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Date : 20160915


Dossier : T-1889-15

Référence : 2016 CF 1046

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

RICHTREE MARKET RESTAURANTS INC./ RICHTREE RESTAURANTS DU MARCHE INC.

demanderesse

et

MÖVENPICK HOLDING AG

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, Richtree Market Restaurants Inc./Richtree Restaurants du Marche Inc., a interjeté appel en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13 [la « Loi »], à l’encontre d’une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce datée du 8 septembre 2015, dans laquelle un membre de la Commission avait rejeté l’opposition de Richtree à une demande d’enregistrement de marque de commerce déposée par Mövenpick Holding AG.

[2]               Devant la Commission, Richtree s’est opposée à la demande de Mövenpick pour trois motifs, à savoir que la marque proposée :

1)                  n’était pas enregistrable parce que, contrairement à l’alinéa 12(1)b) de la Loi, elle donnait une description claire de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels on projette de l’employer;

2)                  n’était pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi parce qu’elle n’était pas adaptée pour distinguer, ni capable de distinguer, les services en liaison avec lesquels Mövenpick projette d’employer la marque des autres marques de commerce, noms d’entreprise ou noms commerciaux utilisés par de nombreuses tierces parties contenant le mot « marché » ou « market » en liaison avec des services identiques ou similaires;

3)                  n’était pas enregistrable parce que, en violation de l’alinéa 12(1)c) de la Loi, elle était constituée du nom de [traduction] « services de restauration » et de [traduction] « services de restauration avec mets à emporter ».

[3]               En appel devant la Cour, toutefois, Richtree conteste seulement le rejet par la Commission du motif d’opposition fondé sur [traduction] « l’absence de caractère distinctif » aux termes de l’article 2 de la Loi.

I.                   Contexte

[4]               Richtree est une filiale en propriété exclusive de Natural Market Restaurants Corp. En mai 2005, Richtree a acheté les actifs de Richtree Markets Inc. (ancienne Richtree) après l’insolvabilité de l’ancienne Richtree. Avant son insolvabilité, l’ancienne Richtree gérait au Canada les restaurants Marché et Marcheline, des restaurants de style « marché » où les clients se servaient librement, en vertu d’accords de licence et de franchise avec Mövenpick qui, le 12 juillet 1996, a obtenu l’enregistrement de « MARCHÉ » comme marque de commerce pour l’exploitation des services de restauration.

[5]               Le 29 juillet 2008, Mövenpick a déposé une demande d’enregistrement de marque de commerce pour le motif « Marché et vague » illustré ci-dessous :

[6]               La marque de commerce proposée (la marque) est une marque composite qui comprend un mot (c.-à-d. Marché) et des éléments graphiques (c.-à-d. un rectangle surmonté d’une vague, et la composition typographique). Elle revendique également la couleur comme une caractéristique de la marque : la première vague supérieure est d’un vert pâle, le rectangle est d’un vert plus sombre, le mot marché est en blanc et la deuxième vague située sous la première vague est aussi en blanc; il y a aussi une ligne blanche sous le mot Marché. Mövenpick fondait sa demande sur l’emploi et l’enregistrement de la marque en Suisse le 12 août 2004, et son emploi projeté au Canada en liaison avec les services de restauration, les services de restauration avec des mets à emporter, la fourniture d’une assistance technique dans l’établissement et l’exploitation des franchises du restaurant.

[7]               Richtree a déposé une déclaration d’opposition à la demande de marque de Mövenpick le 9 août 2011. Sa déclaration d’opposition a ensuite été modifiée à deux reprises en octobre 2011. Mövenpick a déposé sa contre-déclaration le 21 décembre 2011.

[8]               À l’appui de sa déclaration d’opposition, Richtree a déposé les témoignages par affidavit de quatre personnes, dont :

1)                  Lynda Palmer, recherchiste des marques de commerce, qui avait fourni les résultats de ses recherches sur les marques de commerce employant les mots « market » ou « marché » en association avec l’industrie des services alimentaires;

2)                  James Meadway, enquêteur qui travaillait à l’époque pour Northwood & Associates Inc. et qui avait mené diverses recherches de restaurants, d’épiceries et d’autres entreprises au Canada dont le nom incluait le mot « market » ou « marché »; il avait aussi communiqué avec les entreprises et en avait visité certaines, et avait fourni les photographies des vitrines de certaines d’entre elles;

3)                  Robert Breton, enquêteur auprès de GW Consulting and Investigations, qui avait effectué diverses recherches pour trouver les entreprises à Montréal et à Québec dont le nom contenait le mot « Marché »; comme M. Meadway, il avait communiqué avec certaines de ces entreprises à Montréal et en avait visité certaines, et avait fourni les photographies des vitrines de certaines d’entre elles;

4)                  Yves Crépeault, autre enquêteur auprès de GW Consulting and Investigations, qui avait communiqué avec certaines des entreprises que M. Breton avait trouvées à Québec et en avait visité certaines, et avait fourni les photographies des vitrines de certaines d’entre elles.

Tous ces déposants avaient été contre-interrogés et les transcriptions des contre-interrogatoires, ainsi que les réponses aux engagements, faisaient partie du dossier soumis à la Commission.

[9]               À l’appui de sa demande, Mövenpick a déposé l’affidavit de Geng Liu, un assistant employé par l’agent de marques de commerce de Mövenpick à l’époque; cet affidavit comprenait une copie certifiée conforme d’un affidavit de M. Yves Lefebvre, un enquêteur privé, qui avait été déposé dans une autre procédure distincte devant la Cour. Mövenpick a aussi déposé une copie certifiée conforme de son enregistrement de la marque de commerce « MARCHÉ », ainsi que certains autres documents qui avaient été déposés auprès du registraire des marques de commerce dans une autre procédure d’opposition distincte entre les parties : une copie certifiée conforme de l’affidavit de Matthew Williams, le président directeur de la maison mère de Richtree, la transcription de son contre-interrogatoire ainsi que les réponses aux engagements.

[10]           Richtree et Mövenpick ont assisté à une audience devant la Commission le 29 juillet 2015 et, le 8 septembre 2015, la Commission a rejeté l’opposition de Richtree (voir : Richtree Restaurants du Marche Inc. c Mövenpick Holding AG, 2015 COMC 152 (CanLII)). Après avoir déposé son appel par voie d’avis de demande le 9 novembre 2015, Richtree a déposé un autre affidavit de M. Meadway daté du 7 décembre 2015, ainsi qu’un affidavit de Pei Heng Li daté du 9 décembre 2015. Les deux affidavits n’avaient pas été présentés à la Commission lorsque celle-ci a rendu sa décision.

II.                Décision de la Commission

[11]           Dans le cadre des présents motifs du jugement, il est nécessaire de résumer uniquement la décision de la Commission concernant le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif aux termes de l’article 2 de la Loi puisque Richtree, dans le présent appel, ne conteste pas le rejet par la Commission des motifs d’opposition en vertu des alinéas 12(1)b) et 12(1)c) de la Loi.

[12]           Après avoir examiné l’historique procédural et les éléments de preuve produits par les parties, la Commission a noté que, même s’il incombait à Mövenpick d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande était conforme aux exigences de la Loi, Richtree avait un fardeau initial de « présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition. » La Commission a également indiqué que la date pertinente pour l’évaluation du caractère distinctif d’une marque de commerce proposée est généralement acceptée comme étant la date de dépôt de l’opposition, qui était le 9 août 2011. Eu égard à la jurisprudence pertinente, la Commission a conclu que, pour qu’une marque de commerce proposée soit adaptée afin de distinguer les produits ou les services du propriétaire, elle doit avoir un caractère distinctif inhérent, et une marque de commerce possède un caractère distinctif inhérent lorsque rien en elle n’aiguille le consommateur vers une multitude de sources. Selon la Commission, la question de savoir si la marque de commerce avait un caractère distinctif était une question de fait déterminée par référence au message qu’elle transmet au consommateur ordinaire des produits ou des services en question lorsque la marque de commerce est considérée dans son intégralité en utilisant le critère de la première impression. La Commission a en outre déclaré que le caractère distinctif d’une marque composite peut être évalué à l’aide de la « forme sonore » des mots si l’élément graphique n’est pas l’élément dominant de la marque de commerce.

[13]           La Commission a conclu, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que Richtree ne s’était pas « acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait de démontrer que le terme MARCHÉ ou MARKET est un terme couramment employé par des tiers dans le commerce pour décrire les services visés par la demande ou que la Marque donne une description claire de la nature ou de la qualité de ces services ». En tirant cette conclusion, la Commission a déclaré que les éléments de preuve concernant l’utilisation des termes « Marché » ou « Market » en association avec d’autres types d’entreprises du secteur de l’alimentation, comme les supermarchés, les épiceries, les magasins d’aliments spécialisés et les dépanneurs, n’avaient aucune incidence sur la question de savoir si le terme « Marché » décrit les services de restauration, les services de restauration avec des mets à emporter ainsi que la fourniture d’une assistance technique dans l’établissement et l’exploitation des franchises du restaurant; dans l’esprit de la Commission, les entreprises précédentes offrent des services qui sont fondamentalement différents de ceux d’un restaurant.

[14]           Quant à l’allégation de Richtree selon laquelle la marque n’était pas distinctive puisqu’elle donnait une description claire de la nature et de la qualité des services visés par la demande d’enregistrement, la Commission a rejeté cette allégation pour les mêmes motifs que ceux qui l’ont amenée à conclure que la marque n’était pas descriptive, à savoir : 1) que les définitions du dictionnaire et les éléments de preuve pertinents n’étayaient pas la conclusion selon laquelle, d’après la première impression, les termes « Marché » ou « Market » décrivent la composition matérielle ou une qualité intrinsèque évidente des services de restauration, des services de restauration avec des mets à emporter, de la fourniture d’une assistance technique dans l’établissement et de l’exploitation des franchises du restaurant de Mövenpick; 2) qu’aucun des deux termes ne constituait en soi, une description claire ou manifeste des services de restauration allant au-delà du simple fait de vendre et d’acheter des produits alimentaires; 3) que la nature ou la qualité des services de restauration et des services de restauration avec des mets à emporter de Mövenpick ne donnait pas, à première vue, une description immédiatement apparente d’une marque de commerce portant le terme « Marché »; 4) que même s’il y avait certains éléments de preuve indiquant que le terme « Market » était employé dans des marques de commerce, des noms commerciaux et des noms d’entreprise de services de restaurant, il n’y avait aucune preuve évidente de la nature ou de la qualité des services de restaurant que ce mot décrivait couramment dans l’industrie.

[15]           Quant à la question de savoir si les termes « Market » ou « Marché » étaient couramment utilisés dans le commerce pour décrire des services identiques ou similaires par des tiers, la Commission a réitéré sa conclusion dans le cadre de l’analyse du caractère descriptif selon laquelle les éléments de preuve ne démontraient pas que les termes avaient été adoptés par l’industrie de la restauration pour décrire un style particulier de restaurant ou qu’ils avaient une signification couramment donnée en liaison avec des services de restauration. La Commission a en outre déclaré que la preuve tirée de l’état du registre n’illustrait pas le caractère descriptif des termes « Marché » ou « Market » en liaison avec des services de restauration et, de toute façon, que les éléments de preuve n’étaient pas pertinents parce qu’il n’y avait aucune allégation de confusion quant à l’emploi des marques de commerce comportant les termes « Market » ou « Marché ».

[16]           Même si la Commission n’a pas tenu compte des rapports des enquêteurs aux fins de son analyse de la question de savoir si la marque donnait une description claire des services, elle a examiné ces rapports dans son analyse du caractère descriptif parce qu’il n’y avait pas d’opposition et que de tels éléments de preuve avaient été rassemblés quelques mois après la date pertinente. En conséquence, la Commission était prête à accorder à ces éléments de preuve un certain poids compte tenu de la nature des résultats de recherche. La Commission a conclu que la vaste majorité des établissements visités par les enquêteurs de Richtree étaient des dépanneurs, des épiceries, des marchés publics, des supermarchés et des magasins d’aliments spécialisés; elle a en outre conclu que, même pour les entreprises catégorisées comme étant des restaurants avec des noms qui comprenaient les termes « Marché » ou « Market », il n’y avait aucune preuve que ces restaurants partageaient une nature ou une qualité généralement reconnue ou une signification communément acceptée associée aux restaurants qualifiés de « Marché » ou de « Market ». En bref, la Commission a conclu que les éléments de preuve ne démontraient pas que les termes « Marché » ou « Market » seraient perçus par le consommateur moyen des services de restauration comme autre chose qu’un identificateur de source, et le simple fait que les termes « Marché » ou « Market » apparaissaient parmi d’autres identificateurs de source ne rendait pas la marque incapable de fonctionner comme un identificateur de source pour les services de Mövenpick.

III.             Questions en litige

[17]           Les principales questions à aborder dans le cadre de cet appel sont les suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant l’opposition à la marque fondée sur l’absence de caractère distinctif?

IV.             Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

[18]           Bien qu’un appel interjeté en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi soit entendu de bien des manières comme une demande de contrôle judiciaire, le paragraphe 56(5) de la Loi prévoit que dans le cadre d’un tel appel, « il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi ». La Cour d’appel fédérale a conclu que le paragraphe 56(5) permet à une partie de produire une preuve en appel même si elle n’avait soumis aucun élément de preuve devant la Commission (voir : Fondation Canadienne des Tumeurs Cérébrales c. Fondation Starlight, 2001 CAF 36, paragraphes 3 à 6, 11 CPR (4th) 172). Dans cette affaire, Richtree a déposé un autre affidavit de M. Meadway daté du 7 décembre 2015, ainsi qu’un affidavit de Pei Heng Li daté du 9 décembre 2015. En conséquence, ces affidavits doivent être pris en compte par la Cour dans le cadre du présent appel. De plus, la nature de la preuve offerte par ces affidavits dicte la norme appropriée de contrôle de la décision de la Commission.

[19]           Avant d’évaluer la preuve offerte par ces nouveaux affidavits, il convient de noter qu’un appel en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi n’est pas un procès de novo au sens strict, étant donné que les documents présentés à la Commission et les conclusions tirées doivent également être examinés en plus d’éventuels éléments de preuve nouveaux présentés par les parties (voir Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, aux paragraphes 46 et 47, 5 CPR (4th) 180 (CA) [Molson]). Comme l’a déclaré le juge Rothstein dans la décision Molson :

51        Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

[20]           La Cour suprême du Canada a reconnu que l’approche de la Cour fédérale dans la décision Molson est conforme à son approche dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, paragraphe 41, [2006] 1 RCS 772. Cette approche en matière d’appel en vertu du paragraphe 56(1) lorsque de nouveaux éléments de preuve ont été déposés doit être suivie par la Cour et par la Cour d’appel fédérale à la suite de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], (voir p. ex., Saint Honore Cake Shop Limited c. Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12, paragraphe 18, 132 C.P.R. (4th) 258; Iwasaki Electric Co. Ltd. c. Hortilux Schreder B.V., 2012 CAF 321, paragraphe 2, 442 NR 310; et Papiers Scott Limitée c. Georgia-Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478, paragraphes 42 à 44, 83 C.P.R. (4th) 273).

[21]           La question est donc de savoir si de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été portés à l’attention de la Commission auraient influencé sensiblement ses conclusions de fait ou la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire : si tel est le cas, la Cour doit parvenir à sa propre conclusion quant au bien-fondé de la décision de la Commission concernant la question à laquelle la preuve additionnelle se rapporte; mais dans le cas contraire, la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est la norme de la décision raisonnable (voir : Ron Matusalem & Matusa of Florida Inc. c. Havana Club Holding Inc., S.A., 2010 CF 786, paragraphe 4, 86 C.P.R. (4th) 437, conf. par 2011 CAF 244, [2011] A.C.F. no 1285).

[22]           Le critère à appliquer pour déterminer si ces nouveaux éléments de preuve auraient influencé sensiblement les conclusions de fait de la Commission ou la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire a été énoncé dans l’arrêt Gemological Institute of America c. Gemology Headquarters International, 2014 CF 1153, 127 C.P.R. (4th) 163 :

[25]      Afin de déterminer si les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence prédominante sur la décision de la Commission, la Cour doit examiner la nature et la qualité des éléments de preuve en prenant en compte leur importance, leur valeur probante et leur fiabilité (Bojangles’ International LLC et al c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657, 293 FTR 234 [Bojangles], au paragraphe 10; CEG, précitée, aux paragraphes16 et 20). Il s’agit d’un critère de qualité et non de quantité (London Drugs, précitée, au paragraphe 35; Bojangles, précitée, au paragraphe 15; Hawke & Company Outfitters LLC c Retail Royalty Co, 2012 CF 1539, 424 FTR 164 [Hawke], au paragraphe 31); les nouveaux éléments probants ne peuvent être simplement une répétition ou un complément des documents déjà présentés à la Commission. Ils doivent plutôt ajouter un élément important et améliorer le bien-fondé des documents déjà présentés (Telus Corp c Orange Personal Communications Services Ltd, 2005 CF 590, 273 FTR 228, au paragraphe 33; Rothmans, Benson & Hedges, Inc c Imperial Tobacco Products Ltd, 2014 CF 300, 239 ACWS (3d) 473, au paragraphe 34, citant Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707, 139 ACWS (3d) 93, au paragraphe 27; [autres renvois omis].

[23]           En outre, comme la Cour l’a signalé dans Eclectic Edge Inc c. Gildan Apparel (Canada) LP, 2015 CF 1332, 138 CPR (4th) 289 :

[45]      Même si la nouvelle preuve doit être telle qu’elle aurait eu un effet sur la décision du registraire, cela ne signifie pas nécessairement qu’elle aurait modifié sa conclusion finale (Worldwide Diamond Trademarks Limited c Canadian Jewellers Association, 2010 CF 309 [Canadian Jewellers], au paragraphe 40). En d’autres termes, la Cour peut en arriver à la même conclusion que la Commission, même en présence des nouveaux éléments de preuve.

[46]      Les nouveaux éléments de preuve seront habituellement considérés comme des éléments suffisamment importants lorsqu’ils apportent un éclairage nouveau sur le dossier ou qu’ils vont bien au-delà de la preuve dont disposait le registraire. Avant de pouvoir décider si elle doit reprendre l’examen de l’affaire depuis le début ou se contenter de vérifier si la décision de la commissaire est raisonnable, la Cour doit d’abord examiner les nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés dans le cadre de l’appel (décision Farleyco, au paragraphe 87).

[24]           En termes généraux, l’autre affidavit de M. Meadway contient des témoignages sous serment et des photographies de diverses entreprises dont le nom contient les mots « Market » ou « Marché », alors que celui de Pei Heng Li contient la preuve de nombreux enregistrements de noms d’entreprises et des rapports de profil d’entreprise concernant diverses entreprises situées en Ontario et dont le nom contient l’un ou l’autre de ces mots, ou les deux. En particulier, le nouvel affidavit de Meadway contient, en grande partie, le même type d’éléments de preuve que ceux contenus dans son affidavit de 2012, malgré quelques détails supplémentaires découlant de ses communications avec les mêmes entreprises trouvées en 2012 et des visites à certaines d’entre elles. Par exemple, au paragraphe 25 de son premier affidavit, M. Meadway décrit une visite au Little Polish Market, et au paragraphe 21 de son second affidavit, il décrit de façon plus détaillée une seconde visite plus récente au Little Polish Market et sa discussion avec un employé travaillant là-bas. Le second affidavit de M. Meadway contient aussi certains détails sur les services et les produits offerts et vendus par les supermarchés, les épiceries, les dépanneurs et les magasins d’aliments spécialisés dont le nom contient les mots « Marché » ou « Market », alors que son premier affidavit contenait plutôt une liste ou un résumé de ses recherches d’entreprises dont le nom contenait les mots « Market » ou « Marché », et mentionnait seulement quelques visites à ces entreprises ou certaines communications avec ces entreprises. Quant au nouvel affidavit de Pei Heng Li, il confirme principalement les éléments du second affidavit de M. Meadway en fournissant les recherches sur les dénominations sociales et les noms de commerce ainsi que la recherche de marque de commerce visant les entreprises jointes et visitées par M. Meadway en novembre et en décembre 2015.

[25]           Selon Richtree, les nouveaux éléments de preuve montrent que diverses entreprises du domaine de l’alimentation comme des supermarchés, des dépanneurs, des épiceries, des magasins d’aliments spécialisés emploient couramment « Market » ou « Marché » à l’égard de la prestation des services de restauration, contrairement à la conclusion de la Commission selon laquelle les services offerts par de telles entreprises sont fondamentalement différents de ceux offerts par les restaurants. Richtree prétend que ces nouveaux éléments de preuve auraient influencé sensiblement la décision de la Commission concernant le motif d’opposition fondé sur « l’absence de caractère distinctif » aux termes de l’article 2 de la Loi et que, par conséquent, la Cour doit réévaluer ce motif d’opposition dans une analyse de novo. Indépendamment de la norme de contrôle qui devait être appliquée par la Cour, Richtree prétend également que la décision de la Commission n’était ni correcte ni raisonnable et qu’elle devrait être infirmée.

[26]           Pour sa part, Mövenpick affirme que ce nouvel élément de preuve n’aurait pas influé de manière importante sur les conclusions de la Commission ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire parce qu’elle n’ajoute rien d’important qui aurait eu un effet important ou concret sur les conclusions de la Commission. Mövenpick affirme que le nouvel élément de preuve n’amène pas un éclairage différent sur le dossier qui était devant la Commission et indique également que les nouveaux éléments de preuve ont été préparés en novembre et en décembre 2015, soit plus de quatre ans après la date pertinente pour l’évaluation du caractère distinctif de la marque. Quoi qu’il en soit, Mövenpick prétend que la décision de la Commission était non seulement raisonnable, mais aussi correcte.

[27]           En l’espèce, après avoir soigneusement examiné les nouveaux éléments de preuve, je ne puis conclure qu’ils auraient influencé sensiblement les conclusions de fait de la Commission ou la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire relativement au motif d’opposition fondé sur « l’absence de caractère distinctif ». Pour l’essentiel, les nouveaux éléments de preuve reprennent ou complètent simplement les éléments qui avaient été présentés à la Commission. Les nouveaux éléments de preuve n’améliorent pas le bien-fondé des éléments de preuve qui avaient été présentés à la Commission, n’ajoutent aucun élément important au dossier présenté à la Commission et n’amènent pas un nouvel éclairage sur le dossier.

[28]           Le deuxième affidavit de M. Meadway fournit certains éléments de preuve indiquant que les restaurants de style « marché » ou « market » sont un type précis de restaurants où les repas sont préparés à différents comptoirs alimentaires où les clients passent leur commande; l’affidavit fournit aussi des renseignements indiquant que certaines des entreprises indiquées dans le premier affidavit de M. Meadway permettent aux consommateurs de se présenter à un comptoir pour commander des repas. Cependant, le second affidavit de M. Meadway ne montre pas de manière claire et convaincante qu’il y a un restaurant de style « marché » ou « market » reconnu ou établi où, comme dans un marché, il y a plusieurs comptoirs et les consommateurs vont de l’un à l’autre pour prendre divers aliments sans service de table. Plus précisément, le second affidavit de M. Meadway n’établit pas que ce sont les comptoirs et les aliments préparés qui font de ces établissements, trouvés dans les dépanneurs, épiceries, magasins d’aliments spécialisés et supermarchés, un restaurant de style « marché » ou « market ». De plus, ces éléments de preuve ne sapent pas la décision et la conclusion de la Commission selon lesquelles les services alimentaires offerts dans des endroits comme les supermarchés, les épiceries, les dépanneurs et les magasins d’aliments spécialisés sont fondamentalement différents de ceux offerts par les restaurants.

[29]           En conséquence, la norme de contrôle qui doit être appliquée en l’espèce concernant le rejet par la Commission du motif d’opposition fondé sur « l’absence de caractère distinctif » est la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, la Cour doit déterminer si la décision de la Commission est justifiable, transparente et intelligible, et le rôle de la Cour, comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Monster Cable Products, Inc. c. Monster Daddy, LLC, 2013 CAF 137, au paragraphe 7, 445 NR 379 (citant Dunsmuir, au paragraphe 47), « se limite à déterminer si, compte tenu du dossier de la preuve dont il dispose, la décision du registraire appartient aux “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” […] ».

B.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant l’opposition à la marque fondée sur l’absence de caractère distinctif?

[30]           Richtree soutient que la décision de la Commission était déraisonnable parce que la preuve de multiples restaurants dont le nom contenait les mots « marché » ou « market » signifie que la marque ne pouvait raisonnablement être considérée comme étant distinctive. Selon Richtree, la Commission a négligé de souligner que le caractère distinctif exige qu’une marque soit capable d’indiquer une source de services unique, et que plusieurs marques de commerce utilisant le même mot comme élément de la marque ne peuvent pas être une source unique. Richtree soutient que la Commission a mal interprété les éléments de preuve relatifs à l’état du registre et a mal interprété et appliqué le critère permettant de déterminer le caractère distinctif aux termes de l’article 2 de la Loi en le confondant avec les critères servant à évaluer si une marque donne une description claire et pourrait causer une confusion.

[31]           Mövenpick soutient que la décision de la Commission n’est pas seulement raisonnable, mais aussi correcte et que, par conséquent, elle ne devrait pas être modifiée. Mövenpick prétend que l’argument de Richtree selon lequel la marque est dépourvue de caractère distinctif, puisque les noms et les marques de commerce comprenant le mot « market » ou « marché » sont couramment utilisés par les entreprises de services alimentaires, est réfutable parce que la marque doit être considérée dans son intégralité et, de plus, il a déjà été conclu que la marque nominale existante MARCHÉ de Mövenpick possédait un « un certain caractère distinctif lorsqu’elle était utilisée en liaison avec l’“exploitation de restaurants” » (voir Mövenpick Holding AG c. Exxon Mobil Corporation, 2011 CF 1397, au paragraphe 43, 98 CPR (4th) 334).

[32]           En évaluant le caractère raisonnable de la décision de la Commission de rejeter le motif d’opposition fondé sur « l’absence de caractère distinctif », il convient de commencer par examiner la définition de « distinctive » contenue à l’article 2 de la Loi : « Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. » Il convient également de se rappeler que la décision de la Commission n’est pas celle qui a déterminé si Mövenpick avait, selon la prépondérance des probabilités, établi que la marque était distinctive au sens de la Loi. Au contraire, la décision de la Commission était principalement axée sur la question de savoir si Richtree s’était déchargée de son fardeau initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun de ses motifs d’opposition.

[33]           La question de savoir si la marque de commerce avait un caractère distinctif était une question de fait déterminée par référence au message qu’il transmet au consommateur ordinaire des produits ou des services en question lorsque la marque de commerce est considérée dans son intégralité en utilisant le critère de la première impression (voir Philip Morris Products S.A. c. Imperial Tobacco Canada Limited, 2014 CF 1237, au paragraphe 66, 129 CPR (4th) 309). En l’espèce, même s’il est possible que le mot « Marché » ne soit pas en lui-même immédiatement et intrinsèquement distinct, la décision de la Commission qui a conclu que Richtree n’avait pas démontré que le terme était dépourvu de caractère distinctif était raisonnable. La Commission a de toute évidence examiné les arguments avancés par Richtree, mais n’a pas été convaincue qu’elle s’était déchargée de son fardeau initial de démontrer que « marché » ou « market » est « un terme couramment employé par des tiers dans le commerce pour décrire les services visés par la demande ». Même si la Commission a conclu qu’il existait de nombreuses entreprises employant dont le nom contenait les mots « market » ou « marché » et que l’élément nominal était la partie dominante de la marque, elle a aussi conclu que la plupart de ces entreprises n’étaient pas des restaurants. Il était loisible et raisonnable pour la Commission de conclure que la preuve produite par Richtree n’était pas suffisante pour démontrer que la marque, composée de la partie nominale dominante et des éléments graphiques, était dépourvue de caractère distinctif de sorte qu’elle ne pouvait pas fonctionner comme identificateur de source pour les services de Mövenpick. Même si la Commission a occasionnellement intercalé son analyse du caractère distinctif avec certains aspects de son analyse du caractère descriptif, cela ne rend pas sa décision déraisonnable quand on l’examine comme un « tout » (voir : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, [2013] 2 RCS 458).

[34]           En somme, je trouve que la décision rendue par la Commission est justifiable, transparente et intelligible, en plus d’appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

V.                Conclusion

[35]           Pour les motifs énoncés précédemment, la demande d’appel de Richtree aux termes de l’article 56 de la Loi est rejetée.

[36]           Mövenpick a demandé ses dépens. Puisque l’appel a été rejeté, les dépens auxquels Mövenpick a droit lui seront remboursés en fonction du montant convenu par les parties. Si les parties sont incapables de convenir du montant de ces dépens dans un délai de 15 jours suivant la date du présent jugement, Mövenpick sera, dès lors, libre de demander une taxation des dépens en conformité avec les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : l’appel de la demanderesse aux termes de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce est rejeté; les dépens auxquels la défenderesse a droit lui seront remboursés en fonction du montant convenu par les parties; toutefois, si les parties sont incapables de convenir du montant de ces dépens dans un délai de 15 jours suivant la date du présent jugement, la défenderesse sera, dès lors, libre de demander une taxation des dépens par un officier taxateur, en conformité avec les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

« Keith M. Boswell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1889-15

 

INTITULÉ :

RICHTREE MARKET RESTAURANTS INC./ RICHTREE RESTAURANTS DU MARCHE INC. c. MÖVENPICK HOLDING AG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Henry Lue

Thomas Kurys

 

Pour la demanderesse

 

Mark L. Robbins

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dimock Stratton LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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