le bien-fondé de l’appel en instance.

[114]       Le demandeur a cité le bien-fondé de son appel en instance parmi les facteurs qu’il souhaitait voir la Cour prendre en considération. Je souscris à l’idée qu’il peut y avoir des facteurs additionnels à prendre en compte. Ce n’est pas la première fois que le demandeur soulève ce point. Il s’est pourvu devant la Cour d’appel fédérale contre la décision du juge Blanchard sur le caractère raisonnable. À l’audience, la Cour a été informée que cet appel n’était toujours pas en état, après plus de deux ans et demi. Le demandeur ne m’a fourni aucune explication satisfaisante du fait que son appel ne soit pas plus avancé après une si longue durée, alors que c’est à lui qu’incombait manifestement la tâche de le poursuivre.

[115]       Le demandeur a prié la Cour de prendre en considération le bien-fondé de son appel (et d’autres qu’il a formés) comme facteur militant pour l’annulation de l’ensemble des conditions, sauf l’engagement de ne pas troubler l’ordre public. Il a avancé l’argument analogique selon lequel l’alinéa 679(3)a) du Code criminel prévoit comme condition à la mise en liberté (sous caution) par voie judiciaire en attendant la décision d’un appel en matière pénale que celui-ci ne soit « pas futile ». Cependant, la LIPR ne contient aucune disposition de cette nature. Le demandeur m’a aussi renvoyé aux précédents concernant les suspensions d’instance civile, notamment RJR Macdonald Inc c. Canada (Procureur général), 1994] 1 R.C.S. 311, qui établit le critère bien connu voulant que la demande ne soit pas « futile » comme la première des trois conditions d’une suspension d’instance, critère souvent invoqué dans les instances relevant de la LIPR, en attendant, par exemple, un contrôle judiciaire.

[116]       J’estime ces arguments mal fondés. C’est à la Cour d’appel fédérale qu’il appartient de trancher la question des droits d’appel du demandeur, et non à notre Cour dans le cadre d’un contrôle des conditions de sa mise en liberté. Je ne vois pas comment l’exercice non futile d’un droit d’appel contre la décision sur le caractère raisonnable donnerait au demandeur le droit d’obtenir l’assouplissement des conditions de sa mise en liberté. Ce moyen est dénué de logique, et je me vois obligé de le rejeter. Il se peut qu’il soit pertinent sous le régime du Code criminel, mais pas dans les instances relatives à l’immigration qui relèvent sui generis de la LIPR, telles que la présente.

B.                 Contrôle des conditions

[117]       À la lumière de ce qui précède, je vais maintenant procéder à un examen général des conditions de mise en liberté. Je préviens le lecteur que je ne donnerai ici qu’un exposé sommaire et rapide de ces questions; le libellé précis de chaque disposition et des conditions y afférentes fait partie intégrante de la présente ordonnance, et on le trouvera à l’annexe A de celle-ci, qu’il faut lire parallèlement au résumé qui suit, en se rappelant que c’est l’ordonnance qui fixe les conditions proprement dites.

1)                  Engagement de se conformer à chacune des conditions

[118]       Ce point n’est pas contesté, au motif que le demandeur serait vraisemblablement tenu d’accepter cette condition même s’il ne lui était prescrit que l’obligation de ne pas troubler l’ordre public.

2)                  Cautions et garanties d’exécution

a. Une somme de 20 000,00 $ à consigner à la Cour par trois (3) personnes;

b. des garanties d’exécution variant entre 1 000,00 $ et 20 000,00 $, pour un montant total de 46 000,00 $, à signer par six (6) personnes.

[119]       Cette condition ne me paraît pas contestable non plus, puisque des conditions semblables seraient nécessaires dans tous les cas, étant donné la gravité de l’affaire, c’est-à-dire le danger que constitue le demandeur et la nécessité de neutraliser ce danger efficacement.

3)                  Obligation de se présenter deux fois par mois aux bureaux de l’ASFC à Mississauga

[120]       D’hebdomadaire qu’elle était, cette obligation est devenue bimensuelle en octobre 2015. Elle ne semble guère présenter d’inconvénients pour le demandeur. Cette condition me paraît équilibrée et proportionnée, de sorte qu’elle restera en vigueur, sa suppression ne se justifiant pas pour l’instant.

4)                  Obligation de résider dans une maison d’habitation ou un appartement sans espace extérieur

[121]       Cette condition ne semble pas contestée; quoi qu’il en soit, elle sera maintenue pour faciliter le contrôle de l’observation.

5)                  Autorisation de se déplacer dans les limites de la RGT sans obtenir l’approbation préalable de l’ASFC, mais interdiction d’entrer dans des établissements de détail dont la fonction principale consiste à fournir un accès à Internet, ou à vendre des armes à feu ou d’autres armes

[122]       Le demandeur a expressément prié la Cour de supprimer ces deux conditions. Elles doivent à mon sens être maintenues et le seront.

[123]       Je ne vois absolument aucune raison d’autoriser le demandeur à fréquenter des armureries. De même, l’interdiction d’entrer dans des cybercafés est d’une utilité évidente pour la surveillance de l’utilisation de son ordinateur portable et de son téléphone cellulaire, et le contrôle de l’observation des règles y afférentes.

[124]       D’un point de vue plus général, je prends acte du travail bénévole du demandeur au service des réfugiés syriens accueillis dans le cadre de programmes du gouvernement du Canada. Le demandeur pourra se déplacer, sans avoir à obtenir l’autorisation de l’ASFC, sur tout le territoire (plutôt vaste) de la région du Grand Toronto pour participer à ces activités. À mon humble avis, ces limites de déplacement fournissent au demandeur une latitude plus que suffisante pour exercer des activités légitimes.

6)                  Obligation, pour ce qui concerne les déplacements hors de la région du Grand Toronto, d’en donner un préavis de sept (7) jours à l’ASFC, avec un itinéraire détaillé, et de rester sur le territoire canadien

[125]       Cette condition sera changée. Elle est utile en ce qu’elle permet à l’ASFC et aux autres services compétents de s’organiser pour retenir le personnel nécessaire et prendre toutes les dispositions adéquates. Mais le délai de préavis est abrégé de sept à cinq jours. Cet abrégement devrait réduire le stress du demandeur dans le cas où il voudrait reprendre ses activités à l’extérieur de la région du Grand Toronto.

7)                  L’ASFC pourra surveiller physiquement la résidence du demandeur et ses déplacements, mais devra le faire de la manière la moins attentatoire possible à la vie privée.

[126]       Cette condition reste nécessaire en raison du danger et du besoin de le neutraliser au moyen de conditions.

8)                  M. Mahjoub ne communiquera avec aucune personne qu’il sait être partisan du terrorisme ou du djihad violent, ou posséder un casier judiciaire.

[127]       Je ne vois aucunement pourquoi cette condition devrait être modifiée, ni d’abord pourquoi le demandeur voudrait tenir de telles conversations. Cette condition est raisonnable et proportionnée, et elle sera maintenue telle quelle.

9)                  M. Mahjoub pourra utiliser un ordinateur de bureau avec connexion Internet à sa résidence, à condition de fournir les renseignements nécessaires sur son fournisseur Internet, mais il ne pourra utiliser de connexion sans fil; il pourra cependant communiquer par Skype avec l’autorisation de l’ASFC et en présence d’une caution.

[128]       Cette condition sera changée. Étant donné l’observation récente de ses conditions par le demandeur et son attitude un peu moins hostile envers les fonctionnaires chargés d’en assurer l’exécution, il convient de lui offrir le choix entre un ordinateur de bureau et un (nouvel) ordinateur portable, à condition qu’il s’abstienne de supprimer dans l’un ou l’autre les traces de son activité Internet. En outre, les ministres ont convenu que la présence de cautions approuvées par la Cour pour surveiller l’usage de l’ordinateur n’est plus nécessaire, ce à quoi je souscris.

[129]       De cette manière, le demandeur aura accès, en plus des sites Web, à des médias sociaux tels que Facebook et Twitter, ainsi qu’à Skype. C’est là un assouplissement important des conditions. M. Mahjoub ne pourra cependant pas supprimer les traces de son activité Internet, ainsi qu’il est expliqué en détail à l’annexe A de l’ordonnance ci-jointe. Comme toutes les autres, cette condition est exposée de manière circonstanciée dans ladite annexe.

10)              M. Mahjoub pourra utiliser une ligne fixe conventionnelle de téléphone et de télécopieur, mais devra donner à l’ASFC tous les renseignements nécessaires aux fins d’inspection y afférentes. Il pourra aussi avoir un téléphone mobile pourvu des seules fonctions de communication et de messagerie vocales, sous réserve de communiquer à l’ASFC les renseignements nécessaires aux fins d’inspection et de surveillance.

[130]       Cette condition changera; le demandeur aura désormais, sous certaines conditions, la possibilité d’utiliser un ordinateur portable avec connexion Internet, et d’accéder ainsi non seulement aux sites Web, mais aussi aux médias sociaux et à Skype. Pour les mêmes raisons, il devrait pouvoir utiliser un téléphone cellulaire permettant les mêmes accès, à la condition – que j’estime extrêmement importante – qu’il ne supprime pas les traces de son activité Internet, comme il est expliqué en détail à l’annexe A.

11)              M. Mahjoub pourra au besoin utiliser une autre ligne téléphonique fixe ou un autre téléphone mobile en cas d’urgence.

[131]       Cette condition est raisonnable et proportionnée, étant donné ce qui précède, et elle sera donc maintenue.

12)              L’ASFC interceptera le courrier entrant et sortant.

13)              L’ASFC utilisera une boîte aux lettres pour rendre le courrier intercepté.

[132]       Ces deux conditions ont déjà été supprimées.

14)              L’ASFC pourra perquisitionner à la résidence de M. Mahjoub, mais seulement si elle a des motifs raisonnables de croire qu’il a enfreint les conditions.

[133]       Cette condition, raisonnable et proportionnée, sera maintenue étant donné mes conclusions.

15)              Ni M. Mahjoub ni son représentant ne pourront filmer les agents de l’ASFC dans l’accomplissement de leurs fonctions afférentes aux conditions de mise en liberté.

16)              L’ASFC protégera et s’abstiendra de communiquer à des tiers toutes photographies prises, et tous renseignements recueillis, aux fins du contrôle de l’exécution des conditions.

[134]       Ces deux conditions sont raisonnables et proportionnées; elles seront donc maintenues afin, dans le premier cas, de protéger l’identité des agents chargés d’assurer l’exécution des conditions, et dans le second cas de protéger le demandeur et son droit à la vie privée.

17)              L’ASFC restera en possession du passeport et des documents de voyage de M. Mahjoub, qui pourra toutefois se déplacer dans les limites du territoire canadien, sur préavis.

[135]       C’est là une condition ordinaire pour ce qui concerne les documents de voyage, à la fois raisonnable et proportionnée. Elle sera cependant modifiée en ce qui a trait aux déplacements sur le territoire canadien. Le demandeur pourra désormais sortir de la région du Grand Toronto sur préavis de cinq jours au lieu des sept actuellement exigés. Cette modification lui donnera plus de liberté tout en maintenant la possibilité d’assurer l’observation des présentes conditions.

18)              M. Mahjoub se présentera aux autorités compétentes s’il fait l’objet d’une mesure de renvoi du Canada.

19)              M. Mahjoub ne possédera aucune arme et s’abstiendra de troubler l’ordre public.

20)              En cas de manquement à l’une quelconque de ses conditions de mise en liberté, M. Mahjoub pourra être arrêté et traduit devant un juge désigné.

[136]       Pour une personne se trouvant dans la situation du demandeur, je considérerais ces conditions comme normales et habituelles même s’agissant d’un simple engagement de ne pas troubler l’ordre public. La condition relative à l’arrestation et à la comparution est raisonnable et proportionnée, étant donné qu’elle est formulée sous le régime sui generis de la LIPR.

21)              M. Mahjoub donnera préavis à l’ASFC de tout changement de résidence.

[137]       Cette condition sera modifiée : le préavis de changement de résidence, actuellement fixé à dix jours, sera réduit à trois. Cette modification, équilibrée et proportionnée, permettra au demandeur de déménager de manière plus normale, avec moins de stress et de retards.

22)              Tout manquement aux conditions de mise en liberté constitue une infraction au sens de l’article 127 du Code criminel, LRC 1985, ch. C-45, et pour l’application de l’alinéa 124(1)a) de la LIPR.

[138]       Cette condition va de soi. À la fois raisonnable et proportionnée, elle sera maintenue.

23)              Les conditions de mise en liberté pourront être modifiées par un juge désigné.

[139]       Cette condition, formulée dans l’intérêt de la clarté, est utile aux deux parties, et elle est à la fois raisonnable et proportionnée.

V.                La certification de questions

[140]       Comme je le disais plus haut, le demandeur a soulevé des questions constitutionnelles dans la présente instance. Je pars du principe que ce sont là les questions susceptibles de certification. Le demandeur aurait évidemment pu plaider sur les questions constitutionnelles en juin. Ainsi qu’on l’a vu plus haut, c’est à la demande de M. Mahjoub que j’ai alors remis à plus tard l’audition des plaidoiries sur ces points, qui auraient normalement été débattus – et peut-être, avec le recul, auraient dû l’être – au moment même. Le fait est que, faute de calendrier et de son propre choix, le demandeur n’a pas plaidé sur ces questions, et il est évident qu’elles ne peuvent être et ne sont pas examinées aujourd’hui. Lorsque le demandeur sera en mesure de plaider sur les points constitutionnels, je les examinerai et reviendrai sur la question de la certification. En attendant, je ne certifierai aucune question.

VI.             Conclusion

[141]       J’ai conclu que, vu la preuve, le demandeur continue de représenter un danger. Ce danger a diminué en conséquence de l’efficacité des conditions de mise en liberté antérieurement fixées et, dans une moindre mesure, en raison de la conduite du demandeur. J’ai conclu que les conditions actuelles de mise en liberté peuvent être assouplies, comme je l’ai expliqué sommairement dans le résumé qu’on peut lire au début des présents motifs, et en détail dans l’annexe A de la présente ordonnance. Cependant, j’ai aussi conclu que ces conditions ne peuvent être assouplies dans une plus large mesure pour l’instant. Enfin, j’ai conclu que les conditions afférentes à la mise en liberté du demandeur formulées à l’annexe A, que les ministres ont proposées, sont raisonnables et proportionnées, et tiennent compte à la fois des besoins de la société canadienne, des intérêts du demandeur et de l’intention du législateur.

[142]       En conséquence, les conditions afférentes à la mise en liberté du demandeur seront celles qui sont exposées à l’annexe A.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La requête du demandeur est accueillie au sens où la Cour modifie les conditions de sa mise en liberté, qui à compter du 20 juillet 2016 seront telles que les expose l’annexe A ci-jointe, intitulée CONDITIONS AFFÉRENTES À LA MISE EN LIBERTÉ DE M. MAHJOUB.

2.                  Le chef de la requête du demandeur tendant à plaider sur les points exposés dans son avis de question constitutionnelle est rejeté, et il est autorisé à demander une audience à cette fin lorsqu’il aura une proposition concrète à présenter à la Cour et qu’il aura consulté les avocats des défendeurs au sujet de cette proposition concrète.

3.                  Aucune question n’est certifiée.

« Henry S. Brown »

Juge


ANNEXE A

 

CONDITIONS AFFÉRENTES À LA MISE EN LIBERTÉ DE M. MAHJOUB

Le 20 juillet 2016

I.                        Engagement de se conformer à chacune des conditions

A.        M. Mahjoub s’engagera à se conformer et se conformera à chacune des conditions formulées dans la présente ordonnance.

II.                     Cautions et garanties d’exécution

A.        Les garanties suivantes sont maintenues :

La somme de 20 000,00 $ doit être consignée à la Cour conformément à l’article 149 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. En cas de manquement à toute condition de l’ordonnance de mise en liberté de M. Mahjoub, les ministres pourront demander une ordonnance prescrivant le versement de l’intégralité de cette somme, majorée de tous intérêts courus, au procureur général du Canada. Les personnes suivantes ont collectivement consigné la somme susdite à la Cour :

1)                   Rizwan Wanchoo,

2)                   John Valleau,

3)                   Russell Silverstein.

  1. Les conditions afférentes à chacune des garanties d’exécution respectivement déposées par les cautions seront les mêmes que celles des reconnaissances et engagements écrits déjà donnés à la Cour, à savoir :

A.        Les personnes suivantes signeront des garanties d’exécution par lesquelles elles reconnaîtront être tenues envers Sa Majesté du chef du Canada à raison des sommes respectivement inscrites ci-dessous en regard de leurs noms. Chaque garantie d’exécution portera que si M. Mahjoub enfreint l’une quelconque des conditions prévues dans l’ordonnance de mise en liberté, qui pourra être modifiée, la somme consignée sera confisquée au profit de Sa Majesté. Les conditions afférentes aux garanties d’exécution, qui devront être conformes à celles des garanties visées à l’article 56 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et aux dispositions relatives aux garanties de la partie 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, seront communiquées par les avocats des ministres aux avocats de M. Mahjoub. Chaque caution reconnaîtra par écrit avoir pris connaissance des conditions que prévoit la présente ordonnance, et déclarera notamment et expressément avoir compris la présente condition :

1)            El Sayed Ahmed : 5 000,00 $;

2)            Murray Lumley : 5 000,00 $;

3)            Maggie Panter : 10 000,00 $;

4)            Elizabeth Block : 1 000,00 $;

5)            Dwyer Sullivan : 20 000,00 $

6)            John Valleau : 5 000,00 $.

  1. Obligation de se présenter aux bureaux de l’ASFC

A.        M. Mahjoub se présentera en personne les deuxième et quatrième mercredis de chaque mois, entre 8 heures et 16 heures, aux bureaux de la Division de l’exécution de la loi et du renseignement à l’Agence des services frontaliers du Canada, sis au 6900, chemin de l’Aéroport, entrée 93, Mississauga (Ontario). Lorsqu’il sera en déplacement à l’extérieur de la région du Grand Toronto, M. Mahjoub pourra remplir cette obligation en se présentant en personne à une adresse et à un moment que l’ASFC aura autorisés par écrit. Dans le cas où la date fixée pour la présentation aux bureaux de l’ASFC tombera un jour férié ou coïncidera avec une comparution prévue devant la Cour fédérale, les parties pourront convenir d’une autre date de présentation et informer la Cour en conséquence.

  1. Résidence

A.        Le terme « résidence », pour l’application des présentes conditions, désigne exclusivement la maison d’habitation ou l’appartement, à l’exclusion de tout espace extérieur y associé.

  1. Déplacements dans les limites de la région du Grand Toronto

A.        M. Mahjoub pourra quitter sa résidence et se déplacer dans les limites de la région du Grand Toronto (la RGT) sans devoir préalablement obtenir l’autorisation de l’ASFC. Ces déplacements, désignés « déplacements dans les limites de la RGT », seront soumis aux conditions suivantes :

1)                 Lorsqu’il quittera sa résidence pour un déplacement, M. Mahjoub restera sur le territoire de la RGT, laquelle, aux fins des présentes conditions, comprend les municipalités de Toronto, Mississauga, Oakville, Brampton, Vaughn, Richmond Hill, Markham, Pickering et Ajax.

2)                 Lorsqu’il quittera sa résidence, M. Mahjoub s’abstiendra d’entrer dans tout établissement de détail :

a)                   dont la fonction principale est la fourniture d’un accès à Internet;

b)                 dont la fonction principale est la vente d’armes à feu ou d’autres armes, ou qui peut être défini comme une « salle de tir » ou un « club de tir ».

  1. Autres déplacements

A.        M. Mahjoub pourra se déplacer hors des limites géographiques fixées à la condition VI(A)(1) sans devoir obtenir l’autorisation de l’ASFC, sous réserve des conditions suivantes :

1)                  Il devra rester sur le territoire canadien.

2)                 Il devra donner à l’ASFC un préavis écrit d’au moins cinq (5) jours ouvrables d’un tel déplacement. Il devra aussi communiquer à l’ASFC le programme détaillé de ce voyage, où il spécifiera les destinations, les itinéraires et les modes de transport prévus, ainsi que les endroits où il compte séjourner. Dans le cas où il aura besoin d’apporter un quelconque changement à ce programme, il en informera immédiatement l’ASFC.

3)                  La condition VI(A)(2), applicable aux déplacements dans les limites de la RGT, s’appliquera aussi aux autres déplacements.

  1. Surveillance physique

A.        Toute surveillance physique par l’ASFC de l’extérieur de la résidence de M. Mahjoub ou de celui-ci pendant ses déplacements sera soumise aux politiques et procédures opérationnelles de ladite ASFC. Il est précisé que celle-ci est autorisée à effectuer une surveillance physique aléatoire de l’extérieur de la résidence de M. Mahjoub pendant ses déplacements. Toute opération de surveillance, le cas échéant, sera exécutée de la manière la moins attentatoire possible à la vie privée.

  1. Communications interdites

A.        M. Mahjoub s’abstiendra en tout temps de communiquer, de quelque façon que ce soit, directement ou indirectement, avec toute personne qu’il sait ou devrait savoir :

1)                 soutenir le terrorisme ou le djihad violent, ou avoir séjourné dans un camp d’entraînement ou une maison d’accueil dirigé par une organisation qui soutient le terrorisme ou le djihad violent;

2)                 posséder un casier judiciaire. Cette restriction ne s’applique pas aux communications avec des avocats en Égypte aux fins de consultation juridique ou d’une procédure judiciaire intentée dans ce pays à laquelle M. Mahjoub serait partie, ni aux communications avec des membres de sa famille, soit son père, sa mère, ses frères et sœurs, sa femme et ses enfants.

  1. Matériel permettant la télécommunication et l’accès à Internet

A.                M. Mahjoub pourra utiliser un (1) ordinateur de bureau ou un (1) ordinateur portable à connexion Internet à sa résidence. Il ne pourra y disposer d’aucun autre ordinateur à connexion Internet. S’il décide de se procurer ou d’utiliser un ordinateur de l’une ou l’autre nature, il devra se conformer aux conditions suivantes :

1)                 Il pourra utiliser, pour accéder à Internet depuis sa résidence, soit une connexion par câble, soit une connexion Wi-Fi.

2)                 Il communiquera à l’ASFC le nom de son fournisseur de services Internet.

3)                 Il pourra créer un compte de courrier électronique (courriel) et un seul, aux conditions suivantes :

a)                   Ce compte devra être basé sur le Web.

b)                 M. Mahjoub n’accédera pas à son courriel au moyen d’un navigateur Web, mais seulement d’un client de messagerie tel qu’Outlook ou Thunderbird, installé sur son ordinateur domestique.

c)                  Il communiquera à l’ASFC son adresse électronique, son nom d’utilisateur et son mot de passe dès la création de son compte courriel, et l’informera immédiatement de toute mise à jour y afférente.

d)                 Il permettra à l’ASFC ou à toute personne désignée par elle d’accéder, sans préavis, à son compte courriel.

e)                  Il fera en sorte que personne d’autre que lui et l’ASFC ou des agents de celle-ci n’aient accès à son compte.

f)                  Il ne modifiera ni n’effacera aucun courriel envoyé ou reçu, et il n’effacera aucun brouillon de courriel.

g)                 Il ne participera à aucune communication par courriel sur laquelle il pourrait faire valoir le secret professionnel liant l’avocat à son client ou le privilège relatif au litige.

4)                 M. Mahjoub pourra accéder aux sites Web et applications de médias sociaux, tels que Facebook et Twitter, ainsi qu’aux sites Web et applications qui permettent le vidéobavardage en ligne, tels que Skype, aux conditions suivantes :

a)                  Il ne pourra créer qu’un (1) compte par site Web ou application de cette nature.

b)                 Il devra obtenir l’approbation de l’ASFC avant de créer un compte sur tout site Web ou application, autre que Skype, permettant le vidéobavardage en ligne.

c)                  Il communiquera à l’ASFC son nom d’utilisateur et son mot de passe dès la création d’un compte de cette nature, et l’informera immédiatement de toute mise à jour y afférente.

d)                 Il permettra à l’ASFC ou à toute personne désignée par elle d’accéder, sans préavis, à ses comptes.

e)                  Il fera en sorte que personne d’autre que lui et l’ASFC ou des agents de celle-ci n’aient accès à ses comptes.

f)                  Il ne modifiera ni n’effacera les traces d’activité ou de communication sur aucun des sites Web ou applications en question.

g)                 Il n’accédera à Skype qu’au moyen de l’application bureautique.

h)                 Il réglera les paramètres de Skype de telle sorte que tous les historiques de vidéobavardage et d’appels soient sauvegardés « définitivement ».

i)                   Il communiquera à l’ASFC un mois à l’avance les noms et les adresses Skype des personnes avec qui il souhaitera communiquer au moyen de cette application.

j)                   Il ne participera à aucune communication permise par ces sites Web ou applications à l’égard de laquelle il pourrait faire valoir le secret professionnel liant l’avocat à son client ou le privilège relatif au litige.

5)                 Ni M. Mahjoub ni personne pour lui ne modifieront ou supprimeront les traces d’activité Internet sur son ordinateur, notamment l’historique de navigation et les témoins de connexion.

6)                 M. Mahjoub ne pourra supprimer de traces d’activité Internet qu’avec l’autorisation de l’ASFC, qui ne la lui refusera pas sans motif valable et répondra dans les meilleurs délais à ses demandes en ce sens.

7)                  M. Mahjoub s’abstiendra d’utiliser le dispositif de navigation privée de tout navigateur Internet, notamment Internet Explorer.

8)                 L’ASFC ou toute personne désignée par elle pourra demander des enregistrements de l’activité Internet de M. Mahjoub à son ou ses fournisseurs Internet, et M. Mahjoub consentira à la communication de ces enregistrements.

9)                 M. Mahjoub permettra à tout employé de l’ASFC et à toute personne désignée par elle d’examiner son modem, son routeur et son ordinateur, y compris l’unité de disque dur et les périphériques de mémoire, ainsi que d’en prendre possession à de telles fins d’examen, sous réserve des conditions suivantes :

a)                  L’ASFC donnera à M. Mahjoub un préavis écrit de 24 heures de l’intention d’examiner son ordinateur à sa résidence.

b)                 La confirmation de la réception de ce préavis écrit par M. Mahjoub ne sera pas nécessaire.

c)                  L’ASFC pourra à tout autre moment, sous réserve de justification, demander à un juge désigné une ordonnance l’autorisant à examiner sans préavis le modem, le routeur, l’ordinateur, l’unité de disque dur et les périphériques de mémoire de M. Mahjoub, aux fins de contrôle de son observation des conditions fixées par la présente ordonnance.

10)             M. Mahjoub ne stockera sur son ordinateur aucun document à l’égard duquel il pourrait faire valoir le secret professionnel liant l’avocat à son client ou le privilège relatif au litige.

11)             L’utilisation de son ordinateur par M. Mahjoub devra être surveillée. M. Mahjoub fera en sorte que tout programme ou site Web auquel il accédera permette la surveillance par l’ASFC ou toute personne désignée par elle. M. Mahjoub pourra, s’il y a lieu, demander conseil à l’ASFC avant d’utiliser un programme ou un site Web déterminés.

12)             M. Mahjoub communiquera immédiatement à l’ASFC tout mot de passe qu’elle lui demandera.

B.                 M. Mahjoub pourra utiliser une (1) ligne téléphonique fixe conventionnelle installée à sa résidence (ligne téléphonique) pour les communications aussi bien vocales que par télécopie, et un (1) téléphone mobile, aux conditions suivantes :

1)                 Il communiquera à l’ASFC le ou les numéros de téléphone et le ou les noms du ou des fournisseurs de services en question, et l’informera de tout changement à cet égard.

2)                 L’ASFC ou toute personne désignée par elle pourra se procurer auprès du ou des fournisseurs de services et contrôler les relevés de communications afférents au téléphone mobile et/ou à la ligne téléphonique fixe de M. Mahjoub. Celui-ci consentira à la communication de ces relevés par son ou ses fournisseurs de services à l’ASFC ou à toute personne qu’elle désignera.

3)                 M. Mahjoub ne pourra se servir des fonctions de renvoi d’appels que pour réaiguiller les appels de sa ligne téléphonique fixe vers son téléphone mobile et inversement. Il ne pourra utiliser ces fonctions pour renvoyer des appels de sa ligne fixe ou de son téléphone mobile à aucune autre ligne téléphonique.

4)                 Si M. Mahjoub décide de faire l’acquisition d’un téléphone mobile, les conditions additionnelles qui suivent seront d’application :

a)                  M. Mahjoub pourra se procurer un téléphone mobile à carte SIM de marque et de modèle préalablement approuvés par l’ASFC.

b)                 Le téléphone mobile pourra disposer d’une fonction de messagerie vocale en plus de permettre la communication vocale, mais toutes ses autres fonctions devront être désactivées sous réserve des présentes conditions, et M. Mahjoub ne pourra l’utiliser qu’après vérification par l’ASFC de cette désactivation.

c)                  M. Mahjoub ne pourra activer les fonctions de messagerie texte du téléphone mobile qu’avec l’autorisation de l’ASFC, et suivant les conditions fixées par elle aux fins de lui permettre de contrôler les traces de communications entrantes et sortantes. L’ASFC ne lui refusera pas cette autorisation sans motif valable.

d)                 M. Mahjoub permettra à tout employé de l’ASFC ou à toute personne désignée par elle d’inspecter son téléphone mobile aux bureaux de ladite ASFC.

e)                  L’ASFC donnera à M. Mahjoub un préavis écrit de 24 heures de l’intention d’entrer dans sa résidence pour prendre possession de son téléphone mobile et l’examiner.

f)                  La confirmation de la réception de ce préavis écrit par M. Mahjoub ne sera pas nécessaire.

g)                 L’ASFC pourra à tout autre moment, sous réserve de justification, demander à un juge désigné une ordonnance l’autorisant à examiner sans préavis le téléphone mobile de M. Mahjoub, aux fins de contrôle de son observation des conditions fixées par la présente ordonnance.

h)                 L’ASFC rendra son téléphone mobile à M. Mahjoub dès que possible après en avoir pris possession et l’avoir examiné, et elle exercera par ailleurs ce pouvoir d’examen de manière raisonnable.

i)                   Il est précisé que l’ASFC ne pourra faire d’appels ni répondre à des appels au cours de l’examen du téléphone mobile de M. Mahjoub. Elle pourra, entre autres méthodes, accéder au contenu intégral de ce téléphone, en prendre des images et le stocker, mais elle s’abstiendra de lire le contenu des communications.

j)                   Sur demande, M. Mahjoub communiquera à l’ASFC tout mot de passe nécessaire pour accéder à toute partie de son téléphone mobile, ainsi que tout numéro d’identification personnel (NIP) nécessaire pour accéder aux renseignements relatifs à son compte, et il inscrira l’ASFC comme utilisateur autorisé sur celui-ci, à seule fin qu’elle puisse obtenir des renseignements sur l’utilisation dudit téléphone mobile.

k)                 M. Mahjoub permettra à l’ASFC de sceller la carte SIM une fois qu’elle sera activée et introduite dans le téléphone mobile. Il n’utilisera dans celui-ci aucune autre carte SIM que celle correspondant à son compte surveillé.

l)                   M. Mahjoub n’utilisera aucune fonction Internet sur son téléphone mobile. Les données Internet seront bloquées au niveau du fournisseur de téléphonie mobile. Il est précisé que cette condition comprend l’interdiction d’utiliser les fonctions de navigation Web et de courriel, ainsi que d’utiliser ou d’installer quelque application que ce soit. M. Mahjoub fera de son mieux pour que la fonction Wi-Fi reste désactivée. Si cette fonction se trouve activée malgré ses efforts, il en avisera immédiatement l’ASFC.

m)               Le supplément pour blocage de données, si le fournisseur de téléphonie mobile en demande un, sera à la charge de M. Mahjoub.

n)                 M. Mahjoub s’abstiendra d’utiliser toute application pré-installée sur le téléphone mobile sauf autorisation préalable de l’ASFC, qui ne la lui refusera pas sans motif valable.

o)                 M. Mahjoub s’abstiendra d’utiliser tout dispositif de mémoire externe avec son téléphone mobile. Il permettra à l’ASFC de sceller le connecteur de mémoire de ce téléphone si celui-ci en est pourvu.

p)                 M. Mahjoub fera de son mieux pour que ne soient pas activées les fonctions de communication en champ proche (CCP) et/ou S-Beam de son téléphone mobile, dans le cas où celui-ci en sera pourvu. Si elles se trouvent activées malgré ses efforts, il en avisera immédiatement l’ASFC.

q)                 M. Mahjoub fera de son mieux pour que ne soit pas activée la fonction miroir d’écran de son téléphone mobile, dans le cas où celui-ci en sera pourvu. Si cette fonction se trouve activée malgré ses efforts, il en avisera immédiatement l’ASFC.

r)                   M. Mahjoub s’abstiendra de mettre à jour le micrologiciel ou le système d’exploitation de son téléphone mobile sans l’autorisation préalable de l’ASFC. Il est précisé que M. Mahjoub devra également faire de son mieux pour que toute fonction d’auto-mise à jour de logiciel ne soit pas activée. Si cette fonction se trouve activée malgré ses efforts, il en avisera immédiatement l’ASFC.

s)                  M. Mahjoub ne permettra à aucune autre personne d’utiliser son téléphone mobile.

t)                   Ni M. Mahjoub ni personne pour lui ne pourront modifier ou supprimer l’information du système de son téléphone mobile, notamment les données d’application, l’information sur l’utilisation des applications, l’information sur l’utilisation des données, les journaux de réseau Wi-Fi ou toute autre information mise en cache.

u)                 M. Mahjoub ne pourra supprimer l’information du système de son téléphone mobile qu’avec l’autorisation de l’ASFC, qui ne la lui refusera pas sans motif valable et répondra dans les meilleurs délais à ses demandes en ce sens.

v)                 M. Mahjoub s’abstiendra de stocker sur son téléphone mobile tout document à l’égard duquel il pourrait faire valoir le secret professionnel liant l’avocat à son client ou le privilège relatif au litige.

5)                 M. Mahjoub pourra utiliser des cartes d’appel pour faire des appels téléphoniques interurbains, sous réserve des conditions suivantes :

a)                  La carte d’appel devra être rechargeable.

b)                 M. Mahjoub communiquera à l’ASFC le numéro de série et le numéro d’identification personnel (NIP) de la carte d’appel avant de l’utiliser.

c)                  Le fournisseur de services choisi par M. Mahjoub devra pouvoir communiquer les relevés de communications téléphoniques à l’ASFC sur demande et dans un délai raisonnable.

d)                 M. Mahjoub consentira de manière permanente à ce que le fournisseur de services communique ses relevés téléphoniques à l’ASFC.

e)                  Il sera rendu sur consentement une ordonnance, dont le projet sera rédigé de concert par les parties, prescrivant la communication des relevés téléphoniques à l’ASFC.

6)                 M. Mahjoub n’utilisera aucun autre téléphone mobile ni aucune autre ligne téléphonique fixe, sauf urgence, dans le cas où il ne pourra raisonnablement utiliser son propre téléphone mobile ou sa propre ligne téléphonique fixe. Il informera l’ASFC de l’utilisation d’un autre téléphone mobile ou d’une autre ligne téléphonique fixe que les siens propres, dès qu’il lui sera raisonnablement possible, et il lui communiquera le numéro de téléphone et le nom du fournisseur de services en question, sur consentement du tiers.

C.                 Il est précisé que, mis à part un (1) routeur Internet Wi-Fi à sa résidence, un (1) ordinateur de bureau ou un (1) ordinateur portable à connexion Internet aussi à sa résidence, selon les définitions données à la condition X(A), ainsi qu’une (1) ligne téléphonique fixe conventionnelle installée à sa résidence et un (1) téléphone mobile personnel, selon les définitions données à la condition X(B), M. Mahjoub ne pourra utiliser, directement ou indirectement, aucun appareil connectable à Internet ou permettant l’émission de signaux sans fil, notamment aucune radio ou aucun dispositif radio à capacité de transmission, ni aucun matériel de communication ou connectable à Internet, ni aucun composant de ceux-ci, notamment aucun téléphone mobile connectable à Internet, aucun appareil portatif tel qu’un BlackBerry ou un iPhone, aucun système de jeux connectable à Internet tel qu’un Wii ou une PlayStation, aucun téléavertisseur, aucun téléphone public, aucun téléphone autre que le téléphone fixe de sa résidence ou son téléphone mobile, ni aucune installation Internet.

  1. Droit de perquisition de l’ASFC

A.        L’ASFC, toute personne désignée par elle ou tout agent de la paix pourra perquisitionner à la résidence de M. Mahjoub dans le cas où il y a aura des motifs raisonnables de soupçonner M. Mahjoub de violation des conditions de sa mise en liberté. Tout document saisi à l’égard duquel sera invoqué le secret professionnel liant l’avocat à son client sera conservé sous scellés jusqu’à ce que la Cour l’examine.

  1. Enregistrement sonore ou vidéo

A.        Ni M. Mahjoub ni quiconque se trouvant dans sa résidence ne pourront enregistrer les agents de l’ASFC, au moyen d’un dispositif vidéo ou audio, pendant qu’ils rempliront leurs fonctions de contrôle de l’observation des conditions de la présente ordonnance.

  1. Photographies prises et renseignements recueillis par l’ASFC

A.                Toutes photographies prises par l’ASFC dans l’exécution de ses fonctions relativement à M. Mahjoub seront protégées, et elles ne seront communiquées à aucun autre organisme, sauf dans le cas où elles représenteront une activité se rapportant à une menace qu’il y aura des motifs raisonnables de soupçonner M. Mahjoub de constituer, ou à une violation de toute condition de mise en liberté qu’il y aura des motifs raisonnables de soupçonner M. Mahjoub d’avoir commise.

B.                 Tous renseignements personnels recueillis par l’ASFC ou pour son compte en exécution de la présente ordonnance seront protégés, et ils ne seront communiqués à aucun autre organisme, sauf dans le cas où ils concerneront une menace représentée par M. Mahjoub pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui, ou une violation commise par lui de toute condition de sa mise en liberté.

  1. Passeport et documents de voyage

A.        Le passeport et tous documents de voyage de M. Mahjoub, le cas échéant, demeureront en la possession de l’ASFC. Il sera interdit à M. Mahjoub, sauf autorisation préalable de l’ASFC, de demander, d’obtenir ou de posséder un passeport ou des documents de voyage. Il est précisé que M. Mahjoub pourra néanmoins voyager dans les limites du territoire canadien, sous réserve de préavis suffisant donné à l’ASFC conformément à la condition VII.

  1. Ordonnance de renvoi

A.        Si son renvoi du Canada est ordonné, M. Mahjoub se présentera aux autorités aux fins de ce renvoi conformément à leurs directives. Il se présentera également devant la Cour lorsqu’elle l’exigera.

  1. Armes

A.        M. Mahjoub ne possédera aucune arme, véritable ou factice, aucune substance nocive, aucun explosif, ni aucun de leurs composants.

  1. Conduite

A.        M. Mahjoub s’abstiendra de troubler l’ordre public.

  1. Arrestation et détention

A.        Tout agent de l’ASFC ou tout agent de la paix qui aura des motifs raisonnables de croire que l’une ou l’autre des conditions de la présente ordonnance a été violée, pourra arrêter M. Mahjoub sans mandat et le mettre en détention.

1)                  Dans les 48 heures qui suivront, un juge de la Cour désigné par le juge en chef décidera s’il y a eu violation, si les conditions de la présente ordonnance devraient être modifiées et si M. Mahjoub devrait être mis sous garde.

2)                  M. Mahjoub, s’il n’observe pas rigoureusement chacune des conditions de la présente ordonnance, pourra être remis en détention sur nouvelle ordonnance de la Cour.

  1. Changement de résidence

A.        M. Mahjoub donnera à l’ASFC un préavis écrit de trois jours ouvrables de tout changement de résidence. Il devra résider dans les limites de la RGT, selon la définition donnée à la condition VI(A)(1). S’il souhaite résider à l’extérieur de la RGT, il pourra demander à la Cour une modification des présentes conditions de mise en liberté.

  1. Infraction

A.        Tout manquement à la présente ordonnance constitue une infraction au sens de l’article 127 du Code criminel et pour l’application de l’alinéa 124(1)a) de la LIPR.

  1. Modification de l’ordonnance

A.                La Cour pourra modifier en tout temps les conditions de la présente ordonnance, soit sur demande de l’une ou l’autre des parties, soit d’office en avisant celles-ci.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES-7-08

 

INTITULÉ :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en application du paragraphe 77(1) de la LIPR;

ET les conditions de la mise en liberté de Mohamed Zeki MAHJOUB [M. Mahjoub]

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 8 ET 9 JUIN 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUILLET 2016

 

COMPARUTIONS

Johanne Doyon

Paul Slansky

 

POUR LE DEMANDEUR

(MOHAMED ZEKI MAHJOUB)

 

John Provart

Mahan Keramati

Christopher Ezrin

Christopher Crighton

 

POUR LES DÉFENDEURS

(LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE)

 

Anil Kapoor

POUR LES AVOCATS SPÉCIAUX

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johanne Doyon

Doyon & Associés

Montréal (Québec)

Paul B. Slansky

Slansky Law Professional Corp.

Toronto (Ontario)

Yavar Hameed

Hameed & Farrokhzad

Ottawa (Ontario)

David Kolinsky

Avocat

Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

(MOHAMED ZEKI MAHJOUB)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

(LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE)

 

Gordon Cameron

Ottawa (Ontario)

 

avocat spécial

 

Anil Kapoor

Toronto (Ontario)

avocat spécial

 

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