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Date : 20160922


Dossier : IMM-439-16

Référence : 2016 CF 1082

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

AIDA ACOSTA SEMANA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Mme Aida Acosta Semana, est citoyenne des Philippines. En mars 2004, elle est entrée au Canada à titre d’aide familiale résidente, sans divulguer son état matrimonial. Lorsqu’elle a renouvelé son permis de travail en 2006 et lorsqu’elle a présenté une demande de résidence permanente un peu plus tard, elle n’a pas divulgué l’existence de son mari non plus. En août 2008, Mme Semana a présenté une demande de parrainage de son mari au Canada, et c’est à ce moment qu’elle a informé les autorités canadiennes de l’immigration de son état matrimonial.

[2]               Mme Semana a ensuite été déclarée interdite de territoire pour fausses déclarations pour avoir « directement ou indirectement [fait] une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi », conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Un rapport d’interdiction de territoire pour fausses déclarations a été préparé en mars 2011, et à la suite de l’entrevue visant à établir la recevabilité de son cas réalisée en novembre 2011, le ministre a immédiatement prononcé contre Mme Semana une mesure de renvoi.

[3]               Mme Semana a interjeté appel de la mesure de renvoi à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Mme Semana n’a jamais contesté la validité juridique de la mesure de renvoi, mais elle a fait valoir que des motifs d’ordre humanitaire justifiaient la prise de mesures discrétionnaires en sa faveur en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. À la suite de longues procédures, la SAI a rejeté l’appel de Mme Semana dans une décision rendue en novembre 2015. La SAI a conclu que, en tenant compte de l’intérêt supérieur des enfants touchés par la décision, il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures discrétionnaires dans son cas.

[4]               Mme Semana demande maintenant une révision judiciaire de la décision de la SAI et soutient que les conclusions du tribunal sont déraisonnables pour trois raisons. Premièrement, la SAI a commis une erreur dans son évaluation du facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants; deuxièmement, la SAI a commis une erreur dans son évaluation de l’établissement de Mme Semana au Canada; troisièmement, la SAI n’a pas tenu compte des éléments de preuve et a tiré des conclusions déraisonnables à l’égard de l’incidence du renvoi du Canada de Mme Semana. Mme Semana demande à notre Cour d’annuler la décision de la SAI et d’ordonner que sa demande d’octroi de mesures spéciales soit réexaminée par un autre tribunal de la SAI.

[5]               Pour les motifs qui suivent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de Mme Semana. Après avoir examiné les conclusions du tribunal, les éléments de preuve devant la SAI et le droit applicable, je ne trouve aucun fondement pour infirmer la décision de la SAI, que ce soit en raison de l’intérêt supérieur des enfants, de l’établissement de Mme Semana au Canada, ou de l’incidence du renvoi du Canada de Mme Semana. La décision découle d’un examen exhaustif de la preuve concernant chacun de ces points, et les conclusions de la SAI appartiennent aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

II.                Exposé des faits

A.                La décision de la SAI

[6]               Dans sa décision, la SAI a d’abord énoncé les différents facteurs à considérer dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans l’appel d’ordonnances de renvoi concernant les fausses déclarations. Ces facteurs ont été énoncés comme suit : 1) la gravité de la fausse déclaration; 2) les remords éprouvés l’appelante; 3) le temps passé au Canada et le degré d’établissement; 4) l’impact de l’éventuel renvoi sur la famille; et 5) le degré de préjudice qui pourrait être causé à l’appelante par le renvoi (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059 [Wang], au paragraphe 11).

[7]               En ce qui a trait à la gravité de la fausse déclaration, la SAI a conclu que Mme Semana avait menti à plusieurs reprises aux autorités canadiennes de l’immigration : la première fois dans sa demande de permis de travail avec lequel elle est entrée au Canada, ensuite dans la demande de renouvellement de son permis de travail, puis dans sa demande de résidence permanente et finalement au moment de la confirmation de l’obtention de son droit d’établissement. Elle avait également fait de fausses déclarations concernant son état matrimonial aux autorités de l’immigration à Hong Kong lorsqu’elle y travaillait en tant qu’aide familiale. La SAI a noté que Mme Semana n’a pas de barrière linguistique à surmonter puisqu’elle comprend, parle et écrit l’anglais, et qu’elle est très instruite. En conséquence, la SAI a conclu que « les fausses déclarations répétées de l’appelante aux autorités de l’immigration concernant son état matrimonial sont délibérées, conscientes et importantes et vont totalement à l’encontre des lois canadiennes en matière d’immigration ou du devoir de l’appelante de dire la vérité et d’être honnête tout au long du processus ». Le tribunal a estimé que ses fausses déclarations « se trouvent tout en haut, sinon presque en haut de l’échelle de gravité ».

[8]               S’agissant de remords, la SAI a conclu que même si Mme Semana a dit qu’elle était désolée d’avoir menti, elle continuait à blâmer d’autres personnes pour ses fausses déclarations, comme le consultant en immigration, même si la prépondérance des éléments de preuve laissait croire le contraire. La SAI a estimé que son refus d’assumer la responsabilité de ses fausses déclarations constituait un facteur extrêmement aggravant qui n’est pas un signe de remords.

[9]               En ce qui a trait au temps que Mme Semana a passé au Canada et à son établissement dans le pays, la SAI a reconnu que Mme Semana avait un certain degré d’établissement et qu’il s’agissait d’un facteur favorable. La SAI a cependant souligné que le nombre d’années passées au Canada ne constitue pas en soi un motif pour récompenser des demandeurs qui se sont établis ici illégalement lors de l’analyse de considérations d’ordre humanitaire.

[10]           En ce qui a trait aux conséquences de son renvoi sur la famille, la SAI a fait remarquer que Mme Semana n’a pas d’enfants, et que ses frères et sœurs vivent aux Philippines. Mme Semana a témoigné qu’elle aide financièrement ses frères et sœurs aux Philippines, cependant, aucun membre de sa famille n’a été appelé à témoigner quant aux bouleversements que son renvoi leur causerait. La SAI a également souligné que Mme Semana a aussi une cousine qui a deux enfants qui vivent au Canada, et que ses deux enfants ont des « besoins spéciaux ». La SAI a discuté de l’intérêt supérieur des enfants à cet égard et a mentionné que Mme Semana s’occupe durant quelques heures une fois toutes les deux semaines de ces enfants qui souffrent d’un retard de développement. La SAI a estimé que trop peu d’éléments de preuve ont été présentés pour attester que Mme Semana avait des « compétences particulières » pour s’occuper d’enfants ayant des besoins spéciaux. En outre, la SAI a exprimé l’opinion que la cousine de Mme Semana pouvait bénéficier de ce service en faisant appel à un service professionnel d’aide. Dans l’ensemble, la SAI a conclu que Mme Semana n’avait pas démontré que des membres de la famille seraient touchés négativement par son renvoi.

[11]           En ce qui concerne les difficultés que causerait son renvoi, la SAI a conclu qu’il n’y a pas de raison pour que Mme Semana cesse de travailler à l’étranger et qu’elle continue à subvenir aux besoins de sa famille aux Philippines, comme elle l’a fait depuis 2000, non seulement du Canada, mais aussi de Hong Kong. Même si la SAI a reconnu qu’il sera peut-être un peu difficile initialement pour l’appelante de se rajuster et de s’établir à nouveau une fois renvoyée du Canada, elle a considéré que cela ne constituait pas une difficulté donnant lieu à la prise de mesures spéciales.

[12]           Après avoir évalué tous ces facteurs, la SAI a soupesé chacun d’eux. Le Tribunal a rappelé que « les fausses déclarations en l’espèce se situent presque à l’extrémité, voire à l’extrémité, du spectre de gravité, et les motifs d’ordre humanitaire nécessaires pour justifier la prise de mesures spéciales doivent, par conséquent, être particulièrement importants ». La SAI a reconnu comme des facteurs favorables soutenant le cas de Mme Semana le degré de son établissement et le fait qu’elle éprouverait certaines difficultés (quoique peu importantes) si elle devait faire l’objet d’un renvoi. La SAI a par ailleurs conclu, comme facteur défavorable à sa demande, qu’il ne semblait y avoir aucun membre de sa famille au Canada qui serait touché par son renvoi. La SAI a également reconnu que Mme Semana rendait service à sa cousine en l’aidant à s’occuper de ses enfants, mais a noté que, comme l’a signalé récemment la Cour fédérale, « l’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur auquel on doit accorder un poids important, mais que ce facteur n’est pas déterminant dans le contexte d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire » (Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 304, au paragraphe 28).

[13]           La SAI a estimé que, dans l’ensemble, il n’y avait pas de motifs (y compris l’intérêt supérieur des enfants) pour contrebalancer « la gravité des fausses déclarations de Mme Semana, de son mépris flagrant des lois canadiennes en matière d’immigration, de son manque de franchise et de remords, et de la nécessité d’appliquer la Loi de façon crédible ». La SAI a donc rejeté l’appel de Mme Semana.

B.                 Motifs d’ordre humanitaire

[14]           La demande de Mme Semana de prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR doit aussi être mise dans le contexte approprié.

[15]           Il est de jurisprudence constante qu’une exemption pour motifs d’ordre humanitaire est une mesure d’exception, discrétionnaire par surcroît (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2002 CAF 125 [Legault], au paragraphe 15; Adams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1193 [Adams], au paragraphe 30). Ce recours n’appartient pas aux catégories d’immigration normales, ou à ce qui est décrit comme « l’asile », par lesquelles les étrangers peuvent venir au Canada de façon permanente, mais constitue une sorte de soupape de sécurité disponible pour des cas exceptionnels. Une telle exemption « ne vise pas à créer une filière d’immigration de remplacement ni à offrir un mécanisme d’appel aux demandeurs d’asile » ou aux demandeurs de résidence permanente déboutés (Kanthasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113 [Kanthasamy CAF], au paragraphe 40).

[16]           En outre, il est bien établi que le demandeur a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée (Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 [Kisana], au paragraphe 45; Adams, au paragraphe 29). Le manque d’éléments de preuve ou l’omission de renseignements utiles à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire se fait au péril du demandeur (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 [Owusu], aux paragraphes 5 et 8; Nicayenzi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 595, au paragraphe 16).

[17]           Bien que ces précédents aient été développés dans le contexte de l’exemption prévue à l’article 25 de la LIPR, les principes qu’ils ont établis s’appliquent également aux considérations d’ordre humanitaire soulevées en appel en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR puisque les deux dispositions utilisent le même libellé, à savoir l’existence de « motifs d’ordre humanitaire », « en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ».

C.                Norme de contrôle

[18]           Les conclusions sur la suffisance des motifs d’ordre humanitaire impliquent l’exercice du pouvoir discrétionnaire et l’application d’une législation spécialisée à des faits précis, pour laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Khosa, la Cour suprême a expressément déterminé que la norme de contrôle des décisions de la SAI fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire équitable aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR est la norme de la décision raisonnable(Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 57 à 59).

[19]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et les conclusions du décideur ne devraient pas être modifiées dès lors que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au paragraphe 47). Lorsqu’elle effectue un examen des conclusions de fait selon la norme de la décision raisonnable, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur pertinent (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), au paragraphe 99). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 17).

III.             Analyse

A.                La SAI a fait une analyse adéquate du facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants

[20]           Mme Semana allègue d’abord que la SAI n’a pas adéquatement évalué le facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants, puisqu’elle a négligé de suivre le processus en trois étapes d’analyse de l’intérêt supérieur des enfants, tels qu’énoncés par notre Cour dans Williams c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 [Williams]. Dans cette décision, la Cour a déclaré que « lorsqu’il analyse l’intérêt supérieur d’un enfant, l’agent doit d’abord déterminer en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant; en deuxième lieu, jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre et, enfin, à la lumière de l’analyse susmentionnée, le poids que ce facteur joue lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs dont il a été tenu compte lors de l’examen de la demande » (Williams, au paragraphe 63). Mme Semana prétend que la SAI devait d’abord explicitement établir quel est l’intérêt supérieur des enfants de sa cousine et ensuite, déterminer la mesure dans laquelle ces intérêts seront compromis par son renvoi.

[21]           Mme Semana soutient de plus que la SAI n’a pas expliqué de quelle façon les intérêts des enfants de sa cousine seraient touchés par le renvoi de Mme Semana. Au lieu d’évaluer l’intérêt supérieur des enfants, la SAI a analysé le niveau de soins qui était adéquat pour eux, concluant qu’une nouvelle personne soignante serait aussi compétente que Mme Semana. Mme Semana plaide que ce n’est pas le bon critère et que les besoins essentiels des enfants ne sont pas les mêmes que l’intérêt supérieur des enfants. De plus, elle soutient que cette conclusion est fondée sur la prémisse que la cousine de Mme Semana (la mère des enfants) serait en mesure de payer une aide privée avec une formation spécialisée, ce qui ne constitue qu’une hypothèse. Mme Semana déclare qu’en réduisant la relation qu’elle entretient avec les enfants à un « service », la SAI a fait preuve d’insensibilité à l’égard des enfants de sa cousine.

[22]           Je ne suis pas d’accord avec les observations de Mme Semana.

(1)               Le critère relatif à l’intérêt supérieur des enfants

[23]           La SAI n’avait tout simplement aucune obligation de suivre l’approche développée dans Williams, et la décision de la SAI ne peut pas être déraisonnable parce qu’elle ne l’a pas fait. La décision Williams a souvent été rejetée comme test formel d’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants, et elle a été jugée incompatible avec la jurisprudence de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédérale (Sanchez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1295, au paragraphe 16; Onowu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 64 [Onowu], au paragraphe 44). Au mieux, l’affaire Williams peut apporter une orientation utile qui peut être suivie par les décideurs, mais la SAI n’était certainement pas obligée d’appliquer la méthode analytique précise élaborée dans ce précédent (Webb c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060 [Webb], au paragraphe 13).

[24]           Le critère relatif à l’intérêt supérieur des enfants adopté par la SAI a été élaboré et énoncé par la Cour suprême dans plusieurs cas, culminant dans sa récente décision Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy SCC]. Ce critère exige que la SAI soit « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants. Lorsque l’intérêt des enfants est minimisé, « d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable » (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 [Baker], au paragraphe 75). En vertu de ce critère, « [l]’intérêt de l’enfant doit plutôt être ‘bien identifié et défini’ et ‘examiné avec beaucoup d’attention’ au vu de l’ensemble de la preuve » (Kanthasamy, CSC, au paragraphe 39; Legault, aux paragraphes 12 et 31; Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 [Hawthorne], au paragraphe 32). En outre, l’analyse doit prendre en compte le « degré de développement de l’enfant », puisqu’il faut « tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » (Kanthasamy, CSC, au paragraphe 35).

[25]           Cependant, aucune formule particulière ou critère rigide n’est indiqué ou requis pour une analyse de l’intérêt supérieur des enfants, ou pour démontrer que la SAI ou un agent d’immigration a été « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants, tel que requis par Baker et les décisions qui en ont découlé (Onowu, aux paragraphes 44 à 46; Webb, au paragraphe 13). Il n’y a pas de « formule magique à laquelle [doivent] recourir les agents d’immigration dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire » (Hawthorne, au paragraphe 7). En d’autres termes, la forme ne doit pas prévaloir sur le fond (Taylor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 21, au paragraphe 12; Webb, au paragraphe 11).

[26]           Je m’arrête pour souligner que, dans Kanthasamy, la Cour suprême a fait référence à certains passages de Williams, mais s’est abstenue d’adopter l’approche en trois étapes énoncée dans cette décision (Kanthasamy, CSC, aux paragraphes 39 et 59). La Cour suprême n’a même pas cité le paragraphe de Williams (c.-à-d., le paragraphe 63) établissant l’approche en trois étapes énoncée dans cette décision.

[27]           En définitive, le bon critère juridique est de savoir si la SAI a été « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant dans la réalisation d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant (Baker, au paragraphe 75; Hawthorne, au paragraphe 10; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, au paragraphe 8). Afin de démontrer que la SAI est réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, il est bien entendu nécessaire que son analyse aborde les « conséquences personnelles et uniques » que le renvoi du Canada aurait pour les enfants touchés par la décision (Tisson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 944, au paragraphe 19; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 469, au paragraphe 16).

[28]           Le législateur a bien établi qu’un décideur effectuant une analyse des motifs d’ordre humanitaire doit bien déterminer et définir le facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants, puis soupeser les facteurs compensatoires qui pourraient atténuer les conséquences préjudiciables du renvoi (Legault, au paragraphe 12; Kisana, au paragraphe 24; Hawthorne, au paragraphe 5). L’intérêt supérieur des enfants ne prime pas nécessairement les autres facteurs dont on doit tenir compte dans le cadre d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Pour que sa décision soit qualifiée de raisonnable, le décideur doit considérer l’intérêt supérieur des enfants comme « un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, au paragraphe 75). Autrement dit, la présence des enfants ne commande pas un résultat déterminé (Legault, au paragraphe 12; Kisana, au paragraphe 72). L’intérêt supérieur des enfants n’est qu’un des facteurs dont il y a lieu de tenir compte lorsqu’il s’agit de statuer sur une demande de dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

[29]           Je suis convaincu qu’en l’espèce, la décision de la SAI démontre amplement que la SAI a effectué l’analyse appropriée et que la SAI a été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants de la cousine de Mme Semana. La SAI s’est particulièrement penchée sur la situation des deux enfants et n’a pas omis de se livrer à une analyse. La SAI s’est montrée réceptive à la situation et a fait référence à la situation des enfants à divers endroits dans sa décision (aux paragraphes 37, 42, 43 et 46). Elle a identifié les besoins spéciaux des enfants et y fait référence en se fondant sur la preuve.

[30]           La SAI a appliqué le bon critère juridique, et je suis convaincu que son analyse de l’intérêt supérieur des enfants appartient à la gamme des issues raisonnables. Il est vrai que la SAI aurait peut-être pu élaborer davantage sur les besoins des enfants touchés. Mais j’estime que le peu d’importance accordée à ce facteur par la SAI a raisonnablement fait écho à la fois à la participation limitée de Mme Semana aux soins des deux enfants directement touchés par son renvoi, et à la pauvreté des éléments de preuve fournis par Mme Semana sur ce point. À mon avis, la nature de l’implication de Mme Semana auprès des enfants de sa cousine et le peu d’indications et le peu d’éléments de preuve présentés en relation avec le facteur de l’intérêt supérieur des enfants constituaient deux caractéristiques principales de l’espèce.

(2)               Implication de Mme Semana auprès des enfants

[31]           Comme la Cour suprême l’a déclaré dans Kanthasamy, « [le] principe de ‘l’intérêt supérieur de l’enfant dépend fortement du contexte’ en raison de ‘la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant’ » (Kanthasamy, CSC, au paragraphe 35). Le décideur n’examine pas l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’abstrait (Hawthorne, au paragraphe 5). Un côté de la médaille représente les besoins de l’enfant; l’autre côté est la nature de la relation avec le demandeur en s’appuyant sur le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[32]           Dans le cas présent, l’élément contextuel principal et le plus frappant de la demande de Mme Semana fondée sur l’intérêt supérieur des enfants était son implication limitée auprès des deux enfants de sa cousine, et ce fut en effet le premier point abordé par la SAI au début de son analyse du facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants : Mme Semana s’occupe de ces enfants qui souffrent d’un retard de développement durant quelques heures une fois toutes les deux semaines. Il s’agit certes d’un cas inhabituel et quelque peu atypique par rapport à la plupart des cas impliquant le facteur relatif à l’intérêt supérieur d’un enfant, où le demandeur est le plus souvent soit l’enfant directement touché, soit l’un des principaux dispensateurs de soins à l’enfant, dans une relation quotidienne avec l’enfant ou au moins dans une relation étroite et constante.

[33]           Mme Semana n’était pas une personne soignante de premier plan des deux enfants de sa cousine, encore moins la principale personne soignante. Bien au contraire, Ce qui singularisait la relation de Mme Semana avec les deux enfants de sa cousine était plutôt l’absence de proximité et son implication limitée avec eux.

[34]           Je reconnais que, dans le contexte d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire, la relation entre le demandeur et les enfants touchés n’a pas à être une relation parent-enfant. Autrement dit, un lien biologique ou de sang n’est pas une exigence. Le facteur relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant doit être considéré dans les situations où un enfant peut être « directement touché » par une décision. C’est plutôt la nature de la relation et de l’implication, et le fait qu’un demandeur assure une présence importante dans la vie d’un enfant, qui sont primordiaux et pertinents dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant (Kwon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 50, paragraphe 14). Une personne qui n’est pas le parent biologique, mais qui s’occupe principalement de l’enfant, peut donc présenter des arguments convaincants dans une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant (Enriquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1002, au paragraphe 8). Ce qui compte et doit être pris en considération est le niveau de dépendance entre l’enfant et le demandeur présentant une demande fondée sur le facteur relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant à l’appui de ses motifs d’ordre humanitaire.

[35]           Inversement, on ne doit pas recourir à ce facteur pour satisfaire aux besoins d’une demande soulevant des considérations d’ordre humanitaire dans les cas où la proximité et la nature de l’implication d’un demandeur dans la vie d’un enfant sont au mieux limitées, lointains et marginaux. Je ne conteste pas le fait que la cousine de Mme Semana était reconnaissante de l’aide apportée par sa cousine étant donné les besoins particuliers des deux enfants en question. Cependant, il n’était certes pas déraisonnable que la SAI n’accorde que peu de poids au facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants mis de l’avant par Mme Semana, dans une situation où l’implication de Mme Semana auprès des enfants « directement touchés » se résumait à un service de gardiennage dans ses temps libres pendant quelques heures toutes les deux semaines.

[36]           La SAI n’était pas convaincue que c’était suffisant pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la présence de Mme Semana au Canada était nécessaire à l’intérêt supérieur des enfants. Je suis convaincu qu’une telle conclusion factuelle s’inscrit dans les limites du raisonnable dans les circonstances.

(3)               Le peu d’éléments de preuve fournis à l’appui du facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants

[37]           En outre, l’intensité et la portée d’une analyse par la SAI ou par un agent d’immigration dépendent de la longueur et de la force des observations du demandeur et sur la preuve produite. Dans un cas donné, l’intérêt supérieur des enfants directement touchés est évalué « eu égard à l’ensemble de la preuve  » (Kanthasamy, CSC, au paragraphe 39; D’Aguiar-Juman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 6, au paragraphe 9). Le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires, et « si un demandeur ne soumet aucune preuve à l’appui de son allégation, l’agent est en droit de conclure qu’elle n’est pas fondée. » (Owusu, au paragraphe 5). Si la preuve est « trop indirecte, succincte et obscure », un agent n’a pas « l’obligation [...] de s’enquérir de l’intérêt supérieur des enfants » (Owusu, au paragraphe 9; Kisana, au paragraphe 45).

[38]           Contrairement aux décisions citées par Mme Semana à l’appui de sa position (comme Noka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-2770-12, 17 décembre 2012), il y avait pauvreté des éléments de preuve fournis par Mme Semana à l’égard des besoins des deux enfants de sa cousine. Alors que Mme Semana soutient que la SAI a omis d’examiner un certain nombre d’éléments, je remarque qu’une preuve limitée a été fournie à l’appui de ses déclarations concernant ce facteur. Comme le souligne à juste titre l’avocat du ministre, la décision de la SAI a été motivée par l’absence de preuves objectives et pertinentes à l’appui des allégations avancées par Mme Semana pour se voir accorder des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[39]           En effet, alors que des éléments de preuve ont indiqué que les enfants de sa cousine avaient besoin de constance dans leur routine en raison de leurs besoins spéciaux, Mme Semana n’était auprès d’eux qu’une fois aux deux semaines. De même, Mme Semana n’a présenté aucune preuve démontrant qu’elle avait une formation ou des qualifications pour aider les enfants ayant des besoins spéciaux, même si la Cour a reconnu qu’elle a un certificat de préposée aux services de soutien à la personne. Il n’a pas non plus été démontré que le temps qu’elle consacre aux enfants toutes les deux semaines ne pourrait pas être meublé par quelqu’un d’autre; en fait, la mère a même mentionné que Mme Semana pourrait être remplacée par quelqu’un d’autre.

[40]           Il y avait également absence de preuve sur la condition actuelle des enfants ou sur le type de besoins qu’ils ont, à l’exception du témoignage de la mère. Il n’y a ni preuve médicale ni rapport d’un médecin ou d’un travailleur social démontrant les conséquences éventuelles sur les enfants du renvoi de Mme Semana. De même, bien que Mme Semana soutienne que la SAI aurait dû analyser la façon dont les enfants pourraient réagir à une nouvelle personne soignante, elle n’a présenté aucun élément de preuve sur ce point. J’ajouterais que rien ne mentionnait la relation de Mme Semana avec les enfants de sa cousine comme constituant un facteur atténuant pertinent aux motifs d’ordre humanitaire dans le rapport de mars 2011 présenté en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, ni dans ses représentations initiales sur ce rapport. En somme, le dossier du tribunal ne contenait pas la preuve nécessaire pour démontrer que l’intérêt supérieur des enfants était que leur relation avec Mme Semana soit maintenue. Le fardeau de la preuve pesait sur Mme Semana, et elle a omis de présenter une preuve convaincante pour démontrer ce qui était dans l’intérêt supérieur des deux enfants de sa cousine. Je ne suis pas convaincu que, dans de telles circonstances, ce n’était pas une option et raisonnable que la SAI n’accorde que peu de poids à au facteur de l’intérêt supérieur des enfants soulevé par Mme Semana.

[41]           Les motifs de la SAI peuvent ne pas être aussi détaillés et parfaits que Mme Semana l’aurait espéré ou voulu. Mais ce n’est pas un motif suffisant pour justifier l’intervention de la Cour. J’insiste sur le fait que, malgré le peu d’éléments de preuve concernant ce facteur, la SAI ne l’a pas totalement mis de côté dans son analyse, et a quand même pris en considération les heures que Mme Semana consacrait aux enfants toutes les deux semaines dans l’appréciation des facteurs d’ordre humanitaire. Toutefois, elle a conclu que cela ne justifiait pas une exemption fondée sur les motifs d’ordre humanitaire dans les circonstances particulières de ce cas.

[42]           Il n’y a pas d’erreur susceptible de révision dans la décision de la SAI, et je suis convaincu qu’en l’espèce, la décision et le dossier démontrent amplement que la SAI a été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants de la cousine de Mme Semana. L’appréciation de la SAI reposait sur un fondement rationnel et son issue appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. J’admets que la SAI aurait pu être plus communicative sur ce point, mais sa décision demeure néanmoins suffisamment transparente, intelligible et justifiée de façon appropriée. Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 16 et 17). Or, c’est le cas en l’espèce.

B.                 La SAI a correctement évalué l’établissement de Mme Semana au Canada

[43]           Comme second point, Mme Semana soutient que la SAI a également erré dans l’évaluation de son établissement depuis son arrivée au Canada. Mme Semana prétend que la SAI a conclu à tort que les années qu’elle a passées au Canada l’ont été dans l’illégalité et qu’elle ne peut pas être récompensée pour cela. Contrairement à la situation décrite dans De Melo Silva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 941 [De Melo Silva] invoquée par la SAI, Mme Semana affirme qu’elle n’est pas restée sans statut au Canada pendant des années. Mme Semana est entrée au Canada comme résidente permanente, et avait donc un statut.

[44]           Mme Semana allègue que « l’objet général [des considérations d’ordre humanitaire] est de traiter des gens qui n’ont pas de statut, pour une raison ou une autre » (Benyk c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 950, au paragraphe 14). Elle ajoute que la SAI était indûment préoccupée par la question de savoir si Mme Semana se trouvait au Canada pour des raisons indépendantes de sa volonté et n’avait donc « pas pris en considération les motifs d’ordre humanitaire qui lui ont été présentés » pour justifier une exemption (Strachn c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 984 [Strachn], au paragraphe 24).

[45]           Je ne suis pas d’accord.

[46]           J’ai tout d’abord observé que la SAI a expressément abordé les allégations de Mme Semana relatives à son établissement et était même convaincue que Mme Semana avait un certain degré d’établissement au Canada. Contrairement aux affirmations de Mme Semana, la preuve de son établissement au Canada n’a pas été ignorée et a de toute évidence été examinée par la SAI. Non seulement la SAI a reconnu que Mme Semana « avait un certain degré d’établissement au Canada », mais elle a explicitement souligné cet aspect comme un facteur favorable dans son évaluation. La SAI y a même fait référence à deux reprises dans sa décision. La SAI n’a pas été indifférente à l’établissement de Mme Semana, a explicitement reconnu sa preuve sur ce point et lui a accordé un certain poids. Cette reconnaissance a cependant été affaiblie et assombrie par ses fausses déclarations répétées et son mépris des lois canadiennes en matière d’immigration.

[47]           L’argument de Mme Semana concernant cette seconde question se résume à un désaccord concernant le poids attribué à la preuve par la SAI. Ce n’est pas le rôle de cette Cour d’examiner à nouveau le poids donné par un décideur aux différents facteurs qu’il a à examiner.

[48]           En outre, il n’y a rien de déraisonnable dans la conclusion de la SAI selon laquelle un établissement réalisé dans des circonstances illégales ne devrait pas être récompensé. Tout d’abord, je suis d’accord avec le ministre que l’allégation de Mme Semana qui prétend qu’elle n’était pas au Canada sans statut et a eu un statut de résidente permanente pendant plusieurs années est totalement sans fondement. L’affirmation selon laquelle elle serait un peu moins coupable parce qu’elle a réussi à obtenir la résidence permanente par la fraude est absurde. Mme Semana a réussi à rester au Canada dans des circonstances relevant totalement de sa volonté, puisqu’elle est restée au Canada grâce à des mensonges et de la fraude répétés. Deuxièmement, il est bien établi en droit que personne ne devrait bénéficier d’un contournement des lois sur l’immigration et d’une mauvaise foi immorale dans une demande d’immigration. Notre Cour a souvent affirmé que « les demandeurs ne peuvent ni ne doivent être ‘récompensés’ pour avoir passé du temps au Canada alors qu’en fait, ils n’avaient pas le droit de le faire » (Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 373 (CF), au paragraphe 22).

[49]           Puisqu’il y existe une jurisprudence claire à cet effet, la SAI a simplement suivi un courant jurisprudentiel existant, et sa décision appartenait donc bien à la gamme des issues possibles acceptables. On ne peut la blâmer d’avoir mis de côté l’établissement de Mme Semana dans ces circonstances. La LIPR et le régime canadien d’immigration sont fondés sur la prémisse que quiconque vient au Canada avec l’intention de s’y établir doit être de bonne foi et respecter à la lettre les exigences de fond et de forme qui sont prescrites (Legault, au paragraphe 19). Il est manifestement dans l’intérêt public que les autorités canadiennes d’immigration soient libres de prendre cet élément en considération dans leurs décisions.

[50]           La jurisprudence invoquée par Mme Semana peut facilement être distinguée. Mme Semana n’était à l’évidence pas dans une situation où son établissement a été exemplaire et exceptionnel (Shafqat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1186). Elle n’était pas non plus au Canada pour des raisons indépendantes de sa volonté (Strachn, au paragraphe 24; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 11, au paragraphe 56). En fait, c’est plutôt le contraire. Mme Semana se trouvait au Canada grâce à ses propres mensonges et à la fraude. Elle avait cumulé du temps au pays depuis près de 12 ans en raison de circonstances relevant de toute évidence de sa volonté, et en fait, entièrement grâce à ses propres stratagèmes. En tout temps, Mme Semana a vécu ici dans des circonstances illégales. Elle n’a jamais passé de temps au Canada de façon légitime, et il n’y a jamais eu un moment où elle était dans ce pays en vertu d’autre chose que des fausses déclarations.

[51]           À mon avis, la SAI a conclu à juste titre que les années que Mme Semana a passées au Canada le furent dans l’illégalité et qu’elle ne peut pas être récompensée pour cela en invoquant De Melo Silva, (au paragraphe 8).

[52]           Encore une fois, selon la norme du caractère raisonnable, si le processus et les résultats cadrent bien avec les principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et que la décision est étayée par des éléments de preuve acceptables pouvant être justifiés en fait et en droit, la décision sera raisonnable. Le simple fait qu’une jurisprudence abondante appuie l’approche de la SAI concernant cette seconde question est suffisant pour établir que la décision est raisonnable.

C.                La SAI n’a pas erré dans son appréciation de la preuve concernant les conséquences du renvoi de Mme Semana

[53]           Enfin, Mme Semana se plaint que l’évaluation de la preuve de la SAI concernant les conséquences de son renvoi. Bien que ce point n’ait pas été abordé par les avocats dans leurs plaidoiries et que la Cour a été informée lors de l’audience que Mme Semana a maintenant été renvoyée du Canada, je vais l’aborder brièvement.

[54]           Mme Semana soutient que la SAI a tiré des conclusions déraisonnables, en particulier en affirmant que Mme Semana n’avait pas démontré que des membres de sa famille seraient défavorablement touchés par son renvoi, et en qualifiant de non pertinent le fait que ses employeurs sont satisfaits de son travail. Mme Semana soutient que la preuve a démontré qu’elle envoyait de l’argent pour aider sa famille aux Philippines, et que la SAI n’avait besoin d’aucun autre témoignage comme preuve éloquente que les fonds étaient envoyés à la famille de Mme Semana. Mme Semana plaide de plus que la SAI a conclu à tort qu’il semblait [traduction« qu’aucun membre de sa famille au Canada ne serait touché par son renvoi ». Elle soutient que, en raison de cette succession de déclarations inexactes, la décision de la SAI est déraisonnable.

[55]           Encore une fois, les arguments de Mme Semana ne m’ont pas convaincu.

[56]           Toute la famille immédiate de Mme Semana vit aux Philippines. Même si Mme Semana a envoyé de l’argent aux Philippines, il n’était pas déraisonnable de la part de la SAI de noter l’absence de preuve récente démontrant que sa famille immédiate serait touchée par son renvoi. Puisque le dernier bordereau de versement était daté de septembre 2013, il était loisible à la SAI de conclure qu’il n’y avait aucune preuve indiquant que sa famille serait touchée par son renvoi. En ce qui a trait aux employeurs de Mme Semana, ils ne font pas partie de la famille, de sorte que l’argument de Mme Semana militant en faveur de l’appréciation de cet élément par la SAI n’est pas clair.

[57]           De même, je ne trouve rien de déraisonnable dans le fait que la SAI ait déclaré « qu’il n’y a pas de raison pour que Mme Semana cesse de travailler à l’étranger et qu’elle continue à subvenir aux besoins de sa famille aux Philippines ».

[58]           Il convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’appréciation des facteurs humanitaires de la SAI (Wang c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 705, au paragraphe 29). Mme Semana est en l’espèce essentiellement en désaccord avec la pondération de ces facteurs. Toutefois, puisque le SAI a conclu que l’intérêt supérieur des enfants, le nombre d’années qu’elle a passées au Canada et les répercussions de son renvoi ne l’emportent pas sur la gravité de ses fausses déclarations et de son absence de remords, il n’appartient pas à notre Cour de réévaluer les facteurs d’ordre humanitaire examinés par la SAI.

[59]           La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, à la lumière du dossier (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3). Un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54), et la Cour doit aborder les motifs en vue « de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 15). Les cours de révision doivent également prendre soin de ne pas trop disséquer ou analyser les motifs d’un décideur, mais plutôt leur prêter une attention respectueuse.

[60]           En vertu de cette approche, je ne crois pas que la SAI a commis une erreur en concluant que les éléments de preuve sur les conséquences préjudiciables du renvoi de Mme Semana étaient insuffisants.

IV.             Conclusion

[61]           Le rejet de l’appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire interjeté par Mme Semana constitue une issue raisonnable au regard du droit et de la preuve. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je n’ai aucune hésitation à conclure que c’est le cas en l’espèce. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de Mme Semana.

[62]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification. Je conviens qu’il n’y a pas de question de cette nature.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-439-16

INTITULÉ :

AIDA ACOSTA SEMANA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

Le 22 septembre 2016

COMPARUTIONS :

Jennifer Luu

Pour la demanderesse

David Knapp

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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