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Date : 20160809


Dossier : T-2041-15

Référence : 2016 CF 907

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 août 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

RAJKAMAL SINGH MANGAT

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 2 novembre 2015 par une déléguée du ministre des Transports, la directrice générale de la sûreté aérienne [la déléguée du ministre], refusant au demandeur une habilitation de sécurité en matière de transport [HST] à l’aéroport international Lester B. Pearson de Toronto (Ontario), et subséquemment à l’aéroport international de Vancouver à Richmond (Colombie-Britannique), en vertu de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 [Loi sur l’aéronautique].

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est né à Vancouver, en Colombie-Britannique. C’est un citoyen canadien âgé de 39 ans.

[3]               Le demandeur travaille à temps plein pour Air Canada depuis le 24 mars 1997. Il est titulaire d’une licence de technicien d’entretien d’aéronef [licence], qu’il a obtenue en 1999. La licence du demandeur lui avait précédemment été octroyée pour une période de six ans devant expirer le 30 juin 2017.

[4]               Afin de s’acquitter de ses tâches à titre de mécanicien d’aéronef ou d’agent d’escale, le demandeur fait valoir qu’il est tenu d’obtenir et de conserver une carte d’identité de zone réglementée [CIZR] et un permis de conduire côté piste [AVOP].

[5]               Selon l’alinéa 165a) du Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne (DORS/2011-318), seuls les titulaires d’une CIZR peuvent accéder aux aéroports canadiens désignés, y compris l’Aéroport international Pearson de Toronto, sans être accompagnés. Pour obtenir une CIZR, un demandeur doit d’abord faire une demande d’habilitation de sécurité auprès de Transports Canada, en vertu du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [PHST]. L’article 4.8 de la Loi sur l'aéronautique confère au ministre des Transports un pouvoir discrétionnaire pour accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

[6]               Le PHST assujettit les demandeurs d’une habilitation de sécurité à une vérification des antécédents, qui comprend, sans s’y limiter : une vérification du casier judiciaire à partir des empreintes digitales par la Gendarmerie royale du Canada [GRC], une vérification du Service canadien du renseignement de sécurité et une vérification des dossiers pertinents des organismes d’application de la loi. Lorsque la vérification des antécédents soulève des préoccupations, un organisme consultatif examine l’admissibilité de la personne qui fait la demande à obtenir une habilitation de sécurité et fait une recommandation au ministre. Une décision finale est alors rendue sur le statut de l’habilitation de sécurité de cette personne.

[7]               Le 5 mars 2015, Transports Canada a écrit au demandeur pour l’informer qu’il avait eu connaissance de renseignements défavorables soulevant des préoccupations quant à son admissibilité à une habilitation de sécurité [la lettre du mois de mars]. La lettre du mois de mars décrit des renseignements tirés d’un rapport de vérification des antécédents criminels [VAC] produit par la GRC le 9 janvier 2015, et faisant état de quatre événements précis impliquant le demandeur :

1.      En mars 2003, le demandeur a été accusé de voies de fait et de méfait après avoir troublé l’ordre public dans un établissement de restauration rapide avec un autre homme. Les deux accusations ont été suspendues en 2003, pour des raisons inconnues;

2.      En septembre 2008, le demandeur a été accusé de vol de moins de 5 000 $, après un incident de vol à l’étalage. Cependant, la GRC n’a pas été en mesure d’obtenir des renseignements suffisants auprès du personnel de sécurité du magasin, et les accusations ont été retirées;

3.      En septembre 2008, le demandeur a été accusé d’avoir formulé des menaces, y compris des menaces de mort, à l’endroit de collègues de travail. Les accusations ont été retirées en 2009, après que le demandeur a pris deux engagements de ne pas troubler l’ordre public pendant un an.

4.      En juin 2012, le demandeur a de nouveau été accusé d’avoir proféré des menaces à l’endroit des locataires d’une résidence dans laquelle le demandeur semblait tenter d’entrer par effraction. Les accusations ont été suspendues plus tard en 2012, les victimes n’y ayant pas donné suite.

[8]               Dans la lettre du mois de mars, Transports Canada invitait le demandeur à lui fournir, dans un délai de 20 jours, des renseignements supplémentaires sur ces incidents, de même que toute autre information pertinente, explication ou circonstance atténuante.

[9]               Le 30 mars 2015, le demandeur a répondu à la lettre du mois de mars et fourni des renseignements contextuels sur sa vie personnelle, sa famille et son expérience de travail. Il a admis chacun des incidents préoccupant Transports Canada, tout en affirmant que sa participation à ces incidents était moins importante que ce qui avait été décrit. Plus particulièrement, il a affirmé que c’est son ex-conjointe qui a volé les vêtements ayant conduit à l’accusation de vol à l’étalage de 2008; que c’est son frère qui avait proféré les menaces en 2008; et qu’il avait crié contre des squatteurs et n’avait aucunement tenté d’entrer par effraction dans l’immeuble lors de l’incident de 2012.

[10]           Le 23 juin 2015, un organisme consultatif, formé de hauts fonctionnaires de Transports Canada, a examiné les observations et le dossier du demandeur, détaillant les quatre incidents de vol, méfait, menaces et violence, et a recommandé au ministre de ne pas accorder d’habilitation de sécurité au demandeur parce que, selon la balance des probabilités, le demandeur [traduction] « est sujet ou peut être incité à commettre un acte ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ».

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[11]           Le 28 octobre 2015, la déléguée du ministre a examiné le dossier du demandeur, y compris l’information présentée dans la lettre du mois de mars, la recommandation de l’organisme consultatif, la politique du PHST et les observations du demandeur. Elle a finalement refusé d’accorder une habilitation de sécurité au demandeur, indiquant que les renseignements concernant la participation du demandeur à des activités criminelles liées à un vol, à un méfait, à des menaces et à de la violence soulevaient des préoccupations quant à son jugement, son honnêteté et sa fiabilité.

[12]           La déléguée du ministre a noté les éléments suivants :
[traduction]

-          Le demandeur nie son implication dans l’incident de vol à l’étalage de 2008, affirmant que c’est son ex-conjointe qui a commis le vol. Pourtant, le demandeur était clairement impliqué, puisqu’il a été détenu et que des accusations ont ensuite été portées contre lui.

-          Lors de l’incident de 2008, concernant la profération de menaces, le rapport de police indique que le demandeur a proféré des menaces de mort envers deux collègues de travail, menaçant de leur frapper la tête avec un morceau de bois et de leur trancher la gorge. Le demandeur affirme que c’est son frère qui a proféré les menaces, mais qu’il a décidé de mentir au tribunal et de reconnaître les accusations afin de protéger l’entreprise de son frère.

[13]           La déléguée du ministre indique que son examen lui a donné des motifs de croire que l’appelant était sujet ou pouvait être incité à commettre un acte ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

[14]           Le 2 novembre 2015, l’Aéroport international Pearson de Toronto et le demandeur ont été avisés de la décision de refuser d’accueillir la demande de HST du demandeur.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Le demandeur avance que les points suivants sont en litige dans la présente demande :

1.      Sur le fond, la décision de la déléguée du ministre de refuser l’habilitation de sécurité au demandeur était-elle raisonnable?

2.      Quel est le degré d’équité procédurale requis pour refuser une habilitation de sécurité en vertu de la Loi sur l’aéronautique, et la déléguée du ministre a-t-elle respecté son obligation d’équité procédurale en l’espèce?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse relative à la norme de contrôle dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut plutôt adopter cette norme. Ce n’est que lorsque la jurisprudence est muette ou qu’elle semble incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que l’examen des quatre facteurs de cette analyse est nécessaire : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[17]           En ce qui a trait à la première question soulevée, il est constant que dans le contexte des HST, la norme de contrôle applicable sur le fond à la décision de la déléguée du ministre est celle de la décision raisonnable. Ceci a été confirmé par la jurisprudence traitant de l’annulation ou du refus d’une HST : décision Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 41 [Brown]; Thep-Outhainthany c. Canada (Procureur général), 2013 CF 59, au paragraphe 11 [Thep-Outhainthany]; arrêt Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, au paragraphe 16 [Henri].

[18]           En ce qui concerne la deuxième question en litige, là encore, je suis d’accord avec les deux parties pour dire que la norme de contrôle qui s’applique lorsqu’il s’agit de savoir s’il y a eu un manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte : décision Lorenzen c. Canada (Transports), 2014 CF 273, au paragraphe 12 [Lorenzen].

[19]           Lorsque la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique, l’analyse doit tenir compte de critères tenant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[20]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’aéronautique sont applicables en l’espèce :

Définitions

Definitions

3 (1) habilitation de sécurité Habilitation accordée au titre de l’article 4.8 à toute personne jugée acceptable sur le plan de la sûreté des transports.

3 (1) security clearance means a security clearance granted under section 4.8 to a person who is considered to be fit from a transportation security perspective;

...

...

Délivrance, refus, etc.

Granting, suspending, etc.

4.8 Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

4.8 The Minister may, for the purposes of this Act, grant or refuse to grant a security clearance to any person or suspend or cancel a security clearance.

VII.          OBSERVATIONS

Première question en litige – Caractère raisonnable de la décision de la déléguée du ministre

(a)                Le demandeur

[21]           Le demandeur affirme que la décision de la déléguée du ministre de refuser au demandeur une HST était déraisonnable et qu’en vertu de la définition d’« habilitation de sécurité » dans la Loi sur l’aéronautique, il est une personne apte à obtenir une HST.

[22]           Le demandeur fait valoir que l’intérêt public à l’égard de la sécurité aérienne est favorisé en lui permettant, à titre de personne expérimentée, compétente et d’acteur clé de l’économie, de continuer de travailler dans le domaine de l’entretien et du stationnement des aéronefs : décision Singh Kailley c. Canada (Transports), 2016 CF 52 [Singh Kailley]. Le ministre peut uniquement confirmer l’annulation d’une habilitation de sécurité lorsqu’il existe des motifs raisonnables de suspicion, et non pas lorsque le ministre le juge approprié.

[23]           Il n’existe pas de preuve suffisamment fiable et crédible pour permettre à la déléguée du ministre de croire de façon raisonnable, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur peut être sujet ou incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

[24]           Le demandeur indique qu’il s’est efforcé de dire la vérité et d’expliquer toutes les circonstances dans sa réponse à la lettre du mois de mars du ministre, expliquant les éléments suivants :

1.      le demandeur a deux jeunes enfants qu’il élève et dont il subvient aux besoins;

2.      le demandeur a la garde partagée de ses jeunes enfants et des responsabilités parentales égales une semaine sur deux;

3.      le juge ayant entendu l’affaire au tribunal de la famille a reconnu que le demandeur avait fait preuve de respect envers la cour, la procédure et le processus;

4.      le demandeur travaille dans l’industrie du transport aérien depuis 1997, sans incident;

5.      le demandeur a travaillé sur l’avion du premier ministre;

6.      durant son emploi à YYZ, le demandeur a souvent été appelé à piloter dans le poste de pilotage de YVR à YYZ et de YYZ à YVR, et piloter avec le pilote et le copilote exige le degré de responsabilité le plus élevé;

7.      à titre de mécanicien d’aéronef, le demandeur est appelé à se déplacer avec un court préavis vers différents aéroports internationaux au Canada afin d’évaluer l’intégrité structurelle de différents aéronefs et de faciliter les réparations requises, le cas échéant;

8.      en ce qui concerne l’incident de 2003, le demandeur a présenté ses excuses pour son comportement. Cet incident n’est pas représentatif de la personnalité du demandeur, et s’est produit il y a longtemps;

9.      dans le cas de l’incident de 2008, le demandeur explique qu’il n’a rien volé et qu’il a été détenu illégalement parce que sa conjointe avait les enfants;

10.  en ce qui concerne l’engagement de ne pas troubler l’ordre public de 2009, le demandeur a déclaré : [traduction] « C’est la vérité et je ne vais pas essayer de l’édulcorer ». Le demandeur a par la suite suivi une thérapie, ce qui l’a aidé à comprendre les problèmes auxquels il faisait face;

11.  En ce qui concerne l’incident de 2012, le demandeur était prêt à se présenter au procès et s’est rendu au tribunal à la date fixée pour l’audience, mais les plaignants allégués n’ont pas comparu, alors qu’il serait intrinsèquement conforme à une ordonnance du tribunal par voie de signification à personne d’assignation à comparaître de se présenter;

12.  le demandeur a affirmé être devenu une personne plus responsable et son HST est importante pour lui, pour sa carrière et sa capacité de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants.

[25]           Le demandeur fait valoir qu’un poids insuffisant a été accordé au fait qu’on lui avait permis de conserver son HST temporaire à l’Aéroport international de Vancouver, ce qui fournit une preuve fiable et crédible qu’il ne constitue pas un risque pour la sécurité du transport aérien. De même, un poids insuffisant a été accordé aux racines du demandeur dans sa collectivité et au Canada, à la nature de son travail, à sa formation et à son expertise, à ses perspectives d’avancement, ainsi qu’à ses obligations financières et à sa situation familiale. En outre, le refus de lui accorder une habilitation de sécurité n’est pas le résultat d’une association ou d’une association présumée passée, récente ou en cours avec une organisation criminelle ou avec des personnes associées au trafic de drogues ou à d’autres activités criminelles en cours.

[26]           Par conséquent, le demandeur allègue qu’une HST devrait lui être accordée, puisqu’il répond à la définition de l’expression « habilitation de sécurité ».

(b)               Le défendeur

[27]           Le défendeur soutient que la décision d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur était raisonnable puisqu’elle était justifiée, transparente et intelligible. En outre, la décision était cohérente avec le PHST et l’approche globale en trois volets relative à la sûreté adoptée dans la Loi sur l’aéronautique, qui comprend : la prévention des actes illicites d’intervention visant l’aviation civile; la prévention de l’accès non contrôlé à des zones réglementées d’un aéroport désigné par des personnes susceptibles de poser un risque pour la sûreté des transports; et n’accorder une habilitation de sécurité qu’aux seules personnes qui respectent les normes de Transports Canada et qui font preuve de jugement, d’honnêteté et de fiabilité.

[28]           Alors que le demandeur allègue que la décision était déraisonnable parce qu’elle était fondée sur des faits erronés et que la déléguée du ministre avait utilisé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable, le défendeur affirme le contraire : 1) la déléguée du ministre a fondé sa décision sur une base factuelle adéquate, et elle peut se fier au rapport contextuel sans avoir à en vérifier les allégations ou à enquêter sur celles-ci; 2) la déléguée du ministre a utilisé son vaste et prospectif pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable.

[29]           Premièrement, la déléguée du ministre peut s’appuyer exclusivement sur le rapport de la GRC et sur les autres rapports contextuels pour rendre des décisions en vertu de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique et n’est pas tenue de mener une enquête indépendante ou de procéder à la vérification du contenu du rapport : décision Christie c. Canada (Transport), 2015 CF 210, au paragraphe 23 [Christie]. Cela reste vrai même si ce rapport contient des renseignements sous forme de preuve par ouï-dire ou des renseignements de nature sommaire : décision Singh Kailley, précitée, aux paragraphes 28 et 29; arrêt Henri, précité, au paragraphe 40. Même si la jurisprudence établit que la déléguée du ministre n’a aucune obligation de mener une enquête indépendante ou de vérifier les rapports de vérification d’antécédents, le défendeur fait valoir que le demandeur a de toute façon confirmé la plus grande partie de leur contenu dans sa réponse à la lettre du mois de mars, reconnaissant les quatre incidents qui y sont mentionnés.

[30]           Deuxièmement, en ce qui a trait au pouvoir discrétionnaire de la déléguée du ministre en vertu de la Loi sur l’aéronautique, le défendeur indique que la jurisprudence sur laquelle s’appuie le demandeur (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56 [Farwaha]) vient du régime de la sûreté du transport maritime, c’est-à-dire de l’habilitation de sécurité au titre du Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004-14 et de la Loi sur la sûreté du transport maritime, L.C. 1994, ch. 40. Une norme différente s’applique en vertu de la Loi sur l’aéronautique, qui confère au ministre et à sa déléguée un vaste pouvoir discrétionnaire prospectif en vertu duquel ils peuvent annuler une habilitation de sécurité et prendre en compte tout facteur pertinent pour le faire : décision Brown, précitée, au paragraphe 62. Par conséquent, la Loi sur l’aéronautique n’exige pas de la déléguée du ministre qu’elle conclue à l’existence de [traduction] « motifs raisonnables de suspicion » avant de rendre une décision. Elle lui permet plutôt de tenir compte dans sa prise de sa décision de tout facteur qu’elle juge pertinent, y compris le fait que le demandeur puisse interférer de manière illicite avec l’aviation civile en s’appuyant sur son comportement passé et sur son manque de jugement, d’honnêteté et de fiabilité.

[31]           Le défendeur fait en outre valoir que dans leur examen du comportement du demandeur, l’organisme consultatif et la déléguée du ministre pouvaient examiner et s’appuyer sur le comportement passé du demandeur et sur les quatre événements impliquant des accusations suspendues et retirées, parce que ces événements démontrent la possibilité que le demandeur commette un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile : décision Christie, précitée, aux paragraphes 23 à 25.

[32]           Bien que l’analyse du ministre dans le contexte de l’habilitation de sécurité ait un effet cumulatif (voir la décision Sidhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 34, au paragraphe 19), le demandeur a admis avoir menti à la police et à la justice. Le défendeur affirme que cet élément à lui seul suffit à démontrer le caractère raisonnable de la décision.

[33]           En outre, le défendeur indique que le fait que l’Aéroport international de Vancouver ait émis une carte d’accès temporaire au demandeur n’a aucune incidence sur sa demande d’habilitation de sécurité à l’Aéroport international Pearson de Toronto et que cette information n’avait pas été portée à l’attention de l’organisme consultatif ou de la déléguée du ministre.

Deuxième question en litige – équité procédurale

(a)                Le demandeur

[34]           Le demandeur soutient que la décision de la déléguée du ministre de lui refuser son HST constitue à son endroit un déni de justice naturelle et a été prise d’une manière abusive ou arbitraire, et sans tenir compte de la preuve.

[35]           Le demandeur allègue qu’il a droit à un degré plus élevé d’équité procédurale qu’un simple candidat à un poste ou que quelqu’un qui demande une HST pour la première fois, puisque la possibilité de continuer son travail auprès de son employeur de longue date sera affectée de manière importante par le refus de la déléguée du ministre.

[36]           Le demandeur fait valoir que la déléguée du ministre a erré en droit en n’examinant pas les cinq facteurs qui doivent être pris en considération pour établir l’équité procédurale, selon la Cour suprême du Canada : arrêt  Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 23 à 27 [Baker]. Plus précisément, le demandeur affirme que l’organisme consultatif n’a pas accordé suffisamment de poids à l’importance de la décision pour lui et les autres personnes touchées ou aux attentes légitimes du demandeur. Un poids trop important a été accordé aux faits peu fiables et non vérifiés contenus dans les rapports de vérification des antécédents – des renseignements qui selon le demandeur n’ont pas été produits sous serment et qui n’ont pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire.

[37]           De plus, le demandeur affirme qu’on ne lui a pas donné une occasion véritable de répondre. L’organisme consultatif et la déléguée du ministre n’ont pas tenu compte des renseignements contenus dans sa réponse à la lettre du mois de mars, et le courriel envoyé par le ministre le 1er avril 2015 l’invitant à fournir tout renseignement supplémentaire qu’il souhaiterait fournir n’était qu’une demi-mesure visant à affirmer l’équité procédurale à laquelle il avait droit. Finalement, le demandeur allègue qu’un autre manquement à l’équité procédurale découle de la décision elle-même, qui n’est pas appuyée par des motifs suffisants et adéquats.

(b)               Le défendeur

[38]           La politique du PHST établissant la procédure d’octroi ou de refus d’une habilitation de sécurité limite le droit à l’équité procédurale d’un demandeur : décision Brown, précitée, aux paragraphes 84 et 85. Lorsqu’il rend une décision, il suffit que le ministre ou la déléguée du ministre 1) rende une décision qui n’est pas fondée sur une conclusion de fait erronée, et 2) ne rende pas la décision de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments pertinents. Le défendeur fait valoir qu’en l’espèce, la déléguée du ministre n’a fait ni l’un ni l’autre et a respecté son obligation d’équité procédurale envers le demandeur.

[39]           Le défendeur affirme qu’il suffisait à la déléguée du ministre de fournir le plus faible niveau d’équité procédurale : décision Pouliot c. Canada (Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2012 CF 347, au paragraphe 9 [Pouliot]. Le juge Mosley a récemment conclu qu’une personne qui détient une habilitation de sécurité de Transports Canada depuis un certain temps a droit à une obligation d’équité légèrement supérieure : Doan c. Canada (Procureur général), 2016 CF 138, aux paragraphes 16 à 18. N’ayant jamais détenu aucune habilitation de sécurité de Transports Canada, le demandeur n’a pas droit, contrairement à ce qu’il avance, à un niveau d’équité procédurale plus élevé.

[40]           Pour prendre sa décision, la déléguée du ministre s’est appuyée sur des éléments de preuve qui démontrent que le demandeur peut poser un risque pour la sécurité des transports et de l’aviation. Elle n’était pas tenue de démontrer que les faits sur lesquels elle s’appuyait étaient vrais : arrêt Canada (Procureur général) c. Select Brand Distributors Inc., 2010 CAF 3, au paragraphe 45; décision Lorenzen, précitée, aux paragraphes 52 et 53.

[41]           La déléguée du ministre a été au-delà de son obligation d’équité procédurale en informant le demandeur des faits allégués contre lui et en lui donnant la possibilité de répondre. La lettre du mois de mars a fourni au demandeur une occasion valable de formuler toutes les observations susceptibles de l’aider, selon lui. Le défendeur affirme que le demandeur ne peut plus prétendre aujourd’hui qu’il ne connaissait pas les allégations faites contre lui.

[42]           Le défendeur affirme que la déléguée du ministre a fourni des motifs valables, respectant ainsi son obligation d’équité procédurale. Lorsque des motifs sont fournis, un demandeur ne peut pas faire valoir qu’ils sont inéquitables sur le plan de la procédure; la contestation doit plutôt porter sur une question de fond. Ce n’est pas une question d’équité distincte : décision Mitchell c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1117 [Mitchell].

[43]           Pour l’ensemble des motifs précités, la déléguée du ministre a respecté et a été au-delà son obligation d’équité procédurale.

[44]           Enfin, le défendeur soutient que si la Cour devait conclure que la décision n’était pas équitable sur le plan de la procédure ou qu’elle était d’une certaine façon déraisonnable, elle devrait être renvoyée aux fins de réexamen, puisque les ordonnances de mandamus ne peuvent pas dicter la manière dont le pouvoir discrétionnaire légal sera exercé : arrêt Canada (Procureur général) c. Arsenault, 2009 CAF 300, au paragraphe 32; décision Ho c. Canada (Procureur général), 2013 CF 865, au paragraphe 28.

VIII.       ANALYSE

A.                Introduction

[45]           D’après la façon dont cette demande a été présentée, il est évident que la décision est d’une importance professionnelle et personnelle extrême pour le demandeur, en particulier du point de vue de ses obligations familiales.

[46]           Je dis cela parce que le demandeur a mentionné ses obligations parentales dans sa réponse à la lettre du mois de mars, de même que l’accent qu’il met sur son long engagement dans l’industrie du transport aérien depuis 1997 et le fait qu’il se considère comme [traduction] « une personne expérimentée, compétente et acteur clé de l’économie canadienne ».

[47]           La demande contient également certaines indications selon lesquelles le demandeur souhaite que la Cour examine de novo l’ensemble de l’affaire et ordonne qu’une HST lui soit octroyée.

[48]           Je dis cela parce que le demandeur affirme qu’un poids insuffisant a été accordé à différents facteurs, en raison de la mesure de réparation qu’il sollicite, et parce qu’il a déposé, avec sa demande, un affidavit qui présente des faits et des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à la déléguée du ministre et qui vont bien au-delà de l’équité procédurale ou des questions de compétence.

[49]           Par ailleurs, bien sûr, cette demande comporte un aspect d’intérêt public accru et il est loisible au ministre de privilégier la sécurité du public, comme l’indique clairement la décision de la Cour dans Brown, précitée :

[71]      De plus, il est loisible au ministre de privilégier la sécurité du public. Dans la décision Rivet, précitée, au paragraphe 15, le juge Pinard mentionne que, dans la mise en balance des intérêts de la personne visée et de ceux de la sécurité du public, ces derniers l’emportent. Voici son explication :

Par ailleurs, tant l’objet de la Loi que la nature de la question ont trait à la protection du public en prévenant des actes d’intervention illicite dans l’aviation civile. Même si la décision du ministre vise directement les droits et les intérêts du demandeur, ce sont les intérêts du grand public qui sont en jeu et qui ont préséance sur la capacité du demandeur d’avoir son HST pour pouvoir travailler à titre de pilote. L’objectif de la Loi émane d’un problème élargi qui englobe les intérêts de la société tout entière et non seulement ceux du demandeur.

[50]           Je ne doute pas que la question soit extrêmement importante pour le demandeur, mais en dernière analyse, les obligations familiales du demandeur ne sont que peu pertinentes en l’espèce et il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve et de substituer sa propre décision à celle de la déléguée du ministre. Avec une grande sympathie pour le demandeur et la position dans laquelle il se retrouve maintenant en raison de la décision, la Cour ne peut qu’examiner la décision pour déterminer s’il s’y trouve une erreur susceptible de révision et, le cas échéant, renvoyer l’affaire aux fins de réexamen. Le fait que le demandeur soit en désaccord avec le poids accordé ou non à certains facteurs ne constitue pas un motif d’erreur susceptible de révision.

B.                 Norme de la décision raisonnable

[51]           Au paragraphe 30 de ses observations écrites, le demandeur fait les affirmations suivantes :
[traduction]

30.       Le demandeur fait valoir que « la gamme des solutions acceptables et rationnelles dépend de « tous les facteurs pertinents » entourant la prise de décision ».

1.  La décision du ministre est une question d’une grande importance [pour le demandeur], qui a une incidence sur la nature de son travail, sa situation financière et ses perspectives d’avancement.

2.  La décision porte sur des questions de sécurité. Des décisions erronées peuvent avoir des conséquences graves.

3.  Les évaluations de sécurité comportent une part d’appréciation des politiques et une pondération sensible des faits.

4.  La décision du ministre en l’espèce appelle une évaluation du risque fondée sur la présence ou non de motifs de suspicion.

[Renvoi omis.]

[52]           Ces affirmations sont majoritairement sans fondement et manifestement erronées.

[53]           L’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique confère au ministre un pouvoir discrétionnaire absolu sur les faits qu’il prend en considération dans sa décision d’accorder, de refuser, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité. Cependant, affirmer que les évaluations de sécurité [traduction] « comportent une part d’appréciation des politiques et une pondération sensible des faits » ne permet pas de conclure que la décision de la déléguée du ministre n’a pas évalué les faits de manière appropriée, et la jurisprudence établit clairement que la déléguée du ministre n’est pas tenue de se demander s’il existe des motifs de suspicion raisonnables.

[54]           La jurisprudence établit tout aussi clairement que la déléguée du ministre peut s’appuyer exclusivement sur les rapports de la GRC ou sur les rapports de VAC, sans obligation de mener une enquête indépendante ou de vérifier le contenu de ces rapports. Voir la décision Christie, précitée, au paragraphe 23. La déléguée du ministre peut considérer les renseignements provenant de la GRC comme fiables et suffisants, même si ces renseignements constituent du ouï-dire et qu’ils n’ont pas été contre-vérifiés. Voir la décision Henri, précitée, au paragraphe 40. On peut dire à peu près la même chose des rapports de VAC. Voir la décision Singh Kailley, précitée, aux paragraphes 28 et 29.

[55]           En fait, comme le juge Shore l’a exprimé clairement dans la décision Singh Kailley, précitée, les renseignements obtenus auprès de la GRC – y compris le ouï-dire et les éléments sommaires – sont suffisants pour des raisons de sécurité et le ministre peut s’y appuyer de manière exclusive.

[56]           L’invocation par le demandeur de l’arrêt Farwaha, précité, n’est pas fondée parce que l’affaire Farwaha concernait la Loi sur la sûreté du transport maritime et son Règlement, dont le régime de sûreté diffère de celui de la Loi sur l’aéronautique.

[57]           Comme la juge Kane l’a clairement exprimé dans la décision Brown, précitée, en traitant de l’application de l’article 4.8, la Loi sur l’aéronautique n’exige pas du ministre qu’il examine et conclue qu’il existe des motifs raisonnables de suspicion avant de rendre une décision :

[46]      Pour souci de commodité, je reproduis ci‑dessous la principale disposition d’intérêt du PHST, à savoir l’article 1.4.4.

L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré de toute personne :
[...]

4. qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à :

•   commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; ou

•   aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile.

[...]

[62]      L’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique confère au ministre, et à la directrice générale qui agit au nom du ministre, un vaste pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut « accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité » et prendre en compte tout facteur pertinent pour le faire.

[...]

[64]      Le demandeur a prétendu que cette norme peu rigoureuse ne devrait pas justifier les rudes conséquences entraînées par la perte de son habilitation de sécurité. Même si je comprends sa position et conviens que les conséquences sont graves, le PHST est clair, et la jurisprudence de la Cour a confirmé que la norme est dans une certaine mesure moins rigoureuse que la simple prépondérance des probabilités, compte tenu des mots « est sujette » et « acte d’intervention illicite ».

[...]

[70]      La décision de la directrice générale cerne la question de la propension des employés d’aéroport à d’adopter des comportements susceptibles de nuire à la sûreté de l’aviation. Une démarche générale et prospective doit être adoptée. Comme l’a mentionné le juge Harrington dans MacDonnell c Canada (Procureur général), 2013 CF 719, au paragraphe 29, 435 FTR 202 :

La politique est prospective; autrement dit, elle tient de la prédiction. La politique n’exige pas que le ministre croie selon la prépondérance des probabilités qu’un individu « commettra » un acte qui « constituera » un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il « aidera ou incitera » toute autre personne à commettre un acte qui « constituerait » une intervention illicite pour l’aviation civile, mais seulement qu’il soit « sujet » à le faire.

[71]      De plus, il est loisible au ministre de privilégier la sécurité du public. Dans la décision Rivet, précitée, au paragraphe 15, le juge Pinard mentionne que, dans la mise en balance des intérêts de la personne visée et de ceux de la sécurité du public, ces derniers l’emportent. Voici son explication :

Par ailleurs, tant l’objet de la Loi que la nature de la question ont trait à la protection du public en prévenant des actes d’intervention illicite dans l’aviation civile. Même si la décision du ministre vise directement les droits et les intérêts du demandeur, ce sont les intérêts du grand public qui sont en jeu et qui ont préséance sur la capacité du demandeur d’avoir son HST pour pouvoir travailler à titre de pilote. L’objectif de la Loi émane d’un problème élargi qui englobe les intérêts de la société tout entière et non seulement ceux du demandeur.

[...]

[74]      L’organisme consultatif peut considérer l’association avec des individus susceptibles d’avoir une influence négative comme un point pertinent pour trancher la question de savoir si une personne est sujette à commettre ou à aider ou inciter à commettre un acte d’intervention illicite susceptible d’être préjudiciable à l’aviation civile, de sorte que son habilitation de sécurité serait révoquée (voir Fontaine, précitée, au paragraphe 7; Farwaha, précitée, au paragraphe 101).

[58]           Le demandeur allègue en outre que les circonstances dans lesquelles sa demande de HST a été refusée n’étaient [traduction] « pas pour l’instant le résultat d’une association ou d’une association présumée passée, récente ou en cours [...] » et que la décision était fondée sur des accusations criminelles passées, retirées et suspendues. Ici encore, le demandeur passe simplement sous silence la jurisprudence de la Cour à ce sujet. La déléguée du ministre peut s’appuyer sur des comportements passés, même si le comportement a cessé (voir la décision Christie, précitée, aux paragraphes 23 à 25). Un comportement passé inclut toute accusation suspendue et abandonnée, le cas échéant. Voir la décision Thep-Outhainthany, précitée, aux paragraphes 18 à 20.

[59]           Le demandeur allègue également que le fait qu’on lui ait accordé une HST temporaire à l’Aéroport international de Vancouver en juillet 2015 [traduction] « fournit une preuve fiable et crédible qu’il ne constitue pas un risque pour la sécurité du transport aérien, et le demandeur fait valoir respectueusement qu’un poids important devrait être accordé à cet élément dans la présente instance ». Ici encore, le demandeur demande à la Cour de soupeser de nouveau la preuve.

[60]           Cependant, même s’il était approprié pour la Cour de le faire, cette carte d’accès temporaire qui porte les mentions [traduction] « habilitation en attente » et [traduction] « escorte exigée » ne constitue en aucun cas une preuve de son jugement, de son honnêteté et de sa fiabilité, et n’a de toute façon pas été déposée en preuve devant la déléguée du ministre, ce qui en fait un élément irrecevable aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire.

[61]           De façon générale, les observations du demandeur sur la question du caractère raisonnable de la décision ne sont pas autre chose que des affirmations de désaccord avec la décision qui ne touchent pas au fondement des motifs ou qui écartent simplement la jurisprudence claire de la Cour.

[62]           Lors de l’audience tenue devant moi le 21 juillet 2016, le demandeur a surtout mis l’accent sur le fait qu’il avait reconnu ses problèmes passés et que la déléguée du ministre n’avait pas tenu compte du fait qu’il avait gagné en maturité et qu’il était devenu, en fait, quelqu’un qui contribuait de manière importante à l’intérêt public en matière de sécurité. Rien ne permet de croire que la déléguée du ministre a omis de tenir compte d’une partie quelconque de ses observations, et ici encore, la jurisprudence établit clairement qu’il appartient au ministre de décider des facteurs qu’il prendra en considération. Voir la décision Brown, précitée, au paragraphe 62, et la décision Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160, au paragraphe 78. Il appartient au ministre de déterminer les facteurs qu’il juge importants, et non au demandeur ou à la Cour.

C.                 Équité procédurale

[63]           Le demandeur affirme ce qui suit :
[traduction]

Le demandeur a droit à un degré d’équité procédurale supérieur à celui d’un simple candidat à un poste ou de quelqu’un qui demande une HST pour la première fois et l’obligation d’équité procédurale dans ces circonstances est similaire à l’obligation d’équité procédurale de niveau supérieur à laquelle a droit une personne qui fait face à la révocation ou au non-renouvellement de son HST, puisque la possibilité de continuer son travail auprès de son employeur de longue date sera affectée de manière importante par le refus de la déléguée du ministre d’octroyer une HST au demandeur.

[64]           Il poursuit en ajoutant ce qui suit :
[traduction]

56.       Le demandeur soutient que l’organisme consultatif, dans le compte rendu de la discussion du 23 juin 2015, n’a pas correctement ou adéquatement traité les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, aux paragraphes 23 à 27, et a donc erré en droit en refusant d’octroyer une habilitation de sécurité au demandeur.

57.       Le demandeur soutient que l’organisme consultatif n’a pas accordé un poids suffisant à l’importance qu’avait la décision pour lui et les personnes concernées ni aux attentes légitimes du demandeur, en plus des autres facteurs requis prescrits dans l’arrêt Baker, compte tenu du fait que son emploi dépend de l’obtention d’une HST.

58.       Le demandeur soutient que l’organisme consultatif a accordé trop de poids aux faits peu fiables et non vérifiés contenus dans le rapport de VAC et prétend que ces renseignements et les renseignements sous-jacents n’ont pas été produits sous la foi du serment ou d’une affirmation solennelle et n’ont pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire.

59.       Le demandeur reconnaît que le courriel du ministre du 1er avril 2015 à son attention l’avisait de ce qui suit : [traduction] « Si vous souhaitez produire tout document supplémentaire, voici votre occasion de le faire ». Le demandeur soutient cependant qu’aucune directive concernant le type de « toute autre document » ne lui a été fourni, que le ministre n’a pas non plus expliqué pourquoi d’autres documents étaient requis, puisque le demandeur avait déjà fourni une réponse sincère, directe et honnête à la demande d’information du ministre, à laquelle le demandeur s’est efforcé de répondre en disant la vérité et en traitant l’ensemble des circonstances présentées dans la lettre envoyée au demandeur le 5 mars 2015.

[traduction]
60.       Le demandeur soutient que le compte rendu de discussion de l’organisme consultatif (23 juin 2015) et la décision de l’organisme consultatif (28 octobre 2015) ne font aucune mention des renseignements suivants, fournis dans la réponse faite par le demandeur le 30 mars 2015 :

1.    Le demandeur a deux jeunes enfants qu’il élève et dont il subvient aux besoins;

2.    Le demandeur a la garde partagée de ses jeunes enfants et des responsabilités parentales égales une semaine sur deux;

3.    Le juge ayant entendu l’affaire au tribunal de la famille a reconnu que le demandeur avait fait preuve de respect envers la cour, la procédure et le processus;

4.    Le demandeur travaillait dans l’industrie du transport aérien depuis 1997, sans incident;

5.    Le demandeur a travaillé sur l’avion du premier ministre;

6.    Durant son emploi à YYZ, le demandeur a souvent été appelé à piloter dans le poste de pilotage de YVR à YYZ et de YYZ à YVR, et reconnaît que piloter avec le pilote et le copilote exige le degré de responsabilité le plus élevé;

7.    À titre de mécanicien d’aéronef, le demandeur est appelé à se déplacer avec un court préavis vers différents aéroports internationaux au Canada afin d’évaluer l’intégrité structurelle de différents aéronefs et de faciliter les réparations requises de ces aéronefs, le cas échéant;

8.    En ce qui concerne l’incident de 2003, le demandeur regrette ces gestes, qui ne sont pas représentatifs de la personnalité du demandeur et qui se sont produits il y a longtemps;

9.    Dans le cas de l’incident de 2008, le demandeur explique qu’il n’a rien volé et qu’il a été détenu illégalement parce que sa conjointe avait les enfants;

10.  En ce qui concerne l’engagement de ne pas troubler l’ordre public de 2009, le demandeur a déclaré : [traduction] « C’est la vérité et je ne vais pas essayer de l’édulcorer ». Le demandeur a par la suite suivi une thérapie, ce qui l’a aidé à comprendre les problèmes auxquels il faisait face;

11.  En ce qui concerne l’incident de 2012, le demandeur était prêt à se présenter au procès et s’est rendu au tribunal à la date fixée pour l’audience, mais les plaignants allégués n’ont pas comparu, alors qu’il serait intrinsèquement conforme à une ordonnance du tribunal par voie de signification à personne d’assignation à comparaître de se présenter;

12.  Le demandeur a affirmé être devenu une personne plus responsable et son HST est importante pour lui, pour sa carrière et sa capacité de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants.

Par conséquent, le demandeur soutient que le ministre n’a pas [traduction] « rendu une décision qui n’est pas fondée sur une conclusion de fait erronée ni rendu sa décision de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments pertinents ».

61.       Le demandeur soutient en outre qu’on ne lui a pas fourni une occasion [traduction] « valable » de répondre, puisqu’aucun des renseignements présentés ci-dessus n’apparaît dans le compte rendu de la discussion de l’organisme consultatif (23 juin 2015) ni dans la décision de l’organisme consultatif (28 octobre 2015).

62.       Le demandeur soutient que le courriel envoyé par le ministre au demandeur le 1er avril 2015 était une demi-mesure visant à affirmer une atmosphère d’équité procédurale à laquelle le demandeur avait droit.

63.       Le demandeur soutient que la décision rendue le 28 octobre 2015 dans laquelle l’organisme consultatif rejette la demande de HST du demandeur n’a pas présenté de motifs de décision adéquats et suffisants, et par conséquent a privé le demandeur de l’occasion valable d’être entendu.

[Renvoi omis, souligné dans l’original]

[65]           Une partie de ces observations ne concerne pas l’équité procédurale, mais si j’extrapole, il m’apparaît que le demandeur soulève les questions d’équité procédurale suivantes :

(a)    il n’a pas obtenu un niveau d’équité procédurale suffisamment élevé, selon les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, précité;

(b)   on ne lui a pas donné l’occasion de fournir une réponse valable;

(c)    la déléguée du ministre a omis de fournir des motifs suffisants.

[66]           La jurisprudence de la Cour établit clairement que le demandeur n’avait droit qu’au niveau le plus faible d’équité procédurale. La décision Pouliot, précitée, énonce ce qui suit :

[9]        C’est d’abord le contexte qui définit la nature de l’obligation d’équité procédurale, comme il est indiqué dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817. La Cour a déjà statué dans des causes antérieures, que l’obligation d’équité est faible dans le présent contexte. Lorsque le litige porte sur une simple demande d’autorisation ou de permis faite par une personne qui n’a aucun droit existant à cette autorisation ou à ce permis, les exigences imposées par l’obligation d’agir équitablement sont minimes. Le ministre doit rendre une décision qui n’est pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition : voir Motta c Canada (Procureur général), [2000] ACF.no 27, au paragraphe 13.

[10]      Dans les cas où une habilitation de sécurité existante est révoquée ou non renouvelée, la norme applicable est légèrement plus rigoureuse, mais elle demeure minimale. Dans Rivet c Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, au paragraphe 25, la Cour a statué :

Considérant ces facteurs, je suis d’accord avec le défendeur que l’obligation d’équité procédurale, en l’espèce, est plus que minimale, sans exiger un niveau de protection procédurale élevé (voir, par exemple, DiMartino c. ministre des Transports, 2005 CF 635, [2005] A.C.F. no 876 (C.F.) (QL), au paragraphe 20). Ainsi, les protections procédurales dont bénéficie le demandeur en l’instance se limitent au droit de connaître les faits reprochés contre lui et au droit de faire des représentations à l’égard de ces faits. Ces garanties procédurales ne comprennent pas le droit à une audience.

[67]           Le demandeur présentait une première demande de HST et n’avait jamais détenu aucune habilitation de sécurité de Transports Canada. Quoi qu’il en soit, le dossier démontre que le demandeur a bénéficié d’un niveau élevé d’équité procédurale en l’espèce.

[68]           De plus, la décision en l’espèce n’était pas fondée sur une conclusion de fait erronée et n’a pas été rendue de manière abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments présentés à la déléguée du ministre.

[69]           Les quatre incidents qui sont à la base de la décision ont été clairement établis et communiqués au demandeur. Il était libre de répondre de la manière qu’il jugeait appropriée. Il a répondu.

[70]           Le caractère inadéquat des motifs n’est pas un motif de contrôle distinct. Voir la décision Mitchell, précitée, au paragraphe 14, où le juge Southcott a confirmé que « l’obligation d’équité procédurale est respectée du moment que la décision est motivée; la question alors soumise à la Cour est de déterminer si les conclusions sont raisonnables ou non ».

[71]           En l’espèce, des motifs ont été fournis, de sorte que l’obligation d’équité procédurale a été respectée.

D.                Affidavit inapproprié

[72]           Le défendeur s’est opposé à des portions de l’affidavit déposé par le demandeur, pour les motifs suivants :
[traduction]

32.       Lors d’un contrôle judiciaire, le demandeur ne devrait présenter que des éléments de preuve supplémentaires portant sur l’équité procédurale ou les questions de compétence. La majeure partie de l’affidavit du demandeur ne traite ni d’équité procédurale ni de compétence. Par conséquent, la Cour devrait radier ces paragraphes dans leur intégralité.

33.       Comme l’a réitéré le juge Manson dans la décision Peles c. Canada (Procureur général), un contrôle judiciaire portant sur la révocation d’une habilitation de sécurité de Transports Canada, la Cour fédérale procède au contrôle judiciaire en n’utilisant que les éléments présentés au ministre; de fait, la preuve par affidavit n’est habituellement admissible que si elle porte sur des questions d’équité procédurale et de compétence. Si l’affidavit du demandeur n’aborde aucune de ces deux questions, un tribunal devrait le radier.

34.       Les paragraphes 5 à 11, 13 à 29 et 35 à 37 ne portent pas sur des questions d’équité procédurale ou de compétence. Ils résument les faits et ajoutent des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au décideur; ils contiennent aussi des opinions et des arguments qui ne sont pas recevables.

35.       Par conséquent, la Cour devrait faire ce que le juge Manson a fait dans la décision Peles et les radier dans leur intégralité.

36.       Les paragraphes 2 à 4 et 12 résument des éléments qui ont été présentés au décideur. Les paragraphes 30, 40 et 41 semblent liés à l’équité procédurale. Enfin, les paragraphes 31 à 34, 38 et 39, 42 et 43 résument des renseignements contextuels sur le présent contrôle judiciaire. Comme ces paragraphes concordent avec l’exception précise en matière d’admissibilité, la Cour ne devrait pas les radier.

37.       En résumé, la Cour devrait radier les paragraphes 5 à 11, 13 à 29, et 35 à 37 de l’affidavit du demandeur et admettre les paragraphes 2 à 4, 12, 30, 31 à 34, 38 à 39 et 40 à 43.

[73]           J’ai examiné l’affidavit et les parties auxquelles le défendeur s’est opposé, et je conviens que ces paragraphes devraient être radiés, pour les motifs évoqués par le défendeur.

[74]           Cependant, j’ai lu l’affidavit en entier, et même si je devais l’admettre en totalité, cela ne changerait ni mes conclusions ni ma décision en l’espèce.

E.                 Dépens

[75]           Les parties s’entendent pour dire qu’un montant fixe de 2 500 $ représenterait des dépens appropriés en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.      La demande est rejetée.

2.      Le défendeur a droit à des dépens d’un montant fixe de 2 500 $.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2041-15

 

INTITULÉ :

RAJKAMAL SINGH MANGAT c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Michael Bloom

Pour le demandeur

 

Jon Khan

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S.R. Chamberlain, c.r.

Avocat

Richmond (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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