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Date : 20160906


Dossier : IMM-935-16

Référence : 2016 CF 1005

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2016

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

HARBIR KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Mme Harbir demande un contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas qui a refusé sa demande de résidence permanente sous la Catégorie de l’expérience canadienne (CEC). L’agent des visas a jugé qu’une partie de son expérience de travail au Canada ne correspondait pas à la catégorie sous laquelle elle a soumis sa demande. En conséquence, comme elle travaillait au Canada sans le permis de travail approprié, elle a reçu un avis d’interdiction de séjour et elle a quitté de plein gré le Canada.

II.                Contexte

[2]               La demanderesse, une citoyenne de l’Inde, pratique la religion sikhe. Elle a eu le statut de résidente temporaire au Canada du 20 octobre 2011 au 15 avril 2013. Elle a demandé des prolongations de son visa de visiteur en février 2013 et en avril 2013 qu’on les lui a refusées, car il a été établi qu’elle travaillait comme « enseignante religieuse » au Satnam Education Society of British Columbia (Satnam) sans détenir le permis de travail approprié. Ayant été rapportée en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), elle a reçu un avis d’interdiction de séjour le 2 décembre 2013 et elle a quitté de plein gré le Canada un mois plus tard.

[3]               Elle a éventuellement soumis une demande de résidence permanente sous la CEC sous « Autre personnel relié à la religion », profession qui figure dans la Classification nationale des professions (CNP) sous le code 4217. Dans sa demande, elle déclare qu’au cours de la période visée de trois ans qui a précédé sa demande, elle a officié comme travailleuse appartenant à un ordre religieux au Canada pendant deux périodes d’emploi distinctes : i) Sri Guru Singh Sabha du 20 octobre 2011 au 10 mars 2012 (soit environ cinq mois), et ii) Satnam du 15 mars 2012 au 2 décembre 2013 (soit environ 21 mois). Elle inclut également une lettre d’emploi émise par Satnam, datée du 12 décembre 2013, dans laquelle ses tâches sont énumérées.

[4]               Dans son examen du dossier, l’agent des visas inclut la période de cinq mois pendant laquelle l’emploi de la demanderesse au Sri Guru Singh Sabha était compris dans la période de travail sans permis en vertu du paragraphe 186(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) [Règlement]. Toutefois, tout comme les autres agents qui avaient examiné ses demandes de prolongation de son visa temporaire, il a émis des réserves au moment de déterminer si son travail à Satnam constituait une période de travail sans permis.

[5]               L’agent des visas a envoyé une lettre relative à l’équité procédurale dans laquelle il exprimait ses réserves concernant le fait que la demanderesse avait été « enseignante religieuse » au Satnam entre le 1er septembre 2012 et la date de son départ du Canada. Il mentionne dans cette lettre que i) Satnam est une organisation caritative enregistrée sous la catégorie des établissements d’enseignement/institutions d’apprentissage qui exploite des écoles à Vancouver et à Surrey et qui offre des services préscolaires et de soins de jour à Surrey, en Colombie-Britannique; ii) le ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique reconnaît les écoles Satnam comme des établissements d’enseignement religieux, en plus du programme d’études régulier de la province; iii) la demanderesse est titulaire d’un brevet d’enseignement délivré par ce ministère.

[6]               Dans sa lettre de réponse, l’avocat que la demanderesse avait retenu à ce moment a déclaré que celle-ci avait en fait travaillé comme « enseignante religieuse » au Satnam depuis le 1er septembre 2012, mais qu’elle avait également officié comme « prédicatrice » d’octobre 2011 à novembre 2013, ce qui dépassait la période minimale de douze mois requise pour une demande sous la Catégorie de l’expérience canadienne (CEC).

III.             La décision contestée

[7]               Dans sa décision, l’agent des visas a refusé la demande de visa de résidence permanente sous la Catégorie de l’expérience canadienne (CEC), estimant que la demanderesse ne satisfaisait pas à l’exigence en matière d’expérience : elle n’avait pas accumulé les douze mois d’expérience de travail qualifié à plein temps dans l’une ou plusieurs des professions 0, A ou B énumérées dans la Classification nationale des professions (CNP) au cours des trois années précédant sa demande. L’agent mentionne que la demanderesse a confirmé qu’elle était « enseignante religieuse » à plein temps au Satnam depuis le 1er septembre 2012 et qu’elle détenait un d’un brevet d’enseignement délivré par le ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique. Par conséquent, son emploi n’était pas compris dans la période de travail sans permis en vertu du paragraphe 186(1) du Règlement; cette exemption s’applique uniquement à une personne dont les principales tâches consistent à prêcher une doctrine, à occuper des fonctions liturgiques et à donner des conseils d’ordre spirituel, en tant que ministre ordonné, personne laïque ou un membre d’un ordre religieux.

[8]               Comme les tâches énumérées par la demanderesse dans sa demande avant le 1er septembre 2012 étaient identiques à celles qu’elle accomplissait après cette date, l’agent a conclu qu’elle avait rempli des fonctions d’enseignante religieuse pendant toute la durée de son emploi à Satnam, ce qui signifie que son travail n’était pas autorisé tout au long de cette période. Cette conclusion a déclenché l’application du paragraphe 87.1(3)b) du Règlement, lequel empêche l’inclusion de toute période de travail non autorisé dans le calcul d’une période d’expérience de travail.

[9]               Les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), lesquelles font partie de la décision, incluent les examens des agents précédents du dossier de la demanderesse. L’un de ces examens inclut l’évaluation par un agent précédent de la lettre d’emploi de la demanderesse émise par Satnam, laquelle confirme qu’elle avait travaillé comme adjointe au dirigeant religieux principal entre le 15 mars 2012 et le 2 décembre 2013. Cependant, comme dans la lettre les tâches énumérées revêtaient la forme masculine, l’agent précédent avait conclu que l’énumération des tâches avait été copiée et collée à partir d’une autre lettre et que, en conséquence, elle n’avait pas été rédigée spécifiquement pour la demanderesse. C’est pourquoi cet agent avait accordé peu de poids à cette lettre. Les notes du SMGC indiquent également la conclusion de l’agent précédent voulant que la demanderesse occupait un poste d’enseignante religieuse sans autorisation – plutôt que celui de prédicatrice – depuis le 1er septembre 2012.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[10]           À mon avis, les questions ci-après sont déterminantes dans la présente instance :

A.                Question préliminaire L’affidavit de la demanderesse était-il inapproprié?

B.                 Est-ce que l’agent des visas a commis une erreur en refusant la demande de résidence permanente de la demanderesse?

[11]           La demanderesse ne conteste pas la norme de contrôle, mais cinq des questions qu’elle soulève allèguent un manquement à l’équité procédurale.

[12]           Je suis d’accord avec le défendeur qu’au moment de soulever ses questions, la demanderesse a confondu l’obligation d’équité procédurale avec la norme de la décision raisonnable (Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1512, aux paragraphes 40 et 41).

[13]           Le défendeur soutient que la seule question susceptible de mettre en cause l’équité procédurale porte sur l’obligation pour l’agent de communiquer avec Satnam pour obtenir des précisions; je partage l’avis du défendeur voulant que l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont astreints les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du registre (Ansari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 849, au paragraphe 23). Les réserves de l’agent des visas concernant la lettre d’emploi portaient sur le caractère suffisant de la preuve et non sur la crédibilité; par conséquent, il n’était pas tenu de communiquer avec Satnam – ou même avec la demanderesse (Ansari, ci-dessus aux paragraphes 13, 14 et 36; Bighashi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1110, aux paragraphes 13 et 14; Kamchibekov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1411, au paragraphe 26). Dans son affidavit, l’agent déclare : [traduction] « J’ai accordé un poids important à cette lettre, mais je ne l’ai pas examinée séparément des autres documents, de l’historique du SSOBL et de l’analyse. »  Par conséquent, il ne s’est pas demandé si elle accomplissait ou non les tâches décrites dans la lettre; au contraire, il a conclu, en s’appuyant sur tous les éléments de preuve dont il disposait, que les tâches de la demanderesse ne correspondaient pas à la description de travail d’une « travailleuse appartenant à un ordre religieux ». Il convient également de noter qu’un agent précédent avait donné à la demanderesse la possibilité de donner suite à ses « graves préoccupations » concernant sa demande dans la lettre relative à l’équité procédurale datée du 27 avril 2015, et que celle-ci avait répondu par l’intermédiaire de son avocat le 12 mai 2015.

[14]           Par conséquent, la norme de contrôle applicable à l’évaluation de la preuve par l’agent et à l’interprétation de sa loi constitutive est la norme du caractère raisonnable (Parssian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 304, aux paragraphes 17, 18 et 21; Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 302, aux paragraphes 9 et 10; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et  54).

V.                Analyse

A.                Question préliminaire L’affidavit de la demanderesse était-il inapproprié?

[15]           Je suis d’accord avec le défendeur que des parties de l’affidavit de la demanderesse sont de nature argumentative, contrairement au paragraphe 12(1) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, (DORS/93-22). Je reconnais également que l’affidavit contient des éléments de preuve par ouï-dire inadmissibles sans explication de la raison pour laquelle l’information ne pouvait pas faire l’objet d’une assermentation. Cependant, plutôt que de radier l’affidavit, je préfère n’y accorder aucune considération et passer au bien-fondé de la présente demande (Samuel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 223, au paragraphe 21; Montoya Martinez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 13, au paragraphe 57; Ziaei c. (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1169, aux paragraphes 13 à 15; Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, au paragraphe 10).

B.                 Est-ce que l’agent des visas a commis une erreur en refusant la demande de résidence permanente de la demanderesse?

[16]           Je suis d’avis que la décision de l’agent des visas était raisonnable. Il existe une présomption selon laquelle le décideur est présumé avoir tenu compte de toute la preuve devant lui (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (FCA), au paragraphe 1; Herrera Andrade c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490, au paragraphe 11). Je ne peux accepter l’argument de la demanderesse voulant que l’agent des visas ignorait le contenu de la lettre d’emploi de Satnam. Même si je mets de côté les déclarations de l’agent dans son affidavit, la demanderesse n’a pas réfuté la présomption voulant que l’agent ait pris en considération tous les éléments de preuve. Au fait, l’agent a pris en considération les tâches de la demanderesse au Satnam puisqu’il a conclu que celles-ci étaient les mêmes avant le 1er septembre 2012 qu’après cette date; cela signifie qu’elle travaillait comme « enseignante religieuse » sans autorisation depuis son entrée en service à cet établissement.

[17]           Comme je conclus que l’agent a pris en considération tous les éléments de preuve qui lui avaient été soumis, je suis d’accord avec le défendeur que l’agent des visas pouvait tenir compte des conclusions des agents précédents concernant les demandes soumises par la demanderesse en vue d’obtenir des prolongations de son visa temporaire et qu’il n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en le faisant (Jie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 158 FTR 253, [1998] ACF no 1733 (FCTD), au paragraphe 7; Xin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 194, au paragraphe 20). En fait, les notes dans le SMGC indiquent qu’un agent précédent avait accordé peu de poids à la lettre d’emploi de Satnam, alors que l’agent aux présentes déclare y en avoir accordé beaucoup et affirme qu’il l’a examinée dans le contexte des autres éléments de preuve.

[18]           En ce qui concerne la distinction que l’agent a faite entre les expressions « travailleuse appartenant à un ordre religieux » et « travailleuse en enseignement religieux », je suis d’accord avec le défendeur que cela était important. Cela représentait la différence entre la possibilité pour la demanderesse d’être visée par l’exemption prévue au paragraphe 186(1) du Règlement ou de travailler sans autorisation, c’est-à-dire sans le permis de travail requis. La demanderesse ne m’a pas convaincue que cette distinction est arbitraire ou artificielle.

[19]           La demanderesse a présenté sa demande dans la catégorie « Autre personnel relié à la religion » (CNP 4217), ce qui peut donner droit à une exemption en vertu du paragraphe 186(1) du Règlement si la personne agit...à titre de personne chargée d’aider une communauté ou un groupe à atteindre ses objectifs spirituels et dont les fonctions consistent principalement à prêcher une doctrine, à exercer des fonctions relatives aux rencontres de cette communauté ou de ce groupe ou à donner des conseils d’ordre spirituel. Il lui incombait de démontrer que son travail était, en fait, celui d’une « travailleuse en enseignement religieux » et d’anticiper les inférences contraires pouvant découler de son témoignage Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526, au paragraphe 52. Toutefois, elle n’a pas convaincu l’agent sur ce point, puisque la preuve offerte l’avait amené à conclure qu’elle était une « enseignante religieuse » (CNP 4032 – enseignantes aux niveaux primaire et préscolaire et CNP 4031 – enseignantes au niveau secondaire). Cet élément de preuve incluait son brevet d’enseignement, la liste de ses tâches à Satnam, ainsi que la description de Satnam, à savoir une entreprise qui exploite des écoles où l’on enseigne la religion et le programme d’études régulier de la province et où l’on offre services préscolaires et des soins de jour.

[20]           Non seulement l’évaluation par l’agent des visas de la preuve offerte était-elle raisonnable, mais son interprétation de sa loi constitutive l’était également. Essentiellement, l’agent a déterminé que les tâches de la demanderesse à Satnam dépassaient les tâches énumérées dans l’exemption en vertu du paragraphe 186(1) du Règlement. En conséquence, il a conclu qu’elle avait toujours occupé un poste d’enseignante religieuse à Satnam, poste qui était classé sous les codes 4031 ou 4032 dans la CNP. Dans Duraisami c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1008, au paragraphe 19, notre Cour a maintenu « qu’[i]l y a des limites rationnelles fondées sur des faits particuliers quant à la portée de cette disposition. Ce ne sont pas toutes les personnes qui aident dans un lieu de culte (placiers, chanteurs ou personnes enseignant la religion aux enfants) en soi, qui peuvent invoquer l’alinéa 186l). » Je souscris à cette position.

VI.             Conclusion

[21]           Pour les motifs établis ci-dessus, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

3.      Aucuns dépens ne sont accordés.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-935-16

INTITULÉ :

HARBIR KAUR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 6 septembre 2016

COMPARUTIONS :

Mir Huculak

Pour la demanderesse

Courtenay Landsiedel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mir Huculak

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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