Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160830


Dossier : T-1112-13

Référence : 2016 CF 986

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 30 août 2016

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

E. MISHAN & SONS, INC. BLUE GENTIAN, LLC

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

SUPERTEK CANADA INC., INTERNATIONAL EDGE, INC. ET TELEBRANDS CORP.

défenderesses

(demanderesses reconventionnelles)

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le 3 juin 2016, notre Cour a ordonné la tenue d’un procès sommaire concernant la revendication de la défenderesse ou demanderesse reconventionnelle Supertek Canada Inc. en application de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. Les motifs de cette décision sont cités sous la référence 2016 FC 613. Le procès sommaire a eu lieu. Voici les motifs de ma décision en l’espèce.

[2]               J’ai présenté le contexte de cette action aux paragraphes 3 à 15 de mes précédents motifs. Aux paragraphes 70 et 71 de ces motifs, j’ai noté que la seule demanderesse restante était la demanderesse reconventionnelle, Supertek Canada Inc., et que sa revendication portait uniquement sur deux clients potentiels, Canadian Tire et Wal-Mart Canada, et uniquement sur les années 2013 et 2014. À l’audience du procès sommaire, l’avocat de Supertek a informé la Cour que la revendication à l’égard de Wal-Mart Canada était abandonnée, ne laissant à trancher que la revendication à l’égard de Canadian Tire.

[3]               Dans ces motifs, j’utiliserai simplement Supertek pour désigner Supertek Canada Inc. et Emson pour désigner E. Mishan & Sons, Inc.

I.                   Les questions en litige

[4]               Les questions en litiges peuvent être énoncées simplement comme suit :

1.                  Supertek a-t-elle fait la preuve de sa revendication selon laquelle les défenderesses reconventionnelles ont eu une conduite contraire aux dispositions de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce dans leurs transactions avec Canadian Tire en 2013 et 2014? Le cas échéant :

2.                  Est-ce que Supertek a subi des dommages du fait de cette conduite?

3.                  Quelle est la mesure des dommages subis par Supertek, s’il y a lieu, en conséquence de cette conduite?

II.                La preuve

[5]               Les éléments de preuve qui me sont soumis comprennent des affidavits, la transcription des contre-interrogatoires, et des extraits à verser au dossier provenant des interrogatoires préalables, complétés par l’interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins ayant comparu en personne devant la Cour.

[6]               Les témoins qui ont comparu en personne devant la Cour sont :

                     Janny Ng, de Toronto (Ontario). Elle était, au cours de la période visée en 2013 et 2014, gestionnaire et acheteuse pour les produits [traduction] « d’arrosage », comme les tuyaux, pour le compte de Canadian Tire (souvent appelée CTR ou CTC dans la preuve). Elle a témoigné en raison d’une assignation à comparaître. Elle n’a pas discuté de la preuve avec les avocats de l’une ou l’autre des parties avant sa comparution. Durant son témoignage, on a porté à son attention la pièce P7, une série de courriels principalement échangés entre elle et d’autres personnes chez Canadian Tire et avec Supertek ou Emson. Son témoignage a été direct et franc. J’accepte entièrement son témoignage et, dans la mesure où son témoignage peut en contredire d’autres, je préfère son témoignage. En outre, elle a fourni un témoignage là où il semble que d’autres n’ont pas de souvenirs.

                     Patrick Noiseux, de Saint-Malo (Québec). Il est vice-président du service des ventes, du marketing et du développement chez Supertek, la demanderesse reconventionnelle. Son témoignage oral complète la preuve fournie dans trois de ses affidavits déposés devant la Cour, les pièces P1, P2 et P3, ainsi que la transcription de son contre-interrogatoire, pièce D15. Il a présenté le point de vue de Supertek dans cette histoire. Il a admis n’avoir aucune connaissance directe de ce qui aurait pu être discuté entre Emson et Canadian Tire ou des tractations internes à Canadian Tire, sauf pour ce qui était mentionné dans certains courriels qu’il a reçus de Canadian Tire. Son deuxième affidavit, pièce P2, fournit la base pour le calcul des pertes réclamées par Supertek par voie de dommages-intérêts. Son contre-interrogatoire à propos de ces pertes m’a donné l’impression qu’il connaissait très peu ce dont il était question dans cette partie de son affidavit; il était souvent confus par rapport aux données présentées, confondant par exemple les sommes exprimées en dollars américains et en dollars canadiens. Il était le témoin qui a représenté Supertek en interrogatoire préalable, et des parties de la transcription de cet interrogatoire préalable et des pièces ont été versées au dossier sous la cote D16.

                     Edward (Eddie) I. Mishan, de New York (New York). Il est le président de la défenderesse reconventionnelle E. Mishan & Sons, souvent appelée Emson dans la preuve. Son témoignage complète les renseignements présentés dans son affidavit aux pièces D9, D10 et D11, et la transcription de son contre‑interrogatoire, pièce P5. Il a témoigné de ses discussions et de ses rencontres avec des représentants de Canadian Tire. Je suis prudent face à son témoignage, puisqu’il prétend ne pas pouvoir se souvenir de certains événements cruciaux et qu’il répondait parfois de façon superficielle aux questions. Je préfère le témoignage de Janny Ng sur les points où il diffère de celui d’Edward Mishan. Il était le témoin qui a représenté Emson en interrogatoire préalable, et des parties de la transcription de cet interrogatoire préalable et des pièces ont été versées au dossier sous la cote P8.

                     Jack Guindi, de Brooklyn (New York). Il est directeur des ventes chez Emson. Son témoignage complète les renseignements présentés dans son affidavit, pièce D12, et la transcription de son contre-interrogatoire, pièce P6. Il a également participé aux discussions et aux rencontres entre Emson et Canadian Tire. Il avait une meilleure mémoire qu’Edward Mishan et était plus direct, mais s’il avait des trous de mémoire ou que son témoignage contredisait celui de Janny Ng, j’ai préféré celui de Mme Ng.

                     Brad A. Heys, de Toronto (Ontario). Il est vice-président de NERA Economic Consulting, une firme d’évaluation et d’analyse économique et financière. Son témoignage, présenté sous forme d’un rapport (pièce D14), a été présenté comme preuve d’expert. Les parties ont convenu de son expertise comme suit (pièce D23) :
[traduction]

Brad Heys est un analyste financier agréé et un expert en quantification des dommages économiques. Son expertise englobe la quantification des pertes dans les conflits commerciaux et les différends touchant la propriété intellectuelle.

Son rapport constitue essentiellement une critique de la preuve présentée par Patrick Noiseux quant aux pertes et aux dommages, pièce P2. Il signale plusieurs défauts et lacunes dans ce témoignage, mais n’offre pas de solution de rechange évidente à celui-ci; il indique simplement que si la revendication contre les défenderesses reconventionnelles n’est pas établie, les dommages devraient être nuls.

III.             Fondement d’une revendication en vertu de l’alinéa 7a)

[7]               Les avocats des deux parties ont convenu que les éléments essentiels nécessaires pour fonder une revendication en vertu de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, telle que modifiée, sont ceux établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt S. & S. Industries Inc. v Rowell, [1966] SCR 419, à la page 424, c’est-à-dire qu’il doit être établi dans la preuve :

1.                  qu’il y a une déclaration fausse ou trompeuse;

2.                  que la déclaration tend à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’un concurrent;

3.                  qu’il en résulte un dommage.

Les avocats conviennent que le fait qu’il en résulte un dommage est un élément essentiel de la revendication. Ils conviennent également que les dommages doivent être le résultat de la déclaration fausse ou trompeuse, c’est-à-dire qu’il doit y avoir un lien de cause à effet entre la déclaration et le dommage.

IV.             Qu’est-ce qu’une déclaration fausse ou trompeuse?

[8]               Dans S. & S. Industries, la déclaration [traduction] « fausse et trompeuse » prenait la forme d’une mise en demeure envoyée par un avocat représentant le propriétaire d’un brevet à différents concurrents du propriétaire du brevet qui fabriquaient ou vendaient un produit concurrent présumé incorporer la caractéristique brevetée. Cette lettre est reproduite dans les motifs de la Cour suprême, aux pages 430-et 431 du rapport. Je reproduis le dernier paragraphe de cette lettre :

[TRADUCTION]

Sachez qu’à moins de nous faire savoir d’ici une semaine que cesserez immédiatement la fabrication, la vente et l’utilisation de fil plat arciforme pour utilisation dans les soutiens-gorge, nous n’aurons pas d’autre choix que de transmettre l’affaire à nos associés canadiens afin d’entreprendre une action en justice pour violation dudit brevet. Nous attendons votre réponse.

[9]               Il faut noter qu’au moment où la lettre a été envoyée, aucun jugement d’un tribunal n’avait déclaré le brevet invalide; ce n’est que par la suite qu’un tribunal a jugé le brevet invalide, dans une action en invalidation intentée par le récipiendaire d’une telle lettre. La critique formulée par la Cour concernant la déclaration fausse ou trompeuse est que le propriétaire du brevet n’a jamais intenté l’action évoquée et s’est contenté de ce que j’appellerais des tentatives d’intimidation. À la page 431, le juge Spencer écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

La défenderesse n’a cependant jamais intenté une « action en justice pour violation dudit brevet », comme elle avait menacé de le faire. On ne peut que remarquer qu’une telle action aurait été la méthode directe que la défenderesse aurait pu utiliser pour protéger son brevet si elle avait honnêtement cru le brevet valide, et que, par une telle action en vertu de l’article 59 de la Loi sur les brevets, la défenderesse aurait pu obtenir une injonction assurant la protection complète de ses droits présumés. Elle s’est toutefois tournée vers d’autres méthodes pour « protéger son brevet ».

[10]           On peut comparer cela avec les circonstances traitées par le juge Cullen de notre Cour dans la décision M&I Door Systems Ltd. v Indoro Industrial Door Co. Ltd. (1989), 25 CPR (3d) 477 (CF 1re inst.), dans laquelle un avocat agissant pour le compte d’un propriétaire de brevet a fait parvenir aux clients prospectifs d’un concurrent des lettres que la Cour a jugées [traduction] « plus informatives que menaçantes », le propriétaire du brevet appuyant ensuite ses revendications par une action même si, dans cette action, le brevet a ultimement été jugé invalide. À la page 523 de son jugement, le juge Cullen a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Comme je l’ai indiqué plus haut, j’ai déjà conclu que le brevet canadien no 1 178 882 est nul et sans effet. Une ordonnance révoquant et annulant ce brevet sera rendue.

De plus, la défenderesse a demandé [traduction] « des dommages-intérêts, incluant des dommages-intérêts punitifs et exemplaires pour la violation de l’alinéa 7a) de la Loi sur les brevets ». Ma réponse à la revendication de la défenderesse est tempérée par le fait que si j’avais déjà conclu que le brevet en l’espèce était valide, je n’aurais eu aucune difficulté à conclure que la défenderesse avait effectivement violé le brevet. La réclamation en dommages-intérêts est aussi tempérée par le fait que, lorsqu’une société possède un brevet enregistré, celui-ci est à première vue valide et son propriétaire a le droit d’agir sur cette base. Cependant, le propriétaire du brevet doit aussi être conscient que la validité de celui-ci peut être contestée, de sorte que les lettres ou les communications envoyées aux clients du contrefacteur présumé doivent être rédigées avec prudence et circonspection. J’ai examiné les pièces P-17 à P-21 et D-6, qui sont les lettres envoyées aux clients prospectifs des défenderesses. À mon avis, les lettres de M. Taylor (pièces P-17 et P-18) sont empreintes de retenue et plus informatives que menaçantes. De même, les lettres provenant de la firme d’avocats Moss Hammond, c’est-à-dire les pièces P-19 à P-21, sont un suivi auprès des mêmes entreprises et sont encore une fois plus informatives que menaçantes. La lettre de M. Taylor, pièce D-6, est celle qui utilise la phrase la plus ferme : [traduction] « Puisque ces portes constituent une copie exacte de notre système Re-Coil-Away Rolling Rubber Door, nous avons entrepris à ce moment un recours légal en violation de brevet ». M. Taylor était certainement convaincu que c’était le cas, en fait, il en était si convaincu que sa société a intenté cette action en contrefaçon. Cela peut paraître dur comme propos, comme l’a fait remarquer l’avocat de la défenderesse, M. Taylor était fermement convaincu de la pertinence de ses propos et a appuyé cette conviction par une poursuite.

Tel qu’il a été indiqué précédemment, la demanderesse et la défenderesse sont des concurrents sur le marché des portes à rideau, de sorte que ces lettres pourraient en théorie être envoyées à des gens qui pourraient être des clients de la demanderesse ou des clients futurs de la demanderesse, et il ne saurait y avoir d’intention de les offenser ou de les menacer de quelque façon que ce soit.

[11]           Il peut être conclu de ces affaires que l’affirmation d’un brevet ou d’une autre propriété intellectuelle, comme un dessin industriel, qui pourrait subséquemment être déclarée invalide ne sera pas toujours réputée constituer une déclaration fausse ou trompeuse. La Cour doit s’informer de la nature et des circonstances des affirmations et de toute conduite subséquente de la partie faisant les affirmations.

[12]           Il est, par conséquent, important d’examiner le contexte des discussions, des rencontres et des courriels entre Emson et Canadian Tire au cours de la période pertinente, essentiellement la première moitié de 2013.

[13]           Emson fournit, parfois par l’entremise d’une entité liée, un boyau d’arrosage extensible sur plusieurs marchés, y compris au Canada, sous le nom Xhose. Le produit est vendu à plusieurs détaillants canadiens, dont Canadian Tire et Lowe. Le produit Xhose a été retenu par Canadian Tire au deuxième semestre de 2012; Janny Ng a déclaré qu’il avait constitué son premier achat important, ayant jugé qu’il s’agissait d’un produit nouveau et innovateur. Le produit Xhose a été présenté à l’occasion d’une exposition commerciale pour les détaillants à la fin de 2012, et les détaillants ont passé des commandes substantielles, au point tel que la décision inhabituelle d’expédier le produit par voie aérienne a été prise. Emson a fait la promotion du Xhose dans des publicités télédiffusées et le produit a été vendu dans les magasins Canadian Tire assorti du slogan « Tel que vu à la télé ».

[14]           En avril 2013 ou avant, Supertek a approché plusieurs détaillants canadiens pour leur offrir sa version concurrente du produit Xhose, qu’elle appelait Pocket Hose. Plusieurs détaillants ont acheté ce produit de Supertek dans le but d’en faire le lancement dans le cadre d’une promotion du printemps. Supertek a proposé à Canadian Tire d’acheter le produit Pocket Hose et lui a offert une indemnité à l’égard de toute poursuite par Emson. Ceci a incité Janny Ng à demander conseil à un avocat interne de Canadian Tire par courriel parce que le vendeur de Xhose (Emson) [traduction] « menaçait d’intenter des poursuites judiciaires ». Ce courriel du 2 mai 2013 se lisait comme suit :

[TRADUCTION]

Je me demandais si vous pourriez nous fournir des conseils à propos d’un problème de brevet potentiel entre deux produits : Xhose et Pocket Hose?

Avant d’offrir le produit, Supertek (fournisseur offrant le produit Pocket Hose) m’a remis une lettre indemnisant CTR contre toute réclamation intentée contre Pocket Hose ainsi que son point de vue juridique sur le brevet de Xhose. Xhose est un fournisseur actuel de CTR, et il sait que nous offrons le produit Pocket Hose. Il menace d’intenter des poursuites judiciaires.

Pouvez-vous examiner les pièces jointes et nous fournir un avis juridique dans les plus brefs délais?

Nous avons inclus le produit Pocket Hose dans une circulaire qui doit être diffusée le 17 mai, et avons besoin de savoir quelles sont les répercussions éventuelles de cette question.

[15]           Pendant ce temps, Eddie Mishan d’Emson entendait des rumeurs en provenance de certains détaillants canadiens, dont Lowe’s, indiquant que Supertek tentait de vendre son produit Pocket Hose à ces détaillants, incluant Canadian Tire. Il est venu de New York pour rencontrer Canadian Tire, plus particulièrement Janny Ng et son supérieur, Greg Ritchie. Janny Ng se souvient qu’il s’agissait d’un appel téléphonique et non d’une rencontre. Il n’existe aucun compte rendu de ce qui a été dit lors de cette rencontre ou de cet appel téléphonique. M. Mishan nie avoir menacé de poursuivre Canadian Tire. Mme Ng se souvient de la conversation comme suit :

[TRADUCTION]

R.         Essentiellement, ils ont précisé encore une fois qu’ils ont un brevet pour Xhose et qu’ils prennent la chose très au sérieux. Ils ont donc simplement réitéré dans cette conversation qu’ils ont pris des mesures contre les détaillants et les fournisseurs de produits concurrents.

Q.        D’accord. Et qu’est-ce qu’il laissait entendre comme conséquence pour Canadian Tire, selon vous?

R.         Que cela nous concernerait également.

[16]           Le jour suivant, le 3 mai, Janny Ng a envoyé un courriel à Supertek pour demander si la mention de Canadian Tire pouvait être retirée d’une publicité télévisée que Supertek s’apprêtait à diffuser à propos du produit Pocket Hose. Apparemment, Canadian Tire devait figurer dans la liste des détaillants offrant le produit Pocket Hose. Le courriel demandait si Canadian Tire pouvait être retiré de la publicité, parce qu’Emson [traduction] « menaçait d’intenter des poursuites judiciaires » :

[TRADUCTION]

Pouvons-nous retirer CTR de la publicité du Pocket Hose?

Nous avons rencontré Emson hier; elle menace d’intenter des poursuites judiciaires. Nous croyons que nous pouvons tout de même diffuser la circulaire et offrir le produit en magasin, mais nous ne voulons pas que notre nom soit mentionné dans les annonces publicitaires télédiffusées – par ailleurs, ces annonces doivent être approuvées par l’équipe de marketing stratégique de Canadian Tire.

Pouvez-vous participer à une conférence téléphonique à 14 h?

[17]           Supertek a immédiatement répondu par courriel en indiquant que Canadian Tire ne serait pas mentionné dans les publicités :

[TRADUCTION]

J’ai confirmé auprès de Patrick que CTC ne serait pas mentionné dans aucune annonce pour le produit Pocket Hose. Les annonces diffusées contiendront des renseignements généraux et n’indiqueront pas les détaillants.

Voici une liste des détaillants au Canada qui recevront de nous le produit Pocket Hose – Jean Coutu, Home Hardware, Home Depot et Bureau en Gros (à confirmer).

Veuillez nous faire savoir si vous avez besoin de renseignements supplémentaires et si la conférence téléphonique de 14 h est toujours nécessaire.

Nous apprécions votre soutien continu,

[18]           Mimi Bibla de Supertek a eu une conversation téléphonique avec Janny Ng le même jour, le 3 mai. Mme Bibla a rapporté l’essentiel de cette conversation à Patrick Noiseux. L’essentiel de la conversation, comme l’indique le courriel, était [traduction] « qu’à cause d’Emson », Canadian Tire n’achèterait pas d’autres tuyaux Pocket Hose, mais que l’entreprise était disposée à l’offrir sur une base FMA, qui est une formulation interne de Canadian Tire signifiant essentiellement que les détaillants pouvaient individuellement commander le produit auprès de Supertek. Janny Ng a indiqué ne pas se souvenir des éléments précis de cette conversation, mais n’a pas nié que Mme Bibla l’avait rapportée correctement. Le courriel indiquait ce qui suit :

[traduction]

Résumé de la conversation avec Janny – pour l’instant, à cause d’Emson, CTC n’émettra pas d’autres bons de commande pour le produit Pocket Hose.

Janny discutera avec Greg (V.-P.) de l’avenir du produit Pocket Hose. Elle lui demandera s’il sera possible de passer une nouvelle commande si tous les stocks sont vendus dans la foulée de la circulaire.

En guise de solution de rechange, s’il n’est pas possible de passer une nouvelle commande, elle discutera avec nous de la possibilité d’offrir le produit Pocket Hose sur une base FMA.

Nous n’en saurons pas vraiment plus avant la fin de la circulaire.

[19]           De plus, le 3 mai, Janny Ng a envoyé un courriel à Eddie Mishan disant que Canadian Tire ne pouvait rien faire à l’égard de la circulaire, qui était déjà imprimée, mais lui a assuré que Pocket Hose était une offre [traduction] « ponctuelle ». Le courriel indiquait ce qui suit :

[traduction]

Nous avons étudié la situation concernant le produit Pocket Hose : la circulaire est imprimée et le produit est déjà distribué; à ce point-ci, il n’y a rien que nous puissions faire puisqu’il ne s’agit pas d’un rappel exigé par Santé Canada. Nous tenons à préciser que nous n’avons approché aucun fournisseur; en fait, nous avons reçu une autre offre pour les tuyaux Flex-Able, que nous avons fait suivre.

Comme vous le savez, le produit Pocket Hose est déjà largement vendu sur Internet et par différents détaillants à l’échelle du Canada. Canadian Tire a pris la décision d’offrir le produit Pocket Hose de façon ponctuelle afin de conserver sa position concurrentielle sur le marché, après avoir reçu des renseignements juridiques du fournisseur de Pocket Hose. Il est malheureux que le produit se soit rendu chez les détaillants, et nous avons dû prendre des mesures pour préserver notre position concurrentielle sur le marché, comme de nombreux détaillants offraient déjà le produit Pocket Hose.

À ce jour, seul le produit Xhose 50 pieds est tenu en stock, et nous travaillons à ajouter la version 75 pieds ainsi que les supports à l’assortiment de produits. Le fait que le produit soit inscrit à l’assortiment témoigne de notre engagement envers Xhose et des plans d’affaires à long terme dont nous avons discuté hier.

Greg et moi serons à Las Vegas la semaine prochaine pour assister au Hardware Show.

Faites-nous savoir si vous y serez aussi; nous serions ravis de nous entretenir brièvement avec vous à ce sujet.

[20]           M. Mishan a répondu en demandant la tenue [traduction] « immédiate » d’une conférence téléphonique. Janny Ng dit se souvenir de cette conversation, dont l’essentiel figure à la page 32 de la transcription de son témoignage :

[traduction]

Q.        Avez-vous participé à une conversation téléphonique avec M. Mishan --

R.         Oui.

Q.        -- cet après-midi-là?

R.         Oui.

Q.        Et que vous a-t-il dit?

R.         C’est à ce moment que -- Je pense que le courriel précédent était une réponse à la conversation que j’ai eue avec -- non, c’était après. Je crois que c’est à ce moment qu’il a demandé d’avoir -- de mettre fin à la vente. Durant l’appel, il a indiqué qu’il y avait différentes poursuites, des poursuites juridiques, contre les fournisseurs et -- les fournisseurs de tuyaux concurrents et les détaillants, et qu’il allait nous les envoyer afin que nous puissions les examiner et évaluer nos actions; c’était lourd de sens. Ce n’est pas comme s’il avait dit « nous allons poursuivre Canadian Tire en justice », mais il l’insinuait assez clairement.

Q.        Qu’est-ce qu’il insinuait?

R.         Que nous pourrions être impliqués parce que nous proposions le produit Pocket Hose.

[21]           M. Mishan a répondu par courriel le 3 mai à Janny Ng et à son patron, Greg Ritchie, indiquant que [traduction] « l’inventeur des brevets de Xhose est très procédurier » et donnant certains détails au sujet de trois poursuites au Canada et d’une chacune aux Pays-Bas, en France et en Australie. Il a écrit ce qui suit :

[traduction]

Comme je l’ai mentionné lors de notre conversation, l’inventeur des brevets Xhose est très procédurier à l’égard des contrefacteurs et des agents de commercialisation. Voici quelques-unes des poursuites qui ont été intentées à l’échelle mondiale, et nous comprenons que d’autres seront déposées sous peu. De plus, des poursuites ont également été intentées aux États-Unis.

L’inventeur prend la question très au sérieux.

Nous attendons votre réponse concernant notre conversation téléphonique d’aujourd’hui afin de clarifier la question.

[Suit une brève description des six poursuites]

[22]           La mention selon laquelle [traduction] « l’inventeur » est procédurier est quelque peu timorée. Lors de l’interrogatoire préalable, Eddie Misham a admis que les décisions étaient prises par lui et son frère :

[traduction]

Q.        Et c’est à vous que revient la décision de faire exécuter les brevets ou les dessins, n’est-ce pas?

R.         Comme je l’ai dit auparavant, parfois je suis responsable et parfois, ce sont nos avocats qui s’en occupent.

Q.        Bon, ils ne prennent pas la décision pour Emson.

R.         Ils conseillent Emson.

Q.        Et vous décidez?

R.         Mais ils conseillent.

Q.        Et vous décidez?

R.         Et nous décidons.

Q.        Votre frère et vous?

R.         Oui.

[23]           À 1 h 22 dans la nuit du 4 mai, M. Ritchie a envoyé un courriel à M. Mishan, un courriel plutôt impatient, offrant essentiellement deux choix à Emson : laisser Canadian Tire poursuivre sa promotion ponctuelle sans embûches, après quoi Canadian Tire s’en tiendrait au produit Xhose; sinon, Emson pouvait poursuivre Canadian Tire, ce qui mettrait fin à toute relation d’affaires entre Canadian Tire et Emson. Le courriel se termine en mentionnant que les détaillants choisissaient le produit Xhose ou Pocket Hose et que, pour l’instant, Canadian Tire avait choisi le produit Xhose. Le courriel indiquait ce qui suit :

[traduction]

Bonjour Eddie,

J’ai travaillé dans les magasins tout l’après-midi, de sorte que je n’ai pas eu le temps de parler à Janny pour qu’elle me fasse un compte rendu de vos conversations. Janny et moi serons à l’aéroport lundi matin et nous devrions être en mesure de vous téléphoner vers 8 h. Nous devons régler cette question dès lundi. De mon point de vue, il y a deux résultats possibles :

         le propriétaire du brevet comprend la valeur de faire affaire avec nous et confirme qu’il n’y aura pas de poursuite dans la foulée de la promotion ponctuelle du produit Pocket Hose, à partir de quoi nous poursuivrons le plan visant à vendre de façon dynamique le produit Xhose et à élargir l’assortiment de produits pendant le reste de l’année, en espérant que ceci nous amènera de nombreuses et grandes occasions dans la catégorie articles de pelouse et jardin au cours des années à venir;

         le propriétaire du brevet confirme son intention d’intenter une poursuite à l’égard de cette affaire, auquel cas je ne vois pas comment nous pourrions continuer à faire affaire avec Xhose, et CTC devrait réévaluer l’ensemble de ses activités commerciales avec les parties apparentées.

Je m’excuse si mes propos sont trop directs, mais je gère un portefeuille de 750 millions de dollars pour CTC et, bien que la catégorie des produits d’arrosage représente une somme de 50 millions de dollars, ce produit demeure pour l’instant une infime partie des activités commerciales liées aux produits d’arrosage, et je ne puis me permettre de prendre du temps chaque jour pour discuter des résultats possibles. J’ai maintenant en main plusieurs documents légaux de plusieurs fabricants de tuyaux extensibles, incluant des documents indiquant que d’autres propriétaires de brevets poursuivent Xhose pour violation de leurs brevets. Selon la liste des détaillants qui vendent actuellement le produit Pocket Hose, cela semble représenter environ la moitié du marché canadien et plusieurs détaillants en ligne. Tous semblent opter pour un fabricant ou l’autre, et pour l’instant, c’est vous que nous avons choisi.

J’espère que nous pourrons régler cela lundi.

[24]           Le lundi suivant, Janny Ng a rencontré Jack Guindi à une foire commerciale à Las Vegas. Le souvenir qu’a Janny Ng de cette rencontre figure à la page 35 de la transcription de son témoignage :

            [traduction]

Α.        Oui. Donc, j’ai rencontré Jack G. à la foire, et essentiellement, j’ai simplement réitéré le fait que XHose était à ce moment le produit inclus dans l’assortiment. En gros, j’ai répété que la stratégie concernant Pocket Hose était un achat ponctuel avec un nombre précis de produits achetés afin de soutenir la circulaire et la circulaire seulement. À ce moment c’était la bonne chose à faire. Les produits XHose et Pocket Hose étaient tous deux annoncés à la télévision, et ils étaient vendus partout au pays par un grand nombre de détaillants. J’ai indiqué que nous allions appuyer cette stratégie et que nous ne parlerions pas de poursuites ou de choses semblables, parce que c’était une conversation très stressante pour toutes les parties.

Q.        Donc, c’était vous et Jack à la foire commerciale? Vous rappelez-vous à quel endroit vous vous êtes rencontrés?

R.         Moi et Jack, oui, nous avons eu cette conversation.

[25]           Le 10 mai, Greg Ritchie a envoyé un courriel à Jack Guindi disant [traduction] « [qu’]il semblerait que Janny ait réglé la question avec vous ».

[26]           À différents moments pendant son témoignage, Janny Ng a indiqué que ces rapports avec Emson étaient une source de stress. Je garde particulièrement à l’esprit que l’achat de Xhose était sa première transaction majeure. Eddie Mishan et Jack Guindi ont tous deux nié qu’Emson ait menacé de poursuivre Canadian Tire, que ce soit lors des rencontres ou dans les conversations. Les ayant observés à la barre des témoins, je conclus que ce sont des personnes perspicaces, rusées, et dotées d’une intelligence autodidacte. Il est fort possible qu’aucune déclaration directe n’ait été faite à savoir qu’Emson pourrait poursuivre Canadian Tire. Ils n’avaient pas à le faire, en ayant dit suffisamment pour donner à Janny Ng la nette impression que Canadian Tire ferait l’objet d’une poursuite si elle continuait à offrir le produit Pocket Hose de Supertek. Son patron, M. Ritchie, est intervenu en envoyant un courriel à minuit pour dire à Emson que Canadian Tire maintiendra sa promotion ponctuelle de Pocket Hose sans problèmes de la part d’Emson ou que la relation commerciale entre les parties prendrait fin si Emson choisissait de poursuivre Canadian Tire. C’est le marché qui a été conclu entre Mme Ng et M. Guindi à la foire commerciale de Las Vegas, c’est-à-dire que Canadian Tire réaliserait sa promotion ponctuelle du produit Pocket Hose et ne ferait pas l’objet d’une poursuite par Emson.

[27]           À la lumière de la preuve devant moi, je conclus qu’Emson, et plus particulièrement M. Mishan et M. Guindi, dans leurs rapports avec Canadian Tire, et notamment avec Janny Ng, se sont délibérément et habilement conduits de manière à donner à Canadian Tire l’impression qu’elle ferait l’objet d’une poursuite par Emson (et par l’inventeur) pour violation de brevet. Le brevet et le dessin industriel connexe ont été jugés invalides dans des procédures contre Supertek, mais non contre Canadian Tire. Il en résulte qu’Emson a fait des déclarations fausses et trompeuses qui tendent à discréditer les produits de Supertek, en contravention des dispositions de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.

V.                Dommages et causalité

[28]           Les dommages, tel qu’il a été mentionné précédemment, constituent un élément essentiel d’une revendication en vertu de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. Supertek allègue trois types de dommages :

                     Commandes annulées. La preuve démontre que Canadian Tire a annulé deux commandes auprès de Supertek, portant au total sur 9 996 unités du produit Pocket Hose.

                     Manque d’accès aux magasins Canadian Tire individuels (ce que Canadian Tire appelle FMA). La preuve démontre qu’un marchand d’Orillia a commandé 300 unités du produit Pocket Hose de Supertek, la transaction a été réalisée manuellement. Aucun autre marchand n’a commandé le produit Pocket Hose.

                     Canadian Tire Canada n’a jamais passé de commandes supplémentaires pour le produit Pocket Hose à Supertek. Supertek suppose qu’elle aurait vendu 64 500 unités de tuyaux Pocket Hose de 50 pieds chaque année en 2013 et en 2014.

[29]           Il doit cependant exister un lien de causalité entre les dommages allégués et l’acte répréhensible consistant à faire des déclarations fausses et trompeuses.

[30]           Le juge Sopinka, de la Cour suprême du Canada, a traité de la causalité dans ses motifs, au nom de la Cour, dans l’arrêt Snell c. Farrell, [1990] 2 RCS 311. Il a écrit qu’il doit exister un lien de causalité, c’est-à-dire un rapport entre l’acte délictueux et le préjudice subi par la victime. Bien qu’il incombe au demandeur de faire la preuve du lien de causalité, la Cour peut examiner la preuve de façon décisive et pragmatique afin de déterminer s’il existe un lien de causalité. Je reprends ici une partie de ce qu’il a écrit aux pages 326, 328 et 330.

À la page 326 :

La causalité est une expression du rapport qui doit être constaté entre l’acte délictueux et le préjudice subi par la victime pour justifier l’indemnisation de celleci par l’auteur de l’acte délictueux. L’exigence que le demandeur démontre que la conduite délictueuse du défendeur a causé le préjudice du demandeur ou y a contribué estelle trop onéreuse? Un rapport moins important estil suffisant pour justifier une indemnisation?

[...]

À la page 328 :

Je suis d’avis que le mécontentement à l’égard de la façon traditionnelle d’aborder la causalité dépend dans une large mesure de son application trop rigide par les tribunaux dans un grand nombre d’affaires. La causalité n’a pas à être déterminée avec une précision scientifique. C’est, comme l’a dit lord Salmon dans l’arrêt Alphacell Ltd. v. Woodward, [1972] 2 Al  E.R. 475, à la p. 490 :

[traduction]... essentiellement une question de fait pratique à laquelle on peut mieux répondre par le bon sens ordinaire plutôt que par une théorie métaphysique abstraite.

En outre, comme je l’ai fait observer précédemment, l’attribution du fardeau de la preuve n’est pas immuable. Le fardeau et la norme de preuve sont des concepts souples. Dans l’arrêt Blatch v. Archer (1774), 1 Cowp. 63, 98 E.R. 969, lord Mansfield affirme, à la p. 970 :

[traduction] Il s’agit certainement d’une maxime selon laquelle tout élément de preuve doit être apprécié en fonction de la preuve qu’une partie avait le pouvoir de produire et que la partie adverse avait le pouvoir de contredire.

[...]

Et à la page 330 :

Le fardeau ultime de la preuve incombe au demandeur, mais en l’absence de preuve contraire présentée par le défendeur, une inférence de causalité peut être faite même si une preuve positive ou scientifique de la causalité n’a pas été produite. Si le défendeur présente des éléments de preuve contraires, le juge de première instance a le droit de tenir compte du fameux principe de lord Mansfield. À mon avis c’est ce que lord Bridge avait à l’esprit dans l’arrêt Wilsher lorsqu’il a parlé d’une [traduction] « façon décisive et pragmatique d’aborder les faits » (p. 569).

[31]           En l’espèce, n’eût été le témoignage de Janny Ng, j’aurais conclu, par inférence, qu’il existait un lien de causalité entre les déclarations fausses et trompeuses faites par M. Mishan et M. Guindi d’Emson et les dommages que Supertek allègue avoir subis. Le témoignage de Janny Ng est cependant différent. Selon son témoignage, Canadian Tire était satisfaite du produit Xhose et entendait le conserver. L’achat du produit Pocket Hose était un événement ponctuel seulement, et Canadian Tire ne souhaitait pas avoir de problèmes d’inventaire en gardant deux gammes de produits; bien que les discussions avec Emson aient été une source de stress, elles n’ont joué aucun rôle dans les décisions prises par Canadian Tire.

[32]           Je reprends ici une partie du témoignage de Janny Ng.

Aux pages 40 à 42 de son témoignage en interrogatoire principal :

[traduction]

Q.        En gros, on parle de combien d’unités?

R.         Environ 13 000 unités.

Q.        Et est-ce que Canadian Tire a annulé ces commandes de tuyaux Pocket Hose?

R.         Oui.

Q.        Et vous dites dans votre courriel :

« Nous devons annuler ces commandes. »

R.         Oui.

Q.        Et pourquoi deviez-vous annuler ces commandes?

R.         Parce que la décision interne était d’aller de l’avant avec cette circulaire afin de répondre à la demande des marchands pour cette circulaire seulement, mais cette demande, comme nous l’avons décidé, est venue après la circulaire. Donc, les marchands n’achetaient pas pour soutenir la circulaire. Ils soutiendraient les ventes après la circulaire, et ce n’était pas ce que nous avions l’intention de faire.

Q.        Dans quelle mesure, le cas échéant, les menaces de poursuites éventuelles d’Emson ont-elles été un facteur dans cette décision d’affaires?

R.         Elles ont certainement causé un stress, mais ce n’est pas la raison pour laquelle nous sommes -- nous sommes allés de l’avant et avons pris ces décisions. Nous avons mis l’accent sur le fait que nous ne voulions pas soutenir ce programme au-delà de la circulaire, parce que nous voulions nous assurer -- compte tenu du fait que nous offrions aussi les produits d’Emson, nous ne voulions pas avoir tous ces produits, parce que cela causerait des problèmes de stocks excédentaires dans nos entrepôts. Donc, la décision prise à ce moment fut, d’accord, nous y allons, nous y allons à fond, ce qui signifie que les commandes ont été faites pour le produit Pocket Hose et elles ont été excellentes. Ce qui veut dire que nous avons réussi. Nous allons maintenant attendre les ventes en magasin. Puisque la saison était très pluvieuse, nous ne voulions pas non plus être pris avec les produits en magasin, et nous avions aussi le produit Xhose. Nous avions donc deux produits concurrents en magasin, avec la possibilité de surstockage pour les marchands. Alors nous voulions être certains d’y avoir mis fin, comme si nous avions fermé le robinet, de façon à ne pas causer de problèmes d’inventaire plus tard.

Q.        Cette décision d’affaires a été discutée avec Greg?

R.         Avec Greg, avec Mandeep. Vous savez, même si nous avons parlé à l’interne du stress causé par les menaces, ce n’est pas la raison pour laquelle nous avons pris cette décision. C’était essentiellement une décision d’affaires. La gestion des stocks est une partie importante de mon travail, je dois m’assurer que nous ne tenons pas un inventaire trop important pour -- l’avoir en main, parce qu’il arrive fréquemment que nous restions aux prises avec une grande quantité de produits qui n’intéressent pas les clients.

Q.        Mais le stress de ces menaces a fait partie de la discussion?

R.         Ça fait partie du processus mental.

Q.        Et est-ce que -- le magasin Canadian Tire d’Orillia, savez‑vous s’il a plus tard acheté 300 unités du produit Pocket Hose?

R.         En fait, je ne suis pas au courant de ça. Je ne connais pas les FMA précis, pour les approbations qui font effectivement l’objet d’une commande. Elle a été approuvée, alors nous avons salué les efforts faits par Supertek pour approcher les magasins individuellement dans le but de les approvisionner. Dans le cas du programme national, toutefois, nous avons décidé de ne pas aller de l’avant.

Q.        Exact. Aux onglets KK et LL de l’aperçu des courriels, je vois un courriel de qui vous a été envoyé par David DeSouza le 3 juin dans lequel David DeSouza vous demande s’il est possible de faire un FMA pour satisfaire les magasins, et votre réponse du même jour. Est-ce que vous le voyez?

R.         Oui.

Q.        Et dans votre réponse, vous dites :

« Nous ne pouvons approuver aucun FMA pour l’instant. »

R.         Oui, il faudrait que j’aille vérifier les FMA, pourquoi il n’a pas été approuvé. J’ai personnellement permis que cela se produise, alors je devrais vérifier cette situation.

Q.        Donc ce fut une décision d’entreprise?

R.         Je dirais que oui.

Aux pages 61 à 63, en contre-interrogatoire :

[traduction]

Q.        Je comprends. Avez-vous souvenir -- ou avez-vous participé à quelques discussions que ce soit à propos du résultat des poursuites?

R.         Non.

Q.        Savez-vous si le résultat des poursuites a fait l’objet d’une considération quelconque au sein de Canadian Tire?

R.         Non.

Q.        Est-il juste de dire que la question des poursuites, une fois que Canadian Tire a obtenu une indemnisation de son fournisseur et si Canadian Tire ne fait pas elle-même l’objet de la poursuite, ne joue aucun rôle dans la prise des décisions d’affaires?

R.         C’est exact. Une fois que nous recevons une lettre d’indemnisation, nous sommes plus à l’aise; ma perception est qu’il s’agit essentiellement d’acheter des produits qui répondent aux besoins et à la demande de la clientèle. Donc, cela me permet de penser librement à mes propres clients et de m’assurer que j’achète des produits qui répondent à leur demande, que celle-ci soit suscitée par une publicité télédiffusée ou par un besoin précis à la maison. Ceci me permet de penser uniquement au client.

Q.        Vous avez donc reçu deux lettres d’indemnisation de Supertek?

R.         Exact.

Q.        Et vos décisions concernant les tuyaux extensibles que vous entendiez offrir en vente étaient fondées sur des décisions commerciales axées sur le produit, ses ventes et la publicité, c’est-à-dire les éléments dont nous avons parlé?

R.         Exact.

Q.        Vous n’avez annulé aucune commande de produits Pocket Hose en raison de quelque chose que vous a dit Emson?

R.         Non. Si -- certainement, les conversations avec Emson n’étaient pas plaisantes, mais l’idée est que -- vous savez, ma conviction était vraiment de poursuivre la stratégie adoptée en 2012 : offrir le produit Xhose en tant qu’unité de stock en ligne. C’est donc le produit que nous réapprovisionnerions pour nous assurer que nos marchands et nos clients continuent d’y avoir accès. L’achat d’opportunité -- Pocket Hose a toujours été un achat d’opportunité. Si nous avions senti une menace ou vraiment envisagé la possibilité d’une poursuite de la part d’Emson, nous aurions retiré la circulaire, et non -- nous aurions retiré la circulaire, annulé l’activité de promotion et retourné le produit à Supertek.

Q.        Et ce n’est pas ce que vous avez fait, n’est-ce pas?

R.         Non. En fait, nous avons acheté -- la prévision originale pour chaque circulaire, un achat ponctuel, est d’environ 15 000 unités. Je crois que mes derniers chiffres, lorsque j’ai regardé, nous avons commandé environ vingt et quelque mille unités. Nous avons tout vendu. Ce fut une circulaire fructueuse, malgré la saison pluvieuse, et oui, nous avons réussi.

Q.        Donc, Supertek -- je veux dire, Canadian Tire a réalisé le plan adopté en 2012?

R.         Exact.

Q.        Et ces plans ont été réalisés selon les décisions commerciales de la société?

R.         Exact.

[33]           Compte tenu de ce témoignage, je dois conclure qu’il n’existe pas de lien de causalité entre les déclarations fausses et trompeuses faites par Emson et les dommages que Supertek allègue avoir subis. Par conséquent, la revendication présentée par Supertek en vertu de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce doit être rejetée.

VI.             Quantification des dommages

[34]           Ayant conclu que la revendication en vertu de l’alinéa 7a) devait être rejetée, il est inutile pour moi de tirer des conclusions sur la quantification des dommages. Je ferai néanmoins quelques commentaires sur la preuve.

[35]           La preuve relative à la quantification des dommages allégués par Supertek repose entièrement sur le deuxième affidavit de M. Noiseux, pièce P2. Cette preuve fait l’objet de sévères critiques de la part de l’expert d’Emson, M. Heys. Après avoir lu l’affidavit de M. Noiseux et le rapport de M. Heys, et après les avoir tous deux observés à la barre des témoins, j’ai conclu que la preuve présentée par M. Noiseux était plutôt insatisfaisante. Elle contient des erreurs de fond, comme le fait de confondre les devises canadiennes et américaines. Elle ne tient pas compte d’éléments comme les coûts de transport et de réception. Pour estimer quelles auraient été les ventes de Pocket Hose dans un scénario « n’eut été de », elle utilise Magic Mesh, une moustiquaire, ce qui rend la comparaison insatisfaisante. La façon dont M. Noiseux s’est comporté à la barre des témoins lorsqu’il devait traiter ces questions m’amène à conclure qu’il n’est pas du tout familier avec ces calculs ou apte à traiter la question. Je conclurais que Supertek n’a pas quantifié les dommages de manière satisfaisante.

VII.          Conclusion et dépens

[36]           En résumé, j’ai conclu que, bien qu’Emson, par l’entremise de M. Mishan et de M. Guindi, ait fait des déclarations fausses et trompeuses, aucun lien de causalité avec les dommages que Supertek allègue avoir subis n’a été établi. La réclamation de Supertek en vertu de l’alinéa 7a) est rejetée.

[37]           En ce qui concerne les dépens pour ce procès sommaire et les dépens des procédures qui avaient été réservés dans ma décision du 3 juin 2016 (2016 CF 613), j’avais indiqué aux avocats à l’audience que je solliciterais des observations à cet égard. Cependant, ayant examiné la question de manière plus approfondie, il ne sera pas nécessaire de les entendre, puisque je conclus que chacune des parties doit assumer ses propres dépens. Par conséquent, aucune ordonnance ne sera prise relativement aux dépens.

[38]           La principale question en litige en l’espèce, qui a exigé plusieurs procès et audiences, portait sur la validité et la contrefaçon du brevet 882. Une fois cette question résolue par une décision de notre Cour, confirmée par la Cour d’appel fédérale, les autres questions portant sur la validité de la conception et la revendication en vertu de l’alinéa 7a) auraient dû être réglées. Emson a tenté de se défaire de la question de la conception par la voie d’une [traduction] « cession », mais Supertek a persisté, et obtenu gain de cause, sur la question de l’invalidité. Mais pourquoi s’en faire? La revendication de Supertek en vertu de l’alinéa 7a) n’a cessé de rétrécir à mesure que l’affaire progressait vers un procès sommaire, ne laissant que la question de Canadian Tire et des années 2013-2014 d’une revendication beaucoup plus vaste. En surface, la revendication semble avoir une certaine substance, mais le témoignage de Janny Ng, que personne n’aurait pu prédire, a réglé la question. Des personnes plus rationnelles auraient réglé l’affaire une fois la question du brevet résolue. Il est donc approprié que chacune des parties s’acquitte de ses dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La revendication présentée par Supertek en vertu de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Roger T. Hughes »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1112-13

INTITULÉ :

E. MISHAN & SONS, INC. ET BLUE GENTIAN, LLC c. SUPERTEK CANADA INC., INTERNATIONAL EDGE, INC. ET TELEBRANDS CORP.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 23 et 24 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

DATE DES MOTIFS :

Le 30 août 2016

COMPARUTIONS :

Angela M. Furlanetto

Alan Macek

Pour les demanderesses

(DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES)

Andrew I. McIntosh

Adam Bobker

Pour les défenderesses

(DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dimock Stratton LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

(DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES)

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les défenderesses

(DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.