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Date : 20160921


Dossier : IMM-5681-15

Référence : 2016 CF 1072

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

RABIA TAQADEES

FIZA NADEEM

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse principale, Rabia Taqadees, et sa fille, Fiza Nadeem, âgée de 11 ans, sont toutes deux des citoyennes du Pakistan et des musulmanes chiites. Elles revendiquent une persécution en lien avec leur foi.

[2]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a déterminé que les demanderesses ne sont ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Elles ont interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR), laquelle a rejeté l’appel. Ce résultat a été annulé lors d’un précédent contrôle judiciaire dans la décision Taqadees c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 909. La SAR a par conséquent réexaminé l’appel, mais l’a une nouvelle fois rejeté. Les demanderesses sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette nouvelle décision.

[3]               Comme cela est expliqué plus en détail ci-dessous, cette demande est rejetée, car je n’ai pas conclu que la SAR avait commis des erreurs comme l’ont prétendu les demanderesses.

II.                Contexte

[4]               Mme Taqadees soutient qu’après que son époux et elles ont commencé à organiser des activités religieuses chiites à son domicile au début de 2012, elle a commencé à recevoir des menaces et des appels téléphoniques. Elle a demandé l’aide de la police, mais elle affirme ne pas avoir déposé de plainte et que les menaces sont devenues plus fréquentes. Mme Taqadees allègue avoir été par la suite attaquée par plusieurs hommes masqués qui lui ont demandé de cesser ses activités religieuses. Là encore, elle a signalé l’incident à la police, mais n’a pas déposé de plainte.

[5]               En avril 2012, les demanderesses ont déménagé chez un ami qui habitait dans une autre région, mais cet ami a commencé à recevoir des appels téléphoniques menaçants. Les demanderesses se sont alors procuré des visas pour voyager au Canada et ont quitté le Pakistan en décembre 2012. Elles ont demandé l’asile en mars 2013, ce qui a entraîné la décision de la SPR de rejeter leur demande, l’appel subséquent des demanderesses devant la SAR et la nouvelle décision de la SAR qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Les décisions de la SPR et de la SAR ont permis de constater que les demanderesses n’avaient pas établi que les agents de persécution appartenaient à un groupe extrémiste et que les demanderesses disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Karachi.

III.             Questions en litige

[6]               Les demanderesses soutiennent que la Cour doit examiner les questions suivantes :

a)                  La question de savoir si la SAR a appliqué la norme de contrôle appropriée à la décision de la SPR;

b)                  La question de savoir si la SAR s’est montrée déraisonnable en confirmant la conclusion de la SPR quant à la crédibilité et à la possibilité de refuge intérieur;

c)                  La question de savoir si la SAR a commis une erreur en appliquant un critère inapproprié à une crainte de persécution bien fondée.

IV.             Analyse

A.                La question de savoir si la SAR a appliqué la norme de contrôle appropriée à la décision de la SPR

[7]               Les demanderesses ont fait valoir à la fois : a) que la SAR avait commis une erreur en appliquant la norme de la décision raisonnable à son examen de la décision de la SPR; et b) que la SAR avait commis une erreur en procédant à une évaluation indépendante de la demande, ce qu’elle n’aurait pas dû faire sans tenir une nouvelle audience. Si, à première vue, il semble que ces positions soient incompatibles, je crois comprendre que les demanderesses font valoir que la SAR n’a pas appliqué la norme de la décision raisonnable prescrite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica] et que, dans l’application de cette norme, la SAR aurait dû être guidée par les directives énoncées dans l’arrêt Huruglica quant aux cas dans lesquels la SAR peut renvoyer une affaire à la SPR pour réexamen.

[8]               La décision de la SAR a été rendue avant que la Cour d’appel fédérale n’ait rendu sa décision dans l’arrêt Huruglica. La SAR a mentionné qu’elle suivrait les conseils donnés par le juge Phelan dans la décision Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, quant à la norme de contrôle pertinente; et qu’elle effectuerait une évaluation indépendante de la question de savoir si les demanderesses étaient des réfugiées au sens de la Convention ou des personnes à protéger, tout en respectant les conclusions de la SPR sur des questions comme la crédibilité ou d’autres questions, lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier pour tirer ses conclusions.

[9]               En faisant valoir que la SAR n’a pas appliqué la norme de la décision correcte prescrite par Huruglica, je ne comprends pas que les demanderesses soutiennent que la SAR a commis une erreur en appliquant la formulation de la norme de contrôle par le juge Phelan plutôt que l’énoncé par la Cour d’appel fédérale. Je ne crois pas non plus que ce soit une erreur de la part de la SAR (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ali, 2016 CF 709, au paragraphe 34).

[10]           Les demanderesses soutiennent plutôt que la décision de la SAR démontre qu’elle a effectivement appliqué une norme de la décision raisonnable à son examen de la décision de la SPR. Premièrement, elles font référence au langage de la décision dans laquelle la SAR conclut que l’application d’une norme de contrôle n’est pas nécessaire en l’espèce. Bien que cette déclaration soit inhabituelle de la part de la SAR, j’estime qu’elle est compréhensible une fois mise en contexte. La SAR a déclaré qu’elle pouvait confirmer la décision de la SPR en formulant ses propres conclusions sur la question de la possibilité de refuge intérieur et que l’application d’une norme de contrôle n’était pas nécessaire du fait qu’elle avait effectué sa propre évaluation de la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur en se fondant sur le dossier. Mon interprétation est que la SAR a déclaré qu’elle ne se concentrerait pas sur l’analyse effectuée par la SPR de la question de la possibilité de refuge intérieur, mais qu’elle évaluerait cette question de façon indépendante. Contrairement à la position des demanderesses, cela n’indique pas que la SAR a appliqué la norme déférentielle de la décision raisonnable. Cela indique expressément qu’elle a effectué une évaluation indépendante, comme l’exige la jurisprudence.

[11]           La deuxième observation des demanderesses relativement à la norme de contrôle repose sur la façon dont la SAR a fait valoir que la SPR n’avait pas tenu compte des directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe] données par le président en application du paragraphe 65(3) de la LIPR. Les demanderesses ont soutenu devant la SAR que la preuve objective montre que les femmes au Pakistan font l’objet de discriminations sévères et qu’elles seraient donc plus à risque en raison de leur sexe. La SAR a noté que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe font expressément référence à l’examen d’une possibilité de refuge intérieur, ce qui amène la SPR à examiner si une femme peut voyager en toute sécurité et résider dans une possibilité de refuge intérieur suggérée et à tenir compte des facteurs religieux, économiques et culturels.

[12]           La SAR a fait remarquer que la SPR n’avait pas fait explicitement référence aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, mais elle a conclu, à la lumière des motifs de la SPR, qu’elle avait tenu compte des critères énoncés dans les Directives. La SAR a conclu que la SPR avait évalué la question de savoir si les demanderesses pouvaient vivre à Karachi et qu’elle avait examiné leur capacité à pratiquer leur religion et la capacité de Mme Taqadees à trouver un emploi et à gagner sa vie.

[13]           Les demanderesses font valoir devant la Cour que l’analyse par la SAR de cette question démontre l’application de la norme de la décision raisonnable plutôt qu’une analyse indépendante portant sur les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. À mon avis, la décision de la SAR doit être examinée de façon plus générale pour déterminer si elle a appliqué la norme de contrôle appropriée et, à la suite d’une telle considération, je ne peux pas conclure que la SAR a commis une erreur. Outre sa déclaration expresse, comme il a été mentionné précédemment, qu’elle évaluerait la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur en se fondant sur le dossier, ses raisons démontrent un examen de la preuve documentaire qui fait état d’actes de violence contre les chiites et de la disponibilité d’une possibilité de refuge intérieur dans diverses régions du Pakistan. La SAR a conclu, compte tenu des conditions dans le pays, de la possibilité de refuge intérieur décelée et du profil des demanderesses, qu’elles n’avaient pas fourni suffisamment de preuve pour conclure que Karachi n’était pas une possibilité de refuge intérieur raisonnable. La décision de la SAR démontre qu’elle a non seulement déclaré qu’elle procéderait à une évaluation indépendante de la possibilité de refuge intérieur, mais qu’elle l’a effectivement fait.

[14]           Pour ce qui est de la partie de la décision de la SAR relative aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la SAR a répondu à l’argument spécifique des demanderesses selon lequel la SPR n’avait pas tenu compte de ces Directives. Par conséquent, on ne peut pas reprocher à la SAR d’avoir analysé cette question en ces termes, c’est-à-dire si la SPR a examiné les critères énoncés dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Dans le contexte plus large de la décision, je ne peux pas conclure que cela représente une erreur de la part de la SAR dans son application de la norme de contrôle.

[15]           Il faut encore examiner l’argument des demanderesses selon lequel la SAR, dans sa propre évaluation indépendante, a commis une erreur susceptible de révision en omettant d’appliquer les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Cette question est examinée ci-après et consiste à évaluer si la SAR s’est montrée déraisonnable en confirmant la conclusion de la SPR quant à la possibilité de refuge intérieur.

[16]           Comme il a été mentionné précédemment, les demanderesses ont également affirmé que la SAR avait commis une erreur en procédant à une évaluation indépendante de la demande, ce qu’elle n’aurait pas dû faire sans tenir une nouvelle audience. Je conclus que cet argument est dénué de fondement. Comme le défendeur le souligne à juste titre, le paragraphe 110(3) de la LIPR stipule que, sous réserve de certaines circonstances découlant de la présentation de nouveaux éléments de preuve, la SAR doit procéder sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier qui était devant la SPR.

[17]           Les demanderesses s’appuient sur le paragraphe 103 de l’arrêt Huruglica, dans lequel la Cour d’appel fédérale a établi que l’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Les demanderesses font remarquer que la SAR a déclaré dans sa décision qu’elle considérait que leur preuve concernant l’affiliation des agents de persécution à un groupe extrémiste était déroutante. Elles soutiennent que la SAR, après avoir conclu que la preuve était déroutante, aurait dû renvoyer la demande à la SPR. Je ne considère pas que cette partie des motifs de la SAR indique qu’elle était d’avis qu’elle ne pouvait pas prendre une décision finale quant au bien-fondé de la demande. La SAR a plutôt examiné la preuve présentée par les demanderesses et a conclu qu’elle n’établissait pas que les agents de persécution appartenaient à un groupe extrémiste.

B.                 La question de savoir si la SAR s’est montrée déraisonnable en confirmant la conclusion de la SPR quant à la crédibilité et à la possibilité de refuge intérieur

[18]           La SPR a conclu que Mme Taqadees était un piètre témoin et, en particulier, a conclu qu’elle manquait de crédibilité en ce qui concerne l’identité des agents de persécution. Malgré le fait qu’elle a déclaré craindre les extrémistes religieux et a témoigné qu’ils appartenaient à une organisation appelée Tehreek e Tahafuz e Islam, la SPR a jugé déroutant le témoignage de Mme Taqadees sur ce point et a conclu qu’elle n’avait pas établi que les agents de persécution appartenaient à une quelconque organisation.

[19]           La SAR a examiné les conclusions de la SPR concernant la preuve des prétendus agents de persécution. Elle a apprécié la preuve dans ce domaine et a conclu que la SPR n’avait pas tiré de conclusion globale au sujet de la crédibilité et qu’elle avait uniquement abordé la partie de la crédibilité qui était au centre la question déterminante de la possibilité de refuge intérieur. Elle a souligné que la SPR avait estimé que Mme Taqadees avait été peu crédible lorsqu’elle avait allégué que les agents de persécution appartenaient à une organisation extrémiste. La SPR a considéré que son témoignage sur cette question créait de la confusion, a noté l’absence de noms de groupes extrémistes dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) et a conclu que la preuve de la demanderesse concernant le nom d’un groupe semblait s’être matérialisée pendant son témoignage. La SAR a examiné la preuve et les arguments des demanderesses, mais n’a pas décelé d’erreur dans la conclusion de la SPR quant à la crédibilité. La SAR a conclu, compte tenu de la preuve confuse et de l’omission dans le formulaire FDA, que rien n’établissait que les agents de persécution appartenaient à un groupe extrémiste.

[20]           Les demanderesses font valoir que la conclusion de la SPR en matière de crédibilité n’a pas été énoncée en termes clairs et que la SAR n’est pas tenue de faire preuve de déférence à l’égard de celle-ci. Elles déclarent également que la SAR aurait dû vérifier si elle pouvait accorder une audience. J’ai rejeté cet argument dans mon analyse ci-dessus des arguments des demanderesses au sujet de la norme de contrôle et, encore une fois, je ne vois rien qui étaye la proposition selon laquelle les demanderesses avaient droit à une audience. En ce qui concerne la déférence à l’égard de la conclusion de la SPR, la SAR aurait pu faire preuve de retenue, étant donné que la conclusion touche la crédibilité. Toutefois, la décision démontre que la SAR a procédé à l’analyse de la preuve et qu’elle est parvenue à sa propre conclusion selon laquelle les demanderesses n’avaient pas établi que les agents de persécution appartenaient à un groupe extrémiste. Cette conclusion reposait sur le témoignage confus et l’omission dans le FDA de toute identification d’un groupe extrémiste et elle ne peut être qualifiée de déraisonnable.

[21]           Pour ce qui est de la viabilité de la possibilité de refuge intérieur, la SPR a d’abord examiné s’il y avait une possibilité sérieuse que les demanderesses soient persécutées à Karachi. La SPR a conclu que les demanderesses s’y trouveraient à l’abri de la persécution étant donné qu’elles n’avaient pas établi que les agents de persécution appartenaient à un groupe extrémiste ayant le projet ou la capacité organisationnelle de les rechercher à Karachi.

[22]           La SPR a ensuite examiné la question de savoir s’il serait déraisonnable que les demanderesses cherchent à se réfugier à Karachi et a tenu compte du témoignage et des arguments selon lesquels Karachi est dangereuse en général, qu’elles ne pourraient pas pratiquer ouvertement leur religion là-bas et que Mme Taqadees ne pourrait pas y trouver d’emploi. La SPR a examiné la preuve documentaire et a admis que les musulmans chiites étaient victimes de violence sectaire partout au Pakistan. Cependant, compte tenu de la taille de la population chiite, elle n’a pas conclu que ces attaques se produisaient à un rythme tel que les demanderesses ne pourraient pas trouver refuge dans la ville peuplée de Karachi. La SPR a également mentionné l’expérience de Mme Taqadees en tant qu’enseignante et n’a pas trouvé suffisamment de preuve convaincante pour conclure qu’elle ne pourrait pas y gagner sa vie. Elle a donc conclu que les demanderesses disposaient d’une possibilité de refuge intérieur viable à Karachi.

[23]           Après avoir examiné le raisonnement de la SPR et à la suite de sa propre analyse, la SAR a conclu que Karachi était une possibilité de refuge intérieur viable pour les demanderesses. Les demanderesses font valoir que les conclusions de la SAR sont déraisonnables, car la preuve documentaire décrit la violence généralisée contre les musulmans chiites, et elles soutiennent qu’il n’y a rien dans l’analyse de la SAR qui suggère que Karachi est plus sûr pour les musulmans chiites que toute autre ville au Pakistan, hormis le fait qu’il s’agit d’une grande ville. Elles soutiennent en outre que la SAR n’a pas tenu compte de la nature visible de la pratique, par Mme Taqadees, de sa foi chiite.

[24]           Le critère à deux volets applicable à la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur a récemment été exprimé dans la décision Sargsyan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 333 [Sargsyan], au paragraphe 12, comme suit :

[12]      Le critère à double volet applicable à l’analyse relative à l’existence ou non d’une PRI est le suivant :

1.   La SPR doit être persuadée, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse pour la demanderesse d’être persécutée dans la région où, selon la SPR, une PRI existe;

2.   les conditions qui prévalent dans cette région du pays sont telles qu’il serait déraisonnable pour la demanderesse d’y chercher refuge...

[25]           Après avoir déterminé le critère susmentionné, la SAR a examiné l’analyse de la PRI effectuée par la SPR et a procédé à son propre examen de la preuve documentaire. Elle a reconnu la preuve établissant la violence sectaire contre la minorité chiite au Pakistan et a tenu compte de la discussion sur la possibilité d’une possibilité de refuge intérieur contenue dans le document UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Members of Religious Minorities from Pakistan. La SAR a conclu que si ce document indique qu’il pourrait ne pas y avoir de PRI viable pour les minorités religieuses ciblées par un groupe extrémiste, cela n’excluait pas la possibilité d’une PRI viable pour des personnes telles que les demanderesses. La SAR a souligné qu’en ce qui concerne les musulmans chiites en particulier, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a affirmé qu’un accord international n’était généralement pas disponible dans certaines régions du Pakistan, mais que la réinstallation dans d’autres centres urbains comme Karachi pouvait constituer une solution de rechange viable, au cas par cas.

[26]           La SAR a alors conclu, compte tenu des conditions dans le pays, de la possibilité de refuge intérieur décelée et du profil des demanderesses, qu’elle n’avait pas obtenu suffisamment de preuves pour conclure que Karachi n’était pas une possibilité de refuge intérieur raisonnable. La SAR a déclaré, malgré le fait que le Pakistan est loin d’être parfait sur la question de l’intolérance religieuse, avoir conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demanderesses pouvaient vivre en sécurité et convenablement à Karachi. Réaffirmant que la viabilité de la réinstallation dans une possibilité de refuge intérieur variait en fonction des régions du Pakistan et que la viabilité de la réinstallation dans un centre urbain comme Karachi devait être examinée au cas par cas, la SAR a conclu que les demanderesses n’avaient produit aucune preuve montrant qu’elles appartenaient à une secte chiite notoire de sorte qu’elles seraient prises pour cible.

[27]           Je ne vois aucun motif de conclure que l’analyse effectuée par la SAR sur la question de la possibilité de refuge intérieur est déraisonnable. Elle a examiné la preuve documentaire, la possibilité de refuge intérieur proposée et les circonstances particulières des demanderesses, et a abouti à une conclusion fondée sur les éléments de preuve.

[28]           J’ai également examiné l’argument des demanderesses selon lequel la SAR a commis une erreur en omettant d’appliquer les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans son analyse de la possibilité de refuge intérieur. Dans son évaluation indépendante de la viabilité de la possibilité de refuge intérieur, la SAR ne se réfère pas expressément aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et elle ne fait pas expressément référence au sexe des demanderesses ou à la situation des femmes en général au Pakistan.

[29]           Bien que le fait de ne pas faire référence de façon significative aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ou à leurs principes puisse représenter une erreur susceptible de révision, je ne trouve pas que ce soit le cas dans la présente demande. La partie des Directives qui traite de la détermination du caractère raisonnable pour une femme d’avoir recours à une possibilité de refuge intérieur est rédigée comme suit :

C. Questions relatives à la preuve

Pour que l’allégation de crainte de persécution d’une femme du fait de son sexe soit fondée, la preuve doit établir que la revendicatrice craint véritablement d’être persécutée pour un motif de la Convention et non qu’elle fait l’objet d’une forme de violence généralisée ou qu’elle a été la cible d’un seul crime perpétré contre elle comme personne. Bien entendu, pour déterminer si c’est le cas, il faut examiner avant tout les circonstances de la revendicatrice tant en ce qui a trait à la reconnaissance générale des droits de la personne dans son pays d’origine qu’aux expériences vécues par d’autres femmes se trouvant dans une situation similaire. Pour évaluer la crédibilité de l’ensemble de la preuve de la revendicatrice et le poids qu’il faut accorder à cette preuve, il convient de tenir compte, entre autres choses, des facteurs suivants :

[...]

4.         Pour déterminer s’il existe une possibilité de refuge intérieur (PRI) raisonnable, les décideurs doivent tenir compte de la capacité de la femme, en raison de son sexe, de se rendre dans cette partie du pays en toute sécurité et d’y rester sans difficultés excessives. Pour évaluer le caractère raisonnable d’une PRI, les décideurs doivent tenir compte, entre autres, de facteurs religieux, économiques et culturels et déterminer si ceux-ci influeront sur les femmes dans la PRI et de quelle façon.

[30]           Le défendeur soutient que ces dispositions sont inapplicables parce que la demande des demanderesses ne porte pas sur la violence fondée sur le sexe. Je note que la partie susmentionnée des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe est formulée dans le cadre d’une évaluation de l’allégation de crainte de persécution d’une femme du fait de son sexe. Cependant, ni l’une ni l’autre des parties n’a invoqué de précédent quant à la mesure dans laquelle l’exigence des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, qui consiste à examiner l’incidence du sexe sur le caractère raisonnable d’une PRI, s’applique dans le contexte des allégations de persécution sans rapport avec le sexe. En l’absence d’argumentation plus approfondie sur le sujet, je ne suis pas disposé à conclure que l’obligation d’examiner la capacité des femmes, en raison de leur sexe, à se rendre en toute sécurité et à rester dans une PRI ne s’applique que dans le contexte des allégations de violence fondée sur le sexe. Lorsque la preuve soulève une inquiétude quant au caractère raisonnable d’une PRI en raison du sexe de la revendicatrice, je m’attends à ce que cette préoccupation, y compris la façon dont les facteurs religieux, économiques et culturels peuvent influer sur les femmes dans la PRI, soit prise en compte dans l’évaluation de la question de savoir s’il serait raisonnable pour la revendicatrice d’y chercher refuge.

[31]           Le problème avec le fait que les demanderesses se sont appuyées sur les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe en l’espèce est qu’elles n’ont apporté aucune preuve pertinente de leur position. Les demanderesses soutiennent que leur preuve montre que les femmes au Pakistan font l’objet de discriminations sévères et qu’elles seraient plus à risque en raison de leur sexe. Toutefois, lorsqu’elles ont été invitées à l’audition de la présente demande à indiquer sur quelle preuve elles s’appuyaient, les demanderesses ont fait référence à une preuve documentaire sur les conditions auxquelles les femmes victimes de violence familiale ou d’autres formes de violence liée au sexe sont confrontées au Pakistan. Cette preuve semble n’avoir aucun lien avec la situation des demanderesses.

[32]           J’ai conclu plus haut que la SAR a procédé à une évaluation indépendante de la viabilité de la possibilité de refuge intérieur. La SAR a également abordé la déclaration des demanderesses selon laquelle la SPR n’avait pas tenu compte des Directives. En l’absence de preuve que le sexe des demanderesses a une incidence sur le caractère raisonnable de la possibilité de refuge intérieur, je ne peux pas conclure que l’absence de référence aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, ou autrement l’absence de référence au sexe en tant que critère, dans l’évaluation indépendante effectuée par la SPR de la preuve liée à la possibilité de refuge intérieur représente une erreur qui rendrait la décision de la SAR déraisonnable.

C.                 La question de savoir si la SAR a commis une erreur en appliquant un critère inapproprié à une crainte de persécution bien fondée.

[33]           Les demanderesses soulignent qu’en tirant ses conclusions quant à la viabilité de Karachi en tant que possibilité de refuge intérieur, la SAR a déclaré avoir conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demanderesses pouvaient vivre en sécurité et convenablement à Karachi. Les demanderesses font valoir que la mention de la « prépondérance des probabilités » indique que la SAR a appliqué un critère élevé plutôt que d’exiger des demanderesses qu’elles démontrent uniquement qu’elles seraient exposées à un risque sérieux de persécution dans la possibilité de refuge intérieur.

[34]           À la lecture de la décision dans son ensemble, je ne conclus pas que la SAR a commis une erreur sur ce point. Tel qu’il a été mentionné précédemment, la SAR a correctement cité le premier volet du critère, exprimé dans la décision Sargsyan, à savoir que la SPR doit être persuadée, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse pour la demanderesse d’être persécutée dans la région où, selon la SPR, une possibilité de refuge intérieur existe. En se référant au fardeau qui incombe à un demandeur d’asile, la SAR a également correctement renvoyé à la déclaration de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [1993] A.C.F. no 1172, selon laquelle le demandeur doit uniquement prouver qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans la nouvelle région. J’interprète la référence de la SAR à la conclusion, selon la prépondérance des probabilités, que les demanderesses peuvent vivre en toute sécurité et convenablement à Karachi, qui a fait suite à l’examen des éléments de preuve par la SAR, comme une référence à la norme de preuve à appliquer à la preuve et non comme une formulation incorrecte du critère juridique à appliquer à la probabilité de persécution.

V.                Conclusion

[35]           Ayant conclu que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de révision, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5681-15

INTITULÉ :

RABIA TAQADEES ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 21 septembre 2016

COMPARUTIONS :

Sanjeev Gupta

Pour la demanderesse

Rachel Hepburn

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sanjeev Gupta

Gupta Law Firm

Woodbridge (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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