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Date : 20160607


Dossier : IMM-5312-15

Référence : 2016 CF 626

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2016

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

LEUY BUT

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Madame Leuy But, une cultivatrice de riz cambodgienne, a demandé l’asile au Canada parce qu’elle craint les pressions, les menaces et l’emprisonnement par des représentants du gouvernement local suite à son refus de vendre ses terres à un puissant homme d’affaires. La Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté sa demande au motif qu’elle n’était pas crédible. Cette décision a été confirmée par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette dernière décision.

[2]               La demanderesse soulève deux questions. Premièrement, elle soutient que le commissaire de la SPR a refusé à tort de se récuser alors qu’il y avait une apparence de partialité. Deuxièmement, elle affirme que la décision par la SAR d’approuver la décision de la SPR sur le fond était erronée.

I.                   L’apparence de partialité

[3]               La justice naturelle exige que toute partie ait une possibilité raisonnable de faire valoir le bien-fondé de sa demande devant un décideur qui est impartial et qui donne aussi l’apparence d’impartialité. Toute allégation de partialité est très sérieuse et doit être examinée avec soin.

[4]               Bien qu’il soit souvent dit que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte, il m’appert que le concept de la norme de contrôle s’applique difficilement aux questions fondamentales de justice naturelle (SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539 aux para 100, 102). Ainsi, la SAR ne devait faire preuve d’aucune retenue envers la décision de la SPR, et je ne dois aucunement faire preuve de retenue envers la décision de la SAR.

[5]               L’argument de Mme But comporte deux volets. Pour le premier volet, elle affirme que le commissaire était peu disposé à reporter son audience alors qu’elle était manifestement malade et qu’elle n’était pas en état de témoigner, bien qu’il y ait consenti à plus d’une reprise. La demanderesse fait valoir que le commissaire a en outre entamé une procédure de désistement. Il a finalement décidé que la demanderesse ne s’était pas désistée de sa demande et qu’il allait l’entendre au fond.

[6]               Le second volet se rapporte au comportement du commissaire envers l’avocate de la demanderesse. Elle soutient qu’il était impoli, qu’il a haussé la voix et qu’il a empêché son avocate de faire son travail en l’interrompant à plusieurs reprises.

[7]               Le critère pour déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité a été précisé par M. le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 à la page 394 :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique […] »

[8]               Ce critère est bien enraciné tant au Canada qu’en Angleterre. Dans l’arrêt Cipak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 453 au para 24, M. le juge Roy écrivait :

[24]           En l’espèce, la question n’est pas tant de savoir si le décideur était partial à l’endroit des demandeurs, mais plutôt de vérifier s’il y avait apparence d’absence d’impartialité. L’enquête ne porte pas sur l’état d’esprit subjectif du décideur, mais sur l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, d’une apparence d’injustice. La valeur à protéger est la confiance du public dans l’intégrité du processus décisionnel. Lord Denning, président de la cour d’appel, déclarait, dans Metropolitan Properties Co (FGC) Ltd c Lannon, [1969] 1 QB 577 [à la page 599]:

[traduction]
La Cour ne cherchera pas à savoir si le juge a effectivement favorisé injustement l’une des parties. Il suffit que des personnes raisonnables puissent le penser. La raison en est évidente. La justice suppose un climat de confiance qui ne peut subsister si des personnes sensées ont l’impression que le juge a fait preuve de partialité.

[9]               Je suis convaincu qu’une personne raisonnable qui a étudié la question en profondeur ne conclurait pas qu’il y avait une apparence de partialité de la part du commissaire.

[10]           Bien qu’il se peut que le commissaire s’en soit tenu de façon très stricte aux règles applicables en matière de preuve médicale, il a clairement expliqué que sa préoccupation principale était de déterminer si la demanderesse était en mesure de participer à l’audience.

[11]           Quoiqu’il en soit, le commissaire a conclu :

[20] In spite of the incomplete medical information that would explain the claimant’s incapacity to participate in the previously scheduled hearings, the panel decided not to declare abandonment regarding those previous dates and concluded that the claimant was having some medical difficulties. The panel proceeded with the hearing and concluded the hearing on 19 January 2015 with an adjournment until 2 February 2015 to permit counsel to make written submissions to be delivered to the panel on or before that date.

[12]           Il y a eu des moments plus tendus entre l’avocate de Mme But et le commissaire. Ce dernier avait un travail à faire et il était de l’avis non déraisonnable que les objections par l’avocate de la demanderesse étaient en fait une tentative de suggérer à sa cliente les réponses qu’elle devrait donner.

[13]           Un échange survenu vers la fin de l’audience a particulièrement retenu l’attention des parties. Mme But témoignait en anglais par l’intermédiaire d’un interprète. Son avocate s’est objectée à une question. Le commissaire l’a sommée d’attendre que l’interprète traduise sa question. Voici un extrait de l’échange en question :

Counsel:          I have to object [inaudible 2:37:39.0].

Member:          Excuse me, I still have to have what I say translated.

Counsel:          Well, sorry, [inaudible].

Member :        No, stop immediately. Translate what I say, and then I’ll let Counsel say something.

Claimant:        The person who completed the form was wrong.

Member:         Okay, go ahead, Counsel.

Counsel:         I have objected before. You told me to wait, and then you continue on with your questions. So, this is not the way to do an objection.

Member:         In fact, you were interrupting and talking at the same time I was talking. That is a major problem in trying to get interpretation, reliable interpretation, in any hearing. So, first of all, that was not appropriate. Secondly…which just it causes all kinds of technical problems with trying to have a reliable interpretation. Secondly, it’s a reasonable question, and the objectioner …any observation you make can be made afterwards. And I don’t want what you say to influence the answer of the claimant.

[14]           L’avocate de la demanderesse a fait valoir que les questions posées étaient trop compliquées. Le commissaire a acquiescé :

Member:       My point is not to answer the questions for the claimant but rather that it could…the information could influence the answer that the claimant could give. But I understand. Simplifying the questions is probably a good idea.

[15]           De temps à autre, il y a des accrochages entre avocats et décideurs, les deux groupes essayant de leur mieux de faire leur travail. Cela n’est certainement pas suffisant pour conclure qu’il y a une apparence de partialité. Il faudrait plutôt une situation s’apparentant à celle dans Sereiboth c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 736, [2013] ACF No 778, ou encore Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 201, [2014] ACF No 210.

II.                Le bien-fondé de la demande d’asile

[16]           La demande de Mme But repose sur le fait qu’elle aurait hérité des terres agricoles de son mari, décédé en 1998. Des représentants du gouvernement local exerçaient de la pression sur elle pour qu’elle vende ces terres à vil prix à un puissant homme d’affaires.

[17]           Elle aurait été menacée d’emprisonnement au motif qu’elle avait accepté de vendre ses terres en apposant l’empreinte de son pouce sur une promesse de vente. Elle affirme plutôt avoir été forcée à apposer son empreinte sur un document vierge pour promettre qu’elle voterait pour le parti au pouvoir lors des prochaines élections générales.

[18]           Le commissaire n’était pas convaincu par l’explication de la demanderesse, pas plus qu’il n’était convaincu qu’elle était véritablement la propriétaire des terres agricoles en question. La SAR a fait une analyse indépendante du dossier, tout en décidant de faire preuve de retenue envers les conclusions de la SPR quant à la crédibilité du témoignage de la demanderesse, conformément à l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93. Elle est arrivée aux mêmes conclusions que la SPR.

[19]           Même si la SAR avait fait une analyse inadéquate, sa décision fait partie des issues possibles acceptables eu égard aux faits et au droit. Les faits du dossier supportent certainement la conclusion que le récit de Mme But n’était pas crédible (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708). Il suffit de constater que, depuis son départ du Cambodge, son fils continue à cultiver les terres familiales sans problème.

 


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS ;

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5312-15

 

INTITULÉ :

LEUY BUT c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 mai 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

 

Pour la demanderesse

 

Me Zoé Richard

pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Montréal, (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Me William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal, (Québec)

Pour la défenderesse

 

 

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