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Date : 20160719


Dossier : IMM-1388-15

Référence : 2016 CF 826

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

SUKHVINDER SINGH ET RUPINDER KAUR DHALIWAL GILL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 mars 2015 par un agent d’immigration supérieur (l’agent). Dans cette décision, l’agent a conclu que le demandeur principal, M. Sukhvinder Singh, était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). L’agent a déterminé que le demandeur principal était membre d’un groupe dissident de la Fédération internationale de la jeunesse Sikh (ISYF), soit le Damdami Taksal de la ISYF (ISYF-DDT), et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la ISYF « est, a été ou sera l’auteur d’un acte de terrorisme ».

[2]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.                Contexte

[3]               La présente affaire est longue et compliquée; elle concerne trois pays, soit l’Inde, la Suisse et le Canada, et s’échelonne sur trois décennies.

[4]               En 1988 ou vers cette date, le demandeur principal est arrivé en Suisse en provenance de l’Inde. En 1994, il a été reconnu coupable en Suisse d’avoir participé à une tentative d’enlèvement de l’ancien ambassadeur de l’Inde en Roumanie. Dans sa version des faits, le demandeur principal affirme avoir conduit certains amis à une gare située à Zurich. Deux de ceux-ci se sont finalement rendus à Budapest, où ils ont tenté, en vain, d’enlever l’ancien ambassadeur. Après avoir été reconnues coupables de complot, ces deux personnes ont reçu des peines d’emprisonnement plus longues que celle imposée au demandeur principal, qui a été condamné à une peine de trois ans et a plus tard fait l’objet d’une radiation de la part des autorités suisses (semblable à un pardon ou à une suspension de casier au Canada).

[5]               Le 12 octobre 1998, le demandeur principal est arrivé à l’aéroport international Pearson, à Toronto, et a obtenu une autorisation de séjour à titre de visiteur. Il a présenté une demande d’asile une semaine plus tard, à Montréal.

[6]               Le 23 novembre 1999, le demandeur principal a présenté une demande de résidence permanente en tant qu’époux au titre de la catégorie du regroupement familial pour des motifs d’ordre humanitaire (la catégorie des époux ou conjoints de fait n’existait pas au Canada à l’époque). Le présent contrôle judiciaire concerne cette demande.

[7]               Dans sa demande de résidence permanente, le demandeur principal a indiqué qu’il avait été membre de l’ISYF d’avril 1989 à juillet 1990.

[8]               Le 2 février 2000, une enquête a été menée en raison des condamnations dont le demandeur principal avait fait l’objet en Suisse en 1994. Dans le cadre de cette enquête, le demandeur principal a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au titre du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (l’actuel alinéa 36(1)b) de la Loi). Le demandeur principal n’a pas contesté cette décision.

[9]               Le 20 octobre 2000, il a été établi que le demandeur principal était un réfugié au sens de la Convention.

[10]           Peu après, le demandeur principal a présenté une nouvelle demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention.

[11]           Le 25 janvier 2007, la demande de résidence permanente du demandeur principal en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention a été rejetée pour des motifs de grande criminalité, en application de l’alinéa 36(1)b) de la Loi. La demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur principal à l’égard de cette décision (IMM-6221-12) a été rejetée à l’étape de l’autorisation le 12 novembre 2013. L’agent ayant rejeté cette demande a alors fermé la première demande de résidence permanente du demandeur principal (celle dont fait l’objet le présent contrôle judiciaire). L’agent a tenté d’envoyer un chèque de remboursement au demandeur principal pour la demande fermée, mais le chèque a vraisemblablement été envoyé à la mauvaise adresse.

[12]           En 2009, le demandeur principal a été interrogé par l’agent Fox, de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui devait déterminer si le demandeur était interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité. Un rapport d’interdiction de territoire au titre de l’article 44 de la Loi a été préparé le 2 novembre 2009.

[13]           En 2012, le demandeur principal a demandé une ordonnance de mandamus auprès de la Cour fédérale afin d’obliger le défendeur à rendre une décision concernant la demande de résidence permanente non réglée datant de 1999. Le défendeur a convenu que l’agent avait commis une erreur lorsqu’il avait fermé la demande en 2007, et il a amorcé le traitement de la demande de façon prioritaire. Compte tenu de cette entente, le 8 octobre 2013, la Cour fédérale a rejeté la demande de mandamus en raison de son caractère théorique et a ordonné au défendeur de rendre une décision avant le 26 novembre 2013 (IMM-8192-12).

[14]           Finalement, la demande de résidence permanente du demandeur principal a été rejetée au motif que ce dernier avait été déclaré interdit de territoire puisqu’il était membre d’une organisation terroriste, aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Cependant, l’agent a refusé la demande sans évaluer la possibilité qu’une dispense soit accordée pour des motifs d’ordre humanitaire.

[15]           Le demandeur principal a présenté une demande de contrôle judiciaire de ce refus (IMM­7886-13). Le défendeur a admis qu’il y avait eu une omission inappropriée d’évaluer la possibilité qu’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire soit appliquée à l’interdiction de territoire du demandeur principal. Le défendeur a ensuite amorcé un nouvel examen de la demande de parrainage conjugal présentée par le demandeur.

[16]           Le demandeur principal a alors présenté devant la Cour fédérale une demande visant la suspension permanente de l’« enquête », amorcée en 2009, dans le contexte de sa demande de parrainage de conjoint (IMM-5762-14). Le juge Shore a rejeté cette demande à l’étape de l’autorisation.

[17]           En ce qui concerne le nouvel examen de la demande de parrainage de conjoint, trois lettres relatives à l’équité procédurale ont été envoyées au demandeur principal qui, en retour, a envoyé trois réponses.

[18]           L’agent a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle le 9 mars 2015. Le 23 mars 2015, le demandeur principal a présenté son avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

[19]           Enfin, il convient également de mentionner qu’une demande de dispense ministérielle distincte des autres demandes susmentionnées a été présentée en vertu de l’article 42.1, et qu’elle est toujours en instance.

III.             Décision contestée

[20]           Dans la décision rendue le 9 mars 2015, l’agent a indiqué qu’il était surtout préoccupé par la déclaration du demandeur principal selon laquelle il était membre de la ISYF ou du groupe ISYF-DDT. L’agent a mentionné que la ISYF était inscrite depuis 2003 sur la liste canadienne des entités terroristes, conformément au paragraphe 83.05(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, et que le ISYF-DDT était un groupe dissident de cette organisation. L’agent a également noté les condamnations au criminel du demandeur principal pour les tentatives d’enlèvement de l’ambassadeur de l’Inde en Roumanie, qui, selon l’agent, avaient été organisées en signe d’allégeance aux extrémistes sikhs.

[21]           Finalement, l’agent a déterminé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’en raison de son appartenance au groupe ISYF-DDT, le demandeur principal était membre de l’ISYF, une organisation terroriste au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. L’agent a conclu ce qui suit :

[traduction] J’estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’en raison de son appartenance au groupe dissident ISYF-DDT, M. Singh est membre de la ISYF, une organisation dont les membres sont réputés avoir commis des actes terroristes et qui est inscrite sur la liste canadienne des entités terroristes depuis 2003. Je suis convaincu qu’en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, M. Singh est interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance à une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorismes, aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (dossier certifié du tribunal [DCT], au paragraphe 14).

[22]           L’agent a conclu en mentionnant que la décision d’interdiction de territoire ne change rien au statut de personne protégée du demandeur principal au Canada. Il a également noté qu’il était possible que pour des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur principal soit dispensé de satisfaire aux exigences de la Loi à l’égard de son interdiction de territoire. Par conséquent, l’agent a renvoyé l’affaire à la Direction générale du règlement des cas afin qu’elle « détermine s’il y avait lieu de lever l’interdiction de territoire » (DTC, au paragraphe 2). Cette décision est toujours en instance.

IV.             Thèses des parties

[23]           Les demandeurs soulèvent les quatre motifs de contrôle suivants : 1) la conclusion de fait de l’agent selon laquelle le demandeur principal était membre d’une organisation terroriste n’était étayée par aucune preuve; 2) l’agent avait commis une erreur et une injustice lorsqu’il s’était appuyé sur les condamnations au criminel dont le demandeur principal avait fait l’objet en Suisse; 3) l’agent avait commis une injustice lorsqu’il s’était appuyé sur les notes prises lorsque l’ASFC avait interrogé le demandeur principal en 2009, mais avait omis de les divulguer; 4) il était injuste de refuser d’accorder une audience au demandeur principal.

[24]           Le défendeur, en revanche, tire des conclusions opposées à celles des demandeurs à l’égard de chacun des quatre motifs, en plus de soulever une opposition procédurale concernant la prématurité.

a.    Absence de fondement probatoire permettant de conclure à une appartenance à une organisation terroriste

[25]           Les demandeurs soutiennent que l’agent avait commis une erreur lorsqu’il avait conclu que la ISYF et le ISYF-DDT constituaient une seule et même organisation, puisque l’appartenance à un groupe dissident n’équivaut pas à l’appartenance à l’organisation mère. Ils font valoir que l’agent n’avait ni analysé ni mentionné de preuve documentaire confirmant que le ISYF-DDT était en réalisé le même groupe que la ISYF ou qu’il y était associé de près ou de loin.

[26]           Les demandeurs s’appuient sur les arrêts Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1174, aux paragraphes 65 et 66 (Ali), et Ibrahim Dirar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2011 CF 246, aux paragraphes 25 à 29 (Dirar), en ce qui concerne la proposition selon laquelle une preuve directe doit être présentée pour associer un groupe contesté à une entité terroriste. Selon les demandeurs, comme dans les affaires Ali et Dirar, l’agent en l’espèce n’avait pas effectué l’examen nécessaire pour déterminer si le ISYF-DDT était responsable de quelque activité de terrorisme que ce soit, puisque rien ne prouvait que le groupe dissident avait commis des actes de terrorismes précis en Suisse. Le demandeurs soutiennent également que l’agent n’avait ni analysé ni mentionné de documents à l’appui qui auraient permis d’établir que des actes précis commis par le ISYF-DDT correspondaient à la définition de « terrorisme » fournie dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1.

[27]           Le défendeur réplique que le demandeur principal avait lui-même indiqué, dans deux de ses formulaires de demande d’immigration, qu’il était membre de la ISYF. Il souligne également que dans sa propre description d’une réunion initiale du ISYF-DDT tenue en Suisse, le demandeur principal avait indiqué que le groupe s’était formé à titre de faction de la ISYF, et non pas en tant qu’entité séparée et distincte.

[28]           Le défendeur affirme également que même s’il était établi que le ISYF-DDT était un groupe distinct agissant séparément de la ISYF, il n’en demeurait pas moins une organisation terroriste. Par conséquent, le défendeur soutient qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le ISYF-DDT avait commis des actes de terrorisme.

b.     Condamnations au criminel en Suisse

[29]           Les demandeurs s’opposent au fait que l’agent se soit appuyé sur les condamnations au criminel dont le demandeur principal avait fait l’objet en Suisse pour prouver l’interdiction de territoire de ce dernier au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Plus précisément, l’agent avait invoqué la décision favorable quant au statut de réfugié du demandeur principal, dans laquelle deux autres groupes extrémistes sikhs étaient cités, soit le IDSCF et le Khalistan Commando Force, dans le complot visant à enlever l’ambassadeur de l’Inde en Roumanie.

[30]           Les demandeurs soutiennent que cette information n’avait pas été divulguée au demandeur principal et qu’il n’avait pas été avisé, dans les lettres relatives à l’équité procédurale, que l’agent avait l’intention de s’appuyer sur sa supposée appartenance au IDSCF ou au Khalistan Commando Force. Par conséquent, le demandeur principal ne connaissait pas la preuve à laquelle il devait répondre. En outre, il affirme que la preuve ne permettait pas d’établir que l’un de ces deux groupes avait participé à la tentative d’enlèvement et que, peu importe, l’agent n’avait pas procédé à l’examen nécessaire pour déterminer si le demandeur principal était réellement membre de l’un des groupes.

[31]           Le défendeur réplique que le demandeur principal avait été déclaré interdit de territoire en raison de son appartenance au ISYF-DDT. Aucune conclusion n’avait été tirée relativement à son appartenance au IDSCF ou au Khalistan Commando Force. En fait, l’agent avait plutôt simplement mentionné que le demandeur principal avait été reconnu coupable d’un complot auquel avaient participé des membres de divers groupes extrémistes sikhs.

c.     Non-divulgation des notes d’entrevue

[32]           Les demandeurs soutiennent que l’agent s’était appuyé sur les notes dactylographiées qu’avait prises l’agent Fox, de l’ASFC, lorsqu’il avait interrogé le demandeur principal en 2009. Selon eux, ces notes n’étaient pas celles qui avaient réellement été prises, puisque l’agent Fox avait rédigé les siennes à la main. Par conséquent, ces notes dactylographiées ne correspondaient pas à ce que le demandeur principal avait déclaré pendant son entrevue avec l’agent Fox et comportaient plusieurs incohérences. L’agent n’avait pas confirmé que les notes dactylographiées de l’agent Fox correspondaient exactement aux notes manuscrites, ou du moins qu’elles reflétaient exactement ce que le demandeur principal avait déclaré pendant l’entrevue. Les demandeurs se sont également appuyés sur l’arrêt Harkat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 122, au paragraphe 143, en ce qui concerne la proposition selon laquelle la non-divulgation de ces notes manuscrites constituait une violation du droit du demandeur principal à l’équité procédurale.

[33]           Le défendeur a déclaré qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale puisque l’agent ne s’est pas appuyé sur les notes de l’agent Fox.

d.    Absence d’audience

[34]           Selon les demandeurs, il incombait à l’agent de tenir une audience afin d’évaluer leur crédibilité. Puisque le demandeur principal a informé par écrit Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada qu’il n’était pas membre de la ISYF, mais plutôt un membre du ISYF-DDT, la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur principal « avait lui-même déclaré qu’il était membre de la ISYF » constituait une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Les demandeurs invoquent l’arrêt Freeman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1065, au paragraphe 52, en ce qui concerne le principe selon lequel si « les demandeurs de visa n’ont pas systématiquement droit à une entrevue, il pourrait être obligatoire d’interroger le demandeur quand sa crédibilité est remise en question. »

[35]           Le défendeur réplique qu’aucune exigence absolue n’oblige à accorder une entrevue à un demandeur. En outre, les éléments de preuve précis ayant soulevé les préoccupations de l’agent à l’égard de l’appartenance du demandeur principal à la ISYF et au ISYF-DDT ont été portés à l’attention du demandeur principal. Ce dernier a eu la possibilité de répondre à ces préoccupations, et un délai supplémentaire lui a été accordé pour ce faire. Par conséquent, le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale puisque le demandeur principal a eu une véritable possibilité de présenter ses arguments.

e.    Prématurité

[36]           Enfin, le défendeur affirme que le présent contrôle judiciaire est prématuré, puisque la demande de résidence permanente du demandeur principal est toujours en traitement. Bien qu’il ait déterminé que le demandeur principal était interdit de territoire, l’agent a néanmoins envoyé la demande à la Direction générale du règlement des cas afin qu’elle détermine s’il y a lieu d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, le défendeur adopte la position selon laquelle aucune décision définitive n’a été rendue. Si, en fin de compte, la demande de parrainage est accueillie, le présent contrôle judiciaire aura été un gaspillage de ressources. À l’inverse, si la demande de résidence permanente est finalement refusée, le demandeur principal sera libre de contester le refus et de présenter des arguments contre l’interdiction de territoire à cette étape. Autrement dit, la décision d’interdiction de territoire est une décision interlocutoire. Le demandeur principal doit attendre qu’une décision définitive soit rendue à l’égard de sa demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire avant de solliciter un contrôle judiciaire. Lorsque ce sera fait, il pourra contester une décision d’interdiction de territoire dans le contexte du contrôle de la décision défavorable à l’égard des motifs d’ordre humanitaire.

[37]           Les demandeurs s’opposent fermement à ce point de vue. Ils soutiennent qu’en vertu de la Loi, les décisions visant une interdiction de territoire sont des décisions distinctes qui ont des conséquences lourdes et très préjudiciables sur tout demandeur, y compris M. Singh et sa famille.

V.                Questions en litige et norme de contrôle

[38]           Les divers points susmentionnés ayant été soulevés par les parties peuvent être résumés en trois questions distinctes : il s’agit d’abord de déterminer si la demande est prématurée, puis si le processus accordé au demandeur principal concordait avec les règles d’équité procédurale, et enfin si la décision sous-jacente était raisonnable.

[39]           En ce qui concerne la norme en vertu de laquelle la Cour examinera les deux dernières questions, les questions d’équité procédurale, y compris celles soulevées dans le contexte des décisions visant une interdiction de territoire, devraient être examinées selon la norme de la décision correcte (Shahzad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1245, au paragraphe 8). Par contre, dans le cas d’une contestation du bien‑fondé d’une décision d’interdiction de territoire, un examen selon la norme de la décision raisonnable est indiqué (Tareen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1260, au paragraphe 15; Kojic c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 816, au paragraphe 15).

VI.             Analyse

a.    La demande est-elle prématurée?

[40]           Dans l’arrêt Mohammed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1412 [Mohammed], la Cour, en faisant référence à l’arrêt Ali, a rejeté la notion selon laquelle il faut attendre la fin du processus de demande de résidence permanente avant de procéder au contrôle judiciaire d’une décision d’interdiction de territoire. Il en est ainsi parce que même si une demande est accueillie, le demandeur se retrouve avec la décision d’interdiction de territoire sous-jacente. La juge MacTavish a conclu ce qui suit dans l’arrêt Ali, au paragraphe 46 :

Une conclusion du ministre, en application du paragraphe 34(2), selon laquelle la présence constante de M. Ali au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national, permettrait à M. Ali de se voir accorder la résidence permanente, qui est, après tout, ce qu’il vise à obtenir. Toutefois, M. Ali ferait toujours face à la conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire qu’il est membre d’une organisation terroriste. Il s’agit d’une conclusion très grave, laquelle peut avoir des répercussions pour M. Ali dans l’avenir.

[41]           Le raisonnement adopté dans les arrêts Ali et Mohammed s’applique en l’espèce pour deux raisons. Premièrement, même si sa demande de résidence permanente était finalement accueillie pour des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur principal conserverait le fardeau relatif à la décision d’interdiction de territoire sous-jacente. Deuxièmement, en reportant une contestation à l’égard d’une décision d’interdiction de territoire jusqu’à ce qu’une conclusion définitive soit tirée relativement à la demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur principal risque de se heurter au problème d’équité procédurale cerné dans l’arrêt Ali :

[51]      J’entrevois une autre difficulté relativement à la position du défendeur. Celui-ci affirme que, si M. Ali est insatisfait de la décision rendue par le ministre en application du paragraphe 34(2) de la LIPR, il pourrait chercher à obtenir le contrôle judiciaire à cette étape de la procédure, en ce qui concerne tant la décision du ministre que celle de l’agente d’immigration. Toutefois, si M. Ali tentait d’obtenir le contrôle des conclusions de l’agente d’immigration en même temps que le contrôle judiciaire de la décision du ministre de ne pas lui accorder le redressement en application du paragraphe 34(2), il pourrait déroger à la règle 302 des Règles de la Cour fédérale, 1998 [DORS/98-106]. Cela étant, on pourrait faire valoir que M. Ali cherchait à obtenir le contrôle de deux décisions, rendues par deux personnes différentes, dans une seule demande de contrôle judiciaire.

[42]           Le défendeur n’a invoqué aucune jurisprudence pour étayer la proposition selon laquelle une décision d’interdiction de territoire est une décision interlocutoire dans le contexte actuel, ni pour appuyer la proposition voulant qu’une décision subséquente favorable à l’égard des motifs d’ordre humanitaire offrirait au demandeur principal un recours approprié contre la décision d’interdiction de territoire ou que la décision à l’égard des motifs d’ordre humanitaire inclurait autrement la décision d’interdiction de territoire, de sorte que celle-ci pourrait être contestée en même temps que la décision concernant les motifs d’ordre humanitaire dans une seule demande de contrôle judiciaire. Au contraire, il semblerait que la décision concernant les motifs d’ordre humanitaire ressemble à une décision favorable à une dispense ministérielle, en vertu de l’article 42.1 de la Loi (l’actuel article équivalant au paragraphe 34(2), en vertu duquel ont été rendus les arrêts Ali et Mohammed). La décision d’interdiction de territoire ne serait pas annulée, mais le demandeur principal pourrait seulement être dispensé d’en subir les conséquences en vertu de la Loi.

[43]           Par conséquent, je conclus que les arrêts Mohammed et Ali sont analogues à la présente affaire. À mon avis, la décision en suspens relativement aux motifs d’ordre humanitaire, même si elle peut être considérée comme une étape d’une seule demande continue de résidence permanente, n’offre pas aux demandeurs un recours approprié contre la décision d’interdiction de territoire. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire n’est pas prématurée.

[44]           Même si je me trompe et que la décision relative à l’interdiction de territoire est qualifiée d’interlocutoire à juste titre, il est de toute façon dans l’intérêt de la justice d’entendre la demande de contrôle judiciaire. Notre Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’entendre une demande de contrôle judiciaire concernant une décision non définitive dans des circonstances exceptionnelles (Almrei c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1002, au paragraphe 60; Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, aux paragraphes 30 à 33). En gardant ce pouvoir discrétionnaire à l’esprit, la demande de résidence permanente remonte à 1999, soit à il y a presque deux décennies. Depuis, le demandeur principal a demandé une ordonnance de mandamus afin qu’une décision soit rendue à l’égard de la demande (IMM-8192-12) et a présenté une demande de contrôle judiciaire une fois déjà (IMM-7886-13). Cette demande a été accueillie, puisque l’agent qui avait rendu la décision avait refusé la demande du demandeur principal pour des motifs d’interdiction de territoire, mais avait omis de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire, une évaluation qui n’est pas différente de celle présentée à la Cour en l’espèce. Par conséquent, il s’agit de circonstances exceptionnelles, et il serait contraire à l’intérêt de la justice de permettre que cette demande persiste plus longtemps que nécessaire en refusant de rendre une décision maintenant.

b.    La décision était-elle équitable?

[45]           Les demandeurs soutiennent qu’il y a eu trois manquements à l’équité procédurale : 1) l’appui sur les éléments de preuve liés aux condamnations au criminel dont le demandeur principal avait fait l’objet en Suisse; 2) l’omission de divulguer les notes d’entrevue; 3) le refus d’accorder une audience. Je ne crois pas que le droit du demandeur principal à l’équité procédurale a été violé pour l’un des motifs susmentionnés.

                                            i. Éléments de preuve liés aux condamnations au criminel en Suisse

[46]           En l’espèce, l’argument relatif à l’équité invoqué par les demandeurs repose sur la prémisse erronée selon laquelle l’agent a conclu que le demandeur principal était membre du IDSCF ou du Khalistan Commando Force. Or, l’agent n’a pas tiré cette conclusion. Il a tout simplement « mis l’accent » sur le fait que le demandeur principal avait été reconnu coupable d’avoir participé à un complot visant à enlever l’ancien ambassadeur de l’Inde.

[47]           De plus, je suis d’avis qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer que le demandeur principal ignorait que ses condamnations au criminel en Suisse ne seraient pas prises en compte dans la décision d’interdiction de territoire pour des raisons de sécurité, puisque sa demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention avait déjà été rejetée en raison de ces condamnations.

[48]           Tandis que les lettres relatives à l’équité procédurale envoyée au demandeur principal se rapportaient à son appartenance à la ISYF et au ISYF-DDT, les condamnations en Suisse constituaient un fait consigné au dossier d’immigration du demandeur principal dont pouvait tenir compte un agent dans sa décision d’interdiction de territoire fondée sur les motifs prévus à l’alinéa 34(1)f) de la Loi, malgré la radiation de ce dossier. En outre, les condamnations ne constituaient qu’un des motifs pour lesquels l’agent avait conclu que le demandeur principal était membre d’une organisation terroriste, puisqu’il s’agit d’un motif d’interdiction de territoire pour « appartenance à un groupe » visé par l’alinéa 34(1)f). Les condamnations n’avaient absolument pas constitué un élément de preuve déterminant dans la conclusion d’interdiction de territoire, et je suis convaincu qu’elles pourraient être utilisées dans le contexte d’une décision à l’égard de cette question plus vaste que constitue l’appartenance à un groupe.

[49]           Il faut garder à l’esprit qu’en l’espèce, contrairement à ce qui avait été le cas lors du traitement de la demande d’asile du demandeur principal, le motif d’interdiction de territoire visé était l’appartenance à un groupe associé au terrorisme, et non pas un motif de grande criminalité fondé sur des activités criminelles en soi. Cette distinction est abordée plus en détail ci-dessous dans la partie concernant le caractère raisonnable de la décision.

                                          ii. Notes de l’agent Fox

[50]           À ce sujet, il suffit de préciser que rien n’indique que pour rendre sa décision, l’agent s’est appuyé sur les notes manuscrites de l’agent Fox. Comme il est l’a indiqué dans sa décision, l’agent a examiné la demande du demandeur principal afin que soient divulguées ces notes, mais il l’a rejetée :

[traduction] M. Singh a contesté des renseignements contenus dans les notes de l’agent Fox, et l’avocat m’a demandé de fournir des notes manuscrites, que je n’avais pas « déclarées comme inexistantes à ce jour ». Je n’ai pas répondu à cette demande, puisque je n’avais vu aucune note manuscrite tirée de l’entrevue menée par l’agent Fox. De plus, la demande de renseignements personnels présentée en octobre 2014 et le dossier certifié du tribunal figurant dans les procédures judiciaires de 2013-2014 auraient permis à M. Singh d’obtenir une copie de tous les documents versés au dossier (DTC, au paragraphe 9; non souligné dans l’original).

[51]           L’agent a également mentionné ce qui suit : [traduction] « pour effectuer la présente évaluation, bien que j’aie fait référence aux notes de l’agent Fox et à son rapport au titre de l’article 44, ces documents n’ont pas joué un rôle essentiel dans ma décision. J’ai accordé beaucoup plus de poids aux déclarations et aux documents écrits du demandeur » (DTC, au paragraphe 15; non souligné dans l’original).

[52]           Le défaut de divulguer des notes dont un agent ne dispose pas, sur lesquelles il ne s’est pas appuyé et qui pourraient ne plus exister ne donne lieu à aucun manquement à l’équité procédurale susceptible de contrôle. Bien que les demandeurs contestent l’exactitude des notes d’entrevue dactylographiées de l’agent Fox, je remarque que l’agent a simplement fait référence à ces notes pour déterminer que le demandeur principal avait lui-même fait part de son appartenance à un groupe dans divers formulaires d’immigration, à différents moments. Cette question n’est pas vraiment litigieuse, bien que je reconnaisse que le demandeur principal affirme maintenant que sa déclaration selon laquelle il était membre du ISYF-DDT ne signifiait pas qu’il était membre de la ISYF, ce qu’il avait écrit précédemment dans ses demandes d’immigration.

                                        iii. Audience

[53]           En ce qui concerne le dernier argument des demandeurs relativement à l’équité procédurale, j’estime que l’agent n’était aucunement tenu d’accorder une audience au demandeur principal. Une entrevue peut être nécessaire lorsque la crédibilité d’un demandeur est remise en question (Freeman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1065, au paragraphe 52). Cependant, en l’espèce, la décision d’interdiction de territoire n’avait pas reposé sur la crédibilité, mais plutôt sur la déclaration du demandeur principal au sujet de son appartenance à un groupe et sur la preuve documentaire, notamment des conclusions antérieures tirées par la Section du statut de réfugié à l’égard des condamnations dont le demandeur principal avait fait l’objet en Suisse. Par conséquent, je suis d’avis que les préoccupations soulevées par les demandeurs ne justifient pas l’annulation de la décision pour des motifs d’équité.

[54]           Je constate également que la jurisprudence au sujet du droit à une audience dans le contexte d’une demande de résidence permanente établit clairement qu’il revient à l’agent de faire les choix relatifs aux procédures et qu’il n’existe aucun droit inhérent à la tenue d’une audience dans le contexte de ces demandes (voir, par exemple, Sinnathamby c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1421, au paragraphe 25; Ghasemzadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 716, au paragraphe 27; Kandasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 266, aux paragraphes 46 à 48). La juge L’Heureux-Dubé, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a affirmé ce qui suit dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 81, qui fait autorité :

[33]      Toutefois, on ne peut pas dire non plus qu’une audience est toujours nécessaire pour garantir l’audition et l’examen équitables des questions en jeu. La nature souple de l’obligation d’équité reconnaît qu’une participation valable peut se faire de différentes façons dans des situations différentes. La Cour fédérale a statué que l’équité procédurale n’exige pas la tenue d’une audience dans ces circonstances : voir, par exemple, Said, précité, à la p. 30.

[34]      Je conviens que la tenue d’une audience n’est pas une exigence générale pour les décisions fondées sur des raisons d’ordre humanitaire. Il n’est pas indispensable qu’il y ait une entrevue pour exposer à un agent d’immigration les renseignements relatifs à une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et pour que les raisons d’ordre humanitaire présentées puissent être évaluées de façon complète et équitable.

[55]           En l’espèce, le demandeur principal a eu plusieurs occasions de répondre par écrit aux principales questions en litige. L’agent avait également le droit de prendre en compte la décision relative au statut de réfugié du demandeur principal. Une telle décision, qui peut être contestée ou annulée au moyen d’un contrôle judiciaire, constitue un élément important du dossier d’immigration de tout demandeur, puisqu’elle-même découle d’un processus fondé sur les protections liées à l’équité procédurale.

c.    La décision était-elle raisonnable?

[56]           Je suis d’avis que la décision était raisonnable. Des éléments de preuve permettaient de supposer que le ISYF-DDT n’était pas un groupe distinct agissant séparément de la ISYF, et c’est à juste titre que l’agent a tenu compte de cette preuve et s’y est appuyé (voir ci-dessous).

[57]           De plus, le simple fait qu’une organisation constitue un groupe dissident d’une organisation mère, sans rien d’autre pour établir son identité distincte, n’est pas suffisant pour éviter une conclusion d’interdiction de territoire. La juge Strickland a fait remarquer ce qui suit dans l’arrêt Nassereddine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85 :

[44]      À mon avis, un demandeur qui admet être membre d’une organisation terroriste ne peut ensuite éviter l’interdiction de territoire simplement en affirmant qu’il a exercé des activités humanitaires au sein de l’aile non violente de ce groupe, sans que cela ne soit le moindrement étayé par la preuve, documentaire ou autre. Il faut démontrer de manière objective que cette aile existe, qu’elle a une identité propre et quelles sont ses activités. Si un demandeur ne peut le démontrer, il peut toujours tenter de se prévaloir de la dispense prévue au paragraphe 42.1(2) (anciennement le paragraphe 34(2)). (Non souligné dans l’original.)

[58]           Autrement dit, en l’absence d’éléments de preuve démontrant que le ISYF-DDT avait une identité qui lui était propre et que ce groupe exerçait des activités distinctes de celles de la ISYF, la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur principal était membre d’un groupe dissident de la ISYF permet d’appuyer raisonnablement une décision d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

[59]           En l’espèce, la preuve indiquait que les organisations visées n’étaient pas des entités distinctes. Qui plus est, la majeure partie de cette preuve provenait du demandeur principal lui-même. Par exemple, il avait déclaré à plusieurs reprises dans ses divers formulaires d’immigration qu’il était membre de la ISYF, sans faire référence au ISYF-DDT :

A.                Dans sa demande de résidence permanente (datée du 23 novembre 1999), le demandeur principal avait déclaré qu’il était membre de la ISYF, qu’il avait qualifiée d’organisation religieuse (DTC, au paragraphe 709).

B.                 Dans sa demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention, le demandeur principal avait déclaré à deux reprises qu’il était membre de la ISYF (DTC, au paragraphe 764).

C.                 Dans sa demande à jour de résidence permanente en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention, le demandeur principal avait de nouveau déclaré qu’il était membre de la ISYF, qu’il avait encore une fois qualifiée d’organisation religieuse (DTC, au paragraphe 776).

[60]           Dans d’autres documents, lorsque le demandeur principal avait fait référence au groupe ISYF-DDT, il avait lui-même confondu les deux organisations :

A.                Dans une lettre datée d’octobre 2009 envoyée à l’ASFC, le demandeur principal s’était décrit comme un membre du ISYF-DDT, pour ensuite expliquer la raison pour laquelle il était devenu membre de la ISYF (DTC, au paragraphe 558).

B.                 Dans un addenda à sa demande de résidence permanente daté d’octobre 2013, le demandeur principal avait indiqué que le ISYF-DDT était une « aile », et non pas une entité distincte, comme il le déclare maintenant (DTC, au paragraphe 394).

[61]           À la lumière de ce qui précède, je ne peux pas conclure que la décision rendue par l’agent en vertu de l’alinéa 34(1)f) était déraisonnable.

[62]           Tout comme les demandeurs, je conviens que les condamnations au criminel dont le demandeur principal a fait l’objet en Suisse ne constituent pas nécessairement un motif d’interdiction de territoire. Bien qu’il n’ait pas agi injustement en tenant compte de ces condamnations, l’agent n’a pas expliqué comment les faits sous-tendant ces condamnations fournissent la preuve que la ISYF ou le ISYF-DDT avait participé au crime en question ou que ce groupe de personnes que le demandeur principal avait été reconnu coupable d’avoir aidé et encouragé constituait une organisation au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

[63]           Cela dit, somme toute, cet aspect de la décision était superflu, puisque peu importe, la décision de l’agent selon laquelle le demandeur principal était visé par l’alinéa 34(1)f) de la Loi était raisonnable.

[64]           Pour la même raison, bien que j’adhère aux arguments présentés par les demandeurs en ce qui concerne la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur principal avait été déclaré coupable de participation à un complot, ces arguments ne rendent pas la décision déraisonnable. D’un point de vue technique, le demandeur principal a été associé à un complot, mais seules les personnes avec qui il était associé ont véritablement été reconnues coupables de cet acte. Le demandeur principal a plutôt été déclaré coupable d’aide et d’encouragement. Toutefois, tel que susmentionné, la présente demande ne vise pas à contester une conclusion d’interdiction de territoire fondée sur la criminalité, mais plutôt à contester une conclusion selon laquelle le demandeur principal était membre d’un groupe terroriste, et les liens entre le demandeur principal et le complot suisse n’ont constitué qu’un des éléments auxquels l’agent a accordé du poids lorsqu’il a rendu sa décision. Ces liens n’ont pas été l’unique facteur, ni même le facteur déterminant, puisque le demandeur principal a lui-même admis qu’il était membre du ISYF-DDT et, auparavant, de la ISYF. Par conséquent, j’estime que la décision était raisonnable.

[65]           En résumé, bien qu’un autre décideur aurait pu tirer une conclusion différente au sujet de l’appartenance du demandeur principal à la ISYF, je ne peux pas conclure que la conclusion de l’agent n’appartenait pas aux issues raisonnables ni qu’elle était autrement injustifiée, inintelligible ou opaque.

VII.          Motifs d’ordre humanitaire

[66]           L’agent avait mentionné que la décision d’interdiction de territoire ne changeait rien au statut de personne protégée du demandeur principal au Canada et qu’il était possible que pour des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur principal soit dispensé de satisfaire aux exigences de la Loi. Il avait renvoyé l’affaire à la Direction générale du règlement des cas afin qu’elle détermine s’il y avait lieu de lever l’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi afin de s’assurer de ne pas répéter l’erreur qui avait été commise dans le dossier de la Cour IMM-7886-13, soit le refus d’une demande de résidence permanente sans tenir dûment compte des motifs d’ordre humanitaire.

[67]           Bien que je ne sois pas le principal examinateur de l’ensemble des faits et que je ne dispose pas de certains détails du dossier (notamment certains renseignements de nature délicate), les faits qui m’ont été présentés dressent le portrait d’un père de famille qui a élevé trois filles, qui est un membre actif de sa collectivité et qui reconnaît les erreurs qu’il a commises par le passé en s’associant à des personnes indésirables à l’étranger.

[68]           En outre, aucune allégation ne m’a été présentée en ce qui concerne une association ou une conduite illicite de la part du demandeur principal depuis qu’il vit au Canada, soit depuis presque deux décennies. Sans vouloir aucunement entraver l’examen éventuel de tout décideur, je terminerai en affirmant simplement qu’à tout le moins, compte tenu des documents qui ont été présentés à la Cour, lesquels, j’en conviens, ne forment peut-être qu’une partie de la preuve, la présente affaire est un cas où une attention particulière doit être accordée aux motifs d’ordre humanitaire.

VIII.       Conclusion

[69]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

IX.             Question à certifier

[70]           Les demandeurs demandent que soit certifiée une question se rapportant à l’opposition soulevée par le défendeur concernant la prématurité. Ils proposent la question suivante :

Est-il prématuré de présenter une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’interdiction de territoire rendue au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi dans le contexte d’une demande résidence permanente lorsque l’interdiction de territoire peut être annulée en vertu de l’article 25?

[71]           À titre subsidiaire, les demandeurs proposent que soit posée une question semblable à celle figurant au paragraphe 19 de l’arrêt Mohammed, en remplaçant « une demande de redressement ministériel en application du paragraphe 34(2) » par « une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire en application de l’article 25 » :

Une décision rendue en application de l’article de la Loi est‑elle susceptible de contrôle judiciaire si une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire en application de l’article 25 est pendante et qu’aucune décision n’a été rendue sur la demande d’établissement?

[72]           Le défendeur s’oppose à la question à certifier proposée, alléguant qu’il ne s’agit pas d’une question d’importance générale.

[73]           Puisque la question a reçu une réponse à l’avantage des demandeurs, elle n’est pas déterminante pour l’issue en l’espèce et il ne convient donc pas de la certifier.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      Aucune question n’est certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1388-15

 

INTITULÉ :

SUKHVINDER SINGH ET RUPINDER KAUR DHALIWAL GILL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Jeremiah A. Eastman

Pour les demandeurs

Daniel Engel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeremiah A. Eastman

Avocat

Brampton (Ontario)

 

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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