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Date : 20160627


Dossier : T-1418-15

Référence : 2016 CF 724

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

GENOVEVA WATZKE, RALPH WATZKE

ET JEFFREY WATZKE (UN MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit de la deuxième demande présentée par la famille Watzke contestant la décision d’un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (agent) qui a refusé la demande de certificat de citoyenneté présentée pour Jeffrey Watzke. Les antécédents administratifs de cette affaire sont bien décrits dans la décision rendue par le juge James Russell : Watzke c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 19, 22 Imm LR (4th) 19. Voici un extrait de cette décision :

[2]        Le demandeur mineur est né aux Philippines le 17 décembre 2005. Sa mère, Genoveva Watzke (Mme Watzke), est citoyenne des Philippines. Dans la demande de certificat de citoyenneté, il est indiqué que Ralph Watzke (M. Watzke), citoyen canadien, est le père de l’enfant. Il en résulterait que Jeffrey est un citoyen canadien au sens du paragraphe 3(1) de la Loi. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a estimé qu’il n’existait pas de preuve suffisante que M. Watzke est le père biologique de Jeffrey et, pour ce motif, a rejeté la demande de certificat de citoyenneté.

[3]        Monsieur Watzke a séjourné aux Philippines du 10 mars 2005 au 25 mars 2005, soit environ neuf mois avant la naissance du demandeur mineur, puis encore une fois du 21 décembre 2005 au 9 janvier 2006, peu après la naissance de Jeffrey. Les demandeurs se sont mariés lors de ce dernier séjour, soit le 7 janvier 2006. M. Watzke a demandé à parrainer à la fois Mme Watzke et Jeffrey en vue de leur immigration au Canada, mais il a été informé que, vu l’allégation indiquant que Jeffrey était citoyen canadien, ce dernier ne pouvait être visé par la demande de parrainage. Il fallait plutôt demander un certificat de citoyenneté pour l’enfant. Mme Watzke est arrivée au Canada en avril 2007, pendant que Jeffrey, semble‑t‑il, est resté aux Philippines en attendant l’issue de la demande de certificat de citoyenneté.

[4]        Il ressort du dossier que les demandeurs se sont d’abord adressés à l’ambassade du Canada à Manille et qu’ils y ont été informés qu’une preuve génétique serait exigée pour confirmer que M. Watzke était bel et bien le père de Jeffrey, parce que la naissance s’était déroulée à domicile, sous la supervision d’une sage‑femme, et non dans un hôpital. Ils ont choisi de ne pas faire la demande de certificat par l’intermédiaire de l’ambassade à Manille, et ont plutôt déposé la demande au Canada en juin 2007, dans l’espoir d’un traitement plus rapide et d’une issue plus favorable. Ils ont allégué craindre que le traitement de leur demande soit entravé par la mauvaise volonté du personnel non canadien à l’ambassade de Manille, qu’ils jugeaient corrompu, parce qu’ils n’avaient pas offert de pot‑de‑vin.

[5]        Les fonctionnaires au Canada ont alors consulté des fonctionnaires de l’ambassade à Manille au sujet de la demande et il leur a été suggéré d’exiger une preuve génétique. Cette exigence a été transmise à M. Watzke dans une lettre du 17 février 2009, puis rappelée dans d’autres pièces de correspondance du 23 juillet 2009, du 1er juin 2010 et du 8 septembre 2010. Dans une lettre du 30 juin 2010, M. Watzke s’est opposé à la demande de preuve génétique, soutenant qu’elle était illégale et discriminatoire. Par la suite, il n’a fourni aucune autre réponse aux demandes en ce sens. En décembre 2011, plus de quatre ans après le dépôt de la demande initiale, les défendeurs ont rendu leur décision définitive et ont informé les demandeurs que la demande avait été rejetée.

[2]               Le juge Russell a accueilli la demande sur le plan de l’équité procédurale pour les motifs suivants :

[40]      Donc, le test génétique en l’espèce a été exigé parce que [traduction] « l’enfant est né à domicile ». C’est pourquoi aucune valeur n’est accordée à l’acte délivré par le registraire municipal de l’état civil et que, comme l’indique sans ambiguïté la lettre du 23 juillet 2009, un acte de naissance n’a pas non plus été demandé en l’espèce. Ni l’acte du registraire municipal de l’état civil ni un acte de naissance n’auraient été suffisants en raison du fait que Jeffrey est né à domicile.

[41]      La raison pour laquelle une preuve génétique est exigée pour un enfant né à domicile n’est pas donnée dans la décision ou dans le dossier. Rien ne démontre que les raisons à l’origine de cette exigence aient été expliquées aux demandeurs ou qu’il ait été possible d’en prendre connaissance dans le manuel des politiques ou ailleurs. Rien n’indique que les demandeurs aient été informés qu’il aurait été possible de satisfaire aux exigences de l’alinéa 3(1)b) d’une autre façon qu’au moyen d’un test génétique. Ils ont été informés qu’à cause du fait que Jeffrey était né à domicile, même une copie certifiée d’un acte de naissance ne serait pas suffisante. Cependant, comme le juge Noël l’a souligné dans la décision MartinezBrito, le Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP 1 — Procédures) contient notamment l’énoncé suivant au paragraphe 5.10 [je souligne] : « L’analyse de l’ADN pour vérifier un lien de filiation constitue une solution de derniers [sic] recours. S’il subsiste des doutes au sujet de l’authenticité d’un lien de parenté après l’examen des preuves documentaires, les agents peuvent aviser les demandeurs que les résultats positifs d’une analyse de l’ADN réalisée par un laboratoire (dont la liste figure à l’appendice E) sont acceptables en remplacement de documents ».

[42]      Aucun élément du dossier ne me permet de déterminer pourquoi ni en vertu de quel pouvoir une preuve génétique a été exigée par l’ambassade à Manille, et ensuite par le CTD‑Sydney.

[43]      Sans ce renseignement, la décision ne répond pas aux critères d’intelligibilité et de transparence énoncés au paragraphe 47 de la décision Dunsmuir qui en feraient une décision raisonnable. De plus, parce que les motifs et les fondements juridiques de l’exigence d’une preuve génétique n’ont jamais été expliqués aux demandeurs, ces derniers n’ont pas eu l’occasion de la contester ou d’expliquer pour quelles raisons elle n’aurait pas dû leur être imposée; ils n’ont pas eu non plus l’occasion d’offrir une preuve de rechange qui leur aurait permis, raisonnablement, de satisfaire aux exigences de l’alinéa 3(1)b) de la Loi. C’était donc inéquitable sur le plan procédural. La Cour a fait des mises en garde contre l’imposition intransigeante de tests génétiques : voir la décision M.A.O., précitée, aux paragraphes 83 et 84; Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile c. MartinezBrito, 2012 CF 438 (MartinezBrito), aux paragraphes 46 à 50.

[3]               M. Watzke prétend que le juge Russell a déclaré que les dossiers de naissance présentés à l’agent étaient une [traduction] « preuve valide de leur contenu ». Pour cette raison, M. Watzke fait valoir, en s’appuyant sur la loi portant sur la reconnaissance des dossiers de naissance étrangers, que l’agent n’était pas libre d’exiger d’autres éléments de preuve pour établir la filiation paternelle de Jeffrey. Je n’accepte pas ces arguments.

[4]               Le juge Russell ne s’est pas penché sur la question à savoir si les éléments de preuve soumis par M. et Mme Watzke étaient suffisants pour prouver que M. Watzke était le père biologique de l’enfant. Il a plutôt conclu que le premier décideur a agi injustement en omettant d’offrir des preuves de rechange au test génétique afin de prouver la paternité. En effet, au paragraphe 41 de sa décision, le juge Russell reconnaît explicitement qu’il est possible qu’une preuve documentaire ne soit pas toujours satisfaisante et qu’un test génétique soit une option viable.

[5]               Je n’accepte pas non plus l’argument avancé par M. Watzke disant que les dossiers de naissance présentés à l’agent étaient des éléments de preuve concluants pour établir le lien de paternité. Comme l’agent a mentionné, le certificat de naissance vivante de Jeffrey ne précise pas qui est son père. De plus, le nom de famille indiqué est « Tacoycoy ». Seul l’acte de légitimation après mariage, lequel a été délivré subséquemment, décrit M. Watzke comme étant le père de Jeffrey et donne à Jeffrey le nom de famille « Watzke ». M. Watzke est aussi désigné comme étant le père de Jeffrey dans une transcription certifiée du certificat de naissance délivré plus d’un an après la naissance de Jeffrey. On peut présumer que cette nouvelle information a été fournie par la famille Watzke. En raison de ces incohérences, l’agent était libre de demander d’autres éléments de preuve plus concluants pour établir le lien de parenté de M. Watzke, et il était raisonnable pour lui de demander un test génétique.

[6]               En l’espèce, l’agente n’a pas exigé le test génétique pour exclure les autres formes d’éléments de preuve. Le dossier indique clairement que la soumission d’un autre élément de preuve avait pour but d’établir le lien de parenté de M. Watzke, mais que M. et M. Watzke ont refusé de fournir tout autre élément de preuve. La lettre de l’agent en date du 17 août 2015 envoyé à M. Watzke décrit clairement la préoccupation soulevée, ainsi que les solutions possibles pour dissiper tout doute : [traduction]

Afin de pouvoir délivrer un certificat de citoyenneté à Jeffrey, je dois conclure, selon les éléments de preuve présentés pour appuyer la demande, qu’il satisfait aux exigences de citoyenneté aux termes de la Loi sur la citoyenneté.

Deux documents que vous avez fournis posent problème : le certificat de naissance vivante préparé par le National Statistics Office (NSO) le 21 décembre 2005, et la transcription certifiée du certificat de naissance, tirée de la page 003 du livre 020 du registre des naissances en Philippines, émis le 8 mars 2006. Le numéro d’inscription sur la transcription (2005-636) correspond au numéro d’inscription sur le document du NSO. L’examen du dossier révèle que la transcription a été incluse dans la demande de certificat de citoyenneté pour Jeffery [sic] en 2007, alors que le certificat de naissance vivante du NSO a seulement été présenté le 26 octobre 2012.

Je dois noter que la transcription certifiée est une transcription, non une modification, d’un document original. Les renseignements présentés n’écartent donc pas l’information présentée dans le document original. Voilà pourquoi je dois utiliser la version originale du certificat de naissance vivante du NCO [sic] comme étant le document officiel à première vue émis par le gouvernement qui enregistre la naissance de Jeffery [sic].

Les sections pertinentes (13 à 17) du certificat de naissance vivante du NCO [sic], lesquelles communiquent l’identité reconnue du père, ont été laissées vides. Je conclus que la transcription de 2006 n’est pas acceptable puisqu’elle contient des renseignements erronés. Par exemple, la transcription indique que le nom du père est Ralph Frank Watzke, alors que, comme il a été souligné, cette section avait été laissée vide dans le document original.

Le certificat de naissance vivante du NCO [sic] ne fournit pas les éléments de preuve requis pour déterminer que Jeffrey est un citoyen canadien aux termes de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté et ne me permet pas de conclure que vous êtes le père biologique de Jeffrey.

[...]

On vous a offert de nombreuses occasions de présenter des documents pour étayer votre affirmation selon laquelle Jeffery [sic] pourrait revendiquer la citoyenneté canadienne. On vous a aussi invité à fournir une preuve génétique afin de dissiper tout doute relativement au lien génétique. Vous avez refusé de fournir une preuve génétique et avez plutôt fourni les documents examinés plus haut.

[...]

Je vous invite donc à soumettre une nouvelle demande si vous décidez de fournir une preuve génétique, qui permet souvent de mettre en évidence le lien à un parent génétique, ou encore de fournir une autre preuve qui permettrait d’établir le lien génétique entre vous et Jeffery [sic].

Sinon, vous pouvez faire une demande de résidence permanente pour le compte de Jeffrey. Pour obtenir plus de renseignements à cet égard, veuillez consulter notre site Web à l’adresse www.cic.gc.ca ou communiquer avec notre Centre d’appels au 1-888-242-2100.

[7]               Manifestement par principe, M. Watzke a refusé catégoriquement de soumettre une preuve génétique qui établit son lien génétique à Jeffrey. Il a aussi refusé de fournir au ministère un témoignage sous serment attestant que lui et Mme Watzke étaient dans une relation monogame intime au moment de la conception de Jeffrey.

[8]               Il faut aussi souligner que l’agent n’a jamais conclu que M. Watzke n’est pas le père biologique de Jeffrey. L’agent a tout simplement conclu que M. Watzke n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve de paternité pour compenser la fragilité signalée des dossiers de naissance indonésiens. Cette préoccupation était raisonnable. M. Watzke soutient que les éléments de preuve fournis sont suffisants en droit. Toutefois, il s’agit là d’une décision que M. Watzke n’a pas l’autorité de prendre. Il incombe à l’agent, qui agit de façon juste et raisonnable, de déterminer ce qui est requis pour prouver un lien de parenté.

[9]               Il est aussi important de noter que, devant l’agent, M. Watzke a évité de faire valoir sans équivoque qu’il est le père biologique de Jeffrey. Le fait de ne pas aborder directement la question définitive de paternité, y compris son refus de fournir une preuve génétique, mènent à déduire que M. Watzke n’est pas le père de Jeffrey ou qu’il a des doutes quant à son lien génétique avec l’enfant. Sur une question aussi importante que la réunification des familles, on peut se demander pourquoi M. Watzke ne voulait pas satisfaire aux demandes raisonnables de l’agent en fournissant des éléments de preuve plus poussés et plus concluants, ou alors de procéder immédiatement à une demande de parrainage lorsque l’option lui a été présentée initialement.

[10]           En conclusion, je ne suis pas d’avis que la décision de l’agent est déraisonnable ou qu’elle n’est pas conforme à l’ordonnance formulée par le juge Russell. Bien qu’il puisse y avoir des situations dans lesquelles les dossiers de naissance étrangers doivent être acceptés comme preuve de paternité, nous ne sommes pas ici en présence de l’un de ces cas. La demande est en conséquence rejetée.

[11]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande.

« R.L. Barnes »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1418-15

 

INTITULÉ :

GENOVEVA WATZKE, RALPH WATZKE

ET JEFFREY WATZKE (UN MINEUR) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

RALPH WATZKE

 

Pour les demandeurs

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

GWEN MACISAAC

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S.O.

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour le défendeur

 

 

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