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Date : 20160927


Dossier : T-393-15

Référence : 2016 CF 1086

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2016

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

CGI HOLDING LLC

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La demanderesse, CGI Holding Inc. [CGI], est une société à responsabilité limitée [SARL] créée en vertu des lois de l’État du Delaware des États-Unis. Au Canada, sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) [LIR], CGI est considérée comme une société non résidente aux fins de l’impôt sur le revenu. La société cherche à obtenir un remboursement du ministre défendeur de plus de 28 millions de dollars, montant qu’elle a payé en retenue fiscale en 2007.

[2]               En 2007, CGI (alors connue sous le nom de Chrysler Holding LLC) a reçu un paiement de dividende d’un peu plus de 142 millions de dollars de sa société apparentée résidente du Canada, 3208170 Nova Scotia Company [NSULC], à la suite d’une restructuration organisationnelle. À cette époque, le paragraphe 212(2) de la LIR était interprété par l’Agence du revenu du Canada [ARC] comme exigeant une retenue de l’impôt sur le revenu de 25 % sur les dividendes payés par un résident canadien (NSULC) à un non-résident (CGI). En conséquence, un paiement de plus de 35 millions de dollars, représentant 25 % du dividende, a été versé à l’ARC.

[3]               En 2010, la Cour canadienne de l’impôt a rendu une décision dans le jugement TD Securities (USA) LLC c. La Reine, 2010 CCI 186 [TD Securities]. Par la suite, l’ARC a modifié sa position quant à l’obligation pour une SARL de faire des retenues fiscales dans les situations où la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu (la Convention) s’applique.

[4]               Étant donné la décision rendue dans TD Securities, CGI soutient que les dispositions de la Convention s’appliquent au paiement de dividende de 2007. Dans l’affirmative, cela voudrait dire que 5 % et non 25 % du montant du dividende auraient dû être retenus. Il s’agit d’une différence de plus de 28 millions de dollars, et c’est le montant pour lequel CGI demande un remboursement.

[5]               La position de l’ARC est que CGI n’a pas droit à un remboursement en vertu de la Convention, car les faits et les circonstances du paiement de dividende de 2007 sont différents de ceux du jugement TD Securities.

II.                Contexte

[6]               En 1980, le Canada et les États-Unis ont conclu la Convention (Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, 26 septembre 1980, R.T. Can. 1984 no 15) afin d’éviter une double imposition de leurs contribuables respectifs. Cette convention est entrée en vigueur en 1984 et, au Canada, est mise en œuvre par la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d’impôts, S.C. 1984, ch. 20.

[7]               Les deux pays ont désigné des « autorités compétentes » qui sont chargées de traiter les demandes présentées en vertu de la Convention. L’autorité compétente au Canada est l’ARC. Aux États-Unis, il s’agit de l’Internal Revenue Service [IRS]. Les termes « autorités compétentes », « IRS » et « ARC » sont utilisés de façon interchangeable dans les présents motifs.

[8]               En mars 2012, CGI a demandé un remboursement à l’ARC, mais l’ARC a refusé la demande parce que le délai de prescription de deux ans prévu au paragraphe 227(6) de la LIR était expiré. L’ARC a toutefois accepté la demande de remboursement à titre d’avis opportun, dans le cadre de la Convention, pour engager une procédure amiable comme le prévoit l’article XXVI de la Convention. La procédure amiable offre aux contribuables un mécanisme de règlement des différends pour les demandes d’allégement fiscal faites en vertu de la Convention.

[9]               En juillet 2013, CGI a demandé l’aide de l’autorité compétente de l’IRS en vertu de la Convention. Le 4 novembre 2013, l’IRS a officiellement lancé la procédure amiable en envoyant une lettre à l’ARC pour lui demander d’accorder le remboursement demandé par CGI.

[10]           La procédure amiable ne fait pas intervenir directement le contribuable. Les autorités compétentes (l’IRS et l’ARC) traitent le dossier ensemble. Cependant, comme je l’expliquerai plus en détail ci-après, CGI a eu l’occasion de fournir de l’information et des commentaires durant la procédure amiable.

[11]           Le 13 février 2015, CGI a été avisée par l’IRS que les deux autorités compétentes étaient incapables de s’entendre et que l’affaire était conclue.

[12]           CGI demande le contrôle judiciaire de la conduite de l’ARC durant la procédure amiable. Elle soutient que l’ARC n’a pas compris l’objectif commercial de la restructuration organisationnelle qui a donné lieu au paiement de dividende. CGI fait également valoir que l’ARC a omis ou refusé de s’informer adéquatement du processus d’imposition « complète » du dividende aux États-Unis. CGI allègue que ses droits à l’équité procédurale n’ont pas été respectés par l’ARC durant la procédure amiable. Elle sollicite un mandamus et demande à la Cour d’ordonner au ministre d’établir un avis de cotisation en vertu de la LIR, car, à moins qu’une cotisation soit établie ou jusqu’à ce qu’elle soit établie, CGI n’a aucun recours devant la Cour canadienne de l’impôt.

[13]           Le ministre soutient que la Cour n’a pas compétence sur les discussions relatives aux conventions entre le Canada et les États-Unis. Le ministre soutient également qu’il n’y a aucune « décision » pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire. En outre, il fait valoir que même si la Cour avait compétence, le paiement de dividende en cause en l’espèce ne correspond pas à la situation dans TD Securities. Enfin, le ministre s’oppose à l’admission de la plupart des éléments de preuve sur lesquels CGI se fonde.

[14]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la Cour a compétence. Je conclus que le ministre a agi de façon raisonnable. Je conclus par ailleurs qu’il n’y a eu aucune violation des droits à l’équité procédurale de CGI, car elle était au courant en tout temps de la preuve à produire. Enfin, CGI n’a pas droit à une ordonnance de mandamus.

III.             Questions préliminaires

[15]           Deux questions préliminaires sont soulevées.

A.                La Cour a-t-elle compétence?

[16]           Le ministre soutient que les actes de l’ARC dans le cadre de la procédure amiable tenue en application la Convention ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire parce qu’il s’agit de négociations avec un autre gouvernement qui relèvent de la prérogative de la Couronne à l’égard des affaires étrangères.

[17]           Je note que la Cour a déjà, par le passé, abordé la possibilité d’un contrôle judiciaire dans le contexte de cette convention; voir, de façon générale : Teletech Canada, Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CF 572; Robert Julien family delaware dynasty trust c. Canada (Revenu national), 2007 CF 1071.

[18]           En outre, la décision rendue par la Cour d’appel fédérale [CAF] dans Première Nation des Hupacasath c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4, appuie la conclusion selon laquelle les mesures administratives du ministre, même dans le contexte de la procédure amiable, sont susceptibles de révision, à condition que la Cour, dans son rôle de supervision, fasse preuve d’une déférence appropriée envers le rôle du ministre et de sa prérogative à l’égard des affaires étrangères : Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, au paragraphe 46 [Khadr].

[19]           Sous réserve de ces limitations, je conclus que la Cour a compétence pour examiner les mesures administratives de l’ARC en tant que représentant du ministre dans le cadre de la procédure amiable tenue en vertu de la Convention.

B.                 La preuve de la demanderesse est-elle recevable?

[20]           Le ministre conteste la recevabilité de grandes parties de la preuve par affidavit de CGI.

[21]           CGI s’appuie sur deux affidavits signés par Richard Marcovitz, associé fiscaliste de PricewaterhouseCoopers et conseiller fiscal externe de CGI. Le premier affidavit fait sous serment le 13 avril 2015 a été déposé à l’appui de l’avis de demande.

[22]           Le deuxième affidavit fait sous serment par M. Marcovitz le 18 juillet 2015 et intitulé « Réponse par affidavit » a été préparé en réponse à l’affidavit de Patrick Massicotte qu’a déposé le ministre. CGI a été autorisée à déposer la Réponse par affidavit en vertu d’une ordonnance rendue par la Cour le 11 décembre 2015.

[23]           Le ministre s’oppose aux paragraphes 9, 21 et 22 de l’affidavit d’avril de M. Marcovitz ainsi qu’aux paragraphes 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 de l’affidavit de juillet de M. Marcovitz. Il affirme que ces paragraphes ne devraient pas être pris en considération parce qu’ils contiennent des éléments de preuve sous forme d’opinions, d’arguments et/ou de ouï-dire.

[24]           En ce qui concerne les ouï-dire, le ministre se fonde sur les décisions Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1152, au paragraphe 5, et Pfizer Canada Inc. v. Teva Canada Limited, 2016 FCA 161, au paragraphe 103, pour étayer son opinion selon laquelle la preuve par ouï‑dire ne peut être admise que si elle est nécessaire et fiable. Le ministre allègue qu’aucune de ces conditions n’a été remplie par CGI.

[25]           J’aborderai d’abord l’affidavit fait sous serment par M. Marcovitz le 13 avril 2015. La dernière phrase du paragraphe 9 de l’affidavit est une opinion et sera donc écartée.

[26]           Bien que les paragraphes 21 et 22 concernent des questions qui ne sont pas soumises à la Cour directement, ils fournissent des renseignements et un contexte utiles et sont donc acceptables (Voir : Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 20 [Association des universités]).

[27]           En ce qui concerne l’affidavit fait sous serment par M. Marcovitz le 18 juillet 2015, je suis d’accord avec le ministre que les paragraphes 2 et 3 contiennent des éléments de preuve sous forme d’opinion et, par conséquent, ils seront écartés.

[28]           Les paragraphes 4 et 5 de l’affidavit de juillet de M. Marcovitz contiennent des éléments de preuve par ouï-dire. Une preuve par ouï-dire peut être admise si elle est nécessaire et fiable. D’après la preuve au dossier, il est évident que la restructuration organisationnelle qui a donné lieu au paiement de dividende était complexe, car elle touchait plusieurs entités dans diverses administrations. Cependant, cela ne permet pas à la Cour d’accepter une preuve par ouï-dire lorsque des éléments de preuve auraient pu être fournis par quelqu’un possédant une connaissance de première main des transactions ou y ayant participé. En conséquence, l’information contenue dans ces paragraphes n’est ni fiable ni nécessaire et il n’en sera donc pas tenu compte.

[29]           Le ministre s’oppose aussi aux paragraphes 6, 7, 8 et 9 de l’affidavit de juillet de M. Marcovitz au motif que la source de l’information contenue dans ces paragraphes n’est pas indiquée. En tenant compte du contexte et du rôle que M. Marcovitz a joué auprès de CGI et de ses sociétés remplacées, je suis convaincue que M. Marcovitz possède les connaissances requises pour faire les déclarations contenues dans ces paragraphes. J’accepterai donc ceux-ci.

[30]           Le ministre allègue également que le paragraphe 11 de l’affidavit de juillet de M. Marcovitz contient des opinions et des arguments qui ne sont pas recevables. Je ne suis pas d’accord.

[31]           Le ministre s’oppose aux documents fournis par CGI en réponse aux engagements demandés par le ministre. Ces documents sont inclus dans le dossier, mais ne sont pas joints à un affidavit. Ils n’ont pas été fournis au décideur. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour se limite habituellement à examiner le dossier dont a été saisi le décideur. Il est reconnu que le rôle de la Cour, lors d’un contrôle judiciaire, est d’examiner la légalité générale des mesures prises par un décideur administratif. Le contrôle judiciaire est un mécanisme qui permet de rendre une nouvelle décision sur le fond; ce n’est pas un forum de recherche de faits. Par conséquent, les éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au décideur ne seront pris en considération que dans des cas exceptionnels : Association des universités, aux paragraphes 18 à 20.

[32]           La Cour d’appel fédérale, dans Association des universités, a offert une orientation utile sur la recevabilité des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au décideur. En l’espèce, étant donné les questions définies dont était saisi le décideur, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour admettre ces documents. Admettre la preuve de CGI aux fins auxquelles elle a été présentée dans le cadre de la présente demande aurait effectivement pour effet de permettre à CGI de plaider à nouveau la demande de remboursement présentée en vertu de la Convention. La Cour se substituerait au ministre si elle admettait cette preuve et évaluait si les « hypothèses factuelles » sur lesquelles le ministre s’est fondé étaient vraies ou fausses. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire; par conséquent, ces documents ne sont pas admis en preuve.

IV.             Analyse

[33]           Je formule ainsi les questions à trancher dans la présente demande :

A.                La décision du ministre est-elle susceptible de révision?

B.                 Quelle est la norme de contrôle à appliquer et a-t-elle été respectée?

C.                 Y a-t-il eu violation des droits à l’équité procédurale de CGI?

D.                Un mandamus est-il un recours utilisable?

A.                La décision du ministre est-elle susceptible de révision?

[34]           Dans la présente demande, CGI demande un contrôle de la position de l’ARC selon laquelle elle n’a pas le droit à un remboursement en vertu de la Convention, car les faits et les circonstances du paiement de dividende de 2007 sont différents de ceux du jugement TD Securities.

[35]           Dans le jugement TD Securities, les revenus mondiaux de l’appelante (TD), une SARL dont on fait abstraction, ont été imposés aux États-Unis par l’entremise de son membre (au paragraphe 96). La Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’une entité dont le revenu était imposé au complet et d’une façon exhaustive dans l’autre État contractant avait droit à l’avantage de la Convention, même si son revenu est imposé au niveau des actionnaires, des membres ou des associés (au paragraphe 87). Dans cette affaire, la Cour a noté que cette décision n’étayait pas la simple thèse voulant que toute SPRL américaine ait droit aux avantages de la Convention (au paragraphe 104). Pour les motifs énoncés ci-dessous, il est important de préciser que dans le jugement TD Securities, l’intimée n’a pas prétendu qu’il y avait évitement des impôts ou abus du régime fiscal de la part de TD (au paragraphe 105).

[36]           À la suite de la publication de la décision dans TD Securities, l’ARC a fourni sa position administrative (2010-0369271C6) concernant l’imposition des SARL américaines :

[traduction

L’ARC est toujours d’avis qu’une SARL transparente sur le plan financier en vertu de la législation des États-Unis n’est pas une résidente des États-Unis aux fins de la Convention. Cette opinion est conforme à celle des autorités fiscales des États-Unis, comme le montre avec évidence le paragraphe 90 de [TD Securities]. Cependant, à la lumière de cette décision, l’ARC accordera un allégement à une SARL en vertu de la Convention dans les circonstances décrites ci-dessous. Lorsqu’un allégement est possible, l’ARC s’attend à ce qu’il y ait des ajustements correspondants à tout crédit d’impôt étranger demandé aux États‑Unis ayant un lien aux impôts canadiens remboursés.

[37]           Les circonstances dans lesquelles un allégement peut être obtenu en vertu de la Convention étaient énoncées ainsi :

[traduction

Antérieurement au Cinquième protocole (impôts retenus à la source)

Lorsqu’un élément de revenu assujetti à l’impôt en vertu de la partie XIII de la Loi a été payé ou crédité par un résident canadien à une SARL avant le 1er février 2009 et qu’une demande de remboursement est présentée avant l’expiration du délai de prescription prévu au paragraphe 227(6), le ministre peut rembourser l’impôt excédentaire si l’élément de revenu, dans son entièreté, a été imposé au complet et d’une façon exhaustive aux États-Unis au nom d’une ou plusieurs personnes qui étaient résidentes des États-Unis au sens de la Convention.

[38]           Compte tenu de ce contexte, CGI a demandé à l’IRS en juillet 2013 de lancer la procédure amiable en vue d’un allégement fiscal en vertu de la Convention. Le 4 novembre 2013, l’IRS a écrit à l’ARC pour lancer officiellement la procédure amiable.

[39]           Le dossier indique que, le 8 avril 2014, M. Massicotte, de l’ARC, a informé l’IRS de la position du Canada à l’égard de la demande de CGI et s’est dit préoccupé par l’apparence de stratagème d’évitement fiscal de la restructuration organisationnelle de CGI qui a donné lieu au paiement de dividende. Le représentant de l’IRS a confirmé que le dividende n’avait pas été imposé au complet et d’une façon exhaustive aux États-Unis, et était incapable d’expliquer pourquoi la NSULC s’était interposée entre CGI et une société liée au Mexique. Le représentant de l’IRS a indiqué qu’il tenterait de trouver une explication. Cependant, il semble d’après le dossier qu’aucune explication n’a été fournie par l’IRS à l’ARC.

[40]           Le 12 mai 2014, CGI a transmis des observations additionnelles à l’ARC. Entre le 26 juin 2014 et le 14 octobre 2014, des discussions ont eu lieu entre l’ARC et l’IRS. M. Massicotte a informé l’IRS que la position de l’ARC n’avait pas changé et que l’Agence considérait la situation de CGI comme étant différente de celle dans TD Securities parce que le dividende n’avait pas été imposé au complet et d’une façon exhaustive aux États-Unis et parce que l’existence de la NSULC ne reposait sur aucun objectif commercial valide.

[41]           Dans une lettre datée du 14 novembre 2014, l’ARC a informé l’IRS que l’affaire était conclue, déclarant ceci :

[traduction]

La présente est en réponse à votre lettre du 4 novembre 2013 dans laquelle vous demandiez au Canada de rembourser la somme de 28 463 184 $ CA pour les impôts retenus en 2007 en lien avec un dividende payé à CH LLC [CGI] par Nova Scotia unlimited liability company (NSULC). Le remboursement demandé est le montant retenu dépassant le montant maximal qui, à votre avis, était facturable en vertu de l’alinéa X(2)a) de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis (1980).

[...] Nous avons examiné les circonstances de ce cas et nous regrettons de ne pouvoir accorder le remboursement fiscal demandé, pour les raisons qui suivent.

[42]           CGI a été informée de cette décision le 8 janvier 2015 lors d’une conversation téléphonique entre M. Massicotte, de l’ARC, et M. Marcovitz, représentant de CGI. Le 13 février 2015, l’IRS a avisé CGI que les deux autorités compétentes étaient incapables de régler la question dans le cadre de la procédure amiable et que l’affaire était conclue.

[43]           Bien que CGI n’ait pas reçu de lettre de refus directement de l’ARC, il est clair d’après la lettre du 14 novembre 2014 que l’ARC avait pris une décision et que cette décision a mis fin à la procédure amiable sans qu’aucun allégement fiscal ne soit accordé à CGI.

[44]           Contrairement à la position adoptée par le défendeur, je conclus que l’ARC a bel et bien pris une « décision » au nom du ministre et que cette décision sert de fondement à la présente demande de contrôle judiciaire.

B.                 Quelle est la norme de contrôle à appliquer et a-t-elle été respectée?

[45]           CGI soutient que la norme de contrôle à appliquer à la décision du ministre est celle de la décision correcte, car les erreurs sont des questions de droit. Elle se fonde sur la jurisprudence suivante : Sheldon Inwentash and Lynn Factor Charitable Foundation c. Canada, 2012 CAF 136, au paragraphe 23; Clover International Properties (L) Ltd. c. Canada (Procureur général), 2013 CF 676, aux paragraphes 15 à 18.

[46]           Les constatations relatives à la structure organisationnelle de CGI et à la question de savoir si le dividende de 2007 a été imposé au complet et d’une façon exhaustive aux États-Unis nécessitent des conclusions de fait particulières. La norme de contrôle des conclusions de fait est la norme de la décision raisonnable. De même, toute décision discrétionnaire du ministre est évaluée d’après la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

[47]           En outre, le langage utilisé dans la Convention en soi appuie la conclusion selon laquelle la raisonnabilité est la norme de contrôle appropriée à adopter. La Convention énonce que : « [l]es autorités compétentes des États contractants s’efforcent, par voie d’accord amiable, de résoudre les difficultés ou de dissiper les doutes auxquels peuvent donner lieu l’interprétation ou l’application de la Convention » (paragraphe XXVI(3)).

[48]           Une autre chose à prendre en considération est la grande marge d’appréciation conférée au ministre dans le contexte de la procédure amiable. La Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de « l’ensemble des considérations » qui sous-tendent les négociations entre gouvernements : voir Khadr, au paragraphe 46.

[49]           Dans ces circonstances particulières, selon la norme de la décision raisonnable, la marge d’appréciation qui doit être accordée au ministre est très grande : Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150, au paragraphe 64.

[50]           Par conséquent, je conclus que la norme de la décision raisonnable est la norme de révision appropriée. Ainsi, la Cour n’interviendra que s’il peut être démontré que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, au paragraphe 47.

[51]           En l’espèce, l’ARC a jugé que les faits et les circonstances donnant lieu au dividende de CGI ne correspondaient pas à ceux de TD Securities. Elle a conclu que l’évitement fiscal pourrait avoir été un facteur dans la restructuration organisationnelle. Par ailleurs, l’ARC n’était pas convaincue que le dividende avait été imposé au complet et d’une façon exhaustive aux États‑Unis. Ces facteurs sont abordés dans le jugement TD Securities. Par conséquent, on ne peut pas dire que l’ARC est parvenue à sa conclusion sans tenir compte de l’information fournie par CGI ni des consultations auprès de l’IRS. Ces conclusions appartiennent aux issues possibles de la procédure amiable. Je conclus donc que l’ARC a agi de façon raisonnable et que CGI n’a pas démontré qu’il y avait une erreur susceptible de révision.

C.                 Y a-t-il eu violation des droits à l’équité procédurale de CGI?

[52]           Dans ses observations écrites et orales, CGI soutient qu’il y a eu violation de ses droits à l’équité procédurale. Elle affirme n’avoir jamais été mise au courant des préoccupations de l’ARC selon lesquelles le dividende de 2007 n’avait pas été imposé au complet et d’une façon exhaustive aux États-Unis et la restructuration organisationnelle ne reposait sur aucun objectif commercial.

[53]           Le ministre soutient qu’étant donné que CGI n’a pas plaidé de manquement à l’équité procédurale dans l’avis de demande, elle ne peut soulever cet argument maintenant. Pour sa part, CGI affirme avoir été mise au courant des préoccupations de l’ARC seulement après avoir reçu l’affidavit et les pièces jointes du ministre.

[54]           Normalement, la Cour ne se penchera pas sur les motifs de contrôle qui n’ont pas été invoqués dans l’avis de demande (Voir : Vézina c. Canada (Défense), 2012 CF 625, au paragraphe 21, et Campos Shimokawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 445, au paragraphe 31).

[55]           CGI n’a pas plaidé de manquement à l’équité procédurale dans son avis de demande. Cependant, compte tenu du fait que CGI n’a pas participé directement à la procédure amiable et aux négociations, je décide d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et de tenir compte des observations de CGI concernant l’équité procédurale.

[56]           La portée de l’obligation d’équité procédurale envers une partie varie selon le contexte et est déterminée par l’examen de la totalité des circonstances de la décision en cause. Les tribunaux sont guidés par la liste non exhaustive de facteurs établie par la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 23 à 28.

[57]           D’après les facteurs énoncés dans Baker, je suis convaincue que l’ARC était tenue d’être équitable envers CGI et de tenir compte de ses observations.

[58]            CGI affirme que, parce qu’elle n’était pas partie aux discussions tenues entre l’ARC et l’IRS, elle n’était pas au courant des préoccupations de l’ARC selon lesquelles le dividende de 2007 n’avait pas été imposé au complet et d’une façon exhaustive aux États-Unis et la restructuration organisationnelle ne reposait sur aucun objectif commercial valide.

[59]           Cette position n’est toutefois pas étayée par la preuve au dossier. La demande de remboursement de CGI reposait sur la décision rendue dans le jugement TD Securities. Un examen de cette décision montre que les questions d’imposition complète et d’évitement fiscal sont précisément abordées par la Cour dans sa décision (voir les paragraphes 87 à 105). De plus, le dossier indique que l’ARC a avisé CGI de sa position selon laquelle l’affaire TD Securities était différente. Par conséquent, je conclus que CGI a été avisée des préoccupations de l’ARC.

[60]           En plus d’avoir été avisée de ces préoccupations, CGI a eu l’occasion de fournir d’autres observations à l’ARC. Dans ses observations du 12 mai 2014, CGI fait précisément mention de l’imposition du dividende de 2007 et du traitement par l’ARC des structures d’évitement fiscal dans ces observations.

[61]           CGI était au courant que les questions d’imposition complète et d’évitement fiscal inquiétaient l’ARC et a eu l’occasion de répondre à ces préoccupations par écrit durant la procédure amiable. Pour ces motifs, je conclus que CGI était au courant des préoccupations de l’ARC et a eu l’occasion d’y répondre. En conséquence, je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

D.                Un mandamus est-il un recours utilisable?

[62]           À titre de solution de rechange au contrôle judiciaire, CGI demande que soit rendue une ordonnance de mandamus en vertu du paragraphe 227(7) ou 227(10.1) de la LIR et que le ministre soit ordonné d’établir un avis de cotisation.

[63]           Le paragraphe 227(7) de la LIR exige que le ministre établisse un avis de cotisation lorsqu’il rejette une demande présentée en application du paragraphe 227(6). Toutefois, le paragraphe 227(6) ne s’applique que lorsque le contribuable présente une demande dans les deux ans suivant la fin de l’année civile durant laquelle l’impôt a été payé. Par conséquent, il ne s’applique pas aux faits de la présente instance puisque la demande de remboursement de CGI a été faite bien après ce délai de deux ans. Le législateur a imposé un délai de prescription de deux ans pour les demandes présentées en application du paragraphe 227(6). Le fait d’accorder l’allégement demandé en vertu du paragraphe 227(7) permettrait à CGI de contourner l’intention du législateur.

[64]           À titre subsidiaire, CGI invoque le paragraphe 227(10.1). Cette disposition confère un pouvoir discrétionnaire au ministre et prévoit que celui-ci « peut » établir une cotisation en tout temps.

[65]           Dans Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266 [Abraham], la CAF a examiné une disposition discrétionnaire similaire de la LIR qui prévoit que le ministre « peut », sur demande du contribuable, établir de nouvelles cotisations. Dans Abraham, la Cour a conclu que cette disposition ne conférait pas de droit à une cotisation.

[66]           Si l’on applique le raisonnement de la décision Abraham en l’espèce, CGI a, tout au plus, le droit de demander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’établir une cotisation en vertu du paragraphe 227(10.1). Le ministre doit alors décider s’il veut exercer ou non le pouvoir qui lui est conféré par cette disposition.

[67]           Cependant, dans le cas en l’espèce, CGI n’a pas démontré que le ministre avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire. La lettre demandant une cotisation en vertu de la LIR est datée du 5 mars 2015. CGI a ensuite déposé son avis de demande de contrôle judiciaire le 13 mars 2015, quelques jours seulement après sa demande de cotisation. Dans les circonstances, CGI n’a pas donné au ministre un délai raisonnable pour examiner la demande de cotisation.

[68]           CGI n’a pas démontré qu’elle avait un droit prévu par la loi à une cotisation en vertu du paragraphe 227(7) ou (10.1) de la LIR, pouvant être exécuté par un bref de mandamus. Par ailleurs, étant donné le court délai entre la demande de cotisation et le dépôt de la présente demande, CGI n’a pas démontré l’existence d’un retard déraisonnable ou d’un refus d’agir de la part du ministre. CGI n’a pas droit à une ordonnance de mandamus.

V.                Conclusion

[69]           Pour les motifs établis ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. CGI n’a pas établi qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale, et la décision du ministre, agissant au nom de l’ARC, était raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Les dépens sont adjugés au défendeur.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-393-15

 

INTITULÉ :

CGI HOLDING LLC c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 SEPTEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Geoff R. Hall

Atrisha S. Lewis

 

Pour la demanderesse

 

Samantha L. Hurst

Elizabeth Chasson

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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