Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160802


Dossier : T-2007-15

Référence : 2016 CF 892

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 août 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

EDMUND VUNG

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par M. Edmund Vung visant une décision de Mme Brenda Hensler-Hobbs, directrice générale, Sûreté de l’aviation pour Transports Canada ([la déléguée du ministre] agissant au nom du ministre des Transports [le ministre] datée du 3 novembre 2015 et rejetant la demande d’habilitation de sécurité à l’Aéroport international de Vancouver [l’aéroport] présentée par le demandeur.

[2]               Le demandeur est employé comme ingénieur d’hélicoptères par Hyland Helicopters. Afin d’élargir les tâches qu’il pouvait exécuter dans son travail, il a présenté, le 17 avril 2014, une demande d’habilitation de sécurité et une carte d’identité de zone réglementée [CIZR]. Entre temps, il a obtenu un laissez-passer temporaire lui permettant d’accéder aux zones sécurisées en compagnie du titulaire d’un laissez-passer permanent.

[3]               Le 11 février 2015, le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport de Transports Canada [Transports Canada] a reçu un rapport de vérification des antécédents criminels [rapport de VAC] de la Section du filtrage sécuritaire de la Gendarmerie royale du Canada [SFS de la GRC]. Le 24 février 2015, le demandeur a reçu une lettre de Transports Canada faisant état de trois incidents menant à des préoccupations sur l’aptitude du demandeur à détenir une habilitation de sécurité. Ces incidents sont survenus en juillet 2007, en novembre 2007 et en novembre 2011.

[4]               Le rapport de VAC établit ce qui suit :

                En juillet 2007, pendant une patrouille, des membres du détachement de Burnaby de la GRC se sont approchés d’un véhicule stationné dans lequel se trouvaient trois personnes, le demandeur étant l’un des passagers. Les agents ont remarqué une odeur de marihuana séchée provenant de l’intérieur du véhicule. Toutes les parties ont été détenues en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et 2 grammes de marihuana ont été saisis sur l’un des individus. Le conducteur s’est identifié au moyen d’un faux permis de conduire, qui a été saisi ainsi qu’une caisse de bière ouverte. Les parties ont reçu un avertissement verbal et ont été relâchées.

                En novembre 2007, pendant une patrouille, deux membres du détachement de Burnaby de la GRC ont observé un individu déposant une canette de répulsif à ours sous un camion semi-remorque. Après une inspection approfondie, les policiers ont trouvé un sac contenant des comprimés d’ecstasy, de la marihuana, et ce qui semblait être de la cocaïne, une autre canette de répulsif à ours et un autre petit sac de marihuana. À ce moment‑là, le demandeur et une autre personne se trouvaient également à proximité. Les policiers ont été incapables de déterminer à qui appartenaient les articles, par conséquent ils ont tous été saisis en vue d’être détruits et aucune accusation n’a été portée.

                En novembre 2011, un membre du détachement de Burnaby de la GRC a observé le demandeur, à pied, dans un cul-de-sac de Burnaby, en Colombie‑Britannique, accompagné d’un individu connu de la police pour sa participation à des activités criminelles et aux activités d’un gang de rue.

[5]               Le rapport de VAC établit que les individus mentionnés dans le rapport comprenaient :

                l’individu « A », qui :

      1. était avec le demandeur lors de l’un des incidents susmentionnés;
      2. est associé à un « grow rip crew » (groupe qui attaque des producteurs de marihuana pour les voler) et a des liens informels documentés avec le gang United Nation (UN), dont les activités criminelles comprennent le trafic de cocaïne et de marihuana, y compris le trafic transfrontalier. Ils sont également connus pour leur participation à des crimes violents;

           l’individu « B », qui :

      1. était impliqué avec le demandeur dans un des incidents susmentionnés;
      2. fait actuellement l’objet d’accusations de trafic et de possession en vue d’en faire le trafic en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances;
      3. en 2008, a été reconnu coupable d’introduction par effraction dans un dessein criminel;
      4. est membre du gang de rue West Bradley et al (le rapport indique que les gangs autochtones sont réputés être parmi les plus susceptibles de perpétrer des crimes violents. Les gangs REDD Alert, Bradley West et Indian Posse sont engagés dans un conflit prolongé pour le contrôle de la vente de drogue dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver);
      5. en 2011, il a admis à la police avoir été impliqué dans le trafic de drogue depuis l’âge de 13 ans et vendre principalement du crack.

[6]               Le 2 mars 2015, le demandeur a fourni une brève réponse. Il a simplement nié toute association continue avec les personnes mentionnées dans la lettre du 24 février 2015. Dans son courriel du 2 mars, le demandeur déclare ce qui suit :

[traduction]

[. . .] Je vous assure, et j’assure à Transports Canada et à l’organisme consultatif sur les transports, que je n’ai plus aucun lien avec aucun des individus mentionnés dans la lettre.

[7]               Le 25 août 2015, l’organisme consultatif du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [l’organisme consultatif] a recommandé au ministre d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur. Le 3 novembre 2015, la déléguée du ministre a rejeté la demande d’habilitation de sécurité à l’aéroport au motif qu’elle avait des raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pouvait être sujet ou être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

[8]               À l’audience, l’avocat du demandeur n’a pas évoqué devant la Cour l’allégation générale faite dans son mémoire des faits et du droit selon laquelle il y avait eu manquement à l’équité procédurale. En résumé, le demandeur prétend aujourd’hui que la décision est déraisonnable parce que la déléguée du ministre n’a pas tenu compte des considérations pertinentes ou ne leur a pas accordé suffisamment de poids, notamment l’ancienneté des renseignements fournis par la SFS de la GRC et l’absence d’éléments de preuve de la participation du demandeur à tout acte répréhensible de trafic de drogues. Le demandeur fait également valoir que la déclaration est fondée sur des inférences qui ne sont pas étayées par la preuve, y compris la conclusion selon laquelle le demandeur s’est associé à deux individus liés à des gangs de rue. Le demandeur a effectivement nié toute association actuelle avec les [traduction] « individus » en question, tandis que l’incident le plus récent remonte à 2011.

[9]               Le dossier en l’espèce ne soulève aucune question de droit particulière et repose sur une pure question de faits ou sur une question mixte de faits et de droit. La jurisprudence établit clairement la grande discrétion dont dispose le ministre pour refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité, prévue à l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A‑2, et aux différentes dispositions pertinentes du Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011-318 [le Règlement] (voir la décision Wu v. Canada (Attorney General), 2016 FC 722).

[10]           La présente demande doit être rejetée. Je conclus que la décision de refuser la demande d’habilitation de sécurité du demandeur appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je souscris essentiellement aux arguments présentés par le défendeur dans son mémoire des faits et du droit et qui ont été réaffirmés par son avocat à l’audience. En plus des documents, des observations et de la jurisprudence présentés par les avocats, j’ai tenu compte de la décision rendue dans la décision Israel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 385, et invoquée après l’audience par l’avocat du demandeur. Les commentaires faits par la Cour dans ce dossier de réfugié ne sont pas déterminants et ne modifient pas mon raisonnement.

[11]           Je note d’abord que les motifs menant au rejet de la demande de certificat d’habilitation de sécurité sont intelligibles et transparents.

[12]           En fait, l’organisme consultatif a indiqué, comme l’indique son Résumé de la discussion, que :

[traduction]

         le demandeur n’a fait l’objet d’aucune condamnation criminelle;

         le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport de Transports Canada a reçu un rapport de la GRC, daté du 11 février 2015, donnant les détails de la participation du demandeur à des activités criminelles liées à la drogue;

         l’organisme consultatif a noté trois incidents liés à la drogue entre 2007 et 2011;

         l’organisme consultatif a également noté que le demandeur était âgé de 17 ans au moment du premier incident;

         l’organisme consultatif a noté qu’en juillet 2007, pendant une patrouille, des membres du détachement de Burnaby de la GRC ont approché un véhicule stationné dans lequel se trouvaient trois personnes, dont le demandeur, qui était un passager du véhicule. Les agents ont noté une odeur de marihuana séchée provenant de l’intérieur du véhicule. Deux grammes de marihuana (d’une valeur de revente de 20 $) ont été saisis à l’un des suspects. Les agents ont également trouvé une caisse de bière ouverte;

         l’organisme consultatif a également noté qu’en novembre 2007, pendant une patrouille, deux membres du détachement de Burnaby de la GRC ont observé un individu déposant une canette de répulsif à ours sous un camion semi-remorque. Les policiers ont trouvé un sac contenant des comprimés d’ecstasy, de la marihuana et ce qui semblait être de la cocaïne, une autre canette de répulsif à ours et un autre petit sac de marihuana. Le demandeur et un autre individu se trouvaient dans les environs au moment où ces articles ont été trouvés. Il a été noté que la cocaïne est une substance grave qui entraîne la dépendance, et n’est pas considérée comme une drogue d’initiation;

         l’organisme consultatif a noté qu’en novembre 2011, un membre du détachement de Burnaby de la GRC a observé le demandeur, à pied, dans un cul-de-sac de Burnaby, Colombie-Britannique, accompagné d’un individu connu de la police pour sa participation à des activités criminelles et aux activités d’un gang de rue;

         l’organisme consultatif a également noté l’association entre le demandeur et un individu ayant des liens avec un « grow rip crew » (groupe qui attaque des producteurs de marihuana pour les voler) possible et a des liens informels documentés avec le gang United Nation (UN), présent dans le Lower Mainland et dont les activités criminelles comprennent le trafic de cocaïne et de marihuana, y compris le trafic transfrontalier, qui est impliqué dans la criminalité violente et qui est associé à d’autres gangs;

         l’organisme consultatif a également noté l’association entre le demandeur et un autre individu qui fait actuellement l’objet d’accusations de trafic et de possession en vue d’en faire le trafic, qui a été reconnu coupable d’introduction par effraction dans un dessein criminel, qui est membre du gang de rue West Bradley et al et qui a admis à la police avoir été impliqué dans le trafic de drogue depuis l’âge de 13 ans et vendre principalement du crack;

         l’organisme consultatif a noté que les gangs autochtones sont réputés être parmi les plus susceptibles de perpétrer des crimes violents. Les gangs REDD Alert, Bradley West et Indian Posse sont engagés dans un conflit prolongé pour le contrôle de la vente de drogue dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. Le gang Bradley West Crew est bien connu, violent et craint;

         l’organisme consultatif a noté que l’exploitation des installations aéroportuaires canadiennes constituait actuellement une menace à la sûreté du transport aérien, et que les aéroports canadiens pouvaient être susceptibles d’exploitation par les groupes du crime organisé;

         l’organisme consultatif a aussi noté que bien que le demandeur ait confirmé ses liens avec les individus dans ses observations écrites, il n’aborde aucune des autres questions et ne fournit pas de renseignements supplémentaires;

         l’organisme consultatif a noté que le demandeur a eu des contacts avec l’une des associations après avoir terminé ses études;

         un examen du dossier a mené l’organisme consultatif à avoir des raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pouvait être sujet ou incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

[13]           Deuxièmement, je constate que le demandeur n’a fait aucune contestation sérieuse quant au contenu particulier du rapport de VAC et au raisonnement général de l’organisme consultatif. L’organisme consultatif a examiné les observations écrites présentées par le demandeur; cependant, ces dernières ne fournissaient pas suffisamment de renseignements pour dissiper ses préoccupations. À cet égard, la Cour a confirmé à plusieurs reprises qu’il était raisonnable pour le ministre de refuser ou d’annuler une habilitation de sécurité en raison d’une association avec des criminels ou des membres d’un gang. La déléguée du ministre dispose de renseignements non contredits selon lesquels le demandeur a entretenu des liens avec des individus liés au crime organisé lié au trafic de drogue. Il s’avère que le demandeur a présenté une réponse très brève et non concluante aux renseignements présentés dans le rapport de VAC. Le courriel du 2 mars ne contient pas de dénégation des événements allégués dans le rapport de VAC. Il n’offre aucune explication de l’implication du demandeur dans les événements décrits dans le rapport de VAC. Il ne soutient pas que le demandeur ne sait pas qui sont les personnes décrites sous les appellations « Individu A » et « Individu B ». Au contraire, il semble suffisamment certain de savoir qui ils sont, puisqu’il affirme qu’il n’a [traduction] « plus aucun lien » avec l’un ou l’autre de ces individus. Il n’indique pas non plus à quel moment il aurait cessé d’avoir des liens avec des criminels et des membres de gang. Il n’était pas déraisonnable pour la déléguée du ministre de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pouvait être sujet ou être incité à commettre un acte ou aider ou inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

[14]           Troisièmement, il n’appartient pas à la Cour de se substituer au ministre et de réévaluer la totalité de la preuve. Le demandeur invoque maintenant le passage du temps et son jeune âge au moment des incidents. Dans l’ensemble, je conclus tout de même qu’il n’était pas déraisonnable pour le ministre de refuser une habilitation de sécurité pour des raisons d’activités liées à la drogue et d’association avec des criminels en 2007 et en 2011, ce qui est encore récent. Le demandeur fait également valoir qu’il y a eu une conclusion de fait erronée, puisque la déléguée du ministre mentionne trois incidents liés à la drogue, alors qu’il affirme que rien ne permet de faire le lien entre le fait qu’il était accompagné d’un membre reconnu d’un gang de rue et la drogue. Ici encore, je conclus qu’il n’y avait rien de déraisonnable à ce que la déléguée du ministre classifie un incident lors duquel le demandeur a été vu par la GRC en compagnie d’un membre reconnu d’un gang de rue comme un incident lié à la drogue.

[15]           En l’espèce, le demandeur fait valoir que peu importe le résultat, aucuns dépens ne devraient être adjugés à la partie ayant gain de cause, tandis que le défendeur cherche à obtenir des dépens de 2 000 $ en cas de rejet. Les dépens suivent normalement l’issue de la cause. Je ne vois aucune raison particulière d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens au défendeur. La somme demandée de 2 000 $ est raisonnable dans les circonstances.

[16]           Pour l’ensemble de ces motifs, la présente demande est rejetée avec dépens de 2 000 $ adjugés au défendeur.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens, fixés à 2 000 $, en faveur du défendeur.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2007-15

INTITULÉ :

EDMUND VUNG c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juillet 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :

Le 2 août 2016

COMPARUTIONS :

Scott R. Wright

Pour le demandeur

Oliver Pulleyblank

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sutherland Jetté

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.