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Date : 20160826


Dossier : T-1958-15

Référence : 2016 CF 971

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 août 2016

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

TRADEMARK TOOLS INC.

demanderesse

et

MILLER THOMSON LLP

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Conformément au paragraphe 45(1) de la Loi sur les marques de commerce (la Loi), le propriétaire d’une marque de commerce peut être appelé par le registraire des marques de commerce pour fournir la preuve d’emploi de la marque de commerce dans une période donnée.

[2]               TradeMark Tools Inc. (TT) est la propriétaire du dessin de marque LOGIX. À la demande des avocats de la défenderesse, un avis a été délivré par le registraire à TT lui demandant de fournir des preuves d’emploi de la marque de commerce pour la période de trois ans allant du 19 décembre 2011 au 19 décembre 2014 (la période pertinente).

[3]               TT a demandé deux prorogations de délai pour déposer ces éléments de preuve. Le 22 septembre 2015, le registraire a rejeté la troisième demande de prorogation de délai de TT et, conformément au paragraphe 45(4) le registraire a radié l’enregistrement de TT pour défaut de démontrer l’emploi.

[4]               TT interjette appel de la décision du registraire et s’appuie sur un affidavit de son gestionnaire d’entrepôt, Robert Cesar Olivera, comme preuve que la marque de commerce a été employée pendant la période pertinente.

[5]               Les questions suivantes sont soulevées :

A.                L’affidavit d’Olivera est-il admissible?

B.                 L’affidavit d’Olivera fournit-il la preuve de l’emploi?

C.                 L’usage d’une variante de la marque de commerce peut-il être qualifié d’emploi?

D.                Y a-t-il des circonstances spéciales?

[6]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la preuve sur laquelle s’est appuyé TT n’établit pas l’emploi de la marque de commerce LOGIX pendant la période pertinente. La décision du registraire est en conséquence maintenue.

II.                Analyse

A.                L’affidavit d’Olivera est-il admissible?

[7]               Une procédure en vertu de l’article 45 de la Loi devrait être simple, sommaire et expéditive et est destinée à débarrasser le registre des marques du « bois mort ». Le fardeau de la preuve incombe au propriétaire inscrit de la marque de commerce qui doit démontrer l’emploi afin de maintenir une marque de commerce dans le registre. Ce fardeau n’est pas contraignant. Le propriétaire doit uniquement présenter une preuve prima facie de l’emploi au sens de l’article 4 de la Loi (Saks & Co c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1989), 24 CPR (3d) 49 (C.F. 1re inst.); Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd et al. (No.2) (1987), 17 CPR (3d) 237, [1987] ACF no 848 (CAF); Levi Strauss & Co c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 654, et Brouillette  Kosie Prince c. Orange Cove-Sanger Citrus Association, 2007 CF 1229).

[8]               Notre Cour peut examiner d’autres éléments de preuve, même dans les cas comme celui-ci où la demanderesse n’a présenté aucune preuve au registraire : Austin Nichols & Co, Inc (faisant affaire sous le nom commercial Orangina International Company) c. Cinnabon Inc, [1998] 4 CF 569 (CAF), aux paragraphes 8-10, 22; Vêtement Multi-Wear Inc c. Riches, Mckenzie & Herbert LLP, 2008 CF 1237, aux paragraphes 17 et 18.

[9]               La décision du registraire devrait normalement être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Cependant, lorsque des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au registraire sont produits devant notre Cour, cette dernière peut substituer ses propres conclusions à celles du registraire. En d’autres termes, notre Cour doit rendre la décision qu’elle croit appropriée, en se basant sur les éléments de preuve supplémentaires produits qui n’avaient pas été présentés au registraire (voir : Molson Breweries c. John Labatt Ltd, [2000] 3 CF 145 (CFA) au paragraphe 51.).

[10]           Si les nouveaux éléments de preuve auraient pu modifier la décision du registraire, la Cour examinera l’affaire de novo, appliquera la norme de la décision correcte, et arrivera à ses propres conclusions quant aux questions auxquelles se rapportent les nouveaux éléments de preuve : Sport Maska Inc c. Bauer Hockey Corp, 2016 CAF 44, au paragraphe 54.

[11]           Aux fins de la défense d’une marque de commerce de la radiation en vertu de l’article 45, la preuve de l’emploi peut prendre la forme d’une seule transaction commerciale dans le cours normal des activités de l’entreprise (voir : Les Sols R. Isabelle Inc c. Stikeman Elliot LLP, 2011 CF 59, au paragraphe 17). Les ambiguïtés liées à la preuve seront résolues en faveur du propriétaire inscrit : Messrs. Bereskin & Parr c. Fairweather Ltd, 2006 CF 1248, au paragraphe 41.

[12]            Les éléments de preuve sur lesquels s’est appuyée TT sont contenus dans l’affidavit de Robert Olivera, qui a été confirmé le 17 décembre 2015. M. Olivera déclare qu’il était employé comme gestionnaire d’entrepôt par TT depuis le 27 octobre 2014. Il explique que TT est un fournisseur d’outils et d’autres biens de consommation. Il dit qu’il participe à l’expédition et à la facturation des biens qui portent la marque de commerce LOGIX. M. Olivera déclare que la plupart des renseignements contenus dans son affidavit ont été tirés du logiciel de comptabilité standard de TT.

[13]           La défenderesse soutient que l’affidavit n’est pas admissible puisque la plupart des éléments de preuve dans l’affidavit sont des ouï-dire et qu’il ne s’agit pas de renseignements dont M. Olivera avait une connaissance préalable, d’autant plus qu’il n’a été employé par TT que pendant moins de deux mois au cours de la période pertinente.

[14]           Je sais que le critère de recevabilité des éléments de preuve à l’appui d’une action en vertu de l’article 45 est peu exigeant. (Les Sols R. Isabelle Inc, précité, au paragraphe16.) Je sais également qu’en me mettant à la place du registraire, notre Cour devrait être prête à accepter des éléments de preuve de même nature que ceux que le registraire pourrait accepter (Fraser Sea Food Corp c. Fasken Martineau Dumoulin LLP, 2011 CF 893, au paragraphe 2).

[15]           Les copies et les descriptions des produits de TT vendus par TT ont été jointes à l’affidavit de M. Olivera. En tant que gestionnaire d’entrepôt, il dit qu’il est responsable de la facturation. À ce poste, il se familiariserait avec les documents comptables relatifs à la facturation puisqu’il s’agit des documents commerciaux de TT. Je suis convaincue que la preuve respecte le critère d’acceptabilité peu exigeant pour ce type de demande et serait une preuve acceptable dans le champ de l’exception concernant les documents commerciaux prévue par la Loi sur la preuve (Movenpick Holding AG c. Exxon Mobil Corporation, 2011 CF 1397, aux paragraphes 77 et 78).

[16]           L’affidavit de M. Olivera est admissible.

B.                 L’affidavit d’Olivera fournit-il la preuve de l’emploi?

[17]           La marque de commerce déposée est décrite comme une barre rectangulaire avec un long axe vertical portant le mot « LOGIX « décrit comme suit :

  

[18]           La couleur revendiquée caractéristique de la marque de commerce est décrite comme :

une barre rectangulaire blanche avec des bandes étroites rouges en haut et en bas, la bande blanche affichant le mot LOGIX, le « L », le « G » et le « X « étant de couleur noire et le « O » et le « I » étant de couleur grise, avec un tréma rouge sur le «O » et le point placé au-dessus du « I » étant de couleur rouge; la bande supérieure rouge affiche les lettres LGX en noir.

[19]           La marque de commerce est déposée pour emploi en liaison avec des produits décrits comme étant :

des sacs à outils, des lampes de poche et des outils, notamment des marteaux, des scies, des tournevis, des rubans à mesurer, des perceuses à main, des niveaux d’eau, des clés et pinces, des petits appareils électriques de cuisine, des chariots de cuisine, des torchons de cuisine, des ouvre-bouteilles de vin et des supports à épices.

[20]           L’avocat de TT reconnaît qu’il n’y a aucune preuve d’emploi de la marque de commerce en liaison avec les produits suivants : les petits appareils électriques de cuisine, les chariots de cuisine, les torchons de cuisine, les ouvre-bouteilles de vin et les supports à épices.

[21]           L’avocat admet aussi que les factures jointes à l’affidavit de M. Olivera dont la date se situe en dehors de la période pertinente ne sont pas pertinentes aux fins d’examen de la présente demande.

[22]           Dans son affidavit, M. Olivera déclare qu’au cours de la période pertinente, TT a vendu des manomètres pour pneus et des manomètres numériques portant la marque de commerce LOGIX. Les descriptions de ces deux produits et les copies des factures sont jointes à l’affidavit.

[23]           Alors que les manomètres pour pneus décrits utilisent une marque LOGIX modifiée, la question la plus importante est celle de savoir si les manomètres pour pneus, numériques ou autres, sont des « produits » couverts par la description enregistrée. TT prétend que les manomètres pour pneus seraient couverts par la description générale des outils. La défenderesse soutient que le terme général « outils » dans l’enregistrement énumère une liste précise d’outils, et que seule la preuve d’emploi de la marque de commerce en liaison avec les outils expressément énumérés dans l’enregistrement peut être prise en considération.

[24]           Je suis d’accord avec la défenderesse. La liste des produits couverts par la description de la marque de commerce (voir le paragraphe 19 ci-dessus) est précise et liée aux aides pour effectuer des tâches de menuiserie, et non pas des tâches mécaniques ou des travaux liés aux automobiles.

[25]           Bien que le fardeau de la preuve qui oblige TT à établir l’emploi est peu exigeant, elle doit tout de même donner au moins un exemple clair d’emploi du dessin de marque LOGIX au cours de la période pertinente : Fraser Sea Food Corp, précité, aux paragraphes 18 et 19.

[26]           TT a soumis la preuve des produits qui sont « prêts à être commercialisés » en liaison avec la marque LOGIX. Comme cette preuve est postérieure à la période pertinente, elle n’est pas pertinente et n’a pas été prise en compte.

[27]           La seule preuve d’emploi de la marque de commerce LOGIX est en association avec les manomètres pour pneus. Cependant, comme les manomètres pour pneus ne sont pas des produits énumérés dans la description enregistrée, cet élément de preuve n’est pas une preuve d’emploi.

C.                 L’usage d’une variante de la marque de commerce peut-il être qualifié d’emploi?

[28]           Les factures et les descriptions des produits sont jointes à l’affidavit pour les produits décrits dans les factures en liaison avec le mot LOGIX comme suit : sac à outils, ruban à mesurer, lot de pinces, ensemble de tournevis, jeu d’attache-câbles, trousse de clés hexagonales, marteau en fibres de verre, ficelle domestique, couteau et perceuse. Certains de ces produits sont inclus dans la liste de produits auxquels la marque de commerce s’applique.

[29]           Cependant, le paragraphe 17 de l’affidavit de M. Olivera indique que certains de ces produits « emploient une marque de commerce LOGIX légèrement modifiée ».

[30]           Il est bien établi dans la jurisprudence que l’emploi d’une variante d’une marque de commerce déposée sera considéré comme l’emploi de la marque si la variante n’est pas « substantiellement différente » de la marque déposée et si les « caractéristiques dominantes « de la marque de commerce ont été préservées. Voir : Registrar of Trade Marks c. CII Honeywell Bull, S.A. [1985] 1 CF 406, au paragraphe 525 (CAF); Honey Dew Limited c. Rudd & Flora Dew Co., [1929] 1 DLR 449, au paragraphe 453; Promafil Canada Ltée c. Munsingwear Inc (1992), 44 CPR (3d) 59 (CAF), aux paragraphes 71 et 72.

[31]           La marque actualisée telle que décrite dans les pièces à l’onglet » E » au soutien de l’affidavit de M. Olivera diffère de la marque de commerce déposée des façons suivantes :

                     des couleurs différentes sont utilisées pour l’arrière-plan

                     des couleurs différentes sont utilisées pour les lettres

                     une police différente est utilisée pour les lettres

                     les lettres sont en minuscule

                     le signe de ponctuation distinctif sur les lettres « o » et « i » est absent

                     les 2 cadres rectangulaires encadrant le mot logix sont absents

                     le mot logix est affiché verticalement.

[32]           La seule similitude qui subsiste entre la marque de commerce déposée et la version actualisée employée est le mot et l’orthographe de « logix ». Sous tous les autres aspects, elle est substantiellement différente.

[33]           Je conclus en conséquence que la marque « Logix » actualisée ne conserve pas les caractéristiques dominantes de la marque de commerce déposée.

D.                Y a-t-il des circonstances spéciales?

[34]           Enfin, la demanderesse n’a démontré aucune circonstance spéciale qui justifierait le non-emploi de la marque en question.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette l’appel de Trademark Tools Inc. avec dépens payables à la défenderesse et fixés à 5 000 $.

« Ann Marie McDonald »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1958-15

 

INTITULÉ :

TRADEMARK TOOLS INC. c. MILLER THOMSON LLP

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 AOÛT 2016

 

COMPARUTIONS :

Kenneth R. Clark

 

Pour la demanderesse

 

Alyaz A. Allbhal

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aird & Berlis LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Miller Thomson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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