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Date : 20160726


Dossier : T-124-16

Référence : 2016 CF 874

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

SEAN GRIFFIN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Sean Griffin, se représentant lui-même dans cette action, a déposé la présente demande de contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. Dans sa décision rendue le 22 décembre 2015, la division d’appel a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel d’une décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale au motif que la requête ne précisait pas de motif raisonnable d’appel et n’avait aucune chance raisonnable de succès. Le demandeur voudrait maintenant que la Cour examine la décision de la division d’appel, l’infirme et renvoie l’affaire à un autre tribunal de la division d’appel pour réexamen.

I.                   Contexte

[2]               Le 29 septembre 2014, M. Griffin a commencé à travailler chez BDC Bull Dozer Construction Ltd. Bien que la question n’ait jamais été abordée directement, M. Griffin avait supposé que BDC lui fournirait un logement pour la durée de son emploi, comme BDC l’avait fait pour lui dans le passé et, croyait-il, pour tous les employés ne résidant pas déjà à Red Deer, en Alberta (lieu des travaux). Après son embauche, M. Griffin a pris une chambre à l’hôtel où BDC logeait certains de ses autres employés.

[3]               Le 1er octobre 2014, M. Griffin a approché son employeur à propos du paiement de son logement. Son employeur lui a répondu qu’il ne paierait pas son logement, puisqu’il croyait que M. Griffin résidait déjà à Red Deer avec sa mère. M. Griffin a répondu qu’il ne pourrait pas continuer à travailler pour BDC si son logement n’était pas payé, puisqu’il n’avait pas les moyens de payer lui-même la chambre d’hôtel. Par conséquent, M. Griffin a volontairement quitté son emploi auprès de BDC le 1er octobre 2014.

[4]               Dans son rapport du 15 octobre 2014 à Service Canada, M. Griffin n’a pas fait mention de son emploi auprès de BDC. Par conséquent, M. Griffin a continué de recevoir les prestations d’assurance-emploi qu’il recevait depuis juin 2014.

[5]               Le 8 janvier 2015, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a communiqué avec M. Griffin pour connaître les raisons qui l’avaient amené à quitter son emploi chez BDC. M. Griffin a déclaré qu’il avait quitté son emploi parce qu’il n’avait pas les moyens de payer son logement, et qu’il avait donc été forcé de quitter son poste parce que son employeur refusait de payer son logement. La Commission a néanmoins déterminé, le 29 janvier 2015, que M. Griffin avait quitté son emploi chez BDC sans motif valable et lui a imposé une exclusion indéterminée du bénéfice des prestations d’AE, ainsi qu’une pénalité pour avoir reçu des prestations auxquelles il n’était pas admissible et pour avoir omis de déclarer son emploi chez BDC.

[6]               En mars 2015, M. Griffin a demandé un réexamen de la décision de la Commission. La demande a été rejetée le 21 avril 2015. M. Griffin a donc fait appel de ce rejet devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Dans une décision rendue le 18 septembre 2015, la division générale a maintenu la décision de la Commission, concluant que M. Griffin avait quitté son emploi sans motif valable. En temps voulu, le demandeur a déposé une demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale auprès de la division d’appel.

II.                La décision de la division d’appel

[7]               Dans sa décision de rejeter la demande d’autorisation d’interjeter appel de M. Griffin, la division d’appel a conclu que le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 [la Loi], établit que les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale sont les suivants :

a)                  la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

b)                  elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

c)                  elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8]               La division d’appel a aussi conclu que la demande d’autorisation d’interjeter appel doit être rejetée s’il n’y a « aucune chance raisonnable de succès ».

[9]               La division d’appel a conclu que le demandeur lui demandait essentiellement de réévaluer la preuve présentée devant la division générale et d’arriver à une conclusion différente, et affirmé ce qui suit :

[8]        Le rôle de la division d’appel consiste à déterminer si la division générale a commis l’une des erreurs susceptibles de révision énumérées au paragraphe 58(1) de la Loi, et si tel est le cas, de fournir réparation. En l’absence d’une telle erreur, la loi ne permet pas à la division d’appel d’intervenir. Ce n’est pas notre rôle d’instruire l’affaire de novo.

[9]        Il n’est pas suffisant pour un demandeur de faire valoir que le membre de la division générale s’est trompé lorsqu’il a tiré ses conclusions et de demander à la division d’appel d’arriver à une conclusion différente. Pour avoir une chance raisonnable de succès, le demandeur doit expliquer de façon assez détaillée en quoi, selon lui, au moins une erreur susceptible de contrôle énoncée dans la Loi a été commise. Puisqu’il ne l’a pas fait, la présente demande de permission d’en appeler ne présente aucune chance raisonnable de succès, et elle doit être rejetée.

III.             Questions en litige

[10]           Bien que le demandeur n’indique pas de questions précises dans ses observations, il n’en demande pas moins que sa cause soit entendue de nouveau et réexaminée avec des renseignements additionnels sur les raisons pour lesquelles il a quitté son emploi chez BDC. Il prétend également que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence. Par conséquent, la Cour présume que le demandeur fait valoir que la décision de la division d’appel de rejeter sa demande d’autorisation d’interjeter appel était déraisonnable.

[11]           Le défendeur soutient que la question principale est de savoir s’il était raisonnable pour la division d’appel de rejeter la demande d’autorisation d’interjeter appel du demandeur. Je conviens avec le défendeur que la question principale est de savoir si la décision de la division d’appel de rejeter la demande d’autorisation d’interjeter appel du demandeur était raisonnable.

[12]           Il y a en outre une autre question qui demande l’attention de la Cour; il s’agit des éléments de preuve nouveaux ou supplémentaires que le demandeur vise à présenter dans son affidavit.

IV.             Norme de contrôle

[13]           La norme de contrôle applicable pour l’examen par la Cour d’une décision de la division d’appel accordant ou refusant l’autorisation d’interjeter appel d’une décision de la division générale est celle de la décision raisonnable, voir : Canada (Procureur général) c. Hines, 2016 CF 112, au paragraphe 28, [2016] ACF no 84; Canada (Procureur général) c. Hoffman, 2015 CF 1348, aux paragraphes 26 et 27, [2015] ACF no 1511; voir également : Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, au paragraphe 17, [2015] ACF no 1410 [Tracey].

[14]           Cela étant, la division d’appel a droit à la déférence pour son évaluation de la preuve (voir : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La Cour doit se garder d’intervenir si la décision de la division d’appel est intelligible, transparente et légitime et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Les motifs répondent aux critères établis « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador [Conseil du Trésor], 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). Qui plus est, il n’entre pas dans les attributions de la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve présentés à la division d’appel, et son rôle n’est pas d’y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339).

V.                Affidavit et arguments supplémentaires de M. Griffin

[15]           Le défendeur soutient que l’affidavit de M. Griffin introduit de nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas été présentés devant la division d’appel concernant ses obligations familiales, les pratiques de BDC en matière de santé et de sécurité et son propre état de santé au moment où il a quitté son emploi. Le défendeur indique, en s’appuyant sur Canada (Procureur général) c. Merrigan, 2004 CAF 253, 325 NR 294, et Première Nation d’Ochapowace c. Canada (Procureur général), 2007 CF 920, 316 FTR 19, que le dossier dans le cadre d’un contrôle judiciaire est limité à celui dont disposait la division d’appel au moment où la décision a été rendue (voir aussi : Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19, 428 NR 297). Selon le défendeur, la tentative par M. Griffin d’introduire de nouveaux éléments de preuve est inappropriée et ne devrait pas être acceptée par la Cour.

[16]           Je suis d’accord. Les éléments de preuve relatifs aux obligations familiales de M. Griffin, aux pratiques de BDC en matière de santé et de sécurité et à l’état de santé de M. Griffin n’ont pas été présentés à la division d’appel; par conséquent, ne peuvent être pris en compte par la Cour dans l’examen du caractère raisonnable de la décision de la division d’appel et ne l’ont pas été.

[17]           Je conviens aussi avec le défendeur que la Cour ne devrait pas tenir compte de l’argument de M. Griffin selon lequel la Cour devrait prononcer un jugement déclaratoire que toute somme due par lui à la Commission devrait être radiée. Cette question n’est pas recevable par la Cour parce que M. Griffin n’a pas demandé une telle réparation de la Commission et la question ne fait pas partie de la décision de la division d’appel.

VI.             La décision de la division d’appel est-elle raisonnable?

[18]           M. Griffin allègue qu’il avait un motif suffisant pour quitter son emploi auprès de BDC parce qu’il n’avait pas d’autre choix. Plus précisément, M. Griffin affirme qu’il ne pouvait pas conserver son emploi parce qu’il n’avait pas les moyens de se payer un logement à Red Deer pour la durée de son emploi. M. Griffin dit que le fait qu’il n’ait eu d’autre choix que de quitter son emploi suffit à établir qu’il avait un motif suffisant de le faire. M. Griffin prétend également que la division d’appel n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve à l’égard du montant de la pénalité qui lui a été imposée et qu’il ne devrait pas être forcé de rembourser les prestations qu’il a reçues puisque ce remboursement lui causerait des difficultés excessives.

[19]           Le défendeur soutient qu’en vertu du paragraphe 58(1) de la Loi, la division d’appel ne peut accorder une autorisation d’interjeter appel d’une décision de la division générale que si elle est convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès selon l’un des moyens énoncés au paragraphe 58(1). Selon le défendeur, il était entièrement raisonnable pour la division d’appel de conclure que M. Griffin n’a pas réussi à démontrer que son appel avait une chance raisonnable de succès sous l’un ou l’autre des trois moyens d’appel énoncés. Le défendeur fait valoir que M. Griffin est simplement en désaccord avec la décision de la division générale, ce qui, de l’avis du défendeur, n’est pas suffisant pour que la division d’appel accueille la demande d’appel en vertu du paragraphe 58(1) de la Loi. Par conséquent, le défendeur soutient que la décision de la division d’appel était raisonnable et que cette demande d’autorisation d’interjeter appel doit être rejetée.

[20]           Il est bien établi que c’est à la partie demandant l’autorisation d’interjeter appel qu’il incombe de produire l’ensemble des éléments de preuve et des arguments requis pour satisfaire aux exigences du paragraphe 58(1) : voir, par exemple, Tracey, précitée, au paragraphe 31; voir aussi Auch c. Canada (Procureur général), 2016 CF 199, au paragraphe 52, [2016] ACF no 155. Malgré tout, les exigences du paragraphe 58(1) ne doivent pas être appliquées de façon mécanique ou superficielle. Au contraire, la division d’appel devrait examiner le dossier et déterminer si la décision a omis de tenir compte correctement d’une partie de la preuve : voir Karadeolian v. Canada (Attorney General), 2016 FC 615, au paragraphe 10, [2016] FCJ no 615.

[21]           En l’espèce, le seul argument présenté par M. Griffin pour l’octroi de l’autorisation d’interjeter appel est que la division générale a erré dans son évaluation des faits. Cependant, M. Griffin ne recense ou n’indique aucun élément de preuve qu’il a présenté et dont la division générale a omis de tenir compte, et ne présente pas non plus aucune base permettant d’affirmer que les conclusions de la division générale sont abusives ou arbitraires, ou que sa décision était inéquitable sur le plan procédural. M. Griffin est simplement en désaccord avec la décision de la division générale. À mon avis, cela ne révèle pas un moyen d’appel valide au titre du paragraphe 58(1) de la Loi.

[22]           Bref, parce que M. Griffin n’a pas réussi à établir aucun des moyens d’appel énoncés au paragraphe 58(1), la Loi exigeait que son appel soit rejeté. À ce titre, la décision de la division d’appel à cet égard était raisonnable.

[23]           Essentiellement, M. Griffin demande à la Cour la même chose qu’il a demandée à la division d’appel, soit de réévaluer la preuve présentée devant la division générale et d’en arriver à une conclusion différente. Cependant, tel qu’il a été susmentionné, ce n’est pas le rôle approprié de la Cour dans un contrôle judiciaire; en contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve déposée devant la division d’appel et d’en arriver à sa propre conclusion.

VII.          Conclusions

[24]           En conclusion, la décision de la division d’appel était raisonnable et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Griffin est rejetée.

[25]           Considérant l’ensemble des circonstances du cas en l’espèce, et le fait que le défendeur ne demande pas de dépens, il n’y aura aucune adjudication de dépens.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire du demandeur, et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-124-16

 

INTITULÉ :

SEAN GRIFFIN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Sean Griffin

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Stephanie Yung-Hing

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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