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Date : 20160830


Dossier : T-769-12

Référence : 2016 CF 988

Ottawa (Ontario), le 30 août 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

ÉRIC MANFOUMBIMOUITY

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               M. Manfoumbimouity [le demandeur] aura lancé de nombreux recours devant cette Cour. Cette fois, il s’agit d’une demande en contrôle judicaire d’une décision rendue par la Commission des droits de la personne [la Commission] qui a conclu que la plainte présentée par le demandeur est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, aux termes de l’article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H-6 [la Loi]. Selon la Commission, le sujet de la plainte déposée auprès d’elle a déjà fait l’objet d’adjudication ailleurs.

[2]               Il en est résulté que la Commission n’a pas statué sur la plainte. Le demandeur s’adresse donc à cette Cour en contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7. Comme on le verra, ce dossier est particulièrement embrouillé.

II.                Aperçu

[3]               Les évènements qui ont donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire se sont déroulés sur une assez courte période, au début de 2007. D’ailleurs, la plainte devant la Commission dit explicitement que les évènements se sont produits d’avril à juin 2007, même si le demandeur a participé à la formation fournie entre janvier et juin 2007. Le demandeur cherchait alors à joindre les rangs des Forces Armées Canadiennes [les Forces].

[4]               Durant sa période de formation, le demandeur se plaint d’avoir été l’objet d’une enquête menée par la police militaire pour une dénonciation faite par une autre recrue, selon laquelle le demandeur et une autre personne de race noire, aussi une recrue, avaient consommé de la cocaïne. Le demandeur en a aussi contre la manière dont il a été libéré des Forces. Selon la Commission, ces questions ont déjà été traitées, si bien que la plainte est frivole ou vexatoire.

[5]               Comme on le verra, il n’a pas été simple de déterminer quelle est la portée de la plainte et en quoi elle consiste. Selon le demandeur, il aurait été ciblé en raison de sa race pour faire l’objet d’une enquête non fondée et sa libération non volontaire aurait été teintée de racisme. De plus, un instructeur l’aurait traité injustement au point que le traitement s’assimilerait à de la discrimination en raison de sa race. Ce qui aura compliqué les choses est la propension du demandeur à étendre ses allégations au-delà de la plainte telle que portée. Cette affaire doit être examinée en fonction des faits très particuliers qui sont à la base de sa plainte faite auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Les différents griefs que le demandeur a pu développer au cours du temps n’étaient pas devant la Commission. Ainsi, il aurait voulu que la Commission examine des allégations relatives aux droits de la personne prises au sens large alors même que sa plainte était elle-même beaucoup plus circonscrite. La demande de contrôle judicaire doit être limitée à la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte déposée. Il est essentiel de bien cerner en quoi consiste la plainte déposée afin de déterminer le cadre de cette demande de contrôle judiciaire. En effet, celle-ci ne répond qu’aux allégations qui sont faites. Dit simplement, le contrôle judiciaire est limité à la décision de la Commission qui elle‑même est limitée à la plainte dont elle traitait.

[6]               Puisque la Commission est chargée de statuer sur toute plainte dont elle est saisie, on verrait mal comment on pourrait lui reprocher de s’en être tenue à la seule plainte dont elle est saisie, et de ne pas considérer des éléments supplémentaires que le demandeur aurait voulu soumettre après le coup. C’est donc la plainte qui constitue le cadre fondamental à partir duquel la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission peut être traitée.

III.             La plainte

[7]               La plainte qui a été ultimement déposée devant la Commission a elle-même un certain historique qu’il vaut la peine de relater brièvement parce qu’il aide à comprendre la confusion entretenue par le demandeur.

[8]               Le demandeur a tenté de faire une première plainte le 11 février 2008. Une lettre standard expliquant le format requis, auquel le demandeur ne s’était pas soumis, expliquait le refus de recevoir la plainte le 5 mars 2008. On y inclut dès lors que la plainte peut faire l’objet d’un refus de la traiter si d’autres recours sont disponibles.

[9]               La seconde plainte est datée du 18 avril 2008. On apprend grâce à une note au dossier de la Commission du 5 mai 2008 que cette deuxième plainte est aussi irrecevable parce que, semble-t-il, la référence au formulaire de plainte à des documents en annexe augmentait le nombre de pages, si bien que la plainte dépassait le nombre de pages permis. Une plainte doit être exposée sur trois pages. La note précise qu’il n’est pas certain « si le plaignant nous fera parvenir de nouveau son formulaire. » Le demandeur en fit un troisième.

[10]           C’est la préposée de la Commission qui aurait demandé au demandeur « pourquoi il ne parle pas de sa libération. Il mentionne que la raison de sa libération ne serait pas reliée à sa race et sa couleur » (note de service du 5 mai 2008). Or, dans la plainte qui donne lieu à la demande de contrôle judiciaire, le demandeur invoque sa libération, mais sans jamais dire en quoi la race était en jeu.

[11]           Le demandeur fait une nouvelle plainte. Ce troisième formulaire de plainte, daté du 4 juin 2008, comprend deux pages et demi. Il y est présenté deux allégations qui sont relativement précises :

a)      d’abord le demandeur relate certaines des péripéties autour d’une enquête menée par la police militaire à la suite d’une dénonciation faite par une autre recrue selon laquelle le demandeur aurait consommé de la cocaïne. Le demandeur allègue profilage racial sans fournir de précision. À la lecture de la plainte, il semble que les évènements dont se plaint le demandeur se sont produits le 23 avril 2007. Ses tentatives subséquentes de connaître le résultat de l’enquête seraient demeurés vaines selon sa plainte.

b)      l’autre partie de la plainte devant la Commission traite de la libération des Forces. La plainte relate certains détails de l’interaction entre le demandeur et un sergent, du 22 au 28 juin 2007, qui mènera à la libération du demandeur. La recommandation du sergent sera entérinée par le Commandant de l’École de leadership et de recrues des Forces. Le demandeur quitte la base militaire le 30 juillet 2007. Le même jour, il dépose un grief dont la résolution ultime viendra le 2 mars 2011 avec la décision de chef d’état-major.

On trouve une allégation précise relative à la discrimination ou au profilage racial à la plainte elle-même relativement à l’enquête de la police militaire. Ainsi, la plainte allègue que les symptômes apparents chez le demandeur (reniflements, yeux vitreux, mouchoir à la main, visites à la toilette) génèrent des soupçons chez une personne de race noire, qui seront expliqués innocemment chez une personne de race blanche. En ce qui a trait à la libération des forces décrétées, le demandeur ne faisait aucune allégation précise de discrimination fondée sur la race. Au contraire, le demandeur conteste seulement les motifs soulevés pour forcer sa libération : avoir échoué à des examens pratiques, manque d’aptitudes physiques, problèmes constatés avec son attitude, difficulté d’adaptation à la vie militaire. De fait, le demandeur utilise la dernière page des trois qui lui sont allouées pour indiquer que ses tentatives de trouver de l’emploi ailleurs dans les Forces ou au sein de corps de police se sont butées à des refus « vu ma réputation ».

[12]           Mais l’affaire ne devait pas en rester là. La même journée, le 4 juin 2008, le demandeur écrivait à la Commission pour « ajouter de l’information importante par rapport à ma déclaration que je vous ai posté [sic] ce matin (4 juin 2008) ». Cette information consistait en deux plaintes contre un sergent que le demandeur aurait déposées après sa libération décrétée le 28 juin 2007. Ces plaintes alléguaient harcèlement par l’instructeur pour avoir souvent cité devant le peloton auquel appartenait le demandeur qu’il voulait qu’il sorte des Forces et une tentative de forcer le demandeur à se raser malgré des problèmes cutanés. Ces plaintes, dit le demandeur, ont été détruites. Il n’y a aucune preuve. La même personne à la Commission qui avait communiqué avec le demandeur le 5 mai communique avec lui de nouveau après le 4 juin. Une note au dossier du 16 juin 2008 nous apprend que le demandeur a été prévenu que sa lettre du 4 juin ne pouvait ajouter au formulaire de la même date. On offrait alors au demandeur d’ajouter la nouvelle information dans l’espace restant au formulaire. Si le formulaire de plainte n’est pas ajusté, comme le demandeur l’aurait choisi, « il a été convenu qu’une note sera mise au dossier afin d’expliquer la raison pour laquelle l’information supplémentaire fournie par le plaignant ne sera pas jointe à la plainte. » Donc, ces allégations ne sont pas partie du dossier devant la Commission.

[13]           La seule plainte traitée par la Commission était celle du 4 juin 2008. Il s’agit de celle qui était conforme aux prescriptions de la Commission et qui fera l’objet de la décision de la Commission du 7 mars 2012. La preuve au dossier est que l’ajout fait le 4 juin ne faisait pas partie de la plainte déposée à la suite de la décision du demandeur de ne pas modifier sa plainte à nouveau. Malgré cela, le demandeur continuera tout au long de ce litige de mettre de l’avant ces ajouts, qu’ils procèdent des plaintes qui n’ont pas été reçues pour vice de forme ou d’autres griefs.

[14]           Une décision de ne pas statuer sur cette plainte parce qu’elle était irrecevable en vertu de l’alinéa 41(1)d) a été rendue. Cette décision au sujet de cette seule plainte est maintenant attaquée en contrôle judicaire.

[15]           La plainte du 4 juin 2008 devant la Commission a été suspendue en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi afin que le demandeur épuise « les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement de griefs qui lui sont normalement ouverts. » La plainte était réactivée le 5 mai 2011, après que trois instances militaires se soient prononcées. Je note que la réactivation de la plainte ne comporte pas la possibilité d’ajouter des allégations. Ça ne veut dire, tout simplement, que la plainte suspendue, et qui n’était donc pas traitée, recevra dès lors traitement.

IV.             Décision dont on recherche le contrôle judiciaire

[16]           La décision de la Commission dont il est ici question a été rendue le 7 mars 2012 (mais envoyée le 14 mars 2012), mais elle n’aura été reçue par le demandeur que quelques jours plus tard. La demande de contrôle judicaire remonte donc au 16 avril 2012. L’avis de demande déclare que l’objet de la demande est relatif au fait que le demandeur aurait été défavorisé en cours d’emploi et qu’il a subi du harcèlement de la part de ses supérieurs au sein des Forces. Deux allégations spécifiques sont faites à la demande de contrôle judiciaire comme méritant contrôle judiciaire :

  • D’une part, le demandeur demande à cette Cour à ce que ses allégations de racisme / profilage racial contre sa chaîne de commandement (c’est-à-dire qu’au minimum, ses allégations de racisme / profilage raciale [sic] contre le Caporal-chef Legault et le Sergent Ouellette) soient étudiées par la Commission canadienne des droits de la personne.
  • D’autre part, le demandeur demande à cette Cour à ce que ses allégations de profilage racial contre le policier Deschamps soient étudiées par la Commission canadienne des droits de la personne.

[17]           Un commentaire doit être fait d’entrée de jeu. La demande de contrôle judiciaire, elle-même amendée à de nombreuses reprises, souffre du même mal que celui dont a souffert ce dossier. Le demandeur dépasse le cadre fixé par la plainte qu’il a soumise à la Commission et qui a fait l’objet de la décision. Ainsi, il se plaint de harcèlement subi de sa « chaîne de commandement » alors même qu’une lecture très généreuse de sa plainte auprès de la Commission ne révèle aucune telle allégation. L’ajout d’agissements alléguées d’un Caporal-chef n’était pas approprié au regard de la plainte telle que déposée. Une demande de contrôle judiciaire ne sert pas à élargir le débat ayant eu lieu devant le tribunal administratif. Avec égard, la Cour doit s’en tenir et ignorer des allégations différentes à la demande de contrôle judicaire.

[18]           Les observations faites par le demandeur après réception du rapport sur les articles 40/41 initial, à chaque fois à hauteur d’au moins 10 pages, discutent bien sûr de l’enquête de la police militaire, mais elles cherchent aussi à élargir le cadre de la plainte pour traiter d’incidents qui ne font pas partie de l’allégation faite. Pourtant, le résumé de la plainte est bien en évidence et sa teneur n’est pas contestée.

[19]           Il appert que le demandeur se plaint à répétition que, malgré les plaintes et griefs qu’il a déposés, dit-il, toutes les allégations de discrimination n’auraient pas été étudiées par les Forces ou qu’elles n’ont pas été étudiées adéquatement. Selon le demandeur, le refus de la Commission de statuer serait déraisonnable. Mais, ce qui doit être fait, c’est de démontrer que la décision de la Commission, qui ne fait que se pencher sur la plainte qui est devant elle, est déraisonnable lorsqu’elle conclut que la plainte, et rien d’autre, est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. La plainte auprès de la Commission constitue les balises de l’action que peut mener la Commission. La Commission ne pouvait avoir tort de refuser d’examiner de nouvelles allégations présentées au cours d’observations sur son rapport sur les articles 40/41 qui ne traite que de la plainte telle que présentée. Le demandeur dépassait largement le cadre de sa propre plainte. Qu’il ait voulu en découdre davantage avec les Forces me semble être l’évidence. Mais le forum que constitue la Commission n’est pas le bon si le demandeur dépasse le cadre de sa plainte. Cette façon de faire aura complexifié le dossier inutilement. On s’en tiendra à la décision dont contrôle judiciaire est demandé, dont le contour vient de la plainte telle que déposée auprès de la Commission.

[20]           L’avocat du demandeur a consacré une bonne partie de sa présentation aux allégations faites dans les plaintes qui n’ont pas été acceptées et aux observations faites par le demandeur sur le rapport sur les articles 40/41 qui ne traitent pas de la plainte, mais cherchent à élargir le débat. Cette tentative à toutes les étapes du processus a échoué et elle échoue aussi devant cette Cour.

[21]           Le texte de la décision du 7 mars 2012 se lit de la façon suivante :

Le plaignant a poursuivi ses allégations de discrimination par les processus internes de la mise en cause. Ces processus ont déterminés [sic] que les allégations de discrimination n’étaient pas fondées. Malgré cela, la [sic] plaignant a réussi à gagner un changement de motifs de libération favorable. De plus, dans les mesures de redressement demandées par le plaignant dans le grief devant le Chef d’état-major, il n’avait pas inclus de demande afin d’être réintégré dans les forces. Alors, il ne semble pas y avoir d’éléments restants qui pourraient avantageusement être examinés par la Commission.

[22]           Comme c’est souvent le cas, cette décision de la Commission est en fait la confirmation du rapport d’enquête fait et complété le 27 octobre 2011 et au sujet duquel des observations ont été présentées par les parties. Le rapport constitue les motifs de la décision (Vos c Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 2010 CF 713). S’appuyant dans une bonne mesure sur l’arrêt Société canadienne des postes c Barrette, [2000] 4 CF 145, l’enquêteur s’est déclaré d’avis que, ayant d’abord examiné les décisions de d’autres organismes, puisque l’allégation auprès de la Commission avait fait l’objet de procédure interne au sein des Forces, il était approprié de considérer la plainte comme étant frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, selon ce que prévoit l’alinéa 41(1)d) de la Loi. Cet alinéa se lit de la manière suivante :

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

. . .

...

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

[23]           L’enquêteur aura compris de la plainte faite par le demandeur que celui-ci est d’opinion que « malgré le fait qu’il a épuisé trois procédures de règlement, il reste des questions et des allégations fondamentales qui n’ont pas été adressées » (para. 15 du rapport sur les articles 40/41). Trois décisions devant les instances administratives militaires sont en cause selon le plaignant devant la Commission, le demandeur en l’espèce. Pour le plaignant, d’autres allégations n’auraient pas été traitées et celles qui ont été traitées ne l’auraient pas été adéquatement. En quoi les allégations à la plainte n’ont pas été traitées adéquatement est demeuré très obscur.

[24]           Les trois procédures sont celles devant le grand prévôt des Forces, la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire [la Commission d’examen] et le grief présenté au chef d’état-major.

A.                Le grand prévôt des Forces canadiennes (20 août 2008)

[25]           La plainte auprès du grand prévôt a été faite un an après l’enquête faite par la police militaire et le départ du demandeur des Forces. Les accusations présentées contre l’enquêteur et un policier militaire pour l’enquête qu’ils ont menée y sont articulées sur plusieurs pages.

[26]           Pour ce qui est du grand prévôt des Forces, l’enquêteur de la Commission a considéré que deux allégations faisaient l’objet de l’examen. D’une part, on se plaint qu’une enquête menée par la police militaire suite à une dénonciation selon laquelle le demandeur et un collègue aussi de race noire auraient consommé de la cocaïne constitue une forme de profilage racial. La seconde allégation suggère que l’enquête était inadéquate et injustifiée à l’endroit du plaignant. Quant à la première allégation, le grand prévôt en est venu à la conclusion dans une décision elle-même articulée qu’il n’y avait pas eu de profilage racial, le policier militaire ayant procédé avec logique et non d’une manière discriminatoire envers les deux présumés sujets de l’enquête de race noire en décidant de les interviewer. Quant à la deuxième allégation, l’enquête, aux dires du grand prévôt, était justifiée et aura permis d’établir la vérité, en la faveur des deux personnes interviewées. Elle a établi qu’aucune infraction n’a été commise.

B.                 La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire (22 décembre 2009)

[27]           Non satisfait, le demandeur demandait la révision de la plainte soumise au grand prévôt. Le demandeur s’y plaignait que certains événements n’avaient pas été considérés par le grand prévôt.

[28]           La Commission d’examen a examiné dans un écrit de 19 pages les conclusions du grand prévôt. La Commission d’examen s’est déclarée satisfaite que la police militaire avait procédé à une enquête à la suite de soupçons communiqués par un collègue du demandeur et que la portée de cette enquête était raisonnable, n’ayant été influencée en aucune façon par des considérations abusives comme la race du suspect. Comme le note la Commission, la dénonciation, et donc l’enquête, découlait de l’observation de symptômes, non de facteurs raciaux. Puisque la police militaire devait faire enquête lorsque des allégations de commission de crimes sont faites en vertu même de ses propres politiques, comme celles d’ailleurs de l’École de leadership et recrues des forces canadiennes dans laquelle le demandeur s’était enrôlé, on ne saurait parler de profilage racial. Dit autrement, l’enquête devait être entamée à cause du type d’allégation dans un contexte militaire. Contrairement à ce qui est allégué à la plainte devant la Commission le 4 juin 2008, l’examen mené par la Commission des plaintes concernant la police militaire conclut que le demandeur a en fait été avisé des résultats de l’enquête puisque le demandeur lui-même a reçu cette information d’un Caporal-chef dans les jours qui ont suivi.

C.                 Chef d’état-major

[29]           Finalement, le grief présenté au chef d’état-major a été examiné sur quatre paragraphes dans le rapport de l’enquêteur de la Commission. Il s’agissait là de l’allégation plus générique relative aux circonstances ayant entouré la décision de libérer le demandeur. L’assistance que le demandeur aurait dû recevoir en préparation d’un conseil d’évaluation de progrès ayant mené à sa libération n’aurait pas été fournie. La réparation recherchée était que la libération forcée (involontaire) soit renversée et que la période d’évaluation initiale soit créditée. Puisque le demandeur ne cherchait plus à se ré-enrôler, la possibilité de ce faire n’était plus une réparation demandée. Le demandeur se plaint maintenant que sa « chaîne de commandement » se serait rendue coupable de harcèlement et de conduite raciste à son égard. Le demandeur réclamait l’octroi de dommages-intérêts de 1.9 million de dollars, comme d’ailleurs il le faisait dans une action entreprise en cette Cour.

[30]           Examinant les évènements de fin juin 2007 ayant mené à la libération du demandeur, le chef d’état-major considère que certains incidents impliquant le demandeur n’avaient pas la gravité qui leur a été attribuée par les instructeurs en juin 2007. Le chef d’état-major concluait dans la décision du 2 mars 2011, selon l’enquêteur, que le CEP (Conseil d’évaluation de progrès) avait été convoqué de manière prématurée et, en cela, le grief est partiellement accordé. En ce qui a trait à une plainte de harcèlement que le demandeur alléguait avoir déposé, le chef d’état-major était d’avis que le fardeau de démontrer qu’une plainte formelle a été faite, par écrit, n’a pas été déchargé et il ne pouvait pas déterminer si les règles en vigueur ont été respectées. Aucune preuve de telle plainte n’a été retrouvée. Le remède accordé visait à réparer la libération involontaire, le demandeur ayant indiqué ne plus vouloir s’enrôler : le dossier fut donc amendé pour que la libération soit volontaire et que la période d’initiation initiale lui soit créditée. De l’avis de l’enquêteur, « la présente plainte de droit de la personne est basée sur des allégations de traitement défavorable en cours d’emploi et la cessation d’emploi, et non de harcèlement. Pour cette raison, la Commission ne peut pas examiner cette allégation. » (rapport sur les articles 40/41, para 23).

[31]           Quoi qu’il en soit, il devait conclure ainsi au paragraphe 24 de son rapport :

24.       La décision a été rendue le 2 mars 2011 – certaines mesures de redressement ont été accordées : la qualification PEI a été accordée, et le motif de libération devait changer (changer la raison que l’individu ne peut être employé avantageusement pour autres motifs sur demande). Sur la question de la compensation, la décision a indiqué que le Chef d’état-major n’avait pas l’autorité d’accorder de compensation financière ou de paiement à titre gracieux.

[32]           L’enquêteur a par la suite produit à titre d’analyse le paragraphe 26 de son rapport qu’il intitule « Remarques générales » :

26.       Ce dossier contient beaucoup d’informations dont certaines contradictoires, incluant celles discutées dans les paragraphes précédents de ce rapport. Certaines de ces informations contiennent aussi des lacunes, par exemple sur la façon dont ce cas est passé d’un examen de la conduite de la police militaire à une décision pour confirmer la libération du plaignant des Forces. Malgré ceci, en ce qui concerne les allégations reliées aux droits de la personne que la plaignante a soulevé dans le cours de la poursuite des plaintes internes, il semble que les décideurs se sont penchés sur ces allégations. Même si l’analyse des éléments de droits de la personne qui a eu lieu n’était pas la plus profonde, elle a été faite d’une façon adéquate. Nous pouvons dire la même chose au sujet des résultats : même si le plaignant n’a pas reçu toutes les mesures de redressement qu’il a poursuivies, il en a reçu certaines, incluant un amendement aux motifs de sa libération.

La conclusion, au paragraphe 27 du rapport sur les articles 40/41, a été endossée par la Commission et a été reproduite au paragraphe 21 des présents motifs.

V.                La demande dont cette Cour est saisie

A.                Le cadre de la demande

[33]           Les prétentions du demandeur sont fixées par sa plainte devant la Commission. Les tentatives répétées d’élargir le cadre auront été vaines. Ainsi, il prétend que la décision de la Commission doit être cassée parce que toutes les allégations de discrimination n’ont pas été étudiées dans le processus interne suivi par les Forces. Si elles ont été étudiées, il prétend alors que l’étude était inadéquate. Pourtant, seulement ce qui est valablement devant la Commission, c’est-à-dire la plainte du 4 juin 2008, peut être invoqué.

[34]           Or, ce que la décision de la Commission implique c’est que c’est la plainte devant la Commission qui est frivole, vexatoire ou faite de mauvaise foi et c’est de cette seule décision dont il peut y avoir contrôle judicaire par cette Cour. Ce que l’on peut comprendre est que le demandeur aurait voulu que d’autres allégations, relatives aux droits de la personne, soient étudiées puisqu’elles ne l’auraient pas été par les Forces. Mais en quoi cette conclusion est-elle de celles qui peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire dont le contour est circonscrit par une plainte que la Commission aura jugée frivole ou vexatoire?

[35]           Le demandeur a agi sans avocat pour une bonne partie de l’évolution de ce dossier. Ce n’est que récemment qu’un avocat a agi pour lui et on peut comprendre dans une certaine mesure qu’il y ait un certain décalage entre la plainte et l’avis de demande, signé par le demandeur lui-même, et le mémoire des faits et du droit qui a été signé en novembre 2015. Quoiqu’il en soit, l’avocat doit faire avec la plainte qui existe et qui balise la requête faite devant cette Cour.

[36]           Or, le mémoire des faits et du droit comporte dans une bonne mesure un récit des faits qui s’appuie sur des affidavits qui ont été radiés du dossier suite à des décisions judicaires. C’est un refrain repris trop souvent dans cette affaire. Comme indiqué plus haut, ce demandeur a constamment tenté d’élargir le débat outre le cadre qu’il s’est donné dans sa plainte telle que déposée. On a retrouvé le même phénomène au mémoire des faits et du droit. On l’a aussi entendu en plaidoirie. La Commission a donné au demandeur deux occasions de commenter sur le rapport (sur le rapport directement et sur les commentaires faits par le représentant des Forces) qui devrait éventuellement être utilisé par la Commission pour rendre sa décision sous l’alinéa 41(1)d). Le rapport décrivait la plainte reçue; il n’y avait aucune équivoque. Le demandeur a offert des observations (limitées à 10 pages à chaque fois). Il ne s’agit pas tant d’observations sur un rapport d’enquête relativement à une plainte circonscrite que de toutes nouvelles allégations plus larges, suggérant même dans la deuxième série d’observations qu’il y aurait eu dissimulation et irrégularité. Aucunes telles allégations ne se trouvent à la plainte dont le rapport de la Commission traitait. Le demandeur s’est comporté comme si les plaintes refusées parce que non conformes étaient devant la Commission.

[37]           Quant au reste des observations du demandeur, elles m’apparaissent avoir une certaine pertinence en rapport avec sa plainte originale selon laquelle l’enquête de la police militaire était teintée de racisme, en cherchant à relever des erreurs au cours de l’enquête de police; cependant, ces erreurs n’avaient le plus souvent que peu de valeur probante quant à l’allégation de racisme proférée. Le demandeur est en désaccord avec les conclusions auxquelles en sont arrivées le grand prévôt et la Commission d’examen. L’enquête de la police militaire aurait dû procéder autrement, ou pas du tout, prétend le demandeur. Mais cela n’est pas l’objet du contrôle judiciaire devant cette Cour.

[38]           La décision de la Commission canadienne des droits de la personne indique « avoir étudié le rapport qui vous a été divulgué au préalable, ainsi que toutes observations afférentes transmises ultérieurement ». Le demandeur a plaidé que le rapport initial de l’enquêteur n’aurait pas été amendé suite à ses observations. Encore là, c’est un refus de voir que les observations étaient hors d’ordre. De toute évidence, la tentative du demandeur d’élargir le débat aura échoué, comme il se doit, parce que là n’est pas la plainte que la Commission devait étudier.

[39]           En ce qui a trait à la décision de la Commission elle-même, le demandeur plaide que sa plainte n’est pas entachée de mauvaise foi, vexatoire ou frivole puisque les organismes internes des Forces n’en sont pas arrivés à cette conclusion (mémoire des faits et du droit amendé, para 25). Si je comprends l’assertion, la plainte déposée devant la Commission ne serait pas frivole ou vexatoire puisque les organismes internes des Forces n’ont pas conclu eux-mêmes que les allégations faites devant eux étaient frivoles ou vexatoires. Le demandeur ajoute, sans jamais présenter une articulation d’argument, que la Commission n’a pas rendu une décision adéquate parce que s’étant fondée sur une conclusion de faits erronée.

[40]           Comme j’ai tenté de l’expliquer, la demande de contrôle judiciaire emporte avec elle une rigueur afin de pouvoir disposer, à l’aide d’un débat contradictoire, des questions qui sont soulevées. Les parties, comme la Cour d’ailleurs, sont tenues au cadre créé par les procédures. Il serait injuste que les poteaux des buts soient déplacés en cours de route. Le demandeur, en ajoutant faits et allégations, ne se conforme pas au cadre procédural qui doit présider.

[41]           C’est la décision de la Commission relativement à cette plainte qui fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. On ne peut pas reprocher à la Commission de ne pas sortir du cadre de la plainte déposée. De fait, on pourrait lui reprocher d’en sortir. Son rôle n’est pas d’étudier toutes les questions relatives au droit de la personne que le demandeur voudrait maintenant soulever. Il est limité à la plainte qui a été faite. Comme la copie du plumitif déposée par le défendeur l’aura éloquemment démontré, le demandeur s’est vu refuser par cette Cour ses tentatives de déposer des affidavits ou d’ajouter des allégations. Même le mémoire des faits et du droit amendé réfère encore à de la preuve par ailleurs rejetée. L’avocat du défendeur a soumis à la Cour une copie du mémoire des faits et du droit amendé où étaient caviardés de nombreux passages, couvrant en tout ou en partie, 21 des 91 paragraphes.

[42]           Il est donc essentiel de s’en tenir aux allégations faites à la plainte et qui sont celles dont a traité la Commission. C’est de ce traitement dont peut se plaindre le demandeur et c’est de cette seule question au sujet de laquelle adjudication peut être demandée en cette Cour. Le demandeur doit argumenter que les décisions des instances militaires n’ont pas traité des allégations dont il est question dans sa plainte ou que, si elles en ont traité, le traitement était inadéquat au point que le Commission n’a pas agi raisonnablement en déclarant que le « plaignant a poursuivi ses allégations de discrimination par les processus internes » et qu’il « ne semble pas y avoir d’éléments restants qui pourraient avantageusement être examinées par la Commission ». Dit autrement, la décision de la Commission ne pourrait être raisonnable si des seules questions de droit de la personne soulevées par la plainte n’ont pas été traitées adéquatement.

B.                 La position des parties

[43]           Le demandeur passe de très nombreuses pages dans son mémoire des faits et du droit à discuter de l’enquête menée par la police militaire face aux allégations de possession de cocaïne qui auraient impliqué le demandeur et une autre recrue de race noire. J’ai compté pas moins de 31 paragraphes, répartis sur plus de 16 pages, traitant de diverses assertions présentées comme étant des erreurs factuelles. On retrouve un grand nombre de ces assertions dans les observations supplémentaires faites par le demandeur relativement au rapport de l’enquêteur de la Commission.

[44]           Le demandeur allègue aussi généralement des actes discriminatoires au cours de la formation reçue. Non seulement les allégations ne sont pas couvertes par la plainte faite, mais elles sont cruellement dépourvues de détails. Elles sont de la nature d’allégations générales, même dans le cadre restreint du contexte de la libération. Je note d’ailleurs à nouveau que le demandeur aurait déclaré que sa libération n’aurait pas été pour des raisons liées à la race (note de service du 5mai 2008). Il ne serait pas étonnant alors que sa plainte du 4 juin devant la Commission n’en parle point. L’emphase a été mise tout au cours des procédures sur d’autres allégations, hors du champ de la plainte.

[45]           Il est devenu très clair en réplique que le demandeur se considérait autorisé à traiter de d’autres allégations qui ne sont pas partie de la plainte de juin 2008. Ainsi, le demandeur a prétendu qu’il pouvait ajouter alors qu’il réactivait la plainte après la suspension. Des observations qui deviennent de nouvelles allégations seraient permises selon le demandeur. Comment de telles allégations nouvelles pourraient ne pas être prescrites n’a pas fait l’objet d’élaboration.

[46]           Quant au défendeur, il passe aussi beaucoup de temps dans son mémoire des faits et du droit sur des considérations dont la pertinence par rapport à la question à être traitée est très éloignée. On se plaint du caractère prolixe des procédures. Le défendeur insiste pour que la Cour ne se penche que sur le dossier tel qu’il était devant la Commission. Étant en matière de contrôle judicaire, c’est la règle que la Cour doit se limiter au contrôle de la légalité de la décision qui a été rendue, et non de son opportunité. C’est ainsi que la seule preuve qui puisse être pertinente au contrôle judiciaire est ce qui était considéré par le tribunal administratif. Aussi, le défendeur reproche au demandeur de n’avoir présenté aucune preuve, ni aucun argument, démontrant que la Commission n’avait pas examiné tous les aspects de la plainte pertinents à la Loi. En effet, le demandeur se plaint d’une étude inadéquate de la part de la Commission sans jamais fournir de précisions ou de détails.

[47]           Finalement, le défendeur argue que la Commission a tenu compte de la preuve qui lui a été soumise et que, ce dont se plaint réellement le demandeur, c’est du poids insuffisant qui lui a été accordé par la Commission selon lui. S’appuyant sur Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65 au para 3, [2012] 3 RCS 405, le défendeur soumet que la Commission n’avait pas l’obligation d’examiner et de commenter chaque argument qui pouvait avoir été soulevé par le demandeur.

VI.             Norme de contrôle

[48]           La révision d’une décision de la Commission de refuser de poursuivre une plainte parce que celle-ci est considérée comme étant frivole, vexatoire ou faite de mauvaise foi est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Non seulement la jurisprudence de cette Cour est-elle constante en cette matière, mais la Cour d’appel fédérale a maintenant disposé de la question : Bergeron v Canada (Attorney General), 2015 CAF 160 au para 41 [Bergeron] et Public Service Alliance of Canada v Canada (Attorney General), 2015 CAF 174. Quant aux questions d’équité procédurale plaidées valablement, la norme de contrôle en aurait été celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79, [2014] 1 RCS 502).

VII.          Analyse

[49]           Le demandeur aura connu une courte période en 2007 (de janvier à juillet) au cours de laquelle il a tenté de joindre les Forces. Sa tentative se sera soldée par un échec. Le demandeur dit avoir fait l’objet de discrimination, et en particulier, d’avoir fait l’objet d’une enquête par la police militaire qui était inappropriée et abusive. Il soutient que le harcèlement allégué et l’enquête de la police militaire l’étaient à cause de sa race et qu’en cela, il a subi un profilage racial.

[50]           Les prétentions du demandeur, à ce stade, ne répondent pas à la décision qui a été prise de considérer sa demande comme étant frivole ou vexatoire. Il cherche à plaider le fond de l’affaire, comme si cette Cour pouvait simplement donner raison au demandeur parce qu’elle préfère un point de vue à celui de la Commission. Ce qui doit être démontré à la Cour est que la décision de la Commission de déclarer sa plainte frivole ou vexatoire est non-raisonnable, au sens de la jurisprudence en droit administratif et, de façon plus particulière, du paragraphe 47 de la décision de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 :

47        La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Comme le dit le juge Binnie, pour la majorité, dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au par 59, [2009] 1 RCS 339 :

. . . si le processus et l'issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d'intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l'issue qui serait à son avis préférable.

[51]           Dans Bergeron, précité, la Cour d’appel fédérale explique en quoi consiste le fardeau de qui requiert le contrôle judiciaire d’une décision prise en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi :

[45]      Dans l’affaire qui nous occupe, cette gamme — ou, selon les termes employés dans certains jugements, la latitude ou marge de manœuvre dont dispose la Commission — est assez vaste en raison de la tâche confiée à la Commission, qui exige que cette dernière se fonde sur des considérations factuelles et politiques : Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, 455 N.R. 157, aux paragraphes 90 à 99. La Cour fédérale a déclaré à juste titre (au paragraphe 39) que les cours de révision devaient accorder à la Commission une « grande marge de manœuvre » lors du contrôle de décisions de cette nature. C’est exactement ce qu’a dit notre Cour dans l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 C.F. 392, au paragraphe 38, c’est-à-dire qu’une cour de révision doit « faire preuve de beaucoup de déférence » lors du contrôle d’une décision rendue à l’issue de l’examen préalable prévu à l’article 41.Cette Cour est donc à la recherche de l’argument selon lequel la décision rendue au terme de l’alinéa 41(1)d) est déraisonnable, tenant en compte la grande déférence qui est due à la Commission en ces matières.

[52]           Cette approche me semble être confirmée par la récente décision de la Cour Suprême du Canada dans Wilson c Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29 où on peut lire au paragraphe 22 de la décision majoritaire :

[22]      Il peut y avoir plusieurs issues, selon le juge John M. Evans, car [traduction] « [f]aire preuve de déférence [. . .] c’est reconnaître qu’il n’y a pas une seule réponse correcte à la question » (« Triumph of Reasonableness : But How Much Does It Really Matter » (2014), 27 C.J.A.L.P. 101, p. 108). Le nombre des issues varie forcément. Comme la juge en chef McLachlin le fait remarquer, le caractère raisonnable « s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » et « varie selon le contexte » (Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), [2012] 1 R.C.S. 5, par. 18 et 23, citant avec approbation Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 59).

[53]           Il en résulte à mon sens que le demandeur devra démontrer que malgré la grande marge de manœuvre, la décision sous étude n’est pas une issue possible, acceptable. Tel est le fardeau. Dans notre affaire, le demandeur s’est contenté initialement de déclarer que sa plainte faite n’est pas entachée de mauvaise foi ou vexatoire étant donné que les organismes internes des Forces n’en sont pas arrivées à une telle conclusion. Or, telle n’est pas la question. Ce n’est pas tant que la plainte a déjà été déclarée vexatoire ailleurs qui fait en sorte qu’elle le serait devant la Commission. À l’inverse, ce n’est pas parce que la Commission en viendrait à la conclusion que la plainte est vexatoire qu’elle l’était lorsque les organismes internes des Forces ont examiné la question. C’est plutôt du fait que l’affaire a déjà été examinée ailleurs qui ferait en sorte que la plainte déposée est devenue vexatoire ou frivole.

[54]           Comme le défendeur l’a noté, une preuve convaincante n’a pas été faite devant cette Cour que les instances internes des Forces n’ont pas traité les allégations de discrimination pertinentes à la plainte déposée, incluant le fait qu’une enquête a été entamée et menée par la police militaire au sujet du demandeur. La conclusion à laquelle est arrivée la Commission doit être démontrée comme n’étant pas l’une des issues possibles acceptables face à la plainte déposée en l’espèce. La question qui se pose est de savoir si, dans le cas où une affaire a déjà été résolue grâce à une autre procédure, la Commission agit-elle raisonnablement en concluant qu’une nouvelle procédure ne devrait pas être poursuivie? C’était au demandeur de démontrer que ce n’était pas raisonnable.

[55]           On peut commencer par l’argument relatif à l’enquête menée par la police militaire à la suite d’une allégation faite pas un confrère du demandeur relativement à une consommation alléguée de cocaïne.

A.                L’enquête de la police militaire

[56]           Le demandeur cherche à relever des erreurs qu’il qualifie de factuelles pour s’en prendre à l’enquête qu’a menée la police militaire après réception d’une dénonciation faite par une autre recrue. Six erreurs principales sont alléguées :

         le plaignant n’avait pas une connaissance spécialisée en dépistage de drogue; sa connaissance des symptômes de consommation de cocaïne aurait plutôt été le résultat d’observation faite au fil des ans;

         il n’y aurait pas eu de témoin oculaire;

         les symptômes observés auraient été le résultat d’allergie, et non de consommation de cocaïne;

         une fois une enquête déclenchée, elle doit continuer;

         il y aurait un imbroglio autour d’une troisième personne de race noire :

         le demandeur a été « invité » à une entrevue avec les enquêteurs de la police militaire; on aurait indiqué qu’il serait préférable de tenir cette entrevue aux bureaux de la police militaire pour éviter les contacts avec les autres recrues. Le demandeur prétend que c’était plutôt pour obtenir une déclaration incriminante que l’invitation de se présenter aux bureaux de la police militaire a été présentée. D’ailleurs, l’invitation aurait été une détention selon lui.

[57]           Le demandeur a référé au profilage racial comme étant à la source d’une enquête criminelle qui n’aura mené à aucune accusation. Ainsi, la dénonciation serait entachée de racisme; le fait qu’une enquête a été entamée et sa continuation procèderaient du racisme. Si je comprends bien, même la nature agressive de l’enquête, selon le demandeur, serait elle aussi teintée de racisme.

[58]           Or, les revues menées par le grand prévôt et la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire ont toutes deux examiné les allégations de profilage racial. Les deux ont conclu que, pour l’essentiel, les actions de la police militaire étaient conformes aux règles de l’art.

[59]           Face à ces revues, la Commission déclare en fait qu’un examen supplémentaire constituerait un examen maintenant devenu frivole ou vexatoire : l’affaire a été examinée deux fois. Comme noté plus tôt, la Commission bénéficie en ces matières d’une grande latitude.  Elle possède une solide expertise en droit de la personne. Ce n’est pas exagéré de dire que la Commission a pour vocation de s’attaquer aux actes discriminatoires (pouvoirs et fonctions de la Commission, paragraphe 27(1) de la Loi). La loi prévoit même que la Commission peut prendre l’initiative de la plainte (paragraphe 40(3) de la Loi). La tâche de qui veut démontrer que la décision de la Commission de considérer que les plaintes relatives au profilage racial, dans une enquête de police, ont été traitées ailleurs, et que cela emporte l’application de l’alinéa 41(1)d) de la Loi, n’est pas raisonnable est lourde. Aucune discrétion n’est absolue. Mais, celle exercée par la Commission est certes très grande, ce qui lui mérite une grande déférence comme il est dit dans Bergeron, précité.

[60]           Pour ce faire, le demandeur a cherché à relever des erreurs factuelles dans les rapports produits par les deux organismes. Ceci dit avec égard, je crains que le demandeur ne confonde les arbres pour la forêt. S’il y a des erreurs en cours d’enquête, ce qui n’est pas démontré, elles ne font pas la preuve que l’enquête a été lancée et menée pour un motif de distinction illicite, que ce soit la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur du suspect.

[61]           Il est incontestable qu’une allégation grave, surtout dans les Forces, comme la possession et la consommation de cocaïne, a été faite. Elle impliquait des personnes de race noire. Il eut été inapproprié pour la police militaire de ne pas donner suite à une telle allégation. Que le demandeur ait été soupçonné d’être la personne montrant les symptômes notés par le plaignant est raisonnable. Il ne nie d’ailleurs pas avoir eu ces symptômes. Ce que l’enquête aura démontré est que lesdits symptômes seraient effectivement le résultat des allergies du demandeur. À partir de ce moment, les soupçons qui pesaient sur le demandeur sont tombés.

[62]           Je ne vois rien d’inconvenant à mener une enquête de police, dans la mesure bien sûr où celle-ci se termine lorsque les motifs de l’avoir commencée s’estompent. Autrement dit, l’enquête ne peut devenir une chasse aux sorcières sans que l’on soupçonne des raisons occultes pour la mener. Lorsque l’enquête démontre que l’allégation est sans fondement, elle doit évidemment cesser. Si elle devait continuer inutilement on pourrait commencer à y voir des raisons de chercher la motivation plus profonde. Mais je n’ai rien vu de tel et, de façon plus importante, la Commission chargée de réviser ces questions n’en a pas vu non plus.

[63]           Les revues menées par le grand prévôt et la Commission d’examen des plaintes en sont arrivées au même résultat. Les erreurs factuelles, s’il en est, dont se plaint le demandeur ne changent rien au portrait qui s’est dessiné de la preuve. Une allégation devait être l’objet d’une enquête sérieuse menée avec célérité selon les règles de l’art. Que l’enquête ait mené à la conclusion que le demandeur n’était pas impliqué dans la commission d’une infraction criminelle n’est pas une raison pour l’affubler d’être motivée par racisme. Encore aurait-il fallu que ce soit démontré, que des indices sérieux de motivation illégale pour lancer une enquête existent. Je n’ai pas vu cette motivation détestable. Comme le disait l’avocat du demandeur, on ne peut espérer trouver au grand jour la motivation raciste. Mais un demandeur doit au moins mettre de l’avant des indices sérieux pour suggérer qu’une enquête a été motivée, continuée inutilement ou menée avec des relents de racisme. Je n’ai rien vu de tel dans la preuve soumise. De toute manière, le fardeau du demandeur était de convaincre cette Cour que la grande latitude conférée à la Commission avait été mal exercée, qu’elle avait agi de manière non raisonnable. Les erreurs factuelles alléguées, si tant est qu’elles sont avérées, ce qui n’est pas établi, ne rendent aucunement la conclusion de la Commission déraisonnable. Elles sont au mieux des incidents périphériques qui ne s’attaquent aucunement au fond de l’affaire, soit la motivation pour la tenue d’une enquête ou comment elle a été menée.

[64]           Au début d’une enquête de police, il est rarement possible d’en prédire la conclusion. Qui s’hasarde à le faire pourra malheureusement se rendre coupable d’étroitesse de vue (« tunnel vision »).

[65]           Il va sans dire que d’être la cible d’une enquête policière n’est pas sans causer des soucis. On peut espérer qu’une certaine délicatesse soit au rendez-vous et qu’une certaine célérité existe pour que les nuages soient dissipés rapidement si ce doit être le cas. Dans le cas d’espèce, la Commission aura été satisfaite des revues menées par les deux organismes chargés de réviser ce genre d’enquêtes. La Commission a bénéficié des observations du demandeur deux fois plutôt qu’une. À n’en pas douter, le demandeur a fait valoir son point de vue. La Commission a déclaré avoir étudié tant le rapport de l’enquêteur que les observations faites. Qu’elle n’ait pas accepté les prétentions du demandeur était sa prérogative si cette décision avait les apanages de la raisonnabilité dans le cadre d’une décision pour laquelle une large déférence est requise. Il y avait en l’espèce justification, transparence et intelligibilité. Il n’a pas été démontré que la Commission a mal exercé sa discrétion. Cet exercice était évidemment raisonnable.

B.                 Discrimination de la « chaîne de commandement »

[66]           La deuxième allégation contre l’exercice de discrétion par la Commission pour conclure qu’elle ne devait pas se saisir de la plainte faite par le demandeur est relative au racisme et au profilage racial dont aurait fait preuve la « chaîne de commandement ».

[67]           Cette allégation est particulièrement mince dans le dossier tel que présenté. En effet, le contrôle judiciaire est relatif à une décision prise par la Commission de ne pas statuer sur une plainte. Les autres allégations qui ont pu être faites, et qui se sont pour ainsi dire multipliées au fil du temps, en même temps que les recours judiciaires, ne font pas partie de la plainte telle que reçue par la Commission. Celle-ci s’est limitée à la plainte reçue, comme il se doit.

[68]           Or, cette plainte est très limitée. Le résumé qui en est donné au début du rapport sur les articles 40/41 est fidèle au libellé de la plainte. Tout tourne autour des actions de l’adjoint du commandant de peloton auquel le demandeur était affecté. La plainte porte essentiellement sur des faits ayant mené à sa libération involontaire des Forces. Le demandeur y relate des interactions avec un certain Sergent Ouellet entre les 22 et 28 juin 2007. Mais on ne trouvera nulle part à la plainte une allégation directe relevant d’un motif de distinction illicite; au mieux, le demandeur allègue de fausses déclarations quant à sa performance en cours de formation. Puisqu’il s’agit de la seule allégation à la plainte, il faut voir si elle a été traitée ailleurs de telle sorte qu’il était raisonnable pour la Commission de ne pas statuer sur la plainte.

[69]           Le rôle de la Commission canadienne des droits de la personne n’est pas décisionnel, mais plutôt de voir s’il est justifié de tenir une enquête. Comme le disait le juge La Forest, pour la majorité, dans Cooper c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854 [Cooper], « [l]’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante » (para 53). Peut-on passer à l’étape suivante avec la preuve fournie?

[70]           Le fardeau du demandeur était de satisfaire la Cour que la décision de la Commission, pour laquelle elle a droit à la déférence, qui consiste à déterminer s’il existe une preuve suffisante pour envoyer l’affaire devant le tribunal des droits de la personne n’est pas raisonnable. Ici, la Commission aura conclu que la preuve de la différence entre la décision sur grief et l’allégation à la plainte ne justifiait pas que la Commission statue parce qu’elle est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. La Commission n’a pas à avoir raison. Ainsi, si la décision est parmi les issues possibles acceptables eu égard aux faits et au droit, il n’est pas approprié pour la Cour de révision d’intervenir. La décision ainsi justifiée, transparente et intelligible est légitime en ce que la Cour, même si elle aurait pu différer d’opinion, ne doit pas se substituer à la Commission.

[71]           Or, la Cour a cherché en vain dans le mémoire des faits et du droit du demandeur et la plaidoirie de son avocat en quoi il aurait été démontré que la décision de la Commission de ne pas permettre que l’affaire aille au tribunal est déraisonnable. Le rôle de la Commission est de vérifier si la preuve suffit. Celui de la Cour est de s’assurer que la décision n’est pas déraisonnable à la lumière des faits mis de l’avant par un demandeur. Celui qui ne se décharge pas de son fardeau n’aura pas gain de cause.

[72]           J’ai examiné le dossier et lu, et relu, l’argumentation du demandeur tant dans son mémoire des faits et du droit qu’au résumé qu’il en a fait pour l’audition devant cette Cour. Pour ce qui est des plaintes de discrimination, la plainte elle-même n’en traite pas de façon explicite et les observations n’ont rien ajouté de concret à cette plainte. Le demandeur aura consacré ses efforts sur sa prétention que toutes les questions de droit de la personne n’ont pas été examinées par les instances militaires, mais ces allégations dépassent le cadre de sa plainte et cherchent à emporter d’autres allégations qui n’étaient pas devant la Commission.

[73]           Le demandeur avoue que sa plainte est limitée en essayant par tous les moyens d’importer dans le dossier d’autres allégations. Ce sont ces autres allégations qui l’intéressent. Pourtant, certaines de ses allégations auraient pu être faites dans sa plainte du 4 juin 2008; la preuve indique que la suggestion lui en a été faite par le personnel de la Commission (note de service du 16 juin 2008).

[74]           L’avocat du demandeur a vaillamment tenté de faire dire à cette note de service ce qu’elle ne dit pas. On ne peut trouver nulle part que la Commission aurait invité le demandeur à faire de nouvelles allégations plus tard; au contraire, on y indique qu’il aurait pu utiliser l’espace restant au formulaire de plainte et que le dossier aura une note expliquant « la raison pour laquelle l’information supplémentaire fournie par le plaignant ne sera pas jointe à la plainte » (Je souligne).

[75]           Le demandeur a voulu prétendre que les observations sur le rapport sur les articles 40/41 étaient une invitation à faire de nouvelles allégations puisque sa plainte est très incomplète, déclare-t-il. Or, toutes ces nouvelles allégations sont non avenues parce qu’elles sortent de la plainte devant la Commission.

[76]           Le rapport de décision en vertu des articles 40/41 note que la Commission a examiné les observations faites les 6 et 31 décembre 2011 par le demandeur. Celui-ci aurait voulu que ses nouvelles allégations soient prises en compte et considérées par l’enquêteur et la Commission. Cependant, dans la mesure où ces nouvelles allégations sont hors d’ordre parce que sortant du cadre de la plainte sous étude, on ne voit pas comment même les observations auraient pu être d’une quelconque utilité.

[77]           Ainsi, la Commission a-t-elle conclu que les différentes questions relatives à la plainte telle que déposée avaient été traitées. Le mémoire des faits et du droit, le plan d’argumentation qui n’est en fait qu’un résumé sur 14 pages du mémoire, et l’argumentation orale ne font jamais une démonstration du caractère déraisonnable de la décision, étant donné le rôle de la Commission de tri par examen préalable. C’était au demandeur, et personne d’autre, de faire cette démonstration, plutôt que de se concentrer sur d’autres allégations qui n’étaient pas devant la Commission. J’ai tout de même examiné la trame factuelle pertinente à la plainte et la décision de la Commission quant à l’aspect du dossier relatif à la libération.

[78]           Le demandeur a échoué des périodes d’évaluation initiales, en commençant le 14 janvier 2007; il recommence le 13 avril 2007. C’est le 22 juin 2007 qu’il est convoqué pour traiter de problèmes de comportement. Il est libéré le 28 juin 2007 au motif qu’il ne peut s’adapter à la vie militaire. Le demandeur dit s’être plaint en cours de formation, mais la preuve semble démontrer que ses plaintes, s’il en est, n’auraient pas été faites par écrit. Si elles ont été faites par écrit, le demandeur ne les a pas produites malgré qu’il soit prolifique dans sa production d’écrits et méticuleux dans sa confection de dossiers. En fait, c’est après le 28 juin qu’il multiplie plaintes et griefs. Il a même déposé 11 griefs le 25 février 2011, alors qu’il avait quitté les Forces depuis plusieurs années. Le demandeur a aussi intenté une action en cette Cour à l’été 2008 concernant des allégations de discrimination.

[79]           La Commission aura conclu que cet épisode de la libération du demandeur, comportant différentes formes de plaintes, s’est soldé par la décision du chef d’état-major du 2 mars 2011.

[80]           L’allégation à la plainte relative à la libération du demandeur fait référence à des déclarations de l’adjoint du commandant de peloton qui seraient mensongères. Par ailleurs, la décision sur grief du chef d’état-major note un certain nombre d’agissements de la part du demandeur qui justifiaient certaines des mesures de redressement prises à l’égard du demandeur. Celles-ci sont dites être en lien avec le conseil d’évaluation de progrès où on aurait noté défavorablement le demandeur quant aux examens pratiques et d’aptitudes physiques, de même que quant à son attitude. Le chef d’état-major a jugé que le conseil d’évaluation de progrès avait été convoqué prématurément et qu’il fallait réparer le tout en accordant une libération volontaire et permettant au demandeur de se voir accorder « la qualification PEI » (période évaluation initiale). Ainsi, la libération du demandeur des Forces est-elle « Sur demande - Pour autres motifs ».

[81]           Essentiellement, la Commission conclut que les allégations faites à la plainte concernent le traitement défavorable en cours d’emploi ont été traitées par le chef d’état-major. En effet, le grief du 30 juillet 2007 aura été partiellement accordé en ce que les redressements demandés quant à la libération involontaire ont été ordonnés. Le chef d’état-major aura été satisfait que le conseil d’évaluation de progrès, qui aura conclu à la libération du demandeur, avait agi prématurément. Ainsi, un redressement certain a été déterminé (motif de libération est changé pour en faire un motif de libération favorable). N’ayant pas demandé sa réintégration, la Commission ne voit pas ce qui pourrait être avantageusement examiné par elle. Le demandeur notait dans sa plainte du 4 juin 2008 que sa réputation était entachée pas sa libération involontaire. Ça aurait été réparé par la décision du chef d’état-major. Le demandeur devait démontrer que la Commission a eu déraisonnablement tort et qu’une preuve suffisante existait, telle qu’il était déraisonnable de conclure que plus rien ne peut être avantageusement fait à ce stade. Le demandeur s’est plutôt astreint à prétendre que d’autres questions sont soulevées et non résolues, ce faisant négligeant de faire la démonstration nécessaire dans un recours en contrôle judiciaire d’une décision sous l’alinéa 41(1)d) de la Loi.

[82]           Comme il a été plaidé par le défendeur, cette Cour ne siège pas en contrôle judiciaire de la décision sur grief du chef d’état-major. D’ailleurs, cette décision déclare très clairement que le chef d’état-major est le dernier ressort en vertu de la Loi sur la défense nationale et que la décision est donc « finale et exécutoire, à l’exception du contrôle judiciaire prévu dans la Loi sur les Cours fédérales. » Il en résulte que si le demandeur était insatisfait de la décision prise par le chef d’état-major, il devait la contester devant cette Cour. La Commission ne pouvait par un recours devant elle siéger en révision de la décision du chef d’état-major, une forme d’attaque collatérale.

[83]           Le rapport sur les articles 40/41 qui lui est devant cette Cour est loin d’être une modèle de clarté et d’articulation. Même si on peut espérer mieux, cela ne suffit pas pour casser une décision, d’autant que cette décision a droit à une large part de déférence (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 14, [2011] 3 RCS 708). Il faut que les motifs « permettent à la Cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. » (para 16).

[84]           Il est vrai que le demandeur n’a pas vu les différentes allégations qu’il aurait voulu être résolues par la Commission. C’est cependant parce qu’elles n’étaient pas devant la Commission qu’elles n’ont pas été traitées. Tout ce qui était devant la Commission était la plainte qui, outre l’épisode de l’enquête de la police militaire, relatait les circonstances de la libération des Forces du demandeur, entre le 22 et le 28 juin 2007, alors que la recommandation de libération est supportée par le commandant de l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes. C’est ce dont traitait la plainte.

[85]           Il y a donc adéquation entre la plainte, qui traite de la libération du demandeur, la décision sur grief qui accorde un remède au sujet de la qualité de la libération (la rendant volontaire, le demandeur ayant indiqué ne plus vouloir s’enrôler à nouveau) et la décision de la Commission qui se doit d’être limitée à cette libération des Forces. Le chef d’état-major a examiné la libération involontaire du demandeur, ce qui constitue l’objet de la plainte du demandeur, et a conclu qu’un remède était approprié. Non seulement cet aspect de la plainte a été traité, mais le demandeur a reçu redressement. Le fardeau du demandeur n’a pas été déchargé. Son acharnement à plaider que d’autres questions relatives aux droits de la personne n’ont pas été traitées aurait dû faire place à un examen de la réelle question qui se posait, soit la raisonnabilité de la décision volant que les questions soulevées par la plainte ont été traitées par les instances militaires.

[86]           Comme indiqué plus haut, le fardeau auquel est convié un demandeur en contrôle judicaire d’une décision en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi est lourd étant donné la déférence due au décideur. Ici, le demandeur aurait pu demander le contrôle judicaire de la décision du chef d’état-major. Il ne l’a pas fait. Alors que le Rapport sur les articles 40/41 posait clairement que la Commission considérait que la plainte faisait double emploi, les observations proposées à la Commission étaient ou bien pour attaquer la décision du chef d’état-major comme si nous étions en contrôle judiciaire de la décision sur grief, ou bien elles cherchaient à élargir le débat outre ce que la plainte alléguait.

[87]           Ceci dit avec égard, le demandeur n’a pas démontré en quoi la Cour ne devrait pas accorder la déférence à laquelle la Commission a droit en cette matière. De prétendre que la Commission aurait dû statuer sur la plainte (en anglais, « shall deal with any complaint », au para 41(1) de la Loi) pour embrasser plus large que ce que la plainte recèle est une contradiction inhérente. La Commission ne peut que statuer sur la plainte telle que déposée. Je ne vois rien de déraisonnable à ne considérer que les quatre coins de la plainte. Le demandeur devait plutôt satisfaire la Cour que la conclusion de la Commission selon laquelle il n’y a pas d’éléments restants à être examinés dans le cadre de la plainte déposée était déraisonnable. Or, la démonstration faite par le demandeur aura plutôt insisté sur les autres allégations que le demandeur voulait faire. Cette démonstration n’était pas pertinente dans le cadre de ce recours judiciaire. Il en résulte que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau.

VIII.       L’équité procédurale

[88]           Le demandeur a soulevé tant dans sa demande de contrôle judiciaire que dans son mémoire des faits et du droit amendé qu’il y aurait eu vice à l’équité procédurale. Par ailleurs, à l’audience, aucune mention n’en a été faite et le plan d’argumentation se contente de référer au mémoire.

[89]           Au plan d’argumentation, le demandeur réfère sous le vocable « principe d’équité procédurale » à des questions qu’il ne présente pas comme étant des violations de tel principe. On y parle d’erreurs manifestement déraisonnables, particulièrement quant au refus de la Commission de considérer le document de février 2008 (première plainte) qui ne satisfait pas aux conditions émises par la Commission et la lettre du 4 juin 2008 qui venait s’ajouter aux trois pages déjà accordées pour présenter une plainte à la Commission.

[90]           En fin de compte, à l’examen de la demande de contrôle judicaire, du plan d’argumentation et du mémoire des faits et du droit amendé du demandeur, on constate que la seule question d’équité procédurale tourne autour de la limite faite de présenter plaintes et observations.

[91]           En effet, la première question soulevée à cet égard se plaint que le résumé de la plainte fait par l’enquêteur n’était pas complet. Le demandeur n’indique en aucune manière en quoi le résumé pourrait porter atteinte à quelque principe d’équité procédurale. Ce résumé comme le reste du rapport relatif aux articles 40/41, a fait l’objet de commentaires et le demandeur a été entendu. Il n’y a eu aucune atteinte au principe selon lequel on a le droit d’être entendu (audi alteram partem). Je me permets d’ajouter que j’ai lu la plainte et que le résumé qui en est fait est plus qu’adéquat. On peut soupçonner que le demandeur se plaint maintenant du résumé parce qu’il ne contient aucune des autres allégations faites en dehors de la plainte officielle. Si tel est bien le cas, il s’agit là d’une critique sans fondement.

[92]           Les allégations que le demandeur aurait voulu faire ex post facto ne peuvent non plus se réclamer d’une erreur de droit. Cette erreur serait que le formulaire de plainte peut être modifié pour y apporter une simple correction ou un éclaircissement mineur (mémoire des faits et du droit, para 67). Il ne s’agissait aucunement  de ce type de correction ou d’un éclaircissement mineur.

[93]           Finalement, toute tentative d’arguments doit tenir compte de la prescription prévue à la Loi (alinéa 41(1)e)). La plainte doit être déposée dans l’année qui suit le dernier des faits à son soutien, sous réserve d’un délai supérieur qui peut être accordé par la Commission. Des allégations postérieures peuvent être prescrites et celles faites après juin 2008, et évidemment celles de décembre 2011, dépassent largement le délai de prescription prévu à la Loi. Par ailleurs, il pourrait y avoir des circonstances particulières à considérer et je m’abstiens de conclure.

[94]           Aucune autorité ne vient appuyer non plus la prétention du demandeur selon laquelle il y aurait violation d’un principe d’équité procédurale en limitant les écrits à un nombre prescrit de pages.

[95]           C’est peut-être parce que la jurisprudence de cette Cour confirme qu’il est approprié pour la Commission de limiter le nombre de pages pour faire part d’une plainte ou d’observations. Dans Zulkoskey c Canada (Ministre de l'Emploi et du Développement social), 2015 CF 1196, mon collègue le juge Manson écrivait :

42        En résumé, si l'on considère les facteurs énumérés dans l'arrêt Baker comme un tout, l'équité procédurale qu'il convient d'accorder dans les circonstances entourant l'application de l'alinéa 41(1)d) se situe à l'extrémité inférieure du continuum.

. . .

45        La Commission s'est acquittée du mandat que lui confère la loi et s'est conformée à son obligation d'équité. Le rapport était neutre et suffisamment complet. La demanderesse a eu amplement l'occasion de présenter des observations et de faire part de son désaccord à propos des renseignements qui figuraient dans le rapport. Elle a eu la possibilité de présenter ses arguments, et la limite de dix pages n'était pas inéquitable sur le plan procédural (Boshra c Canada (Procureur général), 2011 CF 1128, aux paragraphes 50 à 52). Le rapport, dont s'inspire la décision de la Commission, relève les questions en litige et passe en revue de manière exhaustive les positions des parties, les facteurs à appliquer pour déterminer si une plainte est vexatoire, ainsi que les renseignements recueillis ultérieurement auprès des parties.

[96]           La même conclusion était énoncée dans Jean Pierre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 1423, où le juge Gascon se prononçait de la façon suivante :

42        Pour ce qui est des représentations qui suivaient le rapport de l'enquêtrice, les instructions démontraient que M. Jean Pierre pouvait inclure des pièces jointes avec ses représentations, sous réserve de la limite de dix pages imposée par la Commission à cette étape. Cette Cour a confirmé que la procédure de la Commission qui restreint ainsi la longueur des observations écrites à ce stade du processus de plainte est raisonnable (Donoghue c Ministre de la Défense nationale, 2010 CF 404 [Donoghue] au para 28; Boshra aux para 50-52). De telles consignes ne soulèvent pas de problème d'équité procédurale.

[97]           On peut comprendre pourquoi des limites doivent être imposées aux écrits présentés devant des instances, qu’elles soient devant cette Cour (règle 70 des Règles des Cours fédérales) ou d’autres cours ou devant la Commission. Il n’est pas particulièrement difficile de tomber dans la prolixité et cette affaire en est un exemple. Ce n’est pas sans rappeler la décision dans Donoghue c Ministre de la Défense nationale, 2010 CF 404 :

28        Je suis convaincu qu'une possibilité équitable et significative à [sic] été donnée au demandeur de participer à l'instance et de soumettre des observations écrites à la Commission. Le demandeur semblait déçu de ne pas pouvoir soumettre l'intégralité de ses dossiers auprès du Commissariat à la protection de la vie privée et de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire. La politique interne de la Commission d'imposer une limite à la longueur des observations écrites à ce stade préliminaire semble rationnel et n'a pas empêché le demandeur de résumer l'essentiel des conclusions de la Commission. Quoi qu'il en soit, cette question ne pose aucun problème véritable d'équité procédurale.

[98]           Ici, le demandeur a eu deux occasions de présenter des observations à hauteur de 10 pages à chaque fois. Le problème rencontré n’est pas que le nombre de pages ne pouvait suffire. C’est plutôt que les observations s’attardaient à des sujets inutiles à la plainte devant la Commission ou se perdaient dans des détails. Quant à la plainte elle-même, le demandeur n’aura utilisé que deux et demi des trois pages auxquelles il avait droit. La preuve est à l’effet que lorsqu’il a tenté d’ajouter par lettre à ses allégations, il a été avisé par le personnel de la Commission que l’option qui s’offrait à lui était d’ajouter au bas de la 3e page de la plainte puisqu’il restait de l’espace inutilisé. Vu le contenu de sa lettre du 4 juin, ç’aurait pu être fait assez facilement. La note au dossier du 16 juin 2008 est sans équivoque : « [l]e plaignant a choisi de ne pas modifier sa plainte et il a été convenu qu’une note sera mise au dossier afin d’expliquer la raison pour laquelle l’information supplémentaire fournie par le plaignant ne sera pas jointe à la plainte ». La note contemporaine aux évènements est sans équivoque.

[99]           Il en résulte qu’il n’y a aucune violation d’un principe d’équité procédurale.

IX.             Conclusion

[100]       La décision de la Commission concluant que les processus internes des Forces armées avaient traité des allégations faites à la plainte du 4 juin 2008 et qu’il n’y avait pas « d’éléments restants qui pouvaient avantageusement être examinés par la Commission » n’a pas été démontrée comme n’étant pas raisonnable. Le processus suivi par la Commission voulant qu’un nombre limité de pages puisse être utilisé ne porte pas atteinte à l’équité procédurale.

[101]       En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, avec dépens en faveur du défendeur. Les parties n’ont pu s’entendre sur un montant de dépens mais elles ne s’en remettent pas pour autant à la règle 407 des Règles des Cours fédérales, (DORS/98-106). Le demandeur aurait réclamé un montant forfaitaire de 3 500 $. Le défendeur situe ses honoraires et débours à 7 519,50 $. De toute évidence, le défendeur voudrait que la Cour tienne compte du comportement du demandeur qui aurait prolongé inutilement la durée de l’instance. À mon avis, vu les circonstances de cette affaire, des dépens de 3 500 $ seraient appropriés en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens au montant de 3 500 $, frais et taxes incluses.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-769-12

 

INTITULÉ :

ÉRIC MANFOUMBIMOUITY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Aymar Missakila

 

Pour le demandeur

 

Andréanne Joanette-Laflamme

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aymar Missakila

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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