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Date : 20160803


Dossier : T-765-15

Référence : 2016 CF 895

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 août 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

CAESARSTONE SDOT-YAM LTD

demanderesse

et

CERAMICHE CAESAR S.P.A

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’un appel en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 [la « Loi »], et de l’alinéa 300d) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, portant sur une décision rendue par la Commission des oppositions des marques de commerce [la « COMC »] au nom du registraire des marques de commerce [le « registraire »], rejetant en partie la demande no 1 377 940 pour l’enregistrement de la marque de commerce CAESARSTONE & Dessin.

II.                Contexte

[2]               La demanderesse, Caesarstone Sdot-Yam Ltd., a déposé la demande no 1 377 940 afin d’enregistrer la marque de commerce CAESARSTONE & Dessin [la « marque CAESARSTONE »] le 3 janvier 2008 [la « demande »] :

[3]               La demande revendique une date de première demande établie au 26 août 2007, sur la foi de l’utilisation et de l’enregistrement de la marque CAESARSTONE en Israël et de l’utilisation proposée de la marque CAESARSTONE au Canada, en association avec les biens et services suivants :

[TRADUCTION]

PRODUITS : (1) Plans de travail, tables-éviers; surfaces et enceintes de travail pour cuisines, salles de bains, meubles-lavabos et bureaux, dessus de comptoirs; dessus de tables; dessus de bars; dessus et surfaces de revêtement pour meubles, comptoirs d’accueil et aires d’accueil.

SERVICES : (1) Magasins de vente en gros et au détail ainsi que salles d’exposition de vente en gros et au détail offrant des revêtements de surface, surfaces de travail, enceintes, carreaux, panneaux, couvre-planchers, revêtements muraux, revêtements de sol, plafonds, dalles et carreaux faits de pierre composite pour panneaux de construction, dessus de comptoirs, dessus de meubles-lavabos, planchers, plafonds, escaliers et murs; offre de renseignements commerciaux dans le domaine des surfaces et des plans de travail en quartz; offre de services de conseil, de soutien, de marketing, d’aide promotionnelle et technique dans l’établissement et l’exploitation de franchises de distribution, de concessions, de franchises, de magasins de vente en gros et au détail offrant des revêtements de surface, surfaces de travail et enceintes, carreaux, panneaux, couvre-planchers, revêtements muraux, revêtements de sol, plafonds, dalles et carreaux faits de pierre composite pour panneaux de construction, dessus de comptoir, dessus de meubles-lavabos, planchers, plafonds, escaliers et murs.

(2) Services d’installation, d’entretien et de réparation de plans de travail, tables-éviers, surfaces de travail et enceintes pour cuisines, salles de bains, meubles-lavabos et bureaux, dessus de comptoirs, dessus de tables, dessus de bars, revêtements de surface pour mobilier, comptoirs d’accueil et aires d’accueil, carreaux, panneaux pour planchers, couvre-planchers, revêtements muraux, revêtements de sol, plafonds, recouvrements non métalliques utilisés avec des planchers et pièces connexes, profilés et plinthes, dalles et carreaux faits de pierre composite.

[4]               Le 9 novembre 2010 (modifié le 16 novembre 2010), la défenderesse, Ceramiche Caesar S.p.A., a déposé une déclaration d’opposition axée sur la question de la confusion avec la marque de commerce de la défenderesse, CAESAR & Dessin [la « marque CAESAR »] (ci-dessous) enregistrée sous le no LMC 725,91l pour emploi en liaison avec des matériaux de construction non métalliques, notamment des carreaux de céramique pour revêtements de planchers et de murs, des baguettes d’angle, des cornières de fer non faites de métal, des abouts, des carreaux de céramique pour faux planchers, des girons d’escalier et des éléments spéciaux de finition, notamment des couvre-joints et des bordurettes pour utilisation avec des carreaux de céramique.

[5]               La déclaration d’opposition allègue que i) la demande n’est pas conforme aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi; ii) la marque CAESARSTONE n’est pas enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)d) de la Loi; iii) la demanderesse n’est pas la personne autorisée à présenter une demande d’enregistrement de la marque CAESARSTONE aux termes des paragraphes 16(2) et 16(3) de la Loi; et iv) la marque CAESARSTONE n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi, mais uniquement en ce qui a trait aux services suivants [les « services visés par l’opposition »] :

[TRADUCTION]

(1) Magasins de vente en gros et au détail ainsi que salles d’exposition de vente en gros et au détail offrant des [...] carreaux, [...] couvre-planchers, [...] revêtements de sol, [...] dalles et carreaux faits de pierre composite pour panneaux de construction, [...] planchers, [...] escaliers [...]; offre de services de conseil, de soutien, de marketing, d’aide promotionnelle et technique dans l’établissement et l’exploitation de franchises de distribution, de concessions, de franchises, de magasins de vente en gros et au détail offrant des [...] couvre-planchers, [...] revêtements de sol, [...] dalles et carreaux faits de pierre composite pour [...] planchers, [...] escaliers et murs.

(2) Installation, entretien et réparation de [...] panneaux pour planchers, couvre-planchers, revêtements muraux, revêtements de sol, [...] recouvrements non métalliques utilisés avec des planchers et pièces connexes, profilés et plinthes, dalles et carreaux faits de pierre composite.

[Non souligné dans l’original.]

[6]               Dans son argument contradictoire, la demanderesse rejette tous les motifs d’opposition.

[7]               Pour l’audience de la COMC, la demanderesse a déposé des affidavits de Fernando Mammoliti [le « premier affidavit de M. Mammoliti »], qui était à ce moment chef de la direction de la filiale canadienne en propriété majoritaire et licenciée de la marque de commerce de la demanderesse, Caesarstone Canada Inc., et d’Eli Feiglin [le « premier affidavit de M. Feiglin »], vice-président, Marketing, de la demanderesse. M. Mammoliti et M. Feiglin ont tous deux été contre-interrogés.

[8]               Le premier affidavit de M. Mammoliti indique que la demanderesse est une société israélienne qui a commencé à utiliser la marque CAESARSTONE en association avec les produits de surfaces de quartz de la demanderesse en 2003, vendus à cette époque par différents distributeurs canadiens. Depuis 2010, les produits de la demanderesse portant la marque CAESARSTONE sont vendus au Canada par l’intermédiaire de Caesarstone Canada. M. Mammoliti indique que les produits de la demanderesse ont été annoncés et vendus pour différentes applications, comme les comptoirs de cuisine et de salle de bain, les armoires de salle de bain, les revêtements muraux et les couvre-planchers dans les salles de bain et les aires de réception, etc. Il ajoute également qu’il n’a jamais entendu parler d’un cas de confusion de client entre la marque CAESARSTONE et la marque CAESAR de la défenderesse.

[9]               Le premier affidavit de M. Feiglin traite des activités mondiales de la demanderesse. M. Feiglin a déclaré ne pas avoir eu connaissance d’aucun cas de confusion chez des clients entre la marque CAESARSTONE et la marque CAESAR de la défenderesse, mais a dû admettre en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas d’accès direct aux dossiers de Caesarstone Canada.

[10]           La défenderesse a déposé des affidavits d’Adolfo Tancredi [l’« affidavit de M. Tancredi »], administrateur délégué de la défenderesse, qui a lui aussi été contre-interrogé. Dans son témoignage, M. Tancredi décrit l’utilisation faite par la défenderesse de la marque CAESAR en association avec une gamme de produits de revêtements de sol et de revêtements muraux et de produits d’installation connexes pour les murs, les escaliers et les planchers au Canada, depuis 1989.

A.                Décision faisant l’objet du contrôle

[11]           Dans une décision datée du 27 février 2015, la COMC, au nom du registraire, a rejeté la demande à l’égard des services visés par l’opposition, concluant que :

  1. la marque CAESARSTONE n’était pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, puisque la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion entre la marque CAESARSTONE et la marque CAESAR à l’égard des services visés par l’opposition;
  2. la marque CAESARSTONE n’était pas distinctive de la demanderesse à l’égard des services visés par l’opposition au moment considéré, et n’était donc pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi;
  3. la demanderesse n’était pas la personne admise, au sens de l’article 16 de la Loi, à l’enregistrement de la marque CAESARSTONE en association avec les services visés par l’opposition au moment considéré, parce qu’il existe une probabilité raisonnable de confusion entre la marque CAESARSTONE et la marque CAESAR.

[12]           Avant d’évaluer les motifs d’opposition, la décision de la COMC présente les obligations respectives des parties. L’opposant, la défenderesse en l’espèce, avait le fardeau initial de produire suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pouvait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun de ses motifs d’opposition. Il incombait à la demanderesse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande était conforme aux exigences de la Loi (John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst.), à la page 298).

[13]           En analysant les motifs d’opposition au caractère enregistrable de l’alinéa 12(1)d), le registraire a conclu qu’il existait une probabilité raisonnable de confusion entre la marque CAESARSTONE et la marque CAESAR.

[14]           Les marques de chacune des parties présentent une degré marqué de caractère distinct inhérent : la marque CAESARSTONE est un mot inventé formé des mots « Caesar » et « stone », le premier présentant un caractère distinct inhérent, alors que le deuxième est descriptif des services de la demanderesse visés par l’opposition. De même, il a été établi que les marques de commerce des deux parties ont acquis une réputation substantielle par leur utilisation et leur promotion en association avec la vente de leurs produits au Canada durant une période prolongée.

[15]           La COMC a conclu que l’alinéa 6(5)a) de la Loi favorisait la demanderesse. Bien que la marque CAESAR de la défenderesse ait été utilisée au Canada pendant une plus longue période dans le domaine des carreaux de céramiques pour les revêtements de sol et les revêtements muraux, le volume de promotion et d’utilisation depuis 2006 de même que le montant total des ventes des produits de marque CAESARSTONE de la demanderesse sont substantiellement plus élevés que ceux de la défenderesse depuis 2007.

[16]           La COMC a conclu que l’alinéa 6(5)b) favorisait la défenderesse, puisque la marque CAESAR est utilisée au Canada depuis 1989 en association avec les carreaux de céramiques, alors que la marque CAESARSTONE est utilisée au Canada depuis 2003.

[17]           La COMC a également conclu que les alinéas 6(5)c) et d) – le genre de produits, services ou entreprises, et la nature du commerce – favorisent la défenderesse de façon marquée. La demanderesse a fait valoir que la probabilité de confusion serait faible, puisque les décisions précipitées ou prises sur un coup de tête sans information sont peu probables du fait de la nature du choix des matériaux et de la méthode d’installation, de la participation d’experts versés dans l’art et du coût élevé des produits. La COMC n’est pas d’accord, indiquant que i) les services visés par l’opposition ne sont pas limités aux projets d’installation ou de rénovations de cuisine ou de salle de bain, mais sont conçus pour diverses applications; et ii) il n’y a aucune preuve selon laquelle il existe des différences de prix significatives entre les produits ou services des parties. La COMC a conclu qu’il existe un lien étroit entre les marchandises de la défenderesse et les services de la demanderesse visés par l’opposition, et qu’ils se retrouvent dans les mêmes canaux commerciaux ou dans des canaux similaires.

[18]           La COMC a également conclu que l’alinéa 6(5)e) de la Loi favorisait la défenderesse. Il existe un degré considérable de ressemblance entre les marques de commerce des parties dans la présentation et le son, et dans les idées qu’ils suggèrent quand on les observe dans leur intégralité, puisqu’elles partage le même élément frappant – le mot CAESAR. La décision souligne que cet élément est le facteur énoncé dans la loi qui exerce souvent la plus grande influence dans l’analyse relative à la confusion, citant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, au paragraphe 49 [Masterpiece].

[19]           La COMC n’a pas non plus conclu que les circonstances de l’espèce appuyaient une conclusion d’absence de probabilité raisonnable de confusion.

[20]           Premièrement, la COMC n’était pas convaincue que l’absence de preuve de confusion réelle, malgré la coexistence des marques de commerce des parties pendant une période prolongée au Canada, constituait une circonstance importante de l’espèce. Même si l’absence de preuve de confusion réelle pourrait permettre au COMC de tirer une inférence négative à propos de la probabilité de confusion (Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22 [Mattel]), la COMC a précisé que « l’absence d’une telle preuve ne soulève pas nécessairement une présomption défavorable à l’Opposante, car c’est à la Requérante qu’il incombe de démontrer qu’il n’existe pas de probabilité de confusion ».

[21]           La preuve a révélé que même si les deux parties ont vendu des produits de revêtement au Canada par des canaux commerciaux similaires, les marchés des matériaux de construction dans lesquels elles sont actives portaient jusqu’ici sur des applications distinctes. La COMC a conclu que la demanderesse n’avait fourni aucune preuve que ses produits ou services avaient été commercialisés, utilisés ou vendus pour des usages généraux de couvre-plancher ou d’autres applications similaires au Canada, et les services visés par l’opposition sont basés sur une utilisation proposée de la marque CAESARSTONE en association avec des services reliés à de « nouvelles » applications, comme les revêtements de sol et les escaliers. Par conséquent, la COMC n’a pas considéré que l’absence de preuve de cas de confusion constitue une circonstance importante de l’espèce.

[22]           Deuxièmement, la COMC a conclu qu’il n’y avait pas de fondement légal à la proposition de la demanderesse que le propriétaire d’un enregistrement avait le droit automatique d’obtenir de nouveaux enregistrements. C’est pourquoi il n’a pas conclu que l’enregistrement précédent de la marque CAESARSTONE par la demanderesse, qui est antérieur d’environ quatre ans à l’enregistrement par la défenderesse de la marque CAESAR & Dessin, constituait une circonstance importante de l’espèce soutenant une conclusion d’absence de probabilité raisonnable de confusion.

[23]           Enfin, la COMC a refusé de tirer une conclusion défavorable de l’absence d’opposition de la défenderesse à l’enregistrement de la marque CAESARSTONE en association avec les marchandises pour lesquelles une application est demandée, concluant qu’une telle conclusion ferait appel à la spéculation et ne serait pas pertinente à la présente procédure.

B.                 Nouveaux éléments de preuve en appui à l’appel

[24]           La demanderesse a porté la décision de la COMC en appel devant notre Cour le 8 mai 2015, déposant les dix affidavits supplémentaires suivants en appui [les « nouveaux éléments de preuve »] :

  1. l’affidavit de Dane Penney présente les résultats d’une recherche de marques de commerce actives contenant le mot « CAESAR » appartenant à la demanderesse et à la défenderesse, et contient une copie de l’historique des poursuites relatives à l’enregistrement antérieur de la demanderesse pour la marque CAESARSTONE;
  2. l’affidavit de Lori-Anne DeBorba présente les résultats d’une recherche de la demande de marque de commerce australienne no 1058321 au nom de Caesarstone Sdot-Yam Ltd. et une copie de la déclaration sous serment de M. Luigi Annovi, vice-président de Ceramiche Caesar S.p.A, Italy, dans la procédure australienne en opposition à la demande de marque de commerce australienne;
  3. le deuxième affidavit de M. Mammoliti est une mise à jour du premier affidavit et présente des factures représentatives de la vente des produits de marque de la demanderesse de 2012 à aujourd’hui, des copies des listes de prix depuis 2010, un calendrier de publicité, un tableau estimant le lectorat total des annonces, des trousses médias et les données publiques de circulation et de lectorat pour les publications imprimées. M. Mammoliti a déclaré avoir fait des demandes de renseignements supplémentaires pour savoir si des employés de Caesarstone Canada avaient eu connaissance de situations de confusion chez les clients;
  4. le deuxième affidavit de M. Feiglin indique que tous les cas de confusion dans le monde sont portés à l’attention de M. Feiglin, qui ajoute avoir fait des recherches additionnelles, y compris au Canada, pour savoir si les membres connaissaient les produits de marque CAESAR de la défenderesse et s’ils avaient eu connaissance de situations de confusion.
  5. l’affidavit de Catherine Braconnier indique qu’elle connaît la marque CAESAR de la défenderesse pour avoir travaillé dans une entreprise qui a déjà distribué les produits de la défenderesse, qu’elle dirige ses clients vers les produits de la demanderesse et qu’elle n’a jamais confondu les produits de marque des deux parties, reconnaissant que les marchandises des deux parties sont différentes;
  6. les affidavits de Babak Eslahjou (architecte), Paul Golini (promoteur immobilier), Andrea Kantelberg (designer d’intérieur), Jeffrey Murva (promoteur immobilier), et Deano Pellegrino (employé de Caesarstone Canada) déclarent qu’ils sont tous des clients des produits de marque CAESARSTONE de la demanderesse, mais qu’ils ne connaissent pas les produits de marque CAESAR de la défenderesse.

C.                 Dates pertinentes

[25]           Les dates pertinentes pour les motifs d’opposition sont les suivantes :

  1. non-possibilité d’enregistrement en vertu de l’alinéa 12(1)d) – la date de la décision de la COMC (27 février 2015);
  2. absence de droit en vertu des paragraphes 16(2) et 16(3) – la date de dépôt de la demande ou, potentiellement, la date de priorité (3 janvier 2008 ou 26 août 2007);
  3. non-conformité à l’alinéa 30i) – la date de dépôt de la demande (3 janvier 2008);
  4. l’absence de caractère distinct au sens de l’article 2 – la date de dépôt de l’opposition (9 novembre 2010).

III.             Les questions en litige

[26]           Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
  2. Est-ce que les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence importante sur la conclusion de fait ou l’exercice des pouvoirs discrétionnaires de la COMC?
  3. La décision de la COMC était-elle raisonnable?

IV.             Analyse

A.                La norme de contrôle

[27]           Dans un appel en vertu de l’article 56 de la Loi, la norme de contrôle applicable aux décisions de la COMC, qu’il s’agisse des faits, du droit ou de l’exercice des pouvoirs discrétionnaires, est celle de la décision raisonnable, à moins que de nouveaux éléments de preuve aient été déposés devant la Cour fédérale qui auraient pu avoir une incidence importante sur les conclusions de la COMC (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (2000), 5 CPR (4th) 180 (CAF), au paragraphe 29).

[28]           Lorsque de nouveaux éléments de preuve qui auraient pu avoir une incidence importante sur les conclusions de la COMC sont déposés, le critère est celui de la décision correcte. Dans ce cas, la Cour doit procéder à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion, et trancher la question sur les faits devant elle et selon les principes juridiques applicables (Cathay Pacific Airways Limited c. Air Miles International Trading B.V., 2015 CAF 253, au paragraphe 15, citant Mattel, précitée, au paragraphe 35).

[29]           Dans la décision Vivat Holdings Ltd. c. Levi Strauss & Co., 2005 CF 707, au paragraphe 27 [Levi Strauss], la Cour a présenté les exigences en matière de preuve qui doivent être présentes pour affecter la norme de contrôle :

[...] la nouvelle preuve doit être suffisamment importante. Lorsque la preuve additionnelle ne va pas au-delà de ce qui a déjà été établi devant la Commission et a peu de poids, mais ne consiste qu’à compléter ou tout simplement répéter des éléments déjà mis en preuve, alors l’application d’une norme comportant une moins grande déférence n’est pas justifiée. Le critère en est un de qualité et non de quantité.

(Voir également la décision plus récente dans Hawke & Company Outfitters LLC c. Retail Royalty Company, 2012 CF 1539, au paragraphe 31.)

[30]           Il s’ensuit donc que les nouveaux éléments de preuve doivent avoir une valeur probante à l’égard des conclusions factuelles pertinentes sur lesquelles la décision est fondée. Les nouveaux éléments de preuve sont considérés importants s’ils comblent une lacune ou corrigent des déficiences recensées par la COMC ou s’ils ajoutent substantiellement à ce qui a déjà été soumis (Kabushiki Kaisha Mitsukan Group Honsha c. Sakura-Nakaya Alimentos Ltda., 2016 CF 20, au paragraphe 18, citant Chypre (Commerces et Industries) c. Les Producteurs Laitiers du Canada, 2010 CF 719, au paragraphe 28 [Producteurs Laitiers], conf. par 2011 CAF 201).

[31]           La demanderesse fait valoir que même en l’absence de nouveaux éléments de preuve, les questions de droit – comme de savoir si la COMC a correctement identifié le fardeau de preuve qui incombe à l’auteur d’une demande d’enregistrement – sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Telus Corporation c. Orange Personal Communications Services Ltd., 2005 CF 590, au paragraphe 41, conf. par 2006 CAF 6; Producteurs Laitiers, précitée, au paragraphe 29).

[32]           Plus précisément, la demanderesse fait valoir que les erreurs suivantes de la COMC justifient un contrôle selon la norme de la décision correcte : i) le défaut de tenir correctement compte de l’absence de preuve de confusion et ii) la conclusion selon laquelle il n’y avait « pas la moindre preuve que les produits ou services de la Requérante ont été commercialisés, utilisés ou vendus au Canada en lien avec des applications de revêtement de sol » alors que de tels éléments de preuve existaient.

[33]           Cependant, ce ne sont pas là de pures questions de droit, mais des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, qui ne peuvent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte que si de nouveaux éléments de preuve sont présentés à la Cour.

[34]           Par conséquent, pour déterminer la norme de contrôle appropriée, il faut évaluer l’importance des nouveaux éléments de preuve.

B.                 Est-ce que les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence importante sur la conclusion de fait ou l’exercice des pouvoirs discrétionnaires de la COMC?

[35]           Devant la COMC, la demanderesse a présenté des éléments de preuve de M. Feiglin et de M. Mammoliti sur leur ignorance de tout cas de confusion. La COMC n’a pas accordé beaucoup de poids à la déclaration de M. Feiglin, puisqu’elle n’était pas propre au contexte canadien, et n’a formulé aucun commentaire sur le poids accordé à la preuve de M. Mammoliti.

[36]           Dans cet appel, la demanderesse a déposé une série d’affidavits supplémentaires, décrits plus haut, dans lesquels leurs auteurs décrivent leur connaissance des produits de marque des parties et indiquent n’avoir eu connaissance d’aucun cas de confusion entre les deux. La demanderesse soutient que les nouveaux éléments de preuve répondent aux déficiences perçues par la COMC à propos de la preuve présentée par M. Feiglin et M. Mammoliti et devraient donc être considérés comme une nouvelle preuve importante justifiant l’application de la norme de la décision correcte.

[37]           M. Feiglin a fait des recherches auprès des équipes de vente et de commercialisation de la demanderesse au Canada et à l’étranger, qui ont indiqué n’avoir constaté aucun cas de confusion parmi la clientèle. L’enquête menée par M. Mammoliti auprès de quatre employés de Caesarstone Canada a eu le même résultat. La demanderesse signale en outre que la défenderesse n’a à aucun moment présenté de preuve de confusion.

[38]           L’élément central de la décision de la COMC est sa conclusion selon laquelle il existait une probabilité raisonnable de confusion entre les services visés par l’opposition couverts par la marque CAESARSTONE et la marque CAESAR. Cette conclusion était fondée sur « toutes les circonstances de l’espèce », incluant les similitudes dans l’apparence, le son et les idées suggérées par les marques de commerce des parties; le fait que la marque de commerce de l’opposant était utilisée au Canada depuis plus longtemps dans le domaine des carreaux de céramique pour les revêtements de sol et les revêtements muraux; le lien entre les marchandises de la défenderesse et les services de la demanderesse visés par l’opposition; et le potentiel de chevauchement entre les canaux de commerce.

[39]           Bien que l’absence de preuve de confusion de la part de la défenderesse fasse partie des circonstances de l’espèce qui doivent être prises en compte dans l’évaluation de la probabilité de confusion (Mattel, aux paragraphes 55 et 89; Scott Technologies Inc. c. 783825 Alberta Ltd. (Scott Safety Supply Services), 2015 CF 1336, au paragraphe 69 [Scott Technologies]), la COMC n’est pas tenu de tirer une conclusion négative de son absence. La mesure dans laquelle un tribunal peut tirer une conclusion à partir d’une absence de confusion réelle dépend des circonstances (Scott Technologies, précitée, au paragraphe 70), et « une conclusion défavorable peut toutefois être tirée de l’absence d’une telle preuve dans le cas où elle pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée » (non souligné dans le texte) (Mattel, au paragraphe 55).

[40]           La COMC a conclu que la preuve d’absence de confusion présentée par la demanderesse n’était pas persuasive, et n’a pas conclu que l’absence de preuve de cas de confusion constituait une circonstance importante en l’espèce. La décision souligne [traduction] « [qu’]il n’y a pas la moindre preuve que les produits ou services de la Requérante ont été commercialisés, utilisés ou vendus au Canada en lien avec des applications de revêtement de sol ou d’autres applications similaires jusqu’à présent », et que « la demande est fondée sur l’emploi projeté de la Marque [CAESARSTONE] en liaison avec les services visés par l’opposition ».

[41]           Bien que ma conclusion ci-dessous puisse avoir une incidence à savoir s’il s’agit effectivement d’une situation dans laquelle on pourrait s’attendre à trouver une preuve de confusion à l’égard de certains services visés par l’opposition, je ne conclus pas que les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence importante sur les conclusions de fait de la COMC ou sur l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires. La raison en est que ces éléments viennent s’ajouter, en les reprenant, aux éléments de preuve devant la COMC au moment où celle-ci a rendu sa décision. Je crois qu’il vaut la peine de répéter ce qu’a dit la Cour dans le jugement Levi Strauss, précité, au paragraphe 29, à savoir que « [l]orsque la preuve additionnelle ne va pas au-delà de ce qui a déjà été établi devant la Commission et a peu de poids, mais ne consiste qu’à compléter ou tout simplement répéter des éléments déjà mis en preuve, alors l’application d’une norme comportant une moins grande déférence n’est pas justifiée ». C’est précisément la situation en l’espèce.

[42]           Le deuxième affidavit de M. Feiglin répète plus ou moins le premier affidavit de M. Feiglin, auquel la COMC n’avait initialement pas accordé une grande valeur parce que la demanderesse ne disposait pas de procédures précises permettant de composer avec la confusion dans le marché, et parce que toute confusion au Canada serait signalée à Caesarstone Canada. En outre, les demandes d’information adressées aux équipes mondiales de vente et de commercialisation sont soit non pertinentes (si elles portent sur des activités à l’extérieur du Canada), soit insuffisantes pour avoir une incidence importante sur la décision.

[43]           De la même façon, le deuxième affidavit de M. Mammoliti ne va pas au-delà de ce qui était déjà en substance devant le registraire; il confirme que sa déclaration sur la confusion dans le premier affidavit reste vraie et que les personnes à qui il a parlé ne connaissaient pas de cas de confusion. De plus, en contre-interrogatoire, il a admis que Caesarstone Canada ne disposait pas d’un mécanisme officiel permettant de faire un suivi de la confusion chez les clients.

[44]           De plus, les affidavits de Mme Braconnier, de M. Eslahjou, de M. Golini, de Mme Kantelberg, de M. Murva et de M. Pellegrino ne sont pas pertinents à la question de la confusion. Ceci tient au fait qu’en matière d’évaluation de la confusion, la Cour doit examiner les marques de commerce en question du point de vue du consommateur moyen pressé, ayant une réminiscence imparfaite de la marque de l’opposante, et déterminer s’il est probable que ce consommateur considérerait que les biens et services vendus en association avec la marque proviennent de la même source (Mattel, au paragraphe 56; Masterpiece, précitée, au paragraphe 41).

[45]           Ni Mme Braconnier, qui a travaillé pour une société qui vendait les produits de la défenderesse, ni M. Pellegrino, un employé de Caesarstone Canada, ne sont des consommateurs ordinaires au sens entendu dans Mattel. De même, M. Eslahjou, M. Golini, Mme Kantelberg et M. Murva ont déclaré ne pas connaître la marque CAESAR, et ne peuvent donc être assimilés à un consommateur fictif ayant une réminiscence imparfaite de celle-ci, comme l’exige le critère de Mattel. Leur preuve n’est donc pas importante et rien ne justifie d’abandonner la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[46]           Par conséquent, la décision de la COMC est assujettie au contrôle judiciaire selon une norme de la décision raisonnable.

C.                 La décision de la COMC était-elle raisonnable?

[47]           La question centrale soulevée par la demanderesse à l’encontre de la décision de la COMC est une allégation de conclusion déraisonnable de probabilité de confusion entre la marque CAESARSTONE que la demanderesse propose d’utiliser pour les services visés par l’opposition et la marque CAESAR de l’opposante, étant donné que la COMC :

  1. n’a pas tenu adéquatement compte de l’enregistrement antérieur de la marque CAESARSTONE par la demanderesse et que les services visés par l’opposition sont plus étroitement liés aux produits couverts par l’enregistrement antérieur de la marque CAESARSTONE et en sont une extension, plutôt qu’aux produits couverts par l’enregistrement plus tardif de la marque CAESAR de la défenderesse;
  2. n’a pas accordé un poids approprié au manque de preuve de confusion réelle durant une période prolongée d’utilisation en coexistence, et a conclu de manière erronée que la demanderesse n’utilisait pas la marque CAESARSTONE au Canada en association avec les services visés par l’opposition;
  3. a « séparé » de manière inappropriée la marque CAESARSTONE dans son examen de la probabilité de confusion en mettant l’accent sur le terme CAESAR seul dans sa comparaison de la marque CAESARSTONE de la demanderesse et de la marque CAESAR de la défenderesse;
  4. a conclu de manière inappropriée que l’utilisation de « Ceramiche CAESAR & Dessin » et « Ceramiche CAESAR La Cultura Della Materia & Dessin » par la défenderesse constituait une utilisation de sa marque CAESAR;
  5. n’a pas accordé un poids suffisant au fait que la nature des produits des parties est telle qu’il y aurait peu de décisions d’achat « sur un coup de tête », ce qui favorise l’absence de confusion;
  6. a confondu la conclusion sur la confusion et le caractère distinct et utilisé la mauvaise date dans son examen de la question du caractère distinct.

[48]           J’aborderai chacune de ces questions ci-dessous.

[49]           La demanderesse a également soulevé une objection préliminaire, à savoir si la COMC a correctement cerné le fardeau de la preuve qui pèse sur l’auteur d’une demande d’enregistrement. Je ne crois pas que la COMC a erré sur ce point – elle a correctement conclu que, bien que la défenderesse ait le fardeau initial de produire des éléments de preuve à l’appui des motifs d’opposition, c’est à la demanderesse qu’il incombe de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme à toutes les exigences de la Loi, incluant le fardeau de démontrer qu’il n’y avait aucune probabilité raisonnable de confusion.

(1)               Défaut de tenir compte de l’antériorité de l’enregistrement de la marque CAESARSTONE par la demanderesse et conclusion déraisonnable que les services visés par l’opposition sont nouveaux par rapport aux produits visés par cet enregistrement antérieur.

[50]           La demanderesse plaide que la COMC n’a pas tenu adéquatement compte de l’enregistrement antérieur de la marque CAESARSTONE par la demanderesse et que les services visés par l’opposition sont plus étroitement liés à une extension des produits visés par cet enregistrement antérieur qu’aux produits couverts par l’enregistrement plus tardif de la marque CAESAR de la défenderesse.

[51]           La défenderesse affirme que les services visés par l’opposition sont nouveaux par rapport aux biens et services visés par l’enregistrement antérieur de la marque CAESARSTONE de la demanderesse et qu’ils se rapprochent davantage des produits visés par l’enregistrement de la marque CAESAR de la défenderesse.

[52]           Ici, je suis en partie en désaccord avec la défenderesse.

[53]           L’avocat de la demanderesse a fourni un tableau utile, que j’ai joint en annexe I, et qui montre :

  1. les revendications de la demande d’enregistrement en attente, selon le dépôt original;
  2. les services visés par l’opposition et les services refusés, qui font l’objet de la présente instance;
  3. les produits et services autorisés;
  4. les produits visés par l’enregistrement antérieur de la marque CAESARSTONE par la demanderesse.

[54]           Après avoir examiné cette comparaison, le tableau démontre clairement que certains des services visés par l’opposition ne sont pas nouveaux par rapport à certains produits visés par l’enregistrement antérieur de la marque CAESARSTONE. La COMC n’a pas tenu compte des liens entre les services visés par l’opposition – carreaux de recouvrement, dalles et carreaux faits de pierre composite, revêtements muraux et murs – et les produits de la demanderesse visés par l’enregistrement antérieur de la marque CAESARSTONE, visant :
[traduction]

Plans de travail, tables-éviers; surfaces et enceintes de travail pour cuisines, salles de bains, meubles-lavabos et bureaux, dessus de comptoirs; dessus de tables […]

[55]           La définition de ces produits est certainement assez large pour englober l’utilisation des carreaux, des dalles et carreaux faits de pierre composite, des murs et des revêtements muraux. Par conséquent, je conclus que la décision de la COMC de n’accorder aucun poids à l’enregistrement existant de la demanderesse et sa conclusion selon laquelle les services visés par l’opposition sont « nouveaux », par opposition à « étendre ses activités » par rapport aux produits visés par l’enregistrement antérieur de la marque CAESARSTONE ne fait pas partie de l’éventail d’issues possibles et acceptables qui sont défendables au vu des faits et du droit. Cependant, la conclusion de la COMC n’est déraisonnable qu’à l’égard des services visés par l’opposition qui ont trait aux carreaux, dalles, et carreaux faits de pierre composite, revêtements muraux et murs.

[56]           Bien que je reconnaisse qu’il ne s’agit que d’un facteur et d’une circonstance qui doivent être pris en considération dans l’évaluation de la probabilité de confusion, le défaut de la COMC de tenir compte des liens entre certains services visés par l’opposition et les produits enregistrés antérieurement par la demanderesse, et sa conclusion résultante que les services visés par l’opposition sont nouveaux par rapport à ces produits, a une incidence sur le résultat et sur le caractère raisonnable de l’évaluation faite par la COMC d’autres facteurs, comme on le verra ci-dessous.

[57]           Je conviens cependant avec la COMC que, dans la mesure où les autres services visés par l’opposition ont trait aux planchers et aux escaliers, l’antériorité de l’enregistrement de la marque CAESARSTONE ne bénéficie pas à la demanderesse, puisque les services visés par l’opposition reliés à ces biens constituent effectivement de nouveaux services par rapport aux biens visés par l’enregistrement antérieur de la marque CAESARSTONE. Le fait qu’il s’agisse de nouveau services est en outre appuyé par l’affidavit de Mme Braconnier, au paragraphe 7.

(2)               Défaut d’accorder un poids approprié au manque de preuve de confusion réelle durant une période prolongée d’utilisation en coexistence et conclusion que la demanderesse n’utilisait pas la marque CAESARSTONE au Canada en association avec les services visés par l’opposition

[58]           Les parties conviennent qu’une absence de confusion réelle dans le marché, lorsque deux marques censées susciter la confusion sont utilisées pour des produits ou des services peut être une circonstance de l’espèce pertinente et même importante au moment de déterminer s’il existe une probabilité de confusion (Mattel, aux paragraphes 55 et 89).

[59]           La demanderesse plaide que la COMC a erré en ne tirant pas une conclusion défavorable de l’absence de preuve de confusion réelle par la défenderesse, même si les deux parties vendaient des produits de recouvrement de surfaces au Canada par des voies de commercialisation similaires depuis plusieurs années.

[60]           La position de la demanderesse est que la distinction faite par la COMC entre les carreaux de revêtement de sol en céramique et les revêtements muraux de la défenderesse et les installations de cuisines et de salles de bains de la demanderesse, incluant les dessus de comptoirs, les meubles-lavabos et les revêtements muraux, etc., est déraisonnable.

[61]           L’absence de preuve de confusion réelle est une circonstance de l’espèce à partir de laquelle la COMC est en droit de tirer une conclusion défavorable dans l’évaluation de la probabilité de confusion, et sa pertinence est une question de pondération, dans laquelle la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la COMC.

[62]           La COMC a reconnu que la preuve démontre que les deux parties vendent des produits de recouvrement de surfaces au Canada par des voies de commercialisation similaires. Elle a cependant conclu que l’absence de preuve de cas de confusion réelle ne constituait pas une circonstance de l’espèce importante au motif que les marchés de matériaux de construction dans lesquels les parties évoluaient étaient pour des applications distinctes, jusqu’ici.

[63]           La COMC a conclu que la demanderesse n’a fourni aucune preuve que ses produits et services avaient été commercialisés, utilisés ou vendus au Canada en lien avec des applications de revêtement de sol ou d’autres applications similaires jusqu’à présent, et que les services visés par l’opposition sont fondés sur l’emploi projeté de la marque CAESARSTONE en association avec des services se rapportant à de « nouvelles » applications, comme les revêtements de sol et les escaliers.

[64]           Il est en effet exact que la prétendue preuve d’utilisation de la marque CAESARSTONE au Canada en association avec les services visés par l’opposition en matière de revêtements de sol est minimale, même vue dans les meilleures conditions.

[65]           Bien que l’annexe C du premier affidavit de M. Feiglin montre des publicités affichées sur le site Web international de la demanderesse, la publicité seule ne démontre pas l’utilisation de la marque de commerce dans des produits ou des services de revêtements de sol au Canada.

[66]           De la même façon, l’extrait publicitaire tiré du magazine canadien de la marque CAESARSTONE associé aux revêtements de sol montre qu’une telle utilisation est possible, mais ne constitue pas une preuve d’utilisation dans le cours normal des affaires par une transaction commerciale au Canada.

[67]           Par conséquent, en ce qui a trait aux services visés par l’opposition reliés aux revêtements de sol, la conclusion de la COMC que l’absence de confusion est négligeable est une conclusion raisonnable.

[68]           Cependant, à la lumière de ma conclusion ci-dessus, à savoir que la COMC n’a pas tenu compte que certains des services visés par l’opposition – les services reliés aux carreaux, aux dalles et carreaux faits de pierre composite, aux revêtements muraux et aux murs – sont une extension des produits commercialisés et vendus par la demanderesse sous la marque CAESARSTONE au Canada, sa conclusion que l’absence de preuve de tout cas de confusion ne constitue pas une circonstance de l’espèce importante aurait bien pu être différente.

[69]           La mesure dans laquelle on peut tirer une conclusion de l’absence de confusion réelle dépend des circonstances (Scott Technologies, précitée, au paragraphe 70), et cette circonstance de l’espèce doit être évaluée à la lumière du fait que les marques CAESAR et CASEARSTONE ont effectivement été utilisées en coexistence au Canada pendant plusieurs années pour les carreaux, les dalles et les carreaux faits de pierre composite, les revêtements muraux et les murs.

(3)               Séparation inappropriée de la marque CAESARSTONE dans son examen de la probabilité de confusion en mettant l’accent sur le seul terme CAESAR dans la comparaison entre les marques CAESARSTONE et CAESAR & Dessin

[70]           La demanderesse plaide que la COMC a agi de manière inappropriée en séparant CAESARSTONE en les termes « Caesar » et « Stone » et conclu erronément que le terme « stone » ne pouvait pas servir à distinguer la marque de commerce étant donné sa nature descriptive.

[71]           Je conviens avec la demanderesse qu’il n’est pas approprié de séparer les marques de commerce en leurs constituants : il est acquis que « c’est l’effet de la marque de commerce dans son ensemble plutôt qu’un élément particulier de cette marque qu’il faut considérer » pour déterminer la probabilité de confusion (Accessoires d’Autos Nordiques Inc. c. Société Canadian Tire Limitée, 2007 CAF 367, aux paragraphes 23 et 24). Cependant, [traduction] « [m]ême s’il faut examiner la marque comme un tout (et non la disséquer pour en faire un examen détaillé), il est tout de même possible d’en faire ressortir des caractéristiques particulières susceptibles de jouer un rôle déterminant dans la perception du public » (Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp. (1998), 80 CPR (3d) 247, à la page 263 (CAF)). C’est l’approche adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece, et c’est aussi celui adopté en l’espèce par la COMC lorsqu’elle a examiné si un aspect de la marque de commerce était particulièrement frappant ou unique.

[72]           La COMC a conclu que le terme « Caesar », par opposition au terme « stone », était l’élément particulièrement frappant (Masterpiece, aux paragraphes 63 et 64). L’accent mis sur le terme « Caesar » en lien avec la similitude et la probabilité de confusion entre les marques CAESARSTONE et CAESAR n’était pas inapproprié ou déraisonnable en l’espèce.

(4)               Conclusion inappropriée que l’utilisation de Ceramiche CAESAR & Dessin et de Ceramiche CAESAR LA Cultura Della Materia & Dessin constituait une utilisation de la marque enregistrée CAESAR de la défenderesse

[73]           La demanderesse prétend en outre que la COMC a erré en concluant que l’utilisation de « Ceramiche CAESAR & Dessin » et de « Ceramiche CAESAR La Cultura Della Materia & Dessin » constituait une utilisation de la marque enregistrée CAESAR de la défenderesse.

[74]           Je ne suis pas d’accord. La preuve de M. Tancredi, pièces jointes C et D, démontre clairement l’utilisation de la marque de commerce CAESAR & Dessin par la défenderesse. Bien que d’autres mots ou indices puissent avoir été utilisés en association avec la marque de commerce enregistrée CAESAR, la marque de commerce enregistrée CAESAR de la demanderesse a sans conteste été utilisée en association avec ses produits de revêtements de sol au Canada.

(5)               Défaut d’accorder un poids suffisant au fait que la nature des produits des parties est telle qu’il y aurait peu de décisions d’achat « sur un coup de tête », ce qui favorise l’absence de confusion

[75]           La demanderesse soutient que la COMC n’a pas accordé de poids au fait que les produits des parties sont d’une nature relativement coûteuse et donc peu susceptibles d’être achetés « sur un coup de tête » par les consommateurs, de telle sorte qu’il pourrait y avoir une confusion d’intérêt initiale ou que la prise de décision pertinente dans l’achat de leurs produits ou services respectifs favoriserait l’absence de confusion.

[76]           Là encore, je ne suis pas d’accord. Bien que le consommateur qui s’apprête à acheter des produits coûteux puisse être quelque peu plus sensible aux marques de commerce associées aux produits ou services qu’il examine, le critère, comme l’a souligné le juge Rothstein dans Masterpiece, reste celui de la « première impression ». Aux paragraphes 67 à 72, il écrit ceci :

[67]      La Cour a affirmé que les consommateurs qui sont à la recherche de biens onéreux sont moins susceptibles de confondre des marques de commerce, mais le critère demeure celui de la « première impression ». Dans ses motifs, le juge s’est fondé sur l’importance et le coût des biens et des services onéreux pour modifier le critère relatif à la probabilité de confusion. Selon lui, le critère applicable n’était pas celui de la première impression que laisse dans l’esprit des consommateurs la vue d’une marque de commerce, mais plutôt le « peu [de probabilité que les consommateurs] basent leur choix sur une première impression ». Cette démarche n’est pas compatible avec le critère en matière de confusion énoncé au par. 6(5) de la Loi, qui a été constamment repris par la Cour, tout récemment d’ailleurs dans Veuve Clicquot.

[68]      Bien qu’il faille l’appliquer dans toutes les situations, le critère fondé sur l’hypothèse, qui sert à décider s’il y a probabilité de confusion, est assez souple pour refléter la remarque faite par le juge Binnie dans Mattel, par. 58 :

Il prend naturellement plus de précautions s’il achète une voiture ou un réfrigérateur, que s’il achète une poupée ou un repas à prix moyen.

[69]      Toutefois, ces précautions ou cette attention, qui constituent l’un des éléments du critère – plus large – fondé sur l’hypothèse, doivent avoir trait à l’attitude du consommateur s’apprêtant à faire un achat important ou coûteux lorsqu’il voit la marque de commerce, et non pas à ses recherches ou précautions ultérieures. Le juge Rand a affirmé ce qui suit dans General Motors Corp. c. Bellows, [1949] R.C.S. 678, p. 692 :

[traduction] Les mots dans cette situation [réfrigérateurs] contribuent‑ils aux vagues impressions ou souvenirs erronés de la personne ordinaire qui s’apprête à faire un achat? [Je souligne.]

[70]      Cette question porte principalement sur l’attitude du consommateur qui s’apprête à faire un achat. Or, l’examen convenable de la nature des marchandises, des services ou de l’entreprise en cause doit tenir compte du fait que la probabilité que des marques de commerce créent de la confusion peut être moins grande lorsque le consommateur est à la recherche de marchandises ou de services importants ou onéreux. Il n’en demeure pas moins que cette probabilité moins grande est toujours fondée sur la première impression du consommateur lorsqu’il voit les marques en question. Le consommateur à la recherche de marchandises ou de services onéreux pourra n’avoir qu’un vague souvenir d’une marque de commerce qu’il a déjà vue, et il portera probablement un peu plus attention à la marque de commerce qui identifie les marchandises ou services qu’il est en train d’examiner, notamment quant aux similitudes ou différences entre cette marque et celle déjà vue. Comme l’a affirmé le juge Binnie dans Mattel, les marques de commerce sont des raccourcis offerts aux consommateurs. Cette affirmation s’applique peu importe que les consommateurs soient à la recherche de marchandises ou de services plus ou moins onéreux.

[71]      Il est sans importance que, comme l’a conclu le juge de première instance, « il [soit] peu probable [que les consommateurs] basent leur choix sur une première impression » ou que, « [e]n règle générale, ils consacrent un temps appréciable à s’informer sur la source de biens et services qui coûtent cher » (par. 43). En effet, tant les recherches ultérieures que l’achat qui s’ensuit ont lieu après que le consommateur a vu une marque.

[72]      Cette distinction est importante car, malgré ce degré d’attention accru, il peut tout de même subsister la probabilité que des marques de commerce créent de la confusion chez le consommateur à la recherche de biens et de services onéreux. Cela dit, une telle confusion peut se dissiper après mûre réflexion au terme de recherches approfondies. Toutefois, cela ne veut pas dire que le consommateur de biens onéreux ne peut bénéficier de la protection du régime des marques de commerce parce qu’il fait preuve de prudence et de méfiance. Ce qui compte, c’est la confusion qui naît dans son esprit lorsqu’il voit les marques de commerce. Il ne faut pas déduire de la dissipation ultérieure de la confusion au terme de recherches approfondies qu’elle n’a jamais existé ou qu’elle cessera de subsister dans l’esprit du consommateur qui n’a pas fait de telles recherches.

[Souligné dans l’original.]

[77]           En l’espèce, je conclus que l’analyse de la COMC, qu’il peut y avoir probabilité de confusion lorsque les consommateurs pertinents voient les marques CAESAR et CAESARSTONE dans les mêmes voies de commercialisation ou dans des voies similaires pour leurs produits respectifs et pour les services visés par l’opposition, était raisonnable. L’analyse de la COMC – que les services visés par l’opposition sont conçus pour différentes applications, et non aux seuls travaux de rénovation de cuisines et de salles de bain, et qu’il n’existe aucune preuve de différences de prix substantielles entre les produits et services des parties – appuie raisonnablement sa conclusion. Lorsqu’une forte ressemblance suggère une probabilité de confusion, et que les autres facteurs du paragraphe 6(5) ne militent pas fortement contre l’existence d’une telle probabilité, il est peu probable que le coût des produits mène à une conclusion différente (Masterpiece, au paragraphe 74).

(6)               A confondu la conclusion sur la confusion et le caractère distinct et utilisé la mauvaise date dans son examen de la question du caractère distinct

[78]           Enfin, la demanderesse fait valoir que la COMC a confondu la conclusion de confusion et le caractère distinct et utilisé la mauvaise date dans son examen du caractère distinct.

[79]           La COMC a effectivement erré en évaluant le caractère distinct au 9 novembre 2009 plutôt qu’au 9 novembre 2010, date de dépôt de la déclaration d’opposition. Je conviens également que pour cette raison, elle n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse a réalisé des ventes plus élevées au Canada en 2010 que la défenderesse.

[80]           Cependant, je conclus que ces erreurs particulières n’ont pas eu d’incidence importante sur la décision.

[81]           À la lumière de l’analyse ci-dessus, je conclus que l’évaluation de la probabilité de confusion faite par la COMC pourrait avoir été influencée par sa conclusion déraisonnable que les services visés par l’opposition sont de nouveaux services et non pas une extension de certains des produits visés par l’enregistrement antérieur de la marque CAESARSTONE. Cette conclusion se situait hors de la plage d’issues raisonnables selon les faits devant la COMC et a affecté l’évaluation subséquente de l’absence de confusion réelle dans le marché lorsque les deux marques coexistaient et le poids qui lui a été accordé, à tout le moins en ce qui concerne les services visés par l’opposition reliés aux carreaux, aux dalles et aux carreaux faits de pierre composite, aux revêtements muraux et aux murs.

[82]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel, mais uniquement à l’égard de la considération par la COMC de la probabilité de confusion à l’égard des services visés par l’opposition reliés aux carreaux, aux dalles et aux carreaux faits de pierre composite, aux revêtements muraux et aux murs.

[83]           Les parties ont convenu que les dépens adjugés à la partie ayant gain de cause devraient être de 5 000 $ pour les honoraires et que les demandes concernant les débours devraient être présentées à la Cour après la décision.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  L’appel est accueilli en partie, à l’égard de la considération par le COMC de la probabilité de confusion en lien avec les services visés par l’opposition concernant les carreaux, les dalles et les carreaux faits de pierre composite, les revêtements muraux et les murs, et la question est renvoyée à un autre membre de la COMC pour réexamen en tenant compte des présents motifs.

2.                  L’appel concernant la décision de la COMC à l’égard des autres services visés par l’opposition est rejeté.

3.                  En raison du succès partagé de l’appel, aucuns dépens ne sont adjugés.

« Michael D. Manson »

Juge


ANNEXE I


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-765-15

INTITULÉ :

CAESARSTONE SDOT-YAM LTD c. CERAMICHE CAESAR S.P.A

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juillet 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

Le 3 août 2016

COMPARUTIONS :

R. Scott MacKendrick

Jerry Chen

Pour la demanderesse

Mitchell Charness

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Ridout & Maybee S.E.N.C.R.L.

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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