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Date : 20160615


Dossier : T-1653-15

Référence : 2016 CF 673

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

APOTEX INC., APOTEX PHARMACHEM INDIA PVT LTD ET APOTEX RESEARCH PRIVATE LIMITED

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une deuxième demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministre de la Santé [le ministre] de restreindre l’importation de médicaments provenant de deux établissements de production d’Apotex Inc. Plus précisément, Apotex Inc. [Apotex], Apotex Pharmachem India Pvt Ltd. [APIPL] et Apotex Research Private Limited [ARPL] [collectivement, les « demanderesses »], contestent la décision rendue par le ministre le 31 août 2015 modifiant les licences d’établissement d’Apotex à l’égard de ses deux installations de fabrication situées en Inde, APIPL et ARPL.

I.                   Contexte

A.                Le régime réglementaire

[2]               Le ministre défendeur, par l’entremise de ses délégués à Santé Canada, est responsable de l’administration de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27 [la Loi], et du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C, ch. 870 [le Règlement].

[3]               La Loi et le Règlement régissent la fabrication, l’importation et la vente de tous les produits médicamenteux au Canada. Pour pouvoir fabriquer, distribuer ou importer au Canada tout médicament aux fins de vente, le fabricant doit également détenir une licence d’établissement [LE], qui lui est délivrée lorsqu’il a démontré que ses installations sont conformes à de bonnes pratiques de fabrication [BPF] et qu’elles répondent aux exigences de la partie C, titre 2 du Règlement. Les observations relatives aux BPF sont classées par niveau de risque et, suivant leur gravité et leur nombre, ces observations peuvent donner lieu à l’ajout de conditions aux LE, ou à l’imposition d’une cote « non conforme ».

B.                 Les faits

[4]               Le 30 septembre 2014, après la publication par le Toronto Star d’une série d’articles de nature très critique relativement à l’inaction du ministre concernant des produits importés provenant d’ARPL et d’APIPL, le ministre a imposé des conditions aux LE d’Apotex [les conditions de 2014] qui empêchaient l’importation ou la vente de produits médicamenteux en provenance de ces établissements [l’interdiction d’importation].

[5]               Les critiques médiatiques ont fait suite à une « alerte à l’importation » émise par la Food and Drug Administration [FDA] des États-Unis visant les produits de ces établissements en raison de problèmes de fiabilité des données constatés durant des inspections menées par la FDA au début de 2014. Il faut souligner que les inspections effectuées par le Canada conjointement avec ses homologues européens et australiens n’ont pas permis de déceler de lacunes de niveau critique nécessitant une intervention immédiate au sein d’ARPL ou d’APIPL.

[6]               En juin 2015, Santé Canada a effectué de nouvelles inspections dans les installations d’ARPL et d’APIPL dans le seul but d’évaluer dans quelle mesure Apotex avait appliqué avec succès son Plan de mesures correctives et préventives [PMCP], mis en place pour corriger les lacunes recensées par la FDA [les inspections effectuées en vertu du PMCP au mois de juin].

[7]               Un compte rendu de décision a été préparé pour chacun des établissements, comprenant le rapport des inspecteurs et l’analyse de Santé Canada [les rapports d’inspection du PMCP]. Les rapports d’inspection du PMCP font état du fait que bien que les contrôles des systèmes et les modifications apportées aux procédures aient permis de corriger de façon satisfaisante les lacunes concernant l’intégrité des données, une supervision supplémentaire serait nécessaire pour démontrer la durabilité et l’efficacité du PMCP en périodes de production accrue. La supervision était également nécessaire parce que l’examen rétrospectif d’Apotex des données générées avant la conclusion des inspections effectuées en vertu du PMCP au mois de juin était toujours en cours. Il est important de souligner cependant que de façon générale, la recommandation de l’équipe d’inspection était que [traduction] « les inspecteurs de Santé Canada n’ont recensé aucun cas de violation de l’intégrité des données [ID] observées durant les inspections menées par la FDA en juin 2014 ».

[8]               Dans une lettre datée du 31 août 2015, Santé Canada a informé Apotex qu’il avait modifié les conditions des LE d’Apotex [les conditions de 2015] en vertu de l’article C.01A.012 du Règlement, qui régit les modifications aux conditions existantes [la décision d’août 2015].

[9]               Les conditions de 2015 établissent une distinction entre les médicaments fabriqués avant le 10 juin 2015 [produits antérieurs au 10 juin 2015] et ceux fabriqués après cette date [produits postérieurs au 10 juin 2015]. Les conditions imposées aux produits antérieurs au 10 juin 2015 sont exactement les mêmes que les conditions de 2014. Les produits postérieurs au 10 juin 2015, s’ils ne sont pas complètement interdits, sont assujettis à différentes exigences de tests et de rapports supplémentaires.

[10]           Tout juste avant l’audition de la première demande de contrôle judiciaire, les défendeurs ont déposé une requête relative au caractère théorique faisant valoir que la décision d’août 2015 était une « nouvelle » décision, sans lien avec l’interdiction d’importation, et que les conditions de 2015 avaient prétendument remplacé celles mises en place en 2014 [première requête relative au caractère théorique]. La Cour a rejeté la requête pour le motif que les conditions de 2014 avaient été reprises dans les conditions de 2015, de sorte que les produits antérieurs au 10 juin 2015 en provenance d’APIPL et d’ARPL sont restés assujettis à l’interdiction d’importation (décision Apotex Inc v Canada (Health), 2015 FC 1157, aux paragraphes 11 à 13 [première requête relative au caractère théorique]).

[11]           Le 14 octobre 2015, après l’audition de la première demande de contrôle judiciaire, la Cour a annulé la décision du ministre d’imposer une interdiction d’importation, y compris les conditions de 2014. La Cour a conclu que l’interdiction d’importation était motivée par le but irrégulier du ministre d’atténuer les critiques formulées par les médias et à la Chambre des communes, plutôt que par la volonté de protéger la santé et la sécurité des Canadiens, et que cette interdiction avait été imposée sans accorder le degré d’équité procédurale requis dans les circonstances (décision Apotex Inc c. Canada (Santé), 2015 CF 1161, aux paragraphes 95 à 121 [Apotex c Canada]).

[12]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demanderesses sollicitent notamment, une ordonnance déclarant illégale la décision d’août 2015 du ministre, et une ordonnance interdisant au ministre de continuer d’appliquer l’interdiction d’importation de 2015, plus précisément en tentant de modifier, de suspendre ou encore de modifier les LE d’Apotex à l’égard d’APIPL et d’ARPL dans le but d’interdire l’importation de produits médicamenteux provenant de ces établissements.

[13]           Le 14 mars 2016, le ministre a rendu une décision retirant l’ensemble des conditions touchant les LE d’Apotex pour ARPL et EPIPL [la décision de mars 2016]. Par conséquent, les défendeurs ont présenté une requête en rejet de la demande de contrôle judiciaire en raison de son caractère théorique, alléguant que les réparations demandées par les demanderesses, y compris l’annulation de la décision de 2015, n’étaient plus en cause.

C.                 Preuve dans la requête relative au caractère théorique

[14]           Les demanderesses ont déposé un deuxième affidavit de M. Jeremy Desai [l’affidavit de M. Desai], président et chef de la direction d’Apotex, à titre de preuve décrivant les effets continus de la décision d’août 2015 sur les déclarations réglementaires d’Apotex.

[15]           En guise de contexte, l’affidavit de M. Desai explique que l’article C.08.004 du Règlement énonce qu’un fabricant ne peut obtenir un avis de conformité [AC] pour un nouveau médicament qu’après avoir déposé une présentation de drogue nouvelle [PDN] ou une présentation abrégée de drogue nouvelle [PADN].

[16]           Lorsque Santé Canada a déterminé que la déclaration démontre que le produit est sûr et efficace au sens du Règlement, le produit fait l’objet d’une [traduction] « suspension liée au brevet » jusqu’à ce que le fabricant de produits génériques se conforme aux exigences du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Une fois conforme, le directeur général de la Direction des produits thérapeutiques [DPT] est tenu de délivrer un AC.

[17]           L’affidavit de M. Desai explique qu’à la suite de l’entrée en vigueur de l’interdiction d’importation de septembre 2014, la DPT a refusé d’examiner les présentations relatives à tous les produits fabriqués par APIPL ou ARPL, y compris les produits que la DPT avait déjà jugés satisfaisants. Apotex a été avisée que les présentations touchées ne seraient pas approuvées avant qu’Apotex ait fourni des renseignements supplémentaires concernant l’intégrité des données.

[18]           Après que la Cour a annulé l’interdiction d’importation, Apotex a demandé à la DPT de retirer sa demande de renseignements supplémentaires concernant l’intégrité des données et de rétablir le statut de suspension relative au brevet ou de compléter le traitement des présentations réglementaires retardées en raison de l’interdiction d’importation.

[19]           La DPT ne procédera pas à l’examen des PADN lorsque celles-ci contiennent des données générées à ARPL ou APIPL avant le 10 juin 2015, à moins qu’Apotex ne fournisse des données de confirmation supplémentaires. Apotex prétend que cette distinction découle de la décision d’août 2015 faisant l’objet du contrôle en l’espèce. Par conséquent, le 12 novembre 2015, Apotex a déposé une nouvelle demande de contrôle judiciaire sous le numéro de dossier T-1915-15, par laquelle elle demande à la Cour d’ordonner au ministre de délivrer des AC à l’égard de toutes les présentations affectées par l’interdiction d’importation et pour lesquelles il n’existe pas d’obstacles d’ordre légal; de rétablir le statut de suspension relative au brevet de toutes les présentations retirées en raison de préoccupations relatives à l’intégrité des données; et d’examiner les présentations concernées sans exiger d’Apotex des renseignements supplémentaires sur l’intégrité des données.

[20]           Apotex a fourni les renseignements demandés sur l’intégrité des données et le ministre a émis les AC ou placé en suspension relative au brevet certaines des présentations concernées. Cependant, la DPT continue d’exiger des renseignements supplémentaires sur l’intégrité des données pour quatre présentations réglementaires, sans égard à la décision de mars 2016 retirant des LE d’Apotex toutes les conditions relatives à ARPL et à APIPL.

II.                Questions en litige

[21]           En ce qui concerne la requête relative au caractère théorique, la question en litige est la suivante :

  1. Le contrôle judiciaire a-t-il un caractère théorique, et si c’est le cas, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande?

[22]           Pour la demande de contrôle judiciaire, la question en litige est la suivante :

  1. La décision d’août 2015 et le maintien conséquent de l’interdiction d’importation, par l’entremise des conditions de 2015, sont-ils illégaux en raison de leurs liens étroits avec la décision annulée par le premier contrôle judiciaire et en raison de la preuve déposée devant le ministre au moment de leur mise en œuvre?

III.             Analyse

[23]           Les dispositions pertinentes du Règlement sont jointes à l’annexe A.

A.                Requête préliminaire en vue d’obtenir le dépôt de preuve en réplique

[24]           En premier lieu, le 20 mai 2016, les défendeurs ont demandé à déposer une preuve en réplique portant sur le statut de différents sites Web du gouvernement le 13 mai 2016. J’ai indiqué aux parties dès l’ouverture de l’audience que je considérais que cette preuve n’avait qu’une valeur limitée pour la Cour et qu’elle était sans conséquence sur ma décision relative au caractère théorique ou dans le contexte du contrôle judiciaire.

[25]           Pour cette raison, j’ai rejeté la requête du ministre en vue de déposer une nouvelle preuve en réplique et je n’ai pas admis la nouvelle preuve sur laquelle voulaient s’appuyer les demanderesses en réplique à ladite preuve.

B.                 Requête relative au caractère théorique

(1)               Le contrôle judiciaire a-t-il un caractère théorique, et si c’est le cas, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande?

[26]           Dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, aux paragraphes 15 à 17 [Borowski], la Cour suprême du Canada a jugé que la doctrine relative au caractère théorique s’appliquait lorsque la décision du tribunal sur le fond n’a aucun effet pratique pour ce qui est de trancher un litige actuel entre les parties. Dans le contexte d’un contrôle judiciaire, il n’y a pas de litige actuel entre les parties lorsqu’une décision a été infirmée par une décision subséquente (arrêt Stewart v. Office of the Independent Police Review Director, 2013 ONSC 7907, au paragraphe 18).

[27]           Dans l’arrêt Borowski, la Cour suprême a établi une analyse de base en deux temps : le tribunal doit d’abord se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique; si c’est le cas, le tribunal décide alors s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire, en tenant compte des éléments suivants :

  1. l’existence d’un contexte contradictoire;
  2. l’économie des ressources judiciaires, qui nécessite de déterminer si la décision aura des effets concrets sur les parties, si l’affaire est de nature répétitive, mais de courte durée, ou s’il s’agit d’une question qui pourrait échapper à l’examen judiciaire, ou s’il se pose une question d’importance publique qu’il est dans l’intérêt public de trancher;
  3. la nécessité pour les tribunaux d’être sensibles à leur fonction juridictionnelle au sein du gouvernement.

[28]           Les défendeurs, qui constituent la partie requérante dans la présente requête, soutiennent que la demande est purement théorique, puisque la décision de mars 2016 a retiré les conditions de 2015 imposées par la décision d’août 2015 et a accordé les mesures de redressement demandées par les demanderesses. En d’autres mots, l’effet recherché par la demande a été obtenu (arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, au paragraphe 17).

[29]           Ils allèguent qu’une ordonnance de la Cour accordant les mesures de redressement demandées dans l’avis de demande – une ordonnance déclarant illégale et annulant la décision d’août 2015; une ordonnance exigeant du ministre qu’il annule l’interdiction; ou une ordonnance empêchant le ministre de donner effet à la décision de 2015 – n’aurait aucun effet pratique sur les parties en l’espèce.

[30]           Les défendeurs établissent une distinction entre ce scénario et la première requête relative au caractère théorique, dans laquelle la Cour a jugé que la demande n’était pas théorique, puisque les conditions de 2014 avaient été invoquées dans la décision d’août 2015 (première requête relative au caractère théorique, précitée, aux paragraphes 11 à 14). En revanche, la décision de mars 2016 a retiré toutes les conditions, et il ne subsiste aucune restriction sur l’importation de produits d’APIPL et d’ARPL, de sorte qu’il n’existe plus de débat contradictoire.

[31]           Les demanderesses plaident le contraire. Elles affirment que malgré la décision de mars 2016, Santé Canada continue d’appliquer les conditions de 2015 comme si elles étaient légales, raisonnables et toujours en vigueur, et il existe un litige manifestement actuel et pas simplement théorique entre les parties.

[32]           Sur le premier élément du critère de l’arrêt Borowski, je conclus que le contrôle judiciaire n’a plus qu’un caractère théorique. La décision d’août 2015 et les restrictions qu’elle imposait sur les importations ont cessé d’exister. Par conséquent, il n’existe plus de litige actuel entre les parties, et la mesure de redressement demandée par les demanderesses, à savoir l’annulation de la décision d’août 2015 du ministre, est à première vue de caractère théorique.

[33]           Bien que le jugement déclaratoire sollicité par les demanderesses subsiste, la simple demande d’un jugement déclaratoire ne permet pas d’échapper au principe du caractère théorique (Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 137, au paragraphe 18; Fogal c. Canada (1999), 167 CFPI 266, conf. par (2000), 184 CFPI 160 (note) (CAF), demande d’autorisation d’interjeter appel refusée [2001] CSC no 84). Puisque le litige ayant donné lieu à l’appel a été dissous, le jugement déclaratoire qui pourrait être accordé dans la demande ne se rattache plus à un litige actuel, et doit donc être examiné en vertu de la deuxième étape de l’analyse de l’arrêt Borowski (Danada Enterprises Ltd c Canada (Procureur général), 2012 CF 403, au paragraphe 61).

[34]           Même si la Cour refuse généralement d’entendre et de trancher les demandes à caractère théorique, il reste à savoir si la Cour devrait entendre la présente demande de contrôle judiciaire, même si ses principaux fondements n’ont plus qu’un caractère théorique, en tenant compte a) de l’existence d’un contexte contradictoire; b) de l’économie des ressources judiciaires; et c) de la nécessité pour la Cour d’être sensible à sa fonction juridictionnelle.

(a)                Contexte contradictoire

[35]           Le premier facteur établi dans l’arrêt Borowski – l’existence d’un contexte contradictoire – appuie l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Les demanderesses ont fourni la preuve qu’un jugement sur le fond aura une importance collatérale et pratique sur les droits des parties, tel que cela est affirmé dans une demande de contrôle judiciaire actuellement en instance devant la Cour et dans une action en dommages-intérêts que les demanderesses entendent intenter (arrêt Borowski, précité, au paragraphe 31; arrêt Apotex Inc. c. Warner-Lambert Company LLC, 2012 CAF 323 [Warner-Lambert]; arrêt Apotex Inc v Bayer AG, 2014 FCA, au paragraphe 9 [Bayer AG]).

[36]           Bien que les défendeurs fassent valoir que les effets collatéraux sur les autres procédures doivent être déterminants pour qu’il existe un contexte contradictoire, je ne suis pas d’accord. Un tel préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’est soutenu ni par l’arrêt Borowski ni par la jurisprudence subséquente.

[37]           Je note que l’avis de demande dans le dossier T-1915-15 ne fait nulle mention de la décision d’août 2015. Au lieu de cela, il est allégué que les actions du ministre, refusant de traiter les présentations réglementaires d’Apotex, sont illégitimes parce qu’elles sont fondées sur l’interdiction d’importation de 2014, qui a depuis été annulée. Cependant, compte tenu de la relation étroite entre l’interdiction d’importation et la décision subséquente d’août 2015, y compris le fait qu’on puisse considérer que les effets des décisions de 2014 et de 2015 s’inscrivent dans un continuum, les décisions relatives à la légalité de la décision d’août 2015 pourraient avoir une incidence collatérale sur le dossier T-1915-15.

[38]           Par ailleurs, il y a peu de doute que l’issue du contrôle judiciaire pourrait avoir une incidence collatérale et importante sur toute action en dommages-intérêts intentée par les demanderesses relativement à l’interdiction d’importation de produits médicamenteux d’APIPL et d’ARPL.

[39]           Les questions en litige ont été vigoureusement plaidées par les parties qui, compte tenu de l’historique de ce différend, ont clairement un intérêt dans son issue : les demanderesses, en raison des effets collatéraux décrits ci-dessus, et les défendeurs, étant donné que la décision implique une décision sur la légalité des actions du ministre.

[40]           Ce facteur incite la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher le différend, en raison du jugement déclaratoire qui subsiste.

(b)               Préoccupations relatives à l’économie des ressources judiciaires

[41]           La saine économie des ressources judiciaires « n’empêche pas l’utilisation de ces ressources, si limitées soient-elles, à la solution d’un litige théorique, lorsque les circonstances particulières de l’affaire le justifient » (arrêt Borowski, précité, au paragraphe 34). Ces préoccupations sont réglées dans les cas où la décision de la Cour aura des effets concrets sur les droits des parties (arrêt Borowski, précité, aux paragraphes 34 et 35). Ma conclusion ci-dessus, selon laquelle une décision sur le fond aura des effets pratiques bien que collatéraux sur les droits des parties, atténue les préoccupations concernant le fait de gaspiller des ressources judiciaires limitées en entendant et en tranchant une question théorique.

[42]           Les demanderesses font valoir que le facteur de l’économie des ressources judiciaires plaide en leur faveur, étant donné i) que du temps et des ressources considérables ont déjà été consacrés au processus et ii) qu’un règlement définitif, à cette étape, plutôt que dans toute procédure collatérale, permettrait d’économiser des ressources judiciaires. Cet argument est sans mérite : la même proposition a été plaidée et rejetée dans l’arrêt Borowski, précité, au paragraphe 44, où le juge Sopinka, au nom de la Cour, a déclaré que « [f]aire droit à cet argument aurait comme conséquence d’affaiblir la doctrine du caractère théorique qui par définition s’applique si, à quelque étape que ce soit, le fondement de l’action disparaît » (voir aussi l’arrêt Tamil Co-operative Homes Inc. v. Arulappah (2000), 192 DLR (4th) 177, aux paragraphes 29 à 31 (ONCA); Syndicat canadien de la fonction publique c. Canada (Transports), 2015 CF 1421, au paragraphe 11).

(c)                La fonction juridictionnelle de la Cour

[43]           Sur le dernier facteur de l’analyse de l’arrêt Borowski, il n’y a aucune crainte en l’espèce de voir la Cour s’ingérer dans des domaines de politique exécutive ou législative. Les questions en litige portent sur la légalité des actions ministérielles dans la mise en œuvre de politiques administratives portant sur la réglementation des fabricants de médicaments et l’importation de médicaments en vertu de la Loi et du Règlement. En statuant sur de telles questions, la Cour ne s’écarterait pas de son rôle traditionnel de supervision des instances exerçant des pouvoirs conférés par la loi afin de s’assurer qu’elles n’outrepassent pas leurs pouvoirs légaux.

[44]           Dans le contexte en l’espèce, et en tenant compte des critères précités – en particulier le maintien de l’existence d’un contexte contradictoire – j’estime que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre la cause sur le fond, malgré le caractère théorique.

C.                 Contrôle judiciaire

(1)               La décision d’août 2015 et le maintien conséquent de l’interdiction d’importation, par l’entremise des conditions de 2015, sont-ils illégaux en raison de leurs liens étroits avec la décision annulée par le premier contrôle judiciaire et en raison de la preuve déposée devant le ministre au moment de leur mise en œuvre?

(a)                Norme de contrôle

[45]           La norme de la décision correcte est la norme de contrôle applicable pour évaluer si la décision d’août 2015 est illégale en raison de ses liens étroits avec la décision de 2014 du ministre. Il s’agit d’une question de droit qui implique de déterminer les effets liés à la modification et, ce qui est plus important, au report et au maintien d’une décision qui a ensuite été annulée pour le motif qu’elle avait été appliquée de manière injuste et dans un but illégitime.

[46]           Bien que la question dont je suis saisi ne porte pas directement sur l’examen de l’interprétation faite par le ministre du régime législatif applicable, je conclus que le lien entre la décision d’août 2015 et l’interdiction d’importation de 2014, ainsi que l’utilisation par le ministre de certaines dispositions du Règlement pour mettre en œuvre la décision d’août 2015 viennent appuyer le choix de la décision correcte comme norme de contrôle. Lors du premier contrôle judiciaire, j’ai conclu que l’interprétation faite par le ministre du Règlement était une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (aux paragraphes 74 et 75) – une conclusion fondée principalement sur une analyse du même ministre de la norme de contrôle faite par le juge Stratas appliquant le même règlement dans l’arrêt Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2013 CAF 13, aux paragraphes 26 et 111, autorisation d’appel à la CSC refusée, (2013) 460 NR 399 (note).

[47]           Compte tenu de mes conclusions ci-après, il n’est pas nécessaire de trancher les autres questions soulevées par les parties ou d’analyser les normes de contrôle appropriées applicables à ces questions.

(b)               Analyse

[48]           Les demanderesses affirment que la décision d’août 2015 a été annulée par le premier contrôle judiciaire, puisqu’elle s’appuyait sur la légalité présumée des conditions de 2014, plus tard jugées injustifiées par la Cour. Elles soulignent que les inspections effectuées en vertu du PMCP du mois de juin n’avaient pas été entreprises dans le but de déterminer si l’imposition des conditions et de l’interdiction d’importation était justifiée : elles ont été menées dans le but de déterminer si les conditions de 2014 devaient être modifiées.

[49]           Les demanderesses font valoir que la décision d’août 2015 devrait être annulée pour le motif que le ministre a agi illégalement :

  1. en maintenant l’interdiction d’importation dans les conditions de 2015, en dépit de la décision de la Cour dans le premier contrôle judiciaire;
  2. en agissant d’une manière non autorisée par le Règlement;
  3. en fondant sa décision sur l’hypothèse (incorrecte) que l’interdiction d’importation était légale et justifiée, viciant ainsi l’ensemble du processus décisionnel;
  4. en n’agissant pas selon les principes de la justice fondamentale et de l’équité;
  5. en rendant une décision substantiellement déraisonnable et contraire aux dispositions du Règlement.

[50]           Les demanderesses sont d’avis qu’une décision fondée sur une décision qui a été annulée ne peut être maintenue (Thambiturai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 751, aux paragraphes 17 et 18). Elles allèguent que, sur le plan du droit, il n’existait aucune condition susceptible d’être [traduction] « modifiée » par le ministre dans sa décision d’août 2015.

[51]           De même, la première requête relative au caractère théorique a conclu que les conditions de 2015 assujettissent toujours les produits antérieurs au 10 juin 2015 fabriqués par APIPL et ERPL à l’interdiction d’importation de 2014. Les demanderesses affirment que la preuve révélée dans les documents obtenus en vertu de l’article 318 et par le déclarant du ministre, M. Étienne Ouimette (directeur, Inspection des produits de santé et licences à l’Inspectorat de la Direction générale des produits de santé et des aliments de Santé Canada), vient encore plus appuyer cette conclusion : les délégués du ministre le savaient bien et, en fait, entendaient que les produits antérieurs au 10 juin 2015 restent assujettis aux conditions de 2014.

[52]           En revanche, les défendeurs font valoir que la caractérisation de la décision d’août 2015 en tant que [traduction] « modification » et le renvoi à l’article C.01A.012 du Règlement n’en font pas une décision illégale.

[53]           Ils citent la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Colombie-Britannique (Milk Board) c. Grisnich, [1995] 2 RCS 895 [Milk Board], comme étayant la thèse selon laquelle l’utilisation par le ministre de la disposition de modification était sans conséquence, dans la mesure où le ministre agissait dans son domaine de compétence, puisque « [l]es tribunaux se préoccupent principalement de savoir s’il existe un pouvoir conféré par la loi, et non de savoir si le délégué savait comment le trouver » (arrêt Milk Board, précité, au paragraphe 20).

[54]           Conséquemment, les défendeurs soutiennent que le ministre avait le pouvoir d’imposer des conditions à une LE existante (décision Apotex v Canada, précitée, aux paragraphes 134 et 50; Règlement, au paragraphe C.01A.008(4)), et que sans égard à la définition de la décision d’août 2015 en tant que modification, elle n’est pas rendue nulle du seul fait qu’elle renvoie à une décision subséquemment annulée.

[55]           Les défendeurs font en outre valoir qu’il existait des éléments de preuve appuyant la décision d’août 2015 du ministre, y compris les rapports de 2014 de la FDA faisant état de problèmes d’intégrité des données dans les établissements en cause et les renseignements recueillis lors des inspections effectuées en vertu du PMCP du mois de juin 2015. Il n’y a non plus aucune preuve pouvant faire valoir que le maintien des conditions pour les produits antérieurs au 10 juin 2015 ait été motivé par des considérations politiques ou fait à toute autre fin illégitime.

[56]           Je ne suis pas d’avis que la référence des défendeurs à l’arrêt Milk Board, précité, soit applicable en l’espèce. L’arrêt Milk Board est survenu dans un contexte où il fallait déterminer si un tribunal administratif doté de pouvoirs relevant à la fois de la compétence provinciale et de la compétence fédérale devait préciser en vertu de quelle compétence il rendait ses ordonnances. La majorité a conclu que la seule exigence était d’avoir compétence, et qu’il n’était pas nécessaire que la source de cette compétence soit mentionnée dans chaque ordonnance (au paragraphe 8).

[57]           La question que la Cour doit trancher en l’espèce n’est pas de savoir si le ministre avait compétence pour modifier les conditions de LE d’un fabricant de produits médicamenteux, ou si le ministre a mal précisé la source de sa compétence. En fait, il est bien évident que le pouvoir de modifier ou d’imposer des conditions relève directement du mandat du ministre. La question est plutôt de savoir si la décision d’août 2015 était illégale étant donné que la modification venait appuyer une décision annulée par la Cour par le maintien partiel des conditions de 2014 dans les conditions de 2015.

[58]           Essentiellement, la légalité de la décision d’août 2015 dépend i) de l’existence d’une décision suffisamment indépendante par rapport à l’interdiction d’importation de 2014, et ii) de la possibilité qu’elle puisse quand même être justifiée par la preuve, de telle sorte que le but illégitime du ministre dans l’imposition de l’interdiction d’importation n’a pas non plus vicié cette décision subséquente et connexe.

[59]           Il est évident que la décision d’août 2015 n’a pas été appliquée à titre de nouvelle décision indépendante découlant de l’interdiction d’importation de 2014, et qu’elle n’était pas censée l’être. Je ne suis pas d’accord avec les défendeurs lorsqu’ils disent que la caractérisation de la décision d’août 2015 comme constituant une modification est sans importance. Les deux décisions sont inextricablement interdépendantes, et les faits qui m’ont été présentés indiquent que la décision d’août 2015 n’était, ni dans la substance ni dans la forme, une décision autonome et sans influence, de telle sorte qu’elle n’était pas aussi touchée par le but illégitime qui a donné lieu à l’interdiction d’importation.

[60]           Le fondement législatif de la décision d’août 2015 découle de l’article C.01A.012 du Règlement, qui autorise le ministre à :

modifier les conditions d’une licence d’établissement s’il a des motifs raisonnables de croire que la modification est nécessaire pour prévenir des risques pour la santé des consommateurs.

[Non souligné dans l’original.]

[61]           Selon une interprétation fondée sur le sens ordinaire, il appert que cette disposition prévoit et visait les modifications apportées aux conditions préexistantes d’une LE, qui n’existaient qu’en vertu des conditions de 2014, lesquelles ont été annulées par le premier contrôle judiciaire. Ceci est particulièrement vrai compte tenu de l’existence du paragraphe C.01A.008(4), relatif la délivrance d’une LE, correspondant à la disposition utilisée par le ministre pour imposer les conditions de 2014.

[62]           De plus, comme le soulignent les demanderesses, la lettre du 31 août 2015 mentionne que le ministre est arrivé à la décision d’août 2015 après avoir uniquement examiné si les conditions de 2014 devaient être [traduction] « réexaminées » et « modifiées ». Très clairement, les inspections de juin 2015 visaient à déterminer si les conditions de 2014 devaient être modifiées et n’ont pas été entreprises dans le but de répondre à la question fondamentale de savoir si les conclusions qui en résulteraient justifieraient l’imposition ou le maintien d’une interdiction d’importation.

[63]           Il est également admis par les deux parties qu’en ce qui concerne les produits antérieurs au 10 juin 2015, l’interdiction d’importation a continué de s’appliquer. Ceci apparaît clairement à la lecture des conditions de 2015 et du compte rendu de décision suivant les inspections effectuées en vertu du PMCP du mois de juin 2015, qui indiquent que les produits fabriqués par ARPL et APIPL avant le 10 juin 2015 [traduction] « ne seront pas assujettis à ces nouvelles conditions recommandées », « mais sont plutôt assujettis aux conditions actuelles ».

[64]           La simple reconduction de l’interdiction d’importation par les conditions de 2015 a également été confirmée par le déclarant du ministre, M. Ouimette, qui a reconnu en contre-interrogatoire que les inspections effectuées en vertu du PMCP du mois de juin 2015 visaient à déterminer si les conditions de 2014 pouvaient être assouplies.

[65]           Je conclus que la décision d’août 2015 ne peut pas être jugée légale lorsque les liens étroits entre cette décision et l’interdiction d’importation sont recoupés avec l’absence de preuve dont disposait le ministre pour appuyer toute croyance raisonnable en la nécessité d’une interdiction des importations en août 2015. Les défendeurs n’ont présenté aucune preuve, par affidavit ou circonstancielle, susceptible de me persuader que même si la décision d’août 2015 correspondait à une modification et qu’elle était étroitement liée à la décision de 2014, elle était quand même justifiée au regard des faits.

[66]           Il est évident que le ministre a examiné de nouveaux éléments de preuve avant d’en arriver à la décision d’août 2015. En particulier, les rapports d’enquête des inspections effectuées en vertu du PMCP du mois de juin 2015 au sein d’ARPL et d’APIPL ont présenté les constats suivants :

  1. aucun cas de violation de l’intégrité des données du type observé durant les inspections menées par la FDA en juin 2014 n’a été constaté;
  2. aucune [traduction] « observation d’incidence élevée », mais plusieurs observations d’incidences moyennes et faibles;
  3. des déficiences à l’égard de la documentation et des enquêtes sur les écarts, indiquant que certains éléments du PMCP doivent encore être mis en place;
  4. malgré la vérification des contrôles de systèmes et la modification des procédures, [traduction] « qui ont répondu de manière satisfaisante aux préoccupations concernant l’intégrité des données », une supervision supplémentaire serait nécessaire pour démontrer la durabilité et l’efficacité du PMCP en cas d’augmentation de la production;
  5. tant que l’examen rétrospectif des données par Apotex n’a pas été effectué, il subsistait une incertitude concernant les données générées, et donc une incertitude à savoir si les exigences réglementaires pour que ces produits puissent être mis sur le marché au Canada avaient été satisfaites.

[67]           Ces renseignements n’appuient pas l’affirmation des défendeurs selon laquelle une interdiction d’importation était justifiée en août 2015. En fait, les rapports d’inspection du PMCP ont confirmé qu’il n’y avait eu [traduction] « aucun cas de violations de l’intégrité des données » du type observé durant les inspections menées par la FDA en juin 2014. De même, même s’il subsistait une [traduction] « incertitude » concernant certaines données, puisqu’Apotex n’avait pas terminé l’examen rétrospectif des données au moment de l’inspection, le manque ou l’insuffisance de preuve peut difficilement établir la justification requise d’une interdiction d’importation. Ceci est particulièrement vrai lorsque Santé Canada, après ses propres inspections, avait auparavant accordé une cote [traduction] « conforme aux conditions » à APIPL, et avait publiquement assuré en imposant l’interdiction d’importation que les produits interdits ne donnaient lieu à aucune préoccupation en matière de santé ou de sécurité. Le fait que l’examen rétroactif des données n’ait pas été terminé ne permet pas non plus d’établir que le ministre avait « des motifs raisonnables de croire que la modification est nécessaire pour prévenir des risques pour la santé des consommateurs », comme l’exige l’article C.01A.012 du Règlement, à la lumière des autres renseignements concrets révélés par les rapports d’enquête du PMCP, qui indiquent le contraire.

[68]           Dans le premier contrôle judiciaire, la Cour a conclu que l’interdiction d’importation était motivée par la volonté du ministre de faire taire les critiques dans les médias et à la Chambre des communes, et donc qu’il a, à tout le moins, été instauré dans ces circonstances dans un but illégitime. Aux paragraphes 102 et 103 de ce jugement, j’ai conclu que :

[traduction]
[102] [...] En septembre 2014, en l’absence de critique des médias envers le ministre ou envers Santé Canada, la preuve de la relation réglementaire continue entre Apotex et Santé Canada démontre qu’il aurait été peu probable et contraire à la pratique passée et habituelle pour Santé Canada :

a) de retirer, de façon soudaine et sans explication, l’avis de conformité avec conditions délivré par ses propres inspecteurs à APIPL, retrait découlant d’une inspection visant expressément à examiner les préoccupations exprimées par la FDA concernant les installations d’ARPL et d’APIPL;

b) de mettre fin, immédiatement et sans préavis, au modèle habituel de dialogue continu pour collaborer avec les parties assujetties à la réglementation et de prise de mesures correctives en cas de non-conformité des BPF, tel que cela est énoncé dans ses propres politiques;

c) d’interdire les produits des deux établissements ciblés par les articles du Toronto Star, malgré le fait qu’APIPL venait tout juste de recevoir une cote de conformité avec conditions de la part des inspecteurs de Santé Canada et que seul ARPL ait fait l’objet de la plus récente alerte à l’importation de la FDA;

d) de mettre en place une interdiction d’importation sans d’abord tenter de consulter Apotex au sujet des préoccupations de la FDA dont Santé Canada venait d’être informée, ou de demander une prolongation de la quarantaine volontaire d’Apotex.

[103] Rien dans les éléments de preuve n’indique que les événements de septembre étaient différents de ceux des six mois précédents à tel point que cela justifiait l’imposition immédiate d’une interdiction d’importation, sans préavis ou possibilité d’être entendu, et cela pour ARPL et pour APIPL – les deux établissements mentionnés dans les articles critiques.

[69]           Fondamentalement, ce n’est pas simplement la mention par le ministre de certaines dispositions du Règlement ou d’une décision subséquemment annulée qui, à mon avis, rend la décision d’août 2015 illégale. C’est plutôt la perpétuation d’une décision jugée avoir été motivée par un but ne relevant pas des pouvoirs délégués du ministre, et donc une décision qui n’a pas été prise conformément à la règle de droit et qui n’en respecte pas la suprématie (décision Apotex v Canada, précitée, au paragraphe 107).

[70]           Selon les défendeurs, il est fondamentalement important que la décision dans le premier contrôle judiciaire n’ait pas miné les préoccupations légitimes concernant l’intégrité des données qu’avait Santé Canada face aux établissements concernés. Je tiens à souligner que ni le premier contrôle judiciaire ni les présents motifs n’indiquent que Santé Canada n’était pas préoccupée par l’intégrité des données ou que Santé Canada n’était pas en droit d’examiner des renseignements fournis par ses organismes réglementaires homologues internationaux. Je ne suis cependant pas d’accord sur le fait que les préoccupations concernant l’intégrité des données, dont la preuve démontre qu’elle n’a fait que s’améliorer depuis septembre 2014, justifiaient le maintien d’une interdiction d’importation dans la décision d’août 2015, sans plus.

[71]           L’avocat du ministre a signalé qu’une conclusion d’invalidité présumée de la décision d’août 2015 fondée sur le résultat du premier contrôle judiciaire pourrait mener à des vides réglementaires et avoir des conséquences inattendues, notamment à la lumière du régime réglementaire constant et toujours en cours sous lequel ces faits se sont produits. Je suis d’accord.

[72]           Bien que la décision dans le premier contrôle judiciaire ait certainement jeté un doute sur le caractère approprié de la décision d’août 2015, le fait que cette décision d’août 2015 se soit appuyée sur une décision qui a par la suite été annulée ne la rend pas automatiquement nulle. Dans la première requête relative au caractère théorique, j’ai conclu que l’ajout des conditions de 2015 était fondé sur une plateforme différente de celle qui a constitué le fondement de la décision de 2014, et que le dossier à l’époque n’établissait pas un fondement factuel suffisant pour permettre de trancher sur la viabilité des conditions de 2015 (première requête relative au caractère théorique, précitée, aux paragraphes 7 et 12). À présent, avec le bénéfice d’un dossier factuel complet, je conclus qu’il n’y a tout simplement aucune preuve étayant tout fondement évoqué visant à mettre en œuvre ou maintenir l’interdiction d’importation et soutenir une conclusion selon laquelle la décision d’août 2015 était justifiée ou suffisamment distincte de l’interdiction d’importation de 2014.

[73]           Je suis également conscient de la nécessité d’éviter toute interférence indue dans l’exécution des tâches administratives déléguées par le législateur aux instances administratives. Ce jugement ne prétend pas soutenir que Santé Canada est incapable de prendre les mesures réglementaires nécessaires pour protéger la santé et la sécurité des Canadiens, que ce soit au moment de la décision d’août 2015 ou à l’avenir – dans la mesure où cet exercice de pouvoir public trouve sa source en droit.

[74]           Le cas en l’espèce porte sur un ensemble très particulier de circonstances dans lesquelles une décision sous-jacente du ministre, jugée avoir été prise dans un but illégitime et exécutée de manière inéquitable, a été perpétuée de manière identique dans une décision subséquente sans fondement probatoire ou légal.

[75]           C’est le lien d’interdépendance entre ces décisions, associé à la pénurie d’éléments de preuve justifiant une interdiction d’importation en août 2015, qui fait en sorte qu’il est juridiquement et logiquement incorrect de conclure maintenant que la décision d’août 2015 n’avait pas aussi été viciée par le but illégitime ayant conduit à l’annulation des conditions de 2014 lors du premier contrôle judiciaire. Pour ce motif, j’accueillerais le contrôle judiciaire et je déclare que la décision d’août 2015 est illégale.

[76]           Bien que les demanderesses demandent d’autres mesures de redressement, une déclaration d’illégalité est la pleine mesure de redressement justifiée. Les autres mesures de redressement demandées invitent essentiellement la Cour à se prononcer et à imposer des limites à l’action ministérielle, alors que je suis certain que ce serait redondant ou tout simplement inutile.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  la requête des défendeurs en vue d’introduire une preuve en réplique est rejetée;

2.                  la requête relative au caractère théorique des défendeurs est rejetée;

3.                  la décision d’août 2015 est déclarée illégale;

4.                  la demande est par ailleurs rejetée;

5.                  les dépens sont adjugés en faveur des demanderesses.

« Michael D. Manson »

Juge


ANNEXE A

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870

Délivrance

C.01A.008

(4) Le ministre peut, outre les exigences visées au paragraphe (2), assortir la licence d’établissement de conditions portant sur :

a) les analyses à effectuer à l’égard de la drogue et l’équipement à utiliser afin que la drogue puisse être utilisée sans danger;

b) tout autre élément nécessaire pour prévenir le risque pour la santé des consommateurs, notamment la façon dont la drogue est manufacturée, emballée-étiquetée ou analysée.

Issuance

C.01A.008

(4) The Minister may, in addition to the requirements of subsection (2), set out in an establishment licence terms and conditions respecting

(a) the tests to be performed in respect of a drug, and the equipment to be used, to ensure that the drug is not unsafe for use; and

(b) any other matters necessary to prevent injury to the health of consumers, including conditions under which drugs are fabricated, packaged/labelled or tested.

Conditions

C.01A.012

(1) Le ministre peut modifier les conditions d’une licence d’établissement s’il a des motifs raisonnables de croire que la modification est nécessaire pour prévenir des risques pour la santé des consommateurs.

(2) Le ministre donne au titulaire de la licence d’établissement un préavis d’au moins 15 jours indiquant les motifs de la modification et sa date d’entrée en vigueur.

Conditions

C.01A.012

(1) The Minister may amend the terms and conditions of an establishment licence if the Minister believes on reasonable grounds that an amendment is necessary to prevent injury to the health of the consumer.

(2) The Minister shall give at least 15 days notice in writing to the holder of the establishment licence of the proposed amendment, the reasons for the amendment and its effective date.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1653-15

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. ET AL. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 juin 2016 :

 

COMPARUTIONS :

Harry Radomski

Nando De Luca

Michael Wilson

Pour les demanderesses

Michael Morris

Andrea Bourke

Lars Brusven

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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