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Date : 20160831


Dossier : IMM-808-16

Référence : 2016 CF 993

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2016

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

OMER TUNCDEMIR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               M. Omer Tuncdemir présente une demande de contrôle judiciaire relativement à la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR), laquelle a rejeté son appel à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) et a refusé sa demande d’asile. La SAR a refusé d’accepter, comme nouvelle preuve, l’affidavit d’un ancien membre du Parlement turc, que le demandeur connaissait supposément depuis 2007 et qu’il aurait rencontré de nouveau peu après l’audition de sa demande par la SPR. La SAR a conclu que tant le demandeur que la nouvelle preuve manquaient de crédibilité.

II.                Contexte

[2]               Le demandeur, citoyen de la Turquie d’origine kurde, est un architecte-paysager. Dans l’exposé des faits présenté dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), il a indiqué qu’il était politiquement engagé dans des causes prokurdes et qu’il avait été, à plusieurs reprises en novembre 2002, détenu, menacé et harcelé par la police turque. Le 20 septembre 2012, le demandeur a été placé en détention provisoire par la police turque, qui lui a demandé de devenir informateur et de fournir des renseignements sur le Parti de la paix et de la démocratie (BDP). Comme il a refusé, il a été torturé durant 10 ou 11 heures.

[3]               Lorsque le demandeur est finalement rentré chez lui, il a obtenu des soins médicaux et n’a pas été en mesure de retourner au travail durant un mois. Un jour, peu après son retour au travail, des policiers l’attendaient lorsqu’il est revenu chez lui. Ils lui ont dit qu’ils en avaient assez d’attendre et qu’il était temps pour lui de faire un choix, de prendre une décision.

[4]               Le demandeur a alors décidé de quitter la Turquie. Il a obtenu un emploi en Arabie saoudite au début de 2013. Il a occupé cet emploi durant près de deux ans et, durant cette période, il est retourné en Turquie tous les six mois pour rendre visite à sa famille. Il affirme qu’il continuait à craindre d’être persécuté par les autorités, mais qu’il réduisait les risques au minimum en se rendant directement au domicile de sa famille dans la ville de Van et en évitant de prendre part à toute activité politique.

[5]               Le demandeur a indiqué qu’il avait commencé à présenter des demandes de visa pour pouvoir venir au Canada en janvier 2014. Il est devenu membre du Parti démocratique du peuple (HDP) en mars 2014 et membre de l’Association des droits de l’homme en avril 2014. En décembre 2014, il est arrivé au Canada muni d’un visa d’étudiant. Il affirme qu’il ne savait rien du processus de demande d’asile et qu’il n’a consulté un avocat que le 11 mai 2015. Son visa d’étudiant a expiré le 23 juillet 2015. Il a présenté sa demande d’asile deux semaines plus tard, soit en août 2015.

III.             Décision de la SPR

[6]               La demande d’asile du demandeur a été rejetée le 30 octobre 2015. La SPR a conclu que les présumées activités politiques du demandeur et que ses prétendues rencontres avec les autorités turques n’étaient pas étayées par les éléments de preuve, lesquels ont été jugés crédibles.

[7]               D’abord, la SPR a fait remarquer que huit mois s’étaient écoulés entre l’arrivée du demandeur au Canada et la présentation de sa demande d’asile. Bien qu’elle ait reconnu que ce fait ne suffisait pas, à lui seul, à établir la crédibilité du demandeur, la SPR a déterminé que la déclaration du demandeur, selon laquelle ce n’était qu’en mai 2015 qu’il avait entendu parler du processus de demande d’asile, ne concordait pas avec son témoignage, dans le cadre duquel il avait déclaré qu’il était venu au Canada dans l’intention de présenter une demande d’asile.

[8]               Deuxièmement, la SPR a jugé qu’en retournant en Turquie tous les six mois durant la période qu’il a passée en Arabie saoudite, le demandeur ne s’était pas comporté comme une personne ayant été torturée, plus particulièrement puisqu’il s’exposait, à chacun de ses retours, au risque de faire l’objet d’un examen de la police aux douanes.

[9]               Troisièmement, la SPR a fait remarquer que les documents d’adhésion du demandeur au parti HDP et à l’Association des droits de l’homme avaient été obtenus après que le demandeur eut commencé à présenter des demandes de visa pour venir au Canada en janvier 2014. La SPR a soulevé la possibilité que le demandeur ait adhéré à ces associations dans le but de soutenir une éventuelle demande d’asile. En outre, le certificat d’adhésion au parti HDP indique que le demandeur n’a payé sa cotisation qu’une seule fois alors qu’elle doit normalement être payée chaque mois. Ni le certificat d’adhésion au parti HDP ni le document de l’Association des droits de l’homme n’étaient signés par le demandeur, ce que la SPR a considéré comme suspect.

[10]           Dans l’ensemble, la SPR a jugé que les réponses fournies par le demandeur durant son témoignage n’étaient ni franches ni cohérentes. La SPR a notamment demandé au demandeur s’il avait des photos de lui en train de soutenir diverses causes, ce à quoi il a répondu que ses parents avaient accès à des CD entreposés dans sa ville natale. Cependant, il n’a pas jugé bon de demander à ses parents de lui envoyer ces CD. Plus tard au cours de l’audience, il a indiqué que les photos le montraient en compagnie d’autres architectes alors qu’ils manifestaient contre le retrait de leur droit d’approuver des projets. La SPR a donc estimé que le demandeur avait fourni des réponses changeantes à une même question.

[11]           Compte tenu des préoccupations susmentionnées quant à la crédibilité du demandeur, la SPR a conclu que celui-ci n’était pas un témoin fiable. Enfin, la SPR a examiné les éléments de preuve restants présentés par le demandeur pour étayer sa demande. Elle a déterminé que, bien que le nationalisme kurde continue de provoquer de la discrimination, les droits fondamentaux de la personne sont tout de même accordés, en Turquie, aux citoyens turcs d’origine kurde qui ne sont pas reconnus pour faire partie de groupes séparatistes, pourvu qu’ils soient en mesure de se débrouiller dans la langue turque.

IV.             Décision contestée

A.                Admissibilité d’une nouvelle preuve

[12]           Le demandeur a présenté à la SAR les nouveaux éléments de preuve suivants :

           un affidavit de M. Bengi Yildiz, daté du 5 décembre 2015, accompagné de documents justificatifs. M. Yildiz déclare qu’il est un ancien membre du Parlement turc et qu’il a travaillé en étroite collaboration avec le demandeur en Turquie;

           un ensemble de photos démontrant la participation du demandeur à des rassemblements de la Landscape Architects Student Association.

[13]           La SAR souligne qu’aux termes du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), un demandeur ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet (Olowolaiyemo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 895, au paragraphe 19.

[14]           La SAR ajoute qu’elle ne limitera pas son analyse au critère énoncé au paragraphe 110(4) de la LIPR; elle tiendra également compte des facteurs relatifs aux nouveaux éléments de preuve énoncés dans l’arrêt Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, aux paragraphes 13 à 15, c’est-à-dire la crédibilité, la pertinence, la nouveauté, le caractère substantiel, ainsi que les conditions légales explicites. La SAR indique qu’elle utilisera les facteurs énoncés dans l’arrêt Raza comme des « éléments d’orientation utiles » (Niyas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 878, au paragraphe 27) au lieu de les appliquer de façon stricte, puisque leur applicabilité au paragraphe 110(4) de la LIPR n’a pas été établie dans la jurisprudence (Deri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1042, au paragraphe 56). En ce qui concerne le « caractère nouveau » d’une preuve documentaire, la SAR indique qu’il « ne saurait dépendre uniquement de la date à laquelle le document a été établi. [...] Ce qui importe, c’est le fait ou les circonstances que l’on cherche à établir par la preuve documentaire » (voir l’arrêt Raza, précité, au paragraphe 16).

[15]           De plus, la SAR mentionne que, dans les circonstances, elle évaluera la crédibilité et la fiabilité de la nouvelle preuve aux termes de l’alinéa 171a.3) de la LIPR, et qu’elle évaluera également la pertinence de la preuve afin de s’assurer qu’elle contribue à traiter l’affaire « sans formalisme et avec célérité », conformément au paragraphe 162(2) de la LIPR.

[16]           Se penchant tout d’abord sur l’affidavit de M. Yildiz, la SAR est d’avis que les renseignements qu’il contient ne sont en aucun cas nouveaux. M. Yildiz déclare qu’il a été élu au Parlement turc en 2007, puis de nouveau en 2011. Il affirme qu’il a rencontré le demandeur en 2007 et que, par la suite, le demandeur l’a accompagné à des événements, des rassemblements et des réunions, agissant parfois même comme son garde du corps. Ces déclarations concernent l’activisme politique du demandeur en Turquie et sont antérieures au rejet de la demande d’asile du demandeur, qui a eu lieu en 2015. Comme les renseignements contenus dans l’affidavit sont très pertinents dans le cadre de sa demande, il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur les présente à la SPR avant le rejet de sa demande.

[17]           La SAR rejette également l’argument du demandeur selon lequel l’affidavit devrait être admis puisqu’il réfute directement une conclusion centrale de la SPR et que le rejeter irait à l’encontre des engagements pris par le Canada aux termes de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 189 RTNU 150, entrée en vigueur le 22 avril 1954, et de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), ch. 11 (la Charte). La SAR affirme qu’elle n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre des éléments de preuve qui ne satisfont pas aux critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Desalegn, 2016 CF 12, au paragraphe 17).

[18]           Par conséquent, la SAR conclut que l’affidavit de M. Yildiz et les documents justificatifs ne satisfont pas au critère disjonctif énoncé au paragraphe 110(4) de la LIPR. La SAR ajoute que même si les documents avaient satisfait au critère énoncé au paragraphe 110(4), elle les aurait tout de même rejetés puisqu’ils ne sont pas suffisamment crédibles dans le contexte de la demande d’asile du demandeur. M. Yildiz et le demandeur ont soi-disant travaillé en étroite collaboration de 2007 à 2009; cependant, ces renseignements ne figurent pas dans le formulaire FDA du demandeur. En fait, l’exposé des faits figurant dans le formulaire FDA du demandeur indique que lorsque celui-ci est déménagé à Istanbul en 2007, il a tenté de faire profil bas, bien qu’il ait participé à certaines manifestations. Puis, de décembre 2008 à mai 2009, le demandeur a effectué son service militaire obligatoire, ce qui contredit la déclaration selon laquelle lui et M. Yildiz travaillaient en étroite collaboration.

[19]           En ce qui concerne les photos, la SAR estime que la question posée par la SPR au demandeur sur sa participation à de « bonnes causes » était vague et qu’elle avait donc commis une erreur en concluant que les éléments de preuve constituaient une réponse à cette question. La SAR conclut qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur fournisse les photos à la SPR. Néanmoins, bien que les photos satisfassent au critère énoncé au paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR détermine qu’elles ne sont pas admissibles dans le cadre de l’appel puisqu’elles ne sont pas pertinentes, substantielles ou crédibles. Elles ne sont en rien liées à la crainte du demandeur d’être persécuté. De plus, les mots qui figurent sur les photos ne sont pas traduits.

[20]           La SAR rejette tous les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur et, par conséquent, refuse la demande d’audience présentée par celui-ci.

B.                 Évaluation de la preuve et de la décision de la SPR

[21]           La SAR examine la décision de la SPR ainsi que les observations concernant cette décision, et elle indique qu’elle procédera à un examen indépendant des éléments de preuve. En ce qui concerne les questions pour lesquelles la SPR n’a aucun avantage, la SAR ne fera preuve d’aucune déférence et appliquera la norme de la décision correcte (X (Re), 2015 CanLII 19235 (CA CISR), au paragraphe 103).

(1)               Audience de la SPR

[22]           D’abord, la SAR rejette l’argument du demandeur selon lequel la SPR a omis de confirmer adéquatement l’exactitude du formulaire FDA. La SPR a offert au demandeur la possibilité de confirmer qu’il avait bel et bien fourni des renseignements véridiques, ce que le demandeur a confirmé.

[23]           Deuxièmement, la SAR détermine que la SPR a commis une erreur en omettant de consulter l’avocat au sujet des questions à trancher au début de l’audience, contrairement aux directives du président. Toutefois, avant d’entendre les observations présentées de vive voix par l’avocat, la SPR avait ciblé les questions qui avaient été supprimées, ainsi que les questions qui restent à trancher. L’erreur de la SPR n’a eu aucune conséquence pour le demandeur puisque l’avocat de celui-ci a clairement mentionné, dans ses observations, qu’il savait que la crainte subjective demeurait une question à trancher pour la SPR.

[24]           Troisièmement, la SAR rejette l’argument du demandeur selon lequel les questions posées par la SPR n’étaient pas claires, puisque le demandeur a omis de signaler ces erreurs dans la procédure ou dans la décision. La SAR rejette également l’argument du demandeur selon lequel il a tendance à mal comprendre les questions et à donner des réponses imprécises; il s’agissait d’un critère particulier de l’évaluation de la crédibilité faite par la SPR et il ne peut être utilisé maintenant contre la décision de la SPR.

(2)               Crainte subjective

[25]           La SAR est d’accord avec la SPR sur le fait que les actions du demandeur n’indiquaient pas une réelle crainte subjective. Voici un passage pertinent des conclusions de la SAR :

[traduction]
Malgré la torture, les requêtes de la police, son refus de coopérer et l’intérêt soutenu de la police à son endroit, le demandeur a délibérément quitté l’Arabie saoudite, où il était en sécurité, pour se rendre en Turquie, et cela, à de multiples reprises. [...] Le fait qu’il soit retourné délibérément et à de multiples reprises là où il était soi-disant torturé, en danger et recherché par la police porte sérieusement atteinte à sa crédibilité. [...] Cette importante incohérence entre les mots et les actions constitue [un] motif valable pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[26]           La SAR rejette l’argument du demandeur, lequel soutient qu’il est retourné en Turquie parce qu’il était profondément engagé à l’égard du changement social et du processus politique, et que, de l’avis de la SPR, la « lâcheté » représentait la seule façon acceptable pour lui de réagir après avoir été soumis à la persécution. Le demandeur avait précisément mentionné qu’il ne retournait en Turquie que pour rendre visite à sa famille et qu’il évitait de prendre part à toute activité politique. De plus, la SAR est d’avis que, même s’il n’est pas déterminant, le fait que le demandeur ait tardé à présenter sa demande d’asile constitue une considération valable.

(3)               Incohérences

[27]           La SAR rejette l’argument du demandeur selon lequel les questions de la SPR étaient vagues et les conclusions de celle-ci quant aux incohérences sont déraisonnables. Toutefois, la SAR convient que les questions de la SPR au sujet des « bonnes causes » l’ont amenée à tirer des conclusions erronées quant à la crédibilité.

[28]           En ce qui concerne les documents d’adhésion, la SAR partage les préoccupations de la SPR : le certificat d’adhésion au parti HDP n’a été établi qu’après que le demandeur eut entrepris ses démarches pour venir au Canada; le demandeur n’a payé sa cotisation mensuelle qu’une seule fois; ni le certificat ni le document de l’Association des droits de l’homme ne porte sa signature; il ne se trouvait pas en Turquie lorsque les documents ont été remplis. Dans l’ensemble, le demandeur n’a pas fourni la preuve de ses activités politiques.

[29]           La SAR rejette les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur. Elle estime que le demandeur manque de crédibilité en général et elle rejette son appel.

V.                Questions en litige et norme de contrôle

[30]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.                La SAR a-t-elle commis une erreur en rejetant l’affidavit de M. Yildiz comme nouvel élément de preuve?

B.                 La SAR a-t-elle commis une erreur en ne donnant pas au demandeur et à M. Yildiz la possibilité de dissiper ses préoccupations quant à la crédibilité de l’affidavit de M. Yildiz?

[31]           La norme de contrôle qui s’applique en ce qui concerne l’interprétation faite par la SAR des paragraphes 110(4) et 110(6) de la LIPR est la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 29).

VI.             Analyse

A.                La SAR a-t-elle commis une erreur en rejetant l’affidavit de M. Yildiz comme nouvel élément de preuve?

[32]           En ce qui concerne l’interprétation faite par la SAR du paragraphe 110(4) de la LIPR, je ne suis pas d’accord avec le demandeur sur le fait qu’il s’agissait d’une « interprétation excessivement stricte et restrictive » de la disposition. L’interprétation faite par la SAR est conforme à l’arrêt Singh précité, au paragraphe 35, dans lequel la Cour d’appel fédérale (CAF) a déterminé que les conditions énoncées au paragraphe 110(4) sont « incontournables et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR », et qu’elles doivent donc être « interprétées restrictivement ». En outre, la CAF a déterminé que « les critères implicites dégagés dans l’arrêt Raza trouvent également application dans le cadre du paragraphe 110(4) », sous réserve d’une adaptation du critère concernant le caractère substantiel de la preuve (ibid aux paragraphes 47 et 49).

[33]           Par conséquent, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son interprétation du paragraphe 110(4) de la LIPR. La question devient donc la suivante : était-il acceptable pour la SAR de refuser d’admettre l’affidavit de M. Yildiz parce qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur, dans les circonstances, présente cet élément de preuve au moment du rejet de sa demande?

[34]           Je réponds affirmativement à cette question. La SAR s’est, à juste titre, fondée sur l’arrêt Raza précité, au paragraphe 16, pour déterminer que le caractère nouveau d’une preuve documentaire « ne saurait dépendre uniquement de la date à laquelle le document a été établi. [...] Ce qui importe, c’est le fait ou les circonstances que l’on cherche à établir par la preuve documentaire. » L’affidavit de M. Yildiz, bien qu’il ait été préparé après l’audience de la SPR, ne contenait aucun nouveau renseignement. Comme les renseignements étaient pertinents dans le cadre de la demande du demandeur, il était acceptable pour la SAR de conclure que le demandeur aurait raisonnablement dû présenter cet élément de preuve à la SPR avant le rejet de sa demande. Il aurait pu porter les renseignements à l’attention de la SPR dès le moment où il avait rencontré M. Yildiz à la fin d’octobre 2015, comme l’a souligné la SAR. De plus, il aurait pu inclure les renseignements concernant ses présumées activités politiques avec M. Yildiz dans son formulaire FDA, ce qu’il n’a pas fait.

[35]           La SAR ajoute que même si les conditions énoncées au paragraphe 110(4) avaient été satisfaites, elle refuserait tout de même d’accepter l’affidavit en raison du manque de crédibilité de celui-ci. La SAR pouvait évaluer correctement la crédibilité de l’affidavit en se fondant sur l’alinéa 171a.3) de la LIPR et sur l’arrêt Raza précité. Comme l’a indiqué la CAF dans l’arrêt Singh précité, au paragraphe 44 :

[…] On voit mal, notamment, comment la SAR pourrait admettre une preuve documentaire qui ne serait pas crédible. De fait, l’alinéa 171a.3) prévoit expressément que la SAR « peut recevoir les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision ». […]

[36]           De plus, si l’on tient compte du libellé de l’arrêt Raza en ce qui concerne la crédibilité, la CAF a établi que la question à se poser est la suivante : « Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer » (arrêt Raza précité, au paragraphe 13). En l’espèce, la SAR est raisonnablement arrivée à la conclusion que l’affidavit manquait de crédibilité lorsqu’elle l’a examiné dans le contexte de la demande d’asile du demandeur, plus particulièrement compte tenu du fait que l’affidavit contredisait certains passages de l’exposé des faits figurant dans le formulaire FDA du demandeur.

[37]           Par conséquent, il était raisonnable pour la SAR, compte tenu de toutes les circonstances en l’espèce, de ne pas croire que le demandeur avait par hasard rencontré M. Yildiz au moment même où sa demande d’asile était rejetée par la SPR.

[38]           Enfin, je rejette le deuxième argument du demandeur selon lequel la SAR a commis une erreur en n’acceptant pas l’élément de preuve du fait que ne pas l’accepter allait à l’encontre des valeurs de la Charte. J’estime qu’il était raisonnable pour la SAR de rejeter cet argument puisqu’elle n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre un élément de preuve qui ne satisfait pas aux critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR, comme l’a déclaré la SAR au paragraphe 42 de sa décision. Cela est conforme à ce qu’a déclaré la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 62 et 63 de l’arrêt Singh précité, soit que le paragraphe 110(4) ne confère aucune discrétion à la SAR en ce qui concerne l’admissibilité d’une preuve nouvelle. Par conséquent, la SAR ne peut s’en remettre aux valeurs de la Charte dans ce contexte. La Cour d’appel fédérale a établi que l’obligation d’appliquer les valeurs de la Charte, soulevée dans l’arrêt Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, ne s’appliquait pas dans ces circonstances puisqu’elle nécessiterait que le décideur administratif puisse exercer un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi pour considérer les valeurs de la Charte.

B.                 La SAR a-t-elle commis une erreur en ne donnant pas au demandeur et à M. Yildiz la possibilité de dissiper ses préoccupations quant à la crédibilité de l’affidavit de M. Yildiz?

[39]           Étant donné que la SAR a raisonnablement déterminé que l’affidavit de M. Yildiz était inadmissible parce qu’il n’était pas crédible et qu’il ne satisfaisait pas aux critères énoncés au paragraphe 110(4), la SAR n’était pas tenue de déterminer si une audience était requise. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh précité, au paragraphe 51 :

[...] La nouvelle preuve devra satisfaire aux critères d’admissibilité énoncés au paragraphe 110(4), et une nouvelle audience ne pourra être tenue que si les nouveaux éléments de preuve satisfont aux conditions prévues au paragraphe 110(6). Dans l’hypothèse où la SAR estime que toute la preuve devrait être réentendue pour prendre une décision éclairée, elle devra renvoyer l’affaire à la SPR (paragraphe 111(2)). Ce cadre législatif témoigne de la volonté claire du législateur de baliser étroitement l’introduction de toute nouvelle preuve.

[40]           Puisque la nouvelle preuve n’a pas été admise aux termes du paragraphe 110(4), la SAR n’était pas tenue de déterminer si cette nouvelle preuve remplissait les conditions énoncées au paragraphe 110(6). La SAR a correctement instruit l’appel sur dossier en se fondant sur le dossier présenté à la SPR ainsi que sur la décision de la SPR.

[41]           Le demandeur cite le jugement Ching c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 pour étayer son argument selon lequel la SAR doit faire preuve d’équité procédurale lorsqu’elle tire des conclusions en matière de crédibilité, même si ces conclusions ne sont pas déterminantes dans l’affaire. Toutefois, j’estime que le jugement Ching diffère de la présente affaire. Dans le jugement Ching précité, au paragraphe 62, le demandeur soutient que « la SAR aurait dû tenir une audience, parce qu’elle a examiné les conclusions de la SPR sur sa crédibilité, lesquelles il n’avait pas mises en litige dans son appel, sans lui offrir la possibilité de présenter des observations en réponse aux préoccupations exprimées par la SAR quant à ces conclusions. » La juge Kane a déterminé qu’il s’agissait d’une question d’équité procédurale qui méritait un examen plus approfondi, indépendamment des conditions formulées au paragraphe 110(6), puisque la SAR avait soulevé de nouvelles questions dans le cadre de l’appel qui n’avaient pas été soulevées par le demandeur (jugement Ching précité, aux paragraphes 64 à 71).

[42]           Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Le demandeur ne soutient pas que la SAR a soulevé de nouvelles questions dans le cadre de l’appel. Dans son mémoire à l’intention de la SAR, il soutient plutôt que la SPR a commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité, et il demande donc à la SAR de réévaluer sa crédibilité (voir le mémoire du demandeur, aux paragraphes 39 et 43 à 56).

[43]           Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le demandeur ne remet pas en cause les conclusions de la SAR quant à la crédibilité du bien-fondé de sa demande d’asile. Il remet uniquement en cause la conclusion de la SAR selon laquelle la nouvelle preuve n’était pas crédible. Il ne s’agit pas d’une « nouvelle question » soulevée en appel, puisque la SAR devait tirer une conclusion relativement à l’admissibilité de la nouvelle preuve. En outre, comme il a été expliqué précédemment, la conclusion de la SAR selon laquelle la nouvelle preuve manquait de crédibilité est accessoire à sa conclusion principale selon laquelle la nouvelle preuve présentée ne satisfait pas au critère énoncé au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[44]           Par conséquent, il n’y a aucune question d’équité procédurale à examiner, exception faite des conditions justifiant la tenue d’une nouvelle audience énoncées au paragraphe 110(6).

VII.          Conclusion

[45]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

3.      Aucuns dépens ne sont accordés.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-808-16

INTITULÉ :

OMER TUNCDEMIR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 31 août 2016

COMPARUTIONS :

Lobat Sadrehashemi

Pour le demandeur

Edward Burnet

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lobat Sadrehashemi

Avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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