Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20160830

Dossier : T-653-13

Référence : 2016 CF 987

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 août 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

CHANEL S. DE R.L.

CHANEL LIMITED ET

CHANEL INC.

demanderesses

et

LAM CHAN KEE COMPANY LTD.,

ANNIE PUI KWAN LAM ET SIU-HUNG LAM,

FAISANT ENSEMBLE AFFAIRE SOUS LE NOM DE LAM CHAN KEE ET 2133694 ONTARIO INC.

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Comme l’exige la Cour d’appel fédérale, il s’agit d’un réexamen de la requête en procès sommaire présentée par les demanderesses, Chanel S. de R.L., Chanel Limited et Chanel Inc.

JUGEMENT INITIAL

[2]               Le 18 septembre 2015, les demanderesses ont obtenu un jugement [le jugement initial] contre Lam Chan Kee Company [LCK Company] et 2133694 Ontario Inc. [‘694 Inc.] [désignées collectivement comme les sociétés défenderesses] et Annie Pui Kwan Lam [Mme Lam] alors que leur recours contre le mari de Mme Lam, M. Siu-Hung Lam, a été rejeté (Chanel S. de R.L. c. Kee, 2015 CF 1091 [motifs de la Cour fédérale]).

[3]               La Cour a retenu les éléments de preuve non contredits des demanderesses, selon lesquels des produits Chanel contrefaits ont été offerts en vente ou ont été vendus dans un magasin traditionnel de vente au détail faisant affaire sous le nom LAM CHAN KEE [l’entreprise], situé au local B25, Pacific Mall, 4300 Steeles Avenue East, Markham (Ontario) [les locaux], à l’égard des quatre éléments suivants :

a)         Le ou vers le 23 octobre 2011, avoir offert en vente 20 à 25 étuis de téléphone cellulaire Chanel contrefaits, au moins un (1) petit portefeuille ainsi que quelques bracelets de plastique et des pinces à cheveux;

b)         Le ou vers le 9 décembre 2011, avoir offert en vente cinq (5) portefeuilles Chanel contrefaits;

c)         Le 26 avril 2012, avoir offert en vente six (6) paires de boucles d’oreilles Chanel contrefaites, trois (3) étuis de téléphone cellulaire Chanel contrefaits et avoir fait l’achat de boucles d’oreilles Chanel contrefaites;

d)         Le ou vers le 2 juin 2013, avoir offert en vente 100 produits Chanel contrefaits, comprenant des étuis de téléphone cellulaire, des colliers, des pinces à cheveux et des autocollants à faux ongles et avoir acheté un étui de iPhone, un collier et un ensemble d’autocollants à faux ongles [la contrefaçon du 2 juin 2013].

[4]               La Cour a conclu que les sociétés défenderesses et Mme Lam [désignées collectivement comme les défenderesses en cause] ont contrevenu aux droits de Chanel Inc., qui détient la licence d’utilisation de la marque de commerce Chanel au Canada, ainsi qu’à ceux de Chanel Limited, qui détient les droits de la marque de commerce Chanel (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 22). Étant donné que les défenderesses ont poursuivi leurs activités de contrefaçon au moins jusqu’au 2 juin 2013, et étant donné la nature des activités visées, la Cour a accordé les mesures suivantes en vertu de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13 :

a)         Un jugement déclaratoire confirmant la validité et la propriété de la marque de commerce Chanel;

b)         Une injonction interdisant aux défenderesses en cause de poursuivre leurs activités de contrefaçon;

c)         Une injonction exigeant la remise et la destruction de tous les biens contrefaits existant dans un délai de vingt et un (21) jours de la date du jugement initial.

[5]               En plus du jugement déclaratoire et de la mesure injonctive sollicitée dans les requêtes des demanderesses en vue d’obtenir un jugement par défaut et un procès sommaire, la Cour a également ordonné aux défenderesses en cause de payer la somme de 64 000 $ en dommages‑intérêts [l’adjudication des dommages-intérêts compensatoires], une somme de 250 000 $ en dommages-intérêts punitifs et exemplaires [l’adjudication des dommages-intérêts punitifs] et une somme de 66 000 $ à titre de dépens [l’adjudication des dépens].

DÉCISION DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

[6]               Les demanderesses n’ont pas interjeté appel de la partie du jugement initial rejetant leur demande de procès sommaire contre le mari de Mme Lam, et les deux sociétés défenderesses n’ont pas interjeté appel du jugement par défaut rendu à leur égard. Toutefois, Mme Lam a interjeté appel de la décision la condamnant, solidairement avec les sociétés défenderesses, à payer des dommages-intérêts et des dommages-intérêts punitifs, soulevant plusieurs motifs pour écarter la décision. Le 11 avril 2016, la Cour d’appel fédérale a accueilli en partie l’appel de Mme Lam, sans frais, et a renvoyé la requête en procès sommaire au juge de première instance pour réexamen, conformément aux motifs du jugement de la Cour d’appel fédérale (Kwan Lam c. Chanel S de R.L., 2016 CAF 111 [motifs de la CAF].

[7]               Premièrement, la Cour d’appel fédérale a conclu que les allégations de Mme Lam, selon lesquelles la Cour avait commis une erreur en instruisant le recours sommaire, étaient sans fondement (motifs de la CAF, aux paragraphes 15 et 16). De plus, la Cour d’appel fédérale a conclu que la Cour n’avait pas commis d’erreur en prononçant l’adjudication de dommages‑intérêts symboliques, en établissant le montant symbolique de chaque cas à 8 000 $ et en accordant des dommages-intérêts tant au titulaire de la marque de commerce qu’au titulaire de la licence pour chaque acte de contrefaçon (motifs de la CAF, aux paragraphes 18 et 19). Par conséquent, aucune de ces conclusions ne peut être contestée aujourd’hui par Mme Lam.

[8]               Deuxièmement, la Cour d’appel fédérale a souligné que le montant des dommages‑intérêts exemplaires et punitifs accordé aux demanderesses « est considérable et [...] dépasse le montant adjugé dans de nombreuses décisions antérieures » (motifs de la CAF, au paragraphe 23), mais que la comparaison du montant des dommages-intérêts punitifs à celui des dommages-intérêts compensatoires ne rend pas nécessairement l’adjudication susceptible d’annulation, tout dépendant des conclusions et des motifs les justifiant (motifs de la CAF, aux paragraphes 23 et 25). La Cour d’appel fédérale a néanmoins conclu que « [d]es dommages-intérêts punitifs de cette ampleur » nécessitaient une explication fondée sur les critères juridiques applicables et sur les faits particuliers à l’affaire plus détaillée que celle offerte par le juge de première instance (motifs de la CAF, au paragraphe 23). À cet égard, la Cour devra tenir compte des facteurs pertinents décrits par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18 [Whiten], aux paragraphes 112 à 113, de façon à s’assurer que le montant adjugé ne va pas au-delà du montant nécessaire pour atteindre les objectifs visés par la Cour en imposant des dommages-intérêts punitifs (motifs de la CAF, au paragraphe 24).

[9]               Troisièmement, la Cour d’appel fédérale a noté au paragraphe 13 de sa décision qu’il est précisé, aux motifs de la Cour fédérale, que les dommages-intérêts punitifs et compensatoires ont été imposés en fonction du principe selon lequel les défenderesses en cause doivent être tenues responsables des quatre cas de contrefaçon (ceux du 23 octobre 2011, du 9 décembre 2011, du 26 avril 2012 et du 2 juin 2013 [dates des contrefaçons]), et c’est pourquoi elle a ordonné qu’elles soient solidairement responsables de la totalité de la contrefaçon (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 5, 6, 16, 22, 20 et 24). La Cour d’appel fédérale a toutefois conclu que la conclusion à l’égard de la responsabilité personnelle de Mme Lam dans la contrefaçon du 2 juin 2013 était ambiguë (motifs de la CAF, aux paragraphes 5, 8 à 13, 20 et 21). Cette ambiguïté provient du fait que de nombreux paragraphes des motifs de la Cour fédérale concluent à la responsabilité de Mme Lam pour la totalité des quatre cas de contrefaçon (motifs de la Cour fédérale aux paragraphes 5, 18, 19, 20 et 22), alors que deux paragraphes semblent indiquer que la Cour juge que l’appelante est uniquement responsable des activités de contrefaçon jusqu’au 28 mai 2013 (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 7 et 16).

[10]           La Cour d’appel fédérale, aux paragraphes 9 et 10 de ses motifs, renvoie plus précisément aux paragraphes 7 (dernière phrase) et 16 des motifs de la Cour fédérale, qui sont formulés ainsi :

[7] […] La Cour estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’en dépit de tout transfert d’actions à Justin et à Jessica Lam, LCK Company et Madame Lam ont continué d’exploiter et de contrôler l’entreprise Lam Chan Kee au moins jusqu’au 28 mai 2013.

[…]

[16] La Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que LCK Company a poursuivi l’exploitation de Lam Chan Kee au moins jusqu’au 28 mai 2013 et qu’après cette date, ‘694 Inc. doit être tenue responsable des activités de contrefaçon exercées dans les locaux. Elle conclut également que Madame Lam a continué d’utiliser le bien comme s’il lui appartenait après le transfert allégué. Le dossier contient des éléments de preuve clairs donnant à penser que [Madame Lam] a continué d’exercer un contrôle sur l’entreprise. De plus, on ne sait pas très bien si le personnel a été avisé du changement de propriétaire, et Madame Lam est restée propriétaire des locaux. C’est elle qui a eu recours aux services d’un avocat, et non pas Justin Lam, lorsque les demanderesses ont introduit la présente procédure. Madame Lam n’a pas non plus informé ses enfants de la lettre du 9 décembre 2011 invitant l’exploitant de Lam Chan Kee à cesser ses activités illégales dans les locaux. La Cour conclut que Madame Lam doit être tenue personnellement responsable, avec les deux entreprises défenderesses, des activités de contrefaçon exercées dans les locaux jusqu’au 28 mai 2013, mais il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de tirer une telle conclusion en ce qui concerne l’autre défendeur, S. Lam, car je ne suis pas convaincu que ce dernier était l’âme dirigeante des deux entreprises défenderesses ou qu’il a participé personnellement aux activités de contrefaçon.

[11]           En conclusion, la Cour d’appel fédérale a conclu que cette ambiguïté du jugement initial vicie l’adjudication des dommages-intérêts compensatoires et punitifs de même que l’adjudication des dépens puisque le montant adjugé pourrait être différent si Mme Lam était tenue responsable de trois cas de contrefaçon plutôt que de quatre (motifs de la CAF, aux paragraphes 21 et 22). Par conséquent, la Cour doit aujourd’hui résoudre l’ambiguïté relative à l’implication de Mme Lam dans la contrefaçon du 2 juin 2013 et réexaminer, avec des motifs suffisants, le montant des dommages-intérêts et des dépens (motifs de la CAF, au paragraphe 28).

POSITION DES PARTIES À L’ÉGARD DU RÉEXAMEN

[12]           Les parties conviennent que la portée du réexamen est limitée et qu’il doit être mené conformément aux motifs de la CAF. En résumé, les demanderesses font valoir qu’il n’y a pas de motifs justifiant de scinder l’adjudication des dommages-intérêts compensatoire ou de diminuer le montant de l’adjudication des dommages-intérêts punitifs et des dépens. Mme Lam, pour sa part, demande à la Cour de scinder l’adjudication des dommages-intérêts compensatoires et de réduire le montant des dommages-intérêts punitifs et des dépens.

Position des demanderesses

[13]           Tout d’abord, les demanderesses font valoir que « l’ambiguïté » observée par la Cour d’appel fédérale est seulement apparente et que l’intention de la Cour fédérale était de conclure que Mme Lam était, tout au long de la période visée, personnellement responsable des quatre cas de contrefaçon décrits dans les motifs, y compris de celui du 2 juin 2013.

[14]           Même si la preuve de l’implication directe du mari de Mme Lam dans les activités de contrefaçon alléguées peut être insuffisante – il ne demeurait plus au Canada et il vivait en Chine pendant ce temps – les demanderesses allèguent une fois de plus qu’à titre de tête dirigeante des sociétés défenderesses et de locatrice et propriétaire de l’entreprise, Mme Lam a aidé, encouragé, autorisé et approuvée l’importation, la publicité, l’offre de vente et la vente d’accessoires de mode portant la marque de commerce Chanel dans les locaux de l’entreprise. Les demanderesses sont donc d’avis que la Cour ne devrait pas modifier son jugement antérieur, qu’elle devrait réitérer ses déclarations et qu’elle devrait maintenir la condamnation prononcée contre les défenderesses en cause.

[15]           Deuxièmement, en ce qui a trait aux dommages-intérêts punitifs, les demanderesses soutiennent que la Cour doit maintenir la totalité de l’évaluation des dommages-intérêts établie dans les motifs de la Cour fédérale, y compris l’adjudication des dommages-intérêts punitifs, car les motifs de la Cour fédérale et les éléments de preuve déposés lors du procès sommaire démontrent la responsabilité de la défenderesse pour la contrefaçon du 2 juin 2013. En effet, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’une adjudication de dommages-intérêts punitifs de 250 000 $ pouvait être une réparation raisonnable dans une affaire comme celle-ci, bien qu’elle soit proportionnellement plus élevée que les adjudications ordonnées par la jurisprudence antérieure (motifs de la CAF, aux paragraphes 24 à 26). Par conséquent, compte tenu de l’ambiguïté reliée à la date du 2 juin 2013, la contrefaçon doit être tranchée de la façon précisée plus haut, le fondement de l’adjudication de dommages-intérêts punitifs pouvant servir de fondement pour réaffirmer les montants établis aux motifs de la Cour fédérale.

[16]           Les demanderesses affirment également que plusieurs facteurs énoncés dans l’arrêt Whiten sont reflétés dans la conduite des défenderesses en cause, y compris le fait que la vente des produits contrefaits et les tentatives subséquentes d’occulter l’implication de Mme Lam étaient faites « avec préméditation et de propos délibéré », que la vente des biens contrefaits a été réalisée de façon continue sur une longue période, que la motivation de Mme Lam était de générer du profit et, par la suite, d’éviter sa responsabilité, qu’elle a continué de tirer un avantage financier de la vente des produits contrefaits, qu’il est manifeste que Mme Lam savait que sa conduite était illégale, qu’elle a tenté d’éviter sa responsabilité en présentant les éléments de preuve d’un soi-disant transfert en 2011 et que ce type de vol constitue une infraction grave (motifs de la CAF, au paragraphe 25).

[17]           Troisièmement, à l’égard de l’adjudication des dépens de 66 000 $, les demanderesses observent qu’en revoyant l’affaire pour réexamen, la Cour d’appel fédérale n’a pas conclu que la Cour fédérale a commis une erreur dans la détermination des dépens lors du procès sommaire. De plus, la détermination de la responsabilité pour la contrefaçon du 2 juin 2013 peut avoir une conséquence sur le montant des dommages-intérêts compensatoires, mais elle ne remet pas en cause le fondement de l’adjudication des dépens dans les motifs de la Cour fédérale.

[18]           En ce qui a trait aux dépens du présent réexamen, les demanderesses cherchent à obtenir l’adjudication de dépens avocat-client de 22 000 $ en lieu et place des dépens taxés et débours, étant donné les tentatives continues de Mme Lam d’éviter sa responsabilité et, subsidiairement, la somme de 6 025,59 $, soit pour le dédoublement des dépens de 5 600 $ et 425,59 $ en débours découlant d’une offre de règlement faite par les demanderesses, laquelle peut être produite sur demande.

Position de Mme Lam

[19]           Tout d’abord, selon Mme Lam, l’interprétation du paragraphe 16 mène à la conclusion selon laquelle la Cour a jugé qu’elle n’était pas associée à LCK Company après le 28 mai 2013. Il serait donc incohérent de la rendre personnellement responsable de la contrefaçon du 2 juin 2013. Par conséquent, elle est d’avis que l’adjudication des dommages-intérêts compensatoires de 64 000 $ devrait être scindée en deux condamnations distinctes : 1) il devrait être ordonné à Mme Lam de payer la somme de 48 000 $, solidairement avec les sociétés défenderesses; 2) les sociétés défenderesses devraient être condamnées à payer, solidairement, une somme supplémentaire de 16 000 $.

[20]           Deuxièmement, Mme Lam fait valoir aujourd’hui que les dommages-intérêts punitifs de 250 000 $ ordonnés par la Cour contre les trois défenderesses en cause sont déraisonnables et ne respectent ni les règles de la proportionnalité ni la jurisprudence établie sur les questions de marque de commerce ou de droits d’auteur au Canada, et ce, même s’il est tenu compte des quatre activités de contrefaçon (Louis Vuitton Malletier S.A. c. Yang, 2007 CF 1179 [Yang]; Louis Vuitton Malletier S.A. v. 486353 B.C. Ltd et al., 2008 BCSC 799 [486353 BC Ltd], Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga Enterprises (Canada) Inc., 2011 CF 776, aux pages 168 à 170 [Singga], et Chanel de RL and Chanel Inc v Jiang Chu, 2011 FC 1303 [Chu]).

[21]           Mme Lam ne conteste pas le principe selon lequel le montant de dommages-intérêts punitifs et exemplaires doit être assez élevé pour faire réfléchir le défendeur (Singga, au paragraphe 169). Elle soutient toutefois que les dommages-intérêts punitifs ont pour objectif de dissuader des contrefacteurs potentiels à adopter ce comportement, mais que la présente adjudication de dommages-intérêts punitifs crée un nouveau seuil, en dépit de l’existence d’un comportement plus grave de la part d’autres défendeurs. Mme Lam fait valoir qu’elle n’est pas réputée être un fabricant ou un importateur, qu’elle n’a pas fait l’objet de plusieurs chefs d’accusation de contrefaçon en vertu de la Loi et qu’elle n’a pas non plus été accusée en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, LRC (1985), ch. C-42. Mme Lam demande à la Cour de réduire de 175 000 $ les dommages-intérêts punitifs et soutient qu’une adjudication de 75 000 $ serait raisonnable dans les circonstances.

[22]           Elle soutient en outre ne pas avoir participé à la totalité des activités de contrefaçon auxquelles se sont impliqués d’autres défendeurs dans d’autres décisions concernant la contrefaçon de marque de commerce. Elle ajoute que sa conduite ne devrait pas être réputée comme ayant été planifiée ou délibérée puisqu’elle n’était pas la vendeuse au moment des actes de contrefaçon allégués et qu’elle n’était pas présente lorsque les enquêteurs des demanderesses se sont présentés au magasin de vente au détail et qu’ils ont constaté la présence de bijoux portant les marques de commerce Chanel. Elle fait de plus valoir qu’elle n’avait pas de mobile ou d’intention et qu’elle n’a pas persisté ou commis de conduite inacceptable sur une longue période. Elle allègue en effet qu’elle n’avait aucun contrôle sur les produits vendus par la nouvelle société après qu’elle a vendu ses intérêts dans la compagnie. Mme Lam prétend également que la Cour devrait tenir compte du fait qu’elle revendait prétendument des bijoux et des produits que les demanderesses elles-mêmes n’offrent pas dans leur gamme de produits. Elle soutient également ne pas avoir caché ou tenté de cacher son identité.

[23]           Troisièmement, Mme Lam fait valoir que les dépens accordés aux demanderesses dans le jugement initial sont plus élevés que les dommages-intérêts symboliques adjugés, ce qui soulève la question de la proportionnalité. Elle affirme que le montant des dépens adjugés sur une base avocat-client n’est pas conforme aux dépens réels engagés pour le procès sommaire, qui s’est déroulé rapidement et sans encombre. L’adjudication des dépens de 66 000 $ contre les défenderesses en cause est déraisonnable et devrait être réduite à 32 000 $, payables immédiatement, au lieu des dépens taxés. En outre, les demanderesses devraient être condamnées par la Cour à payer immédiatement à Mme Lam la somme de 32 000 $ comprenant les débours, en lieu et place des dépens taxés pour la présente requête en procès sommaire et le réexamen par la Cour.

RÉEXAMEN DE LA REQUÊTE EN PROCÈS SOMMAIRE

[24]           Après avoir réexaminé l’affaire et considéré de nouveau tous les éléments de preuve soumis par les parties lors de l’audience sur la requête en procès sommaire tenue à Vancouver le 2 août 2015 (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 3 et 4), compte tenu des conclusions antérieures de la Cour et des motifs de la Cour d’appel fédérale, et après avoir considéré les observations additionnelles des avocats dans leurs nouveaux documents déposés et lors de l’audience tenue à Vancouver le 3 août 2016, la Cour est d’avis que les conclusions, déclarations, ordonnances et condamnations prononcées et rendues contre les sociétés défenderesses et Mme Lam dans le jugement initial, y compris l’adjudication des dommages-intérêts compensatoires, des dommages-intérêts punitifs et des dépens, doivent être confirmées et demeurer inchangées. Mme Lam est personnellement responsable, à tous égards et tout au long de la période visée, des activités de contrefaçon qui se sont déroulées à l’entreprise ou dans les locaux le 23 octobre 2011, le 9 décembre 2011, le 26 avril 2012 et le 2 juin 2013.

RESPONSABILITÉ PERSONNELLE DE MME LAM

[25]           La Cour a conclu dans son jugement initial et confirme aujourd’hui que Mme Lam était, tout au long de la période visée, l’âme dirigeante des deux sociétés défenderesses. Elle doit être tenue personnellement responsable des activités illégales ininterrompues de contrefaçon s’étant déroulées pendant plusieurs années à l’entreprise ou dans les locaux.

[26]           Dans son jugement initial, la Cour a rejeté l’objection de Mme Lam et de son mari [les défendeurs individuels] selon laquelle la présente affaire ne se prêtait pas à une disposition à la suite d’un procès sommaire, et elle a trouvé Mme Lam personnellement responsable des actes en question, tout en exonérant son mari de toute responsabilité (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 5). Malgré le transfert d’actions allégué à Justin et à Jessica Lam en août ou en septembre 2011 (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 13), la Cour a retenu les arguments des demanderesses (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 14) et a conclu que les éléments de preuve des défenderesses étaient intéressés, non probants et contradictoires (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 15).

[27]           Les modifications de société, y compris le remplacement en mai 2013 de Mme Lam par sa fille comme présidente de ‘694 Inc., n’a pas modifié à ce moment et ne devrait pas modifier aujourd’hui la responsabilité qui incombe à Mme Lam. Conclure en sens contraire aurait pour effet d’accorder une protection aux personnes ou aux entreprises tentant d’éviter leur responsabilité en modifiant une incorporation, alors qu’elles seraient manifestement responsables de la commission de contrefaçon et d’activités illégales (voir la Loi sur les cessions en fraude des droits des créanciers, L.R.O. 1990, chap. F.29, à l’article 2; Prodigy Graphics Group Inc. v. Fitz-Andrews, [2000] O.J. no 1203, 2000 CarswellOnt 1178 (SCJ), au paragraphe 152).

[28]           À l’exception de l’ambiguïté sur la question de l’implication de Mme Lam dans la contrefaçon du 2 juin 2013 (motifs de la CAF, au paragraphe 19), la Cour d’appel fédérale a aussi affirmé qu’il n’y avait pas de motifs d’écarter les autres déterminations de la Cour à l’égard de l’implication et de la responsabilité de Mme Lam dans la présente affaire (motifs de la CAF, au paragraphe 27). Il n’y a donc pas de fondement aujourd’hui permettant d’examiner de nouveau la responsabilité solidaire des sociétés défenderesses (LCK Company et ‘694 Inc.) pour les quatre cas de contrefaçon, ni aucun argument selon lequel les conclusions factuelles et légales restantes déjà rendues en l’espèce ne lient pas les parties.

[29]           Peut-être que l’ambiguïté apparente relevée par la Cour d’appel fédérale aurait pu être clarifiée beaucoup plus tôt par la Cour au moyen d’une requête déposée par l’une des parties en vertu du paragraphe 397(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, afin de réexaminer ou de clarifier les conclusions du jugement initial, puisqu’il ne semblait pas concorder avec une partie des motifs. Le paragraphe 397(2) permet également à la Cour de corriger en tout temps les fautes de transcription, les erreurs ou les omissions contenues dans un jugement ou dans une ordonnance. Quoi qu’il en soit, aucune confusion ni incompréhension ne devrait persister après ce réexamen. La Cour prend l’entière responsabilité de toute mauvaise interprétation des paragraphes visés de ses motifs relativement à la date du 28 mai 2013 ou de l’utilisation de cette date par rapport à la date du 2 juin 2013 (paragraphes 8 et 16) et elle réaffirme sa conclusion antérieure selon laquelle les défenderesses en cause, y compris Mme Lam, sont responsables des quatre cas de contrefaçon, y compris de celui du 2 juin 2013 (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 5, 18, 19, 20 et 22).

[30]           Les sociétés défenderesses n’ont pas comparu ni interjeté appel des conclusions de la Cour dans le jugement initial. Pour que tout soit clair, la date du 28 mai 2013 est uniquement pertinente pour la question du poids à accorder aux documents de la société invoqués par les défenderesses individuelles. Au risque de se répéter, la Cour a déjà conclu que les éléments de preuve des défenderesses individuelles sont intéressés et devraient recevoir très peu de poids (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 15). Les documents de société concernant la société ‘694 Inc., qui est une coquille vide incorporée en 2007 par Mme Lam, auraient été achevés en mai 2013 par Suiwai (Ronald) Mak [Ronald Mak], qui était le comptable des défenderesses individuelles et qui les a aidées dans la vente alléguée de l’entreprise (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 13). Le 2 mai 2013, Justin Lam et Jessica Lam ont été enregistrés comme étant les administrateurs de la société ‘694 Inc., Jessica Lam étant inscrite comme secrétaire du conseil d’administration et Justin Lam, comme trésorier. Le 28 mai 2013, Jessica Lam a été inscrite comme présidente de ‘694 Inc. Toutefois, ni Mme Lam ni ses témoins ne peuvent expliquer à la Cour les raisons du long délai qui s’est écoulé avant de déposer des modifications de la société au registraire ou avant d’en aviser les demanderesses. Alors que ces modifications de société auraient été approuvées et signées par Mme Lam et ses enfants vers le mois d’août ou de septembre 2011, les documents signés ont été déposés et portés à l’attention des demanderesses en mai 2013, soit après la signification de la demande introductive d’instance. De plus, les adresses personnelles des défenderesses individuelles, Justin Lam et Jessica Lam, indiquées sur les documents de société de ‘694 Inc. sont demeurées identiques à toutes les époques en cause, soit : 119 Boake Trail, Richmond Hill (Ontario) (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 8).

[31]           Quoi qu’il en soit, sans égard aux modifications de société survenues après le 28 mai 2013, Mme Lam a continué d’utiliser la propriété comme si elle était la sienne et a continué à contrôler l’entreprise. Selon les éléments de preuve déposés au dossier, il demeure incertain et non concluant si la vente complète et effective de ‘694 Inc. a eu lieu. Mme Lam n’a pas été en mesure de fournir des éléments de preuve lors des deux audiences qui soutiendraient ou corroboreraient son allégation selon laquelle ses enfants ont payé la totalité du solde de 30 000 $ pour la vente de ‘694 Inc. (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 13). On ne sait pas non plus très bien si le personnel a été avisé du changement de propriétaire. Mme Lam demeure propriétaire et locatrice des locaux. Mme Lam a également déclaré dans son témoignage qu’il n’était pas nécessaire d’aviser Pacific Mall du changement de société puisque la vente de l’entreprise était réalisée entre elle et ses enfants. De plus, Mme Lam bénéficiait toujours des profits réalisés par l’entreprise après la vente de la société puisqu’elle recevait un soutien financier continu pour ses frais de subsistance et pour le remboursement des frais de gestion qu’elle payait pour les locaux (contre-interrogatoire d’A. Lam, de la page 64, ligne 10, à la page 65, ligne 1; contre-interrogatoire de J. Lam, de la page 87, ligne 3, à la page 88, ligne 8). En outre, c’est Mme Lam, et non Justin Lam ou Jessica Lam, qui a engagé l’avocat pour les représenter en l’espèce lorsque les demanderesses ont entrepris leur recours. Mme Lam n’a pas non plus informé ses enfants de la lettre de mise en demeure du 9 décembre 2011 adressée à l’exploitant de l’entreprise exerçant ses activités dans les locaux. La Cour note que Justin Lam a mentionné dans son témoignage n’avoir aucun souvenir que Mme Lam lui aurait conseillé de prendre des mesures pour répondre à la poursuite. Il n’a d’ailleurs pas discuté de la poursuite avec un avocat. J’accorde très peu de poids aux affidavits de Mme Lam et de Justin Lam (16 mars 2015) en raison des réponses contradictoires et confuses données lors de leur contre‑interrogatoire (8 juin 2015 et 9 juin 2015 respectivement).

[32]           Par conséquent, les motifs sous-tendant les modifications de société et le transfert de propriété allégué par les défenderesses individuelles sont très douteux (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 15). La Cour conclut que ces motifs sont frauduleux puisqu’ils semblent avoir eu pour objectif précis d’éviter les conséquences néfastes découlant de la récidive de la contrefaçon condamnable et des activités illégales de LCK Company et de Mme Lam. Toutes les circonstances factuelles doivent être prises en considération, y compris le fait que le prix de la vente était de 30 000 $, mais que les enfants de Mme Lam ont uniquement payé 3 000 $ au moment de la vente (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 13) et le fait qu’il n’existe pas de documents externes corroborant l’allégation de Mme Lam, qui affirme que les enfants ont payé des montants d’argent non précisés après la vente. D’autre part, les activités de contrefaçon se sont poursuivies dans les locaux après la signification de la lettre de mise en demeure de 2011 et même après la signification de la demande introductive d’instance en avril 2013, ce qui force la Cour à se questionner sur la bonne foi de Mme Lam et à soulever la question contestée de sa responsabilité personnelle tout au long de la période visée.

[33]           Malgré toute ambiguïté ayant pu exister dans le jugement initial, la Cour est aujourd’hui convaincue :

a)                  Du contrôle continu de Mme Lam sur l’entreprise et sur les locaux comme locatrice, ainsi que des profits qu’elle en a tirés;

b)                  De la connaissance personnelle de Mme Lam des activités illégales de contrefaçon qui se déroulaient dans les locaux;

c)                  Que Mme Lam n’a pas mis en place les mesures nécessaires après la signification à personne de la demande introductive d’instance le 18 avril 2013 pour éviter que des activités illégales de contrefaçon se poursuivent dans les locaux loués, ce qui constitue un fondement suffisant pour condamner Mme Lam et les sociétés défenderesses à payer, solidairement, des dommages-intérêts punitifs et compensatoires en raison des activités illégales de contrefaçon menées par l’entreprise ou s’étant déroulées dans les locaux, y compris le cas de contrefaçon du 2 juin 2013.

[34]           Comme les demanderesses l’ont fait valoir en l’espèce, il y a suffisamment d’éléments de preuve probants au dossier et de motifs juridiques valables pour conclure à la responsabilité personnelle de Mme Lam à l’égard de chacun des quatre cas de contrefaçon :

a)                  La responsabilité d’un administrateur, d’un dirigeant, d’un salarié principal ou des têtes dirigeantes peut être reconnue lorsque ces personnes s’approprient les actions illégales (Singga, aux paragraphes 112 à 114 et 486353 BC Ltd, au paragraphe 45). L’arrêt faisant jurisprudence à cet égard est Mentmore Manufacturing Co. v. National Merchandise Manufacturing Co., (1978), 40 CPR (2d) 164, au paragraphe 174. La conduite d’une personne contrôlant et dirigeant une société ne dépend pas d’une relation d’emploi formelle ou d’une désignation officielle d’administrateur ou de dirigeant puisque de telles distinctions artificielles permettraient d’isoler les personnes contrôlantes et dirigeantes qui, autrement, seraient tenues responsables de leurs actes. Mme Lam était manifestement la tête dirigeante de l’entreprise et elle a tiré des profits de ses activités continues. Même si elle savait que la publicité et la vente de biens contrefaits étaient contraires à la loi, et malgré l’ordonnance antérieure prononcée contre elle, Mme Lam n’a pas démontré qu’elle avait mis en place les mesures nécessaires pour mettre fin à cette pratique illégale.

b)                  La responsabilité du fait d’autrui existe lorsque, en tenant compte de son objectif double de réparation juste et équitable et de dissuasion, il existe une justification suffisante pour la prononcer. La responsabilité sera imputée lorsque la relation existant entre l’auteur du préjudice et la personne contre qui la responsabilité est recherchée est suffisamment étroite pour que la revendication de responsabilité du fait d’autrui soit appropriée. La proximité existant entre Mme Lam et les sociétés défenderesses est bien établie pour les quatre cas de contrefaçon, nonobstant la vente alléguée (voir l’arrêt Bazley c. Curry, [1999] 2 RCS 534, au paragraphe 15; l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 RCS 983, aux paragraphes 26 à 28; l’arrêt K.L.B. c. Colombie-Britannique, 2003 CSC 51, aux paragraphes 18 à 20; l’arrêt Van Hartevelt v. Grewal, 2012 BCSC 658 aux paragraphes 64 et 65).

c)                  En continuant de traiter l’entreprise comme étant la sienne, en tirant des avantages financiers de son exploitation et en ne mettant pas en place les mesures nécessaires pour arrêter la vente de produits Chanel contrefaits (malgré le fait d’avoir été la principale partie impliquée dans l’ordonnance de 2006, d’avoir reçu signification de l’avis du recours et d’avoir apparemment donné ses instructions à l’avocat), Mme Lam a aidé et encouragé la perpétration continue de la contrefaçon dans les locaux.

[35]           Pour les motifs ci-après mentionnés, il n’y a pas non plus lieu de diminuer l’adjudication des dommages-intérêts punitifs et compensatoires, étant donné que la Cour est également convaincue aujourd’hui que les défenderesses en cause doivent être condamnées à payer, solidairement, la somme symbolique de 64 000 $ en dommages-intérêts. L’adjudication des dommages-intérêts punitifs de 250 000 $ et l’adjudication des dépens de 66 000 $ ne seront pas non plus modifiées.

ADJUDICATION DES DOMMAGES-INTÉRÊTS COMPENSATOIRES

[36]           La Cour est également convaincue que les demanderesses ont subi un préjudice et que les défenderesses en cause ont tiré un profit de la contrefaçon. À l’égard du préjudice subi, la teneur précise des activités des défenderesses en cause n’est pas connue des demanderesses, mais les éléments de preuve au dossier démontrent manifestement que les activités illégales de contrefaçon se sont déroulées dans les locaux de l’entreprise du mois d’octobre 2011 au mois de juin 2013 et que les éléments de preuve non contredits démontrent qu’il y a des activités de contrefaçon au moins le 23 octobre 2011, le 9 décembre 2011, le 26 avril 2012 et le 2 juin 2013.

[37]           Au cours de l’audience sur la remise, Mme Lam n’a pas demandé l’autorisation de déposer des renseignements crédibles supplémentaires qui auraient pu permettre à la Cour d’évaluer le préjudice de façon plus exacte plutôt que d’adjuger 32 000 $ à chacune des deux demanderesses intéressées (voir le paragraphe 40 des présents motifs). Puisqu’aucun élément de preuve n’a été fourni pour évaluer la valeur réelle des profits tirés de la contrefaçon et puisque la responsabilité personnelle de Mme Lam a été confirmée pour les quatre cas de contrefaçon, la Cour est aujourd’hui justifiée de se fonder sur la règle de la réparation minimale décrite aux paragraphes qui suivent.

[38]           Comme il a déjà été souligné dans les motifs du jugement initial (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 21), en 1997, la Cour a conclu, compte tenu du dossier dont elle était saisie à l’époque et en raison d’une ordonnance de saisie de type Anton Piller, qu’il convenait d’accorder, au titre de la contrefaçon de marque de commerce, des dommages‑intérêts symboliques de 6 000 $ par demanderesse contre des établissements de vente au détail vendant des produits contrefaits lorsqu’il était difficile de prouver un préjudice réel ou des pertes de profits en raison de l’absence de documentation sur les ventes. Plus récemment dans la décision Yang, la Cour a accordé une somme minimale de dommages-intérêts compensatoires de 7 250 $ par contrefaçon contre un établissement de vente au détail, ajustant ainsi la somme de 6 000 $ à la valeur de l’inflation.

[39]           À cet égard, après avoir entendu les observations des demanderesses, la Cour a déjà conclu que dans les circonstances actuelles, le montant des dommages-intérêts symbolique devait être de 8 000 $, ajusté selon l’inflation depuis 1997 pour les trois années pertinentes, pour chaque cas de contrefaçon. Par conséquent, les dommages-intérêts symboliques sont correctement évalués à 8 000 $, multipliés par quatre événements (soit ceux du 23 octobre 2011, du 9 décembre 2011, du 26 avril 2012 et du 2 juin 2013), pour un total de 32 000 $. En outre, les activités des défenderesses en cause ont contrevenu à la fois aux droits de Chanel Inc., qui détient la licence d’utilisation de la marque de commerce Chanel au Canada, et à ceux de Chanel Limited, qui possède les droits de la marque de commerce Chanel. Conformément à la jurisprudence établie, chaque demanderesse a droit à des dommages‑intérêts pour chacune des quatre (4) occurrences de contrefaçon, soit 32 000 $ par demanderesse, pour un total de 64 000 $, lequel montant est payable solidairement par les défenderesses en cause (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 22). Il n’y a aucune raison de conclure différemment aujourd’hui.

[40]           En effet, la Cour d’appel fédérale a confirmé dans son jugement le bien-fondé de la méthode d’adjudication des dommages-intérêts compensatoires de la Cour, qui s’élèvent à 8 000 $ par cas de contrefaçon et qui doivent être adjugés en l’espèce, tant au titulaire de la marque de commerce qu’au détenteur de la licence au Canada (motifs de la CAF, aux paragraphes 17 à 18). La Cour a néanmoins examiné de nouveau les conséquences générales de la conduite illégale des défenderesses sur la réputation de la marque de commerce des demanderesses. Chanel Inc. et Chanel Limited ont toutes deux subi un préjudice. Cette affaire est semblable aux faits de la décision Singga, qui concernait les marques de commerce Louis Vuitton et Burberry, où la vente par les défenderesses de produits contrefaits Chanel de qualité nettement inférieure à l’original a causé un préjudice grave et un tort irréparable à la réputation et au fonds commercial des demanderesses. Effectivement, la marque mondiale Chanel, qui s’est développée au fil des décennies, commercialise des produits de mode de grande qualité, qui attire une clientèle bien précise. Chanel a développé et annoncé à grands frais des produits qui sont associés aux matériaux les plus luxueux. Les clients pouvant acheter les produits contrefaits de faible qualité des défenderesses seront probablement déçus, ce qui pourrait avoir un effet négatif sur la vente des produits authentiques Chanel. Ainsi, la contrefaçon des défenderesses a une conséquence directe sur les produits de qualité supérieure portant la marque de commerce Chanel (voir la décision Singga, au paragraphe 12). De même, la possibilité de se procurer des produits Chanel contrefaits de moindre qualité ternit l’image de marque associée à la marque de commerce des demanderesses. Bien que ce volet de la contrefaçon puisse ne pas sembler si grave aux défenderesses, l’érosion de la réputation de la marque pour laquelle les demanderesses ont travaillé si fort constitue une conséquence grave du comportement continu des défenderesses et de toute autre personne ou entité qui contreferait la marque de commerce Chanel (voir la décision Chu, au paragraphe 25).

[41]           Par conséquent, la Cour conclut qu’il n’y a pas de motifs de réduire ou de scinder la somme de 64 000 $ précédemment accordée aux demanderesses à titre de dommages-intérêts compensatoires.

ADJUDICATION DES DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS

[42]           Lors de l’audience sur la requête en procès sommaire tenue en août 2015, comme il a été noté dans les motifs du jugement initial (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 17), les défenderesses individuelles n’ont présenté que très peu d’observations, lesquelles ne répondaient pas réellement aux arguments formulés par les demanderesses dans leurs observations détaillées. Par conséquent, la Cour n’avait aucun motif de ne pas faire siens le raisonnement général et les arguments des demanderesses.

[43]           Dans le jugement initial, la Cour observe ce qui suit aux paragraphes 23 et 24 :

[23] En outre, les demanderesses soutiennent qu’il convient d’accorder en l’espèce des dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $. Les actions antérieures n’ont été réglées que lorsque Madame Lam et LCK Company ont accepté par règlement de consentir à l’ordonnance, puis à la deuxième ordonnance, lesquelles exigeaient entre autres sans équivoque que Madame Lam et LCK Company cessent de vendre leurs marchandises Chanel contrefaites. En dépit du règlement et des ordonnances et en dépit des droits des demanderesses, les défenderesses en cause ont poursuivi leurs activités illégales.

[24] La Cour est convaincue que ce mépris flagrant des droits des demanderesses aussi bien que de l’instance et des ordonnances de la Cour mérite clairement que les défenderesses en cause soient condamnées à payer des dommages‑intérêts punitifs importants. Étant donné le caractère flagrant des activités des défenderesses en cause, le montant de dommages‑intérêts symboliques accordé ci‑dessus n’est tout simplement pas suffisant pour dénoncer ces activités et en dissuader les défenderesses en cause. Après examen des dommages‑intérêts punitifs accordés par le passé, la Cour estime qu’il convient et qu’il est justifié d’ajouter une somme de 250 000 $ à cet égard, lesquels devront être payés solidairement.

[44]           Dans le présent réexamen, la Cour a abordé, sous un regard neuf, l’ensemble des éléments de preuve déposés au dossier, à la lumière des motifs de la Cour d’appel fédérale (motifs de la CAF, aux paragraphes 23 à 26), des règles de droit applicables mentionnées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Whiten, des adjudications précédentes de dommages‑intérêts punitifs dans des dossiers de contrefaçon de marque de commerce (ou de droit d’auteur) au Canada ainsi que des observations formulées par les avocats des parties dans les documents déposés à la Cour et lors des plaidoiries faites pendant l’audience sur la requête en procès sommaire du mois d’août 2015 et lors du réexamen subséquent du mois d’août 2016, à la suite des observations formulées au nom des parties en mai 2016. Par souci de commodité, la Cour ne reviendra pas sur les éléments de preuve concernant la conclusion sur la responsabilité personnelle de Mme Lam pour les quatre cas de contrefaçon (voir les paragraphes 25 à 35 du présent jugement).

[45]           Le 23 octobre 2011, les demanderesses ont appris que des activités illégales de contrefaçon se déroulaient toujours dans les locaux des demanderesses. Le 9 décembre 2011, les demanderesses ont signifié une lettre de mise en demeure demandant la cessation immédiate des activités illégales de contrefaçon à LCK Company, à Mme Lam et à son mari. Ces derniers n’ont pas coopéré et ont refusé de céder les articles en leur contrôle et possession. Le 17 avril 2013, les demanderesses ont entrepris le présent recours contre LCK Company et les défendeurs individuels. Alors que les sociétés défenderesses n’ont pas comparu, les défenderesses individuelles ont prétendu que LCK Company avait cessé ses activités le ou vers le 30 septembre 2011 et avait vendu ses actifs d’entreprise à ‘694 Inc. Le recours a été modifié le 2 juillet 2013 pour y ajouter ‘694 Inc. comme codéfenderesse et pour alléguer que l’offre de vente d’articles contrefaits s’est poursuivie dans les locaux de la société à plusieurs reprises après la lettre de mise en demeure du 23 octobre 2011, dont le 2 juin 2013.

[46]           Ce n’est pas la première fois que LCK Company, Mme Lam et son mari, faisant collectivement affaire sous le nom de LAM CHAN KEE, sont poursuivis pour avoir contrefait les marques de commerce Chanel. Le 13 février 2006, deux recours distincts ont été déposés à la Cour par Chanel S. de R.L. et Chanel Inc. contre LAM CHAN KEE relativement à des accusations d’offre de vente, de vente, d’importation, de distribution, de fabrication, d’impression, de publicité, de promotion, d’envoi, d’entreposage, d’affichage ou d’avoir autrement fait le commerce de marchandise portant une ou plusieurs marques de commerce de Chanel (dossiers T­257­06 et T­313-06). Dès le 2 août 2005, une paire de boucles d’oreilles portant une reproduction non autorisée ou contrefaite d’une ou de plusieurs marques de commerce Chanel a été achetée dans les locaux des défenderesses. Les demanderesses ont signifié une lettre de mise en demeure aux défenderesses à la suite de cet événement.

[47]           Le 18 décembre 2006, après la conclusion d’une entente entre les parties, la Cour a rendu deux jugements de consentement avec les parties. Il a donc été ordonné à LCK Company, à Mme Lam et à son mari de payer solidairement des dommages-intérêts de 6 000 $, en plus qu’il leur soit définitivement interdit : 1) d’offrir en vente, d’exposer, d’annoncer, de vendre, de fabriquer, de distribuer des marchandises portant l’une ou l’autre des marques de commerce Chanel ou d’en faire autrement le commerce; 2) d’appeler l’attention du public sur leurs marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses marchandises et celles des demanderesses, en contravention du paragraphe 7b) de la Loi [l’ordonnance de 2006].

[48]           Incidemment, il ressort d’une recherche au dossier de la Cour que les demanderesses ne sont pas les seules à avoir intenté un recours contre Mme Lam, son mari et LCK Company pour la contrefaçon de marques de commerce. Le 13 février 2006, Mme Lam, son mari, LCK Company et J&A Accessories ont fait l’objet de deux poursuites distinctes pour contrefaçon de la propriété intellectuelle Paul Frank en raison de la fabrication, de la vente et de la distribution de marchandises contrefaite portant la marque de commerce Paul Frank Industries. Une entente, semblable à l’ordonnance de 2006, a été convenue entre les parties, et la Cour a rendu deux jugements du consentement des parties le 18 décembre 2006, dans lesquels elle ordonnait à Mme Lam, à LCK Company et à J&A Accessories de payer, solidairement, la somme de 6 000 $ en dommages-intérêts et dépens à Paul Frank Industries. La Cour a également interdit définitivement aux parties défenderesses d’offrir en vente, d’exposer, d’annoncer, de vendre, de fabriquer, de distribuer ou de faire autrement le commerce de toute marchandise portant la propriété intellectuelle Paul Frank.

[49]           Ainsi, les défenderesses en cause, y compris Mme Lam, avaient connaissance tout au long de la période visée de leurs obligations en vertu de la Loi et n’ont aucun prétexte légal pour échapper aux conséquences de toute contravention délibérée à la Loi et aux conditions de l’entente et de l’ordonnance de 2006, qu’ils aient ou non été poursuivis pour outrage au tribunal. L’ordonnance de 2006 condamnait LCK Company et Mme Lam à payer des dommages-intérêts symboliques de 6 000 $, sans qu’il y soit toutefois associé de dommages-intérêts punitifs. Toutefois, étant donné leur récidive, il est manifeste que ces dommages-intérêts compensatoires étaient insuffisants et n’ont été rien de plus que des « droits de licence » qui ont encouragé les défenderesses en cause à poursuivre leurs activités de contrefaçon illégale pendant plusieurs années.

[50]           La Cour doit garder à l’esprit dans un contexte commercial que les quatre dates de contrefaçon enregistrées entre le 23 octobre 2011 et le 2 juin 2013 ne montrent qu’un petit échantillon de l’ensemble de la contrefaçon commise par les défenderesses pendant cette période de 20 mois. Il est en fait physiquement impossible pour une grande entreprise comme Chanel de contrôler les ventes quotidiennes des défenderesses ou d’établir toute la portée de leur contrefaçon. Par conséquent, lorsque des éléments de preuve non contredits démontrant plusieurs événements de contrefaçon sont présentés, la Cour peut présumer, à bon droit ou avec raison, que cette pratique illégale s’est déroulée quotidiennement pendant une période continue.

[51]           Dans la décision Entral Group International Inc. c. MCUE Entreprises Corp. (Di Da Di Karaoke Company), 2010 CF 606 [Entral], la Cour est allée plus loin dans cette hypothèse en tirant des conclusions défavorables relativement au défaut des défendeurs de divulguer la totalité de ses documents de société :

Les défendeurs se sont intentionnellement abstenus de produire des documents indiquant l’étendue des bénéfices attribuables à leurs activités contrefaisantes. La Cour se doit de tirer une conclusion défavorable de ce fait et il doit être présumé que les défendeurs n’auraient eu aucun motif de continuer d’utiliser et d’exploiter les droits des demanderesses dans les activités de leur entreprise pendant plusieurs années s’ils ne faisaient pas de bénéfices (Entral, au paragraphe 51).

[52]           En l’espèce, les défenderesses n’ont pas déposé de contre-preuve démontrant à la Cour que les quatre cas de contrefaçon précités étaient des événements isolés et ne faisaient pas partie d’une stratégie d’entreprise plus vaste ayant pour objectif de distribuer et de vendre quotidiennement des produits contrefaits. Par conséquent, la Cour peut tirer une conclusion défavorable à l’égard des activités quotidiennes de l’entreprise et des profits que les défenderesses en cause ont tirés de cette pratique illégale, particulièrement dans un contexte commercial où les stocks varient de jour en jour.

[53]           Bien que les défenderesses n’aient formulé que très peu d’observations lors du procès concernant les réparations à accorder, Mme Lam suggère maintenant que l’adjudication d’une somme de 75 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, payables solidairement par les défenderesses en cause, permettrait d’atteindre les objectifs recherchés par la Cour en imposant des dommages-intérêts punitifs et serait plus conforme à la jurisprudence. Compte tenu de la conduite des défenderesses en cause, tant avant qu’après le dépôt du recours des demanderesses, la Cour ne peut retenir la suggestion tardive de Mme Lam, qui ne tient pas compte de tous les éléments pertinents.

[54]           Des dommages-intérêts punitifs et exemplaires ont été accordés dans des dossiers de contrefaçon de marque de commerce lorsque, par exemple, la conduite du défendeur a été outrageante, extrêmement répréhensible ou lorsque les actions du défendeur constituent un mépris total des droits des plaignants ou des injonctions de la cour. Des dommages-intérêts punitifs et exemplaires ont également été accordés dans des affaires où le défendeur démontrait peu de respect pour le processus judiciaire et faisait en sorte que le demandeur devait consacrer plus de temps et d’argent pour faire valoir ses droits (Yang, aux paragraphes 48 à 51; 486353 BC Ltd, au paragraphe 86; Singga, au paragraphe 168; Nintendo of America Inc. et al. v. COMPC Trading Inc. et al. (22 septembre 2009), Vancouver S082517 (B.C.S.C.), aux paragraphes 37 et 38; Chu, aux paragraphes 85 à 88).

[55]           Dans l’arrêt Whiten, aux paragraphes 112 et 113, la Cour suprême du Canada a déterminé les facteurs suivants pour établir le niveau de la conduite répréhensible d’un défendeur :

•     le fait que la conduite répréhensible a été préméditée et délibérée;

•     l’intention et la motivation du défendeur;

•     le caractère prolongé de la conduite inacceptable du défendeur;

•     le fait que le défendeur a caché sa conduite répréhensible ou tenté de la cacher;

•     le fait que le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs;

•     le fait que le défendeur a tiré profit ou non de sa conduite répréhensible;

•     le fait que le défendeur savait que sa conduite répréhensible portait atteinte à un intérêt auquel le demandeur attachait une grande valeur ou à un bien irremplaçable.

[56]           L’un des aspects fondamentaux des dommages-intérêts punitifs consiste à faire en sorte que le défendeur ne voit pas les dommages-intérêts compensatoires simplement comme des frais à payer pour être autorisé à agir comme bon lui semble, sans égard aux droits d’ordre juridique ou autre du demandeur (Whiten, au paragraphe 124). Lorsque l’adjudication de dommages‑intérêts compensatoires est insuffisante pour atteindre l’objectif de dénonciation et de dissuasion, il peut être nécessaire d’ordonner des dommages-intérêts punitifs plus importants (Profekta International Inc c. Lee (Fortune Book & Gift Store), 1997 CanLII 16699 (CAF)). Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé, il est tout à fait acceptable d’utiliser les dommages-intérêts punitifs pour dépouiller l’auteur de la faute des profits qu’elle lui a rapportés lorsque le montant des dommages‑intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre pour lui qu’une dépense lui ayant permis d’augmenter ses bénéfices tout en se moquant de la loi (Cinar Corporation c. Robinson, [2013] 3 RCS 1168, 2013 CSC 73, au paragraphe 136 [Robinson]).

[57]           Cependant, des dommages-intérêts punitifs doivent être ordonnés « si, mais seulement si » les dommages-intérêts compensatoires sont insuffisants pour punir le défendeur (c’est-à-dire que les dommages-intérêts punitifs sont « complémentaires » et constituent une réparation de dernier ressort). Le critère limite donc l’adjudication à un montant n’étant pas plus élevé que ce qui est rationnellement nécessaire pour atteindre l’objectif recherché (Whiten, au paragraphe 50).

[58]           Comme l’a mentionné la Cour d’appel fédérale (motifs de la CAF, au paragraphe 24), les éléments pertinents à l’évaluation de la rationalité comprennent la proportionnalité entre le montant adjugé et le degré de faute du défendeur, la vulnérabilité relative du demandeur, la nature et le degré de préjudice subi par le demandeur et le besoin de dissuasion générale et spécifique. De plus, le montant accordé devrait être considéré dans son contexte, ce qui inclut la portée et l’importance des autres réparations accordées ou qui seront probablement accordées à l’encontre du défendeur, afin de s’assurer que le montant octroyé ne soit pas plus élevé que ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs recherchés par la Cour en ordonnant des dommages-intérêts punitifs.

[59]           À cet égard, la Cour d’appel fédérale a ajouté aux paragraphes 25 et 26 :

[25] Il est donc tout à fait possible, en fonction de ces facteurs, que des dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $ se justifient dans un cas comme l’espèce, et ce, même si ceux‑ci sont plus élevés que ce que la jurisprudence a précédemment établi. La violation de droits relatifs à des marques de commerce perpétuée par la vente répétée de produits contrefaits est une inconduite sérieuse méritant sanctions et justifie l’adjudication de dommages-intérêts suffisamment élevés pour dissuader les défendeurs et le public de s’engager dans une telle conduite répréhensible. Comme la Cour fédérale l’a déclaré dans la décision Singga, en citant et approuvant la décision R. v. Chui Lau, dossier 48082-1-48984-2C, le 16 novembre 2006 (Cour prov. C.‑B.) :

[traduction]

[...] ce genre de vol constitue une infraction très grave, plus grave que le vol d’autres objets ou biens, parce qu’il menace l’essence même de ce qui distingue une société avancée et créatrice [qui protège les droits de propriété intellectuelle] d’une société qui ne l’est pas [et ne le fait pas].

[26]  Le besoin de dissuasion est donc bien réel et peut exiger des dommages‑intérêts punitifs significatifs lorsque les dommages‑intérêts compensatoires peuvent uniquement être symboliques en raison de la nature de la contrefaçon des défendeurs. De plus, la nature répétée des violations, le non‑respect des ordonnances de la Cour et les tentatives de l’appelante de cacher sa participation par la vente alléguée de son entreprise à la société à dénomination numérique sont tous des facteurs pouvant légitimement justifier des dommages‑intérêts punitifs importants.

[60]           Mme Lam a renvoyé la Cour à différents jugements afin de démontrer une certaine jurisprudence sur les dommages-intérêts punitifs dans le domaine de la propriété intellectuelle pour des comportements plus graves que le sien (notamment de la part d’autres défendeurs ayant été impliqués dans l’importation et la fabrication de biens contrefaits). Bien que la somme de 250 000 $ demandée en l’espèce par les demandeurs contre les défenderesses en cause semble légèrement plus élevée que ce que la jurisprudence antérieure a accordé, la Cour est convaincue que ce montant n’est pas plus élevé que ce qui est nécessaire pour dissuader les défenderesses en cause de leur inconduite dans les circonstances particulières à l’espèce. De plus, le jugement initial n’établit pas un nouveau seuil par rapport aux dommages-intérêts punitifs et exemplaires et n’est pas non plus incompatible avec la jurisprudence antérieure.

[61]           Au cours des dernières années, la Cour s’est mise à voir « d’un très mauvais œil » des défendeurs continuant de violer des droits de propriété intellectuelle après avoir été dûment avisés de la violation. Dans la décision Entral, la Cour a accueilli la demande des demandeurs en ordonnant le paiement de dommages-intérêts punitifs de 100 000 $. La Cour a conclu qu’un tel montant de dommages-intérêts punitifs était approprié afin de punir les défendeurs et de les dissuader d’adopter une conduite semblable dans le futur, où le fait de négliger de façon flagrante les droits de propriété intellectuelle d’un demandeur, et ce, même après avoir été avisé de l’existence de ces droits par de nombreuses lettres de mise en demeure.

[62]           Dans la décision Singga, la Cour a ordonné des dommages-intérêts punitifs de 200 000 $ contre la défenderesse Singga et de 250 000 $ contre la défenderesse Alec en raison de leur récidive de contrefaçon à l’égard des marques de commerce Louis Vuitton et Burberry et de leur mépris flagrant du processus judiciaire. La Cour a également observé que les défenderesses ont intentionnellement vendu de nombreux articles contrefaits, violant les droits d’auteur, tout en tentant de dissimuler leurs actes illégaux (Singga, aux paragraphes 179 et 180).

[63]           Plus récemment, la Cour a rendu un jugement par défaut contre des défendeurs impliqués dans un vaste réseau de distribution en gros et de vente au détail de marchandise contrefaite. Les défendeurs faisaient affaire dans plusieurs marchés aux puces et entrepôts en Ontario. Une enquête importante a révélé qu’à au moins 24 reprises, les défendeurs ont distribué et vendu de nombreux articles contrefaits de Gucci et d’autres marques de mode connues, malgré la signification de nombreuses lettres de mise en demeure et la saisie par la police d’articles Gucci contrefaits à la suite de l’exécution d’un mandat de perquisition. La Cour a donc ordonné à ces défendeurs de payer la somme de 696 000 $ en dommages-intérêts punitifs à la demanderesse, soit 29 000 $ (les dommages-intérêts compensatoires minimaux pour le grossiste) pour chacun des 24 cas de contrefaçon, en plus d’une somme de 1 392 000 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires (Guccio Gucci SPA and Gucci America Inc v Bobby Bhatia et al (inédit), dossiers de la Cour fédérale no T-1556-14).

[64]           Les mêmes défendeurs ont également fait l’objet d’une ordonnance de la Cour, dans un jugement par défaut distinct, leur ordonnant de payer aux demanderesses la somme de 609 000 $ en dommages-intérêts punitifs, en plus de dommages-intérêts compensatoires de 2 436 000 $ pour contrefaçon de marques de commerce, commercialisation trompeuse et autres préjudices supplémentaires pour violation des droits d’auteurs (Louis Vuitton Malletier SA and Louis Vuitton Canada Inc v Bobby Bhatia et al (inédit), dossier de la Cour fédérale no T-1536-14).

[65]           Le calcul du montant des dommages-intérêts punitifs est loin d’être une science exacte. En effet, aucun pays de common law n’a adopté (sauf par voie législative) d’approche fondée sur l’application d’une formule tel un plafond fixe ou un ratio déterminé entre les dommages-intérêts compensatoires et punitifs (Whiten, au paragraphe 73). D’une part, dans des affaires du ressort de la common law, lorsque la gravité du comportement le justifie, les tribunaux ont accordé des dommages‑intérêts punitifs s’élevant à 1 000 000 $ ou plus (Robinson, au paragraphe 138; Whiten, au paragraphe 141; National Bank Financial Ltd. v Barthe Estate, 2015 NSCA 47). D’autre part, en vertu du Code civil du Québec, les dommages-intérêts punitifs ne peuvent être accordés qu’en conformité à l’article 1621 du Code civil du Québec, L.Q., 1991, c. 64, et selon certaines dispositions précises d’une loi, comme l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur ou l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce. Avant l’arrêt Robinson, dans lequel la Cour suprême du Canada a ordonné des dommages-intérêts punitifs de 500 000 $, la fourchette typique pour ce type de dommages-intérêts dans les cas de contrefaçon de marque de commerce ou de violation des droits d’auteur variait de 5 000 $ à 250 000 $, particulièrement pour les récidives (Robinson, au paragraphe 138, citant France Animation, s.a. c. Robinson, 2011 QCCA 1361, au paragraphe 249). Les cours du Québec ont également adjugé des dommages-intérêts punitifs importants dans d’autres affaires impliquant des inconduites graves envers des parties vulnérables, atteignant 1 500 000 $ et plus (voir Létourneau c. JTI-MacDonald Corp., 2015 QCCS 2382 (recours collectif); Markarian c. Marchés mondiaux CIBC inc., 2006 QCCS 3314; Agence du revenu du Québec c. Groupe Enico inc., 2016 QCCA 76).

[66]           De plus, les différentes cours supérieures des provinces de common law ont également reconnu le besoin de permettre un calcul des dommages-intérêts plus élevé pour les récidivistes exécutant leurs activités de contrefaçon sur une longue période. Par exemple, en 2008, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a sévèrement condamné un demandeur pour avoir clairement fait fi d’une ordonnance Anton Pillar de 2004 et d’un jugement de la Cour fédérale prononcés contre lui, étant donné qu’il a poursuivi ses activités de vente. La Cour a ordonné des dommages-intérêts punitifs de 300 000 $, dont 200 000 $ contre le directeur de l’entreprise en question et 100 000 $ contre l’autre défendeur, en plus de dommages-intérêts compensatoires beaucoup plus élevés, le total des dommages-intérêts s’élevant à 580 000 $ pour ce qui est de la contrefaçon de marque de commerce (486353 BC Ltd, aux paragraphes 90 et 91).

[67]           En l’espèce, plutôt que d’offrir des éléments de preuve crédibles ou des explications permettant de contredire la conclusion selon laquelle la contrefaçon était délibérée et planifiée, les sociétés défenderesses ont choisi de ne pas comparaître, et Mme Lam demande maintenant à la Cour d’établir les dommages-intérêts punitifs à 75 000 $, selon sa propre interprétation de la jurisprudence. Les observations faites par les parties à l’égard des dommages-intérêts punitifs ne constituent toutefois pas une négociation où la Cour doit trancher entre les positions de négociation des parties. Chaque partie doit se présenter devant la Cour avec une attitude irréprochable et être prête à participer à un dialogue franc et sincère avec elle. La transparence est essentielle et les positions respectives des parties doivent refléter les circonstances particulières de l’affaire, y compris les facteurs atténuants, et selon le cas, la situation patrimoniale du contrevenant, lorsqu’une preuve a été présentée à cet égard.

[68]           Les défenderesses en cause n’ont tout simplement pas offert d’éléments de preuve crédibles démontrant leur bonne foi et les efforts déployés pour arrêter la distribution de marchandise contrefaite dans leurs locaux. En outre, Mme Lam n’a démontré aucun signe de remords qui aurait pu justifier une adjudication de dommages-intérêts punitifs moindre (voir la décision Singga, aux paragraphes 172 et 180). Ayant en tête tous les éléments pertinents, la Cour est aujourd’hui convaincue que l’adjudication de dommages-intérêts punitifs de 250 000 $ est justifiée dans les circonstances particulières de cette affaire et que le montant accordé est suffisant pour dissuader les défenderesses de poursuivre leurs activités dans le futur, tout en ne dépassant pas les limites de la rationalité.

[69]           Il suffirait normalement au juge de première instance qui accueille un jugement par défaut ou qui n’a reçu que très peu d’observations de la part d’un défendeur sur la question des dommages-intérêts punitifs de faire référence à la jurisprudence, au droit et aux critères juridiques applicables. Toutefois, puisque la Cour d’appel fédérale a précisément souligné que [traduction] « [d]es dommages-intérêts punitifs de cette ampleur […] exigent une explication plus étoffée » que celle retrouvée dans le jugement initial (voir les paragraphes 23 et 24 des motifs de la Cour fédérale, précités), la Cour juge nécessaire d’énumérer les principaux éléments aggravants justifiant l’adjudication élevée de dommages-intérêts punitifs et exemplaires de 250 000 $ en l’espèce.

[70]           Premièrement, les éléments de preuve au dossier démontrant la mauvaise foi dont ont fait preuve les défenderesses en cause sur une longue période sont nombreux (au moins du mois d’octobre 2011 au mois de juin 2013). Il ne faut pas non plus oublier que Mme Lam avait d’ailleurs consenti, par l’ordonnance de 2006, à ce que sa compagnie et elle-même s’abstiennent définitivement de contrefaire les marques de commerce Chanel. Il est donc incontestable que les défenderesses en cause ont agi en toute connaissance des droits et des marques de commerce de demanderesses et que leur inconduite était planifiée et délibérée.

[71]           Deuxièmement, la motivation des défenderesses était le profit, puisqu’elles savaient bien que la marchandise contrefaite qu’elles importaient, annonçaient, offraient en vente et vendaient dans leurs locaux était différente des produits légitimes de Chanel en tous points importants, la marchandise Chanel contrefaite étant de moindre qualité et non assujettie aux hautes normes de contrôle de la qualité associées aux produits authentiques Chanel (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 12). Il est peu probable que la présente adjudication de dommages-intérêts compensatoire de 64 000 $ modifie le comportement des défenderesses en cause, à moins qu’elles ne soient condamnées solidairement à payer un montant important en dommages‑intérêts punitifs.

[72]           Troisièmement, plutôt que d’admettre leur culpabilité et de corriger rapidement la situation, les défenderesses LCK Company et Mme Lam ont tenté de se décharger de toute responsabilité en rejetant le blâme sur les enfants de Mme Lam et en transférant les actifs de l’entreprise à la défenderesse ‘694 Inc. La défenderesse ‘694 Inc. a offert tout son soutien et sa coopération à ce stratagème et a continué d’offrir en vente ou de vendre de la marchandise Chanel contrefaite, même après la signification de la demande introductive d’instance à LCK Company, à Mme Lam et à son mari.

[73]           Quatrièmement, ce n’est qu’après le dépôt et la signification de la demande introductive d’instance que Mme Lam a fait valoir qu’un transfert d’actif, qui n’était toutefois toujours pas divulgué, avait eu lieu des années plus tôt, prétendument en 2011, de LCK Company à ‘694 Inc. Les défenderesses LCK Company et ‘694 Inc. n’ont pas déposé de défense ni de preuve documentaire indépendante concernant le transfert allégué des actifs à ‘694 Inc., ce qui constitue un indice supplémentaire du peu de respect qu’elles affichent envers le processus judiciaire.

[74]           Cinquièmement, le type de vol en question constitue une infraction grave (motifs de la CAF, au paragraphe 25). Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé relativement à la contrefaçon de marques de commerce et à la violation de droits d’auteurs, un comportement de cette nature menace l’un des objectifs fondamentaux de la législation canadienne sur le droit d’auteur, à savoir « l’assurance que personne d’autre que le créateur [de l’œuvre] ne pourra s’approprier les bénéfices qui pourraient être générés » (Robinson, au paragraphe 139). Puisque ce comportement illégal a été lucratif pour les défenderesses, la Cour est d’avis que les dommages-intérêts punitifs y étant associés doivent être importants.

[75]           Sixièmement, les demanderesses ont dû débourser une somme importante d’argent pour obtenir un jugement de la Cour, alors que les défenderesses en cause n’ont démontré aucun signe de remords. Mme Lam et LCK Company sont des délinquantes récidivistes qui ont non seulement contrevenu à l’ordonnance de 2006 de la Cour, mais aussi continué à violer le droit des demanderesses après la lettre de mise en demeure de 2011 et l’introduction du présent recours en avril 2013.

[76]           Septièmement, Mme Lam a également tenté d’induire la Cour en erreur relativement à son implication, ce qui a engendré des efforts et des frais additionnels pour les demanderesses, qui ne parvenait pas à produire des éléments de preuve à l’égard de la portée de la violation des droits des demanderesses par les défenderesses.

[77]           Huitièmement, la vulnérabilité des demanderesses provient de l’impossibilité pour elles de contrôler la distribution quotidienne de la marchandise contrefaite dans les locaux des défenderesses. Comme il a été décrit dans l’arrêt Whiten, les cours doivent évaluer quel montant serait proportionnel au besoin de dissuasion. Par conséquent, la vulnérabilité financière ou autre d’un demandeur et l’abus de pouvoir qui en découle pour un défendeur sont extrêmement pertinents lorsqu’il s’agit d’une situation où il y a un déséquilibre marqué dans le rapport de force, comme c’était manifestement le cas dans l’arrêt Robinson. Même si la capacité financière des demanderesses n’est pas une préoccupation en l’espèce, elles demeurent vulnérables à l’égard du contrôle de la norme de qualité des produits portant la marque de commerce Chanel. Alors qu’un titulaire de licence doit se conformer aux normes de contrôle strictes de Chanel, les demanderesses n’ont aucun contrôle sur la qualité et la conception des produits contrefaits portant la marque de commerce Chanel vendus par des fournisseurs non autorisés dans des marchés aux puces ou des établissements de vente au détail. La vulnérabilité des demanderesses repose donc sur leur incapacité à contrôler la vente quotidienne de la marchandise contrefaite, ce qui diminue la valeur du fonds commercial associé à la marque de commerce Chanel.

[78]           Enfin, les défenderesses en cause n’ont pas été en mesure de produire aucun document relié à l’achat de la marchandise Chanel contrefaite ou à sa vente, rendant pratiquement impossible d’établir avec précision le montant des dommages-intérêts punitifs requis pour dépouiller les défenderesses du profit qu’elles ont tiré en plus de la valeur du préjudice évaluée ci-dessus (voir Harley Davidson, au paragraphe 51). Cela illustre une fois de plus la mauvaise foi des défenderesses en cause, de même que leur tentative de dissimuler la mesure réelle du profit réalisé grâce à la contrefaçon de la marque de commerce des demanderesses.

[79]           La Cour est d’avis que lorsqu’elle est examinée dans ce contexte, la conduite malveillante, opprimante et abusive des défenderesses en cause justifie qu’elles soient condamnées, solidairement, à payer des dommages-intérêts punitifs de 250 000 $. Cette adjudication de dommages-intérêts punitifs respecte les limites de la rationalité. La Cour est d’avis qu’il ne s’agit pas de dommages-intérêts excessifs au regard de la jurisprudence et des faits particuliers de l’affaire. Une fois encore, il est très important d’éliminer la conduite récidiviste des défenderesses en cause et d’envoyer un message clair aux autres contrevenants susceptibles de se livrer à une conduite semblable, qui se sont livrés à une telle conduite ou qui sont susceptibles de tenter de dissimuler leur conduite au moyen de la vente ou de la transformation de leur entreprise. Il n’y a donc aucun motif qui justifierait aujourd’hui de diminuer le montant de 250 000 $ accordé aux demanderesses à titre de dommages-intérêts punitifs.

[80]           Les défenderesses en cause devront également payer aux demanderesses des intérêts après-jugement sur le montant des dommages-intérêts compensatoires et des dommages-intérêts punitifs, calculé de la date du présent jugement à un taux d’intérêt de 2,00 % et à des taux ultérieurement déterminés selon la Loi sur les tribunaux judiciaires, LRO 1990, chap. C.43, et la Publication des taux d’intérêt antérieur et postérieur au jugement, Règlement de l’Ontario 339/07. Il ne reste donc que la question des dépens à trancher.

ADJUDICATION DES DÉPENS

[81]           La Cour a noté ce qui suit relativement aux dépens dans le jugement initial, aux paragraphes 26 et 27 :

[26] Enfin, les demanderesses soutiennent que, compte tenu du fait que les marques de commerce Chanel ont été délibérément et sciemment contrefaites et que les défendeurs ont fait preuve d’obstruction en retardant délibérément l’instance, mais aussi des frais supplémentaires considérables supportés par elles en raison de ces actions, elles devraient avoir droit aux dépens procureur‑client, lesquels seraient adjugés sous forme d’une somme globale à déterminer par la Cour (environ 110 000 $). À titre subsidiaire, elles soutiennent qu’elles devraient avoir droit aux dépens de la présente instance calculés selon le tarif, soit la somme de 13 007,57 $ traduisant des frais prévus au tarif de 8 190 $ et des débours de 4 817,57 $.

[27] La Cour estime que les demanderesses ont dû supporter des honoraires d’avocat et des débours supérieurs en partie à cause de la passivité des défendeurs individuels, qui n’ont pas tenu compte des multiples demandes de documents, ce qui a donné lieu au retrait de leur avocat et à d’autres retards. Par contre, en accordant des dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $, la Cour a déjà tenu compte de la contrefaçon délibérée et en connaissance de cause des marques de commerce Chanel. Elle estime donc qu’il convient de réduire de 40 % le montant des dépens calculés par les demanderesses sur la base procureur-client. La Cour accorde aux demanderesses la somme de 66 000 $ au lieu des dépens taxés, laquelle somme devra être payée immédiatement par les défenderesses en cause compte tenu de leur comportement répréhensible au cours de l’instance.

[82]           En renvoyant l’affaire pour réexamen, la Cour d’appel fédérale n’a pas jugé que la détermination des dépens effectuée par la Cour était entachée d’erreur. Le seul motif justifiant d’annuler l’adjudication des dépens était pragmatique : en examinant de nouveau la question des dommages-intérêts, il était possible que la Cour en arrive à une conclusion différente et qu’elle ait à se demander si cette décision a une conséquence sur les dépens.

[83]           Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec l’avocat des demanderesses que ce qui a eu une conséquence directe sur les dépens n’est pas le montant des dommages-intérêts compensatoires et punitifs accordés par la Cour, mais la quantité de travail et les débours engagés par les demanderesses afin d’obtenir un jugement contre les défenderesses en cause. Dans tous les cas, en examinant les conclusions de la présente décision, qui demeurent inchangées, je ne vois pas de fondement justifiant aujourd’hui de réduire la somme de 66 000 $ initialement accordée aux demanderesses au lieu de dépens taxés.

[84]           Enfin, étant donné que ce réexamen de la requête en procès sommaire a eu lieu en raison du jugement rendu par la Cour d’appel fédérale, qui a accueilli l’appel de Mme Lam sans frais, et qu’aucune des parties ne devrait être tenue responsable de l’ambiguïté ou de l’insuffisance des motifs du jugement initial, aucuns dépens additionnels ne seront alloués pour le réexamen de la requête en procès sommaire.

[85]           Par conséquent, les défenderesses en cause devront payer immédiatement aux demanderesses la somme de 66 000 $ au lieu de dépens taxés, comprenant le jugement initial de la Cour et le présent réexamen.


JUGEMENT

VU le jugement et les motifs rendus le 18 septembre 2015 dans la décision Chanel S. de R.L. c. Kee, 2015 CF 1091 [motifs de la Cour fédérale] [jugement initial], par défaut contre Lam Chan Kee Company Ltd. [LCK Company] et 2133694 Ontario Inc. [‘964 Inc] [désignées dans leur ensemble comme les sociétés défenderesses] et dans le procès sommaire contre Annie Lui Kwan Lam [Mme Lam] [désignées collectivement comme les sociétés défenderesses et Mme Lam et comme les défenderesses en cause];

VU l’appel du jugement initial interjeté par Mme Lam à la Cour d’appel fédérale et les motifs du jugement et le jugement de la Cour d’appel fédérale datés du 4 avril 2016 dans l’arrêt Kwan Lam c. Chanel S. de R.L., 2016 CAF 111 [motifs de la CAF], annulant le jugement initial et renvoyant la requête en procès sommaire pour réexamen conformément aux motifs de la CAF afin de corriger l’ambiguïté relative à la contrefaçon du 2 juin 2013 et de déterminer de nouveau, par des motifs suffisants, le montant des dommages-intérêts et des dépens à ordonner;

VU les observations des demanderesses et de Mme Lam;

VU les motifs de la Cour d’appel fédérale affirmant qu’à l’exception de l’ambiguïté relative à la contrefaçon du 2 juin 2013, il n’y a pas de motifs d’écarter toute autre conclusion concernant l’implication et la responsabilité de Mme Lam dans la présente affaire;

ET VU la conviction de la Cour pour les motifs joints au présent jugement que la défenderesse, Mme Lam, est solidairement responsable, avec les sociétés défenderesses, de la contrefaçon du 2 juin 2013, qu’il est approprié d’ordonner le paiement de dommages-intérêts compensatoires et punitifs ainsi que des dépens en fonction des critères formulés dans les motifs de la Cour d’appel fédérale et qu’en conséquence, la Cour ne doit pas modifier le jugement initial;

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  Les conclusions, déclarations, ordonnances et condamnations prononcées ou rendues contre les sociétés défenderesses et Mme Lam dans le jugement initial, y compris celles relatives à l’adjudication de dommages-intérêts compensatoires, de dommages-intérêts punitifs et des dépens, sont confirmées et demeurent inchangées;

2.                  La Cour accueille en partie la requête en procès sommaire présentée par les demanderesses Chanel S. de R.L., Chanel Limited [Chanel] et Chanel Inc. [collectivement appelées les demanderesses];

3.                  La Cour rejette la poursuite intentée contre le défendeur Siu‑Hung Lam;

4.                  La Cour accueille également la partie de la requête en procès sommaire contre Mme Lam et rend un jugement en conséquence;

5.                  Mme Lam est personnellement responsable, à tout égard et tout au long de la période visée, des activités de contrefaçon s’étant déroulées au magasin de vente au détail faisant affaire sous le nom de LAM CHAN KEE [l’entreprise], au local B25, 4300 Steeles Avenue East, Markham (Ontario) [les locaux] le 23 octobre 2011, le 9 décembre 2011, le 26 avril 2012, le 2 juin 2013 et entre ces dates;

6.                  La Cour accueille également la partie de la requête en jugement par défaut des demanderesses contre les sociétés défenderesses et rend un jugement en conséquence;

7.                  Au Canada, Chanel est propriétaire des marques de commerce et des enregistrements de marque de commerce énumérés à l’annexe A ci‑après [les marques de commerce Chanel]; lesdits enregistrements sont valides, et les marques de commerce Chanel ont été contrefaites par les défenderesses en cause, en violation des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce;

8.                  Les défenderesses en cause, collectivement et individuellement, ont employé les marques de commerce Chanel d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur du fonds commercial attaché à ces marques de commerce, en violation de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce;

9.                  Les défenderesses en cause, collectivement et individuellement, ont appelé l’attention du public sur leurs produits de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre leurs produits et les produits ou l’entreprise des demanderesses, en violation du paragraphe 7b) de la Loi sur les marques de commerce;

10.              Les défenderesses en cause, collectivement et individuellement, ont fait passer leurs produits pour ceux des demanderesses, en violation du paragraphe 7c) de la Loi sur les marques de commerce;

11.              Les défenderesses en cause, collectivement et individuellement, ont employé, en liaison avec des accessoires de mode, une description qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde leurs caractéristiques, leur qualité ou leur composition, en violation du paragraphe 7d) de la Loi sur les marques de commerce;

12.              Il est interdit définitivement aux défenderesses en cause, collectivement et individuellement, directement ou indirectement par leurs préposés, travailleurs, mandataires et employés, de faire ce qui suit :

a)                  continuer de contrefaire les marques de commerce Chanel;

b)                  employer les marques de commerce Chanel, toute terminologie ou toute combinaison de termes ou autre dessin susceptibles de créer de la confusion avec les marques de commerce Chanel, à titre de marque de commerce ou de nom commercial – ou partie de ceux-ci – ou à quelque fin que ce soit;

c)                  diminuer la valeur de l’achalandage attaché aux marques de commerce Chanel;

d)                 appeler l’attention du public sur leurs produits de façon à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre ces produits et les produits et l’entreprise des demanderesses;

e)                  faire passer leurs produits pour ceux des demanderesses;

f)                   employer, en liaison avec des accessoires de mode, une description qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui concerne leurs caractéristiques, leur qualité ou leur composition.

13.              Dans les vingt et un (21) jours suivant le jugement, les demanderesses en cause remettront aux demanderesses, à leurs propres frais, tous les articles en leur possession, sous leur garde ou sous leur contrôle qui enfreignent de quelconque manière la présente ordonnance;

14.              Les demanderesses en cause sont condamnées à verser aux demanderesses, solidairement, des dommages‑intérêts de 64 000 $;

15.              Les demanderesses en cause sont condamnées à verser aux demanderesses, solidairement, des dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $;

16.              Les défenderesses en cause paieront aux demanderesses des intérêts après jugement sur les sommes accordées ci‑dessus à titre de dommages‑intérêts et de dommages‑intérêts punitifs, calculés à partir de la date du présent jugement, au taux actuel de 2 % et à des taux ultérieurement déterminés conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires, LRO, ch. C‑43, et à la Publication des taux d’intérêt antérieur et postérieur au jugement, Règlement de l’Ontario 339/07;

17.              Les défenderesses en cause paieront immédiatement aux demanderesses la somme de 66 000 $ au lieu des dépens taxés.

« Luc Martineau »

Judge


ANNEXE A

[VIDE]

Marque de commerce

Numéro d’enregistrement/ demande

Date de première utilisation :

Date d’enregistrement

Marchandise/ Service

CHANEL

CHANEL

LMC 194 870

1) 4 février 1972

 

Le 19 octobre 1973

1)    montres

CHANEL

CHANEL

LMC 143 648

1) 1925

28 janvier 1966

MARCHANDISES

1)    Vêtements pour femmes : ensembles, tailleurs sur mesure, robes, vestes, chemisiers; accessoires de cou : foulards de soie, carrés de soie et écharpes.

[En blanc/ Blank]

[En blanc/ Blank]

[En blanc/ Blank]

2) 1925

[En blanc/ Blank]

2)    Boutons, épinglettes et bijoux de fantaisie.

[En blanc/ Blank]

[En blanc/ Blank]

[En blanc/ Blank]

3) 1925

[En blanc/ Blank]

3)    Bijoux.

[En blanc/ Blank]

[En blanc/ Blank]

[En blanc/ Blank]

4) 6 avril 1972

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4)    Chaussures et produits de cuir : portefeuilles, carnets de poche, sacs à main et ceintures.

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5) 22  mars 1985

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5)    Cravates, ceintures de métal, de tissu, de matériaux synthétiques ou d’une combinaison de ces matières et du cuir.

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6) 4 septembre 1986

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6)    Accessoires pour cheveux : épingles, nœuds, bandeaux, pinces, fleurs artificielles.

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7) 18 février 1972

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7)    Briquets.

 

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1) 18 février 1987

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SERVICES

1)    Exploitation de boutiques vendant des vêtements, des parfums et des accessoires.

CHANEL

CHANEL

LCD 18468

1) 1920

12 août 1943

1)    Produits de toilette : parfum, eau de Cologne, eau de toilette, poudre pour le bain, huile de bain, huile d’après bain, crème corporelle, gel de bain, savon, eau de parfum, après‑rasage, hydratant après‑rasage, crème de rasage, baume après‑rasage, eau de Cologne, bâton déodorant, baume hydratant, crème revitalisante protectrice.

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2) 28 décembre 1984

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2)    Produits cosmétiques : crèmes pour la peau, masques de beauté, lotion pour le corps, hydratants, fard, maquillage liquide et en crème, tonique, lotion rafraîchissante, maquillage à lèvres, vernis à ongles, dissolvant à ongles, traitement des ongles et cuticules, poudre, maquillage des yeux, nettoyants pour la peau, démaquillant, pinceaux à maquillage.

CHANEL

CHANEL

LMC 569 181

1) Juin 1992

21 octobre 2002

(1)   Lunettes, lunettes de soleil, montures de lunettes et étuis à lunettes.

Dessin CC

LMC 534 356

1) Juin 1992

11 octobre 2000

(1)   Lunettes, lunettes de soleil, montures de lunettes et étuis à lunettes.

Dessin CC

Dessin CC

LMC 345 284

1) 11 avril 1988

23 septembre 1988

(1)   Vêtements : jupes, chemisiers, pantalons, vestes, chandails, cardigans et soutien‑gorge sans bretelles; bijoux de fantaisie; produits de cuir; sacs à main, ceintures, sacs et sacoches; accessoires : barrettes, gants, cravates, châles, foulards, ceintures de tissu et de chaîne.

Dessin CC

Dessin CC

LMC 687 122

1) 1er mars 2001

8 mai 2007

1)    Serviettes de toilette, couvertures, oreillers décoratifs.

Dessin CC

LMC 649 677

1) 15 mars 2004

5 octobre 2005

1)    Sacs à main.

Dessin CC

LCD 18537

1) 1920

 

12 août 1943

1)    Produits de toilette : parfum, eau de Cologne, eau de toilette, poudre pour le bain, huile de bain, huile d’après bain, lotion corporelle, crème corporelle, crème de lait pour le bain, gel de bain, savon, baume après‑rasage, eau de Cologne, bâton déodorant.

 

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2) 8 août 1986

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2)    Bijoux de fantaisie.

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3) 4 septembre 1986

[En blanc/ Blank]

3)    Accessoires pour cheveux : épingles, nœuds, bandeaux, pinces, fleurs artificielles.

[En blanc/ Blank]

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4) 25 janvier 1988

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4)    Vêtements pour hommes et femmes : cravates, chapeaux, châles, ceintures, costumes, vestes, jupes, robes, pantalons, chemisiers, tuniques, chandails, cardigans, T‑shirts, manteaux, nœuds, chaussures.

[En blanc/ Blank]

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5) 25 janvier 1988

[En blanc/ Blank]

5)    Produits cosmétiques : crèmes pour la peau, masques de beauté, lotion pour le corps, hydratants, fard, maquillage liquide et en crème, tonique, lotion rafraîchissante, maquillage à lèvres, vernis à ongles, dissolvant à ongles, traitement des ongles et cuticules, poudre, maquillage des yeux, nettoyants pour la peau, démaquillant, pinceaux à maquillage.

[En blanc/ Blank]

Dessin CC

LMC 339 904

1) 11 février 1988

6 mai 1988

1)    Exploitation de boutiques vendant des vêtements, des parfums et des accessoires.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-653-13

 

INTITULÉ :

CHANEL S. DE R.L., CHANEL LIMITED ET CHANEL INC. c LAM CHAN KEE COMPANY LTD.,

ANNIE PUI KWAN LAM ET SIU‑HUNG LAM, FAISANT AFFAIRE COLLECTIVEMENT SOUS LE NOM DE LAM CHAN KEE, ET 2133694 ONTARIO INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

3 août 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

30 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Karen MacDonald

Mathew Brechtel

 

Pour les demanderesses

 

Richard Parker

 

Pour la défenderesse

ANNIE PUI KWAN LAM

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bull, Housser & Tupper LLP Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour les demanderesses

 

Coutts Crane

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

ANNIE PUI KWAN LAM

 

 

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