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Date : 20160705


Dossier : T-1440-14

Référence : 2016 CF 581

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

BAYER INC. ET

BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH

demanderesses

et

FRESENIUS KABI CANADA LTD. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS

(Jugement et motifs confidentiels publiés le 27 mai 2016)

I.                   Nature de l’affaire et résumé du jugement

[1]               La Cour est saisie d’une demande en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [Règlement sur les MB(AC)] présentée par Bayer Inc. en vue de la prise d’une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité [AC] à Fresenius Kabi Canada Ltd. [Fresenius] à l’égard d’un nouveau médicament injectable proposé, le chlorhydrate de moxifloxacine [moxifloxacine de Fresenius]. L’interdiction est demandée pour cause de contrefaçon du brevet canadien no 2 192 418 accordé à Bayer [brevet 418]. Bayer a fait valoir que l’avis de l’allégation [AA] du 5 mai 2014 qui a été signifié par Fresenius est vicié parce qu’il ne contient pas l’« énoncé détaillé » exigé au sous‑alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement sur les MB(AC) et que, quoi qu’il en soit, les allégations qui y sont formulées sont injustifiées.

[2]               Dans sa demande initiale, Bayer sollicitait une interdiction valable jusqu’à l’expiration de trois de ses brevets, savoir le brevet canadien no 1 340 114 [brevet 114], le brevet 418 et brevet canadien no 2 378 424 [brevet 424]. Certaines parties de la demande de Bayer concernant le brevet 424 ont toutefois été radiées : Bayer Inc. c. Pharmaceutical Partners of Canada Inc., 2015 CF 388, confirmée par la Cour dans la décision Bayer Inc. c. Pharmaceutical Partners of Canada Inc., 2015 CF 797, et arrêt de la Cour d’appel fédérale Bayer Inc. v. Fresenius Kabi Canada Ltd, 2016 FCA 13.

[3]               Le brevet 114 a expiré le 3 novembre 2015. La contrefaçon du brevet 114 n’a pas été mise en cause.

[4]               Il reste donc à trancher l’allégation de Fresenius selon laquelle son nouveau médicament ne contrefait pas le brevet 418. Fresenius cherche à obtenir une approbation réglementaire pour son nouveau médicament par comparaison avec le médicament AVELOX I.V.MD, un antibactérien utilisé pour traiter certaines infections chez l’adulte, notamment les infections bactériennes liées aux pneumonies d’origine communautaire. Actuellement l’AVELOX I.V. MD de Bayer est le seul médicament injectable à base de chlorhydrate de moxifloxacine dont la vente est approuvée au Canada. Le brevet 418 est inscrit au registre des brevets relativement à l’AVELOX I.V. MD de Bayer.

[5]               Bayer reproche à Fresenius de contrefaire son brevet durant une étape intermédiaire du procédé de fabrication de la moxifloxacine de Fresenius.

[6]               Le brevet 418 est présumé valide jusqu’à preuve du contraire, mais il n’en existe pas en l’espèce. Fresenius n’a pas contesté la validité du brevet 418.

[7]               Pour les motifs exposés ci-après, une ordonnance sera prise pour interdire au ministre de la Santé de délivrer un AC à Fresenius concernant son médicament injectable proposé à base de chlorhydrate de moxifloxacine, laquelle ordonnance restera en vigueur jusqu’à l’expiration du brevet 418. La question déterminante porte sur la suffisance de l’AA. J’ai conclu que l’AA est vicié parce qu’il ne renferme pas l’« énoncé détaillé du fondement juridique et factuel » de l’allégation d’absence de contrefaçon, contrairement à l’exigence formulée au sous‑alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement sur les MB(AC). Si je n’avais pas conclu que l’AA était vicié, j’aurais rejeté la demande de Bayer, puisque cette dernière n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’absence de contrefaçon n’étaient pas justifiées.

II.                Faits

Le brevet

[8]               Les revendications pertinentes du brevet 418 à l’égard de la forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine, ou chlorhydrate de l’acide 1-cyclopropyl-7-[(S,S)-2, 8 diazabicyclo-[4.3.0]non-8-yl] 6-fluoro-1, 4-dihydro-8 méthoxy-4-oxo-3-quinolène carboxylique [CDCH], se lisent comme suit :

[traduction]

REVENDICATIONS :

1. Un monohydrate de CDCH de formule [...] qui donne un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN et une bande à 2[θ] = 26,7 sur le diffractogramme aux rayons X.

2. Un monohydrate de CDCH conforme à la revendication 1, sous la forme cristalline prismatique.

3. Un procédé de préparation du monohydrate de CDCH conforme à la revendication 1 ou 2, dans lequel le CDCH anhydre est traité avec une quantité d’eau suffisante pour obtenir un mélange homogène et l’hydratation, jusqu’à l’absorption de la partie stœchiométrique de l’eau de cristallisation et la transformation complète des cristaux. Les cristaux du monohydrate ainsi obtenus sont séparés et l’eau adsorbée éliminée.

4. Un procédé conforme à la revendication 3, au cours duquel une suspension de CDCH anhydre en milieu aqueux est agitée jusqu’à l’hydratation et la transformation complètes des cristaux.

5. Un procédé conforme à la revendication 3, consistant en la préparation d’un monohydrate prismatique au cours de laquelle un CDCH anhydre ou un monohydrate de CDCH aciculaire (en forme d’aiguilles) est dissout dans un milieu composé d’eau et d’un solvant dont la teneur en eau est suffisante pour assurer une réaction stœchiométrique, mais toujours en deçà de 10 %, qui est retiré ensuite.

6. Un procédé conforme à la revendication 5, au cours duquel le constituant solvant du milieu est l’éthanol.

7. Un procédé conforme à la revendication 3, au cours duquel du CDCH anhydre est exposé à l’humidité jusqu’à la transformation quantitative des cristaux.

8. Un médicament renfermant un monohydrate de CDCH de la revendication 1 ou 2, combiné à un diluant ou un excipient pharmaceutiquement acceptable.

9. Un médicament de la revendication 8 utilisé pour le traitement d’infections bactériennes.

10. Une composition antibactérienne renfermant un monohydrate de CDCH de la revendication 1 ou 2, combiné à un diluant ou un excipient approprié.

11. Une composition antibactérienne de la revendication 10 utilisée pour la conservation des matières.

12. Une utilisation d’un monohydrate de CDCH de la revendication 1 ou 2 pour le traitement des infections bactériennes.

13. Une utilisation d’un monohydrate de CDCH de la revendication 1 ou 2 pour la conservation des matières.

14. Une utilisation d’un monohydrate de CDCH de la revendication 1 ou 2 pour la préparation d’un médicament pour le traitement des infections bactériennes.

[9]               Dans l’AA du 5 mai 2014 portant sur le brevet 418, il est allégué que les revendications 3 à 7, 11 et 13 ne sont pas pertinentes et ne requièrent pas une analyse aux termes du Règlement sur les MB(AC). Quant aux autres revendications, il est allégué dans l’AA qu’aucun de leurs énoncés ayant trait à un ingrédient médicinal, une formulation, une forme posologique ou une utilisation d’un ingrédient médicinal n’est contrefait par la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente de la moxifloxacine de Fresenius.

L’avis d’allégation

[10]           Il convient de souligner que l’AA a été déposé à l’origine par Pharmaceutical Partners of Canada [PPC]. Fresenius est depuis aux commandes des activités de PPC.

[11]           Les parties pertinentes de l’AA sont les suivantes :

[traduction]

II. Non-contrefaçon des revendications 1, 2, 8, 9, 10, 12 et 14. Non-utilisation du monohydrate

PPC se fonde sur le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les MB(AC) pour faire valoir qu’aucun énoncé portant sur un ingrédient médicinal, une formulation, une forme posologique ou une utilisation d’un ingrédient médicinal visé par les revendications 1, 2, 8, 9, 10, 12 et 14 du brevet 418 ne sera contrefait par la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente de la moxifloxacine de PPC.

L’un des éléments essentiels de l’ensemble des revendications du brevet 418 est le monohydrate de CDCH. La revendication 1, la seule qui soit indépendante, prévoit l’utilisation d’un monohydrate de CDCH formant un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN et une bande à 2θ = 26,7 sur le diffractogramme aux rayons X.

La moxifloxacine de PPC étant une solution, elle ne peut contenir de chlorhydrate de moxifloxacine (CDCH) sous forme cristalline. Une fois la moxifloxacine dissoute dans la solution, il ne subsiste aucune structure cristalline, et le produit ne peut présenter [la revendication primordiale du brevet concernant les spectres 13C‑RMN et DRXP]. La moxifloxacine de PPC ne renfermera pas de moxifloxacine sous sa forme cristalline, encore moins la forme monohydrate revendiquée, et ne contrefera donc pas les revendications du brevet 418.

De plus, les caractéristiques de la forme cristalline et les différences liées à celle-ci n’ont aucune importance par rapport au produit final sous forme de solution. La forme solide de l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) entrant dans la fabrication de la moxifloxacine de PPC joue par conséquent un rôle négligeable et purement accessoire par rapport au produit final.

Par ailleurs, la forme monohydrate du CDCH revendiquée n’est pas utilisée pour fabriquer la moxifloxacine de PPC. Une autre forme de moxifloxacine est utilisée. Une description détaillée de la formulation de PPC, de l’IPA et du produit sera fournie aux termes d’une entente de confidentialité. La moxifloxacine de PPC ne renfermera pas de moxifloxacine monohydratée […]. La moxifloxacine monohydratée n’entrera pas dans la fabrication de la moxifloxacine de PPC ou de l’IPA utilisé pour fabriquer la moxifloxacine de PPC.

Enfin, si jamais Bayer allègue que la portée des revendications du brevet 418 englobe d’autres formes de la moxifloxacine que la forme monohydrate revendiquée, PPC invoquera le principe enseigné dans l’arrêt Gillette Safety Razor Company c. Anglo American Trading Company (1913), 30 R.P.C. 465, suivant lequel la présence d’antériorités dans les revendications les invalide pour cause de chevauchement avec l’art antérieur. Plus précisément, le produit que PPC projette de vendre contiendra une forme ancienne et connue de la moxifloxacine. Ainsi, si PPC contrefait le brevet 418, il s’ensuit que celui-ci est invalide.

Par ailleurs, PPC n’utilise pas la forme cristalline prismatique de la revendication 2, ni les procédés des revendications 3 à 7, et elle ne cherche pas non plus à faire approuver des compositions et des utilisations visant la conservation de matières qui sont décrites dans les revendications 11 et 13.

Par conséquent, aucune allégation liée à un ingrédient médicinal, une formulation, une forme posologique ou une utilisation de l’ingrédient médicinal des revendications 1 à 14 du brevet 418 ne sera contrefaite par la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente de la moxifloxacine de PPC.

[Non souligné dans l’original.]

[12]           […………………………………..Expurgé……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….].

[13]           Il est allégué dans l’AA que la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente de la moxifloxacine de Fresenius ne contreferait pas le brevet 418, qui porte sur la forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine. Selon Fresenius, comme son produit se présente en solution, il ne peut renfermer la forme cristalline requise dans la revendication 1 du brevet 418. Fresenius allègue en outre qu’elle n’utilisera pas la moxifloxacine monohydratée indiquée dans le brevet 418 pour fabriquer la moxifloxacine de Fresenius ou l’IPA qui entre dans la fabrication de la moxifloxacine de Fresenius.

Abstention de divulguer la fabrication à l’étranger et l’importation de la moxifloxacine de Fresenius

[14]           Fresenius n’a pas divulgué dans son AA que le nouveau médicament proposé serait fabriqué, transformé et emballé à l’étranger, puis importé au Canada. Fresenius a divulgué à Bayer que sa moxifloxacine serait fabriquée à l’étranger et importée seulement après l’introduction de la présente action par Bayer et la signature par les parties de l’entente de confidentialité.

[15]           Néanmoins, Fresenius explique dans son AA que l’utilisation d’une forme solide de l’IPA pour la production de la moxifloxacine de Fresenius [traduction] « joue un rôle négligeable et purement accessoire » par rapport à la moxifloxacine de Fresenius. Aux yeux de Fresenius, Bayer aurait dû déduire en lisant « négligeable et purement accessoire » que le médicament en cause serait fabriqué à l’étranger et importé au Canada. Fresenius a invoqué le fait que la Cour emploie cette même expression dans des décisions rendues sous le régime du Règlement sur les MB(AC) et de la Loi sur les brevets, LRC 1985, ch. P-4, à l’égard de nouveaux médicaments proposés qui sont fabriqués à l’étranger en vue de leur importation au Canada. Lesdites décisions interprètent la doctrine Saccharin, qui n’est pas mentionnée dans l’AA de Fresenius et qui fera l’objet d’une analyse exhaustive plus loin dans les présents motifs.

III.             Questions en litige

[16]           Essentiellement, la présente demande soulève deux questions :

1.                  L’AA du 5 mai 2014 déposé par Fresenius est-il vicié du fait de l’absence de l’« énoncé détaillé » exigé au sous-alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement sur les MB(AC)?

2.                  Subsidiairement, Bayer a-t-elle fait la démonstration, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de non-contrefaçon de Fresenius ne sont pas justifiées?

Question 1 : L’avis d’allégation du 5 mai 2014 déposé par Fresenius est-il vicié?

[17]           À mon humble avis, l’AA de Fresenius est vicié parce qu’il ne contient pas l’« énoncé détaillé du fondement juridique et factuel » de l’allégation, en contravention du sous‑alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement sur les MB(AC). L’AA ne remplit pas les critères juridiques établis par la Cour ainsi que par la Cour d’appel fédérale aux fins de l’interprétation du terme énoncé détaillé.

[18]           Plus précisément, bien que Fresenius allègue dans son AA que le brevet 418 ne sera pas contrefait, il n’y est pas mentionné si la non-contrefaçon aura lieu au Canada ou à l’étranger, où le médicament sera fabriqué en vue de son importation au Canada. L’allégation d’absence de contrefaçon de Fresenius se résume essentiellement comme suit :

Le monohydrate de moxifloxacine n’entrera pas dans la fabrication de la moxifloxacine de PPC [moxifloxacine de Fresenius] ni dans la fabrication de l’ingrédient pharmaceutique actif de la moxifloxacine utilisée pour fabriquer la moxifloxacine de PPC.

[19]           D’autre part, et comme il a été souligné auparavant, Bayer a fait valoir que Fresenius utilise la forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine brevetée de Bayer durant le procédé de fabrication de la moxifloxacine de Fresenius ou comme substance intermédiaire dans ce procédé.

[20]           Fresenius a avancé que le médicament qui sera vendu au Canada ne contrefaisait pas en soi le brevet 418. En effet, la demande vise la délivrance d’un AC pour un médicament importé qui ne contient pas le produit breveté, ce que Brayer a reconnu.

[21]           Subsidiairement, toutefois, Fresenius a fait valoir qu’il n’y avait pas contrefaçon puisque le médicament est fabriqué à l’étranger puis importé au Canada. De plus, Fresenius a soutenu que même si la substance brevetée est utilisée ou générée durant le procédé de fabrication à l’extérieur du Canada, cette utilisation du produit est « négligeable et purement accessoire », et ne justifie pas une conclusion de contrefaçon par importation de la Cour.

[22]           Cependant, comme il a été vu auparavant, Fresenius a omis de divulguer dans son AA tout ce qui concerne la fabrication à l’étranger et l’importation. Cette information a été divulguée seulement après l’introduction de la présente action par Bayer et la signature d’une entente de confidentialité. Il s’agit d’un point litigieux sur lequel je vais revenir plus loin. L’AA de Fresenius est daté du 5 mai 2014. L’avis de requête de Bayer est daté du 18 juin 2014 (il a été modifié le 31 juillet 2014). L’ordonnance de confidentialité a été prise le 21 juillet 2014. Fresenius a divulgué l’information relative à la fabrication du produit à l’étranger et à son importation au moment ou de la transmission de la présentation abrégée de drogue nouvelle [PADN] à Bayer, le 16 juillet 2014, aux termes de l’ordonnance de confidentialité mutuellement convenue.

[23]           La divulgation par Fresenius de la fabrication à l’étranger et de l’importation au Canada du médicament proposé (une information passée sous silence dans son AA) fait intervenir ce qu’il est convenu d’appeler la doctrine Saccharin (parce qu’elle est extraite de l’arrêt Saccharin Corp c. Anglo-Continental Chemical Works, Ltd. [1900], 17 RPC 307 [HCJ] [Saccharin]), selon laquelle l’importateur d’un produit fabriqué à l’extérieur du Canada contrefait un brevet canadien s’il existe un « lien étroit » entre l’utilisation à l’étranger du produit breveté et le produit importé au Canada : Pfizer Canada inc. c. Canada (Santé), 2007 CF 898 [Pfizer-Atorvastatin], au paragraphe 91. Il peut y avoir contrefaçon par importation même si le produit final qui est importé au Canada ne contrefait pas le brevet canadien. En fait, la doctrine Saccharin joue lorsqu’un produit importé, un médicament en l’occurrence, ne contrefait pas lui-même un brevet canadien, mais que celui-ci est contrefait parce que la substance brevetée est utilisée ou générée au cours du procédé de fabrication à l’étranger, à l’issue duquel le médicament est importé au Canada.

[24]           La Cour suprême du Canada a confirmé l’application de la doctrine Saccharin en droit canadien des brevets dans l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34 [Monsanto]. La Cour suprême a précisé que la règle avait une « portée large » et, au paragraphe 43, elle conclut qu’il « peut y avoir contrefaçon par exploitation même dans le cas où l’invention brevetée fait partie ou est une composante d’une structure ou d’un procédé non brevetés plus vastes ». Cette conclusion est confirmée dans l’opinion dissidente de l’arrêt, au paragraphe 155 : « Il est bien établi que l’exploitation ou la vente d’un objet non breveté peut tout de même contrefaire un brevet lorsque cet objet non breveté est fabriqué au moyen d’un procédé breveté : Saccharin Corp. c. Anglo-Continental Chemical Works, Ltd. (1900), 17 R.P.C. 307 (H.C.J.); F. Hoffmann-Laroche, précité, p. 415; Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.); American Cyanamid Co. c. Charles E. Frosst & Co. (1965), 29 Fox Pat. C. 153 (C. de l’É.). » [Souligné dans l’original.] Il est acquis que la doctrine Saccharin s’applique lorsqu’il y a contrefaçon par importation (voir notamment la décision Pfizer-Atorvastatin, aux paragraphes 80 à 88).

[25]           Il est également reconnu que l’utilisation d’une substance brevetée à une étape ou un stade intermédiaire de la production d’un nouveau médicament proposé constitue une contrefaçon associée à « la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente », en contravention du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les MB(AC). Voici comment la Cour d’appel fédérale se prononce à cet égard dans l’arrêt Abbott Laboratories c. Canada (Santé), 2006 CAF 187, au paragraphe 16 :

Les termes « l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente » de l’alinéa 5(1)b)(iv) définissent une gamme d’activités plus large que le simple fait d’inclure une substance brevetée dans la nouvelle drogue proposée. À mon sens, la signification de ces termes est assez large pour comprendre l’utilisation de la substance brevetée à une étape intermédiaire de la production de la nouvelle drogue proposée. J’arrive à cette conclusion en me fondant sur le sens ordinaire et grammatical desdits termes. L’objet ou le but du Règlement AC ne me paraît à aucun égard commander une interprétation plus étroite.

L’arrêt Abbott Laboratories c. Canada (Santé), 2007 CAF 73, abonde dans le même sens (au paragraphe 4).

[26]           Nul n’a contesté que les critères juridiques et factuels de la démarche visant à déterminer si la fabrication à l’étranger et l’importation du médicament de Fresenius emportent contrefaçon par importation au sens de la doctrine Saccharin diffèrent des critères de l’analyse visant à établir l’absence de contrefaçon au Canada. L’AA de Fresenius ne donne aucun détail sur le fondement juridique de son allégation d’absence de contrefaçon par importation. Toutefois, l’un des principaux arguments formulés dans ses plaidoiries orales et écrites veut qu’il n’y ait pas contrefaçon par importation du médicament importé.

[27]           En fait, une fois qu’il a été établi que le nouveau médicament ne contrefaisait pas le brevet 418, ce que Bayer a reconnu, la question de la contrefaçon par importation est devenue le cœur du litige.

[28]           Cette situation soulève la première question en litige dans la présente demande, qui est de savoir si Fresenius aurait dû mentionner dans son AA que la fabrication et la transformation à l’étranger du nouveau médicament qu’elle projetait d’importer au Canada n’emportaient pas contrefaçon par importation. Autrement dit, au vu de l’interprétation que donne la jurisprudence à cette exigence réglementaire, Fresenius avait-elle l’obligation d’inclure un « énoncé détaillé du fondement juridique et factuel » de son allégation d’absence de contrefaçon par importation? Pour répondre à cette question, il faut analyser le Règlement sur les MB(AC) et la jurisprudence applicable.

(1)               Le Règlement exige que l’AA donne un « énoncé détaillé » de tous les aspects factuels et juridiques.

[29]           Le point de départ de l’analyse est donc le Règlement sur les MB(AC), dont le paragraphe 5(3) est particulièrement pertinent en l’espèce :

5 (1) Dans le cas où la seconde personne dépose une présentation pour un avis de conformité à l’égard d’une drogue, laquelle présentation, directement ou indirectement, compare celle-ci à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée — ou y fait renvoi —, cette seconde personne doit, à l’égard de chaque brevet ajouté au registre pour cette autre drogue, inclure dans sa présentation :

5 (1) If a second person files a submission for a notice of compliance in respect of a drug and the submission directly or indirectly compares the drug with, or makes reference to, another drug marketed in Canada under a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the second person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

a) soit une déclaration portant qu’elle accepte que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet;

(a) state that the second person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(b) allege that

(i) la déclaration présentée par la première personne aux termes de l’alinéa 4(4)d) est fausse,

(i) the statement made by the first person under paragraph 4(4)(d) is false,

(ii) le brevet est expiré,

(ii) the patent has expired,

(iii) le brevet n’est pas valide,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) elle ne contreferait aucune revendication de l’ingrédient médicinal, revendication de la formulation, revendication de la forme posologique ni revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal en fabriquant, construisant, utilisant ou vendant la drogue pour laquelle la présentation est déposée.

(iv) no claim for the medicinal ingredient, no claim for the formulation, no claim for the dosage form and no claim for the use of the medicinal ingredient would be infringed by the second person making, constructing, using or selling the drug for which the submission is filed.

(3) La seconde personne qui inclut l’allégation visée à l’alinéa (1)b) ou (2)b) doit prendre les mesures suivantes :

(3) A second person who makes an allegation under paragraph (1)(b) or (2)(b) shall

a) signifier à la première personne un avis de l’allégation à l’égard de la présentation ou du supplément déposé en vertu des paragraphes (1) ou (2), à la date de son dépôt ou à toute date postérieure;

(a) serve on the first person a notice of allegation relating to the submission or supplement filed under subsection (1) or (2) on or after its date of filing;

b) insérer dans l’avis de l’allégation :

(b) include in the notice of allegation

(ii) un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation;

(ii) a detailed statement of the legal and factual basis for the allegation;

 [soulignement ajouté]

 [emphasis added]

[30]           Aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(iv), une seconde personne qui dépose une présentation pour obtenir un AC à l’égard d’un médicament inscrit au registre des brevets doit inclure « 5(1)(b) […] une allégation portant […] (iv) [qu’il] ne contreferait aucune revendication de l’ingrédient médicinal, revendication de la formulation, revendication de la forme posologique ni revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal en fabriquant, construisant, utilisant ou vendant [le médicament pour lequel] la présentation est déposée ».

[31]           Une autre exigence du sous-alin 5(3)b)(ii) s’avère tout aussi importante pour la présente analyse : lorsqu’un avis d’allégation est déposé, « (3) [l]a seconde personne qui inclut l’allégation visée à l’alinéa (1)b) […] b) [insère] dans l’avis d’allégation […] (ii) un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation ».

[32]           Essentiellement, en vertu du Règlement sur les MB(AC), Fresenius devait inclure « un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation » de non-contrefaçon. Nul n’a contesté que Fresenius était tenue d’inclure un « énoncé détaillé ». La question qui a fait débat est celle de savoir si cette disposition s’appliquait à la présente espèce. Je m’en remettrai à la jurisprudence.

(2)               Selon la jurisprudence, l’« énoncé détaillé » exigé signifie que l’AA doit exposer les questions factuelles et de droit soulevées.

A – La jurisprudence

[33]           L’obligation d’inclure un « énoncé détaillé » des allégations de non-contrefaçon a été examinée à maintes reprises par la Cour et la Cour d’appel fédérale, comme nous le verrons plus loin.

[34]           Dans la décision Bayer Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 1061 [Cobalt], le juge Hughes se range derrière la thèse selon laquelle la seconde personne doit soulever « tous les faits et tous les moyens de droit sur lesquels elle se fonde à l’appui de ses allégations ». Il est important de souligner que le juge ajoute que la seconde personne ne peut formuler de nouveaux arguments ou soulever de nouvelles allégations ou de nouveaux faits ou de nouveaux documents relatifs à l’antériorité qui ne se trouvaient pas dans son AA. La Cour a observé qu’en dépit des apparences, cette interdiction n’est pas plus radicale que le fait pour la première personne qui a engagé une instance d’être confrontée à de nouvelles allégations ou à de nouveaux faits :

PEUT-ON ALLER AU-DELÀ DE L’AVIS D’ALLÉGATION?

[34] La Cour d’appel a clairement statué que la seconde personne (le fabricant de médicaments génériques comme Cobalt) est tenue, dans son avis d’allégation, de soulever tous les faits et tous les moyens de droit sur lesquels elle se fonde à l’appui de ses allégations. Elle ne peut formuler de nouveaux arguments ou soulever de nouvelles allégations ou de nouveaux faits ou de nouveaux documents relatifs à l’antériorité qui ne se trouvaient pas dans son avis d’allégation (AB Hassle c. Canada [Ministre de la Santé national [sic] et du Bien-être social] [2000], 7 CPR (4th) 272, aux paragraphes 21 à 24; Compagnie pharmaceutique Procter & Canada c. Canada [Ministre de la Santé], 2002 CAF 290, aux paragraphes 21 à 26).

[35] Bien que cette façon de voir puisse sembler radicale, puisque de nouvelles questions peuvent de toute évidence être soulevées par les experts au fur et à mesure que l’on consulte les experts et que la preuve est produite, il est tout aussi radical de la part de la première personne qui a pris l’initiative d’introduire l’instance de devoir faire face à des allégations et des faits mouvants. Il est nécessaire de modifier la procédure, mais aucun intéressé ne semble réclamer pareil changement.

[36] Dans l’état actuel des choses, la Cour doit rejeter les arguments fondés sur des faits ou des documents qui n’étaient pas mentionnés dans l’avis d’allégation, et la Cour ne peut accepter d’examiner de nouvelles allégations.

[Non souligné dans l’original.]

[35]           L’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 CPR (4th) 272 (CAF), prononcé par le juge Stone [AB Hassle], compte assurément parmi les jugements de la Cour d’appel fédérale les plus souvent cités pour ce qui a trait à l’obligation d’inclure un « énoncé détaillé ». Le juge est d’avis que le dépôt de l’AA représente une étape clé du processus puisqu’il informe le breveté des fondements sur lesquels s’appuie la seconde personne pour alléguer que la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente du médicament en cause ne constituera pas une contrefaçon. Le régime législatif part du principe que le breveté doit disposer de toute l’information voulue pour décider s’il est indiqué de contester la délivrance d’un AC. L’AA joue un rôle déterminant dans les instances comme celles que la Cour est appelée à instruire en l’espèce. Effectivement, c’est en prenant connaissance de l’AA que les brevetés décideront ou non d’introduire une action relative à une demande visée à l’article 6, et supputeront leurs chances de réussite. C’est ce qui a amené la Cour d’appel fédérale à conclure qu’une seconde personne doit effectivement se plier aux exigences de l’alinéa 5(3)a) concernant l’inclusion dans son AA d’un « énoncé détaillé » du « fondement juridique et factuel » de son allégation. La Cour a ajouté que la seconde personne doit fournir un énoncé suffisamment exhaustif pour permettre au breveté d’évaluer ses recours en réponse à l’allégation. La Cour d’appel a précisé que selon toute vraisemblance, l’intention du Règlement était d’exiger un exposé exhaustif du fondement factuel dans l’AA, et que la seconde personne ne pouvait pas après-coup corriger les lacunes de son « énoncé détaillé » ou y ajouter des faits :

[19] L’énoncé détaillé n’est pas un acte de procédure comme tel mais représente une étape essentielle dans le processus conduisant à la délivrance d’un AC. En agissant de la sorte, la seconde personne avise le titulaire du brevet des motifs pour lesquels elle considère que l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente de la drogue ne contreviendra pas aux droits de la seconde personne afférents au brevet pour la période non expirée du brevet. En théorie, cette procédure devrait permettre au titulaire du brevet de décider en toute confiance à l’intérieur d’une période de 45 jours s’il doit contester la délivrance d’un AC.

[20] Bien que l’énoncé détaillé ne soit pas déposé dans l’instance relative à la demande visée à l’article 6, son influence est néanmoins prédominante dans cette procédure. En effet, c’est par rapport au contenu de cet énoncé que le titulaire du brevet doit décider s’il introduit une telle instance et évaluer ses chances de succès.

[21] À mon avis, tout ce qui précède donne à penser que la seconde personne doit satisfaire aux exigences de l’alinéa 5(3)a), c’est‑à‑dire établir dans l’énoncé détaillé « le droit et les faits sur lesquels elle fonde » les allégations de l’alinéa 5(1)b) et le faire d’une manière suffisamment complète pour permettre au titulaire du brevet d’évaluer ses recours en réponse à l’allégation. Voir Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.), par le juge Strayer, à la page 216.

[23] L’intimée prétend que la liste des antériorités de l’énoncé détaillé ne se veut pas exhaustive, d’où la présence du mot « notamment », de telle sorte que subsistait la possibilité d’ajouter à cette liste dans le cadre de l’instance relative à la demande visée à l’article 6. Je suis toutefois d’opinion que l’alinéa 5(3)a) n’envisage pas cette possibilité. L’intention serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l’énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6. La présente Cour a déjà prévenu des personnes dans la position de l’intimée qu’elles assument le risque qu’une allégation en particulier puisse ne pas être conforme au Règlement et que les lacunes ne puissent pas être comblées par le tribunal dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6.

[24] […] La présente Cour a conclu dans l’arrêt Hoffmann‑LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 1, qu’une seconde personne ne pouvait pas, dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6, ajouter aux faits allégués dans son énoncé détaillé.

[Non souligné dans l’original.]

[36]           Le juge Rothstein de la Cour d’appel fédérale a également rappelé, dans l’arrêt Compagnie pharmaceutique Procter & Canada c. Canada (Ministre de la Santé), 2002 CAF 290 [Proctor & Gamble], que l’AA déposé par la seconde personne doit divulguer tous les faits qu’elle entend invoquer dans une éventuelle instance en interdiction; elle ne peut pas se fonder sur des faits ne figurant pas dans l’« énoncé détaillé » :

[22] Toutefois, les avis d’allégation et l’énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels ils se fondent doivent fournir tous les faits que le fabricant de génériques entend invoquer dans d’éventuelles procédures en interdiction. Il ne peut pas invoquer d’autres faits que ceux décrits dans son énoncé détaillé. Voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2002) 12 CPR (4th) 447, par le juge Stone, au paragraphe 19.

[Non souligné dans l’original.]

[37]           L’arrêt AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2005 CAF 183, prononcé par le juge Evans [AstraZeneca], confirme que l’AA est vicié s’il oblige le breveté à deviner les véritables fondements d’une allégation d’absence de contrefaçon du brevet :

[12] Troisièmement, un énoncé détaillé des fondements d’une allégation doit être suffisamment complet pour qu’un titulaire de brevet puisse décider de manière éclairée s’il convient de répliquer à l’allégation en introduisant une instance en vue d’obtenir une ordonnance d’interdiction : AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (CAF), au paragraphe 21. Dans l’arrêt SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (2001), 10 C.P.R. (4th) 338 (CAF), au paragraphe 27, le juge Noël a décidé que, dans cette affaire, l’énoncé détaillé n’était pas insuffisant « au sens où il a contraint SmithKline à deviner les motifs réels de l’allégation des intimés selon laquelle il n’y aurait pas de contrefaçon de brevet ».

[38]           Dans l’arrêt Novopharm Ltd. c. Pfizer Canada Inc., 2005 CAF 270 [Pfizer], le juge Malone revient sur l’objet de l’AA et sur le fait qu’il doit être suffisamment exhaustif pour permettre au breveté de bien comprendre les motifs fondant l’allégation d’absence de contrefaçon du fabricant de médicaments génériques advenant la délivrance d’un AC. Par contraste, tout ne peut pas être divulgué. Une seconde personne n’est pas tenue d’anticiper tous les motifs de contrefaçon possibles, et notamment les théories conjecturales :

[4] Dans ses décisions les plus récentes, la Cour a réaffirmé à plusieurs reprises que le critère de la suffisance, en ce qui concerne l’avis d’allégation, consiste à déterminer si l’énoncé détaillé contient assez de renseignements pour informer pleinement le breveté (Pfizer) des raisons pour lesquelles le fabricant de médicaments génériques (Novopharm) prétend que le brevet pertinent ne serait pas contrefait advenant la délivrance d’un avis de conformité par le ministre (voir AB Hassle c. Canada [Ministre de la Santé [sic] et du Bien-être social] [2000], 7 C.P.R. [4th] 272 [C.A.F], au paragraphe 17, le juge Stone [AB Hassle 1]; SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. [2001], 10 C.P.R. [4th] 338 [C.A.F.], au paragraphe 26, le juge Noël; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. [2004], 38 C.P.R. [4th] 400 [C.A.F.], au paragraphe 24, le juge Evans).

[...]

[16] […] Le critère de la suffisance n’exige pas que [le fabricant de médicaments génériques] prévoit toutes les possibilités de contrefaçon, y compris la théorie de [la première personne] voulant que du dihydrate serait peut-être utilisé au cours du processus de fabrication du monohydrate en vrac de [la seconde personne]. Comme le souligne le juge Evans dans AstraZeneca c. Apotex Inc. 2005 CAF 183 […] :

Une seconde personne [le fabricant de médicaments génériques] ne devrait pas être tenue d’anticiper la moindre théorie de contrefaçon possible, aussi conjecturale qu’elle puisse être, dans l’énoncé détaillé étayant ses allégations.

[Non souligné dans l’original.]

[39]           L’arrêt Bayer Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Company, 2015 CAF 116, rendu en appel de la décision Cobalt du juge Hughes, énonce l’opinion la plus récente de la Cour d’appel fédérale quant à la teneur de l’énoncé détaillé à inclure dans un AA. La Cour d’appel fédérale a soutenu qu’il n’était pas loisible à la deuxième personne visée par une instance en interdiction introduite en vertu du Règlement sur les MB(AC) de s’écarter de son AA :

[61] Il n’est pas permis à Cobalt, dans une demande d’interdiction présentée en vertu du Règlement AC ou dans un appel consécutif à une telle demande, de s’écarter de son avis d’allégation : arrêt Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble c. Canada (Ministre de la Santé), 2002 CAF 290, [2003] 1 C.F. 402, au paragraphe 22. Il y a donc lieu de rejeter son argument.

[Non souligné dans l’original.]

B – Résumé de la jurisprudence

[40]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’AA de Fresenius aurait dû énoncer tous les faits et arguments juridiques sur lesquels elle entendait fonder ses allégations. Autrement dit, Fresenius aurait dû se plier à l’exigence de l’alinéa 5(3)a) et insérer dans son AA un « énoncé détaillé » du « fondement juridique et factuel » de ses allégations. Toutefois, une seconde personne n’est pas tenue de prévoir toutes les théories possibles de contrefaçons, y compris les plus conjecturales, dans son énoncé détaillé. Le dépôt d’un AA vicié entraîne forcément des risques et son auteur doit se préparer aux attaques mettant en cause la suffisance des allégations qui y figurent dans le cadre d’une action en interdiction.

[41]           Le critère de la suffisance d’un AA consiste à déterminer si l’énoncé détaillé contient assez d’information pour permettre au breveté de comprendre pleinement les raisons pour lesquelles un fabricant de médicaments génériques prétend que le brevet en cause ne serait pas contrefait advenant la délivrance d’un AC. La première personne doit être informée de manière suffisamment complète pour être en mesure de prendre une décision en toute confiance, et d’évaluer ses recours ainsi que ses chances de réussite.

[42]           À l’inverse, une seconde partie ne peut pas articuler de nouveaux arguments, ou des allégations ou des faits qui ne sont pas déjà mentionnés dans l’AA. Il n’est pas loisible à la seconde personne de combler les lacunes d’un AA. Elle ne peut pas non plus s’écarter de son AA.

[43]           Les tribunaux ont précisé que la seconde personne doit assumer le risque qu’une allégation donnée ne soit pas conforme au Règlement sur les MB(AC), et qu’il n’appartient pas à un tribunal de combler cette lacune dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6. Bien que cette position puisse sembler radicale, il serait tout aussi radical de permettre qu’une première personne qui engage une instance soit confrontée à de nouvelles allégations, à de nouveaux arguments juridiques ou à de nouveaux faits.

(3)               Application du Règlement sur les MB(AC) et de la jurisprudence à l’AA de Fresenius

[44]           Ces principes étant posés, je vais examiner l’AA en cause, dont les principaux passages sont les suivants :

[...] la moxifloxacine PPC ne renfermera pas de moxifloxacine sous sa forme cristalline, encore moins la forme monohydrate revendiquée, et ne contrefera donc pas les revendications du brevet 418.

De plus, les caractéristiques de la forme cristalline et les différences liées à celle-ci n’ont aucune importance par rapport au produit final sous forme de solution. La forme solide de l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) entrant dans la fabrication de la moxifloxacine de PPC joue par conséquent un rôle négligeable et purement accessoire par rapport au produit final.

Par ailleurs, la forme monohydrate du CDCH revendiquée n’est pas utilisée pour fabriquer la moxifloxacine de PPC. Une autre forme de moxifloxacine est utilisée. Une description détaillée de la formulation, de l’IPA et du produit de PPC sera fournie aux termes d’une entente de confidentialité. La moxifloxacine de PPC ne renfermera pas de moxifloxacine monohydratée […]. La moxifloxacine monohydratée n’entrera pas dans la fabrication de la moxifloxacine de PPC ou de l’IPA utilisé pour fabriquer la moxifloxacine de PPC.

[45]           Comme il a été vu précédemment, l’AA de Fresenius ne mentionne nulle part que le médicament visé par sa demande d’AC est fabriqué et transformé à l’extérieur du Canada. L’AA n’indique pas non plus que le médicament est importé au Canada. Fresenius ne mentionne pas explicitement qu’elle se réclame des principes juridiques régissant l’absence de contrefaçon par importation extraits de la doctrine Saccharin.

[46]           Au vu du droit invoqué ci-dessus et des faits de l’espèce, l’AA de Fresenius est manifestement vicié parce qu’il ne satisfait pas à l’exigence du Règlement sur les MB(AC) concernant l’insertion d’un énoncé détaillé du fondement factuel ou juridique étayant l’allégation d’absence de contrefaçon par importation de Fresenius.

[47]           Fresenius adopte une position différente et soumet plusieurs arguments pour faire admettre que son AA n’est pas vicié.

(4)               Fresenius a-t-elle fait une divulgation suffisante en recourant à des « formules elliptiques » pour étayer son allégation comme quoi il n’y a pas contrefaçon par importation?

[48]           Fresenius estime avoir divulgué suffisamment d’information en mentionnant dans l’AA que [traduction] « [l]a forme solide de l’IPA entrant dans la fabrication de la moxifloxacine de PPC joue par conséquent un rôle négligeable et purement accessoire par rapport au produit final ». Selon Fresenius, sa divulgation était suffisamment exhaustive, car rien ne l’obligeait à évoquer l’absence de contrefaçon par importation autrement que par ces allusions indirectes à ce qui aurait pu constituer une contrefaçon ou une non-contrefaçon par importation au sens des règles applicables. Fresenius ne mentionne nulle part que son nouveau médicament est fabriqué à l’étranger ou qu’il sera importé au Canada, et elle ne donne aucun détail sur les faits ou les arguments juridiques étayant son allégation d’absence de contrefaçon par importation; par contre, elle a soutenu que Bayer, et en fait quiconque connaît le domaine, aurait dû déduire de ce passage que le médicament était fabriqué à l’étranger et importé au Canada. D’après Fresenius, l’emploi de ce qui pourrait apparaître comme une formule elliptique (« négligeable et purement accessoire ») est suffisamment éclairant pour que Bayer déduise qu’il n’y a pas contrefaçon par importation.

[49]           L’on retrouve effectivement les expressions « négligeable » et « purement accessoire » dans des jugements portant sur la non-contrefaçon par importation. La juge Gauthier (tel était alors son titre), a utilisé les termes associés non essentiel et accessoire dans la décision Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2009 CF 991, aux paragraphes 327 et 355, dans laquelle la Cour examine notamment le droit en matière de contrefaçon par importation et la doctrine Saccharin. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2010 CAF 240, au paragraphe 19. Les mêmes notions sont introduites dans la décision Pfizer-Atorvastatin, dans laquelle la juge Snider utilise les expressions « purement secondaire » au paragraphe 77, et « accessoire, non essentiel ou pourrait être facilement remplacé » au paragraphe 90, se collant ainsi au libellé original de l’arrêt Saccharin.

[50]           J’estime toutefois en toute déférence qu’en recourant à des formules elliptiques dans son AA, Fresenius ne remplit pas l’exigence que lui impose le Règlement sur les MB(AC) d’y insérer un « énoncé détaillé du fondement juridique et factuel » de ses allégations. Je ne vois aucunement comment ces formules pourraient être qualifiées de « détaillées ». Tout au plus, elles peuvent donner une idée ou des indices quant aux fondements que Fresenius pourrait ou non invoquer à l’appui de son allégation d’absence de contrefaçon. Je suis toutefois d’avis que des indices sont loin de remplir l’exigence réglementaire explicite concernant l’inclusion d’un « énoncé détaillé ».

[51]           Aucune de ces formules elliptiques ne satisfait aux critères de la jurisprudence. La jurisprudence est limpide à cet égard : tous les faits et les arguments juridiques doivent figurer dans l’« énoncé détaillé » : Cobalt, au paragraphe 34; AB Hassle, au paragraphe 23; Proctor & Gamble, au paragraphe 22; Pfizer, au paragraphe 4. Les faits et arguments juridiques d’importance relativement à la non-contrefaçon par importation auraient dû être énoncés dans l’AA mais, contrairement à ce que prévoit le Règlement sur les MB(AC), ce n’est pas le cas en l’espèce. En reprochant à Fresenius d’avoir recouru à des indices vagues ou à des formules elliptiques, la Cour ne lui signifie pas qu’elle aurait dû exposer en détail les théories conjecturales de contrefaçons possibles. Tout simplement, la Cour signifie à Fresenius qu’elle aurait dû expliciter pourquoi il n’y a pas contrefaçon par importation au lieu d’y faire allusion par des formules elliptiques.

[52]           À mon humble avis, Fresenius était tenue de mentionner dans son « énoncé détaillé » le fait que le nouveau médicament sera fabriqué à l’étranger et importé au Canada. De plus, Fresenius aurait dû énoncer le fondement juridique de son allégation d’absence de contrefaçon par importation. L’obligation d’insérer un énoncé détaillé étant conjonctive, elle commande de donner des précisions autant sur les faits que sur le droit. Le défaut de Fresenius d’exposer en détail le fondement factuel de son allégation constitue un manquement à la réglementation, tout comme celui d’exposer en détail son fondement juridique.

[53]           Je ne crois pas non plus que ces formules elliptiques satisfont à l’objectif de l’AA d’informer suffisamment Bayer des motifs sur lesquels le fabricant de médicaments génériques s’appuie pour alléguer que le brevet de Bayer ne serait pas contrefait advenant la délivrance d’un AC : AB Hassle, au paragraphe 19; Pfizer, au paragraphe 4. En dépit des prétentions de Fresenius, rien ne permet de conclure que Bayer, et au fait quiconque dans le domaine, aurait dû déduire à partir de l’information divulguée par Fresenius que son nouveau médicament était fabriqué et transformé à l’étranger et importé au Canada. Je ne suis pas persuadé que Bayer disposait de l’information voulue pour juger en toute confiance si le nouveau médicament de Fresenius contrefaisait son brevet (AB Hassle, au paragraphe 19), et encore moins pour déduire qu’il serait importé ou fabriqué à l’extérieur du Canada. Je ne suis pas convaincu non plus que Bayer savait ou aurait dû savoir que Fresenius s’appuyait sur la doctrine Saccharin : AB Hassle, au paragraphe 19.

[54]           Pour ces motifs, je conclus en toute déférence que l’AA en cause n’est pas suffisamment détaillé.

(5)               Bayer aurait-elle dû présenter une requête visant à déterminer si elle avait pu faire valoir que l’AA était insuffisamment détaillé si le nouveau médicament était importé?

[55]           Fresenius soutient que Bayer aurait dû présenter une requête visant à déterminer si l’AA était suffisamment détaillé ou le sens exact des formules elliptiques. Je ne suis pas d’accord, pour plusieurs raisons. Premièrement, Fresenius était légalement tenue de fournir un « énoncé détaillé », ce qu’elle a omis de faire. Deuxièmement, la première personne dispose d’un délai assez court (45 jours) pour décider si elle contestera la délivrance d’un AC; par conséquent, il est difficile, voire impossible pour elle de présenter une telle requête (en supposant que ce soit même possible avant le dépôt d’une demande d’interdiction). Plus important encore, si Bayer était tenue de deviner le fondement factuel et juridique de l’allégation d’absence de contrefaçon, d’introduire une instance en interdiction et de faire l’exercice de découvrir le sens de l’AA, elle se verrait chargée du fardeau de satisfaire à l’exigence réglementaire. Pareille démarche soustrairait la seconde personne à son obligation explicite et en imposerait une nouvelle à la première personne. Il m’apparaît clair qu’en obligeant l’insertion d’un « énoncé détaillé », le Règlement sur les MB(AC) vise essentiellement à éviter les jeux de devinettes, les ambiguïtés et les complications. De toute évidence, Fresenius aurait dû se conformer d’emblée à l’exigence du Règlement de fournir un « énoncé détaillé », mais elle ne l’a pas fait. Voici ce que la Cour d’appel fédérale dit à ce propos dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la santé et du bien-être social) (2000), 7 CPR (4th) 272, au paragraphe 21 :

[21] [...] la seconde personne doit satisfaire aux exigences de l’alinéa 5(3)a), c’est-à-dire établir dans l’énoncé détaillé « le droit et les faits sur lesquels elle fonde » les allégations de l’alinéa 5(1)b) et le faire d’une manière suffisamment complète pour permettre au titulaire du brevet d’évaluer ses recours en réponse à l’allégation.

(6)               La divulgation d’information après le dépôt de l’AA est-elle autorisée par suite de la décision Pfizer-Atorvastatin rendue par la juge Snider?

[56]           Fresenius s’est largement appuyée sur la décision Pfizer-Atorvastatin de la juge Snider pour justifier qu’elle n’était pas tenue de divulguer dans son AA ni les faits concernant l’importation et la fabrication à l’étranger, ni le fondement juridique de son allégation d’absence de contrefaçon par importation. Fresenius trouve suffisant d’avoir divulgué l’information sur l’importation à Bayer plutôt que dans l’AA, après que Bayer eut déposé son avis de conformité et signé une entente de confidentialité. Je ne suis pas d’accord, pour plusieurs raisons.

[57]           J’estime que toute analyse de cet argument doit débuter par une citation des motifs exposés par la juge Snider dans la décision Pfizer-Atorvastatin. La Cour s’exprime ainsi :

[32] Les deux parties ont fait référence aux critères suivants établis dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., (2004), 31 C.P.R. (4th) 214 (C.F. 1re inst.), 2003 CF 1428, par. 32, conf. par (2004), 38 C.P.R. (4th) 591 (C.A.F.) :

Pour évaluer le caractère suffisant de l’avis d’allégation, on peut se servir des indications suivantes tirées de nombreux arrêts de la Cour d’appel fédérale, dont Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.); Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 73, p. 81 (C.F. 1re inst.), conf. par (2001), 11 C.P.R. (4th) 417 (C.A.F.) :

Une simple affirmation de non-contrefaçon ne suffit pas.

Il est loisible à la seconde personne de retenir certains renseignements concernant sa formulation tant qu’une ordonnance de confidentialité n’est pas prononcée.

L’avis d’allégation serait suffisant si d’autres détails sont donnés pour expliquer les raisons pour lesquelles l’allégation d’absence de contrefaçon constituait une preuve suffisante pour permettre à la Cour d’évaluer l’allégation.

[58]           Fresenius s’appuie sur les deuxième et troisième éléments de l’énumération précédente. Je vais me pencher sur chacun de ces éléments.

(7)               Deuxième élément de l’énumération de la décision Pfizer-Atorvastatin

[59]           Le deuxième élément de l’énumération indique que certains aspects de l’argument de non-contrefaçon de la formulation d’un médicament peuvent être exclus de l’AA, pourvu qu’ils soient divulgués ultérieurement, après que la première personne a introduit une instance en interdiction et signé une entente de confidentialité :

- Il est loisible à la seconde personne de retenir certains renseignements concernant sa formulation tant qu’une ordonnance de confidentialité n’est pas prononcée.

[60]           De prime abord, cette permission semble contredire l’exigence réglementaire et jurisprudentielle concernant l’« énoncé détaillé », dans la mesure où le principe de base veut que la seconde personne soit tenue de donner un énoncé détaillé des questions de fait et de droit sur lesquelles reposent ses arguments au sujet de l’absence de contrefaçon; l’énoncé détaillé n’est pas forcément développé par la suite.

[61]           Par ailleurs, il est facile de comprendre que des questions légitimes liées au secret commercial peuvent se poser à l’égard de la formulation d’un nouveau médicament proposé, lesquelles peuvent justifier la permission donnée à la seconde personne de retenir certains renseignements véritablement confidentiels concernant la formulation d’un médicament. Cependant, bien que l’AA puisse contenir des revendications liées à la confidentialité assorties de promesses de divulguer des renseignements supplémentaires advenant l’introduction d’une instance en interdiction, elles ne doivent pas donner lieu à une permission de non-divulgation qui déborde l’intention du législateur – qui, soit dit en passant, n’a prévu aucune exception. En l’absence de balises claires quant à la nature des renseignements qu’une seconde personne est autorisée à retenir, l’AA risque de devenir une espèce de cheval de Troie. À l’évidence, ce serait injuste pour la première personne, qui s’attend à une divulgation pleine et entière de la part de la deuxième personne, tel qu’il est expliqué précédemment. De plus, les revendications de confidentialité formulées dans un AA doivent être interprétées très prudemment, à cause du risque évident qu’elles dévient en bonne partie de l’intention qu’avait le législateur en édictant le Règlement sur les MB(AC).

[62]           La juge Snider a réussi à concilier les intérêts concurrents en jeu, soit la nécessité de préserver la confidentialité des éléments de la formulation, d’une part, et le devoir indéniable de la seconde personne de faire une divulgation pleine et entière sous la forme d’un « énoncé détaillé », conformément au Règlement sur les MB(AC). C’est pourquoi, à mon avis, la juge Snider a cru bon de restreindre la permission donnée au deuxième point de l’énumération à la formulation d’un nouveau médicament ou, textuellement, à « certains renseignements concernant sa formulation ». La restriction des revendications de confidentialité aux éléments de la « formulation » d’un médicament est légitime si les éléments en cause sont véritablement confidentiels. Cependant, il serait difficile de justifier qu’au nom de la protection de la « formulation » confidentielle d’un nouveau médicament, une partie soit autorisée à ne pas divulguer qu’un médicament est fabriqué à l’étranger et importé au Canada. Si c’était le cas, l’absence de contrefaçon par importation ne serait jamais soulevée dans un AA mis en cause dans une instance en interdiction. À mon point de vue, ce serait contraire à l’obligation réglementaire de fournir un « énoncé détaillé » aussi bien qu’aux conclusions de la jurisprudence examinées précédemment. J’ajouterai que la Cour d’appel fédérale a confirmé l’analyse de la juge Snider et son interprétation restrictive des renseignements qui peuvent être retenus en approuvant les motifs exposés par la juge Gauthier (tel était alors son titre), précités : Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2009 CF 991, aux paragraphes 327 et 355, conf. par l’arrêt Eli Lilly and Company c. Apotex Inc. 2010 CAF 240, au paragraphe 19. Je souligne en outre que la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2003 CF 1428, rendue par la juge Snider et dont elle cite et fait valoir le paragraphe 32 dans la décision Pfizer-Atorvastatin, et que l’avocat a par la suite reconnue juste, a été confirmée par la Cour d’appel fédérale de l’arrêt 2004 CAF 398, au paragraphe 25.

[63]           Je vais maintenant me pencher sur la revendication de confidentialité exacte qui figure à l’AA déposé par Fresenius. Elle est libellée ainsi :

[traduction]

Une description détaillée de la formulation, de l’IPA et du produit de PPC sera fournie aux termes d’une entente de confidentialité.

[Non souligné dans l’original.]

[64]           À mon avis, cette revendication déborde largement la permission consentie par la juge Snider au deuxième point de l’énumération de la décision Pfizer-Atorvastatin, prudemment pondéré et qui restreint ces revendications aux éléments de la « formulation » :

Il est loisible à la seconde personne de retenir certains renseignements concernant sa formulation tant qu’une ordonnance de confidentialité n’est pas prononcée.

[Non souligné dans l’original.]

[65]           La revendication de confidentialité formulée par Fresenius dans cet AA m’apparaît irrecevable parce qu’elle outrepasse la permission et l’approbation consenties par la juge Snider, tel qu’il est expliqué précédemment. Fresenius ne peut invoquer le deuxième élément de l’énumération de la décision Pfizer-Atorvastatin pour justifier son défaut de divulguer la fabrication du médicament à l’étranger, son importation et l’absence de contrefaçon par importation.

(8)               Troisième élément de l’énumération de la décision Pfizer-Atorvastatin

[66]           Je ne puis faire droit à l’argument de Fresenius selon lequel le troisième élément énoncé par la juge Snider dans la décision in Pfizer-Atorvastatin la soustrait à son obligation de dévoiler dans son « énoncé détaillé » que le médicament est fabriqué à l’étranger puis importé, et qu’il n’y a pas contrefaçon par importation. Premièrement, il est très clair que la permission d’ajouter après-coup des faits et des considérations juridiques qui ne figuraient pas à l’AA participe de l’exception plutôt que de la règle. Deuxièmement, bien qu’il puisse être permis de dévoiler d’autres renseignements après le dépôt d’un AA, la juge Snider précise dans le troisième élément que c’est possible s’il s’agit de détails supplémentaires, c’est-à-dire si d’autres détails sont donnés pour expliquer les raisons pour lesquelles l’allégation d’absence de contrefaçon constituait une preuve suffisante :

L’avis d’allégation sera suffisant si d’autres détails sont donnés pour expliquer les raisons pour lesquelles l’allégation de non‑contrefaçon constituait une preuve suffisante pour permettre à la Cour d’évaluer l’allégation.

[Non souligné dans l’original.]

En l’occurrence, les mots importants sont « d’autres détails ».

[67]           Là encore, la juge Snider suit une démarche prudente et équilibrée pour trancher la question de la divulgation après le dépôt de l’AA. La permission accordée n’est pas universelle : seuls d’autres détails concernant des faits et des arguments juridiques déjà formulés seront admis après le dépôt d’un AA.

[68]           En l’espèce, l’AA déposé par Fresenius pose problème parce qu’il n’y est pas question de fabrication à l’étranger ou d’importation, ni du fait qu’il n’y a pas contrefaçon par importation. Ce faisant, Fresenius ne pouvait pas donner « d’autres détails » sur ces questions après avoir déposé son AA. C’est une chose d’ajouter des détails au sujet d’une allégation d’absence de contrefaçon formulée dans un AA, mais c’en est une autre d’évoquer pour la première fois la raison pour laquelle il n’y aurait pas contrefaçon après l’introduction d’une instance en interdiction. Je conclus par conséquent que le troisième élément de l’énumération n’est d’aucun secours pour Fresenius.

(9)               Questions liées aux actes de procédure

[69]           En l’espèce, le débat sur l’absence de contrefaçon par importation soulève d’autres questions liées aux actes de procédure. Fresenius soutient que Bayer ne peut pas contester son allégation d’absence de contrefaçon par importation au motif qu’elle savait que la contrefaçon par importation serait soulevée, mais qu’elle a omis de la mentionner dans ses avis de requête initial et modifié, dans sa preuve et dans son mémoire des arguments. Je ne puis faire droit à ces prétentions. Comme Fresenius a elle-même omis de divulguer une information, elle serait mal venue de se plaindre que Bayer n’y a pas donné suite. Fresenius a déposé un AA auquel il manquait l’« énoncé détaillé » plein et entier exigé. Cela étant dit, je souligne que le mémoire de Bayer fait bel et bien allusion, vaguement certes, à une contrefaçon par importation, au paragraphe 88 : [traduction] « la revendication d’un produit est contrefaite même s’il est fabriqué à l’étranger ». Pour étayer cet argument, Bayer invoque les jugements Monsanto et Pfizer-Atorvastatin.

[70]           L’espèce a évolué au fil du temps. L’AA de Fresenius fait tout au plus allusion à l’absence de contrefaçon par importation, mais il n’est pas conforme à l’obligation réglementaire d’en faire un exposé détaillé. Bayer effleure la question de l’importation dans un bref passage du paragraphe 88 de son mémoire. Dans son mémoire de la défenderesse, Fresenius a ajouté un exposé assez détaillé des raisons pour lesquelles elle estime que Bayer ne peut pas établir qu’il y a contrefaçon par importation. Les parties ont toutes les deux déposé un résumé de leur plaidoirie avant l’audience, dans lequel elles abordent en détail la question de la non-contrefaçon par importation et la doctrine Saccharin. À l’audience, les deux avocats ont livré des exposés circonstanciés sur la question de la non-contrefaçon par importation et la doctrine Saccharin.

[71]           Fresenius n’a pas parlé explicitement et en détail de l’importation et de l’absence de contrefaçon par importation; elle a plutôt fait allusion à la doctrine d’une manière elliptique et juridiquement inadéquate. Le mémoire de Bayer évoque la question de la non-contrefaçon par importation dans un passage lapidaire, quoique juste : [traduction] « la revendication d’un produit est contrefaite même s’il est fabriqué à l’étranger ». Aux yeux de Bayer, Fresenius n’était pas autorisée à plaider qu’il n’y a pas contrefaçon par importation parce que la question n’est pas abordée dans son AA (ce qui est juste). Fresenius, quant à elle, a avancé que Bayer n’était pas autorisée à soulever la question de la contrefaçon par importation parce qu’elle n’est pas dûment soulevée dans son mémoire. Je pense pour ma part que tout cela aurait pu et aurait dû être évité. Fresenius aurait dû s’acquitter de son obligation réglementaire et exposer de manière détaillée son allégation comme quoi il n’y a pas contrefaçon par importation dans son AA.

(10)           Bayer aurait-elle dû déposer un affidavit exposant le préjudice subi ou l’effet de surprise?

[72]           Fresenius a allégué en outre que pour établir que son AA était vicié, Bayer aurait dû produire une preuve par affidavit pour démontrer qu’elle a été surprise ou lésée. Toutefois, une recension de la jurisprudence citée par Fresenius à l’appui de cet argument (AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2005 CAF 183; Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 64; Pfizer Canada Inc. c. Canada [Santé], 2007 CF 642) m’amène à conclure qu’il n’existe pas de règle générale à cet égard. Je ne vois pas non plus comment un affidavit démontrant l’effet de surprise ou le préjudice subi par la première personne pourrait invalider un AA qui aurait été reconnu suffisant au départ. À mon sens, soit un AA est suffisant, soit il ne l’est pas. Le caractère suffisant d’un AA ne se mesure pas à l’aune de l’opinion subjective de la première personne, quelle qu’elle soit; il est établi objectivement par la Cour, selon des principes juridiques appliqués aux faits.

(11)           Revenait-il à la première ou à la seconde personne de soulever la question de la non-contrefaçon par importation?

[73]           Fresenius fait valoir en outre qu’il lui suffisait de mentionner dans son AA que le produit et l’IPA utilisé ne contrefont pas le brevet en cause. Selon elle, elle n’avait aucune obligation d’y soulever la question de la non-contrefaçon par importation. Il ressort de mon analyse précédente que je ne puis souscrire à ces arguments. Quand elle a rédigé son AA, Fresenius était la seule partie à savoir que le nouveau médicament proposé était fabriqué à l’étranger. Elle était aussi la seule à savoir que son médicament produit à l’étranger serait importé. En l’espèce, il m’apparaît évident que Fresenius était au fait que la question de la contrefaçon par importation serait soulevée. L’on pourrait difficilement argumenter qu’il s’agissait d’une question conjecturale. Seule Fresenius avait des raisons de penser qu’elle devrait assurément ou vraisemblablement arguer qu’il n’y avait pas contrefaçon par importation dans le cadre d’une instance en interdiction. Il était plus que probable que la question de la contrefaçon par importation surgirait dans cette espèce. Ce n’était pas une possibilité conjecturale ou lointaine.

[74]           Fresenius a affirmé qu’il ne lui était pas demandé d’exposer en détail le fondement factuel ou juridique de son allégation comme quoi il n’y avait pas contrefaçon par importation. Cet argument semble toutefois contredire sa prétention selon laquelle elle se serait pliée à cette obligation, quoiqu’elle soit formulée en termes elliptiques. L’obligation de Fresenius de fournir un exposé détaillé sur la question de l’absence de contrefaçon par importation s’avérait d’autant plus impérative qu’elle avait justement affirmé que c’était justement son intention. Fresenius savait qu’elle devait exposer en détail les fondements de son allégation d’absence de contrefaçon par importation, mais elle s’est soustraite à cette obligation réglementaire. Elle doit maintenant composer avec l’éventualité d’une ordonnance d’interdiction.

(12)           Confidentialité de la fabrication et de la transformation à l’étranger

[75]           Le dernier argument avancé par Fresenius a trait à la confidentialité de la fabrication à l’étranger de son nouveau médicament en vue de son importation au Canada, qui justifiait qu’elle ne dévoile pas cette information dans son AA. Je conviens que la jurisprudence a établi que la « formulation » d’un nouveau médicament pouvait être soustraite à l’obligation de divulgation dans l’« énoncé détaillé »; la juge Snider a statué sur cette dispense dans la décision Pfizer‑Atorvastatin. Je ne puis toutefois faire droit à la revendication de confidentialité formulée dans la présente espèce, pour deux raisons. Premièrement, comme je ne dispose d’aucune preuve à cet égard, une conclusion de confidentialité de ma part reposerait sur des conjectures. Deuxièmement, en affirmant que Bayer savait ou aurait dû savoir que l’AA alléguait qu’il n’y aurait pas contrefaçon par importation, Fresenius insinue en fait que tous les concurrents de Bayer dans la même position qu’elle auraient su ou auraient dû savoir que le nouveau médicament proposé était fabriqué à l’étranger en vue de son importation au Canada. Donc, aux yeux de Fresenius, quiconque dans le domaine aurait déduit de son AA que son nouveau médicament était fabriqué à l’étranger et importé. Je souligne au passage que l’intégralité de l’AA, y compris les formules elliptiques [traduction] « négligeable et purement accessoire », appartient au domaine public (version publique du dossier de la demande versée au présent dossier de la Cour). L’affirmation concernant la fabrication à l’étranger et l’importation ne peut donc être retenue.

[76]           La conclusion comme quoi l’AA est vicié tranche la question de la présente requête. Le ministre de la Santé ne peut délivrer d’AC pour un nouveau médicament si le demandeur a manqué à son obligation de fournir l’énoncé détaillé requis au sous-alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement sur les MB(AC). Par conséquent, Bayer a droit à l’ordonnance d’interdiction qu’elle demande.

[77]           Cela étant dit, les parties ont consacré beaucoup de temps et d’attention à la question de savoir si Bayer est parvenue à établir que l’AA n’était pas justifié pour ce qui est de l’absence de contrefaçon ou de contrefaçon par importation. Je vais donc examiner cette question.

Deuxième question en litige : Bayer a-t-elle fait la démonstration, selon la prépondérance des probabilités, que l’avis d’allégation de Fresenius n’est pas justifié?

(1)               La preuve

Dépositions et preuves des témoins experts

[78]           Les parties ont convenu que les compétences des experts ne sont pas mises en cause dans le cadre de la présente instance. Cependant, les parties ont soutenu, et j’abonde dans leur sens, que la Cour devait se prononcer sur la crédibilité des éléments de preuve et des avis fournis par les témoins experts. Je vais présenter chacun des témoins experts à tour de rôle.

Adam Matzger, Ph. D. – Témoin expert de Bayer

[79]           M. Matzger est professeur de chimie, ainsi que de science et génie macromoléculaire à l’Université du Michigan. Il a obtenu son doctorat en chimie structurale et organique en 1997, et il compte plus de 120 publications à son actif dans des revues révisées par des pairs. M. Matzger est directeur du journal universitaire Crystal Growth and Design, et cofondateur d’une entreprise de services d’analyse, notamment dans les domaines de la caractérisation chimique des matériaux solides.

[80]           Il affirme avoir mené une série d’expériences au cours desquelles il a reproduit une étape que Bayer a qualifiée de « cruciale » dans le procédé de Fresenius, […………..Expurgé…………  ………..………………………………………………………]. Selon M. Matzger, ces expériences ont montré que la forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine [le monohydrate], dont le brevet appartient à Bayer, est générée lors d’une étape intermédiaire de la fabrication du chlorhydrate de moxifloxacine [moxifloxacine de Fresenius] pour lequel Fresenius cherche à obtenir une autorisation de commercialisation.

[81]           M. Matzger a interprété le brevet comme exigeant la formation d’une bande à 26,7 degrés 2-Thêta [2θ = 26,7o] sur le spectre de diffraction des rayons X sur poudres [DRXP] et d’un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre de résonance magnétique nucléaire au carbone 13 [13C‑RMN]. « 2θ », prononcé « deux thêta », correspond à l’angle d’incidence des rayons X diffractés. L’analyse du spectre DRXP s’avère particulièrement utile pour étudier et caractériser la structure des matériaux cristallins. Parce qu’ils ont des structures variées, les matériaux cristallins sont dits polymorphes, et leur détection se fait au moyen d’analyses DRX sur poudres.

[82]           Dans sa déposition, M. Matzger a affirmé que le brevet 418 divulguait une nouvelle forme du monohydrate, dont on connaissait auparavant une forme anhydre. Le brevet indique que l’entreposage de la forme anhydre pouvait être problématique en raison de l’instabilité de la structure cristalline. Il indique en outre que l’instabilité physique du chlorhydrate de moxifloxacine anhydre était due aux variations de la structure cristalline lorsque le produit est entreposé dans des conditions d’humidité ambiante ou en suspension aqueuse.

[83]           Le brevet 418 indique aussi que le monohydrate présente une meilleure stabilité et qu’il permet de préparer des produits pharmaceutiques plus stables. Le monohydrate se caractérise par une bande à 2θ = 26,7o sur le spectre DRXP et un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN.

[84]           Bien que la revendication 1 du brevet requière un monohydrate dont le « pic caractéristique » se situe à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN, et une « bande » à 2θ = 26,7o dans l’analyse DRX sur poudres, les parties ont confirmé qu’il n’existe aucune différence entre un « pic » et une « bande », et que ces deux termes sont employés de manière interchangeable en réalité. Cette interchangeabilité se vérifie effectivement dans les éléments de preuve produits et les plaidoiries.

[85]           M. Matzger est le seul expert qui a mené des expériences et des essais sur les substances chimiques obtenues. Pour mener ses essais, il s’est fondé sur une reconstitution de la PADN et des composantes de la fiche maîtresse du médicament [FMM] que lui ont fournies Fresenius et le fabricant étranger tiers de l’IPA. Le témoin expert de Fresenius, M. Brittain, a confirmé que les essais de M. Matzger étaient fiables, hormis le fait qu’ils ont été menés à petite échelle comparativement au procédé de fabrication réel.

[86]           M. Matzger a effectué deux expériences, au cours desquelles il a reproduit à petite échelle les étapes du procédé de Fresenius, en supposant que du monohydrate serait généré (ratios de 1/8000 et de 1/4000). Comme il s’y attendait, M. Matzger a dépisté la présence du monohydrate sur le spectre DRXP lors de la première expérience. Les échantillons de la première expérience n’ont été soumis à aucune autre analyse, y compris la spectroscopie RMN du carbone. Au cours de la seconde expérience, M. Matzger a doublé l’échelle afin de créer et de recueillir un plus gros volume d’échantillons, qu’il a également identifiés comme étant le monohydrate. Ces échantillons ont été soumis à des analyses DRX des poudres et du spectre 13C-RMN.

[87]           Bien qu’il n’ait pas dépisté le monohydrate dans deux des expériences qu’il a réalisées, M. Matzger a expliqué qu’il avait été généré dans deux autres expériences menées à cette [..Expurgé..] étape. Selon M. Matzger, le monohydrate se transforme en un autre composé, […. ………..….Expurgé…………………………………..] à mesure que la réaction évolue. La présence du monohydrate est provisoire, puisqu’il s’agit d’une substance intermédiaire. M. Matzger n’a pas mentionné si le monohydrate pourrait être généré à d’autres étapes; cependant, ses expériences se sont limitées à l’étape en cause. Il a expliqué que l’intensité des bandes n’est pas révélatrice de la présence d’un composé; ce qui importe est que lesdites bandes forment le motif recherché. Pour isoler un composé sur le spectre DRXP, il faut établir la correspondance de toutes les bandes. M. Matzger a affirmé qu’il avait observé une correspondance de toutes les bandes du spectre DRXP. Les écarts et le manque de clarté ou de résolution des pics étaient dus selon lui [……. Expurgé………………………..………… ……………………………………………………………]. Seul M. Matzger a témoigné à titre d’expert pour corroborer [..Expurgé..].

[88]           Au cours de la deuxième expérience, M. Matzger a pu soumettre le produit à une spectroscopie 13C-RMN. Durant l’expérience, il a observé un « signal » à 168,1 ppm, ce qui selon lui confirmait la présence du monohydrate. La résolution n’était pas aussi [….....Expurgé….…]. M. Matzger a expliqué la mauvaise résolution par […..….….Expurgé……..……]. Il a néanmoins relevé un rapport signal sur bruit supérieur à 3:1 à 168,1 ppm. La convention United States Pharmacopeia [USP] précise qu’un pic peut correspondre à un rapport signal sur bruit de 2 ou de 3 sur 1. Voici un extrait de la déposition de M. Matzger :

[traduction]

84. Je remarque que la revendication 1 du brevet 418 précise qu’un pic doit se former à 2θ = 26,7 ppm sur la DRXP et à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN. Lors de mes expériences, comme je l’ai expliqué précédemment, le pic à 2θ = [..Expurgé..], ce qui se situe dans une plage acceptable de 0,1o. Cet élément de la revendication est donc établi.

85. Mes expériences ont également montré que PPC produit la forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine formant un signal à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN. À mon avis, ce spectre indique la présence de la forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine.

86. Je trouve important de souligner que l’échantillon soumis à une spectroscopie 13C-RMN [……………………………Expurgé………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..].

[Non souligné dans l’original.]

[89]           Même dans l’affidavit déposé en réponse, M. Matzger parle de l’intensité à 168,1 ppm, mais jamais d’un pic ou d’une bande à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN :

[traduction]

25. Le graphique reproduit au paragraphe 143 de l’affidavit de M. Brittain indique clairement la présence d’un signal à 168,1 ppm lorsque le rapport signal sur bruit est supérieur à 3:1. M. Brittain a incorrectement confondu bruit et absence de signal, et il n’a pas tenu compte du fait que [……………………….Expurgé…………………… …………………………].

[…]

41. Pour répondre aux paragraphes 62 et 63 de l’affidavit de M. Zaworotko, il n’est pas étonnant que la résolution du pic à 168,1 ppm soit mauvaise puisque [……………………………. Expurgé………….. ……………………………………………….. …………]. Toutefois, c’est l’intensité à 168,1 ppm qui m’a convaincu de la présence du monohydrate.

[Non souligné dans l’original.]

M. Brittain – Témoin expert de Fresenius

[90]           M. Brittain possède plus de 40 années d’expérience dans les domaines de la chimie, de la conception et de la mise au point de formulations pharmaceutiques solides et aqueuses. Auteur de quelque 200 articles publiés sur la caractérisation des substances pharmaceutiques à l’état solide, M. Brittain a réalisé entre 2 500 et 5 000 analyses de diffractions de rayons X sur poudres, soit de 5 à 10 par semaine pendant une dizaine d’années, ce qui en fait un expert hautement qualifié pour la réalisation de ces analyses et l’interprétation des résultats. Il a également acquis une très vaste expérience à titre de membre de la USP, particulièrement dans le domaine des méthodes d’essai physique des substances pharmaceutiques, y compris la diffraction des rayons X sur poudres. À titre de professeur permanent, M. Brittain a donné divers cours de chimie de niveau universitaire. Il a de plus collaboré à la mise au point de médicaments dans le secteur privé.

[91]           […………………………………………..Expurgé……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….]. M. Brittain a donné une liste d’autres formes cristallines du chlorhydrate de moxifloxacine revendiquées dans plusieurs brevets étrangers. Ces formes sont absentes de la Cambridge Structural Database [CSD]. M. Brittain estime que M. Matzger a incorrectement identifié la substance analysée notamment parce que son hypothèse de départ était erronée, savoir qu’il existe seulement trois formes de chlorhydrate de moxifloxacine (anhydre, monohydrate et méthanolate-hydrate). S’il avait pris en compte l’éventail complet des possibilités, tel que le suggère l’existence d’autres formes brevetées, M. Matzger en serait peut-être venu à la conclusion que le composé de moxifloxacine isolé dans ses expériences n’était pas la forme monohydrate, mais plutôt l’une des nombreuses autres formes existantes de moxifloxacine divulguées dans d’autres brevets.

[92]           D’après les données recueillies par M. Matzger, M. Brittain a conclu que la moxifloxacine de Fresenius et son procédé de fabrication ne tombent pas dans le champ des revendications du brevet 418.

[93]           Il a expliqué que dans le diagramme DRXP, les dix pics les plus intenses du spectre correspondront généralement à une forme cristalline et à une substance. À cet égard, M. Brittain a précisé qu’il se conformait pour ce genre d’analyse à la démarche recommandée par la USP, selon laquelle [traduction] « [i]l suffit généralement de balayer les dix réflexions les plus intenses dans le fichier Powder Diffraction. » Dans ses tentatives pour établir des correspondances entre les dix pics les plus intenses du spectre décrits dans le brevet 418 et les pics observés dans l’ensemble de données de M. Matzger, M. Brittain a isolé au maximum [Expurgé] des dix pics. Selon M. Brittain, ce résultat indique que le composé isolé n’est pas le monohydrate, au contraire de ce que prétend M. Matzger.

[94]           M. Brittain a aussi expliqué comment il a tenté d’établir des correspondances entre les pics dans des échantillons où le bruit était assez important. Ainsi, dans la spectroscopie 13C‑RMN, l’échelle de la présentation de M. Matzger est agrandie à un point tel que les plus petites caractéristiques pouvaient ressembler à des pics. Cela ne permet pas de conclure qu’un rapport signal sur bruit de 2 ou 3 sur 1 indique la présence d’un pic. M. Brittain a expliqué que le signal à 168,1 ppm dont parle M. Matzger fait tout au plus partie d’une ligne de base inclinée, à ne pas confondre avec un pic, encore moins un pic caractéristique.

[95]           M. Brittain a aussi décrit […………………Expurgé………………………………..
……………………………………………………………….………….].
Il n’est pas d’accord avec l’explication de M. Matzger selon laquelle [………Expurgé…………….].

M. Zaworotko – Témoin expert de Fresenius

[96]           M. Zaworotko est professeur et chercheur titulaire de la Bernal Chair of Crystal Science and Science Foundation of Ireland au sein du département de chimie et de sciences de l’environnement de l’Université de Limerick, en République d’Irlande. Il se spécialise dans les domaines de la cristallisation, de la cristallographie aux rayons X, de l’ingénierie des cristaux, de l’empilement cristallin, du polymorphisme et des hydrates. Il a publié plus de 320 articles évalués par les pairs.

[97]           M. Zaworotko a formulé l’hypothèse des solvates isostructuraux formant des canaux, qui pourrait offrir une autre explication pour la mauvaise résolution du pic à 168,1 ppm observé par M. Matzger. Selon cette hypothèse, a expliqué M. Zaworotko, M. Matzger n’a probablement pas obtenu [….. ………………………Expurgé……………………………………………………..], comme le prétend M. Matzger. Au contraire, selon M. Zaworotko, il est fort probable que M. Matzger ait observé un continuum de solvates formant des canaux, dont la teneur pouvait varier entre [……….Expurgé……] dans le réseau cristallin du chlorhydrate de moxifloxacine. M. Zaworotko n’a pas réalisé ses propres essais, mais il pense néanmoins que le continuum de solvates formant des canaux pourrait expliquer la mauvaise résolution des pics dans les données de M. Matzger.

[98]           M. Zaworotko était en désaccord avec plusieurs des affirmations de M. Matzger.

Autres preuves par affidavit

Mira Cameron

[99]           Mme Cameron affirme que l’AA a été envoyé à Bayer le 5 mai 2014. Bayer a déposé un avis de requête à la Cour le 18 juin 2014. Les 16 et 17 juillet, Fresenius (alors PPC) a transmis à Bayer des documents extraits de sa PADN pour le produit de PPC. Le 31 juillet 2014, Bayer a déposé un avis de requête modifié. Fresenius a produit d’autres documents le 19 août 2014.

[100]       La chronologie des faits en cause dans la présente instance provient du restant de l’affidavit de Mme Cameron.

Josephine Holmes

[101]       Mme Holmes est la directrice principale du service des affaires réglementaires chez Fresenius. Elle a fourni des éléments de preuve au sujet du produit à base de moxifloxacine pour lequel Fresenius sollicite une approbation réglementaire au Canada.

Bruce Jordan

[102]       M. Jordan est directeur principal de la chaîne d’approvisionnement commercial chez Fresenius Kabi US, LLC, une société américaine affiliée à Fresenius. Il a fourni des éléments de preuve portant sur la mise au point, la fabrication et l’importation de la moxifloxacine de Fresenius.

Sabrina Del Rosso

[103]       Mme Del Rosso est adjointe juridique au sein du cabinet Gilbert’s LLP, qui représente la défenderesse. Elle a affirmé qu’une partie des extraits de la PADN avaient été transmis sur une base volontaire aux avocats de Bayer le 16 juillet 2014. La PADN intégrale a été produite le 19 août 2014, sur CD. Le 20 septembre 2014, Fresenius a entrepris des démarches pour obtenir de l’information figurant sur la FMM du médicament auprès du fabricant de l’IPA à l’étranger. Les documents reçus du fabricant de l’IPA ont été transmis à Bayer les 6 et 11 novembre 2014. Les démarches ultérieures pour obtenir d’autre information auprès de la tierce partie, le fabricant de l’IPA, ont été infructueuses.

IV.             Observations des parties

Demanderesses

[104]       Selon Bayer, l’allégation de Fresenius comme quoi il n’y aura pas contrefaçon puisque le monohydrate n’entrera pas dans la fabrication du produit de Fresenius ou de l’IPA du produit est incorrecte, si ce n’est inconsidéré. Même si Fresenius a refusé de produire des échantillons du produit obtenu par son procédé, M. Matzger a été à même de reproduire une étape cruciale de celui-ci. La preuve montre que les allégations de non-contrefaçon ne tiennent manifestement pas la route.

[105]       Bayer invoque les revendications 1, 2, 8 à 10, 12 et 14 du brevet 418. La revendication 1 est indépendante (revendication 1); la revendication 2 traite de la forme cristalline prismatique préférée; la revendication 8 porte sur le médicament renfermant le monohydrate et un diluant ou un excipient pharmaceutiquement acceptable et la revendication 9 sur son utilisation pour le traitement des infections bactériennes; la revendication 10 porte sur un composé antibactérien renfermant le monohydrate de la revendication 1 ou de la revendication 2 avec un diluant ou un excipient adéquat, et la revendication 12 de son utilisation pour le traitement des infections bactériennes. La revendication 14 mentionne l’utilisation du monohydrate de la revendication 1 ou de la revendication 2 dans la préparation d’un médicament pour le traitement des infections bactériennes.

[106]       Tel qu’il a été vu dans la section sur la première question en litige, Bayer a fait valoir que l’AA est vicié parce que Fresenius n’y expose pas adéquatement ses allégations comme quoi le nouveau médicament est fabriqué à l’étranger et importé au Canada, et que le fait de le faire entrer au pays ne constitue pas une contrefaçon par importation. Bayer a indiqué en outre que l’information contenue dans l’AA ne lui permettait pas de déterminer si les allégations de PPC concernant la non-contrefaçon des revendications du brevet 418 étaient justifiées. Bayer a soutenu enfin que la lettre de PPC ne fournit aucun motif justifiant une défense fondée sur l’arrêt Gillette (Gillette Safety Razor Company c. Anglo American Trading Company (1913), 30 R.P.C. 465) dans un contexte d’absence de contrefaçon.

[107]       Selon Bayer, la preuve produite par les experts de Fresenius devrait être écartée parce qu’ils se sont contentés de critiquer les expériences de M. Matzger au lieu de mener leurs propres essais. Bayer a ajouté que le défaut de Fresenius de produire des échantillons des substances intermédiaires générées durant le procédé de fabrication l’a empêchée de fournir des éléments de preuve adéquats et de mener les essais qui lui auraient permis de présenter à la Cour la démonstration complète et probante du caractère non fondé de l’allégation d’absence de contrefaçon. Aux yeux de Bayer, cette allégation devrait valoir une conclusion défavorable à Fresenius.

[108]       Même si Fresenius n’a pas fourni d’échantillons des substances intermédiaires générées durant le procédé de fabrication ou d’ingrédient pharmaceutique actif, M. Matzger a procédé à deux expériences au cours desquelles il a reproduit à petite échelle les étapes du procédé de Fresenius susceptibles de générer le monohydrate breveté de Bayer. Tel qu’il l’avait supposé, M. Matzger a déclaré avoir décelé la présence du monohydrate dans les diagrammes DRXP lors de sa première expérience. Il a constaté que le monohydrate s’était formé avant de se transformer chimiquement en un autre composé, [.. ………..….Expurgé…………………………………..] au fil de l’évolution de la réaction. Il a expliqué de plus que l’intensité des pics dans le diagramme DRXP n’est pas révélatrice de la présence du composé; ce qui importe est que ces pics forment le motif recherché. Les résultats de la première expérience de M. Matzger présentent certaines irrégularités, qui selon lui sont très probablement attribuables [……………………….Expurgé……………………………………].

[109]       Au cours de la seconde expérience, il a doublé l’échelle de la première expérience afin de créer et de recueillir un plus gros volume d’échantillons du produit. Cette seconde expérience lui a permis de procéder à des analyses du produit sur les spectres DRXP et 13C-RMN. Le signal à de 168,1 ppm observé sur le spectre 13C-RMN confirmait la présence du monohydrate. La résolution n’était pas aussi [………Expurgé…………]. M. Matzger a expliqué que c’était dû [… …………………..Expurgé…………………..]. Il a néanmoins relevé un rapport signal sur bruit supérieur à 3:1 à 168,1 ppm. La USP précise qu’un pic peut correspondre à un rapport signal sur bruit de 2 ou de 3 sur 1.

[110]       Bayer a déploré que les experts de Fresenius n’aient pas mené leurs propres expériences, et qu’ils se soient contentés de critiquer la méthode et les résultats des essais de M. Matzger. Aux yeux de Bayer, les allégations des experts de Fresenius comme quoi M. Matzger aurait lissé les données ou en aurait fait une mauvaise analyse s’apparentent à des tentatives de « dénigrement » fort mal venues. Bayer a aussi réfuté la prétention des experts de Fresenius voulant que la moxifloxacine existe sous d’autres formes. La CSD est une source fiable pour confirmer l’existence des formes cristallines de cette substance chimique, beaucoup plus que les publications truffées de références inexactes à des découvertes de « nouveaux » composés non reconnus qui sont revendiquées dans les demandes de brevet.

[111]       Bayer a affirmé que, dans ce contexte, les experts de Fresenius ont critiqué à tort les procédures suivies par M. Matzger. Par exemple, M. Zaworotko lui a reproché de manière infondée d’avoir omis d’indiquer dans ses notes s’il avait broyé l’échantillon avant de procéder aux essais. M. Matzger a répliqué qu’il aurait pris la peine de l’indiquer s’il avait broyé l’échantillon, puisque cette étape aurait joué un rôle déterminant dans un changement de phase éventuel. M. Zaworotko a maintenu sa position.

[112]       Pour Bayer, il y a contrefaçon lorsqu’une substance brevetée est générée à une étape intermédiaire de la fabrication, même si la substance intermédiaire ne subsiste pas dans le produit pharmaceutique final : Abbott Laboratories c. Canada (Santé), 2006 CAF 187, aux paragraphes 15 à 17; Abbott Laboratories c. Canada (Santé), 2007 CAF 73, au paragraphe 4. En l’espèce, Fresenius a contrefait le brevet 418 en générant le monohydrate au cours du procédé de fabrication, comme l’a démontré de manière concluante M. Matzger dans son témoignage d’expert.

[113]       Bayer s’en est remise à un arrêt de la Cour suprême du Canada pour affirmer que l’objectif principal de la protection conférée par les brevets est d’empêcher quiconque de priver l’inventeur, fût-ce de manière partielle et indirecte, du monopole que le droit lui reconnaît : seul le breveté a droit à la pleine jouissance du monopole conféré. La Cour suprême a reconnu en outre qu’une revendication d’un produit est contrefaite même s’il est fabriqué à l’étranger : Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, au paragraphe 43; Pfizer-Atorvastatin, aux paragraphes 87 à 90.

[114]       Bayer a souligné les longues explications des experts de Fresenius selon lesquelles la présence des pics mentionnés dans la revendication 1 ne prouve pas en soi que le produit est le monohydrate. Bayer a demandé à la Cour de tenir compte de l’ensemble des données expérimentales pour établir la nature du produit.

Demanderesse – Fresenius

[115]       En premier lieu, Fresenius a exposé la preuve fournie par ses témoins, parmi lesquels se trouvaient des experts, mais également des personnes qui connaissent le produit et l’IPA utilisé par Fresenius, le fabricant tiers de celui-ci, ainsi que des personnes qui étaient au fait des efforts déployés pour obtenir et utiliser un IPA non litigieux. Les principaux arguments avancés par Fresenius à l’appui de son allégation d’absence de contrefaçon sont les suivants : Premièrement, Bayer ne pouvait pas établir qu’il y avait contrefaçon par importation, et elle n’a pas fourni d’arguments valables à cet effet. Deuxièmement, le monohydrate n’a pas été utilisé dans le processus de création de son produit. Enfin, en partie parce qu’elle découle logiquement des arguments précédents, son allégation d’absence de contrefaçon est justifiée et Bayer ne s’est pas acquittée de la charge qui lui revenait d’établir qu’elle ne l’était pas.

[116]       Fresenius a interprété la revendication en appliquant la démarche préconisée par le juge Phelan dans la décision Alcon Canada Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Company, 2014 CF 462 [Vigamox]. À l’inverse, Bayer en a proposé une interprétation disjonctive. En l’espèce, M. Matzger, cité comme témoin expert par Bayer, a omis de produire des éléments de preuve liés à l’un des critères mentionnés dans la revendication 1. Le juge Phelan a interprété la revendication litigieuse du brevet 418 et conclu qu’à la vue du témoignage de M. Matzger, Bayer ne s’était pas acquittée du fardeau de produire tous les éléments de preuve pertinents concernant les éléments essentiels du brevet 418. Fresenius a fait valoir, et Bayer a éventuellement souscrit à cette thèse, que la Cour devait s’en tenir à cette interprétation en l’espèce. Voici ce que la Cour indique à cet égard dans la décision Vigamox :

[193] Dans l’art antérieur, le CDCH était sous forme anhydre. Le brevet 418 décrit des problèmes qui survenaient dans l’art antérieur. En particulier, la forme anhydre est hygroscopique et absorbe l’eau dans des conditions d’entreposage défavorables et pendant la fabrication. Il en résulte une incapacité d’obtenir des doses constantes ainsi que des problèmes de qualité des préparations. L’invention du monohydrate de CDCH, qui est plus stable, a réglé ce problème.

[...]

[196] La revendication 1 se lit comme suit :

[traduction] Un monohydrate de CDCH de formule [formule (I)]…qui donne un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN et une bande à 2Θ = 26,7 sur le diffractogramme aux rayons X.

[197] La revendication 1 du brevet 418 comporte trois éléments essentiels :

a. le composé est le monohydrate de moxifloxacine;

b. le composé forme une bande caractéristique à 2Θ = 26,7 sur le diffractogramme aux rayons X;

c. le composé forme un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN.

[198] Cobalt prétend que les éléments b) et c) sont conjonctifs : les deux doivent être établis. Par contre, les demanderesses prétendent que les éléments b) et c) sont redondants et que la seule chose qu’il est nécessaire de déterminer est qu’une substance est le monohydrate de CDCH et qu’elle forme une bande ou un pic caractéristique.

[199] La position de Cobalt s’appuie sur le libellé du brevet. L’utilisation de la conjonction « et » dans la revendication 1 liant les exigences d’un pic et d’une bande montre clairement que la substance revendiquée dans le brevet 418 doit former à la fois le pic caractéristique et la bande caractéristique.

[...]

[201] La question de savoir si la stabilité accrue est aussi un élément essentiel est secondaire. Vu la conclusion finale de la Cour, il n’y a pas lieu d’en débattre.

[117]       Se fondant sur cette interprétation de la revendication, Fresenius en retient les trois éléments essentiels conjonctifs :

i                      le composé est la forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine;

ii                    une bande caractéristique se forme à 2θ = 26,7o sur le diagramme DRXP, et

iii                  un pic caractéristique se forme à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN.

[118]       Fresenius prétend que Bayer n’a pas établi les trois éléments essentiels de la réclamation du brevet 418. Il appartenait à Bayer d’établir que l’allégation de l’AA de Fresenius selon laquelle sa moxifloxacine ne contrefait pas le brevet n’est pas justifiée. Selon Fresenius, le monohydrate étant forcément sous forme cristalline, il ne peut exister en solution. Or, la moxifloxacine de Fresenius est une solution. Qui plus est, pour être reconnu comme caractéristique, un pic doit faire partie des plus intenses dans un spectre donné; pareil pic n’a pas été observé ni dans les spectres DRXP, ni dans les spectres 13C-RMN présentés dans la preuve de M. Matzger.

[119]       Il en découle, d’après Fresenius, que la présence du monohydrate n’a pas été établie. Selon M. Brittain, aux fins du dépistage de ce composé, le DRXP servirait en quelque sorte d’« empreinte digitale », et au moins les dix pics les plus intenses du spectre DRXP sur la figure 5 du brevet 418 devraient correspondre aux résultats de M. Matzger. Lorsqu’il a analysé les données, M. Brittain a observé tout au plus [..Expurgé..] des pics correspondants dans la première expérience, mais aucun dans la seconde. Cependant, au moins [..Expurgé..] de ces pics sont déviés [Expurgé] le spectre, alors que les autres ne le sont aucunement. M. Brittain a constaté que les données ne révélaient aucun pic caractéristique, tout au plus des « signaux » dans les zones pointées par M. Matzger, et à peine des lignes de base inclinées ailleurs.

[120]       M. Brittain a ajouté que l’explication de M. Matzger concernant […..Expurgé… ………………………………………………………………………….] était inexacte. [……. ………………………Expurgé…………………………………………………………………………………………………………………………………………].

[121]       Fresenius a expliqué en outre que la preuve de M. Zaworotko propose une autre explication concernant le manque de clarté du pic qui aurait dû se former à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN si le monohydrate avait été produit dans sa forme cristalline dans les expériences de M. Matzger.

[122]       Dans ce contexte, selon Fresenius, Bayer ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui revenait d’établir les trois éléments essentiels du brevet 418 selon la prépondérance des probabilités. Bayer n’a pas établi que le composé était le monohydrate; elle n’a pas établi la présence de la bande caractéristique à 2θ = 26,7o sur le spectre DRXP, et elle n’a pas établi la présence d’un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN.

[123]       De surcroît, même si la Cour admettait que Bayer avait réussi à établir la présence du monohydrate comme substance intermédiaire au cours du procédé de fabrication, il appartiendrait quand même à Bayer de démontrer la compétence de la Cour pour trancher la question de la contrefaçon en application de la doctrine Saccharin, ou de la contrefaçon par importation.

[124]       Or, pour arriver à une conclusion de contrefaçon par importation, qui suppose qu’un acte de contrefaçon a été commis à l’étranger parce que la substance brevetée a été générée à une étape intermédiaire de la fabrication, la Cour doit disposer d’une preuve suffisante avant d’examiner les facteurs en cause (suivant ce que préconise la juge dans la décision Pfizer‑Atorvastatin, au paragraphe 90). La juge Gauthier, de la Cour fédérale, applique les mêmes facteurs dans la décision Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2009 CF 991, au paragraphe 326, confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2010 CAF 240. Ces facteurs doivent être examinés afin de déterminer s’il y a « un lien étroit entre l’utilisation du procédé ou du produit breveté et le produit vendu au Canada » : décision Pfizer-Atorvastatin, au paragraphe 91. Voici les facteurs en question, tels qu’ils sont posés par la juge Snider au paragraphe 90 de cette décision :

-     L’importance du produit ou du procédé par rapport au produit final vendu au Canada. Lorsque son usage est accessoire, non essentiel ou pourrait être facilement remplacé (comme dans l’exemple des ciseaux italiens), une cour pourrait être moins encline à statuer qu’il y a contrefaçon.

-     Si le produit final contient réellement le produit breveté en tout ou en partie. Lorsque le produit breveté peut effectivement être identifié dans le produit vendu au Canada, il y aurait de bonnes raisons de juger qu’il y a contrefaçon.

-     Le stade auquel le produit ou le procédé breveté est utilisé. Par exemple, l’utilisation d’un procédé comme étape préliminaire d’un long processus de production peut amener à conclure que le titulaire du brevet a été peu privé de la jouissance de l’invention.

-     Le nombre de fois où le produit ou le procédé breveté a été utilisé. Lorsque le même produit breveté est utilisé à répétition dans la production du produit final non breveté, il peut être plus manifeste que le titulaire du brevet a été privé de certains avantages.

-     Le poids de la preuve démontrant que si le produit ou le procédé était exploité ou utilisé au Canada, il y aurait contrefaçon. À cet égard, je suis d’avis qu’on devrait accorder, lorsque la preuve est ambiguë, le bénéfice du doute à la partie qui utilise le produit ou le procédé. C’est peut-être simplement une autre façon d’exprimer le principe établi voulant qu’il incombe au titulaire du brevet de démontrer la contrefaçon.

[Non souligné dans l’original.]

[125]       Exception faite de la preuve déjà soumise à l’égard du monohydrate, Bayer n’a pas produit d’élément de preuve pour aucun des facteurs du critère énoncé dans l’arrêt Saccharin. Même si la Cour a conclu qu’il découlait de la preuve des témoins experts que le monohydrate était utilisé dans le procédé de fabrication à l’étranger, cette preuve ne permet pas d’établir aucun des autres facteurs du critère énumérés ci-dessus. La preuve est insuffisante concernant les autres facteurs du critère de la contrefaçon par importation.

[126]       Fresenius a soutenu que l’importation pourrait être une raison justifiant une conclusion d’absence de contrefaçon par la Cour. Fresenius a argué que son AA était suffisant et valide pour étayer l’unique allégation qui y figure, savoir l’absence de contrefaçon. En l’espèce, l’exposé détaillé du procédé, considéré comme confidentiel, a été divulgué le 16 juillet 2014, après que les parties eurent conclu une entente de confidentialité. L’argument de Fresenius, analysé et rejeté précédemment, veut qu’elle ne fût pas tenue de dévoiler de l’information confidentielle dans son AA, y compris le fait que son produit était fabriqué à l’étranger et importé.

V.                Analyse

Personne versée dans l’art

[127]       Pour l’essentiel, les parties s’entendent sur les compétences attendues d’une personne versée dans l’art. Dans son mémoire, Bayer soutient qu’une personne versée dans l’art devrait posséder une formation et de l’expérience dans les domaines de la production et de la reconnaissance de différentes formes physiques de composés pharmaceutiques, polymorphes et solvates, y compris les hydrates et les anhydrates. Cette personne doit être titulaire d’un doctorat en chimie ou en pharmacie, et compter à son actif plusieurs années d’expérience pertinente dans un milieu universitaire ou industriel. De plus, pour être réputée versée dans l’art, une personne doit posséder des connaissances théoriques et une expérience pratique de l’interprétation des données d’analyses DRX sur poudres et de spectroscopies 13C-RMN. Fresenius est d’accord avec ces critères, auxquels elle ajoute la nécessité pour la personne versée dans l’art d’avoir de l’expérience en interprétation des données issues d’autres méthodes d’essai, notamment l’analyse thermogravimétrique [ATG], la calorimétrie différentielle à balayage [CDB], et la spectroscopie infrarouge [IR], pour être en mesure d’évaluer l’élément essentiel de la revendication 1, qui suppose de confirmer la présence du monohydrate.

[128]        À mon avis, la personne versée dans l’art devrait posséder un diplôme d’études supérieures en chimie ou dans un domaine connexe tel le génie chimique ou la pharmacie; une expérience liée aux polymorphes; au moins une ou deux années d’expérience pratique dans le domaine de la production de composés pharmaceutiques; elle devrait avoir une capacité de comprendre les données de diffractions des rayons X par les poudres et de spectroscopies 13C‑RMN, et posséder des connaissances au sujet de la cristallographie.

[129]       Il convient de souligner que les témoins experts cités par les deux parties avaient une expérience considérable dans les domaines requis, de même que dans les autres types d’essais mentionnés dans le brevet 418 et les actes de procédure de Fresenius.

Interprétation des revendications

[130]       Les parties ont convenu, et je suis d’accord, que la Cour devrait adhérer à l’interprétation proposée par le juge Phelan (voir la décision Vigamox).

[131]       Dans la décision Vigamox, le produit de la seconde personne était une solution ne renfermant pas de cristaux. Les parties ont reconnu que le produit final proposé à l’importation ne contrevenait pas au brevet 418. L’objet du litige avait trait à l’utilisation du monohydrate dans le procédé de fabrication du médicament Vigamox. M. Matzger, qui a témoigné dans le cadre de la présente espèce, avait également agi comme expert de Bayer dans l’affaire Vigamox.

[132]       Après avoir analysé les dépositions des experts et de l’avocat, le juge Phelan a tranché que le brevet 418 contenait une revendication indépendante et 13 revendications dépendantes. Il a déterminé que la revendication 1 était primordiale, et je souscris à cette conclusion. La revendication 1 se lit comme suit :

1. Un monohydrate de CDCH de formule [...] qui donne un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN et une bande à 2[θ] = 26,7 sur le diffractogramme aux rayons X.

[133]       L’interprétation de la revendication est une question de droit et, par conséquent, la Cour n’est pas tenue de s’en remettre à la preuve des experts ou aux plaidoiries des parties. Usuellement, la courtoisie est de mise dans le cas des instances portant sur un brevet qui a fait l’objet d’un jugement précédent : Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2013 CF 493 et Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2007 CF 446.

[134]       Compte tenu de ces points communs et de l’absence de preuve contradictoire supplémentaire, je m’en tiendrai à l’interprétation des revendications du brevet que propose le juge Phelan, y compris les critères conjonctifs de la revendication 1 :

i                      Le composé est une forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine.

ii                    Le composé forme une bande caractéristique à 2θ = 26,7 sur le diffractogramme aux rayons X par les poudres.

iii                  Le composé forme un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN.

Contrefaçon

(1)               Fardeau de la preuve

[135]       Lorsqu’un AA est signifié à la première personne, les allégations qui y sont énoncées sont présumées vraies. Il appartient à la première personne, en l’occurrence Bayer, de faire la démonstration que les allégations d’absence de contrefaçon ne sont pas justifiées : Pfizer; Vigamox, au paragraphe 226. Le fardeau incombant à Bayer consistait à montrer, selon la prépondérance des probabilités, que le produit de Fresenius contrefait chacun des trois éléments essentiels de la revendication, suivant l’interprétation précédente. De plus, « lorsqu’on allègue qu’une forme cristalline sera présente à un point quelconque dans le procédé de fabrication, il faut le prouver plutôt que d’affirmer simplement que c’est possible » : Vigamox, au paragraphe 225.

(2)               Fresenius avait-elle l’obligation de fournir des échantillons des substances intermédiaires générées au cours du procédé de fabrication du produit de Fresenius et de l’IPA?

[136]       Selon Bayer, aux fins de l’appréciation de la preuve, la Cour aurait dû considérer le fait que Fresenius n’avait pas demandé ni cherché à obtenir des échantillons des substances intermédiaires générées durant le procédé de fabrication de la moxifloxacine de Fresenius ou de l’IPA. Cette prétention vaut aussi pour la remise d’échantillons aux experts de Bayer et de Fresenius.

[137]       Fresenius a répliqué qu’elle n’avait nullement l’obligation de produire ces échantillons, ni au titre du Règlement sur les MB(AC) ni à celui de l’ordonnance de production accordée par la protonotaire Milczynski.

[138]       Je suis convaincu que Fresenius n’était pas tenue de produire des échantillons de substances intermédiaires. Je tiens à préciser que la preuve de Bayer ne donne aucune indication d’une tentative pour que Fresenius produise d’autres échantillons après la délivrance de l’ordonnance de production. Par ailleurs, Bayer a admis qu’elle n’avait pas le droit d’exiger les échantillons en question. Dans ces conditions, je ne puis tirer de conclusion défavorable contre Fresenius ou ses experts.

(3)               Préférence quant aux preuves des experts

[139]       M. Brittain ayant analysé et interprété les données de plus de 2 500 analyses DRX sur poudres, et compte tenu de la vaste expérience tirée de sa contribution à la rédaction des parties pertinentes de la USP, j’estime que la preuve qu’il a fournie devrait être privilégiée.

[140]       La déposition de M. Matzger m’a semblé utile mais, si j’ai bien compris, son expérience et ses connaissances du domaine des essais par DRXP ne sont pas aussi vastes que celles de M. Brittain. Pour cette raison, j’accorde plus de poids à la partie de sa preuve qui concerne la présentation de résultats d’essais, mais moins pour ce qui est de l’analyse et de l’explication de la nature du composé isolé dans le cadre de ses expériences, et plus particulièrement des essais par DRXP.

[141]       Le défaut général de M. Zaworotko d’indiquer les points sur lesquels il était d’accord avec M. Matzger lors de son témoignage m’amène à conclure qu’il n’a pas respecté les règles de la Cour concernant la preuve des experts. Selon l’alinéa 3b) de l’annexe Code de déontologie régissant les témoins experts des Règles des Cours fédérales, l’expert doit indiquer « dans le cas du rapport qui est produit en réponse au rapport d’un autre expert, une mention des points sur lesquels les deux experts sont en accord et en désaccord » (non souligné dans l’original). Pour cette raison, j’accorde en général moins de poids à la preuve qu’il a fournie.

(4)               Nombre de formes de moxifloxacine

[142]       La Cambridge Structural Database [CSD] présente deux formes de chlorhydrate de moxifloxacine : méthanolate-hydrate et monohydrate. Le brevet 418 divulgue en outre la forme anhydre de l’art antérieur.

[143]       Les experts ont convenu que la CSD est une source fiable aux fins de la démonstration des différentes formes. À mon humble avis, de simples allégations fondées sur d’autres brevets non contestés ne suffisent pas pour prouver l’existence d’autres formes de chlorhydrate de moxifloxacine. Je ne puis donc faire droit à la déclaration de M. Brittain selon laquelle il existerait au moins sept formes différentes de moxifloxacine.

[144]       Aux fins de la présente étude, je poserai qu’il existe trois formes de chlorhydrate de moxifloxacine : la forme anhydre; la forme monohydrate et la forme méthanolate-hydrate.

(5)               Éléments de la revendication

Forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine (ou monohydrate)

[145]       Les experts ont convenu que plusieurs analyses permettaient de détecter la présence du monohydrate. La combinaison des DRXP et des spectroscopies 13C-RMN, et l’analyse de la totalité du spectre, y compris les pics caractéristiques, pourraient suffire pour détecter la présence du composé chimique et de la structure cristalline particulière du monohydrate. De même, des analyses thermogravimétriques et d’autres types d’analyses pourraient être utiles à la Cour pour distinguer les formes anhydre et hydrate.

[146]       En l’espèce, les seules données d’échantillons expérimentaux produites en preuve provenaient de Bayer, à qui il incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le monohydrate était utilisé. Cette tâche a été confiée à son témoin expert, M. Matzger. M. Matzger a réalisé deux expériences. Dans la première, il a effectué seulement des analyses de DRX sur poudres. Dans la deuxième expérience, il a effectué à la fois des analyses de DRX sur poudres et des spectroscopies 13C-RMN. M. Brittain a précisé, ce qui n’a pas été contesté, que M. Matzger avait reproduit fidèlement le procédé de fabrication de l’IPA faisant litige, en réduisant l’échelle à 1/8000 et 1/4000. Aucune question litigieuse par rapport à la réduction de l’échelle n’a été examinée en profondeur, et je n’ai pas accordé d’importance à cet aspect.

[147]       MM. Brittain et Matzger ont souscrit aux conclusions de la USP, qui affirme ce qui suit dans la 29e édition de 2006 (Physical Tests / 941 X-Ray Diffraction, à la p. 2789) : [traduction« Il suffit généralement de balayer les dix réflexions les plus intenses. » De même, au moins dix des pics les plus intenses du spectre DRXP de l’échantillon expérimental devraient correspondre à ceux du spectre visé par le brevet 418. En dépit de légers désaccords quant aux exigences concernant l’intensité relative des pics, il a été convenu que la position des pics est plus importante que leur intensité.

[148]       Les experts n’étaient pas d’accord quant aux pics décelés, dont certains étaient déviés et d’autres pas. À ce sujet, je trouve les conclusions de M. Matzger moins convaincantes que celles de M. Brittain, en raison de sa plus grande expérience des analyses DRX sur poudres et de sa contribution à la rédaction du guide le plus important sur le sujet, la convention USP. Selon M. Brittain, la démonstration de l’hypothèse de M. Matzger n’est pas concluante. Premièrement, seulement [Expurgé] des pics sont déviés par [Expurgé], alors que les autres ne le sont pas; normalement, tous les pics auraient dû être déviés pour confirmer la présence du monohydrate. Deuxièmement, M. Brittain a expliqué que certains des pics détectés par M. Matzger se trouvaient à peine au-dessus de la ligne de base inclinée des pics réels à proximité. Cette configuration ne semble pas correspondre au rapport signal sur bruit de 2 ou 3 sur 1 indiqué dans l’USP.

[149]       Je remarque à cet égard que MM. Matzger et Brittain ne s’entendent pas sur la méthode de mesure du bruit aux fins du calcul du rapport signal sur bruit. Je préfère pour ma part l’explication de M. Brittain concernant la ligne de base inclinée, étant donné qu’il a réalisé des milliers d’analyses DRX sur poudres et de reconnaissance de matières au fil des ans.

[150]       Compte tenu des explications précédentes et du fait que les experts n’ont pas mené d’autres expériences, je ne puis conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le monohydrate est présent durant le procédé de fabrication de l’IPA.

Bande à 2θ = 26,7o sur les diagrammes DRXP

[151]       M. Matzger a observé un pic ou une bande (ces termes sont interchangeables) à 2θ = [Expurgé], ce qui se trouve dans la marge d’erreur de ± 0,1 à 0,2o préconisée par la USP.

[152]       M. Brittain, dans sa réplique et au cours de son contre-interrogatoire, a laissé entendre que cette erreur était généralement attribuable à une déviation qui devrait s’observer dans l’ensemble du diagramme. Plus précisément, chaque bande pertinente devrait présenter une déviation de ± 0,1 ou 0,2o dans la même orientation et de la même valeur. L’erreur est habituellement attribuable à l’appareil de lecture des échantillons. Si quelques-unes seulement des bandes sont déviées d’un nombre de degrés donné, il s’agit d’une erreur qui ne permet pas de confirmer la présence du monohydrate. Cette affirmation n’a pas été contredite.

[153]       Fait important dans l’espèce [Expurgé] des bandes en question étaient déviées de [Expurgé] alors que [Expurgé] les autres n’étaient pas déviées du tout. À noter également que les expériences de M. Matzger n’ont pas toutes donné une bande reconnaissable et caractéristique à 2θ = 26,7o, ± 0,1 ou 0,2o. De plus, la bande observée par M. Matzger était loin d’être aussi intense que le pic caractéristique du monohydrate décrit dans le brevet 418. Les experts ont convenu que la bande caractéristique à 2θ = 26,7o dont il est question dans le brevet 418 est l’un des deux pics les plus intenses. Toutefois, M. Matzger a au mieux observé un pic d’une intensité relative de moins de [Expurgé] par rapport au pic le plus intense. Dans sa réplique, M. Brittain a ajouté que la caractéristique observée par M. Matzger est à peine au‑dessus du niveau de bruit par rapport à la ligne de base inclinée qui indique un rapport signal sur bruit [Expurgé]. Il faut conclure par conséquent que le rapport signal sur bruit indiquant un pic n’était pas présent.

[154]       Je conclus que Bayer n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, la présence d’une bande caractéristique à 2θ = 26,7o sur le spectre DRXP. Même si la preuve pourrait donner raison à M. Matzger concernant la présence d’une bande caractéristique dans au moins un des échantillons, ce n’est pas suffisant pour permettre à la Cour de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la présence du monohydrate ou d’une bande caractéristique à 2θ = 26,7o dans le spectre DRXP a été établie.

Pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN

[155]       Sur ce point, je remarque qu’aucun des experts n’a considéré que le « signal » ou la caractéristique dont parle M. Matzger correspondait au « pic caractéristique » mentionné dans la revendication 1 du brevet 418, telle qu’elle est interprétée ici et dans la décision Vigamox. À cet égard, il convient de souligner que M. Matzger a parlé de « signal » plutôt que de « pic ». Dans une instance antérieure devant la Cour (dossier T-972-12), M. Matzger décrivait ainsi un pic caractéristique :

[traduction]

Malgré un certain flou quant à ce qu’on entend par pic à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN, la personne versée dans l’art qui examinerait la figure 5 du brevet 418 y observerait un pic prédominant à 168,1 ppm sur le spectre du monohydrate de CDCH – ce pic est l’un des plus intenses du spectre et facilement repérable.

[Non souligné dans l’original.]

[156]       Même s’il connaissait les exigences de la revendication 1, la description donnée par M. Matzger dans son affidavit est loin de correspondre au libellé, qui mentionne expressément un « pic caractéristique » à 168,1 ppm. Ses conclusions à l’égard de l’analyse DRX sur poudres (voir le paragraphe 84 ci-après) et de l’analyse du spectre 13C-RMN (paragraphes 85 et 86) divergent :

84. Je remarque que la revendication 1 du brevet 418 précise qu’un pic doit se former à 2θ = 26,7 ppm sur la DRXP et à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN. Lors de mes expériences, comme je l’ai expliqué précédemment, le pic à 2θ = [..Expurgé..], ce qui se situe dans une plage acceptable de 0,1o. Cet élément de la revendication est donc établi.

85. Mes expériences ont également montré que PPC produit la forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine formant un signal à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN. À mon avis, ce spectre indique la présence de la forme monohydrate du chlorhydrate de moxifloxacine.

86. Je trouve important de souligner que l’échantillon soumis à une spectroscopie 13C RMN[………………Redacted……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………].

[Non souligné dans l’original.]

[157]       En fait, Bayer a demandé à la Cour de spéculer sur la présence du pic caractéristique à 168,1 ppm [………..….Expurgé……..…..]. Si la Cour s’aventurait sur cette voie, elle irait à l’encontre du libellé explicite de la revendication 1 et de l’interprétation adoptée, selon laquelle tous les éléments sont essentiels. Je remarque d’ailleurs que l’expert de Bayer, M. Matzger, avait formulé le même argument devant le juge Phelan, qui l’a rejeté dans ces termes (Vigamox, paragraphes 216 et 217) :

216 En ce qui concerne le troisième élément, aucune donnée de 13C-RMN n’est disponible relativement au procédé de Cobalt. Les demanderesses invitent la Cour à présumer que les données indiqueraient la présence d’un pic à 168,1 ppm parce que les autres éléments essentiels ont été satisfaits, qu’aucun autre hydrate de moxifloxacine n’est connu et que Cobalt n’a pas produit de données de 13C-RMN qui contrediraient cette présomption. Cobalt estime naturellement qu’on ne peut présumer de la présence d’un tel pic.

217 La présence d’un pic à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN est un élément essentiel du brevet qui n’a pas été établi dans la preuve. Je me refuse à faire l’inférence que souhaitent les demanderesses; à l’exception du brevet 418 lui-même, rien n’appuie l’argument voulant que, si le monohydrate de moxifloxacine forme un pic à 2[Thêta] = 26,7 sur le spectre DRXP, il y aura nécessairement un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN. Aucun élément de preuve ne permet d’affirmer qu’on peut obtenir des valeurs de 13C-RMN en fonction des valeurs de DRXP. Rien dans l’art antérieur ou subséquent ne permet de conclure que, si le monohydrate forme un pic en DRXP, un pic sera nécessairement présent sur le spectre 13C-RMN. En l’absence d’une preuve corroborante, je refuse de présumer que le pic de 13C-RMN était présent.

[Non souligné dans l’original.]

[158]       La revendication 1 comporte des éléments essentiels et conjonctifs qui doivent être établis. M. Matzger fait valoir que la mauvaise résolution des données s’explique par […....Expurgé…....]. Or, aucun élément de preuve n’étaye cette hypothèse. Qui plus est, M. Brittain contredit cette hypothèse.

[159]       Je conclus que Bayer n’a pas établi que, selon la prépondérance des probabilités, le troisième élément essentiel de la revendication 1 est généré ou utilisé lors de la fabrication du nouveau médicament de Fresenius.

Conclusion concernant les éléments essentiels de la revendication 1

[160]       Au vu de la preuve relative aux éléments essentiels de la revendication, je n’ai pas le choix de conclure que Bayer n’est pas parvenue à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le monohydrate est généré lors de la fabrication de la moxifloxacine de Fresenius.

[161]       Il incombait à Bayer d’établir les trois éléments de la revendication 1, telle qu’elle est interprétée. Même si un seul des éléments n’est pas établi, je dois conclure que le brevet 418 n’est pas contrefait. Bayer n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, la présence du monohydrate, de la bande caractéristique à 2θ = 26,7o sur le spectre DRXP, ni du pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN. En conséquence, je conclus que Bayer ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver que l’allégation d’absence de contrefaçon du brevet 418 est injustifiée.

[162]       En tenant compte de ces conclusions, je vais maintenant examiner la doctrine Saccharin et son application à la présente espèce.

Doctrine Saccharin

[163]       Les droits exclusifs que confère un brevet canadien se limitent au territoire canadien. D’ordinaire, les gestes posés à l’extérieur du Canada ne peuvent donner lieu à une infraction de contrefaçon d’un brevet canadien : Robert H. Barrigar, Canadian Patent Act Annotated (2e éd.), PA-462 « Place of Infringement », 54:100; Dole Refrigerating Products Ltd v Canadian Ice Machine Co (1957), 17 Fox Pat. C. 125 (Can. Ex. Ct.), au paragraphe 8.

[164]       En règle générale, il y a contrefaçon lorsqu’une substance brevetée est produite à une étape intermédiaire de la fabrication, même si la substance intermédiaire ne subsiste pas dans le produit pharmaceutique final : Abbott Laboratories c. Canada (Santé), 2006 CAF 187, aux paragraphes 15 à 17; Abbott Laboratories c. Canada (Santé), 2007 CAF 73, au paragraphe 4; Pfizer-Atorvastatin, au paragraphe 37. Cependant, un autre critère entre en jeu si l’acte de contrefaçon est posé à l’étranger. En l’espèce, la génération alléguée de la substance intermédiaire a lieu à l’étranger.

[165]       Bayer a soutenu, à juste titre, [traduction] « que la revendication d’un produit est contrefaite même s’il est fabriqué à l’étranger », se fondant à cet égard sur les jugements Saccharin, Monsanto et Pfizer-Atorvastatin. Néanmoins, dans la décision Pfizer-Atorvastatin, la Cour a affirmé qu’« une cour doit évidemment procéder de façon prudente lorsqu’il est question de produits ou de procédés étrangers » : Pfizer-Atorvastatin, au paragraphe 88.

[166]       La Cour énonce, au paragraphe 90, de la décision Pfizer-Atorvastatin, les facteurs à prendre en compte pour déterminer s’il y a contrefaçon par suite de l’utilisation d’une substance brevetée générée lors d’une étape intermédiaire de la fabrication à l’étranger du produit final importé au Canada et de son importation elle-même :

·    L’importance du produit ou du procédé par rapport au produit final vendu au Canada. [...]

·    Si le produit final contient réellement le produit breveté en tout ou en partie. [...]

·    Le stade auquel le produit ou le procédé breveté est utilisé. [...]

·    Le nombre de fois où le produit ou le procédé breveté a été utilisé. [...]

·    Le poids de la preuve démontrant que si le produit ou le procédé était exploité ou utilisé au Canada, il y aurait contrefaçon. [...]

[167]       Pour parvenir à une conclusion de contrefaçon selon les enseignements de la doctrine Saccharin, la juge Snider a également tranché qu’« [...]il doit y avoir un lien étroit entre l’utilisation du produit ou du produit breveté [à l’étranger] et le produit vendu au Canada » : Pfizer-Atorvastatin, au paragraphe 91.

[168]       Fresenius a nié que le monohydrate était utilisé à une étape quelconque du processus de fabrication à l’étranger. M’appuyant sur la preuve, j’ai conclu dans la section qui précède que Bayer n’avait pas réussi à faire la démonstration du contraire selon la prépondérance des probabilités. Toutefois, même si la Cour faisait droit à l’ensemble de la preuve de Bayer et tirait les conclusions réclamées quant à la présence du monohydrate au cours du procédé de fabrication, une analyse selon les facteurs énoncés dans l’arrêt Saccharin mènerait à la conclusion que l’allégation de contrefaçon liée à l’utilisation ne suffirait pas pour établir qu’il y a contrefaçon par importation.

[169]       Je vais appliquer chacun des facteurs énoncés dans l’arrêt Saccharin à mes conclusions quant à la présence du monohydrate.

(1)               Quelle est l’importance du produit ou du procédé par rapport au produit final vendu au Canada?

[170]       La Cour doit déterminer si l’utilisation est accessoire, non essentielle ou pourrait facilement être remplacée. Je souligne que Bayer a reconnu que ni le produit final ni l’IPA ne renferment le monohydrate. Je remarque également que le monohydrate ne fait pas partie des substances initiales, qui [……………Expurgé…………………….].

[171]       Selon M. Brittain, [traduction] « advenant la présence d’une forme quelconque du monohydrate de chlorhydrate de moxifloxacine à une étape ou l’autre de la fabrication [à l’étranger] (tel que l’a suggéré M. Matzger), il serait présent de façon temporaire seulement et n’aurait aucune importance par rapport au produit final ». Cette affirmation de l’expert comme quoi le produit breveté n’aurait aucune importance par rapport au produit final vendu au Canada n’a pas été contredite. Par ailleurs, au vu des faits dont j’ai été saisi, l’utilisation du monohydrate pour la fabrication du nouveau médicament à l’étranger serait négligeable et purement accessoire par rapport à la moxifloxacine de Fresenius vendue au Canada.

[172]       L’avocat de Bayer est revenu à plusieurs reprises sur le fait que M. Matzger a reproduit une « étape cruciale » parmi les nombreuses que compte le procédé de fabrication de l’IPA. Je souligne que l’étape reproduite […………………… ………………………………………Expurgé……………………………………………………………………………]. Dans sa plaidoirie, Bayer a fait valoir qu’il s’agissait d’une étape « cruciale » du procédé de fabrication, et que cette exigence de la doctrine Saccharin était donc remplie. Cette affirmation de l’avocat de Bayer n’a cependant pas été corroborée devant la Cour par le témoin expert de Bayer, M. Matzger. Comme il revenait à la Cour de trancher si l’étape à laquelle le monohydrate est généré est « cruciale », il était tout à fait loisible à l’avocat de défendre la prétention de Bayer. Toutefois, il m’apparaît étrange qu’en dépit des nombreuses occasions offertes, l’expert venu prêter son concours à la Cour ne se soit pas prononcé à ce sujet. De fait, aucune preuve d’expert ne traite de l’importance de ladite étape. Même s’il me semble logique que chaque étape d’une réaction chimique s’avère « cruciale » et incontournable, la Cour aurait besoin des éclairages d’un expert pour trancher la question. Par conséquent, au vu des facteurs de l’arrêt Saccharin, si jamais du monohydrate est généré (et j’ai conclu que ce n’est pas le cas), il est impossible de conclure qu’il le serait à une « étape cruciale » de la fabrication.

[173]       Donc, je ne puis conclure que le monohydrate recèle une importance particulière par rapport au produit final vendu au Canada.

(2)               Le produit final contient-il réellement le produit breveté, en tout ou en partie?

[174]       Les parties et leurs témoins experts ont convenu que la moxifloxacine de Fresenius ne contiendra pas le monohydrate.

(3)               À quelle étape le produit ou le procédé breveté est-il utilisé?

[175]       La juge Snider a expliqué que ce facteur permet de déterminer dans quelle mesure l’utilisation d’une substance au début d’un long processus de production a lésé le breveté, le cas échéant. Les parties ne se sont pas entendues sur l’étape à laquelle le monohydrate pourrait être généré. Si j’en juge par la preuve concernant l’ensemble du procédé, le monohydrate serait utilisé, si tant est qu’il le fût, à l’étape [Expurgé]. Cette étape fait partie de la première moitié du processus de fabrication de l’IPA. M. Matzger a relevé une possibilité de contrefaçon dans une seule étape de la [Expurgé] fabrication de l’IPA. Après la fabrication de l’IPA, celle-ci est emballée, vendue et expédiée dans un autre pays, où Fresenius l’utilise comme constituant d’une solution dont la fabrication comporte plusieurs étapes supplémentaires. Pris ensemble, ces faits suggèrent que l’étape en cause se déroulerait plutôt au début qu’à la fin d’un long processus.

(4)               Combien de fois le produit ou le procédé breveté a-t-il été utilisé?

[176]       Comme il a déjà été vu, la preuve indique que le monohydrate serait utilisé ou généré une seule fois à l’intérieur d’un processus en plusieurs étapes. Bayer a soutenu que les expériences de M. Matzger ne permettaient pas d’exclure l’utilisation du monohydrate à d’autres étapes du procédé de fabrication. Bayer a demandé à la Cour de rendre une conclusion favorable quant à l’existence d’autres étapes contrefaisant le brevet. Je n’ai pas été en mesure de donner suite à cette requête pour la simple raison que je devrais aller à l’encontre d’une jurisprudence bien établie concernant les conclusions de contrefaçon en l’absence de preuves : Vigamox, au paragraphe 217; Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2015 CF 751, au paragraphe 62.

[177]       En l’absence de preuve du contraire, je conclus que le monohydrate peut être utilisé une seule fois au cours du procédé de fabrication.

(5)               Quel est le poids de la preuve démontrant que si le produit ou le procédé était exploité ou utilisé au Canada, il y aurait contrefaçon?

[178]       Le dernier facteur énoncé dans l’arrêt Saccharin a trait à la preuve concernant la contrefaçon. La juge Snider écrit ce qui suit : « À cet égard, je suis d’avis qu’on devrait accorder, lorsque la preuve est ambiguë, le bénéfice du doute à la partie qui utilise le produit ou le procédé. C’est peut-être simplement une autre façon d’exprimer le principe établi voulant qu’il incombe au titulaire du brevet de démontrer la contrefaçon » (Pfizer-Atorvastatin, au paragraphe 90).

[179]       La preuve fournie par Bayer n’établit pas que le monohydrate peut être généré ou utilisé au cours du procédé de fabrication. Il me semble important de souligner que la preuve présentée par M. Matzger indique tout au plus la présence d’un « signal », et non d’un pic caractéristique à 168,1 ppm sur le spectre 13C-RMN, tel que le requiert la revendication 1.

[180]       Et même s’il y avait eu un pic sur le spectre 13C-RMN, le restant de la preuve concernant le spectre DRXP reste mince. M. Brittain a soulevé plusieurs réserves à l’égard des constats de M. Matzger concernant le spectre DRXP. Notamment, M. Brittain a affirmé que la preuve présentée par M. Matzger ne satisfait pas à l’analyse des dix pics préconisée dans les lignes directrices de la USP sur les composés. Plus particulièrement, l’échantillon de M. Matzger ne forme pas de bande [Expurgé], alors que le brevet 418 enseigne qu’elle devrait avoir une forte intensité relative. Je souligne en outre que la bande caractéristique apparemment observée à 2θ = 26,7o est déviée [Expurgé], alors que plusieurs des autres bandes les plus intenses ne le sont pas du tout.

[181]       Ces faits renforcent les doutes soulevés précédemment et contribuent à l’ambiguïté de la preuve. Comme la charge incombait à Bayer, et en présence d’une preuve fragile concernant les éléments essentiels de la revendication, je dois trancher que l’ambiguïté joue en faveur de Fresenius.

[182]       Compte tenu de l’ensemble des facteurs, il appert que Bayer a tout au plus établi (et au bout du compte, j’ai conclu que ce n’était pas le cas) que le monohydrate était présent de manière temporaire à une étape du procédé chimique qui pourrait être qualifiée d’importante […………………Expurgé…………………………………. …………………………..…….]. En revanche, Bayer n’a pas été en mesure d’établir que le produit final contient du monohydrate; que le monohydrate est généré plus d’une fois, ni qu’il y aurait contrefaçon si le procédé de fabrication était réalisé au Canada.

[183]       Par conséquent, après avoir soupesé les facteurs du critère posé précédemment, j’estime que la preuve soumise par Bayer est trop mince pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a contrefaçon par importation. Je ne puis donc tirer une conclusion de contrefaçon par importation selon la doctrine Saccharin.

VI.             Conclusion

[184]       L’AA est vicié parce qu’il ne contient pas l’« énoncé détaillé » exigé par le Règlement sur les MB(AC). Il y a donc lieu de rendre l’ordonnance d’interdiction réclamée. N’eût été de ce manquement, j’aurais été obligé de rejeter la demande parce que Bayer n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’AA de Fresenius était injustifié.

VII.          Dépens

[185]       Les dépens devraient suivre les règles normales et, par conséquent, suivront la cause. Par conséquent, les dépens de Bayer lui seront remboursés par Fresenius. S’il y a lieu, les parties peuvent déposer, dans les 15 jours suivant la date du présent jugement, des observations écrites visant à obtenir d’autres directives concernant les dépens.

VIII.       Motifs confidentiels

[186]       Les présents motifs renferment de l’information visée par une ordonnance de confidentialité. Les parties disposeront de 30 jours pour déterminer quelles sections, s’il y a lieu, devront en être expurgées, à défaut de quoi les présents motifs seront rendus publics et versés au dossier public. Remarque : la phrase précédente faisait partie du jugement et des motifs confidentiels; les présents motifs ont été expurgés selon les instructions de la défenderesse et sont maintenant rendus publics.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  Le ministre de la Santé ne peut pas délivrer un avis de conformité à Fresenius pour son chlorhydrate de moxifloxacine injectable [moxifloxacine de Fresenius] à la suite de la requête formulée dans son avis d’allégation du 5 mai 2014, jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2 192 418.

2.                  Les dépens de Bayer relativement à la présente instance lui seront remboursés par Fresenius. S’il y a lieu, les parties peuvent déposer, dans les 15 jours suivant la date du présent jugement, des observations écrites visant à obtenir d’autres directives concernant les dépens.

3.                  Les parties disposeront de 30 jours pour déterminer quelles sections du jugement et des motifs confidentiels, s’il y a lieu, la Cour devra expurger, à défaut de quoi les présents motifs seront rendus publics et versés au dossier public. Remarque : cette partie du jugement a été incorporée aux motifs confidentiels; cependant, les parties ayant été entendues, elle est maintenant périmée (voir le paragraphe 186).

« Henry S. Brown »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1440-14

 

INTITULÉ :

BAYER INC. ET BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH c. FRESENIUS KABI CANADA LTD. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 7 au 10 mars 2016

 

JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Peter Wilcox

Mark Edward Davis

Ariel Neuer

Pour les demanderesses

BAYER INC. ET

BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH

 

Tim Gilbert

Sana Halwani

Andrew Moeser

Zarya Cynader

Pour la défenderesse

FRESENIUS KABI CANADA LTD.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

BAYER INC. ET

BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH

 

Gilbert’s LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

FRESENIUS KABI CANADA LTD.

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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